Mardi 12 février 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -

Compte rendu de la réunion du Bureau du mardi 5 février 2013

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Le Bureau de l'Office s'est réuni le 5 février 2013 et a décidé d'ajouter des réunions à celles qui ont déjà été portées à votre connaissance. Ces réunions vous seront communiquées. En second lieu, le Bureau a adopté le principe d'une contribution de l'Office au débat national sur la transition énergétique, qui revêtira diverses formes. Outre la présentation, au printemps, par Christian Bataille, député, et Jean-Claude Lenoir, sénateur, d'un rapport d'étape sur les hydrocarbures non conventionnels, la contribution de l'Office comprendra :

- le 4 avril 2013, toute la journée, une audition publique sur la consommation énergétique des bâtiments ;

- le 23 avril 2013, une audition sur les énergies nouvelles et la géothermie ;

- l'audition des membres du comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique.

Le Bureau a, en outre, désigné Anne-Yvonne Le Dain comme représentante de l'Office à la réunion des Offices de l'Union européenne (EPTA), qui se tiendra cette année en Finlande.

Enfin, il est possible que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) saisisse l'Office de la question de la procréation médicalement assistée (PMA). Dans cette perspective, le Bureau a décidé que, lorsqu'interviendra cette saisine, Virginie Klès et Anne-Yvonne Le Dain organiseront une audition publique sur ce sujet.

Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - l'Office sera-t-il saisi ultérieurement d'une étude sur la PMA ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'Opecst. - Il est prévu qu'en cas de révision de la loi relative à la bioéthique, le CCNE saisisse l'Office pour avis. Le président de la République a décidé de saisir le CCNE, car la PMA a été abordée lors de la discussion à l'Assemblée nationale de la loi sur le mariage pour tous. L'Office ne sera pas saisi d'une étude, mais, comme cela a été le cas lors des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche, il organisera une audition publique durant une journée au cours de laquelle tous les parlementaires pourront intervenir.

Examen de l'étude de faisabilité présentée par Mme Maud Olivier et M. Jean-Pierre Leleux sur la « diffusion de la culture scientifique et technique »

M. Jean-Pierre Leleux, sénateur, co-rapporteur - Tout en se réjouissant de la présente saisine, vos rapporteurs sont parfaitement conscients de la mission redoutable qui leur a été confiée, tant sont nombreux les rapports déjà intervenus sur la diffusion de la culture scientifique et technique (CST).

Pour autant, nous estimons que les enjeux de cette question n'ont jamais été aussi importants, du fait du contexte actuel de crise économique, qui implique un redressement de notre pays fondé sur la connaissance et l'innovation, dans un environnement hautement compétitif.

Par ailleurs, les projets de loi dont le Parlement sera prochainement appelé à débattre - refondation de l'école, acte III de la décentralisation et réforme de l'enseignement supérieur - entraîneront des modifications substantielles dans le jeu des acteurs de la culture scientifique et technique.

Dans la présente étude de faisabilité, nous avons examiné, dans un premier temps, les principes qui sous-tendent les enjeux de cette politique publique et les conditions dans lesquelles celle-ci est mise en oeuvre ; puis, dans un deuxième temps, nous avons tenté de voir pourquoi cette politique publique ne peut pas atteindre pleinement les objectifs qu'elle se fixe.

La difficulté première que nous avons constatée réside dans la multiplicité des définitions de la CST - selon les pays et à l'intérieur de ces derniers - même si, finalement, un socle commun de principes se dégage.

En France, le rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale et de la recherche publié au mois de février 2012 sur le bilan et les perspectives de la culture scientifique et technique, traduit bien la diversité des objectifs poursuivis au fil de l'évolution des tutelles ministérielles intervenant dans le domaine de la CST. L'Inspection générale estime que ces objectifs ne sont pas toujours clairement identifiés ni séparés les uns des autres. On relève notamment : la place centrale de l'égalité des chances, la lutte contre la désaffection à l'égard des études scientifiques ou encore l'alimentation du débat sur les relations entre science, technique et société.

Dans les autres pays, outre le fait que la notion française de CST n'a pas toujours d'équivalent, le contenu des politiques publiques correspondantes est l'objet de débats.

Au Royaume-Uni, le rapport Bodmer publié en 1985 au nom de la Royal Society, considérait qu'une meilleure « compréhension publique de la science » - c'est sous cette dénomination qu'est désigné l'équivalent anglais de la CST - permettrait d'accroître la richesse nationale en améliorant la qualité des décisions publiques et privées. Ce rapport a appelé les scientifiques à apprendre à communiquer avec le public.

En 2000, un rapport de la Chambre des Lords - intitulé Science et Société - a reproché à cette approche de la « compréhension publique de la science » d'imputer les difficultés existant entre la science et la société à l'ignorance du public, et d'assigner aux scientifiques la tâche de combler les lacunes de ce public supposé ignorant, en vue de faciliter l'acceptation sociale des avancées scientifiques et technologiques.

Le rapport de la Chambre des Lords a formulé les principes selon lesquels le dialogue entre la science et le public devrait s'établir pour permettre aux scientifiques de communiquer avec la société et l'opinion publique, en particulier à travers les médias.

L'Allemagne ne s'est penchée qu'en 1999 sur la notion de CST, en créant une institution fédérale chargée du dialogue entre la science et la société (Wissenschaft im Dialog-WiD), à travers le processus appelé PUSH (acronyme anglais pour désigner la « compréhension de la science et des humanités »). Il s'agit pour la société et la science de promouvoir une compréhension commune de leurs attentes et de leurs intérêts. Les scientifiques doivent gagner la confiance et la reconnaissance du public, ainsi qu'obtenir un soutien financier. Car cette compréhension de la science par le public doit permettre d'assurer un financement durable de la science et la compétitivité au plan international.

Le processus PUSH doit aussi contribuer à favoriser par le dialogue avec la société l'acceptation critique de la science et de la recherche.

Mais au-delà de ces particularités linguistiques et culturelles entourant la conception de la CST, il existe en réalité un socle d'objectifs communs.

Parmi ces objectifs, il y a d'abord le souhait de rapprocher les citoyens de la science. Il est en effet crucial de faciliter l'acceptation sociale des nouvelles technologies, surtout dans un pays qui, comme la France, a connu l'échec des débats publics sur les OGM et sur les nanotechnologies.

En second lieu, la culture scientifique et technique est considérée partout - que ce soit dans les vieilles nations industrialisées ou dans les pays émergents - comme un vecteur de leur compétitivité. À cet égard, il est significatif que le rapport Gallois cite expressément la culture scientifique et technique comme l'un des moyens par lesquels la formation des individus pourra s'améliorer et s'adapter aux changements. Elle permettra aussi aux acteurs de retrouver le goût et l'optimisme de la science et de la technique.

Cette compétition entre les États - en particulier entre leurs systèmes éducatifs et universitaires - est renforcée par l'existence de différents classements, dont les plus célèbres sont l'enquête PISA (Programme for International Student Assessment) de l'OCDE et le classement de Shanghai, lesquels ne manquent pas de susciter diverses réactions, comme c'est le cas en Allemagne, où les résultats de l'enquête PISA ont entraîné un choc réformateur.

Comment, et par qui, les principes de la CST sont-ils mis en oeuvre concrètement ? Tant en France que chez nos voisins, on est frappé par la multitude des acteurs.

En France, les acteurs locaux se sont révélés très dynamiques, mettant en place des expériences originales, à commencer par les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI). Le premier d'entre eux a été créé à Grenoble en 1979, fruit de l'action concertée de la municipalité et de chercheurs. L'attribution depuis 2008 d'un label « Science, culture et innovation » a marqué la reconnaissance de l'État envers le rôle fructueux joué par les CCSTI. Délivré par le ministère de la Recherche pour une durée de quatre ans, ce label est un gage de qualité pour les structures qui animent les réseaux de culture scientifique, technique et industrielle de leur territoire, et assurent un rôle de médiateur dans le dialogue entre science et société.

Le dynamisme des acteurs locaux s'est également manifesté dans la régionalisation de certains dispositifs nationaux, comme la Fête de la science, ou encore les dispositifs d'égalité des chances, dont les collectivités territoriales sont devenues des partenaires indispensables.

Les institutions nationales sont de nature variée, comprenant, entre autres, les producteurs de connaissances, ainsi que les institutions intervenant en matière de réflexion publique sur la science. Cette distinction n'est toutefois pas étanche : ainsi, l'Académie des sciences, qui est productrice de connaissances, peut aussi, par certains de ses avis, alimenter la réflexion publique sur la science.

Enfin, en ce qui concerne les médias, certaines personnalités ont critiqué, lors de l'audition du comité de pilotage, la rumeur de disparition de l'émission « C'est pas sorcier » ou encore insisté sur la nécessité pour les pouvoirs publics d'appeler les médias à leur responsabilité dans la diffusion de la CST.

Il convient aussi de souligner le rôle des nouvelles technologies de l'information et de communication, en particulier le e-Learning qui, par exemple, permet à des étudiants français de se former dans les universités américaines sans quitter la France.

Au Royaume-Uni, le paysage institutionnel est également extrêmement dense, faisant coexister des autorités indépendantes comme les Research Councils - qui financent et coordonnent la recherche publique dans le domaine qui leur est propre - et des associations éducatives, telles que le réseau STEMNET (réseau de science, technologie, ingénierie et mathématique), qui s'appuie sur 27 000 volontaires, appelés ambassadeurs. Leur objectif est de sensibiliser les jeunes à la technologie, à l'ingénierie et aux mathématiques lors des débats publics impliquant ces matières, de manière à les inciter à s'orienter vers elles au moment de choisir leur carrière.

L'Allemagne a mis au point des expériences intéressantes comme les « Universités pour enfants », dont s'est inspiré le programme piloté par l'association « Les Petits Débrouillards-UniverCités ». Ce programme a été éligible aux investissements d'avenir.

Organisées chaque année pendant les vacances d'été ou durant un semestre en cours, les « Universités pour enfants » fonctionnent sur la base d'ateliers auxquels prend part le corps enseignant des universités. Ces ateliers ont pour but de communiquer le goût de la science à des enfants âgés de huit à douze ans, de façon simple, concrète et compréhensible. Organisées par 70 universités, les « Universités pour enfants » remportent un réel succès.

À travers des PCRD (programme cadre de recherche et de développement) - 6 et 7 - et le réseau de centres de science et de musée - Ecsite, l'Europe, quant à elle, apporte une contribution jugée importante par certaines des personnalités que nous avons entendues.

Malgré l'accroissement considérable de l'offre culturelle auquel concourent ces différents dispositifs, la culture scientifique et technique ne parvient toujours pas à être diffusée de façon optimale. Ce constat est source de quatre débats récurrents que nous abordons dans une seconde partie.

Mme Maud Olivier, députée, co-rapporteure. - Le premier débat concerne les impasses de la démocratisation de l'accès au savoir.

Cet échec de la démocratisation, et ce malgré la croissance continue du taux de démocratisation, est patent au vu du renforcement des inégalités sociales induit par le système éducatif. S'y ajoutent les inégalités d'accès aux dispositifs de la CST.

Dans un référé qu'elle a adressé en juillet 2012 au ministre de l'éducation nationale, la Cour des Comptes a très sévèrement critiqué le caractère inégalitaire du système éducatif français. La Cour rappelle que, selon l'enquête PISA de 2006 qui concernait les pays membres de l'OCDE, la France affiche l'écart le plus important de résultats entre les élèves de statuts sociaux favorisés et défavorisés. Cet écart atteint le double de celui du Japon, du Canada ou de la Finlande. Ce constat n'a pas été modifié fondamentalement depuis lors puisque dans l'enquête PISA 2009, la France se classe encore dans les derniers pays, en l'occurrence à la 26ème place parmi les trente pays membres de l'OCDE concernés.

En second lieu, la Cour des Comptes observe que les inégalités dans la réussite scolaire sont insuffisamment prises en compte dans l'attribution des moyens aux académies et aux établissements.

Outre l'analyse de la Cour des comptes, celle de la Conférence des grandes écoles rappelle aussi les inégalités sociales dans la réussite scolaire, en particulier dans l'accès aux classes préparatoires aux grandes écoles. Cette analyse estime que le système accorde la palme à la précocité, puisque, pour les enfants socialement défavorisés, tout est très largement joué à l'entrée en 6ème, la suite du cursus continuant de creuser l'écart.

A ces inégalités dans la réussite scolaire s'ajoutent les inégalités d'accès aux dispositifs de la CST. Ainsi, une étude de la Cour des Comptes de mars 2011 sur les musées nationaux après une décennie de transformations, fait ressortir une absence patente de démocratisation de l'accès aux musées, puisque la proportion des cadres ayant visité un musée en 2008 est quatre fois plus élevée que celle des ouvriers.

En ce qui concerne les inégalités des moyens dont sont dotées les structures, on constate par exemple que, selon cette même étude de la Cour des comptes, la politique muséale nationale est caractérisée par la prépondérance de Paris.

Le deuxième débat a trait aux controverses sur les difficultés du système éducatif à promouvoir l'appétence pour les sciences et les carrières scientifiques.

Ces controverses résultent d'affirmations très répandues, dont la pertinence est toutefois contestée. La désaffection des jeunes pour les études scientifiques - qui toucherait davantage les vieux pays industrialisés que les pays dits émergents - a fait l'objet de nombreux rapports. En France, par exemple, une note d'information récente du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche révèle que c'est une minorité - 43 % des bacheliers scientifiques - qui a choisi en 2008 de poursuivre leurs études dans une formation scientifique. Le rapport de l'Inspection générale de l'Éducation nationale considère que cette désaffection est aggravée par la sélection qualifiée d'improductive en termes de diffusion de la CST, jouée par la filière S.

La désaffection pour les carrières scientifiques et techniques est constatée notamment à travers la crise des vocations enseignantes, que le rapport annuel de la Cour des comptes a soulignée. La Cour constate en effet que la réforme de la mastérisation a renforcé le phénomène de la désaffection croissante des étudiants pour les concours d'enseignants, comme le montre le CAPES externe de mathématiques, pour lequel, en 2011, le jury n'a pu pourvoir que 60 % des postes offerts.

Cette crise des vocations suscite des craintes quant aux possibilités de renouvellement du vivier d'enseignants, de chercheurs et de techniciens.

L'une des affirmations les moins contestée concerne la sous-représentation des femmes dans les études et les carrières scientifiques. S'agissant de la France, la parité est à peu près atteinte dans l'enseignement secondaire, puisqu'en 2010, les filles représentaient 40 % des élèves des terminales scientifiques. L'objectif de la LOLF était d'atteindre 42 % en 2013. En revanche, la situation se dégrade dans l'enseignement supérieur : les filles suivent majoritairement des études médicales. Mme Sylvia Serfaty, prix Henri Poincaré 2012, professeure à l'Université de Paris VI, explique la sous-représentation des filles dans les classes préparatoires scientifiques par le « bizutage » dont elle-même a souffert. Jouent également d'autres facteurs, tels que le faible soutien des familles à l'inscription des filles dans ces filières dominées par les garçons.

Quoi qu'il en soit, les rapporteurs considèrent que ce combat pour la parité doit être mené avec détermination, une plus grande implication des femmes dans la vie économique pouvant permettre un accroissement du PIB de 7 %, si les taux d'activité des deux sexes étaient identiques.

Ces affirmations très répandues sur la désaffection des jeunes sont néanmoins contestées. Certains invoquent une étude du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche qui indique que le nombre de doctorants a augmenté de près de 6 000 entre 2001-2002 et 2008-2009 pour atteindre 67 600 personnes. Pour ce qui est des effectifs des écoles d'ingénieurs, ils ont augmenté de 16,7 % entre 2000 et 2007.

En second lieu, ces affirmations ne tiennent pas compte du fait qu'une part de plus en plus importante des bacheliers scientifiques contournent les DEUG généralistes en empruntant des filières plus professionnalisantes comme les DUT, pour ensuite poursuivre vers les diplômes supérieurs.

Le troisième débat porte sur la possibilité d'instaurer un dialogue durable et confiant entre la science et la société.

Cette question serait posée de façon cruciale à la société française, laquelle manifesterait une défiance à l'égard de la science, comme le montreraient, entre autres, l'interminable polémique sur les OGM, les débats autour du principe de précaution et les difficultés de la médiation scientifique.

Cette absence de confiance se double d'une méconnaissance du travail des scientifiques. Car, d'après le sondage IPSOS de juin 2012, 60 % des français déclarent mal connaître ce travail, tandis que 81 % estiment que les citoyens sont insuffisamment informés et consultés sur les débats et les enjeux de la recherche.

Cependant, le sondage IPSOS de juin 2012 indique que 89 % des personnes interrogées considèrent que les études scientifiques mènent à des métiers intéressants et épanouissants.

En second lieu, se fait jour un contexte propice au développement d'une culture du débat. Le rapport de l'Inspection générale de l'éducation nationale fait ainsi état du souhait d'une majorité de chercheurs et de fonctionnaires d'associer les citoyens à une gouvernance moderne basée sur la transparence, la participation et le partage des responsabilités. Il nous incombe de viser au partage de la connaissance par tous les publics, à travers des réponses adaptées aux questionnements des citoyens.

Le quatrième débat touche à la gouvernance de la CST.

Cette question concerne le rôle d'Universcience et les modifications que les projets du Gouvernement sont susceptibles d'entraîner. Le rôle d'Universcience est l'objet de controverses. En premier lieu, la fusion entre le Palais de la Découverte et la Cité des Sciences et de l'Industrie suscite des appréciations contradictoires. Intervenue en 2009, cette fusion est le résultat des conclusions d'une inspection effectuée au titre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Ces conclusions ont souligné la nécessité pour les deux établissements de coopérer à un objectif commun, à savoir, rendre accessible à tous la CST et devenir un pôle national de référence. En 2011, Universcience a été ainsi le quatrième établissement culturel le plus visité de France. Sur le plan international, il est le premier centre de science européen et il a été sollicité pour participer à 80 projets de partenariats.

Pour autant, des craintes sont exprimées quant à l'avenir du Palais de la Découverte. Les uns mettent en cause le fait que la fusion a gommé la spécificité du Palais de la Découverte, ce que Mme Claudie Haigneré, présidente de l'établissement public, a contesté lors de son audition. Pour elle, les services offerts par la Cité des Sciences sont différents de ceux du Palais, lequel permet toujours de voir la science « en train de se faire et en train de se comprendre ». Les autres font valoir une baisse de fréquentation de 23 % en 2011 par rapport à 2010. Quant aux relations entre Universcience, les régions et les associations, les régions reprochent à Universcience d'être un établissement parisien, plutôt que national. Sur ce point, Universcience a fait valoir dans sa contribution aux Assises, qu'il avait défini, en concertation avec 500 acteurs de la CST, une nouvelle organisation favorisant les synergies et les dynamiques territoriales. Parallèlement, certains de nos interlocuteurs ont déploré qu'Universcience ait été juge et partie dans l'attribution des financements au titre des investissements d'avenir et de certains crédits du ministère de la Recherche. D'un montant de 3,6 millions d'euros, ces derniers ont été délégués à Universcience en vue de leur gestion. Les Directions régionales de la Recherche et de la Technologie sont, quant à elles, en charge de choisir les secteurs destinataires de ces crédits.

Enfin, pour ce qui est des incidences des projets législatifs du Gouvernement sur la gouvernance de la CST, les acteurs auditionnés se sont réjouis que le projet d'Acte III de la décentralisation confère une compétence obligatoire aux régions dans le domaine de la diffusion de la culture scientifique et technique. Ils considèrent toutefois que l'État doit conserver sa fonction de stratège. S'agissant de la refondation de l'école, le projet de loi indique explicitement que la formation des enseignants dans les écoles supérieures de professeurs des écoles doit comprendre les éléments d'une CST.

En conclusion, il faudra cibler nos préconisations différemment selon les publics visés : enfants, parents, enseignants, acteurs sociaux des quartiers, décideurs ou médias.

Si l'Office nous autorisait à poursuivre cette étude, il conviendrait de viser aussi la culture industrielle dans son intitulé. Il s'agit non seulement de se conformer aux dénominations officielles, mais aussi de bien marquer la dimension économique de cette politique publique.

M. Bruno Sido. - Ce sujet récurrent soulève notamment les deux questions suivantes :

- Pourquoi l'ascenseur social est-il en panne ? Examinerez-vous cette question ?

- Envisagez-vous d'aller au-delà du constat de l'existence de disparités entre les régions et entre ces dernières et Paris ? Que peut-on faire pour y remédier ?

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'Opecst. - Je partage le dernier point évoqué par Bruno Sido. Aborderez-vous la question des tutelles ministérielles ? En effet, comment associer le ministère de la Culture - actuellement le parent pauvre - et les ministères de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, de l'Industrie et de l'Éducation nationale au soutien de la CST ? Vous avez évoqué la place des sciences dans l'enseignement, la désaffection des jeunes à l'égard des sciences et le rôle des médias. Quelles solutions pourra-t-on mettre en oeuvre dans ces domaines ? En ce qui concerne le débat public et les rapports entre science, experts et citoyens, se trouve posée la question de l'absence de confiance. Le débat public ne devient-il pas inexistant comme le montre de façon significative l'histoire des OGM ? En effet, la première directive européenne relative aux OGM a été transposée au début de 1991 dans l'indifférence générale, le débat n'étant intervenu que postérieurement, mais trop tardivement. Les rapporteurs ont eu raison de souligner l'éparpillement du réseau d'acteurs. Comment le densifier ? Les investissements d'avenir y contribueront-ils ? Vous avez bien évoqué le rôle d'Universcience dans ses liens avec les régions. Comme je l'ai déjà suggéré, il serait opportun que des représentants des régions siègent au comité de pilotage de l'étude, comme, par exemple, le directeur de Cap sciences Bordeaux et Patrick Baranger, président du réseau Hubert Curien de Lorraine.

M. Bruno Sido. - Je rappelle qu'aux termes de l'article 23 du règlement intérieur de l'Office, c'est le président qui désigne les membres du comité de pilotage sur proposition des rapporteurs.

M. Roland Courteau, sénateur. - Je me demande également pour quelles raisons l'ascenseur social ne fonctionne plus aussi bien que par le passé ? Comment expliquer objectivement la désaffection envers les études scientifiques et techniques ? Est-ce dû au fait que le niveau requis est devenu plus élevé ? Cette désaffection résulte-t-elle de l'attrait exercé par les carrières lucratives comme l'ingénierie financière ? Ces explications ne sont-elles pas incomplètes ?

Mme Catherine Procaccia, sénatrice. - Dans votre étude, parviendrez-vous à faire émerger des pistes permettant que davantage de filles se dirigent vers des études scientifiques et techniques ? S'agit-il d'un phénomène purement culturel ? Y a-t-il des moyens de progresser ? Si plus de 50 % de la population est composée de filles, qui, en général, réussissent mieux leurs études que les garçons, bien qu'elles se détournent des études scientifiques et techniques, il m'apparaît que l'objectif prioritaire est d'y remédier.

M. Marcel Deneux, sénateur. - Il faut que vous fassiez des efforts pour présenter des propositions. Car, autrement votre rapport ne sera qu'un rapport de plus qui n'atteindra pas ses objectifs. Par exemple, en ce qui concerne le rôle des médias, on constate qu'ils informent la plus grande partie de la population, ce qui n'est pas le cas de l'école qui ne joue pas son rôle. Dès lors, il faut revoir comment amener les médias à inciter les jeunes de 15 ans à regarder les émissions ciblées de CST. On peut mobiliser la population, à l'aide des médias modernes, en organisant des concours. En tout état de cause, comme l'a souligné Catherine Procaccia, le problème de la sous-représentation des filles est essentiel.

M. Bruno Sido. - Comment attirer les jeunes vers les carrières scientifiques tant que les banques offriront un salaire bien plus élevé que les organismes de recherche ?

Mme Corinne Bouchoux, sénatrice. - Je constate qu'il y a énormément de CST qui passe par la culture protestataire. Ainsi, dans le Grand Ouest, la CST est autant diffusée par l'Espace des Sciences que par les réunions conjointes entre universités et associations extrêmement protestataires, lesquelles attirent davantage de personnes que les réunions institutionnelles organisées par les Universités. Ce n'est pas en évitant les débats qu'on attirera le public, mais en les suscitant. Car l'échange scientifique se fait autour de la controverse, qui peut susciter des débats de très bonne qualité. Certaines grandes écoles de commerce ont organisé récemment des débats - certes vifs, mais riches - sur les OGM.

S'agissant de la question de la désaffection pour la science, il n'est pas nécessaire d'avoir la vocation scientifique à 18 ans. Malheureusement, il n'existe pas en France de deuxième carrière scientifique pour qui n'a pas suivi la filière des classes préparatoires, alors que, par exemple, il est possible d'entamer une deuxième carrière juridique. Il en va différemment en Allemagne, où une deuxième carrière scientifique ou d'ingénieur peut débuter à l'âge de 30 ans. Il serait donc opportun que les rapporteurs aillent voir en Allemagne comment y fonctionne la formation tout au long de la vie. Enfin, je suis très favorable à la poursuite de l'étude.

M. Michel Berson, sénateur. - Le vrai problème n'est pas celui des rapports entre culture et science mais plutôt entre science et société. Si, aujourd'hui la culture scientifique et technique est peu ou mal diffusée dans notre pays, c'est parce qu'existe un déficit au plan du débat. Le débat public est insuffisant, malgré les textes législatifs et réglementaires qui prévoient son organisation au niveau des quartiers, des collectivités territoriales ou au niveau national. Bien que le débat public soit institutionnalisé en France, la participation des citoyens est insuffisante, car ne se mobilisent que les opposants. C'est donc sur ce problème qu'il importe d'investiguer davantage. Les résultats du sondage cité par les rapporteurs sur la confiance accordée aux scientifiques pour les OGM, l'énergie nucléaire, et les nanotechnologies sont effrayants : dans ce dernier domaine, les Français sont 25 % à ne pas faire confiance, alors que bien peu d'entre eux en ont une connaissance réelle. Il m'apparaît donc que c'est cette relation entre scientifiques et citoyens qui est la voie la plus fructueuse pour développer la CST.

En second lieu, il conviendra de poser la question - et d'y répondre - de savoir qui doit être pilote : le ministère de la Culture ? Le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche ? L'Éducation nationale ? Intuitivement, je pencherais plutôt pour le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Le ministère de la Culture est certes emblématique, mais dispose de peu de moyens et n'a pas d'appétence pour les sciences. L'Éducation nationale est trop marquée par les règles impérialistes des « sachants ». Donc, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche m'apparaît comme le ministère le plus approprié, du fait des moyens non négligeables dont il dispose. En tout cas, il faut disposer d'un levier important pour développer la CST.

M. Alain Marty, député. - Quelle est la valeur induite par l'objectif d'accroissement du nombre de scientifiques et d'ingénieurs de sexe féminin ? Et si ces dernières trouvent davantage à s'épanouir à l'étranger, que faut-il faire pour les retenir en France ?

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président- L'éducation populaire, qui a été peu évoquée, est le meilleur moyen de diffuser la CST. Plusieurs associations sont présentes en milieu rural : les Maison des jeunes et de la culture, Les Petits Débrouillards, Exposcience. Il faut montrer, à travers la présentation de leur action, qu'il existe plusieurs lieux de diffusion de la CST.

Mme Maud Olivier, co-rapporteure- Nous allons auditionner Cap Sciences et le réseau Hubert Curien et les inclure dans le Comité de pilotage.

S'agissant du débat public, il est inexistant, comme l'a fait remarquer Jean- Yves Le Déaut, car il existe peu de moyens.

La diffusion de la CST par les médias est fondamentale, bien que l'on puisse déplorer leurs difficultés à informer le public. Ainsi, leur rôle dans l'affaire Séralini a été catastrophique. Les médias se sont précipités sur les photos produites par M. Séralini. Or, la quasi-totalité des scientifiques qui étaient présents à l'audition publique de l'OPECST du 19 novembre 2012 ont condamné l'absence de méthode scientifique, dans l'élaboration de l'étude du professeur Séralini. Il importe donc d'apprendre aux média à diffuser la CST de façon plus sérieuse. À cet égard, je me félicite que, lors de son audition par la Commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale, M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), se soit montré ouvert à l'idée d'imposer des programmes de CST dans les cahiers des charges. Une autre piste intéressante qui a été suggérée au sein de la Commission des affaires culturelles consiste à adapter le format très court de l'émission D'art d'Art au domaine de la CST.

Sur la question de la gouvernance soulevée par Michel Berson, je considère que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche doit assurer la coordination des actions de CST avec les autres ministères : Redressement productif, Culture et Éducation nationale. En tout état de cause, ils se doivent de travailler conjointement. Peut-être sera-t-il nécessaire d'instituer un Délégué interministériel. Il nous incombe, en effet, comme je l'ai indiqué in fine dans mon exposé, de toucher tous les publics - en particulier le citoyen ordinaire -, pour qu'ils aient le niveau de connaissances qui leur permettra de participer au débat public et de faire des choix.

Sur la question des femmes, il convient, à court terme, d'observer les dispositifs existants et de mettre l'accent constamment sur l'importance d'intéresser les filles à la CST. Je constate, que, par exemple, s'agissant de la nouvelle promotion de l'École polytechnique, elle est paritaire. On peut y voir l'aboutissement des efforts répétés, dont ceux de l'association Pourquoi pas moi et ceux que j'ai déployés au sein du Conseil général de l'Essonne. Dans le long terme, il importe de dispenser une formation aux enseignants, afin qu'ils puissent adapter leurs pratiques d'enseignement à l'égard des filles, et fournir un conseil lors des procédures d'orientation. Cela fait partie des objectifs d'égalité professionnelle et d'égalité des chances.

M. Jean-Pierre Leleux, co-rapporteur. - Toutes les remarques qui ont été formulées sont autant de pistes de réflexion.

S'agissant du rôle de la CST dans l'ascenseur social : Il a été souligné dans l'étude de faisabilité. Nous n'avons pas l'ambition de régler ce problème. En revanche, nous estimons que la CST peut être un levier efficace pour l'ascension sociale des jeunes. Car il est plus facile de les intéresser à une expérience scientifique qu'à une équation du second degré ou à un concert de Debussy.

Pour ce qui est des disparités entre Paris et les régions et entre ces dernières, ainsi que de la décentralisation des outils : comme l'a évoqué Jean-Yves Le Déaut, il existe un foisonnement d'associations d'éducation populaire, qui mènent des actions de médiation extrêmement fortes dans les régions. Se posera dans les années à venir la question de leur labellisation éventuelle.

Sur les rapports entre la science et la société : cette question est au coeur de nos préoccupations. Comment capillariser la science auprès de la population et des enfants ? Avec Maud Olivier, nous souhaiterions formuler les propositions les plus concrètes possibles. Car il importe qu'elles soient crédibles et mises en oeuvre. Par exemple, en ce qui concerne les médias, il serait assez normal que, dans le cadre de contrats d'objectifs proposés à l'audiovisuel public, des obligations en matière de CST soient imposées, les émissions devant être sérieuses et séduisantes.

Sur proposition de M. Bruno Sido, président, l'Office a autorisé la poursuite de l'étude et décidé de mentionner la culture industrielle dans son intitulé.

Mercredi 13 février 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -

Audition de Mme Laurence Hézard, directeur général de GrDF, sur « les perspectives économiques et technologiques de la filière biométhane 2030 »

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Nous vous remercions de nous accueillir aujourd'hui à votre siège. Cette visite fait suite à celle de votre centre de recherche, à Saint-Denis en 2011. Les parlementaires de l'Office présents s'intéressent fortement à la filière biométhane. L'Office travaille également sur les perspectives des usages énergétiques de l'hydrogène et d'une exploitation non polluante du gaz de schiste. La gestion du réseau de gaz naturel représente une responsabilité importante, renforcée encore par la diversification probable de ses applications. C'est donc avec grand intérêt que nous écouterons votre exposé.

Mme Laurence Hézard, directeur général de GrDF. - Le thème de notre rencontre, la filière biométhane, est un sujet d'importance pour GrDF. Au travers de projets locaux, auxquels notre société contribue, nous montrerons comment le réseau de distribution de gaz naturel permettra, demain, de véhiculer plus de biométhane, de l'ordre de 20 % à l'horizon 2030, voire de l'hydrogène, issu d'une filière encore émergente.

À la création de GrDF, il m'avait été demandé de préparer un plan de démantèlement du réseau de gaz naturel, réputé sans avenir. Aujourd'hui, cette ressource a trouvé, dans un monde énergétique en transition, une place complémentaire à celle de l'électricité et des énergies renouvelables, par exemple en permettant de mieux gérer les problèmes de pointe de consommation en hiver.

GrDF assure, sur l'ensemble du territoire, la maîtrise d'ouvrage, l'exploitation et l'entretien du réseau de distribution de gaz naturel, appartenant aux collectivités locales, d'une longueur totale de deux cent mille kilomètres. Nous sommes également en charge de sa sécurité, qui demeure pour nous une priorité. Nous travaillons avec les autorités concédantes à accroître son utilisation, afin de contribuer à le rentabiliser. Les activités opérationnelles sont réalisées par des équipes communes avec ErDF.

La restructuration des réseaux électrique et gazier, liée à la mise en place des gestionnaires de réseau, aura du moins permis, pour le gaz naturel, l'émergence d'une réelle concurrence, puisque GrDF a passé des contrats d'acheminement avec trente-trois fournisseurs de gaz et que sur onze millions d'utilisateurs, un et demi ont d'ores et déjà changé de fournisseur.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président. - L'Office étant le seul organe commun au Sénat et à l'Assemblée nationale, je tiens à vous remercier, au nom de cette dernière, de nous accueillir pour évoquer le développement du biométhane. Plusieurs collègues traitent de questions proches dans des études en cours : Jean-Marc Pastor et Laurent Kalinowski, de la filière hydrogène ; Christian Bataille et Jean-Claude Lenoir, des hydrocarbures non conventionnels, y compris des gaz de houille, notamment dans des régions comme la Lorraine ou le Pas-de-Calais.

Mme Laurence Hézard. - Anthony Mazzenga va maintenant présenter les perspectives de production du biométhane, parfois appelé « gaz vert », à partir du biogaz.

M. Anthony Mazzenga, chef du pôle stratégie GrDF. - Le biogaz est issu d'une réaction biologique naturelle intervenant en décharge ou dans des installations de méthanisation dédiées. Ce gaz combustible peut directement être utilisé pour produire de la chaleur ou de l'électricité, comme cela est pratiqué, depuis une dizaine d'années, avec un succès variable. À présent, il est également envisageable de l'épurer, en éliminant certains de ses composés, comme le dioxyde de carbone, l'azote et l'oxygène, afin de le transformer en biométhane. Ce dernier, présentant la même composition que le gaz naturel, peut être injecté dans le réseau.

En pratique, un site de méthanisation peut être approvisionné en sous-produits agro-alimentaires, résidus de culture, fumier ou lisier, mais aussi en déchets issus du tri sélectif des ordures ménagères. Ces déchets, brassés dans un digesteur durant quelques semaines en l'absence d'air, permettent d'obtenir du biogaz ainsi que des digestats, utilisables comme engrais.

Le biogaz obtenu contenant du méthane, mais aussi beaucoup de CO2 et d'autres composés, doit ensuite être épuré dans une installation spécifique. GrDF contrôle la qualité du biométhane ainsi produit avant son injection dans le réseau. L'injection de biométhane dans le réseau est déjà une réalité avec une installation telle que celle de Lille Métropole. Dans cette ville, les autobus roulent avec le gaz produit à partir des déchets ménagers.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Est-il possible de distinguer le gaz naturel du biométhane, une fois celui-ci injecté dans le réseau ?

M. Anthony Mazzenga. - Non, leurs caractéristiques étant identiques, il n'est pas possible de les distinguer. Toutefois, la loi Grenelle II a prévu un système de traçabilité afin de garantir que les consommateurs sont bien alimentés en biocarburant.

Le site de Morsbach, prochainement opérationnel dans l'Est de la France, constitue un autre exemple d'application du biométhane, en tant que biocarburant. Le Sydeme, syndicat intercommunal de gestion des déchets ménagers, a mis en place un tri à la source. Le biogaz produit dans un méthaniseur est en partie utilisé en cogénération pour produire de l'électricité et de la chaleur. Le reste sera épuré puis injecté dans le réseau. Le Sydeme a, par ailleurs, ouvert la première station-service publique de distribution de biométhane.

Le biométhane sert de carburant lorsqu'il prend la forme du gaz naturel pour véhicules (GNV). Ce dernier, devenu le premier carburant alternatif dans le monde, alimente un parc de treize millions de véhicules, en croissance forte (+18 % par an). Il présente en effet des caractéristiques favorables en termes de pollution : pas d'émission de particules, très faible émission de NOx ou d'autres polluants considérés potentiellement cancérigènes. En France (parc GNV actuel de 10 000 véhicules légers, 750 bennes à ordure, 2 200 bus et camions), un certain nombre d'entreprises l'ont choisi, dont GrDF, et 50 % des villes de plus de 200 000 habitants se sont dotées de flottes de bus alimentées en GNV.

Couplé à la technologie mature du GNV, le biométhane permet de disposer d'un carburant renouvelable, produit localement, avec de très faibles émissions de gaz à effet de serre, inférieures pour le CO2 de 75 % à 80 % à celles des carburants pétroliers. Les tarifs d'achat mis en place fin 2011 ont permis l'émergence d'environ 300 projets, un délai de 4 ans étant nécessaire pour trouver les financements, obtenir l'agrément ICPE et installer les systèmes. À l'horizon 2018, la production pourrait atteindre l'équivalent de 2,5 TWh. À terme, le potentiel français est estimé à 210 TWh, dont la plus grande part proviendrait de déchets agricoles non valorisés à ce jour, à mettre en regard des 520 TWh de gaz consommés aujourd'hui en France.

Une nouvelle ressource pourrait provenir de la valorisation de la biomasse ligneuse qui contient une part importante de fibres, difficiles à dégrader dans un méthaniseur. De nouvelles installations industrielles, les gazéifieurs, permettent, en la portant à des températures de l'ordre de 700°C, de transformer cette biomasse en gaz de synthèse. Ce dernier peut, après purification, être injecté dans le réseau de gaz naturel.

Un site expérimental est d'ores et déjà opérationnel en Autriche, à Güsing, avec un rendement de conversion de 56 %, soit près du double de celui des biocarburants de deuxième génération. En France, dans le cadre du projet GAYA de GDF SUEZ, soutenu par l'ADEME, une installation pilote, en cours de construction à Saint-Fons (Grand Lyon), sera opérationnelle fin 2013. En Suède, deux projets, plus avancés, atteindront 20 MW, une capacité proche de celle d'installations industrielles. Cette ressource, constituée à partir des résidus forestiers et agricoles secs, présente, selon une étude commune à plusieurs ministères, un potentiel de 100 TWh à l'horizon 2020 et 140 TWh à l'horizon 2050, auquel pourrait s'ajouter celui, de l'ordre de 40 TWh en 2020 et 140 TWh en 2050, des cultures énergétiques sur les terres non arables.

La technologie des micro-algues ouvre une autre voie pour la production du biométhane. Elle consiste à créer artificiellement la biomasse dans des bassins fermés ou des photo-bioréacteurs. Leur croissance nécessite du soleil, de l'eau et du CO2, disponible en quantité sur certains sites industriels, ainsi que des phosphates et nitrates, présents en faible quantité à la sortie des stations d'épuration. Les micro-algues assurent, à cet égard, une fonction de bioremédiation, contribuant ainsi à éliminer des polluants. Ces micro-algues sont aujourd'hui utilisées à petite échelle pour produire des nutriments ou des produits pharmaceutiques, par exemple des Oméga-3.

Les micro-algues produisent une biomasse de qualité, aisément méthanisable. Mais leur production en quantité industrielle relève encore de la recherche et développement, dans laquelle sont impliqués des acteurs du monde des hydrocarbures, de l'aéronautique ou encore des services à l'environnement. Les laboratoires et entreprises françaises travaillant dans ce domaine prévoient d'aboutir à l'industrialisation d'ici 2020-2030.

Le potentiel de production de biométhane à partir des micro-algues restera concentré dans quelques secteurs susceptibles de valoriser leurs coproduits ou la bioremédiation, comme la chimie, la pétrochimie, l'alimentation animale ou les services à l'environnement. Nécessitant des surfaces importantes, sa production serait limitée à 1 TWh à l'horizon 2020 mais pourrait aller jusqu'à 9 TWh en exploitant des surfaces complémentaires sans valeur, comme les déserts, voire plus de 20 TWh en 2050.

Une autre voie résulte de la capacité à produire, à partir d'électricité excédentaire, de l'hydrogène dont une partie peut être mélangée au gaz naturel, à hauteur de 6 % maximum. Pour aller au-delà, certains imaginent de mettre en oeuvre la méthanation, inventée en 1921 par le chimiste français Paul Sabatier, permettant de recombiner l'hydrogène avec du CO2 pour obtenir du méthane de synthèse. Cependant, la France ne disposera pas d'excédents de capacité de production électrique à valoriser avant 2030.

Ces différentes voies cumulées pourraient aboutir d'ici 2050 à une production de l'ordre de 400 à 550 TWh, comparable à la consommation actuelle de 520 TWh. Le scénario présenté par l'ADEME prévoit, pour sa part, avec une certaine prudence, 17 % de « gaz vert » dans le réseau en 2030 et 27 % en 2050. Des transporteurs belges, danois et hollandais ont, pour leur part, annoncé leur intention d'utiliser, d'ici 2050, uniquement du biométhane comme carburant.

M. Bruno Sido. - Je voudrais revenir sur le projet GAYA, consistant à transformer la biomasse bois en biométhane par gazéification. Il se trouve que le CEA étudie un projet similaire, mais prévoit une injection d'hydrogène, destinée à accroître le rendement. Il serait ainsi possible de produire des carburants liquides, notamment du kérosène très pur, ce qui suscite l'intérêt des compagnies aériennes. Collaborez-vous avec le CEA sur ce projet ?

M. Jean-Yves Le Déaut. - Toujours au sujet de GAYA, comment expliquer une différence si importante de rendement avec celui des carburants de deuxième génération ?

M. Anthony Mazzenga. - Le procédé de gazéification mis en oeuvre dans GAYA se limite à des températures relativement basses, de l'ordre de 700 à 850°C, permettant de craquer partiellement la biomasse, de façon à maximiser, à hauteur de 40 à 50 %, la production du biométhane, et à minimiser celle d'hydrogène et de dioxyde de carbone. Ces derniers sont recombinés en biométhane par méthanation, une réaction très simple et très exothermique. La chaleur ainsi produite est recyclée pour la gazéification, ce qui permet d'atteindre ces rendements très élevés.

Pour la production de carburants liquides, il convient au contraire de minimiser la production de méthane, impossible à retransformer en liquide, et donc de casser intégralement la biomasse, ce qui nécessite des températures beaucoup plus élevées. Il faut ensuite mettre en oeuvre le procédé Fischer-Tropsch, exploité par l'Allemagne, exempte de ressources pétrolières, à partir des années 30, afin de transformer le charbon en pétrole. Cette catalyse présente le double inconvénient d'être endothermique, c'est-à-dire de consommer de l'énergie, et peu sélective : elle produit donc une série de composés qui doivent ensuite être séparés par raffinage.

Le rendement thermodynamique de ce procédé - lequel ne pourra être dépassé - se limite à 30 % alors que celui de la gazéification atteint 60 %. D'autre part, le capital investi est beaucoup plus élevé. De ce fait, le biométhane peut être aujourd'hui produit à 50€/MWh, soit deux fois le prix du marché, contre 3€ par litre de carburant liquide produit, avant distribution, soit six fois le prix du marché. L'ADEME estime ainsi qu'en 2050, 45 % des véhicules rouleront au gaz naturel et 22 % à l'électricité. Mais il restera aux carburants liquides des domaines tels que l'aviation qui pourra, pour des raisons d'autonomie, difficilement se passer de kérosène, ou la chimie verte. Ces deux technologies seront donc probablement complémentaires.

M. Laurent Kalinowski, député. - Le projet Morsbach est une illustration du concept d'économie circulaire. Basé sur une large intercommunalité, de l'ordre de 350 000 habitants, il part du citoyen, avec le tri sélectif, lequel fait appel à de nouveaux brevets, associe de nombreux partenariats, par exemple Air Liquide et IVECO, et, avec l'injection directe sous forme de biométhane dans le réseau, ouvrira, en plus de la cogénération, la voie à de multiples applications, comme les transports publics.

Ce projet exemplaire vise à gérer les déchets de façon innovante pour les transformer en une ressource, suivant le principe de développement durable. Aussi a-t-il recueilli l'adhésion des populations, ce qui est essentiel pour une telle installation, afin que le traitement des déchets puisse être réalisé à proximité des agglomérations et permettre une utilisation directe. Avec la possibilité d'enrichissement en hydrogène, ce projet ouvrira d'autres perspectives. Néanmoins, nous sommes encore freinés par les retards en matière réglementaire sur la question de la tarification, préalable à la contractualisation.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Vos prévisions à l'horizon 2030 ou 2050 ne sont-elles pas trop optimistes, en raison, d'une part, de la concurrence sur la ressource, et, d'autre part, du prix de production, encore trop élevé ?

M. Christian Bataille, député, vice-président. - Pour compléter la question, je souhaite savoir quel serait le prix de référence du biométhane par rapport au prix du marché mondial, celui-ci étant lui-même orienté à la baisse, du fait de l'évolution aux États-Unis.

M. Jean Lemaistre, directeur stratégie et régulation GrDF. - Contrairement au marché du pétrole, carburant facile à transporter, mondialement unifié, celui du gaz est géographiquement segmenté. Aux États-Unis, du fait de l'effort considérable consenti par la puissance publique pour développer les gaz de schiste, il est de l'ordre de 15€/MWh. En Europe, il se situe aux alentours de 25-30 €/MWh. En Asie, en raison de la croissance et de l'accident de Fukushima, ce prix est plutôt de 35€/MWh, voire plus. Sur ce dernier marché, l'écart n'est dès aujourd'hui pas considérable.

Deux facteurs pourraient permettre au prix du biométhane de converger avec celui du marché. D'une part, les progrès technologiques et les effets de série devraient permettre une baisse de son coût de production. D'autre part, ceux des combustibles traditionnels et du CO2 iront croissant, en dépit du ralentissement de la croissance mondiale et de la disponibilité de nouveaux gisements. Le rôle des tarifs d'achat est de permettre l'émergence de cette filière qui permet à la fois de disposer d'un combustible 100 % vert et de trouver une solution efficace au problème des déchets.

À cet égard, contrairement à la filière allemande, qui utilise des cultures énergétiques, la nôtre, basée sur le recyclage des déchets, apparaît, malgré un démarrage moins rapide, plus durable, puisqu'elle évite la compétition sur l'utilisation des sols entre la production alimentaire et celle d'énergie.

M. Jean-Marc Pastor, sénateur. - Je voudrais revenir sur la question des tarifs. Sur un territoire comparable à celui de mon collègue, le député Laurent Kalinowski, deux départements et demi, nous traitons également les déchets ménagers par méthanisation, sans toutefois faire appel à une installation industrielle telle qu'un méthaniseur, mais sur le principe élémentaire du bioréacteur, inventé en Australie, mis en oeuvre également aux États-Unis et en Afrique du Sud.

Il consiste à creuser un simple silo en argile, suffisant pour 50 000 tonnes de déchets, doté de drains, permettant, pendant 10 à 12 ans, la récupération du biogaz, de façon totalement naturelle. Il existe trois autres façons de traiter les déchets ménagers: en 48 heures par incinération, en 3 semaines dans un méthaniseur ou en 30 ans dans un centre d'enfouissement technique, avec les inconvénients connus.

Le biogaz produit peut, comme partout, servir à produire de l'électricité ou de la chaleur. Malheureusement, nous n'avons pas la chance d'être à côté du réseau GrDF. Néanmoins, par un procédé un peu différent de celui décrit par M. Anthony Mazzenga, nous produisons du biométhane carburant. Nous avons passé un accord avec IVECO et Renault, qui vérifient la qualité du gaz, et revendons celui-ci à un prix équivalent gazole de 0,71€ le litre. Nous y gagnons, tout comme la collectivité.

Nous avons également passé un accord avec l'INRA de Narbonne, destiné à développer la production d'hydrogène à partir de micro-algues. L'INRA étudie cette question depuis 8 ans et 2 de leurs ingénieurs travaillent avec 4 des nôtres. Les micro-algues sont mêlées dans le silo aux déchets ménagers afin de produire un biogaz avec une part d'hydrogène nettement plus élevée. Il serait pertinent que GrDF puisse s'intéresser à un tel projet.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous avez répondu à la question du prix, mais pas à celle concernant une concurrence éventuelle sur la ressource, notamment les ligneux.

M. Anthony Mazzeng. - La ressource nécessaire à la méthanisation est constituée de déchets humides. Dans des incinérateurs, les rendements avec ce type de déchets sont défavorables, ce qui rend la méthanisation plus attractive. Une autre concurrence est toutefois apparue entre pays. Ainsi dans le Nord de la France, énormément de déchets passent la frontière pour être méthanisés et valorisés sous forme de biogaz en Belgique.

Sur les ligneux, une réelle concurrence existe entre une chaufferie sur un réseau de chaleur alimentée en biomasse et une installation de gazéification ou de production de carburants liquides. Il s'agit à mon sens d'une question de rendement. La chaleur peut être produite de différentes façons : avec le solaire ou en isolant les bâtiments. Pour les carburants, dès lors qu'un véhicule peut fonctionner au gaz, cette voie permet d'avoir des rendements bien supérieurs.

Par ailleurs, l'utilisation de la biomasse forestière, ressource locale, suppose de disposer d'unités de taille suffisante. Un projet de quelques dizaines de mégawatts implique 100 000 à 200 000 tonnes de biomasse par an, envisageables dans les forêts françaises. D'autres pays visent des installations de quelques centaines de mégawatts qui nécessiteront un million de tonnes de biomasse, bien supérieure à la capacité de nos forêts. De telles installations devront se situer dans des ports pour traiter la biomasse des forêts d'Amérique du Nord. Les États-Unis sont susceptibles d'exporter 8 millions de tonnes de biomasse de qualité à des prix plus bas que celui des forêts françaises. Il sera donc aussi nécessaire de sélectionner des technologies et des projets compatibles avec nos ressources, pour faire face à la concurrence internationale.

M. Jean-Marc Pastor. - On voit fleurir dans nos territoires de multiples projets de méthanisation au sein d'exploitations agricoles. Il est vrai que de tels projets se sont beaucoup développés en Allemagne, mais leur rentabilité pose question. Avez-vous une idée du seuil de rentabilité de telles installations ?

M. Anthony Mazzenga. - Aujourd'hui ce type de projet n'est jamais envisageable au-dessous de 60 m3/h de biométhane, ce qui peut correspondre à une installation agricole. En deçà, le tarif a été plafonné, les pouvoirs publics considérant que les projets ne pourront être rentabilisés, en raison de divers coûts fixes, comme l'épurateur. Même à 60 m3/h, nous nous sommes aperçus que les projets posaient des problèmes de raccordement au réseau. Sur un territoire, il est préférable d'envisager des projets plus conséquents, regroupant plusieurs installations agricoles, une coopérative agricole, voire combinant déchets agricoles et agro-alimentaires. Sur notre réseau, la moyenne de la production des installations raccordées est de 240 m3/h. Des projets de cette taille sont plus faciles à gérer et permettent d'atteindre plus facilement la rentabilité.

M. Jean-Marc Pastor. - Avec mon collègue Laurent Kalinowski, nous allons prochainement vous proposer un rapport dans lequel nous aborderons la question d'une nouvelle gouvernance de l'énergie, qui nous semble incontournable dans les années à venir. Autant hier la gouvernance énergétique pouvait être assurée par quelques grands groupes, autant demain elle se rapprochera plus de la notion de territoire, avec une production d'énergie à partir de matières premières différentes, suivant le territoire considéré, et une consommation locale de l'énergie produite. Ce rapprochement, pour partie, entre les territoires et la gouvernance de l'énergie, risque de devenir, à terme, l'une des conditions de l'acceptabilité sociale d'un certain nombre de contraintes liées à la production de l'énergie.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Quel est aujourd'hui le nombre d'installations de méthanisation en projet ou en exploitation ?

M. Anthony Mazzenga. - Nous avons connaissance de 270 projets actifs, en cours de développement, mais 2 seulement sont aujourd'hui opérationnels en terme d'injection dans notre réseau: Lille et Morsbach, malheureusement en attente de la publication d'un décret d'application. D'ici quelques semaines, un troisième site, celui des frères Quaak en Seine-et-Marne, sera raccordé. Fin 2013, quatre ou cinq sites seront opérationnels, et une dizaine en 2014. Compte tenu de la publication des décrets en novembre 2011 et des quatre années nécessaires à la réalisation d'une installation, la très grande majorité des projets entrera en exploitation bien plus tard. À cet égard, le projet lillois était précurseur, puisqu'il a été lancé sans cadre réglementaire et sans garantie économique.

M. Bruno Sido. - Nous vous remercions pour ces présentations très instructives et vos réponses claires à nos questions.

Examen de l'étude de faisabilité présentée par MM. Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte sur « Les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée »

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Nous examinons l'étude de faisabilité concernant la saisine de l'Office sur les enjeux scientifiques, technologiques et éthiques de la médecine personnalisée.

M. Alain Claeys, député, rapporteur. - La Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a saisi l'OPECST d'une demande d'étude sur les enjeux scientifiques, technologiques, éthiques et juridiques de la médecine personnalisée. Notre étude de faisabilité s'organise en 4 points : la définition de la médecine personnalisée et la relation médecin malade (1), les progrès technologiques et scientifiques et l'extension du domaine de la médecine personnalisée (2) le nouveau modèle de développement des traitements (3), la protection et l'information des personnes (4).

S'agissant de la définition, dans une conception large, la médecine personnalisée aurait sa place dans la médecine des 4 P qui serait Personnalisée, au sens du traitement d'une maladie, Préventive, car la dimension de prévention est importante, Prédictive car l'individu peut recourir à des tests, Participative, au sens où l'individu devient acteur de sa santé. Ce concept recouvre aussi la médecine stratifiée, qui est celle d'un groupe ciblé en fonction du profil médical des individus qui le composent. La médecine stratifiée pose la question des déterminants de prédiction.

Les termes « médecine personnalisée » risquent de prêter à confusion car ils sont paradoxaux : le patient s'attend à une relation de proximité avec son médecin ; or un sentiment de frustration est à craindre quand il réalisera que cette médecine implique l'intervention de tiers dans la relation médecin-malade et des protocoles de soins rigides. L'intervention de la médecine se fera plus tôt dans la vie des personnes ; même en étant bien portant, sans signe clinique apparent, le patient aura noué une relation avec le médecin, car les possibilités médicales permettront d'anticiper une pathologie susceptible d'apparaître dans cinq ou dix ans. La médecine personnalisée déchire le voile de l'ignorance pour le patient, sa famille, mais également pour l'assurance maladie, voire pour les tiers. Ce n'est pas sans conséquences éthiques et juridiques.

M. Jean-Sébastien Vialatte, député, rapporteur. - Il existe une forte interaction entre progrès scientifique et technologique, et une extension du domaine de la médecine personnalisée. Le coût du séquençage du génome humain, de l'ADN et de l'ARN en général, a baissé plus rapidement que ne le permet la loi de Moore ces dernières années. La technologie de séquençage à très haut débit a augmenté les capacités d'analyse par un facteur 50 000. Des laboratoires s'appuient pour cela en France sur les projets équipements d'excellence (EQUIPEX) dans le cadre du grand emprunt. La miniaturisation par la technique des puces à ADN, permet d'examiner des milliers de molécules d'acide nucléique de façon simultanée. On assiste donc, en France comme à l'étranger, à une montée en puissance de ces équipements dont il conviendra de dresser pour la France la répartition et le bilan avec l'aide des grands centres de recherches et d'institutions très impliqués comme Institut national du cancer (INCa).

De nouveaux biomarqueurs peuvent conduire à la découverte de traitements novateurs, simplifier le processus de développement des médicaments et venir en aide aux patients en leur offrant des traitements adaptés à leur constitution génétique. Le projet de carte d'identité métabolique qui permet d'administrer la bonne dose du traitement le plus efficace pour un patient donné au moment opportun, s'inscrit dans cette problématique. Les méthodes rapides de séquençage des virus permettent également d'utiliser le traitement le mieux adapté à la lutte contre l'infection.

Le domaine de la médecine personnalisée s'étend aux traitements ciblés en oncologie grâce à l'utilisation de biomarqueurs tumoraux plus efficaces et au séquençage du génome tumoral pour repérer dans la tumeur les altérations génétiques qui lui confèrent son caractère malin. À terme, on n'aura plus forcément besoin de savoir dans quel organe se situe le cancer. L'essai clinique randomisé SHIVA, promu par l'Institut Curie, relève de cette démarche.

Les pathologies entrant dans le champ de la médecine personnalisée sont diverses, maladies chroniques comme le diabète de type 2, maladies infectieuses comme le sida, cancers. La médecine personnalisée intervient aussi dans les maladies dites rares qui exigent des traitements très ciblés relevant de la médecine personnalisée. Elle s'applique encore à la procréation et depuis un certain temps on assiste au développement de nombreux diagnostics prénataux et préimplantatoires. Aujourd'hui on accélère encore leur utilisation en recourant aux tests de diagnostics prénataux sur le sang circulant de la mère.

Un enjeu économique se profile car la médecine personnalisée bouleverse l'industrie pharmaceutique. L'émergence de médicaments et/ou de traitements spécifiques annonce la fin des « blockbusters ». La médecine personnalisée et stratifiée, constitue une opportunité pour l'industrie pharmaceutique de ressortir certains médicaments qui ne semblaient guère efficaces statistiquement, « les anges déchus », et d'identifier les patients les plus réceptifs et pour lesquels ils fonctionneraient. Elle tente de s'inspirer du modèle de « médicament de niche », ou médicaments orphelins. L'industrie s'intéresse au couple médicament-test diagnostic (le test compagnon). Ceci l'oblige à une vision intégrant médicament, test diagnostic et méthodes de stockage de l'information.

M. Alain Claeys. - Le problème de la brevetabilité du vivant, complexe mais crucial, se pose avec une acuité particulière dès lors que l'on souhaite développer des traitements ciblés sur des gènes qui sont à la source de la médecine personnalisée. Que brevète-t-on ? Pendant un temps, les brevets larges de gènes ont été acceptés, ce qui revenait à breveter la connaissance, alors que seule l'application doit l'être. Deux affaires emblématiques: le cas Mayo Collaborative Services contre Prometheus Laboratories, et le cas Association for Molecular Pathology et autres contre Myriad Genetics instruits par la Cour Suprême des États-Unis portent sur la brevetabilité du vivant et notamment sur celle des gènes. L'affaire Mayo Collaborative Services a initié les débats. Après une longue procédure elle a été portée devant la Cour Suprême qui a rendu son verdict le 19 mars 2012, concluant à la non-brevetabilité d'un gène comme reposant sur les lois de la nature.

L'affaire suivante n'est pas terminée, elle porte sur les différents brevets délivrés à Myriad Genetics sur les gènes BRCA1 et BRCA2 à des fins d'applications diagnostiques pour les cancers du sein et de l'ovaire. La Cour Suprême des États-Unis a été saisie en décembre 2012 de ce litige. En rappelant au travers de l'affaire Mayo Collaborative Services contre Prometheus Laboratories la non-brevetabilité des lois de la nature, la Cour Suprême entend protéger le développement de la recherche vis-à-vis de brevets qui offriraient une protection trop étendue à leurs bénéficiaires en leur conférant une situation quasi monopolistique.

La bataille autour de la brevetabilité du vivant s'est étendue à l'Europe. Après avoir longtemps résisté à l'extension des principes de brevetabilité aux gènes, la directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998, relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques a transposé cette conception venue de l'Office américain des brevets dans le droit européen. Ces deux affaires reflètent une réalité: celle d'une législation qui peine à suivre le rythme imposé par les avancées de la biotechnologie. Il reste que pour l'instant, l'Office européen des brevets (OEB) délivre toujours des brevets de gènes.

Au plan économique et social, il s'agit de savoir si la médecine personnalisée permettra au système de santé de faire des économies en rationnalisant le recours aux médicaments, tout en soignant mieux. La médecine personnalisée aura un impact sur le remboursement des médicaments, car il est probable qu'à l'avenir, les systèmes de santé ne paieront plus pour des médicaments, mais pour des résultats. La médecine personnalisée renvoie à des décisions de l'autorité publique et du patient lui-même sur la prévention et le traitement. Quand on disposera de tests prédictifs ou de marqueurs biologiques scientifiquement convaincants, nombre de questions se poseront. Quand effectuer les tests ? À quel âge ? Avec quelle périodicité ? Quelle partie de la population cibler ? Quelle sera la prise en charge ? Quel sera l'accès à la prévention et pour quel coût, sachant que la prévention précoce pourrait être efficace, mais qu'il ne faudrait pas pour autant inquiéter les patients inutilement ?

Les tests créent un bouleversement de l'économie de l'assurance maladie. Plus on multiplie les informations sur la connaissance du risque et les moyens d'y pallier, plus la tentation de lier l'assurance-maladie au comportement du patient sera forte : le risque de remise en cause de la médecine de solidarité entre les biens portants et les malades augmentera.

M. Jean Sébastien Vialatte. - Le séquençage à haut débit peut générer une quantité d'informations génétiques qui, non liées directement à l'objectif du diagnostic initial, posent des problèmes éthiques. La diffusion de ces techniques, risque de faire apparaître un marché utilisé pour la santé, mais dont on peut redouter les aspects prédictifs. L'individu peut vouloir connaître pour lui-même et ses descendants ses chances et malchances. Mieux vaudrait maintenir une pratique médicale où l'on effectue des examens ciblés, dans un objectif particulier, sans séquencer le génome entier, ce qui génère des masses de données difficiles à protéger.

La nature des données génétiques exige une protection particulière car ces données sont personnelles, identifiantes, pour partie invariantes tout au long de la vie et portent sur les possibilités d'évolution de l'état de santé d'une personne pendant toute son existence. Si l'on applique ces nouvelles techniques génomiques au diagnostic prénatal ou au diagnostic préimplantatoire, ou à la naissance, on aura accès à bien plus de données que ce que l'on souhaite savoir dans l'immédiat. Même si cette médecine génomique personnalisée cible un individu, la famille sera immédiatement au courant en cas de maladie génétiquement transmissible.

Les risques pesant sur le secret médical prennent une tout autre dimension et deviennent plus lourds face au caractère particulier de ces données. Les risques d'obtention indue de données en sont considérablement accrus. Un article paru dans le magazine Science début janvier 2013 montre qu'il a été possible, en croisant plusieurs données, d'identifier une personne à partir de son patrimoine génétique, de données généalogiques et de localisation.

De plus, ce système génère une énorme masse de données coûteuses à interpréter et conserver. Le coût du traitement numérique des données du séquençage risque de devenir supérieur à celui du séquençage proprement dit, car il est extrêmement complexe. Seuls des supercalculateurs de dernière génération couplés à d'énormes capacités de mémoire sont en mesure d'accomplir ces calculs dans des délais acceptables. La gestion, le contrôle et la protection des bases de données deviennent un enjeu crucial. Qui aura obligation de fournir au patient les données dans 15 ou 20 ans, quand il pourra en avoir besoin pour une pathologie qui se déclarera ? À partir d'un génome entier, qui donnera des informations gigantesques et pourra offrir une liste de pathologies auxquelles le patient serait exposé ? Qui décidera du choix des informations à lui donner ? L'industriel qui aura fait le travail ? En outre, lorsque des progrès scientifiques, des nouveaux facteurs de risque auront été déterminés, qui aura obligation de prévenir le patient ? Il faudra bien retraiter périodiquement l'information, et si un nouveau traitement existe, qui informera le patient et quand? Dès lors qui paiera pour obtenir la donnée ?

En outre, il conviendra d'assurer un accès équitable au traitement en luttant contre les inégalités territoriales. Mais il ne faudrait pas que les progrès scientifiques et médicaux contribuent à une police des moeurs dans la mesure où tout devient traçable. Cette nouvelle façon de concevoir le traitement des patients conduira à une évolution profonde des systèmes de santé qu'il convient d'anticiper pour en débattre, informer les citoyens et assurer leur protection contre les éventuelles discriminations ou les failles dans la protection de leurs données. Nous proposons donc de poursuivre l'étude ainsi engagée sous l'intitulé suivant : « Les enjeux de la médecine personnalisée ».

M. Bruno Sido. - La médecine personnalisée pose nombre de problèmes que vous avez évoqués. À partir du moment où l'on effectuera rapidement le séquençage du génome, dès ou avant la naissance, on se demandera si on doit divulguer une information alors qu'il n'existe aucun traitement pour la maladie décelée. Qu'en sera-t-il des assurances ? Vous avez abordé la problématique de la confidentialité et du stockage des données, de l'équilibre de la sécurité sociale et élargi le débat. C'est la médecine de demain que vous décrivez, mais au moment où il n'y a déjà plus assez de médecins dans certaines régions rurales...

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - Les grands enjeux, comme la médecine prédictive ou la lutte contre le cancer, sont déjà connus, mais vous décrivez des possibilités nouvelles telles que la carte d'identité métabolique. Il existe une controverse sur ce que la médecine personnalisée rendra effectivement possible : on apprendra de plus en plus à soigner en tenant compte de la réaction du malade aux traitements. Toutefois, il ne faut pas pour autant céder à cette approche chimérique selon laquelle la génomique sera LA médecine de demain. On assiste à la démocratisation de l'endobiogénie qui propose un retour vers une médecine plus originelle, avec un traitement différencié pour chaque malade, et dont la finalité est de prendre en compte l'individu dans son unicité, sa globalité, son environnement. C'est là le but de la Société internationale de médecine endobiogénique et de physiologie intégrative.

S'agissant de la politique de santé et de la sécurité sociale, on observe de nombreuses évolutions grâce à la télémédecine. Dans les troubles d'apnée du sommeil, certains patients doivent utiliser des caissons pressurisés afin d'éviter ces apnées. Une évolution du code de la sécurité sociale en 2013 permettra d'avoir un système pour savoir si le patient suit son traitement et, à défaut, de ne pas le rembourser. L'informatique permet déjà d'effectuer un traçage régulier des individus.

M. Jean-Sébastien Vialatte. - À qui appartiendront les données décrites ? L'utilisation de milliers de génomes permettra de faire avancer la recherche. Aux États-Unis, des prélèvements, après consentement éclairé, sont presque systématiquement effectués sur les malades, mais les données les concernant restent la propriété de certains laboratoires seulement et ne sont donc pas mises à disposition de tous les chercheurs. Un système français de biobanque sera donc nécessaire pour favoriser la recherche.

M. Bruno Sido, président. - Je ne vois pas en quoi celui qui n'a pas l'hygiène de vie qui convient par rapport à son génome devrait être pénalisé et ne pas être remboursé par la sécurité sociale, sa mutuelle ou son assurance. Autant ne pas rembourser la personne qui a pris le risque de partir au ski et s'est cassé une jambe.

M. Jean-Sébastien Vialatte. - Il est à craindre que les assurances, mutuelles ou autres demandent à leurs clients leurs données génomiques, et que le calcul de leur cotisation tienne compte du profil de risques issu de ces résultats. L'assurance maladie continuera-t-elle à prendre chaque personne en charge au même taux ou rentrera-t-on dans un système différencié en fonction du profil de risque de chacun ?

M. Bruno Sido, président. - C'est effectivement un grave problème.

M. Jean-Louis Touraine, député. - La médecine personnalisée est un produit des laboratoires pharmaceutiques : il faut donc se méfier pour ne pas être instrumentalisé par eux. Elle représente une espérance, un atout et une possibilité de concurrencer les autres laboratoires qui ne pourront pas développer des biomarqueurs. Elle permet de justifier le coût élevé des médicaments et d'impliquer la puissance publique. Il faut donc retenir ce qui fait du bien au patient en évitant toute instrumentalisation. Certains laboratoires définissent la médecine personnalisée comme étant un traitement individualisé, alors que ce dernier n'existe que pour la thérapie cellulaire.

M. Alain Claeys. - C'est la raison pour laquelle nous avons différencié médecine personnalisée et médecine stratifiée.

M. Jean-Louis Touraine. - La médecine réellement personnalisée est la médecine régénérative : les cellules souches propres à un patient sont traitées ex vivo et lui sont réinjectées. Ce sont alors vraiment des cellules propres à cette personne, et qui ne pourront être données qu'à elle seule en tenant compte de son système immunitaire. Le reste s'apparente à de la médecine stratifiée, qui se rapproche du traitement des maladies rares. Concernant la brevetabilité du vivant, cela ne fait pas consensus dans le monde, et nous ne sommes pas à l'aise dans cette compétition-là. On ne peut se cantonner à une réflexion franco-française sur un tel sujet. Il faudrait une réflexion mondialisée. Être informés de ce qu'il advient dans les autres pays ne nous empêchera pas de savoir comment réagir face aux autres, sans pour autant changer d'éthique.

M. Jean-Sébastien Vialatte. - C'est d'ailleurs une problématique qui évolue en ce moment aux États-Unis, notamment dans une affaire, actuellement pendante devant la Cour suprême.

M. Jean-Louis Touraine. - Concernant nos craintes vis-à-vis des assurances et mutuelles, je considère que notre éthique nous protégera. Actuellement, les fumeurs ou les alcooliques ne paient pas de cotisations plus élevées. Toutefois d'autres pays, comme Israël, agissent différemment, notamment pour les greffes où il existe un dispositif qui écarte du haut des listes de transplantation pour être receveur ceux qui ne sont pas d'accord pour être donneur. Au contraire, en France, on s'interdit d'avoir ce lien étroit entre don et générosité.

M. Alain Claeys. - Ceci est comparable aux médecins qui ici et là refusent de permettre que des couples de fumeurs aient accès à la procréation médicalement assistée.

M. Jean-Sébastien Vialatte. - Un certain nombre de centres sélectionnent en effet de façon drastique les couples qui auront accès à la procréation médicalement assistée, afin d'obtenir de bon résultats à publier.

M. Jean-Louis Touraine. - En ont-ils le droit ? Cela s'apparente à l'attitude du gynécologue qui en France conseille à certains couples de faire appel à la gestation pour autrui en fournissant toutes les conditions et recommandations.

M. Jean-Yves Le Déaut. - La possibilité de communiquer et d'utiliser les données génétiques est un sujet majeur. Le droit de la brevetabilité a évolué aux États-Unis où le gène doit être breveté uniquement si on lui trouve une application.

M. Alain Claeys. - Le brevet large permet à celui qui le détient de bénéficier de la protection de la propriété intellectuelle, même si ensuite les applications brevetées du gène sont différentes, voire contradictoires.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Le sujet de la confidentialité et de l'utilisation des données et de la généralisation des tests ADN va avoir nombre d'incidences sur les enjeux éthiques de cette nouvelle médecine.

Comme le rappelait Jeremy Rifkin, chacun doit avoir le droit à son intimité génétique. Il faudra donc se battre au niveau européen, pour maintenir une certaine confidentialité du génome afin qu'il ne soit pas utilisé en fonction des potentialités qu'aurait une personne de développer une maladie donnée. Se profile l'exemple de l'assureur qui utilise la probabilité de survie de l'individu pour adapter ses conditions d'assurance.

Donnera-t-on en conséquence un libre accès à la biobanque française ? Il est important que les données confidentielles soient anonymisées, mais connues de tous, pour que la recherche puisse se développer, contrairement à ce qui se passe dans des pays comme les États-Unis, où on aide les entreprises à accéder à l'information génétique d'une personne et à garder secrètes les données de recherche qui représentent pour ces entreprises des intérêts lucratifs. Je propose l'adoption de l'étude de faisabilité.

M. Bruno Sido, président. - Je partage la position de M. Jean-Yves Le Déaut et estime que la confidentialité des données doit être protégée sans, pour autant empêcher la recherche et les évolutions. Je propose aussi l'adoption de l'étude de faisabilité.

Audition de M. Alain Fuchs, président du CNRS, et des directeurs des instituts du CNRS

M. Bruno Sido, sénateur, président. - Avec le Premier vice-président Jean-Yves Le Déaut, nous sommes ravis de renouveler notre rencontre annuelle traditionnelle avec la large communauté scientifique du CNRS. L'actualité est le prochain projet de loi d'orientation sur l'enseignement supérieur et la recherche. Je vous remercie d'avoir convié tous les directeurs d'institut du CNRS pour une discussion constructive avec nous.

M. Alain Fuchs, président du CNRS. - L'idée qui prévaut ce soir est de vous montrer un CNRS tel qu'il est, c'est-à-dire vivant, imaginatif, faisant des recherches qui sont compréhensibles, d'intérêt public, de grand intérêt fondamental et porteur de valeurs et d'actions de transfert vers la société. Notre objectif sera atteint si vous aurez vu que le CNRS n'est pas un monolithe ni un monument inaccessible. Nous souhaitons que par cette réunion et l'échange de questions réponses, les contacts avec les parlementaires soient renforcés. Ainsi pourraient être proposées des visites de laboratoires, par exemple le 12 avril prochain à Grenoble, pour inaugurer le nouveau bâtiment Nanosciences de l'Institut Néel, en présence de notre ministre. Nous répondrons bien sûr à toutes vos demandes d'auditions. Nous avons un Comité d'éthique (COMETS), qui travaille sur la question importante de l'intégrité en recherche, ainsi qu'une Mission pour l'interdisciplinarité - nouvelle frontière pour tout le monde -, qui a été mise en place aujourd'hui et est déjà très active.

Nous préparons un forum sur la recherche fondamentale prévu les 15 et 16 novembre prochains : à la suite des bouleversements qui se sont manifestés dans la recherche ces dernières années, des Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche tenues en 2012 à la demande du Président de la République François Hollande et du rapport de M. Vincent Berger qui a suivi, du rapport remis au Premier ministre en janvier 2013 par M. Jean-Yves Le Déaut, en tant que parlementaire en mission, sur les propositions de transcriptions législatives et réglementaires des conclusions des Assises 2012 de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous avons pensé qu'il était important de parler d'organisation et de structures.

Chaque directeur d'institut va exposer ses priorités en matière de recherche fondamentale et de valorisation en matière d'innovation, en mettant en avant, à chaque fois, deux projets de recherche fondamentale et un programme d'innovation

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l'OPECST. - Nous sommes dans une période très importante pour l'enseignement supérieur et la recherche. Nous y avons contribué à l'Office le 4 décembre dernier par une audition publique ouverte à la presse sur « quelles conclusions législatives et réglementaires tirer des assises de l'enseignement supérieur et de la recherche ? », où un certain nombre d'entre vous sont venus. L'avant-projet de loi reprend nombre de propositions que nous avions faites, plus dans le sens d'une évolution que d'une révolution : réduction du nombre de structures ; faire travailler ensemble universités, écoles et centres de recherche ; et définition d'une stratégie de recherche.

M. Patrick Netter, directeur de l'Institut des sciences biologiques (INSB). - L'INSB rassemble 274 structures de recherche : 170 unités mixtes dont 152 unités mixtes de recherche (UMR), 18 unités propres, 19 unités associées, 17 structures temporaires et 50 structures fédératives, constituées autour de plateformes. 10 026 personnes travaillent en sciences biologiques, dont 4 858 personnel CNRS ; elles se répartissent en 5 905 chercheurs et enseignants, dont 2 680 chercheurs du CNRS, et 4 121 ingénieurs et techniciens, dont 2 178 ingénieurs et techniciens du CNRS.

Le budget consolidé s'élevait en 2011 à 455 millions d'euros. 70 % des chercheurs et 75 % des financements sont rassemblés sur 27 sites dans 13 villes. En 2012 l'INSB disposait de 1 100 brevets - dont 80 nouveaux -, 300 licences exploitées et 13 jeunes pousses (start-up).

L'INSB a un rôle de leader national en biologie fondamentale, dans le décryptage du vivant, qui débouche très souvent sur des recherches appliquées. Nous travaillons en partenariat avec l'Inserm et l'Inra, même si nos missions sont différentes.

Je vous présente un exemple dans le domaine des neurosciences : quelles sont les régions de notre cerveau impliquées dans l'intention de faire des mouvements, de les commander et de les percevoir ? Par stimulation électrique du cortex, l'équipe d'Angela Sirigu (unité mixte de recherche 5229 à Lyon) a montré que l'intention de faire un mouvement se construit dans le cortex pariétal et que notre sensation de mouvement n'est pas une image sensorielle du mouvement exécuté mais la prédiction faite sur le mouvement. Ces travaux nous éclairent sur le rôle du cortex dans l'agentivité (décision de faire) et la conscience du corps. Les implications médicales sont nombreuses, par exemple comment la plasticité corticale permet la régénération d'une commande motrice après amputation puis transplantation d'un membre (voire du visage), pour élaborer un nouveau traitement de la douleur du membre fantôme. Des travaux de ce type contribuent à la bonne place de la France dans des projets européens identifiés comme relevant d'une technologie « Flagship » bénéficiant d'un soutien communautaire spécifique, tel le Human Brain project.

Le deuxième projet que je voudrais vous présenter vise à la mise au point par l'équipe de Sylviane Muller (unité propre de recherche 9021 à Strasbourg) d'un peptide synthétique (P140) pour traiter le lupus systémique. Le lupus touche 5 millions de patients dans le monde, 90 % sont des jeunes femmes ; il affecte tous les organes, avec des formes neurologiques, rénales et cardiaques. Aucun traitement spécifique n'est connu hormis les corticoïdes et les immunodépresseurs. Le brevet du P140 a été déposé en 2001 et une licence accordée à un laboratoire pharmaceutique en 2005. La Food and Drug Administration (FDA) américaine a donné son autorisation pour un essai clinique cette année. Le produit est efficace et sans effet indésirable. Pour un produit qui connaît une telle réussite, on estime que 100 échouent.

M. Régis Réau, directeur de l'Institut de chimie (INC). - Une définition du siècle dernier de la chimie dit que c'est l'art de transformer la matière. Les domaines concernés sont nombreux : les synthèses organiques, inorganiques ou supramoléculaires, l'utilisation des ressources naturelles pour préparer des médicaments, des produits sanitaires, des matériaux (verres, colles...) ou encore des polymères.

Une deuxième finalité de la chimie est de mieux comprendre la matière : on utilise la théorie, la spectroscopie, la physicochimie, la mécanique, pour comprendre les structures et les propriétés des substances. La chimie est ainsi présente dans le champ des nouvelles technologies avec les matériaux avancés : composites, plastiques « semi-conducteurs », nanomatériaux... La chimie participe également aux débats sur les grands enjeux sociétaux, relevant par nature de l'interdisciplinarité, par ses contributions à la santé, à l'énergie, à l'environnement, au patrimoine et à la « chimie verte » (procédés respectueux de l'environnement).

La chimie est une science mais aussi une industrie. À cet égard, la France est au 5e rang mondial avec 3 350 entreprises (94 % de TPE - PME), 156 500 salariés, 86,7 milliards d'euros de chiffre d'affaire et 53,7 milliards d'euros à l'exportation. Notre institut a 148 laboratoires dont 19 avec l'industrie, 5 100 enseignants et chercheurs dont 1 655 du CNRS et 2 600 ingénieurs et techniciens dont 1 500 du CNRS.

Je prendrai un exemple comportant un enjeu de société et montrant le rôle et la contribution du CNRS : le stockage électrochimique de l'énergie. C'est aujourd'hui un défi scientifique et technologique, car, le monde de mobilités où nous vivons rend indispensable la fabrication de batteries (voitures, portables...). Il faut notamment résoudre le problème de l'adaptabilité de l'offre et de la demande d'électricité, très important dans le cadre du nouveau bouquet énergétique. Notre centre d'Amiens, leader mondial, a été chargé de mettre en réseau (RS2E) toutes les compétences : laboratoires, plateformes, industriels.

Un autre exemple montrant le rôle du CNRS dans la recherche fondamentale en chimie : nos travaux pour acquérir une meilleure connaissance du fonctionnement des super-condensateurs, en vue d'optimiser leurs performances.

Nous mettons l'accent cette année sur la catalyse. À partir de l'éthylène (gaz), la catalyse permet de fabriquer des polyéthylènes (solides), qui servent par exemple d'emballage ; on en assure une production de masse depuis les années 70 (150 millions de tonnes par an). Nous essayons de diversifier les approvisionnements en remplaçant le pétrole par de la biomasse ; après catalyse, les polymères produits sont biodégradables. Notre objectif en 2013 est de faire collaborer les laboratoires internationaux et les centres d'excellence, pour créer des laboratoires « sans mur ». Nous nous efforçons ainsi de trouver de nouveaux catalyseurs moins chers et de valoriser la biomasse.

Mme Stéphanie Thiébault, directrice de l'Institut « «écologie et environnement » (INEE). - Pour répondre aux enjeux du développement durable, de l'érosion, de la biodiversité et du changement global, il faut mieux comprendre la biosphère. C'est la mission de l'INEE, dont les recherches s'organisent autour du concept d'écologie globale. Cela signifie que nous essayons de relier les processus écologiques aux impacts multiples du changement global (changement climatique ou activités humaines). Nos outils sont les écotrons (plateforme de recherche expérimentale pour étudier le fonctionnement des écosystèmes, des organismes et de la biodiversité), les zones ateliers (ZA), les observatoires hommes milieux (OHM) et les dispositifs de partenariat en écologie et environnement (DIIPEE).

L'INEE comporte 76 unités de recherche et de service, 2 370 chercheurs et enseignants dont 638 du CNRS, 1 456 ingénieurs et techniciens dont 612 du CNRS, 1 120 doctorants et post-doctorants, 9 laboratoires associés, 14 groupements de recherche européens et internationaux et 23 programmes internationaux de coopération scientifique.

En 2012, l'INEE a réalisé des études prospectives sur l'écologie fonctionnelle, l'écologie chimique, les milieux polaires et les capteurs pour l'écologie. Nos axes de réflexion pour les dix prochaines années concernent : les écosystèmes, leurs interactions et leur évolution ; l'homme, les sociétés et leurs environnements ; l'intégration des diversités naturelles et culturelles, en s'appuyant sur toutes les disciplines à tous les niveaux d'échelle, macroscopiques ou microscopiques. Nos axes prioritaires de travail en 2013 sont la génomique environnementale et la représentation spatiale en trois dimensions.

À titre d'exemple, je peux vous présenter les travaux du professeur Claude Grison sur la chimie éco-inspirée. L'ingénierie écologique des sites dégradés et pollués est une source d'innovation en synthèse organique. Il s'agit de mettre au point des catalyseurs issus des plantes chargées en métaux lourds pour développer des synthèses organiques à visée industrielle. Les produits ainsi obtenus sont multiples : arômes, parfums, bio-cosmétiques, médicaments, matériaux chimiques, pesticides verts...

Nous allons renouveler cette année l'expérience des journées d'ingénierie écologique, qui permettent au public d'aller à la rencontre des scientifiques.

M. Patrice Bourdelais, directeur de l'Institut des sciences humaines et sociales (INSHS). - L'INSHS dispose de 293 unités dont 267 en France métropolitaine (134 en région Ile de France) et 26 à l'étranger. 11 320 personnes travaillent dans les laboratoires avec 15 % de chercheurs du CNRS, 13 % d'ingénieurs et techniciens du CNRS, 64 % d'enseignants et chercheurs hors CNRS et 8 % d'ingénieurs et techniciens hors CNRS. 12 492 doctorants et post-doctorants travaillent avec nous.

Les recherches sont menées dans sept grands domaines : archéologie ; économie, gestion et linguistique ; sciences philosophiques et philologiques ; anthropologie et mondes contemporains ; sociologie, science politique et droit ; sciences historiques ; et géographie, territoires et environnement.

Deux exemples : le premier concerne l'archéologie. On pensait déjà qu'Ostie avait abrité un premier port en eau profonde (6 mètres), longtemps avant de devenir le port de la Rome antique ; les instruments géomagnétiques puis les carottages à 12 mètres de profondeur ont apporté les preuves de sa localisation.

Le deuxième exemple a trait à l'économie et l'analyse des flux de transports urbains. La problématique est l'approvisionnement des grands centres urbains. Une grande enquête a permis d'établir une modélisation de l'occupation des voies pour le transport de marchandises et leur déchargement. Ces travaux ont abouti à un logiciel d'aide à la prise de décision pour l'aménagement du réseau de circulation urbaine (FRETURB).

Nous organisons en 2013 un salon de la valorisation des sciences humaines et sociales, « Innovative SHS », qui se tiendra les 16 et 17 mais prochains à l'espace Charenton à Paris : tables rondes, ateliers, 40 stands d'exposition de produits. Des déclinaisons régionales seront organisées en liaison avec les industriels locaux.

Je voudrais terminer en présentant une invention montrant que les sciences humaines et sociales peuvent prendre une part significative à l'innovation : la chambre musicale. Son but est de reconstituer l'ambiance visuelle et sonore d'une époque, d'un lieu, d'un événement (un bal à Chenonceau, une entrée princière en milieu urbain...). L'évolution des images projetées sur les faces du cube, ainsi que la spatialisation de la diffusion des enregistrements sonores, permettent de simuler la progression des spectateurs au sein de l'espace reconstitué dans la « chambre musicale ». C'est un mariage de la technologie la plus récente et de l'érudition la plus traditionnelle, pour recréer une expérience sensible, au service d'une meilleure compréhension du passé et de la mise en valeur du patrimoine.

M. Yves Rémond, directeur adjoint de l'Institut des sciences de l'ingénierie et des systèmes (INSIS). - L'INSIS emploie 8 000 personnes dont 5 500 chercheurs et universitaires et 2 400 ingénieurs et techniciens. Toutes les écoles d'ingénieur majeures en France sont concernées. La particularité de L'INSIS réside dans le fait que ce sont les ingénieurs de l'industrie et de la santé qui alimentent les questions que nous nous posons. Les disciplines fondamentales sont : l'énergie électrique, le magnétisme, l'électronique et la photonique ; la mécanique des matériaux et des structures et le génie civil ; l'acoustique, la mécanique du vivant et l'imagerie ; la mécanique des fluides, les procédés, les plasmas et les transferts.

Deux exemples de recherche fondamentale : le premier a été mené en 2012 à l'Institut Fresnel de Marseille sur la question de l'invisibilité, appliquée au cas de la protection d'une plateforme pétrolière vis-à-vis des vagues. Le deuxième exemple est le projet sur la combustion mené en 2013 à l'Institut de mécanique des fluides de Toulouse (IMFT).

Un exemple d'innovation majeure est ce qui s'est passé pour la conception de l'Airbus A 380 au Laboratoire de mécanique et de technologie (LMT) de l'École normale supérieure de Cachan. Le caisson central de voilure, pièce monolithique en carbone de grandes proportions (7m X 7m X 3m), a vu sa masse réduite de 3 tonnes.

M. Guy Métivier directeur de l'Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (INSMI). - Les mathématiques sont une question d'hommes et de femmes. Elles constituent une communauté internationale en interaction. Le rôle du CNRS est de coordonner et animer le réseau national, de favoriser les interactions avec d'autres disciplines et les entreprises, de former des jeunes chercheurs futurs enseignants - chercheurs, et de soutenir la diffusion des connaissances, notamment vers les jeunes et le grand public. Le CNRS a vraiment le rôle de pilote, de tour d'observation, et peut-être de tour de contrôle. Tout le monde veut modéliser et les interactions de toutes les sciences avec les mathématiques sont omniprésentes dans la société d'aujourd'hui.

Je voudrais évoquer à titre d'exemple l'une des théories les plus abstraites des mathématiques, le programme de Langlands. Celui-ci est formulé dans une lettre de 17 pages adressée à André Weil en 1967, et il a trait à la géométrie, à la théorie des nombres et à la représentation des groupes. Cette lettre manuscrite a eu un effet immédiat sur la communauté mathématique et a suscité de nombreux travaux. Ainsi Andrew Wiles a-t-il en 1994, enfin, démontré le dernier théorème de Fermat (xn + yn = zn). L'école française joue un rôle de premier plan pour ces recherches, en particulier avec Laurent Lafforgue et Ngo Bao Chau, tous deux médaille Fields. Le programme de Langlands n'a pour le moment aucune retombée concrète. Mais la théorie des nombres, qui était extrêmement abstraite dans les années 60, est devenue le fondement de la cryptographie et de la cryptologie.

Mon deuxième exemple a trait à l'analyse et au traitement d'images, avec des outils mathématiques comme les ondelettes. On décompose un signal en signaux élémentaires, avec des applications dans la compression d'image (jpeg2000), le débruitage (images d'Hubble) et le suivi de mouvement. La jeune pousse (start-up) « Let it wave » a ainsi obtenu, avec la photo d'identité en code-barres, le grand prix des technologies de la société de l'information de la Commission européenne. D'autres applications ont concerné les puces pour télévisions LCD à écran plat à haute résolution temporelle.

M. Jacques Martino, directeur de l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3). - L'IN2P3 rassemble 880 chercheurs et enseignants dont 490 du CNRS, 1 570 ingénieurs et techniciens dont 1 350 du CNRS et 450 doctorants et post-doctorants. Notre institut fonctionne comme un réseau en irriguant le territoire avec 25 structures de recherche et de service. Notre thématique est la physique des particules, la physique nucléaire et hadronique, les astro-particules et neutrinos (« les deux infinis »). Nous faisons beaucoup d'expériences avec des instruments lourds et coûteux (accélérateurs de particules...). La théorie nécessite également des capacités de calcul. Les problématiques ont trait aux liens entre nucléaire et énergie, ou nucléaire et santé.

Le fait marquant de 2012 a été la découverte au grand collisionneur de hadrons (Large hadron collider - LHC) d'une nouvelle particule compatible avec le boson de Higgs. Celui-ci est important pour notre compréhension de l'univers et de la matière. Ce boson est-il standard ou porteur d'une nouvelle physique ? Le CNRS représente 80 % de la participation française au LHC : 400 ingénieurs et ingénieurs et 80 doctorants y ont travaillé, la puissance de calcul représente 10 % du calcul mondial et plus de 100 entreprises ont contribué à cette avancée.

2013 sera pour nous l'année « Ganil », à Caen, où nous construisons un accélérateur pour explorer les confins de la matière nucléaire. Les questions ont trait à la physique nucléaire fondamentale, à l'astrophysique nucléaire et interdisciplinaire et aux faisceaux d'ions parmi les plus intenses du monde.

Les innovations et partenariats industriels concernent par exemple la lutte contre le cancer, avec les détecteurs haute résolution pour l'imagerie médicale : assistance clinique avec sondes et gamma-caméras miniaturisées et instrumentation avec détecteurs gazeux ou liquides. On peut également citer les prestations de service de haute technologie avec la mesure de la radioactivité dans l'environnement grâce au réseau Becquerel (sept laboratoires d'analyse bénéficiant d'une forte crédibilité aux yeux du public).

M. Jean-François Pinton, directeur de l'Institut de physique (INP). - Les défis et développement en cours de l'INP ont trait aux nanosciences (mécanique, optique, électronique, avec le champ nouveau de l'étude des effets quantiques mésoscopiques), aux matériaux (notamment les matériaux 2D comme le graphène), à la théorie (systèmes hors équilibre, événements rares, modélisation multi-échelle) et à l'instrumentation (capteurs micro et nano, grands instruments comme les lasers et neutrons, phénomènes ultrarapides).

Mon premier exemple est l'électrodynamique quantique de cavité, avec Serge Haroche, prix Nobel 2012. Il s'agit en isolant un photon unique et un atome unique de comprendre le monde quantique, avec tous ses concepts propres : superposition, intrication, complémentarité, décohérence et mesures quantiques idéales. Les découvertes en ce domaine permettent la création d'horloges de plus en plus précises, et ouvrent des perspectives lointaines pour la gestion de l'information quantique.

Le deuxième exemple est le graphène, découvert en 2004, et soutenu au niveau européen en tant que technologie « Flagship ». Ses propriétés sont phénoménales : plus conducteur que le cuivre, plus résistant que l'acier et complètement transparent. En 2008, le prix Nobel a été attribué à Geim et Novoselov pour leurs recherches en la matière. En 2012, à l'échelle mondiale, 4 000 brevets par an sont déposés sur ce matériau (dont seulement 150 en Europe) et 3 ou 4 jeunes pousses (start-up) sont créées par semaine. Le projet européen mobilise un financement d'un milliard d'euros ; la France en est le premier partenaire, avec une contribution à hauteur de 80 % du CNRS.

Je conclurai en disant que la curiosité est un moteur de recherche et d'innovation.

M. Philippe Baptiste, directeur de l'Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I). - Les sciences de l'information concernent l'acquisition, le traitement, le partage, la diffusion, la modélisation, la représentation et la transmission de données ou signaux numériques ou symboliques. Trois « moteurs » activent les sciences de l'information : des enjeux scientifiques propres, des défis à relever pour toute la communauté scientifique et des questions liées aux technologies et aux nouveaux usages des technologies de l'information et de la communication.

Les grands enjeux de l'INS2I sont : la structuration disciplinaire nationale ; les interactions avec notamment le vivant, les mathématiques ou les sciences humaines et sociales ; et l'identification et le soutien des plateformes.

Un grand défi scientifique est le calcul et les masses de données. Ainsi pour la construction d'un avion, on devrait passer de la maquette du banc d'intégration (« iron bird ») à un modèle numérique. On gagnerait un an dans le développement d'un avion. Les besoins en calcul sont immenses. La France a rattrapé son retard mais la course est permanente. Les textes, les images, le son produisent des grandes masses de données qu'il faut gérer et exploiter. Que faire des données générées ? Comment les stocker, les fouiller, les visualiser ?

Le deuxième défi scientifique est la robotique. Un robot est une machine avec des capteurs, un système logique et des actionneurs. Nous sommes à l'aube d'une diffusion massive des robots dans la société : industrie, médecine, robotique domestique avec par exemple l'assistance aux personnes âgées, militaire avec les drones, véhicules autonomes, micro-robotique.... Cette révolution sera génératrice de beaucoup d'emplois.

M. Jean-Yves Le Déaut, premier vice-président de l'OPECST. - Je constate qu'il n'y a pas d'entreprise française dans la robotique médicale. S'il y a un secteur où la France est en retard, c'est bien celui des drones.

M. Philippe Baptiste, directeur de l'Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (INS2I). - Sur la construction mécanique des robots, l'Europe est effectivement relativement en retrait, mais elle voit la création de très nombreuses jeunes pousses (start-up). En outre, le robot n'est qu'une petite partie de la robotique, il y a beaucoup de valeur ajoutée dans la partie logicielle. La France n'a effectivement pas l'environnement pour la construction des gros drones, mais elle est bien placée pour les drones de petite taille (un mètre), servant à la surveillance des mouvements de foule, des frontières ou des feux de forêt.

M. Jean-François Stéphan, directeur de l'Institut national des sciences de l'univers (INSU). L'INSU agrège 63 unités mixtes de recherche, 27 observatoires des sciences de l'Univers, 3 unités mixtes internationales et 10 laboratoires internationaux associés. Il emploie 3 090 chercheurs et enseignants dont 958 du CNRS, 2 849 ingénieurs et techniciens dont 1 477 du CNRS et 1 662 doctorants et post-doctorants.

Les thématiques étudiées sont la formation et l'évolution des grandes structures de l'Univers et des galaxies, la cosmologie, la physique du Soleil et de l'héliosphère, les relations entre le Soleil et la Terre, le cycle de l'eau, les ressources en eau et minerai, les risques naturels, le climat et la qualité de l'air.

Les exemples de recherche significative en 2012 sont : la campagne de mesures environnementales en Méditerranée (HYMEX), le laboratoire robotique sur Mars (Curiosity) et l'analyse spectroscopique par laser (CHEMCAM) des roches martiennes, en vue d'étudier les conditions d'apparition de la vie.

Les projets portés en 2013 ont trait aux résultats de la mission PLANCK « sonder l'aube des temps » de l'Agence spatiale européenne (ESA) et aux prospectives relatives aux évolutions climatiques (chantier arctique).

Une innovation significative dans le domaine des sciences de l'univers : les talcs synthétiques pour de nouveaux matériaux composites. Il s'agit d'offrir des nouvelles charges minérales nanométriques à micronique, sans défauts, pures, avec de nouvelles propriétés, en faisant de la chimie verte, sûre, à bas prix de revient. Les industries cibles sont la cosmétique, les plastiques, l'aéronautique et l'automobile ou encore la peinture. 21 brevets ont été déposés depuis 2006 et 9 accords de transfert ont été conclus. Nous disposons d'un monopole mondial et des discussions sont en cours avec un partenaire industriel. L'usine de synthèse de minéraux envisagée sera la première de son genre au monde, et créera 100 emplois. Nous estimons possible une production de 60 000 tonnes par an en cosmétique, pour un matériau à très haute valeur ajoutée dont le prix évoluera entre 10 et 50 euros le kilo.

M. Alain Fuchs, président du CNRS. - Je vous remercie d'avoir eu la patience d'écouter toutes les interventions. Une dernière illustration des innovations au CNRS : j'étais récemment à Tsukuba au Japon où j'ai été reçu par un organisme de recherche qui travaille en partenariat avec le CNRS, au sein d'un laboratoire international commun. Nous y arrivons à déplacer un robot par la pensée.

M. Bruno Sido, président de l'OPECST. - -Monsieur le président du CNRS, mesdames et messieurs les directeurs d'instituts, je vous remercie pour ces présentations qui ont montré, s'il en était besoin, toute la vitalité de la recherche française, La récente cérémonie des médailles du CNRS m'avait déjà permis de constater que la France dispose toujours d'un potentiel scientifique remarquable.

Jeudi 14 février 2013

. - Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, président -

Audition publique, ouverte à la presse, sur « Les nouvelles mobilités sereines et durables : concevoir des véhicules écologiques »

M. Bruno Sido, sénateur, président de l'OPECST. - Saisi d'une demande d'étude sur le développement des véhicules écologiques, les rapporteurs ont voulu élargir l'objet de cette étude aux problèmes sociétaux de la mobilité. L'auteur de la saisine a accepté cet élargissement, formulant le voeu que l'analyse de l'évolution de la demande de mobilité n'occulte pas celle de l'offre technologique qui pourrait y répondre. C'est au demeurant le sentiment que l'Office avait exprimé lors de la présentation de l'étude de faisabilité des rapporteurs.

Le déroulé de cette journée semble correspondre à cette lettre de mission. Si le besoin de mobilité a été sous-jacent dans l'histoire des civilisations, une de ses constantes a été sa diversification. Que l'on songe à la variété des bateaux, à la fin du dix-neuvième siècle, les clippers anglais, chargés de ramener le thé de l'Inde, les bateaux de l'armement nantais, armés pour contourner le cap Horn et ramener le nitrate du Chili, les goélettes paimpolaises des pêcheurs d'Islande, ou les grands paquebots qui traçaient déjà les routes de l'Amérique ou de l'Asie. Qu'on songe aussi à la plus noble conquête de l'homme, qui a vu très rapidement une diversification de sélection entre le cheval de guerre, celui qui tirait la herse, ou le Boulonnais destiné à transporter le marché de la Manche.

Nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation paradoxale. Une grande partie des besoins liés à la mobilité repose sur l'échange et sont très largement satisfaits par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. On peut aujourd'hui discuter, donner des nouvelles ou en prendre sans pratiquement bouger. Or c'est un fait qu'en dépit de toutes les possibilités que nous offrent les avancées de la science et de la technologie, les besoins de mobilité sont de plus en plus nombreux et de plus en plus diversifiés. Il s'agit d'un élément à analyser avec précision, dans un contexte beaucoup plus marqué par la durabilité que par le passé.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, premier vice-président de l'OPECST. - L'Office parlementaire est un organisme étrange, le seul bicaméral, comprenant dix-huit députés, autant de sénateurs. Il s'est doté de ses propres règles, avec une alternance tous les trois ans entre Assemblée nationale et Sénat pour sa présidence. Nous sommes les premiers à avoir innové au Parlement, notamment avec des auditions publiques et contradictoires. Celle d'aujourd'hui sera consacrée à l'évolution de l'automobile de manière originale, dans un contexte difficile, en croisant nouvelles mobilités et véhicules écologiques.

L'automobile est en crise. Plusieurs causes sont évidentes : contexte économique maussade, montée en puissance de la concurrence, difficultés croissantes de circulation, notamment en ville. D'autres sont plus diffuses, comme l'évolution des comportements. C'est ainsi que la moyenne d'âge de l'acheteur augmente tous les ans d'un an, atteignant plus de 54 ans. L'image de la voiture n'est plus la même selon les générations. Des évolutions majeures se dessinent. La possession de la voiture n'est plus un objectif en soi pour certaines générations. L'auto-portage, le covoiturage se développent, non seulement à Paris, mais dans plusieurs villes. Le Smartphone, nous dit-on de toute part, devrait révolutionner l'usage de la voiture et de la mobilité.

Les sociologues, les urbanistes, les architectes qui réfléchissent à la ville de demain, et s'intéressent aux signaux faibles sont quasi unanimes : c'est la mobilité qui importe le plus, plus que le moyen de se déplacer. Dans ce contexte, il nous paraît particulièrement important de croiser plusieurs approches : celle des sciences humaines et sociales, celle des sciences de l'ingénieur, celle des prévisionnistes, celle des industriels, sans oublier les équipementiers et, enfin, celle des nouveaux fournisseurs de service.

Telle est la démarche traditionnelle de l'Office, pour créer les bases d'un débat plus nourri, de mettre en évidence tous les aspects d'un même sujet. Les résultats qu'on obtient de cette manière sont toujours intéressants, car ils permettent soit de mettre en évidence des options différentes, soit d'aboutir à des idées nouvelles qui résultent de confrontations d'opinions a priori différentes, mais qui ne sont pas nécessairement contradictoires.

Vous vous êtes engagés dans une réflexion sur le moyen et le long terme, vous projetant non seulement en 2020, mais aussi en 2030 et 2050, soit le temps des grands choix, le rapport devant aborder également la question du mix énergétique et l'utilisation d'énergies nouvelles, telle que l'hydrogène. La situation qui prévaudra en 2020 est déjà largement dessinée. Les véhicules actuels seront modifiés, pour être moins polluants et consommer moins d'hydrocarbures. Les voitures électriques ou utilisant l'air comprimé auront été commercialisées, et l'on saura quelle technique est préférée par les utilisateurs de véhicules. Des solutions hybrides de toutes sortes seront sur le marché. Les échéances de 2030 et de 2050 seront plus difficiles à prévoir, même si elles donnent lieu à des scénarios, à des feuilles de route ou à des projections. Les réflexions de l'ADAME sont à cet égard particulièrement intéressantes. La seule certitude a trait au rôle de l'innovation et à la nécessaire mise en place de coopérations entre recherche et industrie, mais aussi entre public et privé. Le stockage de l'électricité par exemple sera le problème majeur de demain. Il faut que nos chercheurs et nos industriels s'en emparent, les seuls enjeux ne se limitant pas au thème de la mobilité et de la voiture électrique.

L'Office a beaucoup travaillé sur ces thèmes qui façonneront le monde de demain. La valorisation de la recherche, l'appropriation de la recherche publique par les industriels, au même titre que le développement de leur propre recherche - pas suffisante en France - dans leur propre laboratoire sont les clés de la réussite. L'encouragement des chercheurs à déposer des brevets, leur accompagnement dans le montage de start-up, le montage de financements qui leur permet de se développer, la reconnaissance du doctorat sont des mesures indispensables, qui ont fait la preuve de leur efficacité.

Cette preuve a surtout été faite dans d'autres pays que le nôtre. Je souhaite que nous sachions nous inspirer des bonnes pratiques de nos voisins, que les liens se développent entre industriels et laboratoires de recherche sur le transport et la mobilité. Ces liens ne sont pas au niveau qu'ils devraient avoir. Or la situation actuelle de crise et de changement de paradigme impliquent que les industriels soient davantage à l'écoute de ce que pressentent les prévisionnistes, et, de manière plus globale, les chercheurs. Le programme des investissements d'avenir a montré que les chercheurs étaient prêts à définir des projets adaptés à l'industrie, et qu'ils étaient capables de s'adapter dans des consortiums.

Donner la parole à des sociologues permettra d'ouvrir des perspectives nouvelles et de dépasser les approches traditionnelles de l'évolution de la filière automobile. Faire dialoguer des industriels, des universitaires, des observateurs des évolutions de notre société doit permettre de croiser des approches différentes. Je souhaite que ces débats soient fructueux, qu'ils permettent de déboucher sur des propositions d'accompagnement de l'évolution de la mobilité.

Je vous rappelle la règle qui sera suivie pour ces débats : chacun pourra intervenir deux minutes, autant de fois qu'il le souhaite.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l'étude de l'OPECST. - Notre idée de départ était de travailler sur la voiture écologique. Progressivement, nous avons élargi la thématique aux véhicules et aux mobilités dans lesquelles ils s'inscrivent, en nous demandant d'abord si nous n'étions pas en face d'un oxymore. A notre sens, l'automobile est dans une phase de nécessaire mutation, avec son versant négatif et positif. Négatif, car le modèle est en crise, ses impacts environnementaux, industriels, économiques et sociaux obligeant à la réflexion. Positif, avec des opportunités qui se dessinent, sujet de l'audition d'aujourd'hui. Quelles opportunités permettent d'apporter des réponses à ces questions, tant du point de vue économique, de l'emploi, de l'accessibilité à la mobilité pour tous et de compatibilité avec l'environnement ? Quelles sont les perspectives à moyen et à long terme, l'ensemble des champs possibles dans le domaine de l'énergie devant être pris en compte pour traiter le sujet de la mobilité individuelle motorisée ? Les potentialités des futures générations d'agro-carburants, on le voit bien, sont nombreuses, comme les nouvelles technologies de communication et d'information autour de la mobilité, sources de mutations très importantes sur le véhicule et le véhicule dans son environnement. Quant aux comportements de nos concitoyens, un changement est en train de s'opérer, qui changera la façon dont on considère la propriété ou l'usage du véhicule.

La sobriété des véhicules est une exigence rappelée par le Premier ministre lors de la conférence environnementale, évoquant un objectif du 2 litres aux cent, perspective qui interroge la puissance, la vitesse et la motorisation d'un tel véhicule. L'encombrement du véhicule est également un vrai sujet, les élus urbains constatant régulièrement un décalage entre la taille des véhicules et celles des rues. Que penser des véhicules pensés pour amener une famille en vacances, mais qui sont utilisés la plupart du temps par une personne seule ? Ce sont toutes ces questions qui seront évoquées dans le rapport, l'objet de la table ronde étant d'ouvrir les champs et les perspectives, sans négliger la complexité du sujet. On ne saurait ainsi, au titre de perspectives de moyen terme, négliger des difficultés de court terme. A l'inverse, ne jamais prendre en compte les enjeux de moyen terme, au motif que le court terme s'imposerait pour prendre des décisions, est une perspective qui a ses limites. Bref, quelles convergences, quelles divergences, quels questionnements, quelles contradictions, l'objectif étant que ce rapport soit le plus utile possible ?

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l'étude de l'OPECST. - Nous sommes partis de la voiture électrique pour évoluer vers le véhicule écologique, preuve que notre champ d'étude est vaste, intégrant des modes de propulsion nouveaux jusqu'à des technologies de stockage de l'énergie. Nos premières auditions nous ont encouragés à travailler largement, avec trois grands axes. Le premier porte sur les besoins de mobilité, les besoins des personnes, sujet qui exige qu'on parvienne à discerner des typologies - géographiques, rythme de vie des personnes, etc. Le deuxième porte sur la technique, à savoir les nouveaux modes de propulsion, les moteurs à air comprimé, à hydrogène, point sur lequel il nous faudra essayer de dresser un état de l'art. Comment discerner une technologie directement opérationnelle d'une technologie potentielle, plus aléatoire, tout en ayant le souci de la dimension industrielle ? La troisième entrée, plus pragmatique, concerne les constructeurs et ceux qui inventent les nouveaux véhicules écologiques, sujet sur lequel l'industrie travaille depuis de longues années. Quelles mutations vers de nouveaux véhicules ou de nouvelles formes de propriété des véhicules ? Comment porter l'industrie française ou européenne en pointe dans ces mutations ?

Pour approfondir ces trois axes, la rencontre et le croisement entre des disciplines différentes nous paraissent essentiels. Nous le ferons aujourd'hui, comme lors des prochaines auditions publiques. Une deuxième audition publique aura lieu le 19 mars prochain sur les enjeux techniques pour la mobilité de demain ; une troisième le 11 avril, sur les évolutions techniques, les nouveaux services et les choix qui y sont liés ; une quatrième le 22 mai, où l'on abordera le partage des rôles entre les pouvoirs publics et les acteurs de la filière automobile. Le sujet est vaste : nous aurons besoin des contributions de tous pour l'enrichir. J'ajoute que nous sommes en train de mettre au point un blog, sur lequel nous serions très heureux de pouvoir mettre en ligne vos réflexions. N'hésitez donc pas à nous les transmettre, pour partager les regards et les analyses.

Première table ronde : quels sont les besoins de mobilité ? comment vont-ils évoluer ? sous l'influence de quels facteurs ?

M. Bruno Marzloff, sociologue. - La filière motorisée est aujourd'hui réinterrogée, ses modèles actuels étant très largement contestés. Pour autant, elle est incontournable : la voiture assure encore 80 % des kilomètres parcourus en France, avec de fortes grandes différences d'usage, selon qu'on se situe dans de l'urbain dense, du périphérique ou du rural. Aussi les évolutions dans ces territoires sont-elles extrêmement différenciées. Une étude évoque le chiffre de 1 600 euros pour la collectivité, par voiture qui circule - externalité négative qui est un vrai enjeu. Quant aux transports publics qui participent de cette organisation systémique de transports motorisés, ils sont au bord de la saturation, pour ne pas dire plus. Ils ne pourraient pas absorber 10 % de reports des automobilistes. En regard, les possibles sont impressionnants, avec des technologies mâtures, répandues, appropriées de façon massive, la mobilité en constituant le point d'entrée le plus important.

Cela dit, je vois six pistes de travail. Premièrement, une optimisation par la régulation, la réduction et la maîtrise de l'offre, comme ont su le faire les Jeux Olympiques de Londres, qui ont absorbé 20 % de la croissance supplémentaire, notamment par la tarification des usages. Deuxièmement, une optimisation par la consolidation de l'offre : comment jouer des intermodalités et des multi-modalités pour faire en sorte d'optimiser le système ? Troisièmement, une optimisation par l'autorégulation de la demande, piste particulièrement intéressante : comment les usagers sont-ils capables de réguler leur propre demande ? Quatrièmement, une optimisation par l'intensification des usages de la voiture : covoiturage, voiture collective par l'optimisation du taxi, auto-partage. Cinquièmement, le développement de la voiture automatique, qui est une réalité, pas encore sous contrôle cependant. La sixième piste me paraît la plus intéressante : au lieu de courir toujours avec des infrastructures nouvelles, comme le fait le Grand Paris, pourquoi ne pas réfléchir à une réduction de la demande, en tout cas sa partie imposée - la mobilité subie - ce qui suppose une meilleure organisation ?=

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l'étude de l'OPECST. - Ne faudrait-il pas aussi une meilleure organisation spatiale, grâce à une politique d'urbanisme ?

M. Bruno Marzloff. - Disons une meilleure organisation en général, qui supposera celle du numérique, pour assurer du quotidien à distance, comme le fait déjà le travail à distance ou l'e-commerce. Réduire le déplacement physique en mobilisant la mobilité numérique est une piste à étudier.

M. Laurent Antoni, CEA LITEN. - La conception du véhicule écologique passe en premier lieu par une meilleure connaissance des attentes des usagers. Aussi le CEA travaille-t-il à mieux comprendre, mesurer et analyser ces usages, pour adapter la gamme des véhicules. Ces usages peuvent aller du petit véhicule au transport en commun, un sujet important étant de savoir comment gérer le plus simplement possible les intermodalités de la façon la plus pratique et transparente pour les usagers, grâce aux nouvelles technologies de communication. Posséder un véhicule, on le sait, n'est plus essentiel pour les jeunes générations, beaucoup plus attentives au service rendu par différents véhicules pour aller d'un point A à un point B.

L'introduction des nouvelles technologies de communication permet de faciliter le transport, mais aussi de proposer du service pendant le transport. Mais il est aussi important de considérer le véhicule pas simplement comme un mode de transport, mais aussi comme un stockage d'énergie, le véhicule écologique pouvant rendre service dans la gestion de l'énergie dans l'habitat. Un tel véhicule offre non seulement du transport, mais aussi du service et de l'énergie. Tels sont les points sur lequel nous travaillons.

Mme Mireille Appel-Muller, déléguée générale de l'Institut pour la ville en mouvement. - Pourquoi se déplace-t-on ? Pourquoi bouge-t-on ? En quoi sommes-nous une société de mobilité ? Dans les faits, on se déplace pour partie pour des raisons professionnelles, familiales, de santé, de loisir, le tourisme, etc. L'évolution des pratiques au fil du temps dépend du rôle que la société dans son ensemble et que des acteurs très divers en son sein assignent aux mobilités.

La liberté de circulation - le droit à la mobilité - date de la Révolution. Avec le dix-neuvième siècle, on a assisté à l'essor des moyens de transport mécanisés - train et automobile - essor qui a concrétisé ce droit à la mobilité sur un champ des possibles de plus en plus étendu. Les politiques publiques de transport se sont saisies de ces opportunités pour développer les infrastructures et rendre possible l'accès à des territoires de plus en plus éloignés, de plus en plus étendus.

Aujourd'hui, on peut dire que cette liberté de circulation a transformé ce droit à la mobilité en devoir. On l'a vu avec le grand commerce, qui a éloigné les lieux d'approvisionnement des consommateurs, les cartes hospitalières et judiciaires qui ont éloigné certains services publics des citoyens. On discute aujourd'hui de la flexibilité du marché du travail, ce qui sous-entend que les personnes - bien souvent les moins qualifiées - devront être amenées à se déplacer de plus en plus loin, sur des territoires de plus en plus étendus. Qu'on songe aussi aux pratiques ambulatoires à l'hôpital et aux parcours de soins, ce qui sous-entend la mobilité du malade. Pour trouver un emploi, un étudiant doit aujourd'hui faire la preuve d'un déplacement à l'étranger.

La mobilité est donc devenue une norme sociale. La mobilité n'est pas qu'une question de transport, mais aussi de société. L'Institut pour la ville en mouvement a travaillé sur cette affirmation du droit à la mobilité pour tous et sur les difficultés que rencontrent certaines catégories de la population dans l'exercice de ce devoir de mobilité.

Mme Dominique Attias, professeur à l'École centrale de Paris, titulaire de la Chaire de recherche Armand Peugeot. - La chaire de recherche Armand Peugeot, dont je suis la titulaire, a repris à son compte la notion d'électro-mobilité, notion qui croise un sujet essentiel. Toutes les questions de mobilité, en effet, sont à la fois des questions technologiques, économiques et sociétales. En la matière, une véritable rupture technologique est en cours. Cela dit, cette rupture est-elle acceptée par le client, la valeur créée par l'industriel devant être partagée par le client ? Est-ce que le client trouve de la valeur à de nouvelles formes de mobilité ?

Nous sommes amenés à faire deux constats.

Premier constat : les véhicules hybrides, électriques, ne décollent pas et ne font pas l'objet d'achats massifs. En d'autres termes, les technologies existent, mais ne sont pas encore pleinement acceptées. La question du coût est évidemment importante, comme celle de l'usage et de sa facilité. Une voiture électrique est-elle ainsi adaptée à nos modes de vie, à nos modes de déplacement ? Est-ce qu'elle convient bien ?

Deuxième constat : cette incroyable révolution technologique n'est pas achevée. Bien des choses sont encore à découvrir en matière de véhicules hybrides, et nous travaillons sur des mixités possibles. Cela suppose cependant de tenir compte d'autres facteurs. Les pouvoirs publics soutiendront-ils le mouvement ? À mon sens, les facteurs sont associés les uns aux autres. On ne peut parler de mobilité si l'on ne parle pas à la fois des acteurs publics et des acteurs privés.

M. Joseph Beretta, président de l'AVERE-France. - À mon sens, le véhicule électrique décolle. Le marché est certes marginal, mais c'est le seul qui, dans le marasme automobile actuel, est en croissance, celle-ci étant multipliée par deux l'an dernier. Par contre, il faut aller au-delà du véhicule, pour aller jusqu'à l'écosystème. Lorsqu'on veut introduire une nouvelle technologie, il faut traiter la chaîne complète, soit l'écosystème, qui prend en compte le véhicule, l'infrastructure, le service et l'usage, le tout accessible à tous. Le véhicule tout seul ne décollera pas sans infrastructures, sans services et sans l'usage adapté.

À cette fin, nous avons lancé une enquête lors du Mondial de l'automobile de l'an dernier, en posant la question suivante : les Français sont-ils des adeptes de la voiture électrique ou peuvent-ils accéder à la voiture électrique ? Nous avons défini la notion d'électromobilisable. Nous sommes arrivés à la conclusion qu'un Français sur trois est électromobilisable. Il a l'usage correspondant à un véhicule électrique, l'accès à une prise. Sur la base de 10 000 km par an, un véhicule électrique ne sera pas plus onéreux qu'un véhicule thermique traditionnel.

La voiture électrique a une place à prendre dans notre panorama de mobilité, sans compter qu'elle agrège les grands enjeux de la mobilité : réchauffement climatique, pollution urbaine et efficacité énergétique.

Mme Fabienne Keller. - Une analyse plus précise sur les éléments de l'écosystème serait utile, auxquels on pourrait ajouter l'accès prioritaire à des voiries publiques et à des parkings bien placés. Il faut aussi penser aux éléments liés aux politiques publiques.

M. Morald Chibout, directeur général d'Autolib'. - Je ferai un constat très simple à la lumière d'Autolib'. En premier lieu, il s'agit d'une révolution sociale. Nous sommes passés d'une logique de possession à une logique d'usage, notre analyse du marché étant de plus en plus probante (le coeur de cible étant le segment 25 ans-35 ans). Cela dit, on constate deux freins importants à la voiture électrique : l'autonomie de la voiture et le nombre de bornes de recharge. Autolib' propose 250 km d'autonomie et 750 bornes de recharge à Paris.

En deuxième lieu, il s'agit d'une révolution technologique en cours, qui est une réussite. Le groupe Bolloré a fait le choix de la batterie lithium-métal-polymère, qui servira demain dans le stockage d'énergie. Ainsi pourra-t-on utiliser l'énergie solaire, la stocker et la réinjecter dans le réseau.

En troisième lieu, il s'agit d'une réussite commerciale, avec 1,2 million de locations pour 62 000 abonnements vendus. Un vrai marché est donc en émergence.

En quatrième lieu, c'est une véritable révolution digitale, la voiture étant intelligente, à la fois dans l'informatique embarquée, mais aussi dans l'utilisation qu'en font les clients. Près de 80 % des locations et des réservations se font via un système digital, mobile. L'abandonnement se fait en moins de cinq minutes, la prise de location en moins d'une minute.

M. Arnaud de David-Beauregard, vice-président en charge des opérations de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (FIEV). - Je veux souligner le rôle économique et social du traitement de la mobilité. Pour les équipementiers, il s'agit de 17 milliards de chiffre d'affaires, dont plus de la moitié est réalisée à l'exportation. Ils font travailler 82 000 personnes. La mobilité et l'anticipation des tendances futures est une chose essentielle. Les équipementiers y participent largement, en anticipant souvent la conception des voitures et en proposant des fonctions complètes et innovantes aux constructeurs. Il faut ajouter des systèmes désormais répandus, comme le stop and start ou les développements observés sur les batteries.

Le point essentiel est l'innovation. Notre industrie pourra participer positivement au développement de la mobilité durable dans la mesure où elle aura une capacité d'innovation, ce qui suppose un minimum de compétitivité. Il faut donc envisager ce sujet de manière globale, avec l'ensemble de ces aspects, plutôt que de se concentrer sur un modèle supposé résoudre toutes les difficultés.

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions françaises, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën. - Le groupe PSA Peugeot Citroën part du constat que notre société est marquée par une très forte boulimie de mobilité. Nos concitoyens veulent pouvoir utiliser un moyen de locomotion au titre de leur attachement à la liberté que confère en particulier l'automobile. En 2010 et 2011, nous avons réalisé une étude, pour dégager une typologie de ces différentes attentes et de ses postures face au besoin de mobilité. On a constaté plusieurs approches différentes, les unes plutôt liées à la possession de l'objet automobile, les autres plutôt liées à des arbitrages compliqués à faire dans la journée. D'autres sont militants d'une démarche écocitoyenne. Nos conclusions ? C'est une approche liée à l'hybridation, à la fois des moteurs, des silhouettes et des solutions modales. Le groupe PSA, je veux enfin le rappeler, a été à l'origine de la création de l'Institut pour la ville en mouvement, considérant qu'un groupe automobile devait pouvoir croiser ses approches avec des sociologues, des urbanistes, des architectes, des acteurs de la ville, pour interroger la ville de demain.

Mme Louise d'Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires de Renault. - Je souscrits pleinement à cette intervention. Cela dit, je veux saluer le travail réalisé par l'Office, et la manière innovante et créative avec laquelle il aborde ce sujet. Comme tous les constructeurs, Renault est attentif à tous les signaux de la société, essaie de les anticiper, pour être au rendez-vous du comportement de ses clients. Un des problèmes clés est le calendrier et l'agenda. Dans quel calendrier se situe-t-on ? Dans le cadre de son alliance avec Nissan, je rappelle que Renault a investi 4 milliards d'euros pour lancer une vraie gamme de véhicules électriques, preuve qu'il ne s'agit pas pour nous d'un choix de niche, mais d'un choix stratégique. Sa réussite dépendra de la coïncidence de notre agenda industriel avec l'agenda du comportement et de l'attente des citoyens, mais aussi de l'accompagnement des politiques publiques qui permettront d'assurer la réussite de ce pari.

Comme tous les groupes mondiaux, on ne se situe pas dans un cadre hexagonal, ni même européen, mais mondial. Aussi votre réflexion doit-elle se situer dans ce cadre, où l'on observe des comportements extraordinairement différents.

M. Jean-Louis Jourdan, directeur développement durable de la SNCF. - J'interviendrai comme agrégateur du dernier kilomètre. En la matière, le sujet n'est pas celui de l'innovation mode à mode, mais de l'articulation des innovations. Demain, il faudra utiliser la géolocalisation, notamment le web numérique, pour déstresser les interfaces entre les différents modes et faire des complémentarités intelligentes. Tout cela doit se penser dès la conception des modes de transport.

Le deuxième sujet est celui de la continuité des systèmes d'information. Tout laisse à penser que vont émerger des autorités organisatrices de mobilité durable. Qui organisera et qui gérera la gouvernance des systèmes d'information ?

Troisième sujet : comment encourager le multisolisme ? La SNCF est aussi gestionnaire de places de parking. Comment donner une faveur aux voitures occupées par plusieurs personnes, pour minimiser les coûts de stationnement et de pollution des modes complémentaires ?

Quatrième sujet : comment encourager les mobilités numériques ? Je suis de ceux qui pensent que voyager deux heures par jour dans des RER à quatre personnes par mètre carré ou dans les bouchons franciliens n'est pas un symptôme de la libération des individus. Tout ce qui peut changer les modèles économiques doit être encouragé.

Cinquième et dernier sujet. Près de 40 % de la population résidera en 2030 dans le grand périurbain et les zones diffuses. Elle sera confrontée à des problématiques de fractures énergétiques et de mobilité. Comment penser la mobilité de ces territoires, mobilité qui ne passe pas par des problématiques d'infrastructures de transport collectif ?

M. Yves Lasfargue, directeur de l'Obergo (observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l'ergostressie), inventeur du concept d'ergostressie. -L'observatoire du télétravail, des conditions de travail et de l'ergostressie (OBERGO) que je dirige réalise des études sur les conditions de vie et de travail des télétravailleurs. S'agissant de la mobilité, nous avons trouvé trois caractéristiques. La première est que les télétravailleurs travaillent en moyenne deux jours en télétravail et trois jours au bureau. Aussi ont-ils tendance à prendre plus leur voiture et moins les transports en commun dont les abonnements courent sur cinq jours par semaine ou trente jours par mois. Ce temps partiel dans le télétravail fait que la mobilité, notamment en voiture, est plus grande que ce qu'on pouvait imaginer.

Ensuite, dès lors où l'on télétravaille, on a tendance à résider dans des lieux plus agréables, nombre de télétravailleurs changeant de résidence en même temps que de façon de travailler. Selon les régions, ce sont de 10 à 20 % de télétravailleurs qui s'éloignent de leur lieu de travail. Plusieurs accords signés par les entreprises interdisent du reste cette mobilité, l'entreprise ayant tendance à ne pas vouloir que ses salariés s'éloignent trop de l'entreprise.

Quant au télétravail en télé-centre, il n'existe pratiquement pas en France pour les salariés. Il existe pour les télé-centres intra-entreprises, comme IBM ou EDF. Les télé-centres ne comptent que des auto-entrepreneurs ou des professions libérales. Pourquoi les télé-centres sont-ils rejetés ? Parce que cette installation n'offre pas le même choix de liberté d'horaires que le télétravail à domicile. J'ajoute enfin que la mobilité des télétravailleurs est très peu étudiée.

Mme Fabienne Keller. - Qu'est-ce que l'ergostressie ?

M. Yves Lasfargue. - C'est un essai de mesure de la charge de travail dans les métiers de la société de l'information. Ce concept conjugue la fatigue physique, la fatigue mentale, le stress et le plaisir.

M. Alain Meyere, Institut d'aménagement et d'urbanisme, Fédération nationale des agences d'urbanisme (FNAU). - Le peak-car n'est-il pas derrière nous ? Depuis 2010, la mobilité automobile enregistre une baisse significative. L'automobile n'est plus le mode de transport dominant : la marche est passée en tête. Historiquement, le premier facteur de la croissance de l'usage de l'automobile en ville a été l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail. Elles ont été utilisatrices de l'automobile comme l'ont été les hommes. Aujourd'hui, la baisse de l'usage de l'automobile par les hommes, qui a débuté dans les années quatre-vingt-dix, est suivie par les femmes. Il s'agit aussi d'un effet générationnel. La mobilité automobile de la plupart des catégories de la population se stabilise et parfois diminue. En revanche, l'usage de la voiture par les retraités ne fait qu'augmenter. Très lié au renouvellement des générations, ce phénomène n'est probablement pas terminé. L'automobile est-elle moins désirée par les jeunes ? Dans les faits, on observe une baisse significative du taux de possession du permis de conduire dans les jeunes générations, phénomène massif s'il en est.

En conclusion, il s'agit d'un phénomène qui met en cause la structuration des politiques de déplacement et qui interroge les politiques et les constructeurs automobiles : faut-il vendre des voitures ou de la mobilité ?

M. Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'automobile. - La voiture de demain présente trois enjeux fondamentaux. Le premier est économique. De fait, les automobilistes roulent de moins en moins et conservent leur véhicule de plus en plus longtemps. Pour faire repartir les ventes, il faudra se demander comment les inciter à changer de véhicules plus souvent. La rupture technologique qui permettra à l'automobiliste de réduire sa consommation de carburant et ses coûts d'utilisation sera le meilleur moyen pour inciter celui qui a une voiture de plus de dix ans à changer de véhicule, pour une voiture qui consommera deux litres aux cent.

Le deuxième enjeu est environnemental. Les constructeurs, on oublie souvent de le rappeler, ont réalisé de nombreux progrès en matière de réduction des polluants, qu'il s'agisse de polluants globaux ou locaux. Pour améliorer la qualité de l'air dans les villes, il faudra se pencher sur les véhicules les plus anciens et cibler leur renouvellement, alors qu'un tiers du parc automobile a plus de dix ans.

Le troisième et dernier enjeu, dont on parle très peu, vise la sécurité autoroutière. Les véhicules qui sortent des usines sont aujourd'hui beaucoup plus sûrs, beaucoup mieux équipés.

Pour toutes ces raisons, la voiture écologique est l'enjeu de l'avenir, qui incitera les automobilistes à changer de véhicules plus souvent.

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la recherche, de l'innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën. - Selon PSA Peugeot Citroën, le véhicule du futur sera plus respectueux de l'environnement, communiquant et intelligent, et potentiellement autonome. Il sera également plus attractif et susceptible d'être facilement partagé ou intégré dans une chaîne multimodale. Grâce aux technologies de l'information et de la communication, et au véhicule connecté, nous pouvons aller vers de nouvelles mobilités urbaines. La fluidité permettra de moins polluer, de moins émettre d'émissions de CO2. Les nouvelles technologies, les aides à la conduite aideront à trouver plus facilement des places de parking (30 % des véhicules à Paris tournent à la recherche d'une place de parking). Elles renforceront la sécurité, aideront à l'auto-partage et à la gestion des risques urbains. Elles apporteront des informations efficaces sur le trafic en temps réel via des systèmes embarqués, qui permettront d'éviter la congestion et de sécuriser les intersections.

M. Christian Rousseau, expert leader Mobilité et Systèmes de transport, Renault. - Je veux revenir sur la notion de système global. Certes, il faut avoir les équipements adéquats pour les voyageurs - aide à la géolocalisation, aide à la navigation, aide à l'optimisation du parcours. Nos véhicules électriques sont ainsi bien équipés d'un système qui gère l'énergie, de façon à garantir à l'usager de pouvoir terminer son trajet. Cela dit, je veux insister sur le « back office », sur tout ce qui prépare cette information, qui est un enjeu considérable. Il s'agit en effet de connecter des systèmes d'information qui n'ont pas l'habitude d'échanger, qui ne sont pas connectables. Un sérieux travail de standardisation doit être effectué, pour que de tels dispositifs puissent se déployer, travail que les constructeurs, les transporteurs publics et l'ensemble des filières doit prendre en charge.

M. Marc Teyssier d'Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques. - Le club des voitures écologiques met en avant une complémentarité entre le transport public et la voiture. À notre sens, les élus locaux ont un rôle essentiel, les aides à l'acquisition de véhicules propres ne devant pas être que nationales. Une réflexion doit être engagée sur le stationnement, la tarification adaptée, le quotidien du véhicule étant le stationnement. Nous avons des propositions pour l'instauration d'un crédit de télépéage de 2000 euros sur les autoroutes pour les véhicules propres, chacun devant prendre sa part de l'investissement pour accroître la flotte. L'État, les sociétés privées, les collectivités doivent se mettre autour de la table, étant entendu qu'on ne peut pas tout attendre de l'État. S'agissant du véhicule électrique, nous insistons sur l'accélération de la mise en place des bornes de recharge. Au Japon, on l'a bien vu, il y a parallélisme entre le nombre de bornes et de voitures. Dans l'année qui vient, un effort immense doit être réalisé pour que les constructeurs puissent vendre leur voiture et que le succès soit au rendez-vous.

Mme Patricia Varnaison, chef du département « déplacements durables » du Centre d'étude sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques (CERTU). - Les enquêtes réalisées sur les ménages ont montré que les jeunes générations se déplaçaient moins. Certains l'expliquent par une utilisation plus importante d'internet, les jeunes étant plus attachés à disposer d'une connexion internet qu'une voiture ; d'autres par le fait que les revenus de cette population sont en baisse. Dans un rapport de l'an dernier sur la fracture numérique, le CAS a montré les enjeux très importants pour limiter au maximum cette fracture chez les jeunes. Quant aux séniors d'aujourd'hui, ils utilisent plus la voiture qu'hier et marchent moins. C'est un enjeu de santé publique, car moins on marche, plus on a besoin d'être aidés. Nous sommes même sollicités pour savoir dans quelle mesure des scooters de mobilité électrique pourraient pénétrer dans les transports en commun. Il faut savoir que ces véhicules se développent au Royaume-Uni chez les personnes plus âgées. Il s'agit donc d'un enjeu de prospective important.

Mme Isabelle Van de Walle, Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC). - Les enquêtes du CREDOC montrent que le développement durable et le souci pour l'environnement deviennent, depuis les années quatre-vingt, une vraie préoccupation pour l'ensemble de la société. Mais lorsqu'on observe les changements de comportement, notamment l'adoption des nouvelles formes de mobilité, on s'aperçoit qu'elles ne sont pas liées à ces aspirations environnementales, mais aux contraintes économiques, à la possibilité de disposer d'une offre très diverse, notamment de transports en commun et de covoiturage, et à la diversification des supports d'information - internet et portable. Cela explique les différences observées chez les jeunes.

Prenons l'exemple de l'approvisionnement alimentaire. Sur ce sujet, on assiste à des évolutions importantes, avec la desserte des centres commerciaux par les tramways, à la suite d'une décision de collectivités territoriales. Des évolutions importantes jouent aussi sur les pratiques et les usages dans l'offre commerciale : la géographie du commerce change, avec un développement de l'offre de proximité. L'offre commerciale est par ailleurs modifiée du fait des nouvelles technologies de l'information et de la livraison à domicile. De telles évolutions ont permis au public d'être moins dépendants de la voiture individuelle, mais il reste de grands clivages entre territoires.

Dans les espaces périurbains et ruraux, les consommateurs peuvent avoir des offres de proximité, mais ne bénéficient pas des offres liées à la livraison à domicile. Ce sont les personnes les plus faibles économiquement et les personnes âgées qui pâtissent du manque de mobilité. On retombe sur la thématique du droit à la mobilité.

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW. - Le groupe BMW est bien connu pour ses automobiles de sport et de luxe, moins pour avoir engagé depuis quarante ans une politique de développement durable. De réels progrès ont ainsi été réalisés sur l'efficience des moteurs thermiques. Mais la révolution, pour notre groupe, est l'introduction d'une marque, BMWi, qui a vocation à construire des voitures électriques, à proposer des solutions de mobilité avec des concepts tout à fait nouveaux dans l'industrie automobile, comme l'introduction de matériaux en carbone ou aluminium, mais aussi de services. La société investit ainsi beaucoup aux côtés de start-up pour développer les services nécessaires à la mobilité urbaine et périurbaine de l'avenir. Cela s'appelle, par exemple, MyCityWay, pour détecter en temps réel, les embouteillages, les places de parking, et gagner en fluidité. Cela peut prendre la forme de l'auto-partage, avec la disponibilité d'une voiture à tous endroits d'une ville, à tout moment, avec un maximum de flexibilité. Mais cela peut aussi s'appeler le partage de parkings privés. On ne travaillera pas que sur la dimension environnementale, sur la sécurité, mais encore sur la fluidité et la mobilité dans les grandes villes et les centres urbains.

Débat

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l'étude de l'OPECST. - Le débat est ouvert. J'ai pour ma part été surpris que la question de la forme de l'automobile ait été peu abordée. Plusieurs ont parlé de la fluidité, via le stationnement, via les technologies. Si le transport automobile paraît baisser, on constate aussi que le deux-roues augmente, notamment à Paris. Ce type de véhicules serait plus adapté pour circuler dans des espaces contraints. Quel est le point de vue des constructeurs ?

Mme Louise d'Harcourt. - Il s'agit d'un sujet sur lequel Renault a été très attentif, avec la création d'un quadricycle qui répond parfaitement à votre préoccupation : espace réduit, plus grande sécurité et usage intermédiaire entre le véhicule et le deux-roues. Force est pourtant de constater que ce nouveau véhicule rencontre des obstacles réglementaires : sur quelles voies doit-il rouler ? Avec quel type de permis ? Lorsqu'on crée un véhicule de rupture, on est confronté à de nombreux problèmes réglementaires, ce qui est notamment le cas pour Tweezy. Quoi qu'il en soit, le véhicule a été lancé, et prend progressivement sa place dans le paysage urbain.

Mme Sandrine Delenne. - Chez PSA Peugeot Citroën, nous sommes bien conscients que la chaîne du champ des possibles des objets de mobilité est composée d'objets de deux roues (vélos électriques, scooters, électriques ou non), mais aussi de quatre roues. Entre les deux, il y a une place pour des objets qui relèvent d'autres catégories d'homologation de quadricycles - du type concept car BB1 pour la marque Peugeot, avec 4 moteurs-roues - qui intègrent une conception nouvelle de l'habitacle et de l'architecture, pour limiter l'encombrement. La taille des modèles a été réduite, mais les quadricycles ont des restrictions d'usage.

M. Denis Baupin. - Quand sera-t-il commercialisé ?

Mme Sandrine Delenne. - Un tel concept car n'est pas commercialisé, mais vise à ouvrir le champ de la réflexion. Ne pas pouvoir circuler sur le périphérique, est pour nous une restriction. Comme le tricycle le permet, nous avons présenté un modèle de tricycle, le VELV, maillon entre le scooter et l'automobile, caréné et totalement électrique, qui peut rouler sur les routes pour automobiles.

Cela dit, au-delà du concept novateur du concept car, le BB1 soulève des questions d'acceptabilité, de conscience par rapport à la sécurité et aux chocs, et de nouveaux usages. Nous sommes partenaires, notamment avec Renault, de l'institut VeDeCoM, l'institut pour le véhicule décarbonné, communiquant et sa mobilité, dont on espère la signature imminente. Il comprendra un laboratoire des nouveaux usages, à la fois pour les véhicules électriques, mais aussi pour traiter de l'acceptabilité du véhicule partagé.

Mme Fabienne Keller. - Beau sujet... L'agenda industriel de vos propositions, on le voit, doit rencontrer une évolution des comportements. Il renvoie aussi à la question des politiques publiques qui peuvent rendre possible l'usage de tels véhicules. Vous mettez aussi en avant la question de l'agrément des Mines sur les véhicules. Nous n'avons pas encore associé les spécialistes de la réglementation à nos réflexions, ce qu'on pourra faire lors de nos prochaines tables rondes. C'est un sujet compliqué, qui concerne l'agrément des véhicules, la gestion de leur sécurité, mais aussi la compréhension par les usagers de l'espace public de la fragilité de chaque usager. Je suis élue de Strasbourg, où l'automobiliste moyen comprend mieux la difficulté à être cycliste qu'à Paris. Tout cela suppose un vrai travail, en plus du travail réglementaire. Comment rendre possible l'intégration de ces nouveaux véhicules, pour que les industriels continuent à investir, et que les comportements s'adaptent ?

M. Marc Teyssier d'Orfeuil. - Bien avant d'avoir créé le club des voitures écologiques, j'avais créé, il y a dix ans, l'association de la place de la petite voiture dans la ville. À l'époque, un seul industriel s'était placé sur ce segment, en l'occurrence une automobile à part entière. Aujourd'hui, de nouveaux petits véhicules quadricycles sont mis au point, tant il est vrai que la voiture doit s'adapter à la ville. À mon sens, la petite voiture est l'adaptation de la voiture à la ville, ce qui n'exclut pas d'en disposer de grandes, pour quitter la ville avec sa famille. Quant à la réglementation, il faudra se mettre autour de la table, pour intégrer des discriminations, notamment en termes de stationnement pour favoriser les petits véhicules de moins de trois mètres pour qu'ils puissent se placer de manière perpendiculaire.

M. Bruno Marzloff, sociologue. - S'il est vrai qu'on a construit une ville pour la voiture, on n'a pas encore construit une ville de la multi-modalité. Ce qui fait le succès du vélo à Copenhague ou à Strasbourg, ce sont aussi les aménagements ad hoc qui ont été pensés à cette fin. Si l'on veut accroître le nombre de cyclistes dans une ville comme Paris, encore faut-il leur donner la possibilité de faire du vélo, comme cela se fait outre-Atlantique, pragmatisme oblige. Des villes comme Chicago ou New-York sont ainsi en train de remodeler leur centre-ville, pour accepter plus de cyclabilité et de marchabilité.

Mme Isabelle Van de Walle. - Il faut également développer cette réflexion dans des espaces qui ne sont pas très denses, comme les zones périurbaines. Bien souvent, les gens ne peuvent utiliser le vélo du fait de problèmes de sécurité considérables. Dans dix ans, on arrivera à régler les problèmes de centre-ville. Mais il faut sérieusement penser les autres espaces.

Nous avons bien l'intention d'établir une typologie car les réponses ne sont pas les mêmes suivant les besoins. Dans les zones périurbaines, le vélo assisté est très efficace pour rabattre les zones pavillonnaires vers une gare ou les commerces.

Mme Isabelle Van de Walle. - Les pistes cyclables ne sont cependant pas suffisamment nombreuses.

Mme Fabienne Keller. - Développer le vélo, cela suppose de prendre en compte deux critères : la piste sur laquelle on circule et l'endroit où l'on stocke son vélo, pour être sûr de le retrouver, si possible au sec. Il faut aussi établir des priorités et déterminer les critères qui doivent être hiérarchisées, pour les appliquer aux aménagements et aux choix de parking.

M. Laurent Antoni. - En matière de vélo, de nombreuses solutions se développent : utiliser des voies pour bus, ou des pistes cyclables sur chaussée. À mon sens, l'essentiel est la création de vraies pistes cyclables, qui ne soient pas dangereuses pour les piétons, de pistes cyclables aussi le long de nationales ou de départementales, comme en Allemagne.

Mme Alexandra Crosseron. - On entend peu parler des questions relatives à l'éducation, à l'acceptabilité sociale de tous ces nouveaux modes de mobilité. Comme utilisatrice du Velib, je suis confrontée à des soucis de circulation, de la part des taxis, dont les conducteurs sont particulièrement inciviques. Comment sensibiliser les plus jeunes à ces nouveaux usages ? C'est une question importante.

M. Hervé Pichon. - Un industriel de l'automobile doit fonder son activité sur un modèle économique et la prise en compte de demandes de mobilité qui sont extrêmement diverses. On a parlé des jeunes. Mais il y a aussi des moins jeunes, qui ont un projet familial : leur demande de mobilité n'est pas la même. Beaucoup de nos concitoyens ont en ville une démarche écocitoyenne, tout en étant bien contents que leur véhicule leur permette d'aller voir leur arrière grand tante à Carpentras, lorsqu'ils habitent à Strasbourg. Ce sont tous ces éléments que doivent prendre en compte des industriels de l'automobile, sur la base d'un modèle économique viable. On ne saurait s'abstraire des impératifs de rentabilité et de profitabilité d'une activité industrielle.

M. Denis Baupin. - Certes, mais la situation actuelle montre que cet équilibre n'est pas trouvé. L'écroulement des immatriculations, les difficultés financières que vous rencontrez sont sans doute liées au contexte international économique. Encore faut-il souligner qu'une part de la population ne se reconnaît plus dans les véhicules qui sont proposés.

M. Hervé Pichon. - En Europe, le marché est mature. On s'interroge, notamment en France, sur la consommation automobile. Mais la situation qu'on observe dans l'univers automobile n'est pas seulement une crise de l'automobile : c'est une crise de l'Europe, d'un continent qui est une zone de très faible croissance, voire de dépression, à laquelle s'ajoute une crise financière de l'Europe du Sud. L'industrie européenne dans son ensemble, c'est un fait, ne trouve plus son modèle économique, car elle est dans une situation de surcapacité. La problématique ne se résume donc pas à la consommation automobile, mais doit intégrer la difficulté actuelle de l'Europe dans la mondialisation.

Mme Louise d'Harcourt. - Je veux réagir à la question relative à la formation à la sécurité. Depuis plus de dix ans, Renault a mis en place un programme d'éducation à la sécurité routière, Sécurité pour tous, qu'il développe dans le monde entier, notamment pour les enfants. Cela dit, il faut bien savoir que si les marchés déclinent en Europe, le marché automobile croit de 8 % à l'international. Élargissons donc notre regard, notre réflexion d'industriel étant nécessairement mondiale. Enfin, comme cycliste qui voudrait se rendre tous les jours à son travail de Boulogne à Paris, la question de la sécurité est rédhibitoire.

M. Denis Baupin. - À cause de quel type de véhicules ?

Mme Louise d'Harcourt. - À cause de l'interaction de tous les véhicules, qui n'est pas organisée. Comment la collectivité publique organise-t-elle cette coexistence ?

M. Denis Baupin. - Je pose le problème en d'autres termes. Comment ceux qui fournissent les véhicules qui circulent sur les routes prennent-ils en compte les autres ? Chacun ne peut attendre systématiquement les solutions de l'autre. L'essentiel, c'est de réfléchir ensemble à la mobilité en ville et à la manière de la faire évoluer. On ne peut pas élargir les trottoirs mais on peut raccourcir les véhicules. On ne saurait dire que le véhicule est une donnée intangible, à laquelle on ne peut pas toucher, sur laquelle les élus devraient s'adapter. Ce propos est quelque peu caricatural, mais je le fais volontairement. Il ne s'agit pas simplement de réfléchir aux problèmes d'embouteillage.

Mme Fabienne Keller. - Si chacun faisait un peu de vélo régulièrement, nous changerions de comportement dès lors qu'on reprendrait sa voiture. A Paris, les gens sont soit automobilistes, soit cyclistes. À Strasbourg, par contre, on est cycliste et automobiliste. Dès lors, l'automobiliste a un tout autre regard sur le cycliste. L'introduction sur la voie publique de véhicules variés ne va-t-elle pas contribuer à un regard sur les autres plus respectueux, comme on le voit à Copenhague ?

S'agissant de la stratégie, il faudrait étudier de manière plus approfondie l'entrée de notre industrie automobile dans la production de ces nouveaux véhicules et son articulation avec les politiques publiques, avec la création d'un marché intérieur, français ou européen, qui se substituerait au marché intérieur de l'automobile classique, qui est en stagnation. Comment faire pour que nos constructeurs et équipementiers gardent de l'avance, conservent du savoir-faire, de l'emploi et de la présence sur le territoire ?

M. Christian Rousseau. - Certes, mais nous avons un sérieux souci en matière de réglementation : qu'il s'agisse de parkings pour voitures plus courtes ou de l'accès sur certaines voies urbaines rapides. Bien souvent, nous sommes handicapés par la réglementation.

Mme Fabienne Keller. - Je vous invite à nous adresser le listing des leviers réglementaires qui permettraient d'introduire ces nouveaux véhicules.

M. Christian Rousseau. - Une même voie peut accepter les quadricycles, et un kilomètre plus tard, ne plus les accepter, du fait de réglementation locale.

Mme Fabienne Keller. - Le levier, c'est bien la continuité.

M. Christian Rousseau. - Sur le sujet de la réglementation, nous nous sentons un peu seuls, du moins pas aidés.

Mme Patricia Varnaison. - Réfléchir à la multi-modalité est devenu important. Car de plus en plus, les gens ne sont pas utilisateurs d'un seul mode, mais de plusieurs modes. Une grande enquête vient d'être réalisée sur l'auto-partage dans le cadre du PREDIT par France Auto Partage et Cités. Elle montre qu'il est plus important, pour un auto-partageur français, d'habiter à côté d'une station de transport collectif que d'une station d'auto-partage.

Mme Fabienne Keller. - Les stations d'auto-partage sont placées à côté des centres de transport collectif.

Mme Patricia Varnaison. - L'enquête montre aussi que le passage à l'auto-partage se fait lorsqu'une personne est confrontée à l'achat d'un nouveau véhicule. Acheter, cela suppose d'aller chez un concessionnaire. Pourquoi ne pas imaginer une évolution du métier de vendeur d'automobiles ? Pourquoi ne pas imaginer que les vendeurs puissent vendre un service et une adhésion à l'auto-partage ?

M. Morald Chibout. - J'ai travaillé dans le marché des télécoms il y a quelques années, et j'ai pu voir son évolution. L'auto-partage, il faut bien le savoir, touche un segment de plus en plus jeune, segment qui prend rapidement des habitudes. Voyez de quelle manière le marché de la télévision a évolué. Ces jeunes ne veulent plus acheter de voitures, mais souhaitent utiliser un véhicule à l'usage, d'une manière spontanée. Un jeune doit faire des arbitrages, entre son loyer, la nourriture et ses loisirs. Aussi tout laisse à penser que l'achat ou le réachat de voiture risque d'être de plus en plus limité. Le développement d'Autolib', on le voit bien, amène les gens à se poser la question de l'achat d'une voiture.

M. Bruno Marzloff. - Je veux revenir sur la question du modèle industriel, évoqué par les constructeurs automobiles. Ceux-ci nous appellent à élargir la focale au niveau mondial. Le marché automobile en France, je le rappelle, a subi une baisse de 17 % l'an passé, alors que l'économie stagne à 0 %. Dans les pays émergents, la croissance de l'automobile rencontre toute une série de nouveaux obstacles, à Pékin ou Shanghai, obligés de mettre en oeuvre des politiques de réduction drastique de la voiture du fait de la pollution ou des encombrements. Dans un temps proche, il faut s'attendre à ce que ces pays connaissent les mêmes évolutions. À mon sens, il ne faut donc pas prendre prétexte de la situation mondiale pour refuser de regarder la situation française. La question est celle de la transformation du modèle. Va-t-on fabriquer de la voiture servicielle ? Ou reste-t-on sur un modèle industriel, qui n'entend construire que des voitures neuves ?

M. Flavien Neuvy. - Lorsqu'on imagine l'évolution des besoins de mobilité quotidienne des Français au cours des vingt prochaines années, il est bon de se remémorer la situation des vingt dernières années. On a constaté une fracture entre l'évolution de l'offre de mobilité entre les habitants des grands centres urbains et les autres. Un Parisien peut utiliser les transports en commun, sa voiture, un vélo ou une voiture en libre-service. Celui qui habite en Auvergne, à dix kilomètres de son travail, n'a qu'une solution : sa voiture. Dans dix ans, tout laisse à penser que rien n'aura changé pour cette personne : la place de la voiture restera centrale dans les déplacements quotidiens des Français. Les typologies sont très différentes même si, c'est vrai, certains conseils généraux essaient de développer le covoiturage.

M. Denis Baupin. - L'accès à des véhicules plus économes est encore plus important pour la population rurale.

Mme Fabienne Keller. - Il faut vraiment faire des typologies pour trouver des solutions moins polluantes, moins dispendieuses, en utilisant éventuellement le covoiturage.

M. Joseph Beretta. - On pense souvent que la voiture électrique est une voiture urbaine. Dans les zones périurbaines et rurales, la voiture électrique a son mode d'usage, sans compter que l'accès à une prise électrique est facilité. Or, lorsqu'on veut déployer la voiture électrique dans les centres ville, on est confronté aux problèmes d'infrastructures privées et de copropriétés privées, sans compter que l'Europe édicte ses propres règles, sans tenir compte des évolutions à l'oeuvre dans les États. La dernière proposition de directive européenne risque ainsi de bloquer le déploiement des infrastructures en France.

Deuxième table ronde : quelle est la vision des besoins de mobilité selon l'industrie ? à quels autres besoins répond-elle ?

M. Bernard Darniche, président de l'association « Citoyens de la route ». - Depuis des dizaines d'années, j'essaie de faire prendre conscience à la société que l'automobile et la mobilité sont une préoccupation de premier ordre, tant sur le plan économique que sur celui du développement des individus. On aurait ainsi dû réfléchir depuis très longtemps à la mobilité sereine et durable, et non pas essayer de cristalliser des moyens de mobilité qui se concurrencent, car dirigés par des systèmes et des idéologies différentes. Aussi je veux rendre hommage à Denis Baupin, avec lequel j'avais à l'origine de nombreuses divergences de points de vue, mais qui a finalement préféré parler de mobilités sereines et durables plutôt que de voitures écologiques, notion qui a une connotation politique qui ne me convient pas. Mes auditeurs, tous les matins à la radio, vont dans ce sens : ils veulent bien accepter certaines choses, à condition qu'ils les comprennent et qu'elles soient acceptables dans l'état actuel des choses. La contrainte est une chose, la proposition et l'offre acceptées une autre.

M. Denis Baupin, député, co-rapporteur de l'étude de l'OPECST. - Le dialogue que nous avons su engager nous a en effet permis de rapprocher des points de vue, qui, à l'origine n'étaient pas convergents. Nous avons su trouver des réponses ensemble, en partant de points de vue différents. Ce rapport vise justement à trouver des réponses, qui nous permettent de dépasser des contradictions qui, pour une part, ne sont pas insolubles.

M. Jean-Claude Bocquet, professeur à l'École centrale de Paris, directeur du Laboratoire de génie industriel. - Dans peu de temps, 80 % des gens habiteront dans les villes. Plus de 50 % des conducteurs auront plus de soixante-cinq ans, avec un besoin de mobilité identique. Il faut donc investir sur le long terme, en réfléchissant notamment à des véhicules sans conducteur, homogènes dans une ville. De tels véhicules permettront de régler les problèmes de mobilité intergénérationnelle, ce qui suppose des connexions à l'extérieur des villes. Les technologies sont mûres, dès lors que la population des véhicules est homogène. De fait, on a beaucoup travaillé sur les moteurs, au détriment de la masse. Des véhicules qui pesaient hier une tonne en pèsent près du double, ce qui militerait pour décaler les investissements par rapport à la situation actuelle.

M. Gabriel Dabi-Schwebel, spécialiste du marketing, président directeur général. - Merci de donner la parole à un homme du marketing. La France est plutôt une nation d'ingénieurs, le rapport Sartorius sur la situation de PSA Peugeot Citroën ne citant pas une seule fois le mot « marketing », et seulement une seule fois le mot « design » et le mot « différenciation ». Sans doute est-ce une des raisons des difficultés que rencontre notre industrie automobile.

Cela dit, comment l'automobile participe-t-elle à l'évolution du marketing ? Philippe Kotler, l'un des gourous du marketing américain, a évoqué trois âges du marketing. Le premier - le marketing 1.0 - autour des produits, où la valeur est fonctionnelle. Un deuxième - le marketing 2.0 - né au début des années soixante-dix, avec une économie de la demande, autour du produit et de la différenciation du client. On évoluerait aujourd'hui vers un troisième âge, celui de la valeur, avec un marketing 3.0. Les valeurs seraient fonctionnelles, émotionnelles, mais aussi spirituelles. L'automobile devrait ainsi porter l'ensemble de ces valeurs, les questions du développement durable, les problématiques liées à la crise économique. Elle devrait ne plus être seulement un produit qui permet de se déplacer, mais aller au-delà, porter les valeurs fonctionnelles de l'automobile, à savoir la mobilité. C'est autour de ces concepts que l'automobile doit se réinventer, en allant vers plus de mobilité et de fonctionnalité. De ce point de vue, les concepts d'Autolib' et de Blue car portés par le groupe Bolloré sont au coeur des nouvelles réalités. Nous sommes dans l'ère du « co », du co-voiturage, de la colocation, de l'auto-partage. Tous les biens sont mis en commun, situation qui a le mérite d'être très écologique, la seule façon de faire baisser le bilan carbone étant de vivre en communauté. L'auto-partage, du point de vue du marketing de la valeur est une vraie évolution dans l'automobile : moins de propriété, plus d'usage. La voiture sans conducteur a été évoquée, notion qui fait disparaître la dimension machiste de l'automobile - le volant, la pédale d'accélération - sa dimension de puissance, pour n'être que de l'usage et de la mobilité.

M. François de Charentenay, membre de l'Académie des technologies. - Je veux revenir sur la notion d'écosystème, évoquée par Joseph Beretta lors de la première table ronde à propos du véhicule électrique. On a annoncé récemment que la Zoé serait interdite de prise électrique ordinaire. Il semble que ce soit une question thermique qui ne permette pas de recharger en 8 heures de suite avec un fil qui aille dans une prise de 16 ampères ordinaire. C'est la preuve qu'on a du mal à prendre en compte un système global. Or, la pénétration du véhicule électrique ne se fera que par deux voies. La première, d'initiation, est celle proposée par Autolib', qui tend à devenir un vrai système. La deuxième, par la prise domestique, avec recharge lente. On comprend donc que l'infrastructure, l'écosystème de la recharge soit un point crucial, qu'il s'agisse de la normalisation des connexions ou de la gestion du réseau d'alimentation de puissance. Qu'on imagine le passage de 500 000 véhicules électriques en fonctionnement, aux deux millions annoncés pour 2020. Bref, l'approche écosystème devra bien être mise en avant dans le rapport, comme l'a fait l'Académie des technologies dans un travail récent publié sur le véhicule du futur.

M. Denis Baupin. - Vous avez parlé de recharge électrique, sujet qui renvoie au débat sur la transition énergétique et la question des smart grids. Il faut absolument intégrer les deux débats, faute de quoi nous ferons fausse route. 

M. François de Charentenay. - C'est justement à l'occasion d'un groupe de travail sur la transition énergétique, qui doit prochainement publier son rapport, que nous avons pointé l'importance de la partie électrique, qui doit être examinée de très près.

Mme Martine Meyer, Renault. - Je veux insister sur la notion de mobilité durable pour tous, le « pour tous » renvoyant à la dimension économique. Comme constructeur, nous offrons une gamme de véhicules électriques abordable. C'est un sujet qui a une dimension de compétitivité industrielle, que l'on ne peut atteindre sans rencontre entre les positions publiques et l'industrie. Les besoins d'infrastructures ont été déjà largement soulignés. Cela suppose notamment une réflexion sur le transport de marchandises lors du dernier kilomètre, notion innovante, qu'il faut développer pour faire croître le marché du véhicule électrique, ainsi que des réflexions autour du parking management. Tous ces dispositifs auront des effets sociétaux, le véhicule électrique pouvant apporter des bénéfices sanitaires, notamment en ville. Sa massification, à hauteur de 20 %, permet de réduire des composés comme le dioxyde d'azote de l'ordre de 45 %.

M. Jean-Pierre Orfeuil, Institut pour la ville en mouvement. - Je veux vous faire part des réflexions de l'Institut pour la ville en mouvement sur les petits véhicules à forte urbanité, qui contribuent à une mobilité « sereine » ou « attentionnée ». Ces petits véhicules tiennent peu de place, sont peu ou pas émissifs, peu voire très peu consommateurs.

Par rapport à une automobile classique, ils peuvent poser des problèmes de confort. Dans un rayon de trente kilomètres par jour, on pourra imaginer, en Ile-de-France, éviter 30 % des circulations automobiles remplaçables par ce type de véhicules, pour 60 % des utilisateurs.

Y a-t-il une tendance spontanée des gens à se diriger vers des véhicules de petite dimension ? La réponse est clairement affirmative, une partie croissante de la population utilisant le vélo, le scooter et la moto dans les villes. Les gens acceptent donc cette dégradation de confort.

Les constructeurs automobiles vont-ils proposer des véhicules de ce type dans l'avenir ? La réponse, là encore, est positive. On récense ainsi 120 projets, dont 60 à horizon 2015.

Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ? Si cette question est pour le moment indécidable, on peut être convaincu que la pénétration ne se fera pas toute seule, par les simples mécanismes de marché.

Peut-on faire autrement ? La réponse est affirmative. Les grandes collectivités lancent un appel d'offre auprès des constructeurs, avec un cahier des charges précis. Ils sélectionnent quelques modèles, pour amortir les coûts de recherche et de développement, les collectivités s'engageant à les acheter en masse et à les utiliser pour leur service ou de la location de courte durée. Une telle démarche ne manquera pas de créer un écosystème favorable, écosystème qui doit inclure des limitations de vitesse, mais aussi des formules d'entretien, des priorités au stationnement, y compris dans les parcs de rabattement. Ford, lorsqu'il a construit la Ford T, a simplement imposé un modèle unique, ce que nous avons fait avec le Minitel il y a trente ans. Ajouterai-je qu'Apple fait la même chose sans le dire ?

M. Pascal Ruch, président directeur général de Toyota France. - Avant d'évoquer la vision de Toyota en termes de mobilité durable, je souhaite partir du constat environnemental suivant. Lorsque Toyota parle mobilité, c'est à l'échelle planétaire. Aujourd'hui, le parc automobile compte 800 millions de véhicules. D'ici la fin de la décennie, dans sept ou huit ans, on devrait se rapprocher des 1,2 milliard de véhicules, avec tout ce que cela suppose pour la qualité de l'air, le changement climatique ou la demande énergétique. Tous ces éléments, Toyota les prend en compte dans sa conception de mobilité durable. Pour Toyota, il n'y a pas une seule solution. Il faut travailler de front sur plusieurs chantiers, raison pour laquelle le groupe investit plus de 7 milliards en Recherche et Développement, pour disposer de solutions durables. C'est le plus gros budget de tous les constructeurs automobiles, mais aussi le plus gros budget en 2011 en R&D, toutes entreprises confondues.

Toyota travaille de front sur trois pistes. La première porte sur le 100 % électrique, solution pérenne pour un centre urbain, adaptée à ce contexte. Nous travaillons intensément sur la piste de l'hydrogène, de la pile à combustible rechargeable, qui se concrétisera à partir de 2015 en petite série et de 2020 en grande série. D'ici là, la solution retenue par Toyota est la solution hybride rechargeable, plus de 5 millions de véhicules ayant déjà été vendus. Cet hybride se décline en version rechargeable, solution très adaptée en ville. Il n'existe pas une, mais plusieurs solutions, Toyota estimant qu'il faut travailler de front sur l'ensemble.

Mme Louis d'Harcourt, directeur des affaires politiques et parlementaires, Renault. - Je veux revenir sur vos propos, Mme Keller, lorsque vous avez demandé comment faire coïncider tous les enjeux sociaux de mobilité et les impératifs industriels, notamment en France. À mon sens, le programme de véhicule électrique de Renault illustre bien cette double dimension. La France a un vrai atout en matière de capacités de recherche. Renault dispose de 80 % de ses moyens de recherche et d'innovation en France. Il faut ajouter que nous sommes obligés de placer en France nos véhicules à forte valeur ajoute, compétitivité oblige. Notre filière véhicule électrique s'est appuyée sur deux piliers. Nous mettons sur le marché des véhicules dont la performance environnementale est reconnue, tout en apportant une réponse au problème de l'emploi, et je pense à nos deux projets à Maubeuge et à Flins.

M. Marc Teyssier d'Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques. - Une anecdote. En 1947, la ville de Nice a pris une délibération, pour fermer sa ville aux gros véhicules, étroitesse de ses rues oblige. L'idée d'encourager les petits véhicules était déjà présente.

Cela dit, je veux revenir sur l'harmonisation. En matière de stationnement, les collectivités locales ont un levier fort. L'acte III de la décentralisation et l'arrivée des autorités de la mobilité durable doit permettre de sortir du périmètre des villes, pour le périmètre des agglomérations. Comment imaginer, sur le dernier kilomètre de livraison, une ville qui encourage le véhicule électrique, une autre d'autres types de véhicules ? Un livreur doit pouvoir livrer tout le monde dans un même périmètre. Près de 30 % des véhicules qui circulent livrent des marchandises. À mon sens, de vraies pistes s'ouvrent aux petits véhicules électriques, pour répondre au dernier kilomètre industriel. C'est un sujet qu'il faut intégrer dans la réflexion industrielle des personnes et des marchandises.

M. Laurent Antoni, CEA LITEN. - M. Ruch a parlé des véhicules à hydrogène, ressource qui s'intègre à un écosystème, servant à la fois au transport, mais aussi aux applications stationnaires, à la gestion et au stockage de l'intermittence des énergies renouvelables. Il s'agit donc d'un vecteur énergétique universel, qu'il faut prendre en compte dès maintenant.

M. Bernard Darniche. - En vous écoutant, je me dis qu'il nous manque un outil de gouvernance, qui aurait pour définition d'amener à terme ce problème crucial de la mobilité sereine et durable. À force de segmenter les choses, on les oppose. Tant qu'on n'aura pas pris conscience qu'il faut un outil de gouvernance, qui reste à inventer, on n'avancera pas. J'utilise depuis longtemps une voiture électrique. En hiver, cependant, je passe d'une capacité électrique de 80 à 37 km. Comment rouler sans générateur embarqué ? J'utilise aussi une Smart, par conviction citoyenne, pour prendre le moins de place possible. Mais j'attends toujours qu'on me propose des tarifs de stationnement moitié prix, pour une voiture qui présente moitié moins d'encombrement. Un système de gouvernance devrait permettre d'intégrer toutes les demandes et de gérer toutes les offres, donc d'avancer.

M. Denis Baupin. - Il faudra en effet faire des propositions dans ce sens. Il est logique que celui qui occupe moitié moins de place paye moitié moins cher.

M. Bernard Darniche. - 80 % du temps d'une voiture est du stationnement.

Mme Fabienne Keller, sénatrice, co-rapporteure de l'étude de l'OPECST. - Vous évoquez le sujet du stationnement sur l'espace public. C'est un sujet important au sein des entreprises.

Mme Sandrine Delenne, chef de projet « mobilité du futur », direction de la recherche, de l'innovation et des technologies avancées, PSA Peugeot Citroën. - Les constructeurs automobiles sont force de proposition s'agissant de la mobilité durable, PSA Peugeot Citroën ayant la volonté de proposer un véhicule propre pour chacun. Une innovation, je le rappelle, ne se réduit pas à une invention. Encore faut-elle qu'elle rencontre son marché, des clients, qu'elle soit économiquement viable. Quels leviers actionner ? Réduire les émissions de CO2, c'est travailler sur les chaînes de traction, mais aussi l'allégement, l'aérodynamique, et l'utilisation de matériaux recyclables ou bio-sourcés. Dans les chaînes de traction, nombre de leviers sont à notre disposition - réduction de la cylindrée à puissance équivalente, technologies de stop and start, qui permettent de réduire jusqu'à 15 % les émissions. L'hybridation ? La technologie qu'on propose est puissante, permettant de parcourir de grandes distances. On vient de présenter une technologie inédite, essence et air comprimé, qui s'adresse plutôt à des véhicules type Peugeot 208 ou Citroën C3. Nous travaillons enfin sur l'hybride rechargeable.

Toutes ces innovations doivent rencontrer leur marché, étant entendu que nous sommes force de proposition.

Mme Fabienne Keller. - M. Orfeuil a évoqué une soixantaine de véhicules innovants. Vous en décrivez un certain nombre à votre tour. Dispose-t-on d'une monographie de ces véhicules, monographie qui nous permettrait d'éclaircir le champ des possibles ?

M. Morald Chibout, directeur général d'Autolib'. - En écoutant certains intervenants, j'ai l'impression que la voiture électrique n'existe pas, pas plus que le nouveau système de mobilité. Dois-je rappeler qu'on enregistrera 3 millions de locations d'ici la fin de l'année dans Paris et quarante-sept communes ? Près de 100 000 personnes auront utilisé une voiture électrique. Autolib' existe, ne l'oublions pas. Ce système permet également de vous garer comme vous l'entendez. Les gens, chacun le sait, rencontrent de plus en plus de difficultés financières. La recette moyenne pour un client qui utilise Autolib' pendant un an est de 500 euros, somme pas négligeable. Par ailleurs, chacun sait que le stockage de l'énergie va se poser et qu'il faudra gérer les pointes de capacité. Or, la batterie Borollé existe et n'est pas une utopie. Quant à l'autonomie, Autolib' arrivera à 250 km, réalité intangible. C'est enfin une voiture propre, sans émission de CO2 et d'odeur. Autolib' est une réalité, qui marche. Et c'est un groupe français qui emploie beaucoup de personnes.

Mme Fabienne Keller. - Belle démonstration de marketing...

M. Gabriel Dabi-Schwebel. - Les études mettent rarement en avant les cygnes noirs - les fameux black swans - et les changements. À mon sens, on ne dépassera pas les 1,2 milliard, dans la mesure où la location et l'auto-partage constituent un cygne noir, qui change radicalement le marché de l'automobile. J'ai les moyens de m'acheter une voiture. Cela dit, je ne compte pas en acheter, préférant Autolib' ou d'autres formules. La voiture sans conducteur et la Google Car, en essai, changeront totalement le rapport à la voiture. Qui aura besoin de s'acheter une voiture alors qu'il pourra prendre en auto-partage une voiture qui se conduit toute seule, déplacer sa famille là où il veut, sans attendre des horaires de train ? L'automobile doit être totalement repensée sur cette logique de partage et d'utilisation partagée. Les voitures ne doivent plus être pensées pour séduire un consommateur, mais pour être utilisées à plusieurs, comme des transports en commun individuels. La voiture sans conducteur, c'est demain.

M. Hervé Pichon, délégué aux relations avec les institutions françaises, direction des affaires publiques, PSA Peugeot Citroën. - Permettez-moi de revenir sur les contraintes d'un constructeur automobile. Celui-ci s'adresse à un marché - un marché vaste - à des clients, à des attentes de mobilité totalement différentes. Il doit construire une offre diversifiée, qui doit répondre à un modèle économique viable. Il est donc normal que ce constructeur prenne en compte les besoins de mobilité d'un certain nombre de clients qui ne sont pas forcément des urbains vivant à Paris, là où existe le meilleur maillage de transports en commun dans le monde. D'autres besoins de mobilité doivent être satisfaits, qui correspondent à une aspiration profonde de nos concitoyens, à savoir la liberté d'aller et venir, la fluidité, les échanges, la rupture d'une certaine fracture sociale, liée à l'isolement. Tous ces éléments forgent la viabilité d'un système économique et industriel. Il n'y a pas que l'auto-partage, l'utilisation de la voiture en ville. J'ajoute que j'ai été très sensible aux propos de M. Darniche : il n'y a pas de guerre entre l'automobile et la société, mais une aspiration commune à une mobilité durable et sereine. Toutes les innovations réalisées en matière d'hybridation doivent permettre une nouvelle culture de la conduite, de la convivialité en ville, de la mobilité et de la capacité d'autonomie.

Mme Fabienne Keller. - Nous sommes demandeurs d'études sociologiques ou de typologies qui nous permettraient de mieux cerner les besoins de déplacement.

M. Flavien Neuvy, directeur de l'Observatoire Cetelem de l'automobile. - Si l'on pense la mobilité de demain, on ne peut pas exclure de la réflexion les facteurs qui détermineront le choix des ménages dans leur mobilité quotidienne. Je veux parler du déterminant économique. Cette mobilité se fait sous contrainte économique. Les prévisions à horizon de dix ans montrent que le pouvoir d'achat restera sous tension. Il faut ajouter le poids constant des dépenses contraintes, celles du logement, de l'énergie et de la santé. Dit autrement, les marges de manoeuvre que les ménages pourront consacrer à leur mobilité se réduiront au fil du temps. Cette mobilité sous contrainte économique devra donc être prise en compte dans toutes les propositions. Les nouvelles mobilités sereines et durables ? Elles devront être aussi économiques. Les aides publiques pour le véhicule électrique et l'hybride sont certes très importantes. Mais il faut réfléchir plus largement à toutes les autres modes de mobilité. Comment inciter économiquement tous les ménages à adopter des modes de mobilité sereine et durable ?

M. Jean-Michel Juchet, directeur de la communication de BMW. - Il faut éviter les faux débats. À côté des mobilités collective et individuelle, on voit le développement de l'auto-partage et de formes nouvelles d'utilisation de véhicules individuels. Cette évolution n'exclut pas l'usage classique d'un véhicule, sous forme d'achat ou de location. On assiste à l'émergence de nouvelles offres, de nouvelles attentes, étant entendu qu'on ne saurait substituer la notion d'auto-partage à celle de propriété. Imagine-t-on l'auto-partage d'une maison ?

Mme Fabienne Keller. Il y a la colocation des logements, phénomène qui interpelle.

M. Jean-Michel Juchet. - Pour en revenir à l'usage de l'automobile, il ne faut pas sous-estimer le potentiel de l'électrique. Il trouvera sa place sur le marché par son attractivité. Une voiture électrique doit être sûre, dynamique, compacte. Elle offre d'ailleurs des possibilités d'architecture extraordinaire, une relation entre un gabarit extérieur et une habilité intérieure, que ne propose pas une voiture thermique. À la fin des fins, c'est l'appétence d'une voiture électrique qui déterminera sa position sur le marché. Mais il faudra aussi lever les freins à l'achat d'une voiture électrique, comme celui de l'autonomie, par adjonction d'un petit moteur thermique, pour étendre son usage au-delà des zones urbaines.

Débat

M. Jean-Pierre Orfeuil. - Je veux rappeler quelques ordres de grandeur, pour ne pas en rester à une vision trop centrée sur le septième arrondissement... Au total, 40 % de la population française vit dans des zones peu denses, 40 % dans des zones qui ne sont pas des villes-centres permettant l'émergence de services. Tout ce qui circule au sein d'une agglomération représente 19 % de la circulation automobile, 81 % circulent ailleurs. Les départs en vacances, les grands week-ends ? Ils représentent 35 % du kilométrage en voiture. Un million de locations par an, dit M. Chibout. Mais près de 38 millions de déplacements se font par jour en Ile-de-France. Qui imagine que tous ces actifs iront tous les matins louer une voiture ?... Dans certains territoires, des services pourront se développer rapidement, Autolib' faisant la preuve que circuler dans une voiture utilisée par d'autres est accepté.

S'agissant du business model, tout le monde appelle une collaboration entre les pouvoirs publics et les constructeurs. L'argent public est toujours lorgné. L'intérêt principal des petits véhicules, ce sont les économies de temps qu'ils font réaliser à leur conducteur et à la société. C'est une source de revenu qu'il ne faut pas oublier. La plupart des gens qui roulent en deux roues à Paris considèrent qu'ils peuvent amortir un véhicule supplémentaire par les gains de temps que leur procure leur véhicule. N'oublions donc pas le temps, le confort et l'argent dans le business model. Améliorer la dimension temps nous dispensera de dépenses publiques supplémentaires.

M. Bernard Darniche. - Désir, envie et plaisir : ce sont trois mots fondamentaux dans le modèle économique de notre société. Désir de posséder, envie, plaisir de conduire... Il faut pouvoir en parler. En Allemagne, on ose dire les choses. Que les constructeurs automobiles ne l'oublient pas.

Mme Louise d'Harcourt. - Le véhicule sans chauffeur a été évoqué. Ne confondons pas invention et innovation. À mon sens, il est essentiel d'avoir à l'esprit la problématique de la traduction industrielle des voitures de demain. La voiture sans chauffeur est pour demain, a dit un intervenant. Demain ? Soyons très clairs sur les agendas.

Mme Alexandra Crosseron. - La jeune génération est beaucoup plus sensibilisée à la question de l'environnement. Elle est très sensible au véhicule électrique, aux nouveaux usages et à leur développement. Mais c'est un fait que la dimension du désir, de l'envie et du plaisir se conjugue mal avec le véhicule électrique, car on n'entend plus le ronronnement du moteur.

M. Bernard Darniche. - Je roule dans un véhicule électrique par envie, désir et plaisir. Une fois qu'on a goûté à l'énergie électrique, on ne peut plus s'en passer.

M. Thibaut Moura, Club des voitures écologiques. - Le Mondial de l'Automobile, tous les deux ans, rassemble des jeunes générations et des plus anciennes, preuve qu'il y a toujours une envie de l'automobile. Quant aux autoroutes, les véhicules électriques ou hybrides devaient avoir un avantage comparatif lorsqu'ils y circulent.

Mme Mireille Appel-Muller. - M. Darniche incarne le plaisir de l'hyper choix. Le plaisir, aujourd'hui, c'est de pouvoir avoir accès à la mobilité adéquate, au moment qui convient. L'Institut pour la ville en mouvement a mené une enquête sur la possession et la location, montrant que les plus gros loueurs sont aussi les plus gros propriétaires. L'idée est d'avoir accès à toutes les modalités. Soit il y a hyperchoix, soit pas le choix (notamment du fait de l'absence de permis de conduire).

Mme Fabienne Keller. - C'est-à-dire ?

Mme Mireille Appel-Muller. - Celui qui possède le plus de voitures en loue aussi le plus souvent, prend souvent l'avion et utilisera tous les moyens de transport à sa disposition. Il peut choisir ses modes. Il existe donc un marché potentiel, celui d'offrir différents produits, mais aussi différents services. Certains ont les moyens d'avoir une petite voiture en ville, une grosse pour l'autoroute ; d'autres sont assignés à résidence. Il y a aussi le plaisir de la place arrière. Beaucoup auront de plus en plus besoin de ces services de mobilité : les jeunes, les moins jeunes, ceux qui apportent du service à domicile. On est face à une multiplicité d'usages et d'accompagnements. On a parlé des taxis, les premiers services de mobilité en ville. Sans doute gagnerait-on à penser à tous ces différents usages.

M. Gabriel Dabi-Schwebel. -Les projets d'auto-partage peuvent aussi se faire à la campagne. J'ai ainsi travaillé avec la Région Alsace sur des projets d'auto-partage entre deux agglomérations. Désir, envie et plaisir : rappelons qu'un des rares succès marketing récents dans l'automobile français est celui de Dacia, qui n'a pas repris les codes classiques de l'automobile, au profit de la fonctionnalité et d'une efficacité en termes de coût. C'est un succès très remarquable.

Mme Fabienne Keller. - Quels sont les éléments du succès ?

M. Gabriel Dabi-Schwebel. - Les consommateurs qui ont acheté des Dacia ne cherchent pas que le désir, l'envie et le plaisir, mais la fonctionnalité : une voiture qui offre la possibilité de se déplacer en toute liberté, pour un prix raisonnable, sans excès de superflu, en se concentrant sur l'essentiel : un volant, un levier de vitesse, une pédale d'accélération et de la place pour les bagages. C'est ce qu'offre Dacia.

Mme Virginie Boutueil, École des Ponts Paritech. - Je suis originaire d'un village de 900 habitants. J'ai passé mon permis de conduire à dix-huit ans, et roulé 20 000 km par an par plaisir, pendant mes premières années. J'habite désormais à Paris : j'ai toujours le même plaisir à conduire une automobile, mais je n'en possède pas. Le plaisir, c'est le choix de ne pas attendre un taxi, d'utiliser une voiture quand on en a besoin, la voiture faisant plus de sens que tous les autres modes de transport, ce qu'offre Autolib'. Dans mon village d'origine, la perception de la voiture a changé : le covoiturage s'organise, le coût du carburant étant devenu prohibitif. Il est donc important de faire des typologies lorsqu'on aborde ce type de sujet.

M. Bernard Darniche. - Entrave à la mobilité, dites-vous, qui amène à une assignation à résidence. À force d'avoir cette philosophie de culpabilisation de l'automobile en général et de la mobilité en particulier, on finit par inventer des systèmes fiscaux confiscatoires, culpabilisants intellectuellement, qui amènent à la catastrophe que connaît la France en matière de mobilité.

M. Denis Baupin. - Qu'est-ce qui est le plus efficace en ville ? À Paris, l'usage du transport collectif est largement plus performant que l'usage de l'automobile, ce qui m'amène à poser la question de la forme de l'automobile. Je ne cherche pas à culpabiliser l'usager mais j'interpelle les constructeurs : ce qu'on offre aux consommateurs correspond-il à leurs besoins ? La voiture coûte cher, dites-vous, à cause de la facture du carburant. Dès lors que l'on sait que le prix du carburant ne baissera pas, la question de la consommation du véhicule est un élément entre les mains des constructeurs. Du reste, pourquoi continue-t-on à trouver sur le marché des véhicules dont le compteur va jusqu'à 190 km/h et plus, alors même que la vitesse est limitée à 130 km/h et qu'une telle puissance coûte beaucoup plus cher à l'usager ? C'est prendre en otage beaucoup d'automobilistes, obligés de dépenser beaucoup d'argent pour faire tourner un moteur bien trop puissant par rapport à leur besoin. Je prends la défense de ces automobilistes plutôt que de les culpabiliser.

M. Jean-Michel Juchet. - La puissance est aussi un facteur de sécurité active : dépassement, manoeuvre d'évitement...

M. Jean-Claude Bocquet. - C'est moins la puissance qui compte que le couple, qui fera l'agrément de conduite. Le paradoxe est qu'à vouloir diminuer fortement les consommations, on augmente la vitesse maximale. Or, les constructeurs ne recherchent pas la vitesse maximale, mais le confort de conduite. Pourquoi un véhicule électrique est-il agréable en ville ? Parce que le couple à bas régime est très bon, alors que la puissance est moyenne. L'agilité de conduite en ville est excellente.

Mme Emilie Brénot. - On nous culpabilise sur la voiture à essence. En matière de voiture électrique, de gros efforts doivent être fait sur l'envie, et non sur le besoin. Le Trophée Andros est un bon exemple.

M. Ismaïl Lahlou. - On conduit par plaisir, il ne faut pas l'oublier, pour avoir une sensation de vitesse et de prise de risque.

M. Denis Baupin. - Nous approchons de la conclusion. Je suis pour le plaisir. Mais quel est le coût collectif et individuel de la surpuissance et du plaisir ? Le choix n'est pas vraiment donné aux gens. Quel plaisir d'avoir une puissance qu'on ne peut pas utiliser lorsqu'on conduit l'essentiel du temps en ville ? Quel est le coût en matière de pollution, d'accidentologie ? Tous ces éléments devraient être posés, pour faire un choix éclairé. Est-ce uniquement sur la base des enquêtes d'opinion faites par les constructeurs automobiles que les choix doivent être faits ? Doivent-ils être réalisés plus collectivement ? Y a-t-il une diversité des véhicules proposés en fonction des désirs des uns et des autres ? À mon sens, cette diversité n'existe pas sur le marché. Je suis très heureux de l'existence de la Tweezy. Pourquoi n'occupe-t-elle la même place dans l'imaginaire que d'autres types de véhicule ? Bref, comment, sans perdre le plaisir, l'envie et le désir, faire la promotion d'autres types de véhicules, plus compatibles avec l'intérêt collectif ? C'est l'intérêt de notre rapport

M. Hervé Pichon. - Dans les faits, il existe une très grande offre d'automobiles en Europe. L'offre n'est pas restreinte.

M. Denis Baupin. - Parmi celles-ci, combien sont bridées à 130 km ? Très peu...

M. Hervé Pichon. - C'est un autre débat... N'oubliez pas le marché, la demande des consommateurs.

M. Denis Baupin. - L'offre n'est pas riche, mais calquée sur le même modèle. Vos voitures se ressemblent toutes...

Mme Fabienne Keller. - Pour conclure, après M. Denis Baupin, je soulignerai que nous avons bien entendu les pistes de régulation évoquées par M. Marzloff, relevé la question du défi industriel, du comportement des citoyens, et les questions d'agenda des politiques publiques. Ce sont trois dimensions qu'il faudra rendre cohérentes si l'on veut avancer. Entre soixante et cent vingt véhicules originaux ont été cités : je propose qu'on en établisse le catalogue en France et ailleurs, les pays qui ont moins de moyens que nous trouvant souvent des solutions plus robustes et économes. On a aussi parlé du droit à la mobilité, idée tout à fait intéressante, vrai sujet d'ouverture de la société. Les questions réglementaires ont été évoquées à plusieurs reprises, point qu'il faudra étudier de près, comme ceux qui touchent au droit des voiries et au parking. Il faudra qu'on approfondisse les enjeux de qualité de l'air et de changement climatique, d'envie, de plaisir et de désir. Nous avons enfin évoqué l'intérêt des centrales de mobilité, ces lieux où l'on ferait converger toute l'information. Bref, voilà une grande palette de sujets, que nous aurons à approfondir dans nos prochaines auditions.

Mesdames et messieurs, je vous remercie.

ANNEXES

Annexe 1 : contribution de Mme Danielle Attias, professeure à l'école centrale de paris

Quels sont les besoins en mobilité et comment vont-ils évoluer ?

Sous l'influence de quels facteurs ?

Une certitude: le changement vers l'électro-mobilité sera une véritable révolution.

Penser les besoins de mobilité de demain suppose la prise en compte de nombreux facteurs technologiques, énergétiques, socio-économiques, environnementaux dans un contexte de mutation sociétale qui dépasse largement le champ de l'industrie automobile. Les hypothèses d'évolution de la mobilité sur les vingt prochaines années et la place des véhicules dans le marché sont souvent contradictoires. Au-delà de toutes les incertitudes technologiques et économiques, l'affirmation la plus acceptée est que le développement de l'électro-mobilité va entrainer un bouleversement complet des services de mobilité urbaine pour le déplacement des usagers. La première question posée est celle de la caractérisation de ce changement. S'agit-il d'une évolution du système de la mobilité ? D'un changement de business model technologique et socio-économique ? De l'émergence d'un nouveau paradigme ? À l'évidence, penser la mobilité de demain, c'est penser la ville de demain et le mode de vie futur de ses habitants.

L'analyse des besoins en mobilité doit donc intégrer non seulement la rupture technologique, mais aussi une mutation des usages, des comportements et des positionnements des différents acteurs.

Tout d'abord, parce que le rapport à la voiture change : objet de plaisir et symbole de réussite sociale, la voiture est davantage évaluée aujourd'hui sur son utilité. Ainsi, le budget automobile pèse-t-il de plus en plus lourd pour les ménages (carburant, entretien, assurance) et, dans le même temps, la voiture porte une image négative dans les villes et au regard de l'écologie : encombrement de l'espace, embouteillage, pollution.

Le paradigme industriel défini par les constructeurs de véhicules thermiques destinés, en toute propriété, à des consommateurs de masse, doit être revisité pour mettre en place des stratégies orientées clients. En effet, posséder un véhicule, en particulier dans les grandes villes, n'est plus une nécessité pour se déplacer dans les centres urbains et la périphérie. Des modes alternatifs de mobilité existent (transports en commun, services de co-voiturage, auto-partage, Autolib', etc.) et sont bien intégrés par différentes catégories socio-professionnelles et différentes classes d'âge.

Des études montrent que l'achat d'un véhicule neuf se fait tardivement (autour de 50 ans) et qu'un seul jeune adulte sur trois est propriétaire d'un moyen de déplacement (voiture ou moto ou vélo) ; une autre étude montre également comment le rapport à des objets de consommation « traditionnels » tels la voiture et la télévision change et que la réussite d'un jeune dans des cycles d'études supérieures est en lien avec un milieu familial qui a fait le choix de n'être propriétaire ni d'une voiture ni d'un téléviseur.

Par ailleurs, les problématiques énergétiques contraignantes et la limitation de ressources disponibles abordables s'imposent à tous. Cette prise de conscience ouvre la voie à des choix « citoyens » que ce soit dans les modes alternatifs de mobilité et à des choix industriels dans la motorisation (par exemple, moteur hybride ou électrique).

Cependant, la question de l'acceptabilité par le client de ce nouveau modèle économique et écologique n'est pas si simple et ceci pour de nombreuses raisons. Le véhicule électrique ou hybride ne décolle pas et interroge les conditions et les contextes d'usage des véhicules par les clients ainsi que la technologie proposée. Faut-il repenser l'offre actuelle de véhicules électriques/hybrides en France qui n'a pas encore trouvé son marché ?

En résumé, l'autonomie de déplacement reste un frein (de l'ordre de 100 à 250 kms) car l'usager n'est pas encore suffisamment assuré de la disponibilité des points de recharge pour son véhicule sur son parcours de déplacement, ce qui suppose la participation active des acteurs publics pour la mise en place et la disponibilité d'un réseau électrique très maillé de puissance significative.

Une autre contrainte forte s'impose à l'usager, celle du temps de la recharge (qui peut atteindre 8 h dans le cadre d'une charge maximale) et de la nécessité de coupler cette fonctionnalité avec un système de communication évolué. Ce type d'innovation offre toutes les informations utiles au client : l'état de charge de sa batterie, le trafic, la disponibilité des bornes de recharge, le temps pour effectuer sa recharge, etc. Or, cette innovation « radicale » en transformant l'interface traditionnelle entre la voiture et son usager crée, dans le même temps, une interaction structurelle et systémique entre la ville, l'énergie et l'information.

Annexe 2 : contribution de M. Jean-pierre orfeuil, institut pour la ville en mouvement

Pourquoi faut-il des petits véhicules urbains à forte urbanité ?

Comment les développer ?

La ville est un lieu d'attentes et d'injonctions contradictoires. On souhaite des villes non polluées, aux circulations apaisées, mais aussi des villes denses, vibrantes, multifonctionnelles, lieux de création de richesses et lieux de protection contre le chômage grâce à la diversité des activités et au dynamisme métropolitain. On souhaite diminuer les circulations au nom de l'apaisement ou de consommations d'énergie excessives et faciliter les flux indispensables au dynamisme.

Les travaux de prospective urbaine menés par les étudiants de quinze villes des mondes développé et émergent réunis par l'Institut pour la Ville en mouvement (Urbanisme n° 385) convergent autour d'une attente commune. Ils cherchent à concilier la lenteur et la convivialité (procurée par la domination de modes doux dans l'espace public local) dans des « villages urbains », reliés entre eux par des systèmes plus rapides, la plupart du temps collectifs.

On a cru trouver une solution en incitant au report de la voiture vers les transports collectifs. Cette solution « marche » quand la performance des transports publics (notamment en termes de temps de parcours) est comparable à celle de la voiture, ce qui est parfois le cas (lorsque les systèmes ne font pas trop de « cabotage ») pour les déplacements à destination des centres, ce qui est rarement le cas pour les déplacements entre banlieues, de plus en plus nombreux. En outre, même à destination des centres, on observe un développement notable d'autres modes, dont les vélos et les deux-roues à moteur lorsque les circulations en voiture et le stationnement deviennent plus difficiles. Leur part dans les déplacements a été multipliée par 5 à Paris en 15 ans, et a presque doublé dans les villes grandes villes en région. Les ventes de vélos à assistance électrique ont plus que doublé en 4 ans, mais notre pays reste loin derrière les Pays-Bas et surtout la Chine (20 millions de ventes annuelles dans ce pays). Le développement de l'usage de ces moyens a l'intérêt de signaler les besoins d'autonomie des individus et un certain détachement à l'égard de la voiture. Si l'on admet que l'action publique réussit d'autant mieux qu'elle surfe sur des attentes ou des vagues comportementales spontanées, on a là des éléments très favorables au développement de véhicules beaucoup plus légers et moins encombrants que des voitures en ville, qui ne présenteraient ni les limites des vélos (adaptés seulement aux déplacements courts), ni celles des scooters et motos (dangereux et nuisants)

Les constructeurs de véhicules sont conscients de cette situation, et une étude de Frost et Sullivan recense pas moins de 135 projets de véhicules adaptés aux « micromobilités » (mobilités urbaines) à horizon 2020, dont 110 chez les grands constructeurs et près de 60 disponibles dès 2015. Ils sont toujours moins encombrants, en circulation et en stationnement, que la voiture, la plupart du temps mus à l'électricité, mais ont de une à quatre roues et des vitesses de pointe assez différenciées. Une étude de mobilité effectuée sur l'Île-de-France (Massot et coll., 2010) visant à identifier les ordres de grandeur des potentiel d'usage de l'automobile substituables par des moyens ayant des caractéristiques proches de celles des scooters électriques, et de portée limitée à 30 km par jour donne par ailleurs des résultats encourageants. Techniquement (c'est-à-dire sans considérations économiques), les deux tiers des automobilistes (à l'origine d'un tiers des circulations automobiles) pourraient réaliser leurs déplacements avec ces véhicules. Par comparaison, les potentiels correspondants pour le vélo sont estimés à 20 % des individus et 5 % des circulations. Les possibilités de substitution des circulations automobiles par des vélos à assistance électrique et des cyclomoteurs électriques se situeraient entre 5 et 30 %, tandis que des véhicules électriques à 3 ou 4 roues, mais toujours de faible largeur, pourraient présenter un potentiel plus élevé car leur portée (limitée pour les véhicules à deux roues par l'inconfort de la situation de conduite) pourrait excéder 30 km par jour. Lorsqu'on intègre des considérations économiques (dont les surcoûts d'amortissement), le potentiel de réduction des circulations chute d'un tiers à un cinquième environ. Il peut être restauré si des politiques de stationnement (certitude d'avoir à payer un ou deux euros de l'heure) et de réparation renchérissent sélectivement le coût d'usage de la voiture.

Malgré ces éléments favorables, ces véhicules ont un autre point commun que n'évoque pas l'étude citée : ils sont condamnés à l'échec commercial, malgré leur intérêt pour les mobilités urbaines, si des politiques publiques ambitieuses ne sont pas mises en oeuvre. Quatre raisons au moins expliquent ce pessimisme. La diversité des propositions impliquera le maintien de prix élevés du fait de séries insuffisantes. Ces prix inciteront les ménages à conserver l'usage de voitures généralistes, dont le coût est « rentabilisé » par la superposition d'usages urbains et d'usages à plus longue distance, car les économies de carburant ne suffisent pas à équilibrer les surcoûts liés à un véhicule supplémentaire. Dans ces conditions, les filières d'entretien et de réparation ne s'y intéresseront pas ; enfin, leurs moindres performances en termes de protection de leurs usagers constitueront un facteur dissuasif supplémentaire si des politiques actives de sécurité routière adaptées à ces usagers ne sont pas mises en oeuvre localement par les collectivités.

Ces observations montrent que des offres alléchantes, bien qu'elles soient en phase avec les attentes des usagers et des collectivités publiques, ne suffiront pas à faire émerger un marché autre que de niche. Seule une politique publique ambitieuse dans ses objectifs, tout en restant modérée dans les moyens financiers mis en oeuvre, nous paraît pouvoir faire émerger un marché de masse. En nous inspirant de ce qui a été conduit par La Poste, nous l'esquissons ci-dessous.

Les responsables des grandes villes et grandes régions métropolitaines d'Europe se réunissent pour concevoir le cahier des charges d'un appel d'offre pour des « petits véhicules à forte urbanité », à soumettre aux industriels européens de l'automobile, des motocycles et des cycles. Les caractéristiques de base sont les suivantes : une ou deux places, une largeur et un poids nettement moindres que les citadines classiques, une propulsion électrique, une vitesse de pointe limitée à 60-70 km/h. Des caractéristiques légèrement différentes peuvent être adoptées pour des véhicules adaptés aux livraisons urbaines de proximité, la « logistique du dernier kilomètre ». Le cahier des charges est accompagné de l'énoncé d'une politique d'engagements d'achats annuels, limitée dans le temps, par ces collectivités. Les réponses des constructeurs portent sur les caractéristiques techniques des véhicules, les prix en fonction des volumes d'achat, les engagements en matière de service après-vente. Les collectivités sélectionnent un petit nombre d'offres pour favoriser les effets de série. Les véhicules qu'elles achètent peuvent être utilisés par leurs services, proposés en libre-service à leurs administrés, loués au mois ou en location de longue durée, ou vendus. Elles conçoivent un écosystème favorable à leur usage et à sa sécurité (exploitation routière orientée « circulation apaisée » et stationnement, réseau d'entretien et de réparation) et « sévérisent » progressivement l'usage de la voiture (stationnement par exemple). Elles s'assurent que les grands gestionnaires de parcs de stationnement privé (employeurs, grand commerce, parcs de rabattement) offrent des priorités d'usage, et demandent à l'état un soutien dérivé de celui pour voitures électriques. À cette fin, elles organisent un forum permanent des utilisateurs pour tout ce qui concerne les problèmes techniques liés aux véhicules, et surtout pour adapter la gestion du réseau viaire, notamment du point de vue de la sécurité, à ces nouveaux véhicules.

Références :

- Dossier « La fabrique du mouvement », revue Urbanisme, n° 385, été 2012 ;

- Frost et Sullivan, 20 mars 2012, Passenger Car OEMs to Offer Next-Gen Sustainable Commutes via Micro-Mobility Solutions ;

- Massot M.H., Orfeuil J.P., Proulhac L., 2010, Quels marchés pour quels véhicules urbains, TEC n° 205, 2010.

Annexe 3 : contribution de m. Jean-Claude Bocquet, professeur à l'école centrale de paris

Quelle est la vision des besoins de mobilité selon l'industrie ?

À quels autres besoins répond-elle ?

Deux constats :

Aujourd'hui, 25 % des adultes, des « conducteurs » ont plus de 65 ans (à horizon 2050, ils seront de l'ordre de 50 %).

Bientôt 80 % des personnes habiteront les villes :

- ils consommeront dans les villes (besoin d'approvisionnement croissant des villes) ;

- la disponibilité des surfaces habitables va poser problème (problème d'emprise des surfaces de parking) ;

- l'évolution du prix des parkings suit celui des logements (problème d'accès au logement).

Les besoins en termes de mobilité ne peuvent aller qu'en croissant (principalement dans les villes).

Deux scénarios :

Sur le court terme : continuer à développer l'hybride (y compris hydrogène) pour une autonomie inter villes et un déplacement électrique en ville mais avec un gros effort de recherche sur les structures véhicule pour une réduction drastique des masses (une 405 faisait 1 000 kg, une C5 1 700 kg, aujourd'hui, un moteur moderne et des pneus modernes sur l'équivalent d'une AX d'antan donnerait de suite des consommations inférieures à 2 litres aux 100 km) et une modularité (adaptabilité au besoin : roue intégrée Michelin).

Sur le long terme : développer l'hydrogène (pile à combustible) pour les déplacements inter villes et en parallèle le tout électrique sans conducteur en ville :

Les voitures de ville sans conducteur :

- pourront être appelées par internet en bas de chez soi pour une adresse choisie dans la ville où en périphérie pour prise d'un véhicule inter villes ;

- permettront, durant la mobilité, de ne rien piloter et contrôler, donc d'être disponible pour tout autre activité à l'intérieur du véhicule ;

- autogèreront leur énergie (rechargement...), leur besoin de maintenance ;

- seront des véhicules ultralégers (de 1 à 4 places, voire d'utilitaires) n'ayant pas à résister à un choc (parc homogène à une ville de véhicules communiquant) ;

- auront très peu d'emprise foncière dans la ville (seul e occupation des voies de circulation en fonction des flux circulants), leur stationnement se fera en périphérie des villes en attente de circulation.

Annexe 4 : contribution de M. Alain Meyere, directeur du departement mobilite et transports de l'institut d'amenagement et d'urbanisme IDF

Automobile et route en Île-de France :

le « peak-car » est-il derrière nous ?

Cette présentation a pour but de mettre en lumière et de quantifier un grand changement de tendance qui s'est opéré récemment dans le domaine de la mobilité : « le peak car ». C'est-à-dire que l'utilisation par individu de l'automobile aurait atteint son maximum et commencerait maintenant à décroître.

Pour quantifier ce changement, il a été choisi de comptabiliser le nombre de déplacements par personne et par jour car cela permet de mieux rendre compte des activités humaines. En effet, le principal intérêt du transport est bien de rendre possible des interactions entre êtres humains : travail, loisir, commerce... On comprend donc que le nombre de déplacement par personne est une variable qu'il faut maximiser pour enrichir la vie des citoyens. Ce n'est pas forcément le cas pour d'autres variables telles que le nombre de kilomètres quotidien et le temps passé dans les transports.

À l'application de cette méthode, un premier constat nous frappe : Depuis 2001, la part modale de la voiture en Ile de France diminue au profit des transports en commun, des deux roues et surtout de la marche. La voiture jusqu'alors en constante progression semble donc en recul. Certains argumenteront que cette diminution d'usage est due principalement aux changements de comportement de quelques franges de la société et ne reflètent pas la réalité d'un certain nombre de citoyens. Nous allons ici prouver le contraire.

Tout d'abord par type d'activité : On constate que la mobilité automobile diminue bien pour la population en générale et pour tous les types à l'exception des retraités. Des jeunes aux actifs seniors, tout le monde semble avoir réduit son utilisation de l'automobile.

L'exception des retraités peut s'expliquer par un effet générationnel. Les personnes âgées font partie d'une génération qui a toujours utilisé l'automobile durant sa période d'activité et ne changera pas ses habitudes une fois à la retraite. À l'inverse, les jeunes semblent moins désireux de conduire une automobile que ne l'étaient les retraités durant leur jeunesse. Il faut néanmoins nuancer cet avis car la plus faible part de jeunes détenant le permis de conduire peut s'expliquer par des difficultés financières, véritable barrière à l'accès au permis.

Enfin, le peak-car n'est pas non plus uniquement dû à des comportements urbains. Nous constatons ici que toutes les zones d'Ile de France voient la part de la voiture se tasser. Le peak-car est donc une réalité qui nous affecte tous : la voiture semble de moins en moins attractive comparée aux autres modes de transports et nos habitudes s'y adaptent.

En conclusion, on peut citer les nombreux projets urbains en cours de réalisation qui témoignent du transfert modal qui s'opère au détriment de la voiture et viennent renforcer l'analyse que nous tirons des chiffres précédents: réaménagement des voies sur berge rive droite, le réaménagement du boulevard circulaire à la défense ou le projet de transformation de l'autoroute A4 en avenue.

Cette transformation profonde et inédite de la manière dont nous nous déplaçons est internationale et doit être prise en compte tant par les constructeurs que par les élus locaux. Les uns devant se poser la question de vendre de la mobilité plutôt que des véhicules et les autres de repenser leurs politiques d'aménagement du territoire.