Mercredi 27 mars 2013

 - Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de Mme Françoise Lasne, directrice du département des analyses de l'Agence française de lutte contre le dopage

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Françoise Lasne prête serment.

Mme Françoise Lasne. - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les sénateurs, mon exposé introductif sera bref. Il me permettra de me présenter et de vous présenter également le département des analyses de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Je terminerai par un éclaircissement à propos de la contribution du département des analyses dans le cadre de l'affaire Armstrong.

Je suis médecin et biologiste. Cela fait dix-neuf ans que je travaille dans le contexte du contrôle antidopage. C'est en effet en 1994, alors que je travaillais au sein des Hospices civils de Lyon, que j'ai commencé à m'intéresser à l'érythropoïétine (EPO). C'est à Lyon que j'ai conçu et mis au point la plus grande partie du test permettant de détecter le dopage à l'EPO.

En 1998, j'ai été recrutée par le Laboratoire national de détection du dopage (LNDD), dont le directeur était le Professeur Jacques de Ceaurriz, en tant que biologiste, le laboratoire ayant besoin d'un biologiste pour valider des analyses faites sur des échantillons sanguins prélevés et analysés à bord d'une unité mobile. Celle-ci a eu une durée de vie assez courte et m'a permis de mettre en place une section de biologie au sein du LNDD.

Grâce à la confiance de M. de Ceaurriz, j'ai pu terminer la mise au point du test EPO ; celui-ci a été validé par le Comité international olympique (CIO) à la veille des Jeux olympiques de Sydney, le 1er août 2000.

En 2010, à la suite du décès du professeur de Ceaurriz, j'ai été nommée directeur par intérim du laboratoire, puis directeur du LNDD, devenu le département des analyses de l'AFLD.

Ce laboratoire comporte trois sections, une section biologie -que j'ai souhaité diriger- une section chimie, dont deux de mes collaboratrices, Nathalie Mechin et Corinne Buisson, sont les responsables, et une section paratechnique, que gère ma collaboratrice, Adeline Molina, qui est par ailleurs une adjointe très efficace de la direction ainsi que la responsable de la mission qualité du laboratoire.

Le laboratoire est l'un des trente-cinq laboratoires à travers le monde accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA). À ce titre, il se doit d'être également accrédité par le Comité français d'accréditation (COFRAC). La mission qualité est donc très importante au sein du laboratoire. Elle intervient pour toutes les opérations qui y sont réalisées ; elle permet d'assurer et de démontrer que tout ce qui est fait à l'intérieur est réalisé dans le respect des règles imposées par l'AMA et par la norme 17-025 du COFRAC.

J'ai compris que l'affaire Armstrong et le rapport de l'Agence américaine antidopage (USADA) ont motivé la création de votre commission d'enquête. Ce rapport étant très volumineux, je voudrais faire ressortir la contribution du département des analyses à la démonstration du dopage de Lance Armstrong...

Le rapport de l'USADA repose en grande partie sur des témoignages. L'un deux, qui est pour moi un témoignage clé, émane de Floyd Landis. Je ne pense pas que Floyd Landis ait témoigné contre Lance Armstrong si lui-même n'avait pas été préalablement convaincu de dopage. Or, c'est le laboratoire français qui a apporté la preuve du dopage de Floyd Landis, en démontrant la présence de testostérone exogène dans un prélèvement urinaire, effectué à la fin du Tour de France de 2006.

Par ailleurs, c'est encore le laboratoire français qui a émis le seul rapport d'analyse positif à l'encontre de Lance Armstrong, démontrant la présence d'un corticoïde, la triamcinolone acetonide, dans un prélèvement urinaire réalisé au début du Tour de France de 1999.

Enfin, c'est encore le laboratoire français qui a démontré, non sur le plan du contrôle antidopage, mais dans le contexte d'un projet de recherche, que six échantillons prélevés chez Lance Armstrong, lors du Tour de France de 1999, démontraient la présence d'EPO recombinante.

M. Bordry, lors de son audition par votre commission d'enquête, a suggéré de m'interroger à propos des résultats des analyses des Tour de France de 1998 et 1999. Il faut en effet bien préciser que les échantillons de Lance Armstrong étaient loin d'être les seuls positifs à l'EPO recombinante. J'ai donc apporté les résultats de ces analyses et suis à votre disposition pour vous les communiquer, si vous le souhaitez...

Tous les éléments que je viens d'énumérer ont été transmis, dans le cadre de mon audition par Interpol, à la commission d'enquête américaine, en présence de Jeff Novitzky, Doug Miller, procureur californien, et Travis Tygart, directeur de l'USADA.

À la suite de cette audition, le laboratoire a d'ailleurs fourni un grand nombre de pièces à la justice américaine, dont l'enquête a été relayée en 2012 par l'USADA.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. La parole est au rapporteur...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous vous êtes occupée de la détection de l'EPO bien avant que vous n'interveniez dans un cadre en lien avec la lutte antidopage, avant que le CPLD et l'AFLD n'existent. Pourquoi vous êtes-vous donc intéressée à l'EPO ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous faire connaître les éléments essentiels concernant les conclusions et préconisations du rapport d'audit rendu au sujet du laboratoire de Châtenay-Malabry ?

Mme Françoise Lasne. - Votre deuxième question m'embarrasse quelque peu. Nous y reviendrons après...

En ce qui concerne mon parcours professionnel, je travaillais à l'hôpital Edouard Herriot de Lyon ; le directeur de laboratoire de biochimie qui m'employait s'intéressait depuis fort longtemps au problème de la détection de l'EPO. C'est un sujet qu'il confiait régulièrement à des internes en pharmacie. Ceux-ci restant toutefois peu de temps en poste à l'hôpital, les choses ne progressaient pas. Le sujet m'a été confié un beau jour, et je me suis lancée dans cette exploration, avec beaucoup d'enthousiasme. Je pensais que le travail serait vite achevé ; au bout du compte, il m'aura fallu six ans pour le mettre au point !

S'agissant du rapport d'audit, j'ai dit que votre question m'embarrassait. Je ne sais si j'ai le droit de manifester mon mécontentement, mais je tiens cependant à dire que je ne considère pas cet audit comme un bon travail. La société a mal analysé la situation ; son rapport comporte de très nombreuses erreurs. Les seuls éléments qui se révèlent exacts lui ont finalement été fournis directement par laboratoire ! J'ai d'ailleurs fait connaître mon sentiment à cette société.

En résumé, les seules conclusions que je partage concernent la nécessité d'améliorer l'organisation de notre laboratoire. En effet, selon un article du code du sport français, c'est le laboratoire qui gère le matériel de prélèvement utilisé par les préleveurs missionnés par le département des contrôles. Je suis d'accord avec la société pour reconnaître que cette organisation n'est pas rationnelle. Il conviendrait que ce soit le département des contrôles qui s'occupe de cette tâche, afin d'éviter les complications et les erreurs.

Du point de vue légal, cela peut générer des risques de non-confidentialité des missions confiées aux préleveurs. Au pire, on pourrait redouter que l'anonymat des athlètes testés ne soit pas respecté. Je sais que cela suppose toutefois des modifications du code du sport...

M. Jean-François Humbert, président. - Selon vous, y aurait-il lieu de procéder à nouveau à de nouvelles analyses pour éviter les difficultés que vous avez cru déceler ?

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pouvez-vous nous fournir ce rapport ?

Mme Françoise Lasne. - Il faut le demander à l'Agence. Je pense qu'elle vous le fournira, si vous en faites la demande.

Est-ce utile de prévoir un autre audit ? Je n'en suis pas persuadée. Je pense que le laboratoire, mis à part le problème que je viens de relever, est bien organisé et bien équipé. Je ne suis pas opposée à un second audit -bien que la première expérience m'ait quelque peu échaudée- mais je n'irai pas jusqu'à le provoquer.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Iriez-vous jusqu'à préconiser une scission entre l'Agence et le laboratoire ? Comment voyez-vous les relations entre le laboratoire, les universités, le CNRS ou l'INSERM ? Pensez-vous qu'il soit opportun de se rapprocher de ce type d'instances ?

Mme Françoise Lasne. - L'un n'empêche pas l'autre. Nous pouvons rester attachés à l'AFLD d'un point de vue administratif, tout en engageant des collaborations avec l'université. J'ai préparé un dossier évoquant les problèmes qui se posent à notre laboratoire et les solutions qu'il serait possible d'envisager. Parmi elles figurent des collaborations avec les universités ou l'INSERM. Nous avons d'ailleurs déjà collaboré avec cette dernière, dans le cadre de l'exploration du dopage génétique.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelles sont les menaces qui existent dans ce dernier domaine ?

Mme Françoise Lasne. - Je ne sais si elles sont réelles. Cela reste un peu de la science-fiction mais, d'un autre côté, il est vrai que les sportifs qui ont l'intention de se doper sont prêts à faire n'importe quoi. Personnellement, je n'aimerais pas essayer sur moi-même ; mais il faut déjà envisager l'utilisation du dopage génétique.

Notre collaboration avec l'INSERM nous a précisément permis d'explorer le dopage génétique à l'EPO. Nous avons pu ainsi analyser des échantillons, après transfection du gène de l'EPO in vivo dans des cellules musculaires. Nous avons été tout à fait rassurés lorsque nous avons vu que celle-ci était très facilement différenciable de l'EPO naturelle du macaque. Il s'agissait bien entendu d'une expérimentation animale.

Nous avons également exploré le dopage génétique dans d'autres modèles, en particulier les transfections ex vivo d'hépatocytes ensuite réinjectés au macaque. Là encore, l'EPO produite était totalement différenciable de l'EPO naturelle.

M. Jean-François Humbert, président. - La parole est aux commissaires...

M. Alain Dufaut. - J'ai eu le privilège, il y a une quinzaine d'années, de visiter le laboratoire de Châtenay-Malabry avec une délégation de la commission des affaires culturelles. Tout n'était pas parfait et nous avions signalé toutes sortes de points qui ont dû être améliorés depuis. Il serait intéressant que notre commission s'y déplace un jour...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - C'est prévu...

M. Alain Dufaut. - Par ailleurs, quelle est la durée de conservation des prélèvements ? Il peut être intéressant que les sportifs sachent qu'ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête. La technologie évolue-t-elle en ce domaine ?

D'autre part, pouvez-vous nous en dire plus à propos de la tentative d'intrusion informatique qu'a essuyée le laboratoire ? Qui en est à l'origine ?

Mme Françoise Lasne. - La conservation des échantillons ne pose pas de problèmes scientifiques. Nous les conservons en effet congelés. Beaucoup de molécules ne sont pas fragiles. C'est le cas de l'EPO, qui est une protéine. Le fait que l'échantillon soit congelé dans de bonnes conditions permet de conserver l'EPO, si celle-ci est présente au départ. Cela pose toutefois un problème de stockage, qui représente un coût.

L'AMA nous impose de conserver tous les échantillons trois mois au minimum, qu'ils soient positifs ou non. À la demande de certaines autorités de contrôle, on peut en garder certains jusqu'à huit ans. L'AMA prévoit d'allonger ce délai jusqu'à dix ans. Il faut donc prévoir des capacités de stockage en fonction de leur nombre.

Quant au piratage, il a eu lieu dans le cadre de l'affaire Floyd Landis, qui a très longtemps nié son dopage. Nous avons en fait été alertés par nos collègues de Montréal, qui ont reçu des documents piratés en provenance de notre laboratoire.

Le but de ce piratage était de démontrer que notre laboratoire pouvait faire des erreurs. Le pirate s'était procuré des documents de secrétariat correspondant à des rapports d'analyses dans lesquels s'étaient glissées quelques erreurs de dates ou de numéros : le laboratoire français commettant des erreurs, il s'était donc trompé au sujet des analyses de Floyd Landis, et ce dernier était innocent !

Les enquêteurs ont réussi à identifier le pirate, le même que celui qui avait piraté Greenpeace. Il aurait été missionné par Arnie Baker, proche de Floyd Landis, qui organisait des conférences dans toutes les universités américaines pour faire signer des pétitions appelant à défendre Floyd Landis et démolissant nos analyses. Cet épisode malheureux a servi de leçon au laboratoire. Nous avons pris depuis toutes les mesures nécessaires pour que cela ne se reproduise pas.

M. Jean-Claude Carle. - Vos contrôles concernent-ils que les cyclistes ? D'autres sportifs sont-ils contrôlés ? Quels sont les sports concernés ?

Vous nous avez dit procéder dans le strict respect de l'anonymat des échantillons, mais qui fait le lien entre le numéro de l'échantillon et son propriétaire ?

Enfin, vous avez un statut qui devrait vous conférer une totale indépendance. Celle-ci est-elle effective ou vous est-il arrivé de subir des pressions de fédérations, d'organisateurs d'épreuves, voire de certains États, afin que vos résultats ne soient pas publiés ?

Mme Françoise Lasne. - Les contrôles ne concernent pas que les cyclistes. Le contrôle antidopage est très vaste et s'adresse à toutes les disciplines sportives. Certes, le nombre de contrôles effectués est assez disparate selon les disciplines. Je me suis amusée récemment à évaluer le pourcentage d'échantillons positifs par sport. Il est vrai que le cyclisme est le sport le plus contrôlé.

Si l'on ramène le nombre d'échantillons positifs au nombre de contrôles effectués, le cyclisme ne vient toutefois pas en tête de liste...

M. Jean-Claude Carle. - Quel sport vient en tête ?

Mme Françoise Lasne. - Je ne citerai pas les sports en tête de liste pour lesquels trop peu de contrôles ont été effectués car cela n'a pas de signification statistique. Je me suis intéressée aux sports pour lesquels nous avons plus de 400 analyses, certains sportifs pouvant avoir été testés plusieurs fois.

Huit disciplines sportives correspondent à ce minimum de 400 échantillons analysés. Si l'on tient compte de toutes les substances qui figurent sur la liste des produits interdits par l'AMA, le sport qui donne le plus fort pourcentage positif est le rugby ; vient ensuite le football. En troisième position, on trouve l'athlétisme ; en quatrième, le triathlon ; en cinquième, le basketball ; en sixième, le cyclisme ; en septième, le handball et, en huitième, la natation.

Cependant, la substance dopante la plus rencontrée dans nos analyses est le cannabis.

J'ai également fait le calcul des pourcentages de positivité hors cannabis...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pourrez-vous nous transmettre ces chiffres ?

Mme Françoise Lasne. - Bien sûr ! Si l'on ne tient pas compte du cannabis, on trouve le rugby en tête de liste ; vient ensuite l'athlétisme et le triathlon, puis le cyclisme, les cyclistes n'utilisant pas de cannabis. Derrière le cyclisme, nous trouvons la natation, le football, le basketball et le handball.

M. Jean-Claude Carle. - Pourquoi retirer le cannabis ?

Mme Françoise Lasne. - C'est un dopant indirect, dans la mesure où il désinhibe et permet une certaine relation. Cela n'améliore pas directement la performance.

M. Jean-Claude Carle. - Qui établit les recoupements ?

Mme Françoise Lasne. - Ce n'est évidemment pas le laboratoire mais l'autorité de contrôle qui possède tous les feuillets de procès-verbaux. Le procès-verbal de contrôle antidopage est composé de plusieurs feuillets. Celui destiné au laboratoire comporte des plages noircies, afin qu'on n'ait pas connaissance de l'identité du sportif.

Enfin, l'AMA impose que les laboratoires soient indépendants des organisations antidopage. Cependant, l'AMA est parfaitement informée de notre situation et notre rattachement administratif ne semble pas poser problème.

Nous n'avons jamais subi de pressions des fédérations, et aucun sportif -que nous rencontrons parfois au laboratoire, lors de contre-expertises- n'a tenté de nous corrompre. Je sais que c'est arrivé dans d'autres pays, mais nous n'avons pas été confrontés à cette situation.

M. Alain Néri. - Chacun se plaît à reconnaître l'efficacité de votre laboratoire et de votre équipe. Vous dites que le classement des disciplines les plus contaminées par le dopage n'est pas forcément celui qui semble ressortir de votre exposé liminaire, durant lequel vous avez uniquement parlé du cyclisme.

Je suis très heureux du classement que vous venez de nous communiquer : il faut que nous le popularisions, en rappelant que toutes les disciplines sportives sont concernées ! On a même vu des contrôles positifs au billard !

D'autre part, certaines disciplines sont plus contrôlées que d'autres ; or, plus on cherche et plus on trouve... Je souhaite donc que les choses soient bien précisées -et je pense que le rapport le précisera...

Par ailleurs, selon vous, le cannabis n'améliore pas la performance. Si tel était le cas, pourquoi en prendrait-on ? Chacun sait que l'action du cannabis permet d'être plus décontracté : ce peut être un facteur d'amélioration de la performance...

Enfin, combien d'analyses réalisez-vous pour chaque discipline sportive ?

Mme Françoise Lasne. - Je suis d'accord avec vous : le cannabis peut jouer sur la performance. C'est pourquoi j'ai présenté les deux classements, avec et sans cannabis. Je pensais qu'il pourrait être intéressant d'établir une comparaison. Ceci démontre déjà que les cyclistes ne consomment pas de cannabis.

Par ailleurs, le sport le plus contrôlé est le cyclisme. Nous avons reçu au total en 2012, 1 812 échantillons. Viennent ensuite l'athlétisme, avec 1 164 échantillons, puis le rugby, avec 588 échantillons, le football -548-, le handball -452-, le triathlon -433-, la natation -418-, et le basketball, -394.

M. Alain Néri. - S'agit-il d'échantillons prélevés au moment de la compétition ou lors de contrôles inopinés ? Tous les sports ne sont pas traités de la même façon en la matière, certaines fédérations et certains sportifs refusant ces contrôles inopinés. Or, ceux qui s'intéressent au dopage savent que c'est surtout à ce moment que l'on peut faire des découvertes intéressantes...

Mme Françoise Lasne. - Certains prélèvements sont faits en compétition et d'autres hors compétition. Nous avons bien entendu connaissance du nombre d'échantillons par discipline prélevés dans les deux cas. Je puis vous transmettre ces documents...

M. Jean-François Humbert, président. - Cela nous aidera en effet beaucoup.

M. Michel Savin. - Établissez-vous un lien entre ces contrôles positifs et le passage au professionnalisme de certaines disciplines, comme le rugby, par exemple ?

Mme Françoise Lasne. - Je n'en ai pas la preuve. Je ne me suis pas intéressée à l'aspect que vous évoquez. Il est fort possible que plus on est soumis à un rythme important d'entraînements et de matchs, plus il est difficile d'en supporter la charge physique, et plus on aura alors tendance à utiliser des substances dopantes.

Il faut bien avoir conscience que le dopage commence à un niveau beaucoup plus bas. Je pense qu'il faudrait mettre en place davantage de contrôles antidopage chez les très jeunes. Nos collègues suisses se sont intéressés au dopage des très jeunes sportifs en milieu amateur. Ils m'ont dit avoir été effarés et avoir arrêté les contrôles tant il y avait de cas positifs.

M. Jean-François Humbert, président. - J'informe les membres de la commission d'enquête que la visite du laboratoire de Châtenay-Malabry se fera, sauf changement, le mardi 16 avril prochain. Nous partirons du Sénat, à 14 heures.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - En 2005, votre laboratoire a décidé, pour des raisons scientifiques, de tester à nouveau les échantillons prélevés pendant les Tours de France de 1998 et de 1999.

La presse, ayant réussi à obtenir les résultats, a également réussi à faire le rapprochement avec un contrôle de Lance Armstrong, grâce à la comparaison des procès-verbaux de prélèvement. Un rapport à charge a été publié contre le laboratoire, commandé par l'UCI. Avez-vous alors senti un véritable soutien de la part des autorités françaises ? Avez-vous eu vous-même sous les yeux les procès-verbaux des prélèvements permettant de faire le lien avec certains sportifs ?

D'autre part, les moyens actuels du laboratoire sont-ils à vos yeux suffisants ? Sont-ils comparables aux laboratoires identiques de l'Union européenne ? Pensez-vous qu'il serait bon de procéder ou non à un de rattrapage financier afin de vous donner davantage de moyens de fonctionnement ?

Mme Françoise Lasne. - Il est vrai que nous avons eu à répondre à une enquête diligentée par l'UCI qui a donné lieu au rapport Vriejman. Nous avons été assez déçus par cette enquête. Nous nous attendions à des questions sur la valeur scientifique de nos résultats ; tel n'était pas le but puisqu'il s'agissait de savoir comment les résultats avaient pu être publiés dans la presse et de démontrer que nous n'avions pas le droit de réaliser ces analyses.

Avons-nous été soutenus par les autorités publiques ? Je suis bien incapable de vous le dire ! Nous avons fait notre travail... Nous avons répondu à l'enquêteur et avons été critiqués par l'enquête. Nous nous sommes débrouillés par nous-mêmes.

Concernant les investissements, je pense que notre laboratoire est bien équipé. Le nombre de personnes qui travaillent au sein du laboratoire est maintenant suffisant -43 personnes, dont 30 employées à la réalisation, l'interprétation des résultats d'analyse, ou à la recherche, qui constitue l'une des missions de notre laboratoire.

L'équipement a connu un grand essor lors de l'arrivée de M. de Ceaurriz, à la fin des années 1990 ; vers 2010, l'AFLD a su entendre nos besoins. Nous avions pris quelque retard dans la validation de certaines méthodes. Pour répondre aux exigences croissantes de l'AMA, nous devons disposer d'appareils de plus en plus sensibles ; l'AFLD a donc répondu favorablement à notre demande. Depuis 2010, notre équipement a bien progressé.

Il nous reste quand même à acquérir un spectromètre de masse de haute résolution, afin d'améliorer encore la détection de certaines substances, comme les peptides de la catégorie S2, qui figurent sur la liste des substances interdites. Cela nécessite un certain budget, le prix de cet appareil étant d'environ 300 000 euros...

M. Dominique Bailly. - Existe-t-il des méthodes que vos moyens ne vous permettent pas de déceler ? En avez-vous connaissance ?

Mme Françoise Lasne. - Pas forcément...

Le grand défi lancé à la détection du dopage reste l'autotransfusion. Il n'existe pas de méthode permettant de la détecter.

Notre laboratoire a réfléchi à une approche possible, mais celle-ci se heurte à des difficultés d'obtention de certains anticorps. Pour l'instant, la méthode n'a donc pas abouti.

Lors de son audition, le professeur Audran vous a expliqué que, jusqu'à il y a quelques années, le dopage détournait essentiellement les médicaments, mais que la situation était aujourd'hui plus préoccupante, du fait du recours à des substances fabriquées spécifiquement en vue du dopage. Rappelez-vous de l'affaire Balco et du tétrahydrogestrinone (THG), cette molécule synthétisée dans le but spécifique du dopage.

Or, nous ne détectons que ce que nous recherchons. N'étant pas informés de l'existence de cette substance, nous ne la recherchions pas. Il a fallu que nous en apprenions l'existence par une dénonciation d'un entraîneur. Certains sites Internet proposent des molécules à des fins de dopage dans certaines disciplines sportives.

Les publications scientifiques du laboratoire de Cologne expliquent que c'est souvent à la suite de saisie des douanes ou d'autorités policières qu'ils ont eu connaissance de nouveaux produits pouvant être utilisés dans le cadre du dopage. Il ne s'agit pas de médicaments. Je souhaiterais que l'on puisse parvenir à la même chose en France et que le laboratoire puisse bénéficier des saisies.

En ce qui concerne les médicaments, la situation est plus facile : lorsqu'il s'agit de médicaments commercialisés, nous pouvons nous les procurer plus facilement, mais lorsqu'ils ne le sont pas encore, la collaboration avec l'industrie pharmaceutique prend toute son importance.

Notre laboratoire a lui-même collaboré avec l'industrie pharmaceutique. La société Affymax a ainsi collaboré très généreusement avec le laboratoire de Lausanne et avec notre laboratoire, en nous procurant leur futur médicament appelé peginsatide, mais également des anticorps qu'ils avaient eux-mêmes développés pour suivre le devenir de leurs molécules lors des essais cliniques. C'est grâce à cette collaboration que nous avons mis au point un test de détection, avant même que ce médicament ne soit commercialisé.

Je sais que le ministère des sports est en train de mettre en place une politique de collaboration avec l'industrie pharmaceutique et qu'il a déjà contacté des groupes comme Sanofi. Je pense qu'il est très important de développer ces collaborations, ainsi que les collaborations universitaires. Nous-mêmes avons un projet qui est en train de se réaliser, grâce à un thésard qui vient de l'université Paris VI.

L'AFLD, de son côté, met tout en oeuvre pour favoriser notre collaboration avec l'université Paris XI. Nous pourrons ainsi leur confier des travaux que nous ne sommes pas en mesure d'effectuer. Je pense par exemple à l'exploration des métabolites de substances, qu'on ne peut utiliser chez l'homme, parce que ce ne sont précisément pas des médicaments, et qui nécessitent une expérimentation animale. Le laboratoire n'a pas d'animalerie ni vocation à en avoir une. C'est un des aspects que l'on pourrait attendre de cette collaboration avec les universités...

M. Jean-François Humbert, président. - S'agissant des universités, vous ne serez pas surprise qu'un certain nombre d'intervenants aient préconisé la séparation entre le laboratoire et l'Agence, et de mettre le laboratoire en relation avec l'université. Il semble que ce soit l'avis de l'AMA. Un de nos derniers interlocuteurs nous disait qu'il souhaitait que le laboratoire renforce sa coopération avec l'université Paris Sud. Vous confirmez donc ce que nous avons déjà pu entendre...

Mme Françoise Lasne. - Je suis tout à fait d'accord pour que le laboratoire puisse collaborer avec l'université. C'est une voie très intéressante pour nous.

Concernant l'appartenance du laboratoire à l'Agence, si l'AMA en est satisfaite, cela ne nous gêne pas. Nous sommes rattachés d'un point de vue administratif, mais cela ne gêne en rien nos analyses. Nous sommes indépendants pour la réalisation et le rendu de nos résultats. Il n'y a pas de pression de l'Agence sur cet aspect analytique.

Nous sommes également libres dans nos projets de recherche, dont certains sont subventionnés par l'Agence elle-même, alors que d'autres le sont par des organismes extérieurs, comme l'AMA ou le consortium Science and industry against blood doping (SIAB).

M. Jean-Claude Carle. - Ma question s'adresse à la biologiste que vous êtes : quelle définition donneriez-vous du dopage ?

Mme Françoise Lasne. - Je vais vous donner celle de l'AMA, pour qui une substance est dopante dans la mesure où elle améliore les performances sportives...

Pour l'instant, elle doit aussi être nuisible à la santé du sportif, mais il semblerait qu'il soit question de supprimer cette condition.

Enfin, selon l'AMA, une substance, pour être dopante, doit être contraire à l'éthique du sport -mais, selon moi, améliorer artificiellement les performances est contraire à l'éthique du sport...

Quelquefois, la frontière est très floue. Je pense en particulier aux caissons hypoxiques, utilisés pour provoquer la production par l'organisme d'EPO naturelle. Dans quelle mesure ne s'agit-il pas de dopage ? Je m'interroge à ce sujet... D'un autre côté, pourquoi ne pas interdire les séjours en altitude, qui ont les mêmes effets ? Il est parfois très difficile de dire si une méthode relève ou non du dopage.

M. Michel Le Scouarnec. - Comment évaluer l'évolution du dopage sur les vingt dernières années ? Le dopage recule-t-il ou continue-t-il à se développer, malgré tous les efforts qui sont faits ?

Par ailleurs, ne peut-on réduire la fabrication de substances dopantes ? L'État ne doit-il pas prendre des mesures à l'échelon européen ou mondial ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Quels sont les sports qui échappent à votre laboratoire ? J'en connais un : y en a-t-il d'autres ?

Avez-vous par ailleurs une analyse pour expliquer le fait que ces sports ne sont pas contrôlés par le laboratoire national ?

Mme Françoise Lasne. - Pouvez-vous préciser les sports qui nous échapperaient ?

M. Jean-Marc Todeschini. - Réalisez-vous des contrôles dans le milieu du tennis ?

Mme Françoise Lasne. - Je puis vous indiquer le nombre d'échantillons analysés en 2012...

M. Jean-François Humbert, président. - Il semblerait que Roland Garros ne se soumette pas au contrôle antidopage...

Mme Françoise Lasne. - En effet. Notre laboratoire effectuait les analyses lors des tournois de Roland Garros, avant que la Fédération internationale de tennis ne se tourne vers le laboratoire de Montréal. Ce n'est pas pour autant qu'il n'y a pas de contrôle. La Fédération internationale a tout à fait le droit de choisir le laboratoire effectuant les analyses. Il semblerait que le recours au laboratoire de Montréal ait été justifié par le coût des analyses. Chaque laboratoire a ses propres tarifs... Il faut bien évidemment y ajouter le prix du transport.

Je vous laisserai mon document afin que vous ayez connaissance du nombre d'échantillons dans chaque discipline sportive.

M. Jean-François Humbert, président. - L'intervenant suivant pourra nous dire un certain nombre de choses sur le sujet...

Mme Françoise Lasne. - A-t-on réalisé des progrès dans le contrôle antidopage ? Oui, nous en avons réalisé. Nous consacrons plus de temps à la recherche, sommes mieux équipés, mais de nouvelles substances dopantes se créent chaque année.

Néanmoins, les pourcentages d'échantillons positifs observés lors des Tours de France de 1998 et de 1999 sont effrayants. Un certain progrès a donc été réalisé, les coureurs utilisant alors des doses massives d'EPO. Celles-ci sont maintenant beaucoup plus faibles. En revanche, les produits sont beaucoup plus difficiles à détecter. Notre rôle est cependant très important : nous compliquons terriblement la vie des sportifs qui veulent se doper et je pense que c'est une bonne chose, ne serait-ce que pour leur propre santé.

M. Michel Le Scouarnec. - Qui sont les fabricants ?

Mme Françoise Lasne. - Il s'agit souvent de laboratoires clandestins...

La décision de condamner Marion Jones à six mois de prison pour utilisation de THG, alors que le directeur des laboratoires Balco, Victor Conte, n'a pas été inquiété, m'a étonnée. Je ne sais ce qui se serait passé en France si cette affaire était survenue sur notre territoire. Je ne connais pas les moyens dont dispose la France pour contrecarrer la fabrication de substances clandestines.

M. Jean-François Humbert, président. - Comment se déroule la coopération avec les laboratoires étrangers ? Est-elle utile et suffisante ?

Enfin, parmi les plus fréquemment utilisés aujourd'hui, quel est le produit le plus dangereux pour la santé des sportifs de haut niveau ?

Mme Françoise Lasne. - Nous collaborons bien évidemment avec d'autres laboratoires antidopage et pouvons même être appelés à en former certains. C'est ce qui est arrivé lorsque le test de l'EPO a été mis au point : les autres laboratoires sont venus apprendre chez nous.

Nous pouvons également collaborer dans le cadre de projets de recherche. C'est ce qui est arrivé avec le laboratoire de Lausanne, lors de la mise au point du test permettant de détecter le peginsatide. D'autres collaborations avec d'autres laboratoires sont prévues l'année prochaine.

Quant à la dangerosité des substances, je suis bien incapable de vous fournir une classification. Dans ses confessions, le cycliste espagnol Manzano rapporte l'utilisation d'hémoglobine réticulée, destinée à traiter l'anémie chez le chien : mal lui en a pris, puisqu'il a fait une violente réaction à ce produit !

De même, les autotransfusions, si elles ne sont pas réalisées de façon correcte, représentent un grand risque pour la santé. Il peut se produire une erreur de poche. C'est déjà arrivé. Si le sang du donneur n'est pas compatible avec celui du receveur, cela peut avoir des conséquences terribles, allant jusqu'à la mort du sujet !

Les conditions de stérilité ne sont pas non plus toujours respectées. Les dangers sont donc multiples et je ne puis vous citer une substance plutôt qu'une autre.

Audition de M. Jean-François Verdy, directeur du département des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Verdy prête serment.

M. Jean-Pierre Verdy. - J'ai été sélectionné par M. Marc Sanson et recruté par Pierre Bordry. Le 1er octobre 2006, nous sommes arrivés dans des locaux vides ; du jour au lendemain, avec deux collaboratrices, puis trois, puis quatre, nous avons construit ce département et mis en oeuvre toute la politique de contrôle sur l'ensemble du territoire national. Nous sommes aujourd'hui six, avec deux temps partiels, deux de mes collaboratrices ayant des enfants.

Nous sommes progressivement montés en puissance et n'avons pas recruté depuis 2009, alors que les charges administratives augmentent. La mise en place du groupe cible a été à cet égard d'une lourdeur impressionnante...

Parallèlement, nous avons mis en place le profilage sanguin. Ayant eu la responsabilité de la mise en place des contrôles durant le Tour de France de 2008, j'ai transformé le contrôle par prélèvement urinaire en contrôle antidopage sanguin, en recourant à deux échantillons. Tous ces échantillons étaient envoyés à Lausanne et je disposais le lendemain des profilages anormaux qui m'ont permis d'établir les ciblages que vous connaissez.

Les contrôles nationaux bénéficient du concours des directions régionales, avec lesquelles nous avons passé un protocole d'accord. À cette occasion, chaque directeur met un correspondant à notre disposition dans une fourchette allant de 5 à 70 % de leur temps de travail, soit une moyenne de 33 % au bénéfice de l'agence, représentant 8,5 personnes à temps plein.

Nous avons tenu, hier et avant-hier, notre réunion annuelle avec nos correspondants : il s'avère que chaque directeur régional, compte tenu de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), manque de personnel et alourdit la charge de travail de ceux-ci. Le pourcentage dont nous disposons officiellement ne correspond donc pas au pourcentage réel de temps libéré à notre bénéfice. Les correspondants et les médecins concernés par la lutte antidopage, que nous avons rencontrés pendant deux jours, ont exprimé leur mécontentement. Ce sont certes des militants, mais la lutte antidopage se faisant bien souvent en dehors des heures légales, ils peinent à venir nous aider.

À la suite au Tour de France de 2008, le conseiller scientifique de l'Agence et moi-même avions demandé de doter le laboratoire de matériels destinés à améliorer les analyses. En 2009, le laboratoire a acquis des appareils et les a testés durant presque un an, en utilisant le sang des laborantins. À partir de 2010, nous avons commencé à mettre les profilages sanguins en place. Ceux-ci nous ont permis de montrer progressivement en pression. Après deux années pleines, nous avons décidé de suivre environ 120 sportifs au profil particulier. Ces 120 sportifs sont répartis dans différentes disciplines...

Ceci alourdit néanmoins la charge administrative. Le personnel effectuant ce travail avec l'aide du médecin conseiller étant toujours le même, nous arrivons maintenant à obtenir des résultats au bout de 48 à 72 heures. Nous avons ainsi pu mettre en place de nouveaux ciblages ou demander des contrôles spécifiques et, en deux ans, à confondre des sportifs pour prise d'EPO...

La constitution du groupe cible ne rassemble que les sportifs de haut niveau et les sportifs professionnels.

Les amateurs sont libres. J'avais demandé s'il était possible d'intégrer des amateurs dans le groupe cible. Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique et en quantité impressionnante : on a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d'EPO que reçoivent les professionnels. Lorsqu'on se déplace sur le terrain, lors des compétitions, on voit les parents remplir des bidons, casser des ampoules et utiliser de la poudre...

Il est aujourd'hui difficile de trouver des sportifs de haut niveau positifs, ceux-ci ayant les moyens de se protéger grâce à une logistique très étudiée et à des protocoles suffisamment fins, contrairement aux amateurs. Les douanes ou la gendarmerie parviennent encore à saisir des produits dans leur voiture ou à leur hôtel.

Certains clubs ont même les moyens de faire tester tous leurs joueurs par des laboratoires d'analyse afin de savoir si les protocoles sont respectés. Les contrôles deviennent donc de plus en plus difficiles pour nous...

Dès la création de l'Agence, nous avons confondu beaucoup de sportifs grâce aux informations dont nous disposions, mais il faut à présent remonter 72 heures en arrière, voire plus pour y parvenir, les protocoles ayant été affinés grâce aux microdoses et aux micropoches.

Le laboratoire a une capacité de 9 000 échantillons d'analyses par an. Il faut déduire de ce volume 2 000 échantillons environ de contrôles internationaux. Certes, les protocoles que nous signons augmentent de plus en plus, mais au détriment du contrôle national pour lequel il reste 7 000 échantillons. Sur douze mois, à raison de vingt-six régions, cela représente peu par région !

Nous avons en outre la charge du contrôle animal -chevaux de course, chiens de traîneau... Nous tentons d'établir des protocoles concernant les courses landaises. Nous avons toutefois du mal à trouver des préleveurs assez courageux pour ce faire...

Un prélèvement animal coûte deux fois plus cher qu'un prélèvement humain. Or, il existe des centaines de milliers de concours hippiques où l'engagement est de 18 euros minimum... Avant le retrait de l'agrément à la Fédération française d'équitation, il existait une ligne budgétaire de 50 centimes d'euro par engagement, destinée à alimenter la lutte antidopage.

Le président Bordry avait essayé de récupérer auprès du président de la fédération ou de la Société hippique nationale (SHN) une contribution sur les engagements. Il n'y est pas parvenu. Nous sommes donc actuellement contraints de diminuer les prélèvements animaux.

M. Jean-François Humbert, président. - La parole est au rapporteur...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Monsieur le directeur, selon une coupure de presse du 27 septembre 2010, au moment de la démission de M. Bordry, alors président de l'AFLD, vous estimiez -je cite : « l'AFLD gêne beaucoup de gens ». Qui gênait-elle et pourquoi ?

En second lieu, votre Agence a rédigé un rapport très critique sur les contrôles réalisés par l'Union cycliste internationale (UCI), à sa demande, sur le Tour de France de 2009. Pouvez-vous donner des éléments plus précis à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Certains présidents de fédérations ou de clubs voient en effet d'un mauvais oeil l'arrivée de préleveurs sur le terrain. Il y a peu, j'ai reçu une lettre d'un président d'un club de sport collectif se plaignant que nos préleveurs se présentent à la fin d'un match. Il aurait souhaité qu'ils interviennent à la mi-temps !

Les prélèvements massifs, comme ceux que nous avons réalisés, lors de la finale du Top 14, sur quinze joueurs de chaque équipe, troublent énormément le monde du sport. Les difficultés ne viennent toutefois jamais des sportifs, mais toujours de l'encadrement.

En ce qui concerne le rapport 2009, j'avais demandé à l'époque à l'UCI de réaliser des prélèvements. Il fallait alors les prévenir trois jours à l'avance. Il est arrivé que les préleveurs m'appellent pour me faire part de problèmes : on leur demandait d'attendre trois quarts d'heure pour laisser les sportifs se reposer, certaines équipes, prélevées en dernier, devant prendre le bus, ne pouvaient être contrôlées...

Tous ces problèmes m'ont amené à en parler au président Bordry, qui appelait M. Mac Quaid mais les choses ne se résolvaient pas et l'on devait toujours attendre certaines équipes ou certains sportifs.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Était-ce toujours les mêmes ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Il s'agissait souvent des mêmes. Lorsque nous contrôlions plusieurs sportifs, certains se plaignaient, estimant que nous en protégions certains et pas d'autres...

Les choses étaient compliquées par rapport à ce qui s'était passé lors du Tour de France de 2008, où les contrôles étaient imprévisibles. Auparavant, l'UCI contrôlait le premier du général, le premier de l'étape et deux coureurs tirés au sort, avec un seul préleveur. J'ai fait appel à deux préleveurs et les contrôles à l'arrivée n'avaient parfois rien à voir avec la course elle-même : ils se faisaient en fonction des informations dont je disposais et, plus encore, en fonction des profilages qui arrivaient de Lausanne. Le ciblage était d'autant plus facile et réactif...

En outre, j'avais ajouté des contrôles à l'hôtel soir et matin, la loi française interdisant toutefois les contrôles après 21 heures et avant 6 heures. Actuellement, lorsqu'on effectue un contrôle à 6 heures du matin, on entend toutes les chasses d'eau fonctionner et on ne recueille jamais la première miction, alors que c'est celle qui nous intéresse ! Certains sportifs sortent même de leur chambre avec un coton à l'avant-bras !

Bernard Kohl et d'autres repentis ont accepté de me parler après le Tour de France de 2008. Ils m'ont expliqué que, lorsque nous arrivions, ils étaient toujours prévenus : il fallait en effet passer par le responsable de l'équipe, qui appelait le médecin, qui allait chercher le coureur. Cela durait un temps incroyable, durant lequel ils avaient tout loisir de faire ce qu'ils voulaient.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Qu'étaient-ils en train de faire selon vous ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Ils pouvaient terminer leur transfusion ! La personne qui s'en chargeait ne figurait pas dans l'équipe. Les médecins sportifs ne s'occupent pas du dopage : leur rôle est de vérifier que les coureurs soient en dessous des niveaux lorsque nous arrivons.

M. Michel Le Scouarnec. - Quel est le budget qui est le vôtre aujourd'hui ? Quel montant vous semblerait-il souhaitable pour vous permettre un fonctionnement normal ?

M. Jean-Pierre Verdy. - On me dit indépendant et je le suis, mais je dépends cependant des capacités du laboratoire. Lorsque, certains mois, nous devons pratiquer 200 prélèvements internationaux, cela laisse peu de chose sur le plan national.

On pourrait envoyer les échantillons dans un autre laboratoire, mais c'est malheureusement impossible pour des raisons de coût.

Lorsque nous avons engagé les prélèvements sanguins et le profilage, les coûts d'équipe devenaient importants. L'année dernière, en milieu d'année, on m'a dit que les kits coûtaient trop cher. Nous avons donc dû diminuer le nombre de prélèvements sanguins.

Le département des contrôles manque en outre de personnel administratif. Nous devons donc faire appel à des intérimaires et sommes obligés de différer certains prélèvements. L'opération de Toulon aurait du être faite deux mois avant, mais nous avons été obligés de la décaler, faute de personnel suffisant.

J'avais également demandé qu'on recrute un spécialiste de l'investigation, car s'il est facile de retrouver un sportif détecté dans le groupe cible, ce n'est pas le cas chez les amateurs, dont certains gagnent tous les week-ends et qu'on ne peut jamais contrôler ! Les produits circulent également chez les juniors...

M. Jean-Claude Carle. - Vous nous avez dit que certains clubs faisaient appel à des laboratoires pour s'assurer que les sportifs ne dépassaient pas un certain seuil. Quels sont ces clubs ? Dans quelles disciplines interviennent-ils ? Le cadre juridique ou législatif permet-il aujourd'hui de les poursuivre ? Dans le cas contraire, que pourrait-on modifier pour y parvenir ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Au cours de la réunion d'hier soir avec les médecins et les correspondants, on m'a montré certains profils, en refusant de me communiquer des noms, les médecins étant couverts par le secret médical ! C'est ahurissant... Il en va de même des clubs. Je vais vérifier l'information, mais ce sont des bruits qui circulent de manière insistante.

Quant à poursuivre les médecins, ceux-ci vont prétendre qu'ils effectuent un suivi longitudinal et veillent à ce que les sportifs soient en bonne santé. Nous allons néanmoins nous y atteler...

Souvent, je demande à visiter les centres de formation. C'est souvent là que l'on conseille par exemple aux enfants de grossir pour pouvoir aller au contact, et entrer ainsi dans les clubs professionnels...

M. Jean-Claude Carle. - Quelles sont les disciplines concernées ? Le cyclisme, le rugby ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Toutes le sont. Je travaille main dans la main avec la Fédération de rugby, qui a très peur d'être gangrenée par ces pratiques. Ils ont été très satisfaits que nous ayons effectué une descente dans un club professionnel du Top 14. La Fédération française de tennis nous demande de la même manière de nous rendre dans les pôles espoir...

M. Jean-François Humbert, président. - Nous aurons bientôt l'occasion d'entendre le président de la Fédération internationale de rugby...

M. Jean-Pierre Verdy. - La Fédération internationale de rugby nous demande d'effectuer tous les contrôles. Nous réalisons ainsi celui du Tournoi des Six Nations. Je leur ai d'ailleurs dit que contrôler deux joueurs par équipe me paraissait un peu court par rapport aux habitudes nationales.

La France surprend d'ailleurs beaucoup les autres pays. Nous avons contrôlé toute l'équipe de France à Marcoussis, lors de la Coupe du monde. Je ne sais si c'est le cas partout...

M. Jean-Pierre Chauveau. - Vous arrive-t-il de subir des pressions destinées à vous empêcher d'exercer correctement votre travail ?

D'autre part, vous arrive-t-il d'essuyer des refus de prélèvement ?

Enfin, de combien de personnes dispose l'Agence pour mener à bien tous ces contrôles ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Je ne subis aucune pression. Si quelqu'un essayait de faire pression, il obtiendrait l'effet inverse. Nous avons connu des tentatives d'intimidation de certains présidents de fédération qui se jetaient sur les caméras en criant au scandale : nous en avons fait plus souvent...

Certaines réunions, pourtant musclées, en présence du président Bordry, nous ont finalement permis de nous expliquer, et nous n'avons plus connu de problèmes.

En ce qui concerne les contrôles, nous ne rencontrons pas de refus, ceux-ci tombant sous le coup de la loi.

Nous comptons par ailleurs 350 contrôleurs, hommes, femmes, médecins, infirmiers, techniciens, laborantins et masseurs-kinésithérapeutes.

On compte plus de préleveurs mais tous ceux qui ne respectaient pas le nombre de prélèvements, ni les formations continues, ont été écartés. Nous essayons de tendre vers une qualité maximale. Nous allons par ailleurs mettre en place deux réunions en langue anglaise à destination des préleveurs spécialisés dans l'international.

Ainsi que je l'ai déjà dit, les pressions ou les intimidations sont essentiellement imputables aux dirigeants, jamais aux joueurs. Chaque prélèvement est d'ailleurs accompagné d'un rapport. Si celui-ci met en évidence que le préleveur a été insulté ou que son action a été entravée, j'adresse un courrier au président de la fédération, et je demande une sanction. Certains entraîneurs ont été ainsi sanctionnés, voire suspendus. Ma politique est de ne jamais rien laisser passer. Le message est donc clair : ceux qui essaient d'exercer des pressions ne le tentent qu'une fois.

M. François Pillet. - Certaines disciplines sportives ne sont-elles jamais contrôlées -ou si rarement qu'on peut considérer qu'elles ne le sont pas ?

En second lieu, comment arrivez-vous à garantir l'indépendance et l'impartialité des préleveurs auxquels vous sous-traitez vos contrôles ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Ma politique consiste à porter le danger partout. Malgré mes faibles moyens, nous contrôlons la balle au tambourin, les courses camarguaises, le billard, le tir à l'arc...

Nous avons également réalisé des contrôles sur les rallyes, à la suite d'accidents. Nous y avons relevé des cas positifs. Nous allons partout. La répression est une bonne chose, mais la dissuasion également. Nous nous rendons sur le théâtre de compétitions improbables. Les gens pensent que les contrôles sont réservés au haut niveau. Ce n'est pas le cas. Personne n'est épargné -sauf s'il s'agit d'une discipline non répertoriée.

Dès septembre, nous écrivons à toutes les fédérations olympiques et non olympiques en leur demandant de nous dresser un état des compétitions, stages ou regroupements sur lesquels elles souhaiteraient des contrôles. Les fédérations nous indiquent dès lors toutes leurs compétitions. Certaines développent une autre stratégie, préférant cibler les juniors ; d'autres nous envoient un CD-ROM en nous demandant de nous en arranger.

Je suis obligé de réaliser un tri mensuel. Quand je m'aperçois que certaines disciplines n'ont pas été contrôlées, j'essaye de rééquilibrer les choses. Je cherche à être le plus juste possible. Beaucoup de personnes pensent par exemple que nous ne contrôlons jamais le football : ce n'est pas vrai, les statistiques le prouvent !

M. Dominique Bailly. - Quel est aujourd'hui l'état de vos relations avec les fédérations sportives françaises ? Certaines ne jouent-elles pas le jeu de la lutte contre le dopage ?

Certaines autorités ministérielles ne vous ont-elles jamais, lors de compétitions organisées en France, demandé de rester en retrait des contrôles ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Je n'ai aucune difficulté avec les fédérations françaises.

Je n'ai par ailleurs jamais subi de pressions du ministère.

Je suis personnellement protégé par la loi, mais les pressions sur le président ou le secrétaire général existaient.

Quand j'ai décidé d'aller contrôler Lance Armstrong, j'ai recueilli l'avis de tous les juristes de l'Agence, mais jamais personne ne m'a demandé de ne pas le contrôler.

M. Alain Dufaut. - Vos difficultés proviennent donc du manque de moyens en agents préleveurs, médecins...

M. Jean-Pierre Verdy. - Ce ne sont pas les préleveurs ou les médecins qui me manquent, mais le personnel nécessaire pour déclencher les contrôles. Nous disposons d'un logiciel qui permet de solliciter le médecin le plus près de la zone.

M. Alain Dufaut. - Vous déplorez cependant certaines difficultés avec les directions régionales...

M. Jean-Pierre Verdy. - Je me suis peut-être mal exprimé : les correspondants sur le terrain sont dans l'incapacité de mettre en place un réseau d'informations sur le terrain...

M. Alain Dufaut. - C'est donc uniquement un problème de renseignement.

M. Jean-Pierre Verdy. - Certaines régions ont changé trois fois de correspondant dans l'année, quelques-uns étant désignés d'office. Le correspondant régional sert en fait de tête de pont aux préleveurs. Je vous ferai des propositions dans ce domaine...

Je dispose, dans chaque région, d'un relais chargé de faire ce que je fais au niveau national avec ses propres préleveurs, qui dépendent de nous.

M. Alain Dufaut. - Les choses étaient auparavant différemment organisées.

Par ailleurs, les préleveurs sont-ils en capacité de déterminer si une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) est justifiée ou non ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Non...

M. Alain Dufaut. - Que faut-il faire pour éviter ces AUT ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Le système est bien fait : beaucoup de fédérations internationales n'ont pas le temps de vérifier les AUT et les acceptent. L'agence dispose d'un service médical qui vérifie chaque AUT. Si notre médecin repère une anomalie, trois experts sont alors chargés du dossier et peuvent refuser les AUT.

La France est le seul pays à bénéficier de cette organisation, mise en place dès la création de l'Agence. Certains sportifs français ont vu leur AUT refusée en France, alors qu'elle avait été acceptée par des fédérations internationales. Des conflits ont donc éclaté avec certaines fédérations internationales -que nous ne nommerons pas, bien entendu...

M. Stéphane Mazars. - Jugez-vous suffisants les moyens juridiques qui sont les vôtres ?

Existe-t-il des pistes de réflexion pour améliorer vos capacités de contrôle inopiné ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Il y a trois à quatre ans de cela, nos collègues suisses étaient venus nous rencontrer pour essayer de reproduire notre modèle. Aujourd'hui, ils nous ont dépassés.

Mon homologue suisse reçoit toutes les saisies de produits dopants. Avec un procureur et le patron des douanes, ils peuvent décider de mettre un sportif sur écoute.

Si de telles informations me parviennent, je les transmets aux douanes, en m'appuyant sur l'article 40 du code de la procédure pénale. Si le procureur est sensibilisé au problème, il peut déclencher une enquête, mais la procédure est très lourde.

Dès que les étapes du Tour de France sont connues, les gendarmes et les douaniers sont obligés de prévenir tous les procureurs pour les informer qu'ils peuvent être contactés.

Les modèles italien ou suisse prévoient un procureur qui ne s'occupe que de cela. Pourquoi ne pas faire la même chose en France, en désignant un procureur auprès de l'Agence ?

Nous sommes assez démunis en la circonstance, et les enquêteurs sont obligés de remuer ciel et terre pour déclencher une enquête, qui peut d'ailleurs arriver trop tard ! Il nous faut donc les mêmes pouvoirs d'investigation que nos voisins.

Avant de travailler à l'Agence, j'étais à la direction régionale d'Ile-de-France, où j'avais inventé une cellule régionale réunissant la douane, la pharmacie, la gendarmerie et le fisc. L'idée a été reprise par la loi Buffet et a débouché sur les fameuses commissions régionales de prévention et de lutte contre les trafics de produits dopants, dont tout le monde a entendu parler, et qui ont permis de mettre certaines affaires à jour...

Ces commissions sont en cours de réactualisation ; le décret n'est pas encore sorti mais il faut trouver un système. Peut-être pourrez-vous nous aider à être réactifs...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pouvez-vous nous dire concrètement comment se déroule la procédure d'habilitations délivrée par l'AFLD ? Comment garantissez-vous leur indépendance, leur neutralité, leur impartialité ? Ces personnes sont-elles tenues au secret ?

D'autre part, dans l'affaire Ciprelli-Longo, il apparaît que l'Agence antidopage américaine a confié à votre agence des éléments importants sur la nature du trafic des produits dopants incriminés dans cette affaire, que l'AFLD aurait tardé à exploiter. Pouvez-vous nous apporter des éléments complémentaires sur ce point ?

M. Jean-François Humbert, président. - Vous étiez dans le secteur de la lutte contre le dopage lorsque L'Équipe a révélé, en 2005, que des échantillons prélevés lors des Tours de France de 1998 et 1999 avaient fait l'objet d'un nouveau contrôle par le laboratoire de Châtenay-Malabry. Avez-vous connaissance du nom des sportifs concernés par les résultats positifs et, le cas échéant, avez-vous eu l'idée de les contrôler à nouveau en 2005, pour ceux encore en activité ?

M. Jean-Pierre Verdy. - Il s'agit du bouquet final !

La formation initiale des préleveurs intègre théorie et pratique. Les préleveurs doivent prêter serment devant le tribunal de grande instance de leur domicile. Je leur délivre alors un agrément, puis ils réalisent trois prélèvements, sous le contrôle du médecin chargé de la lutte antidopage. Le dernier, qu'ils opèrent seuls, se fait sous le contrôle d'un observateur.

Ils doivent encore mentionner les disciplines dans lesquelles ils pourraient avoir des conflits d'intérêts. Si un médecin est médecin d'une ligue de football ou de quelque discipline que ce soit, il doit le dire afin de ne pas être missionné dans une affaire touchant à cette discipline.

De même, un vétérinaire ne doit pas contrôler les chevaux qu'il soigne. Généralement, ils interviennent donc à 200 ou 300 kilomètres de leur lieu de travail.

Concernant l'affaire Longo, je ne connaissais pas les documents que vous venez de citer. Lorsque j'ai appris leur existence, je n'étais pas très content puis j'ai été heureux qu'on ne puisse me suspecter de quoi que ce soit. Par contre, on m'a fortement encouragé à continuer les contrôles.

Tous les contrôles réalisés sur Mme Longo ont fait l'objet de précautions spécifiques. Chaque avertissement a été validé par le service juridique, contesté, revu et validé par le comité d'experts. Toutes les précautions ont été prises pour savoir s'il était possible de mettre en place le troisième contrôle qui a eu lieu aux États-Unis. Il existe des fiches navettes avec le service juridique. Le dossier est parti à la Fédération de cyclisme pour sanction. La Fédération ne sanctionne pas et nous non plus...

Nous avons ensuite découvert le communiqué, dont je n'avais aucune connaissance. Cela m'aurait interpellé, car l'article 40 précise que tout fonctionnaire doit transmettre les informations relatives à un délit aux autorités compétentes dans les meilleurs délais. Je ne sais si j'aurais laissé traîner de tels documents !

En ce qui concerne 2005 et les prélèvements de 1998 et de 1999, l'Agence n'était pas encore créée à l'époque. Je ne pouvais donc pas mettre un contrôle en place. En tout état de cause, si l'Agence avait existé, il aurait fallu passer par l'UCI...

S'agissant de la liste des coureurs impliqués, j'ai demandé à en faire une photocopie. On me l'a refusée. Des noms comme celui de Pantani y figuraient effectivement. Cette liste doit bien exister quelque part. Elle était destinée à être mise au coffre au ministère. Les échantillons et les procès-verbaux doivent exister également. C'est le ministère qui organisait les prélèvements... Les archives de Fontainebleau n'ayant pas brûlé, on devrait pouvoir les retrouver !

J'ai une proposition à faire... Il existe, dans les directions régionales, des correspondants chargés des commissions régionales de prévention et de lutte contre les trafics de produits dopants. Certains travaillent avec nous. Je propose que ce soit les mêmes. Charger une personne de deux missions optimiserait les choses. Pourquoi ne pas regrouper deux ou trois régions et y placer un correspondant à temps plein, à charge pour nous de payer ses frais de déplacement ?

Je pense également à délivrer à chaque sportif de haut niveau une carte à puces, comportant quatre informations sur son identification, ses performances, son suivi physiologique et son suivi clinique. En cas de rupture dans les données, on ne pourrait que s'interroger. Il y aurait, au fil du temps, un suivi de tous ses profils et de toutes ses performances.

Ceci permettrait une meilleure traçabilité...

M. Alain Néri. - C'est une sorte de suivi longitudinal...

M. Jean-Pierre Verdy. - Cela peut constituer un suivi longitudinal amélioré dans la mesure où le suivi longitudinal ne va étudier que les profils sanguins. Le profil stéroïdien est également important, tout comme le profil clinique.

M. Alain Néri. - Le suivi longitudinal, associé au passeport biologique, fournit pratiquement le même résultat.

M. Jean-Pierre Verdy. - Pas totalement...

M. Alain Néri. - Il suffit de quelques photos pour constater l'évolution d'un sportif...

M. Jean-Pierre Verdy. - Toutes les fédérations disposent d'un cahier des charges sur le suivi des sportifs. Celui-ci intègre ces données mieux encore que des photos, qui ne constituent pas des preuves. Une rupture des paramètres sanguins, stéroïdiens, morphologiques et sportifs peut amener la mise en place d'un suivi. On rentabilise ainsi les investissements.

Audition de M. Jean-François Lamour, député de Paris, ancien ministre des sports, ancien ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-François Lamour prête serment.

M. Jean-François Lamour. - Je crois que le but de votre commission d'enquête est de faire un point sur l'efficacité de la lutte antidopage.

En la matière, quand on parle d'efficacité, il faut effectuer une comparaison dans le temps, que ce soit au niveau national, ou au niveau international. Vous me permettrez donc de rappeler où nous en étions il y a encore une vingtaine d'années, et où nous en sommes aujourd'hui...

La France a toujours été -quels que soient les gouvernements, et quels que soient les ministres- à la pointe en matière de lutte antidopage. Ceci est dû à son histoire, en particulier au drame de Simpson en 1967, au Mont Ventoux. On se souviendra, plus récemment, de l'affaire du Tour de France de 1998, mais aussi de l'affaire Cofidis, en 2004, et d'autres sujets qui ne sont pas directement liés aux sportifs français. Je pense au championnat du monde d'athlétisme, en 2003, où l'on avait détecté de la tétrahydrogestrinone (THG) chez un certain nombre de sportifs américains...

La France a toujours été aux avant-postes de la lutte antidopage, au travers de ses recherches et de son encadrement législatif, mais aussi au travers de la loi de 2006 sur le suivi longitudinal, qui constitue en quelque sorte l'outil embryonnaire qui a débouché sur le passeport biologique. Certes, le suivi longitudinal était, dans un premier temps, un outil de préservation de la santé ; le passeport biologique, lui, est maintenant un outil qui peut être également répressif, mais il en était le cadre général et -on le voit au travers de l'évolution- ceci allait dans le bon sens.

La France s'est également trouvée aux avant-postes de la lutte antidopage en créant le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), qui s'est ensuite transformé en Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), entité juridique indépendante répondant mieux aux préconisations mises en place après la rédaction du premier code mondial antidopage, en 2003.

La France a aussi été précurseur en matière de localisation des athlètes ; moi-même, en tant qu'ancien athlète, membre de l'équipe de France olympique, lors des Jeux olympiques de Barcelone, j'ai été dans l'obligation d'établir, en 1992, un formulaire de localisation -et Dieu sait si cela m'a contrarié ! Celui-ci permettait, dans des conditions assez aléatoires, de préciser dans quel endroit nous nous trouvions. Cet outil annonçait en quelque sorte l'actuel système d'administration et de gestion antidopage ADAMS, qui est plus contraignant.

Sur le plan international, il existe un avant et un après 1998. Avant 1998, nous avions connu l'affaire Ben Johnson, lors des Jeux olympiques de Séoul en 1988. Il avait fallu toute la persuasion du prince de Mérode, à l'époque directeur médical du Comité international olympique (CIO), pour que cette affaire sorte. Le prince de Mérode, qui n'en pouvait plus qu'un certain nombre de cas soient tus, a dû taper sur la table pour que cette affaire sorte, avec les images dont on se souvient, où l'on voit Ben Johnson quitter précipitamment Séoul...

Entre 1988 et 1998, peu d'efforts ont été faits en matière de lutte antidopage du mouvement sportif. Un certain nombre de pays en avaient fait un outil de promotion, utilisant le sport comme un vecteur de promotion, le dopage permettant que leurs athlètes se trouvent parmi les meilleurs.

Après 1998, on a rattrapé le temps perdu. Un colloque a été organisé en 1999, à Lausanne. Mme Marie-George Buffet y a tenu un rôle important, ayant été aux premières loges lors du Tour de France de 1998. Lausanne a ainsi permis la création de l'Agence mondiale antidopage (AMA). C'est la première fois que mouvement sportif et gouvernements travaillaient ensemble à la mise en place d'un programme mondial de lutte contre le dopage. Le financement a été réalisé à parts égales, ce qui était une grande nouveauté, l'AMA disposant d'un budget de 21 à 22 millions de dollars. La répartition était différente selon les donateurs. Aujourd'hui, la France participe, je crois, à hauteur de 500 000 euros par an.

En outre, un code antidopage, émanation de ce travail commun, a vu le jour. Ce code a été très rapidement rédigé et adopté dans son principe en 2003, à Madrid, après que son contenu ait été validé. La notion de relations internationales y est très forte et indissociable de la lutte antidopage.

Ce code avait pour principal but d'établir un consensus sur la liste des produits détectés hors et en compétition et une sorte de hiérarchie des sanctions en fonction des produits découverts. Il était également destiné à mettre au point un certain nombre de procédures de contrôle, tant en compétition que hors compétition. C'est là que réside l'avancée principale de ce code, qui marque l'avènement d'une réelle organisation dans la lutte antidopage mondiale.

La seconde version de ce code, en 2007, a sensiblement alourdi le niveau des sanctions. Par ailleurs, les améliorations techniques ont permis la rétroactivité des contrôles antidopage et permis de remonter jusqu'à huit ans en arrière. Possibilité dont on aurait bien aimé disposer en 1998, afin de fournir un certain nombre d'éléments à l'AMA !

Même si le sujet est encore imparfait, il est par nature évolutif. Certes, beaucoup de progrès ont été réalisés sur une période extrêmement courte, mais le législateur français a dû accepter un texte émanant d'une structure de droit suisse, basée à Montréal ! Il faut une véritable volonté pour accepter de perdre une part de ses compétences et de sa souveraineté, même au profit d'une lutte antidopage efficace ! Qu'il s'agisse de lutte antidopage ou de lutte contre les paris illégaux, Internet est extrêmement volatil, et il nous faut, en permanence, faire évoluer ces textes.

Cinq évolutions majeures sont devant nous. La première concerne l'universalité du sport. De nouvelles nations arrivent dans le concert international, avec des cultures et des moyens différents en matière de lutte antidopage. Certains pays d'Afrique se moquent bien de mettre en place un programme de lutte antidopage, ayant à peine de quoi chausser leurs sportifs, les faire vivre et les entraîner !

De nouvelles disciplines sont nées, dans des sports plus « funs » où la hiérarchie et les règles sont extrêmement difficiles à faire appliquer, quels que soient les continents. Ainsi, le golf, qui redevient discipline olympique, a toujours considéré que la lutte antidopage n'était pas une priorité. Or, cette discipline est aujourd'hui tenue de mettre en place un programme antidopage, qui sera appliqué de la manière la plus stricte durant les éliminatoires, afin de sélectionner les champions qui participeront aux Jeux olympiques de Rio de Janeiro, mais aussi durant les compétitions.

En second lieu, les pratiques et les performances se sont également améliorées : comment traiter les caissons hypobares, qui permettent de reproduire un entraînement en altitude, fort critiqués et parfois même interdits ? Comment traiter le cas d'Oscar Pistorius, dont l'amélioration des performances peut paraître d'origine bionique ?

Le législateur, en relation avec le mouvement sportif, partout dans le monde, doit imaginer ces évolutions. Dans le domaine de la recherche, on est loin du simple massage destiné à récupérer d'une séance d'entraînement ou d'une compétition particulièrement éprouvante. Il existe à présent des systèmes de récupération par cryothérapie ou par balnéothérapie, mais également par perfusion. Il nous faut le prendre en compte lorsqu'il s'agit de déterminer le cadre légal d'un accompagnement à l'amélioration de la performance...

Les méthodes de dopage elles-mêmes ont largement évolué. On est passé du « pot belge » au dopage sanguin, et on en est maintenant au dopage génétique. Il nous faut donc être en phase avec ces améliorations. On se souvient du cas de l'Allemagne de l'Est, dont les athlètes féminines étaient mises enceintes pour améliorer leurs performances durant les deux à trois semaines suivant le début de leur grossesse. Ceci a fait partie de la panoplie en matière d'amélioration de la performance, mise en place en particulier en Allemagne de l'Est.

La quatrième évolution est relative à la circulation des athlètes. Alors qu'ils étaient assez facilement repérables, ils circulent maintenant dans tous les pays du monde, pour les compétitions, mais également pour les phases d'entraînement, qu'il s'agisse du Maroc, de l'Afrique du Sud, ou d'autres pays. Ceux-ci ne sont pas, par nature, suspects de recourir au dopage, mais doivent cependant faire l'objet d'un suivi de leurs athlètes. C'est la raison pour laquelle le dispositif ADAMS, si contraignant, a été mis en place.

Europol et Interpol doivent également prendre en compte la circulation des produits interdits, en particulier dans le domaine de la commande sur Internet et de la livraison à domicile ou sur le lieu d'entraînement.

Le dernier volet est relatif à la relation entre l'argent et le sport : faut-il craindre que l'afflux d'argent encourage le dopage ? Je suis plus mesuré sur cet aspect des choses. Dès 1907, le Vidal, qui en était à sa deuxième ou troisième édition, faisait référence à un produit à base de strychnine « bon pour les cyclistes » ! Ce n'était pas un problème d'argent mais de culture.

Il faut bien reconnaître que plus l'argent est présent, plus le dopage est sophistiqué. C'est cet élément qu'il faut prendre en compte. Pour autant, l'argent pousse-t-il à se doper ? Je ne le pense pas. Le sportif peut rechercher une meilleure performance, ou vouloir revenir à la compétition le plus rapidement possible après une moins bonne performance ou une blessure importante. C'est pourquoi il faut que le sportif soit bien encadré.

Quelles sont les perspectives ? Nous avons aujourd'hui un problème en matière de contrôle antidopage. Selon les derniers chiffres de l'AFLD, sur 10 000 contrôles, 200 cas sont positifs. Nous ne pouvons nous satisfaire de ce ratio, non qu'il exprime une qualité de la lutte antidopage en France et de la protection du sportif, mais parce qu'il s'agit là d'un coût important. Il faut aller vers un ciblage plus performant des publics cibles, mieux choisir les sportifs, et surtout progressivement substituer le passeport biologique aux contrôles hors compétition. Le passeport biologique me semble être le meilleur outil de contrôle sur le long terme. Lorsqu'un paramètre physiologique ou biologique est perturbé, le médecin ou l'autorité de contrôle peuvent suspecter une faiblesse de l'athlète, une prise de produits ou un procédé destiné à améliorer certaines performances. On ne peut dissocier le passeport biologique du dispositif ADAMS, même si celui-ci est extrêmement contraignant...

Il existe un autre sujet sur lequel il faut être extrêmement vigilant, où le législateur et les autorités publiques ont également leur rôle à jouer : il s'agit de la maîtrise des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) et des déclarations d'usage (DU).

Lorsque j'étais vice-président de l'AMA, je me suis battu, avec le soutien des experts français du laboratoire de Châtenay-Malabry, pour que les glucocorticoïdes soient considérés comme des produits dopants. Je m'aperçois aujourd'hui qu'ils sont acceptés grâce à des AUT. Il faut donc être vigilant et ne pas accepter -ce que souhaitent certains- un dopage sous contrôle médical. Ceci ne relève évidemment pas directement du législateur, mais le ministre, ayant la capacité d'intervenir auprès de l'AMA, doit veiller à l'encadrement des AUT et des DU.

L'AMA doit par ailleurs être l'outil de coordination en matière de recherche ; elle doit aussi mutualiser les moyens. Le danger du dopage génétique est l'un des plus grands. C'est à l'AMA d'initier les recherches, à travers ses fonds propres mais aussi à travers la mise en réseau des laboratoires.

On doit également renforcer la lutte en matière de trafic de produits dopants. En dehors de quelques prises réalisées par Interpol, peu de trafics ont été mis à jour. Je reconnais qu'Interpol est aujourd'hui focalisé sur la lutte antiterroriste et sur les trafics de drogue, mais il me semble important que ces entités internationales travaillent de façon plus marquée sur le trafic de produits dopants.

Enfin, même si nous sommes performants dans ce domaine, nous devons continuer à oeuvrer en faveur de la prévention et de l'éducation des jeunes. Il faut donc que la formation des éducateurs sportifs évolue et passe du répertoire national des formations du ministère des sports à un répertoire de l'éducation nationale, en demeurant toujours aussi performante en matière d'éducation et de pédagogie concernant la lutte antidopage.

M. Jean-François Humbert, président. - La parole est au rapporteur...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez bien compris l'état d'esprit de cette commission d'enquête, qui cherche une plus grande efficacité de la lutte contre le dopage, à laquelle vous avez apporté très largement votre contribution, puisqu'une loi porte même votre nom...

M. Jean-François Lamour. - Il faut toujours rester modeste !

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Sept ans plus tard, quel bilan rétrospectif tirez-vous de ce texte ? Dans quels domaines estimez-vous que vous auriez dû aller plus loin ?

M. Jean-François Lamour. - Il est normal de chercher à améliorer un dispositif législatif, mais il faut veiller à ce qu'il puisse être applicable et toujours en cohérence avec ce qui se passe au-delà de nos frontières. Par nature, le sportif bouge et les compétitions sportives se déroulent en effet sur tous les continents.

Quels sont les points forts de la loi de 2006 ? Le premier réside dans le fait que l'AFLD devienne une autorité indépendante. On est là en pleine cohérence avec les préconisations du code mondial et l'on prépare l'arrivée du code mondial antidopage, au travers de la convention de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), sur le sol français. Il nous fallait être en phase avec le dispositif, qui nécessitait un « représentant » indépendant de l'AMA dans notre pays, afin que l'AFLD soit capable de répondre aux sollicitations de l'AMA.

L'autre volet dont je suis peut-être le plus satisfait concerne le suivi longitudinal, en quelque sorte précurseur du passeport biologique. Certes, les contrôles existaient pour les athlètes de haut niveau, à raison de deux à trois visites par an, mais celles-ci étaient liées au bon vouloir des fédérations sportives, et surtout à leurs moyens.

Nous l'avons imposé à toutes les fédérations, en leur en fournissant les moyens et en y ajoutant un volet qui n'existait pas précédemment, le volet psychologique. Nous nous étions en effet rendu compte que le sportif était susceptible de commencer à se doper lorsqu'il était en grande difficulté psychique, en cas de baisse de résultats, de blessure lourde et de retour prématuré sur le terrain.

Le fait de parler à un psychologue n'est pas une chose naturelle : le sportif de haut niveau a toujours le sentiment d'être en situation de faiblesse. Bien qu'il ait dû le faire, il n'en avait pas l'habitude. Le fait que, dès 13 ou 14 ans, il prenne l'habitude, une à deux fois par an, du contact avec un psychologue, permettait de penser qu'il lui serait plus facilement accessible en cas de grandes difficultés...

Est-on allé assez loin sur les autres volets ? Contrairement aux Italiens, nous n'avons pas voulu pénaliser la prise de produits dopants et faire en sorte que le sportif ne soit plus une victime, mais un acteur du dopage.

La loi italienne a été votée un an et demi avant la nôtre ; le seul résultat probant était celui de Marco Pantani, malheureusement disparu depuis. Or, Marco Pantani n'a jamais été condamné par la justice italienne, bien qu'il soit passé devant les tribunaux. Nous nous sommes donc rangés à la position du mouvement sportif, qui était de considérer que le sportif dopé restait une victime, son entourage étant pénalement responsable et devant subir une sanction pénale, au-delà de la sanction sportive.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez été un sportif de haut niveau, champion du monde et champion olympique. Durant ces années de pratique, avez-vous été confronté de pratique dopante dans l'escrime ou pensez-vous que ce sport fasse partie des sports épargnés ?

Enfin, pourquoi avez-vous retiré votre candidature à la présidence de l'AMA ?

M. Jean-François Lamour. - Aucun sport n'est à l'abri. L'escrime est peut-être plus protégée que d'autres pour une raison simple : dans ce sport, l'aspect technique est largement supérieur à l'aspect physique. Le dopage renforce l'endurance -comme dans le cas de l'EPO- ou améliore la force -comme la testostérone ou les corticoïdes, destinés à rendre l'effort répété plus supportable. En escrime, la force physique n'est nécessaire qu'à l'explosion du geste...

Je n'ai jamais subi de pressions pour prendre un produit dopant. Je ne parle pas des gouttes nasales ou de la coramine glucose, qui ne constituent pas selon moi un dopage organisé.

Le seul cas de dopage organisé -mais qui n'a jamais été réellement prouvé- est celui d'escrimeurs d'Allemagne de l'Est dont les résultats, en 1983-1984, sont d'un seul coup devenus excellents. Ils voyaient tout et avaient été contrôlés positifs à l'atropine, produit améliorant l'acuité visuelle. À partir du moment où ils ont été repérés, ils ont immédiatement disparu de la circulation. C'est le seul cas où il y ait eu, dans cette discipline, une véritable suspicion en matière d'organisation de dispositif de dopage...

Quant au retrait de ma candidature à la présidence de l'AMA, il avait été prévu qu'un représentant des gouvernements remplace Dick Pound en 2007, pour un mandat de trois ans, renouvelable une fois. J'avais été auparavant choisi pour être vice-président, cette nomination préparant généralement à l'élection au poste de président.

Je venais d'être élu député. Or, l'AMA est basée à Montréal. J'étais parti du principe que je ne serais président de l'AMA que s'il existait un consensus général autour de ma candidature, actée par la quasi-totalité des protagonistes gouvernementaux. Il s'est trouvé que le monde anglo-saxon a souhaité présenter un candidat contre moi. C'était une forme de cabale...

Pourquoi ne suis-je pas allé jusqu'au bout ? La lutte antidopage est un monde extrêmement violent et dur pour ceux qui en ont la responsabilité. Pour être efficace, il fallait un consensus sur le nom du candidat, quel qu'il soit. Face au candidat des pays anglo-saxons -qui ont de la lutte antidopage une vision différente de la nôtre- j'ai estimé ne pas être en mesure d'appliquer correctement un programme efficace. Il suffit, pour se rendre compte que j'avais raison, de regarder où en est aujourd'hui l'AMA et ce que représente son actuel président dans le concert international !

M. Alain Dufaut. - Il est vrai que l'efficacité législative de la lutte antidopage passe par des textes en permanence évolutifs.

J'ai été rapporteur au Sénat de la loi de 2006, à laquelle vous avez donné une impulsion décisive. La mise en place de la nouvelle formule de l'AFLD vous doit beaucoup, monsieur le ministre !

Nous avons auditionné un certain nombre de responsables de l'AFLD. Une idée semble faire l'unanimité pour rendre la lutte plus efficace, celle de dissocier le volet relevant du contrôle en laboratoire du volet de la répression et de la sanction.

Quel est votre avis sur ce point ?

M. Jean-François Lamour. - Tout dépend de la personnalité qui dirige l'AFLD. Le débat a été extrêmement riche, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Je partais du principe que, pour être performante et reconnue au niveau national et international, il fallait que l'AFLD puisse montrer sa force dans le domaine de la lutte antidopage et de la recherche. C'est pourquoi j'ai souhaité associer les deux entités. L'AFLD, seule, me paraît être un organisme que je qualifierais de statutaire, mais non dynamique. Or, la lutte antidopage, par nature, doit être dynamique et en perpétuel mouvement.

À l'occasion des débats, j'avais dit -et je regrette que les présidents successifs de l'AFLD ne l'aient pas fait- qu'il me semblait important que Châtenay-Malabry puisse conquérir des parts de marché dans le contrôle antidopage, comme le font d'autres laboratoires. Je pense en particulier au laboratoire de Montréal ou au récent laboratoire de Doha, qui s'appuient sur des contrôles performants mais financent également ainsi la recherche. Il me paraissait indispensable de créer cette entité.

J'irais même plus loin aujourd'hui : je pense que pour être encore plus performant, il faudrait rassembler toutes les autorités qui, en France, peu ou prou, préservent l'éthique du sport. Je pense à un rapprochement entre l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) et l'AFLD. Tout cela coûte au contribuable et le fait de réunir l'ARJEL et l'AFLD me semble pertinent. Rien n'est pire que l'immobilisme en matière de lutte antidopage, et l'AFLD, seule, me semble aujourd'hui un mauvais choix en matière de dynamique, de recherche et de rayonnement.

Je comprends qu'on cherche à préserver l'aspect juridique en adossant le laboratoire à un réseau universitaire, mais je trouve que cette proposition a du sens dans le dispositif français.

M. Stéphane Mazars. - Monsieur le ministre, vous avez indiqué qu'il pouvait être pesant pour les sportifs de se soumettre aux contrôles inopinés et que ceci pouvait constituer une atteinte aux libertés individuelles. On sent bien qu'il existe un débat entre la lutte antidopage et la liberté individuelle des athlètes, obligés de dire ou ils se trouvent au jour le jour, ou même de se soumettre à un suivi médical, avec passeport, etc.

Quel est votre sentiment aujourd'hui ? A-t-on trouvé un point d'équilibre entre la nécessité de lutter contre le dopage et le respect des libertés individuelles, qui sont essentielles, car un sportif n'accepte pas forcément de renier ses libertés...

En second lieu, vous avez évoqué l'hésitation que vous aviez éprouvée à sanctionner le sportif lui-même. Pensez-vous toujours la même chose ? Ne faut-il pas, face aux avantages que peuvent retirer d'une carrière sportive certains de nos compatriotes, aller plus loin et passer à la vitesse supérieure, à titre d'effet dissuasif ? Ce serait là un signal assez fort que pourrait donner la société...

M. Jean-François Lamour. - La localisation est un mal nécessaire. Elle est encore mieux comprise lorsqu'on l'associe au passeport biologique. C'est pour moi indissociable et indispensable, quoi qu'il en coûte aux sportifs de haut niveau.

Si le passeport biologique démontre toute son efficacité, peut-être ne sera-t-il plus nécessaire, à terme, d'aller contrôler un sportif de manière inopinée là où il se trouve, mais aujourd'hui, et pour le court et le moyen terme, les deux me paraissent indissociables. Il faut donc que les athlètes continuent à subir ces deux types de contrôle.

Le danger de la sanction réside dans le décalage qui existe entre la justice sportive et la justice pénale, qui conduirait à un imbroglio judiciaire. La justice pénale peut avoir différentes vitesses en fonction du pays. Les procédures pénales ou civiles sont loin d'être cohérentes à travers le monde, et pourraient remettre en cause la sanction sportive, qui a réussi à établir une procédure à peu près respectée. Landis, qui a été pris lors du Tour de France de 2006, n'a pu participer au Tour de France de 2007. Je reviendrai peut-être sur le sujet, car j'ai cru comprendre qu'il existait des interprétations différentes...

Pensez-vous vraiment que la justice civile puisse traiter le problème en un an, compte tenu des appels et des différents recours ? Je ne le pense pas ! Rien ne serait pire que la justice civile remette en question une décision de justice sportive, sous prétexte que son rythme n'est pas le même.

Vous avez sûrement raison de vouloir appliquer un dispositif parallèle, comme l'ont fait les Italiens, mais il ne faut pas perdre de vue qu'un sportif peut être suspendu quatre ans, voire à vie ! Il faut donc préserver le choix de la sanction sportive, quitte à ce que l'État ou un certain nombre d'intervenants, comme dans l'affaire Armstrong, portent l'affaire devant les tribunaux pour tricherie et perception de sommes indues. Ce sont là les conséquences d'une sanction sportive et d'une décision validée par le code mondial antidopage.

Oui, sur le principe, mais non -malheureusement- dans l'application et dans les faits...

M. Jean-François Humbert, président. - La sanction pénale ne s'adresserait pas nécessairement au sportif convaincu de dopage ; elle pourrait viser une personne au courant d'un phénomène de dopage, ou qui y a même contribué, et qui refuse de dire ce qu'il sait, ou de désigner les responsables de l'opération. Cette personne pourrait alors être pénalement sanctionnée, et non nécessairement le sportif qui a été dopé...

M. Jean-François Lamour. - Le dealer est déjà sanctionné par la loi pour incitation ou trafic de produits dopants ! Vous parlez de l'entourage du sportif qui garde le silence... Peut-être faut-il, dans ce domaine, améliorer le dispositif législatif pour condamner l'entourage pour manquement à la diffusion d'un certain nombre d'informations. Encore faut-il prouver que celui-ci les détient, ce qui ne pourra être fait qu'a posteriori.

Cela peut constituer une évolution législative... Cela signifie que c'est le sportif lui-même qui livre les noms, à l'occasion d'une procédure sportive qui déclencherait à ce moment une procédure judiciaire. Cela ne me paraît pas pouvoir être concomitant -sauf si l'entourage est convaincu de trafic, ce que nous avons essayé de faire à plusieurs reprises, parfois avec succès...

Mme Danielle Michel. - Vous avez affirmé que, pour être efficace, la lutte antidopage devait être cohérente internationalement. A-t-on identifié des freins au plan international qui ralentissent la lutte contre le dopage en France ?

M. Jean-François Lamour. - J'ai évoqué l'obstacle du financement des programmes de lutte antidopage dans des pays ne disposant pas de moyens pour le faire. Je crois que le budget de l'AFLD est de l'ordre de 7 millions d'euros. Je ne pense pas que les chiffres aient beaucoup bougé depuis que j'ai quitté le ministère... La totalité de l'argent public destiné à la lutte antidopage et à la préservation de la santé des sportifs doit approcher, en France, les 20 millions d'euros. Vous imaginez bien qu'un certain nombre de pays et de continents ne peuvent supporter une telle dépense. C'est, me semble-t-il, le premier obstacle.

Si nous devons envoyer un message aux différents intervenants de la lutte antidopage, c'est surtout aux fédérations internationales qu'il faut le faire parvenir. Il faut qu'elles développent un programme bien plus ambitieux en matière de contrôle et de mise en place du passeport biologique.

Certaines fédérations internationales rechignent encore quelque peu aujourd'hui à mettre rapidement en place ce type d'évolutions, qui me semblent indispensables à la qualité de la lutte antidopage et à la préservation de la santé des sportifs de haut niveau.

Les organisateurs sont des prestataires de services, et ne sont donc pas en charge du contrôle -fort heureusement d'ailleurs, car il pourrait y avoir conflits d'intérêts. Il me semble important de laisser l'organisateur en dehors de tout cela, mais aussi d'imposer un calendrier plus contraint aux fédérations internationales. C'est là le rôle de l'AMA. Il est dommage qu'on n'entende plus son président à ce sujet. Dick Pound menaçait régulièrement certaines fédérations de les retirer du programme olympique si elles n'appliquaient pas rapidement le code mondial. Je pense qu'il faut aller dans cette direction...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'un des ministres des sports que nous avons auditionné a insisté sur la nécessité de responsabiliser davantage les organisateurs d'événements sportifs. Vous avez, sur ce point, une position plutôt divergente...

Un autre nous a fait part des pressions auxquelles un ministre des sports pouvait être soumis dans la lutte antidopage, en particulier lorsqu'il s'agit d'équipes nationales ou de compétitions internationales organisées sur le territoire français. Durant les périodes qui ont concerné la candidature française aux Jeux olympiques de 2008 et de 2012, avez-vous connu ce genre d'interventions ?

Enfin, nous avons compris que vous souhaitiez faire une mise au point concernant vos relations chaotiques avec le président Bordry, lorsqu'il était à la tête de l'AFLD, notamment à propos du dossier Landis. Nous vous laisserons donc intervenir sur ce sujet...

M. Jean-François Lamour. - Je n'ai pas de divergence avec mon collègue et ami David Douillet. Le sujet tournait essentiellement autour du Tour de France. Le problème ne vient pas d'Amaury Sport Organisation (ASO), mais du fait que le Tour de France relève non de la Fédération française de cyclisme, mais directement de l'Union cycliste internationale (UCI). Il en va pratiquement ainsi depuis que le Tour de France existe. Il faut se féliciter de notre dispositif, dans toutes les autres compétitions l'organisateur passe par l'intermédiaire de la Fédération française, principal interlocuteur des fédérations internationales -même si les fédérations internationales imposent le dispositif de contrôle antidopage.

Je vois mal l'organisateur prendre seul un certain nombre de dispositions sans se mettre en difficulté vis-à-vis de l'UCI, pour ne citer qu'elle...

Si pressions il doit y avoir, elles doivent porter essentiellement sur les fédérations internationales, par le canal de l'AMA, et je suis très heureux de constater que Mme Fourneyron s'apprête à y siéger ; je suis convaincu qu'elle y fera passer des bons messages.

Ai-je subi des pressions ? Aucune ! Cependant, il est évident qu'il y a pu y avoir des interprétations divergentes. C'est la loi du genre lorsqu'il s'agit de confronter deux visions et deux cultures en matière antidopage. J'entends ce que disait Mme Buffet, mais les règles n'étaient alors pas encore établies avant l'établissement du code mondial antidopage. Il existait, pour un même produit, trois mois de sanction dans un pays et deux ans dans un autre ! Par nature, cette divergence pouvait inciter à exercer des pressions. Le code mondial antidopage a beaucoup pacifié les relations entre les gouvernements, mais surtout entre les gouvernements et les fédérations, en imposant des critères de contrôle et de sanctions extrêmement cohérents.

Je vais à présent me permettre de faire la mise au point à laquelle M. le rapporteur m'a invité...

J'ai dit, en introduction, que la lutte antidopage peut être un engagement assez violent. Les coups bas sont réels et assez fréquents ; les propos sont quelquefois inacceptables, mais seule compte, en France comme partout ailleurs dans le monde, la réalité des informations et le fait d'éviter de colporter un certain nombre de rumeurs, ou de fausses informations. Il en va de la qualité de la lutte, ainsi que de l'honneur des sportifs et de ceux qui luttent contre le dopage !

Il faut donc que ces informations soient réelles. Selon ce que j'ai pu lire -je ne sais si c'est exactement ce qui a été dit- on est là dans le domaine de l'information tronquée, qui révèle une mauvaise gestion de l'information, voire le niveau d'incompétence atteint par ceux qui colportent ce genre de bruit !

Deux remarques ont été faites, semble-t-il, non seulement sur l'affaire Landis, mais également sur l'affaire Armstrong et sur M. de Ceaurriz, que nous avons toujours soutenu. Je garde à votre disposition un échange de courriers, en particulier quand il a fallu qu'il s'oppose à l'UCI, après avoir livré à l'AMA, à ma demande et avec mon autorisation, les analyses effectuées sur les substrats du Tour de France de 1999.

Je rappelle que c'est en 2000 que, pour la première fois, M. de Ceaurriz a pu détecter l'EPO dans les urines. Il a donc réalisé une recherche anonyme sur les substrats de 1999, a détecté des traces d'EPO et a fourni à l'AMA, avec notre autorisation et à la demande de l'Agence mondiale antidopage, les résultats de ces analyses, après que nous ayons vérifié que celles-ci restaient anonymes.

Je le rappelle : en 2005, le président du CPLD n'avait aucune autorité sur le Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD). Je vois donc mal comment il peut se permettre d'évoquer des éléments d'information concernant l'affaire Armstrong.

Dans l'affaire Landis, contrairement au président de l'AFLD de l'époque, nous avons soutenu le laboratoire. Je rappelle que celui-ci a, à l'époque, subi une intrusion dans son système informatique. Nous en avons déterminé la source, qui provenait des États-Unis. Il fallait défendre l'honneur du laboratoire, attaqué dans ses procédures de contrôle. C'est ce que nous avons fait, en demandant à l'AFLD, devenue autorité de tutelle du laboratoire, de permettre à M. de Ceaurriz d'aller défendre son honneur devant la Commission arbitrale américaine chargée de statuer sur le cas de Landis. Dans un premier temps, l'AFLD a refusé puis, suite à notre insistance -certainement ce que M. Bordry qualifie de « pressions »- a fini par financer le voyage d'un représentant du laboratoire aux États-Unis.

Il y a effectivement une divergence d'interprétation entre l'AFLD et le ministère à propos du cas de Floyd Landis. Je le reconnais bien volontiers, mais il ne s'agit pas de pressions ! Cette différence est assez symbolique de ce que doit être la lutte antidopage... Nous avions deux solutions. La première était américaine : si l'arbitrage américain condamnait Floyd Landis, cette condamnation s'appliquait à tous les pays et à toutes les compétitions. L'AFLD, en incriminant Floyd Landis, faisait en sorte que ce dernier ne pouvait concourir en France, mais restait libre de le faire ailleurs. J'ai préféré, en tant que vice-président de l'AMA, en accord total avec l'USADA et l'Agence mondiale antidopage, que l'arbitrage américain prévale sur l'arbitrage de l'AFLD. Bien nous en a pris, Floyd Landis ayant été interdit de toute compétition avant l'édition du Tour de France de 2007 !

Si l'on devait symboliser les progrès effectués en matière de lutte antidopage ces dernières années, c'est bien au travers de ce travail en relation étroite avec les différents intervenants. Ce qui compte, c'est l'efficacité des procédures et des sanctions : Floyd Landis n'est jamais réapparu dans une compétition sportive après qu'il ait été condamné par l'arbitrage américain.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous confirmez donc que les échantillons analysés en 2005 sur les prélèvements effectués lors des Tours de France de 1998 et de 1999 étaient bien anonymes ?

M. Jean-François Lamour. - Bien sûr ! Je ne parle que de 1999... M. de Ceaurriz a suivi une procédure de l'AMA, qui consistait à effectuer un certain nombre de contrôles totalement anonymes, à visée épidémiologique, afin de connaître l'état de santé du peloton en 1999.

M. de Ceaurriz a utilisé la procédure classique consistant à anonymiser les flacons en changeant les numéros des contenants et des substrats. Il a effectué les contrôles et a fourni ensuite à l'AMA une liste de contrôles positifs contenant des traces de métabolite d'EPO.

Il a ensuite fallu tout le talent d'un journaliste de L'Équipe pour « matcher » les résultats de M. de Ceaurriz -qui lui ont été fournis je ne sais comment- et ceux figurant sur les listes transmises à l'AMA, dont nous ne disposions plus, qui permettaient de connaître le numéro, le sportif et les produits utilisés. Nous avons simplement autorisé le laboratoire à transmettre à l'AMA le résultat anonyme des analyses réalisées sur les substrats de 1999 conservés au laboratoire.

Audition de M. Jean-Pierre Bourely, chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la prévention du dopage à la direction des sports du ministère des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative

M. Jean-François Humbert, président. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Pierre Bourely prête serment.

M. Jean-Pierre Bourely. - Je suis chef du bureau de la protection du public, de la promotion de la santé et de la prévention du dopage à la direction des sports du ministère des sports depuis février 2008. Je suis également représentant de la France au comité ad hoc pour l'Agence mondiale antidopage (CAHAMA) du Conseil de l'Europe, et représentant de la France au groupe d'experts sur le dopage mis en place par la Commission européenne. J'ai été le chef de délégation de la France aux deux conférences des États membres de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (UNESCO), en 2009 et 2011. J'ai participé durant deux ans au comité qui gère le Fonds pour l'élimination du dopage dans le sport, dans le cadre par l'UNESCO, où je représentais les continents européen et nord-américain.

Un certain nombre de discours se révèlent sceptiques en matière d'efficacité de la lutte antidopage, voire fatalistes...

Je considère que l'histoire de la lutte contre le dopage, dans son acception moderne, depuis la fin des années 1990 et la création de l'Agence mondiale antidopage (AMA), se situe dans un processus relativement nouveau d'homogénéisation des politiques publiques, dont les outils participent de la dynamique collective internationale.

Il est tout à fait sidérant de penser que les pratiques dopantes, dans le sport de haut niveau, qui obéissaient à des protocoles certainement très élaborés, aient eu en face d'elles un dispositif lacunaire, parsemé d'incohérences, d'inégalités et d'approches peu communes.

Depuis 1999, date de la création de l'AMA, puis avec les codes 2003, 2006 et 2009, ou la conférence de l'UNESCO, en octobre 2005, le processus d'homogénéisation, de partage, d'outils communs, de lignes directrices s'est accéléré et a donné tendanciellement aux acteurs de la lutte antidopage des outils radicalement nouveaux, gages d'une efficacité et d'une efficience globale. Il est important de le préciser, car c'est dans ce cadre que nous nous situons.

Si nous voulons améliorer encore davantage le rythme et l'ampleur de cette lutte contre le dopage, il faut concevoir le sujet de manière internationale et nationale.

L'AMA doit conforter son autorité et, dans un équilibre toujours compliqué à obtenir, concilier les intérêts des États et les attentes du mouvement sportif. La cogestion est, en quelque sorte, au sein du Conseil exécutif de l'AMA et du Conseil de fondation, la marque de fabrique de cette institution internationale.

À l'échelon international, les progrès peuvent se caractériser, dans les mois à venir, par un processus de révision du code mondial, qui doit aboutir à la conférence de Johannesburg de novembre 2013. Cette révision doit être à même de potentialiser l'ensemble des évaluations des politiques telles qu'elles ont été menées. Une négociation est en cours. La manière dont le comité en charge de recevoir l'ensemble des amendements aux différentes versions du processus de révision étant quelque peu opaque, je ne puis donc préjuger de la première épure de ce projet, qui doit s'appliquer au 1er janvier 2015. Il sera certainement présenté au comité exécutif et Conseil de fondation, en mai 2013, et suivi par un processus de consolidation et d'amodiation à la marge. Les États auront treize mois pour se mettre en conformité.

Sur le plan européen, la France a un rôle stratégique à jouer. Elle est adossée à une politique crédible, globale, qui fait de notre pays l'un des leaders en matière de lutte contre le dopage, cette politique se caractérisant par sa complétude. L'ensemble des éléments constitutifs de cette politique sont mis en place de manière effective et indépendante. Les fondamentaux de la lutte contre le dopage sont, me semble-t-il, réunis dans notre pays -même si, pour chacun des domaines en question, il existe des marges de progression que l'on peut imaginer.

Néanmoins, cet adossement permet à Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, qui représente depuis le 1er janvier 2013 le continent européen au Comité exécutif de l'AMA, de faire valoir une autorité et une crédibilité qui vont augmenter la voix de l'Europe au sein des instances de l'AMA.

En second lieu, nous devons concevoir une stratégie à l'échelle européenne, du fait de la représentation unique dans les instances de l'AMA -un représentant au Comité exécutif, cinq au Conseil de fondation. Les cinq représentants vont eux aussi être plus crédibles, la troïka ne prévoyant jusqu'à présent qu'un mandat de dix-huit mois pour ses trois représentants.

Sur le plan national, il nous faut continuer à ambitionner l'excellence. Dans de nombreux domaines, l'AMA a aujourd'hui pleinement conscience qu'elle peut s'appuyer sur la France pour promouvoir un certain nombre de ses actions. Alors que les outils stratégiques de l'AMA sont questionnés par le mouvement sportif -ADAMS, localisation, passeport biologique- le fait que la France dispose déjà d'un fondement juridique pour échanger les informations, qu'une jurisprudence du Conseil d'État du 24 février 2011 permette d'établir une lutte d'intérêt général contre le dopage, les moyens utilisés étant proportionnés par rapport aux objectifs recherchés, l'Agence mondiale peut pleinement s'appuyer sur la France pour mutualiser ce type de politique.

Par ailleurs, nous disposons, dans tous les domaines, depuis la prévention de la lutte contre le dopage, dont le ministère est responsable depuis la loi du 5 avril 2006, jusqu'à la lutte contre les trafics de produits dopants, des marges importantes de progression.

Nous ne partons pas de rien en matière de lutte contre les produits dopants, l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (OCLAESP) jouant un rôle pivot et démantelant déjà des réseaux. Un officier de police judiciaire, le capitaine Mathieu Holz, est à la disposition d'Interpol. Dans quelques jours, sera probablement publié un décret instituant une instance nationale en matière de lutte contre les produits dopants, coprésidée par le garde des sceaux et le ministre des sports, avec un secrétariat général assuré par l'OCLAESP. Il s'agira d'un élément d'impulsion de la politique d'information, qui permettra de la coordonner, d'impulser aussi cette culture et cette pratique régionale, via les commissions régionales...

M. Jean-François Humbert, président. - Quel sera le nom de cette instance ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Cette instance portera le nom d'Instance nationale de lutte contre les trafics de produit dopants. Il s'agit, à travers elle, d'activer ou de réactiver les commissions régionales déjà existantes.

D'autre part, en matière de plan de prévention, la France, porteuse de la nouvelle architecture du code mondial antidopage, a, de manière symbolique, voulu réévaluer cette politique afin qu'elle soit située à sa juste mesure dans chaque pays. Le plan 2013-2016 que va présenter la ministre, permettra d'avancer sur ce sujet. L'implication des fédérations sportives est un élément stratégique. Une enquête sociopsychologique, financée par la Fédération nationale des observatoires régionaux de la santé, doit identifier les représentations du dopage pour l'ensemble des acteurs du monde sportif.

Lorsque nous aurons les résultats de cette enquête, nous pourrons mieux appréhender les messages qu'il est pertinent de développer, selon des voies spécifiques, afin d'aider les fédérations à s'impliquer de manière pertinente dans une telle démarche.

Nous avons mis en place un Comité d'évaluation des outils de prévention du dopage, présidé par le Professeur Parquet, qui doit être auditionné demain par votre commission d'enquête. Ce comité réalise un remarquable travail de recensement des outils, avec une appréciation constructive, une approche critique qui permet que les outils existent ou qu'ils soient améliorés afin d'avoir un effet positif sur les pratiques dopantes.

Nous avons, en France, des éléments intéressants, qu'il faut porter plus loin. Je ne parle pas des dispositions législatives et réglementaires, en parfaite conformité avec le code mondial antidopage -ce qui donne du crédit et de l'autorité à la France- ni de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), réellement indépendante et dont le département des analyses a été classé, en novembre 2009, par l'AMA, parmi les trente-trois laboratoires accrédités dans le monde, comme le plus performant sur la plan quantitatif, le directeur des contrôles définissant souverainement comment, où, quand et qui doit être contrôlé en compétition et hors compétition. Tout ceci nous encourage à être plus exigeants et à essayer de trouver des marges de progression, afin d'améliorer l'efficacité et l'efficience des moyens disponibles de lutte contre le dopage.

M. Jean-François Humbert, président - La parole est au rapporteur...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur - Ainsi que vous l'avez rappelé, la ministre des sports représente aujourd'hui, au sein du Comité exécutif de l'AMA, l'ensemble des pays de l'Union européenne. Cela signifie-t-il -pour reprendre vos termes- qu'il existe, au sein des vingt-sept États membres de l'Union européenne, une homogénéisation satisfaisante ? Doit-elle être complétée ?

D'autre part, les médecins généralistes sont-ils associés à cette action de prévention ?

M. Jean-Pierre Bourely. - La ministre est présente au Comité exécutif de l'AMA, qui se réunit trois fois l'an, en mai, septembre et novembre. En mai et novembre, juste avant le Conseil de fondation, la ministre représente seule le continent européen. Son mandat émane non de l'Union européenne, mais du Conseil de l'Europe, qui regroupe quarante-sept pays, qui, au sein du CAHAMA, auquel je participe, élaborent des positions communes, uniques, sur l'ensemble des sujets.

Je suis membre du CAHAMA depuis cinq ans : on y assiste certes à des débats, dans une conflictualité saine et constructive, mais l'ensemble des quarante-sept États n'a qu'une seule et même position !

La prévention est un sujet de grande ampleur. Depuis la loi du 1er février 2012, elle consiste à adresser aux fédérations ou aux mouvements sportifs, en coopération avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), des messages d'information ciblés en matière de pratiques dopantes. Les chaînes publiques ou privées qui diffusent dans leurs programmes, sous une forme ou une autre, des images de sport ou des informations sur le sport, sont tenues de diffuser des messages de prévention du dopage, sous quelque forme que ce soit. C'est à cette fin que le ministère des sports élabore des outils, des kits et des affiches, avec le Comité d'experts présidé par le Professeur Parquet.

Nous avons organisé des campagnes hors stade et obtenu que le Centre national pour le développement du sport (CNDS) puisse financer des projets de prévention du dopage. Nous allons établir un premier bilan pour l'année 2012...

Les médecins généralistes ou les professions paramédicales peuvent accéder à l'ensemble de ces outils afin de transmettre des informations adaptées et pertinentes. Nous avons formé trois cents formateurs régionaux pour produire des effets démultiplicateurs sur les politiques de prévention du dopage.

C'est une politique compliquée qui nécessite un travail de proximité avec les fédérations et avec les clubs. C'est tout l'intérêt de la dichotomie avec le CNDS...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Qui sont les formateurs que vous évoquez : des médecins, des fonctionnaires, des membres de l'encadrement sportif ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Ce sont des personnes qui, au sein du mouvement sportif, se mobilisent en faveur de la prévention contre le dopage -et ils sont nombreux- tant au niveau des Comités régionaux olympiques et sportifs (CROS), des Comités départementaux olympiques et sportifs (CDOS) et des clubs importants. Il s'agit de médecins et d'agents des services déconcentrés du ministère des sports.

On doit maintenant capitaliser cet atout, faire en sorte que ces personnes puissent continuer à former d'autres formateurs et essaiment. Il faut, dans ce domaine, des réseaux, un partenariat et une implication forte du mouvement sportif.

M. Jean-François Humbert, président. - Selon vous, la lutte contre le dopage serait-elle meilleure en Europe et en France s'il existait une instance intermédiaire entre l'AFLD et l'AMA ? Faudrait-il ou non organiser les choses à l'échelon européen ? Pensez-vous que les agences nationales peuvent suffire à la lutte contre le dopage ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Ce serait un élément de complexité qui pourrait déséquilibrer la construction actuelle, altérant l'efficacité globale du système en cours de construction.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'activité du numéro vert « Ecoute dopage » semble en diminution. Qu'en pensez-vous ?

Enfin, avez-vous identifié les résistances conservatrices qui s'opposent à la révision du code antidopage, qui doit avoir lieu en janvier 2015 ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Le numéro vert est une singularité française qui existe depuis 1998-1999. Il comporte des antennes médicales de prévention du dopage (AMPD). Il doit en exister deux autres dans le monde, en Suisse et en Suède...

On dit que l'offre crée la demande. L'activité du numéro vert n'est en effet pas pleinement satisfaisante. Un travail est en cours avec le nouveau président, Denis Hauw, pour y remédier, notamment en matière de partenariat avec les AMPD, dont l'activité n'est pas non plus satisfaisante. Ces antennes n'ont pas d'assise juridique ; elles sont créées au sein d'établissements de santé et leurs implantations sont d'une grande hétérogénéité. Leur activité s'explique par le fait qu'elles bénéficient, dans certains hôpitaux, de l'obligation de consultation psychologique, dans le cadre du suivi médical réglementaire.

Nous réfléchissons, avec nos médecins conseillers régionaux et avec les directeurs des antennes qui sont médecins, à la façon de mieux les implanter au coeur du monde sportif. Une réflexion est également menée avec les Centres de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS). Il faut vraiment que le monde sportif puisse plus facilement accéder à de telles antennes.

Par ailleurs, il convient également de réfléchir à leur mission. Un sportif sanctionné -on en compte 200 par an- devrait, avant de reprendre la compétition, passer d'abord par une antenne et il faudrait le suivre tout au long de la sanction afin d'éviter toute rechute. Il s'agit donc d'un enjeu important. Seules 35 ou 38 personnes ont été orientées vers les AMPD et peu ont appelé le numéro vert qui dispose pourtant d'écoutants qualifiés.

Je pense qu'il faut mieux faire connaître ce numéro vert. Le fait que cela s'inscrive pleinement dans le plan de prévention que nous désirons développer sera certainement un atout précieux pour lui donner une autre audience.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Ces antennes ont relevé un moment du Comité de prévention de lutte contre le dopage (CPLD) avant d'être transférées au ministère. La situation actuelle est-elle satisfaisante ? Ne faudrait-il pas les orienter vers une hiérarchie relevant de l'AFLD ?

M. Jean-Pierre Bourely. - La loi a en effet institué ce chassé-croisé entre les compétences du CPLD, en charge de la prévention, et le ministère des sports, auparavant en charge des contrôles, pour confier à ce dernier, en vertu de l'article L. 230-1 du code du sport, une compétence générale en matière de coordination des actions de lutte contre le dopage, en particulier dans le domaine de la prévention et de l'éducation.

Le guichet unique n'est pas un monopole, la loi du 1er février 2012 ayant modifié l'article L. 232-5 du code du sport, pour doter l'Agence d'une compétence en matière de prévention. Néanmoins, le pivot qu'est le ministère se justifie, me semble-t-il, par le fait qu'il est l'interlocuteur privilégié des fédérations sportives. Il existe, dans le cadre des conventions d'objectifs, un volet médical comportant trois objectifs qui structurent nos financements. Je dispose d'une enveloppe de 6 millions d'euros pour financer le volet médical des conventions d'objectifs...

Le premier objectif est le suivi médical réglementaire des sportifs de haut niveau et des espoirs. Le second correspond à l'encadrement des équipes de France et au développement des politiques de prévention, en particulier la prévention du dopage. Le troisième objectif est un objectif de santé publique : il s'agit d'inciter les fédérations à accueillir des personnes éloignées de la pratique sportive par des prises en charge ad hoc.

Cette construction d'ensemble est cohérente. Il me semble que le sujet est maintenant de passer, dans le cadre du nouveau plan que va présenter la ministre, à une meilleure synergie et d'en tirer les conséquences juridiques pour les AMPD, qui ne peuvent plus continuer à fonctionner comme elles le font. Elles dépendent d'ailleurs, sur le plan financier, de la part territoriale du CNDS, qui va poser des questions très concrètes pour savoir ce qu'elles font...

M. Jean-François Humbert, président - Avez-vous déjà, dans vos fonctions, subi des pressions -d'où qu'elles viennent ? Vous a-t-on demandé de freiner la lutte contre le dopage ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Absolument pas ! Depuis 2006, l'AFLD, autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale, est dépositaire du triptyque contrôle-analyse-sanction à titre subsidiaire, en vertu de l'article L. 232-22. En ce qui me concerne et en ce qui concerne le ministère des sports, je n'ai jamais subi de pression, de quelque ordre que ce soit.

À l'aune des actions que nous avons menées, des lois contre le trafic des produits dopants du 3 juillet 2008, de l'ordonnance du 14 avril 2010, des trois décrets d'application de janvier 2011 ou encore du projet de loi sur le sport qui va comporter des mesures contre le dopage, notamment animal, on peut dire que la France est très bien positionnée en matière de lutte contre le dopage.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - On sait que des produits dopants, illicites, sont en vente sur Internet. Menez-vous des actions spécifiques en la matière ?

D'autre part, lors d'auditions précédentes, on nous a indiqué que l'approvisionnement des réseaux, qui entrent ensuite en relation avec les sportifs, pouvait se faire par l'intermédiaire des salles de bodybuilding. Menez-vous également des actions à l'encontre de ce type d'acteurs ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Oui, nous avons une action forte et exemplaire concernant les produits en vente sur Internet. Certains compléments alimentaires ont un effet ergogénique sur la performance sportive. Certains contenant des molécules dopantes inscrites dans la liste des produits interdits, nous avons créé, en juin 2012, une norme AFNOR, en coopération avec l'industrie des compléments alimentaires. Ce label garantit, dès lors que le complément alimentaire reçoit la norme AFNOR, l'innocuité du produit en matière de dopage. Cela étant, je rappelle que, dans une démarche de santé publique, il conviendra de développer une réflexion avec les professionnels de santé sur la pertinence ou non de la consommation de compléments alimentaires. Nous avons, dans le développement de la prévention du dopage -et j'espère que le Professeur Parquet en parlera demain- une approche de prévention des conduites dopantes. Dans ce cadre, l'absorption de compléments alimentaires, pour beaucoup de physiologistes reconnus dans notre pays, est superfétatoire par rapport à l'excellence sportive.

Sur le plan international, nous allons essayer d'élaborer une norme ISO, en partenariat avec nos collègues européens, dans le cadre du Conseil de l'Europe.

Les salles de sport constituent par ailleurs un sujet important et complexe. En effet, beaucoup de bodybuilders sont « chargés comme des mules » de produits qui vont attenter très directement à leur santé. Nous avons eu un exemple la semaine dernière à Albi, d'un jeune étudiant de 21 ans, qui a été retrouvé mort chez lui au milieu de produits dopants comme la testostérone...

Les salles de sport sont des lieux où l'on peut contrôler l'ensemble des personnes pratiquant une activité sportive. Toutefois, le code du sport, dans son article L. 230-3, précise qu'un sportif est une personne participant à une activité sportive organisée par une fédération sportive agréée, ou qui s'y prépare. Or, le monde du bodybuilding ne participe pas aux compétitions sportives. Il n'est donc pas concerné, stricto sensu, par les dispositions du code du sport en la matière. En outre, ces personnes ne sont, la plupart du temps, pas licenciées d'une fédération sportive agréée, la seule qui le soit étant la Fédération française d'haltérophilie, de force athlétique, de musculation et de culturisme.

Il y a donc deux champs avec ceux que nos contrôleurs peuvent contrôler ainsi que les officiers de police judiciaire, sur la base de l'article L. 5432-1 du code de la santé publique relatif aux substances vénéneuses, et ceux qui ne sont pas des sportifs au sens du code du sport. Sur quel fondement juridique le ferions-nous ? Dans quel objectif et avec quelles conséquences intégrerions-nous au code du sport une telle disposition ?

Néanmoins, il semblerait intéressant de compléter les articles L. 232-10 du code du sport pour y ajouter les pratiquants. Il ne s'agit que d'un projet, mais je me dois de vous le livrer... Nous pourrions ainsi prévoir un article interdisant à toute personne de prescrire, d'administrer, d'appliquer, de céder ou d'offrir des produits dopants aux sportifs ou aux pratiquants des établissements d'activités physiques et sportives (EAPS). Cela offrirait des moyens juridiques supplémentaires pour contrôler un tel secteur, qui n'est toutefois pas absent des campagnes de prévention. Nous sommes à cet effet en relation avec la Fédération française d'haltérophilie, de force athlétique, de musculation et de culturisme pour signer une charte de bonne conduite permettant aux clubs qui le voudront de s'y référer. Nous proposerons par ailleurs aux enseignes privées à but lucratif -Vitatop, Club Med, etc.- d'y adhérer librement, par le biais d'une démarche qualité.

Nous couvrirons ainsi pleinement, en termes de prévention, ce secteur qui est très sensible d'un point de vue de santé publique.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quels moyens financiers l'État met-il à la disposition de la lutte contre le dopage ? Vous avez évoqué une somme de 6 millions d'euros, mais il existe également des antennes régionales, votre propre bureau... De combien d'agents disposez-vous ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Je dispose de quinze agents pour les trois secteurs recouvrant la prévention de la lutte contre le dopage, la promotion du sport comme facteur de santé et la protection du public.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle masse financière cela représente-t-il ?

M. Jean-Pierre Bourely. - Nous disposons globalement d'une enveloppe de l'ordre de 10 millions d'euros dédiée au dopage et de 6 millions d'euros destinés à financer le volet médical des conventions d'objectifs, qui sont utilisés par les fédérations pour des projets relatifs à la prévention du dopage.

Nous avons ainsi lancé un appel à projets en 2010-2011. Une vingtaine de fédérations s'étaient lancées dans une telle démarche, mais bien plus s'y étaient en fait engagées, toutes les fédérations, peu ou prou, développant des actions en matière de prévention du dopage. Les financements que nous accordons bénéficient donc à ces actions.

Sur les dix autres millions d'euros, très clairement identifiés, 7,8 millions d'euros sont accordés à l'AFLD. L'Agence américaine antidopage (USADA), qui compte trois plus de licenciés, ne dispose que d'environ 14 millions de dollars, soit un peu moins de 10 millions d'euros. L'AMA bénéficie, quant à elle, d'un peu moins de 26 millions de dollars. Il s'agit donc d'une enveloppe très appréciable au regard de comparaisons internationales.

Nous finançons l'AMA, selon le taux de change, à hauteur de 553 000 euros ; nous finançons le numéro vert pour un montant de 244 000 euros ; les AMPD, financées par le CNDS, reçoivent 580 000 euros ; des enveloppes permettent de mener des campagnes de prévention -kits, affiches pour les manifestations hors les murs. Un site Internet réunit l'ensemble de ces outils. Un peu plus de 100 000 euros sont mobilisés par l'ensemble de ces études... Je ne puis toutefois, à ce jour, quantifier la part des 6 millions d'euros dédiés stricto sensu à cette action.

Je précise enfin que je ne suis pas sûr de disposer de toutes les pièces demandées par la commission d'enquête depuis 1998, beaucoup d'informations ayant été communiquées à l'Agence, lors de la passation des pouvoirs après le vote de la loi du 5 avril 2006.

Jeudi 28 mars 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président -

Audition de M. Armand Mégret, médecin fédéral national de la Fédération française de cyclisme

M. Jean-François Humbert, président. - Monsieur Mégret, vous êtes le médecin fédéral national de la Fédération française de cyclisme. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Armand Mégret prête serment.

M. Armand Mégret. - Je suis honoré par votre invitation.

La protection de la santé du sportif passe par deux types de surveillance. La lutte contre le dopage se réfère à l'éthique, à l'équité et à la santé : elle a pour cadre le code mondial antidopage et la loi française, l'AMA et les agences nationales ; située dans le disciplinaire, elle aboutit à des sanctions. À côté, la médecine d'aptitude, qui inclut la surveillance médicale et la médecine du travail, se réfère à la loi française. Lutte antidopage et protection de la santé du sportif répondent à des missions différentes ; il y a une étanchéité entre les deux.

La lutte antidopage relève du contrôle, elle recherche une preuve directe ou indirecte avec le passeport biologique, puis débouche sur le disciplinaire. La prise en charge médicale est plus complexe. La médecine de soins est assurée par les médecins d'équipes et de clubs ; médecins traitants du sportif, ils exercent une médecine curative, par opposition à la non-contre-indication, médecine préventive qui vérifie l'aptitude à pratiquer un sport -l'aptitude correspond à une médecine du travail qui existe seulement chez les professionnels. Il y a incompatibilité d'exercice entre ces types de médecine, ce qui n'exclut pas des échanges entre le médecin du travail et le médecin traitant. Enfin, l'avis de spécialistes peut être sollicité par l'un et l'autre ; ils établissent alors un compte rendu.

Si la déontologie nous interdit de donner des informations dans la lutte antidopage, il est arrivé que le docteur Françoise Lasne m'alerte sur une anomalie relevée dans les urines et qui faisait suspecter un cancer des testicules. Elle n'avait qu'un numéro, grâce auquel j'ai pu retrouver le nom de ce coureur pour le prendre en charge sur le plan médical.

Dans la Fédération, je suis indépendant : son organigramme montre que je ne rends de compte qu'à son président. J'avais mis en place un suivi médical longitudinal contrôlé dès 1998, avant la loi Buffet. La surveillance médicale réglementaire est régie par une loi de 2006, que nous appliquons au titre d'une délégation de service public. Elle impose une surveillance clinique et une exploration fonctionnelle ; un test d'effort préalable est requis tous les ans.

En 2013, nous avons réussi pour la première fois à avoir le même protocole sur nos quarante-sept plateaux techniques. C'est ce que nous réalisions depuis 1999 pour le suivi biologique : voilà quatorze ans que tous les cyclistes subissent de deux à quatre prélèvements annuels selon qu'ils sont juniors ou professionnels : tout le monde a les mêmes obligations et nous avons la même attitude envers tous. Nos prélèvements sanguins mesurent les mêmes paramètres que ceux du passeport hématologique qui mesure trois paramètres et décèle la prise d'EPO. Cette numération est inclue dans notre suivi.

Je dispose au siège d'une assistante. Elle adresse pour chaque prise, pour chaque examen, une lettre à chacun des 1 200 coureurs. Le sportif se rend dans un laboratoire d'analyses biologiques ou sur un plateau technique. Les résultats sont ensuite transmis sous forme numérique suivant des modalités sécurisées. Le médecin fédéral reçoit la totalité des résultats, le médecin régional ceux des amateurs et le médecin d'équipe ceux de la population dont il a la charge.

Je peux exploiter ces données sur mon ordinateur personnel. Je dispose pour chacun de ses résultats des valeurs sur plusieurs années, je peux ainsi les comparer aux valeurs normales, mesurer l'évolution des paramètres. Il faut parfois du temps pour que les profils se normalisent. Nous pouvons cibler, déterminer les conduites à tenir pour chaque anomalie et les modalités de prise en charge. Les contre-indications médicales sont à effet immédiat. Parce qu'une cortisolémie basse représente un risque sanitaire, que la prise de corticoïde ait été licite ou non, c'est un no start pour le coureur. Cela a été le cas lors des derniers 4 jours de Dunkerque comme lors des championnats de France professionnels 2012.

En 2012, nous avons suivi 1 200 coureurs dont 224 professionnels. La ligue professionnelle a demandé que ces derniers aient le même suivi que les amateurs - il n'en est pas de même dans tous les sports. La même année, nous avons répertorié 272 anomalies et il y a eu 68 contre-indications à effet immédiat, une mesure administrative qui impose au coureur de rendre sa licence au président de son comité ou de la fédération. Il ne la récupère qu'après des visites d'experts. L'individu qui ne respecte pas les obligations de suivi est lui aussi passible d'une contre-indication administrative.

Contrairement à ce qu'on dit, je ne suis absolument pas opposé au passeport biologique ou hématologique. Tous les prélèvements sanguins réalisés dans le cadre de la surveillance médicale règlementaire forment la sérothèque de la fédération, située dans les laboratoires Mérieux, devenus Biomnis, à Lyon : les coureurs ont donné leur accord pour que les tubes soient conservés cinq ans et que la sérothèque soit exploitée pour construire une base de données. Les prélèvements sont toujours réalisés dans les mêmes conditions, afin d'autoriser les comparaisons dans le temps. Je ne suis pas hostile aux preuves indirectes, à condition qu'elles soient efficientes

L'UCI a présenté son passeport hématologique en octobre 2007 ; il comprend des données sur les hématies, l'hémoglobine et les réticulocytes, conformément aux exigences de l'AMA, de l'UCI et de nos scientifiques.

Lorsqu'on réalise une numération sanguine, on détecte également les anomalies affectant d'autres éléments, globules blancs, plaquettes... Mais on n'en fait rien. Certains coureurs atteints de leucémie ont ainsi émis des plaintes car, s'ils avaient été informés de ces résultats, ils auraient pu être soignés plus tôt.

La preuve indirecte constitue une avancée incontestable, mais coûteuse. Le prix grand public d'une numération sanguine s'établit à 23 euros. Il est difficile de connaître précisément le coût annuel des 900 passeports réalisés chaque année par l'UCI : il est évalué entre 5 à 7 millions, pour 4 à 6 prélèvements par an et par coureur. En cinq ans, sept coureurs ont été suspendus pendant deux ans. Tous étaient de second plan, et l'un a été suspendu alors qu'il était déjà à la retraite... Et tout cela pour un coût global de 25 à 35 millions d'euros. En 2009 et 2010, Lance Armstrong, Frank Schleck et Alberto Contador ont été convaincus de dopage, mais ce n'est pas par le suivi biologique qu'ils ont été confondus. Soit dit en passant, ces 4 500 prélèvements auraient coûté 103 500 euros au prix grand public...

Je n'oppose pas le passeport et la surveillance médicale réglementaire, les deux n'ont pas la même finalité. Nous avons signé avec le ministère une convention d'objectifs pour les 1 000 coureurs amateurs ; les professionnels prennent eux-mêmes en charge le coût de la surveillance médicale. Chaque coureur a coûté 400 euros, plateau technique et échographie tous les deux ans compris. Depuis 2002, 2 173 anomalies ont été répertoriées, dont 468 contre-indications, et de nombreuses pathologies professionnelles ont été découvertes. Le ministère suit 15 000 sportifs, pour un coût de 3,3 millions par an.

Je rêve d'une révision du statut du sportif de haut niveau -avec des aides matérielles, voire des points de retraite- et d'une véritable médecine du travail. Cela freinerait les conséquences du dopage. Une mutualisation interfédérale, voire une externalisation de cette médecine, serait également souhaitable.

Les 14 500 sportifs sont soumis à la même numération pour le ministère et pour l'AFLD : pourquoi ne pas faire des prélèvements communs aux deux instances ? Les résultats bruts pourraient être donnés aux fédérations et à l'Agence, libre aux unes et à l'autre d'ordonner des examens complémentaires.

Je rêve également d'une entité interfédérale, avec un traitement administratif et logistique de la surveillance médicale réglementaire confié à une commission médicale d'expertise intersport.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - S'agissant du Tour de France, vous avez évoqué des taux de 50 % du peloton touché par le dopage en 1999, 80 % en 2000, 70 % en 2002 ou encore en 2005. Et aujourd'hui ?

La position particulière que vous occupez au sein de la fédération doit-elle être inscrite dans la loi ? Vous ne dépendez que du président, non des entraîneurs, des clubs, etc.

M. Armand Mégret. - Je rends des comptes au ministère !

Je n'ai pas cité les taux que vous mentionnez.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Dans la presse...

M. Armand Mégret. - En 1999, 60 % du peloton souffrait d'hyperferritinémie, caractéristique de l'hémochromatose, une maladie dont la prévalence atteint seulement trois pour mille dans la population générale ! Cela était manifestement lié à la prise de fer injectable, essentiellement par voie intraveineuse, et, dans la grande majorité des cas, associé à de l'EPO (érythropoïétine).

L'hyperferritinémie a disparu du peloton. Mes fonctions concernent le volet sanitaire et je n'ai pas accès aux informations du volet antidopage, mais le diagnostic d'EPO est facile à faire, même devant le poste de télévision : quand je voyais Gianni Bugno et Miguel Indurain monter l'Alpe d'Huez côte à côte sans respirer, je n'avais pas beaucoup de doutes.

Quand une procédure est enclenchée, elle est directement adressée aux services juridiques de la fédération, en particulier à son président. Cependant, je le répète, ce sont des données auxquelles je n'ai pas accès.

Mon contrat avec la fédération est imposé par l'Ordre des médecins. Il précise mon indépendance, y compris vis-à-vis du président. En revanche, j'ai des comptes à rendre au ministère, notamment par un rapport annuel d'activité. Je n'ai jamais subi de pressions et j'ai toujours bénéficié de bonnes conditions de travail au sein de la fédération.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - L'Ordre des médecins n'est-il pas le grand absent de la lutte antidopage, notamment sur la prévention ?

M. Armand Mégret. - J'ai dû présenter mon contrat à l'Ordre des médecins, qui l'a validé sans la moindre difficulté. Lorsqu'a été créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), nous avons créé, avec Michel Boyon et Michel Rieu, une commission médicale sur le statut du médecin, pour définir les missions, les incompatibilités... L'Ordre des médecins nous a beaucoup aidés.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous des relations avec les contrôleurs de l'AFLD ?

M. Armand Mégret. - Aucune. Je m'occupe de médecine, je ne suis pas concerné par le volet antidopage.

M. Jean-Claude Carle. - Lance Armstrong et les autres n'avaient pas de passeport biologique ?

M. Armand Mégret. - Armstrong a déclaré qu'il ne s'était pas dopé. Michael Rasmussen, qui avait aussi un passeport, a avoué. Ce sont les limites du passeport...

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Les médecins fédéraux ne devraient-ils pas être concernés par la définition de la politique publique de lutte contre le dopage ?

M. Armand Mégret. - Non. Ils ne le peuvent pas. Ils respectent leur code de déontologie. Je ne suis habilité à prendre des décisions que médicales ; si je vois des anomalies, je ne peux en informer personne. Une évolution serait souhaitable.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Il vous arrive tout de même de tirer la sonnette d'alarme. En 2012, vous avez souligné l'augmentation des anomalies constatées dans le cadre du suivi longitudinal des cyclistes professionnels...

M. Armand Mégret. - Nous savons que le sport de haut niveau, surtout s'il est trop ou mal pratiqué, comporte des risques élevés pour la santé. Il déclenche des pathologies, souvent spécifiques, que le sportif combat notamment grâce à des produits dopants. C'est pourquoi je réclame une véritable médecine de protection, comme la médecine du travail. Quand des travailleurs étrangers travaillent dans une entreprise étrangère sur le sol français, ils doivent respecter le code de travail. Les cyclistes étrangers sont salariés de leur équipe, ils devraient également y être soumis. J'ai commencé à opérer des prélèvements inopinés dans le cadre de la médecine d'aptitude. Cela peut conduire à interdire à un coureur de s'aligner sur le départ, mais non déclencher des sanctions disciplinaires.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Faut-il multiplier les contrôles inopinés dans les compétitions ?

M. Armand Mégret. - Cette année, j'ai réalisé 35 prélèvements sur le Paris-Nice, plus de 50 sur le Tour de France 2012.

M. Stéphane Mazars. - Qu'est-ce qui vous interdit de communiquer vos informations ?

M. Armand Mégret. - Le secret médical. Dans le cadre d'une procédure judicaire, un juge a saisi deux de mes dossiers, en présence d'un représentant de l'Ordre des médecins. Les obligations du code déontologique ont été respectées.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Qu'y a-t-il de nouveau dans l'affaire Armstrong ? Avez-vous été surpris par l'ampleur du phénomène ?

M. Jean-François Humbert, président. - Les produits n'étaient pas nouveaux. Les mêmes, du reste, que dans l'affaire Festina...

M. Armand Mégret. - Il n'y rien de nouveau, si ce n'est que nous sommes passés d'un stade artisanal à la grande entreprise. De plus, il y a sans doute eu des protections, au moins passives.

M. Jean-François Humbert, président. - Y a-t-il des nouveaux types de dopage ?

M. Armand Mégret. - La lutte antidopage est devenue efficace ; on détecte l'EPO. En conséquence, les cyclistes reviennent aux bonnes vieilles méthodes, singulièrement celle de Lasse Virén, un coureur de fond des années soixante-dix, qui pratiquait des autotransfusions sanguines : elles augmentent le transport d'oxygène vers les muscles et ne sont pas détectables.

M. Jean-François Humbert, président. - Le domaine des transfusions sanguines n'a-t-il connu aucun perfectionnement ? Il est vrai qu'on parle de ces coureurs qui font attendre le contrôleur parce qu'ils sont occupés...

M. Armand Mégret. - La transfusion d'une poche de sang prend un quart d'heure à vingt minutes. On n'a pas les moyens de détecter l'autotransfusion. Mais certains ont avoué.

M. Jean-François Humbert, président. - Comment adapter la réglementation aux techniques nouvelles ?

M. Armand Mégret. - C'est aux scientifiques de répondre et à la recherche de trouver le moyen de détecter les autotransfusions.

M. Jean-François Humbert, président. - Le médecin que vous êtes a bien quelques connaissances. Combien de temps faudra-t-il attendre ce progrès ?

M. Armand Mégret. - Je ne peux répondre à cette question, je n'ai pas la compétence scientifique pour.

M. Jean-Claude Carle. - Les autotransfusions ne sont-elles pas détectables dans le contrôle sanguin continu ?

M. Armand Mégret. - L'UCI accorde aux cyclistes un délai de deux mois pour faire leur prise de sang. Ils choisissent le moment ! Je plaide pour une réduction de ces délais, mais la fédération est tributaire des règlements internationaux. Dans la surveillance médicale, aucun élément ne permet de répondre à la question. Il faudrait s'adresser aux hématologues.

Je participe de temps en temps aux réunions de l'AFLD. Il semblerait qu'apparaissent des ébauches de moyens pour détecter l'autotransfusion.

M. Jean-François Humbert, président. - Un rapprochement entre le laboratoire d'analyse de l'AFLD et les laboratoires d'université, qui comprennent des spécialistes, y contribuerait-il ?

M. Armand Mégret. - Nous mettons actuellement la sérothèque à disposition d'un projet de l'INRA de Toulouse sur le métabolome, auquel participe notamment le professeur Le Bouc de Paris. Ces personnes sont qualifiées pour nous dire si des preuves sont possibles. Je suis médecin rééducateur ; je me situe au bout de la chaîne.

M. Jean-François Humbert, président. - Quand les résultats de ces recherches seront-ils disponibles ?

M. Armand Mégret. - Je ne fais pas de prospective.

M. Stéphane Mazars. - Le cyclisme est-il trop exigeant physiquement pour être pratiqué à l'eau claire ?

M. Armand Mégret. - Il peut l'être et je constate une nette amélioration avec la génération actuelle.

M. Jean-François Humbert, président. - En tant que médecin fédéral, vous est-il arrivé de subir des pressions ?

M. Armand Mégret. - Jamais.

M. Jean-François Humbert, président. - Même en tant que médecin d'équipe ?

M. Armand Mégret. - Je n'ai jamais subi de pressions. J'ai eu d'excellentes conditions de travail au sein de la fédération.

M. Jean-François Humbert, président. - Même en tant que médecin d'équipe ? De la part des employeurs ou des coureurs ?

M. Armand Mégret. - Jamais.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Il existe deux listes de produits interdits, pendant ou hors la compétition. Trouvez-vous cela justifié ?

M. Armand Mégret. - Non. Il devrait y avoir une seule liste. Les sportifs malades doivent arrêter la compétition et ne la reprendre qu'une fois le traitement terminé.

M. Jean-Claude Carle. - Pourquoi les autorités sportives - UCI ou AMA, je l'ignore - ont-elles relevé le seuil de corticoïdes admis lors des contrôles antidopage ?

M. Armand Mégret. - La prise de corticoïdes fait baisser la production de l'hormone cortisol par l'organisme. Si je constate ce phénomène, je déclenche une contre-indication médicale. La prise de corticoïdes a été libéralisée. En janvier 2013, nous avons créé dans le règlement médical un chapitre relatif à l'usage des corticoïdes et restauré le carnet du coureur, grâce auquel nous suivons leur état de santé et leur consommation de médicaments. Le dispositif rentrera progressivement en application cette année.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Si, au niveau fédéral, le médecin n'est pas impliqué dans la lutte contre le dopage, qui le sera ?

M. Armand Mégret. - Nous appliquons la loi. C'est l'AFLD qui décide des contrôles à effectuer. Lorsque l'un d'eux est positif, sont prévenus le président de la fédération, le médecin instructeur de la commission disciplinaire et le service juridique. En tant que médecin, je ne suis averti de rien. Je lis ces informations dans la presse. J'ignore si cette étanchéité est une bonne chose, mais elle fonctionne.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Nous sommes dans la période de renouvellement des conventions d'objectifs entre l'État et les fédérations. Les médecins fédéraux ne sont-ils pas associés aux discussions ?

M. Armand Mégret. - Je travaille au volet médical du nouveau contrat et assiste à ce titre aux réunions, aux côtés du président de la fédération et de son trésorier. Il y a 1 200 coureurs à suivre sur le plan sanitaire, une éducation à faire - car les jeunes sportifs sont un peu des aventuriers. À nous de leur faire passer les messages importants et, le cas échéant, de prendre des décisions - strictement médicales.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous préconisez donc une meilleure prise en charge sanitaire des sportifs pour limiter le dopage ?

M. Armand Mégret. - Oui. Il faut revoir le statut du sportif de haut niveau, je l'ai dit, et la prise en charge sanitaire. Comme tout médecin du travail, le médecin fédéral doit analyser les risques du poste de travail par discipline et par sport.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. Nous sommes preneurs de la documentation que vous nous avez proposée.

Audition de M. Philippe-Jean Parquet, docteur en psychiatrie et addictologie, président de l'Institut régional du bien-être, de la médecine et du sport santé de Nord-Pas-de-Calais

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Philippe-Jean Parquet prête serment.

M. Philippe-Jean Parquet. - Merci de m'accueillir. Auditionné avec d'autres par la Haute Assemblée il y a quelques années, à une époque où le sujet n'était guère considéré, nous étions passés pour d'étranges individus... J'interprète votre invitation comme un premier signe d'efficacité.

Je m'intéresse à l'évaluation des politiques publiques et notamment aux questions de prévention. L'efficacité de l'action publique impose de définir le problème à traiter, les objectifs, les méthodes, de sélectionner les compétences nécessaires à la mise en oeuvre et, enfin, de concevoir des méthodes d'évaluation de la politique menée. L'évaluation est notre point faible : elle reste à construire. Par exemple, nous travaillons encore sur des données épidémiologiques d'institutions, c'est-à-dire découlant du fonctionnement des institutions existantes et non pas fondées sur la réalité des pratiques dopantes.

Je distingue le dopage sportif et les conduites dopantes. Ces dernières ne sont pas réservées aux sportifs de haut niveau, ni même aux sportifs licenciés ; elles connaissent un large écho dans la population. J'ai eu l'occasion de dire au Conseil de l'Europe que les conduites dopantes en entreprise étaient un problème considérable.

Le dopage sportif a une définition opératoire : il désigne l'utilisation d'un certain nombre de produits et de méthodes. La légitimité de ceux qui en dressent la liste est un problème en soi. À titre d'exemple, le cannabis sort et rentre à nouveau dans la liste, selon les pressions subies, selon les pays. La définition du dopage sportif varie donc selon les techniques, mais aussi selon des critères politiques et selon le poids de différents groupes d'influence. Ce qui pose la question du poids de notre pays dans les instances internationales.

Les conduites dopantes désignent l'ensemble des produits et méthodes destinées à accroître la performance, au sens large du terme. Elle peut être le fait de sportifs comme de salariés dans les entreprises du secteur privé. Elle touche particulièrement les salles de musculation. La fédération française d'haltérophilie travaille sur une charte des salles de remise en forme, afin de les soustraire à l'emprise du dopage. Une approche réaliste du problème impose de s'intéresser aux conduites dopantes en général.

Dès 1993, j'ai contribué à introduire en France la notion de conduites addictives pour désigner la consommation de substances qui modifient la façon de fonctionner d'un sujet, la vision qu'il a de lui-même et de son environnement. La loi Buffet, à laquelle j'ai participé, a été pionnière dans la traduction de cette notion en introduisant un volet sanitaire aux côtés des volets législatif et réglementaire - comme cela se fait pour la toxicomanie.

Ces notions s'articulent de manière cohérente. J'ai contribué à fonder le premier centre d'addictologie, à Lille. Dans ces établissements, nous voyons des consommateurs de substances illicites, sous l'emprise de l'alcool, qui ont été d'intenses pratiquants sportifs. La performance sportive préfigure les conduites addictives et dépendances ultérieures. Les politiques de lutte contre le dopage sont ainsi à replacer dans une politique de santé publique et d'éducation plus large.

La prévention peut être guidée par une approche réglementaire et législative. Le sportif qui prend une licence dans une fédération accepte un certain nombre de règles, auxquelles il se soumet lorsqu'il pratique son sport, participe à une manifestation sportive. La situation est de nature contractuelle. Les contrôles ont lieu au cours des compétitions, au moment de la performance - laquelle, au sens anglo-saxon, désigne ce qui est donné à voir à l'ensemble des spectateurs. Cette approche va de pair avec une rigueur particulière : qui contrôle quoi, comment, quelles sont les sanctions possibles et leur mode de contestation. Cette conception du sport est largement d'origine anglo-saxonne : le sportif respecte la parole donnée, non des valeurs sportives.

L'approche morale est une deuxième façon d'appréhender la prévention. J'étais intervenu sur le sujet lors d'une conférence organisée par le Comité international olympique à Lausanne : le président Juan Antonio Samaranch m'a dit que mon approche était utopique et que la question centrale était celle de l'image du sport. C'est ainsi que l'on voit fleurir des campagnes de communication du ministère des sports qui stigmatisent les sportifs dopés, qui se voient tatouer « tricherie » sur le front. J'ai quelque réticence face à cette approche et à la stigmatisation dans laquelle elle peut verser.

L'approche sanitaire, enfin : à cet égard, la loi Buffet a marqué un changement radical. Dans nos sociétés, la santé est devenue non plus seulement un concept défini par l'OMS mais une valeur qui mérite d'être respectée pour elle-même. Cette approche, quoique teintée de morale, conserve toute sa pertinence lorsqu'elle est rigoureusement appliquée.

Reste que la prévention dans le milieu sportif et la prévention dans la vie ordinaire sont deux choses assez différentes. Il faut définir des critères d'efficacité. Les listes de produits interdits, sur le modèle anglo-saxon, peuvent aider, à condition de garder à l'esprit que nous sommes dans le champ de l'épidémiologie d'institution. La prise de conscience, il y a quinze ans, de l'intérêt du sport pour développer la citoyenneté, la santé, le vivre-ensemble fut une révolution. Le choc n'en a été que plus grand lorsqu'on s'est aperçu que le sport de haut niveau pouvait être dommageable pour la santé. Il avait perdu la pureté originelle qu'on lui prêtait depuis Pierre de Coubertin.

L'évaluation de la politique de lutte contre le dopage est très difficile. On peut s'en tenir à une approche d'efficience : fait-on ce que l'on a annoncé ? Le problème réside dans l'attitude des citoyens : comment perçoivent-ils le dopage sportif et les conduites dopantes ? Le travail que je mène avec des directeurs des ressources humaines du secteur privé me conduit à penser que nombre de citoyens ont une conscience altérée du phénomène. Ils sont, pour employer un terme psychiatrique, dans le déni. Ce n'est pas une dénégation : ils savent que le dopage existe, mais ils font comme s'il n'existait pas. Les photos du Tour de France, en couleur comme en noir et blanc, qui ornent les grilles du jardin du Luxembourg en témoignent : les milliers de personnes amassées sur les routes pour voir passer leurs champions sont dans un déni absolu. La représentation nationale est particulièrement bien placée pour modifier le regard qu'il faut porter sur le phénomène.

Du point de vue des sportifs eux-mêmes, le problème est très délicat. Nous l'avons constaté à l'antenne de prévention du dopage que je préside dans le Nord-Pas-de-Calais : ils pensent que le dopage est nécessaire à la performance. Ils savent toutefois que leur contrat le leur interdit. Par conséquent, ils jouent au chat et à la souris. Tous ceux qui gravitent autour d'eux, médecins du sport, entraîneurs, organisateurs d'événements sportifs, entendent pour leur part faire leur métier en évitant les ennuis. Mme Marie-George Buffet m'a dit un jour que les fédérations étaient un État dans l'État. On a cherché à responsabiliser les fédérations. Or elles ont leurs propres objectifs et il est difficile de contrôler ce que l'on produit soi-même. Par exemple, les sportifs contrôlés positifs doivent être reçus par l'antenne régionale de prévention et de lutte contre le dopage où ils y reçoivent les informations et les aides personnalisées sur le dopage et les conduites dopantes. L'antenne leur donne un certificat règlementaire leur permettant de récupérer leur licence. En réalité, très peu s'y rendent. Les certificats de reprise de licence sont donc délivrés dans d'autres officines. Les cadres des fédérations sont dans une position très difficile, ils sont sans doute pleins de bonne volonté mais hiérarchisent leurs objectifs. Le travail de votre commission contribuera, je l'espère, à lutter contre cette hiérarchisation, car la santé et le respect des règles sont des objectifs d'égale importance.

Un mot sur la médecine du sport et les médecins placés auprès des fédérations. J'ai lutté pendant vingt ans dans mon CHU pour qu'il soit créé un service de médecine du sport. On envisage de le créer après mon départ et de lui donner mon nom... à titre posthume en quelque sorte ! Traduire des données médicales scientifiques à l'attention des sportifs est un travail singulier qui doit être mené. Le problème ne se limite pas aux sportifs de haut niveau. J'habite l'été un village dont le maire, également président d'une fédération sportive, organise des manifestations auxquelles participent à la fois des vedettes et les habitants, notamment les seniors. Je peux vous assurer que certains prennent du Guronsan pour améliorer leurs performances ! C'est ce que j'appelle le « dopage intime ».

Quant au dopage génétique, il témoigne avec éclat des effets néfastes de la production de connaissance. Voilà des progrès scientifiques mis au service du sport de façon tout à fait détournée, le plus souvent hors de toute maîtrise technique et de toute considération éthique.

Nous faisons beaucoup de choses en matière de prévention. Au sein de mon antenne, c'est ce qui marche le mieux. Nous intervenons dans les clubs, y compris ceux du troisième âge, les établissements scolaires. La prévention et la lutte contre le dopage ne s'opposent nullement, ce sont des politiques différenciées. Le nom de nos antennes, consacrées à la prévention « et » à la lutte contre le dopage, en témoigne.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle est la spécificité du dopage sportif par rapport aux conduites dopantes ?

M. Philippe-Jean Parquet. - Dans le fond, il n'y a absolument aucune spécificité, mais une utilisation spécifique des méthodes de dopage. Premier cas de figure : le comportement de dépendance, qui laisse place à un état de sevrage lorsque la prise du produit s'interrompt. Le temps passé à la recherche et à l'administration du produit exclut toute autre activité. Je connais une lanceuse de marteau qui s'est vue contrainte d'interrompre son sport après une fracture du bras. Sujette à des troubles du comportement, de l'humeur, du sommeil, elle a résolu, avec l'aide d'un ami médecin, de changer son plâtre pour retrouver une liberté de mouvement autorisant l'entraînement.

Deuxième hypothèse : l'usage nocif. C'est un comportement qui ne conduit pas à une dépendance, mais qui crée des dommages. Les sportifs dépendants sont peu nombreux. Ceux qui utilisent des produits nocifs le sont davantage. Enfin, troisième cas de figure : l'usage occasionnel.

Toutes ces conduites conduisent à élaborer ce que j'appelle un bricolage chimique. Il est souvent intentionnel : dans le cas du toxicomane, il vise à procurer du plaisir, dans les autres cas, à augmenter la performance ou à supporter la douleur de l'entraînement.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle est selon vous la principale explication du recours au dopage chez les sportifs ? L'appât du gain ? La pression familiale ou médiatique ? L'identification au champion ?

M. Philippe-Jean Parquet. - Stéphane Diagana m'a dit un jour que son entraîneur le motivait en l'incitant à « tuer » tous ses adversaires. « Avec qui est-ce que je vais courir ? » demandait celui-ci en retour. La volonté de faire une belle performance est une première explication. À mesure que le niveau s'élève, les sportifs sont animés de l'envie de faire mieux que les autres. Puis vient l'impératif de reproduire la performance, maintenir son niveau : car tous les sportifs sont sujets à l'angoisse de ne pas réitérer le résultat établi auparavant. À tout cela s'ajoute l'idée qu'il est logique de prendre des produits, parce que tout le monde le fait.

M. Jean-François Humbert, président. - Quels sont les effets du dopage sur la santé psychique ?

M. Philippe-Jean Parquet. - L'addiction au mouvement est rarement évoquée. Les marathoniens ou les haltérophiles, par exemple, ne peuvent bientôt plus se passer de l'activité physique, musculaire et intellectuelle à laquelle ils s'adonnent plusieurs heures par jour.

Deuxième problème, l'évacuation de toute vie extérieure, citoyenne ou familiale : hors l'activité sportive, plus rien n'a d'importance. C'est surtout vrai chez les sportifs de haut niveau, mais parfois également chez les amateurs, surtout ceux qui connaissent des difficultés de vie et trouvent un point d'ancrage dans un sport. Enfin, le dopage provoque parfois une altération de la liberté, à l'instar de ce que provoque la consommation de cocaïne ou d'héroïne.

M. Jean-François Humbert, président. - Quel lien faites-vous entre dopage et toxicomanie ?

M. Philippe-Jean Parquet. - C'est mon principal champ de compétence. Certains produits sont communs à la toxicomanie et aux conduites addictives. On sait par exemple que la cocaïne, qui améliore la perception du champ visuel et la rapidité de réaction, est très consommée dans les sports de raquette. De même, des études ont révélé que les élèves des grandes écoles consommaient des corticoïdes, à l'instar des sportifs de plus ou moins haut niveau.

Ceci est susceptible d'induire des troubles psychopathologiques, comme des états dépressifs en cas d'interruption de la prise des substances. Ces états ne sont toutefois pas toujours faciles à imputer à l'arrêt des produits plutôt qu'à l'arrêt de la pratique sportive.

La position iconique des sportifs de haut niveau est également source de risques sociétaux. Le bricolage chimique devient un modèle. C'est de ces icônes que les cadres du privé s'inspirent lorsqu'ils recherchent la performance.

M. Alain Néri. - Plus que l'appât du gain, c'est la gloriole qui anime les sportifs, la volonté d'être l'homme sur le pavois, quitte à employer des moyens pas très naturels. Cela vaut aussi bien pour les sportifs du dimanche, ceux qui feraient tout pour pouvoir dire qu'ils ont battu leur voisin de palier au tennis ou à la course de vélo...

Quelles actions de reconversion et d'accompagnement psychologique peut-on envisager pour les sportifs en fin de carrière ?

M. Philippe-Jean Parquet. - On accuse souvent l'argent. Il joue un rôle, indiscutablement. Mais pour un certain nombre de sportifs de haut niveau, il n'est qu'un marqueur de leur statut, de la réussite sociale acquise grâce à leurs exploits sportifs. L'aisance avec laquelle ils le dépensent l'atteste.

L'image d'eux-mêmes est un autre moteur, puissant. Certains sportifs ne cessent de se demander qui ils sont et ce qu'ils donnent à voir. Le processus est similaire à celui de l'anorexie mentale, dont le corps doit être montré dépourvu de signes de féminité. L'image sociale compte beaucoup. Aux Jeux olympiques de Londres, je me suis retrouvé un jour en compagnie de Marie-José Pérec et de Laura Flessel : au nombre de personnes qui m'en ont parlé ensuite, j'ai pu faire l'expérience de ce que produit la notoriété. Cet extraordinaire capital, comment ne pas vouloir le conserver ? La fin de carrière provoque chez les sportifs des dégâts somatiques importants. « Je m'arrête parce que je suis tout cassé » m'a dit l'un d'entre eux. « Que vais-je devenir ? » ne cessent-ils de se demander. « Je n'étais que cela », se plaignent-ils. Comme si toute leur personne était réduite à leur corps sportif. Il faut être très attentif à ces situations. Contrairement à ce que l'on dit, beaucoup de fédérations accompagnent les sportifs de haut niveau dans cette nouvelle phase de leur parcours.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Avez-vous le sentiment que les spécialistes de la psychologie de la performance sportive sont suffisamment associés à la lutte contre le dopage ?

M. Stéphane Mazars. - Faut-il associer davantage les psychologues à la formation des jeunes sportifs ?

M. Philippe-Jean Parquet. - La préparation mentale a pour objectif de mettre celui qui s'y soumet en condition favorable à la pratique du sport, et non dommageable pour sa santé. C'est une première approche. Elle est répandue.

Nous sommes bien moins nombreux à nous pencher sur l'aspect psychologique des pratiques sportives, du sport de haut niveau et du quotidien. Cette pratique impose d'abord de produire des connaissances académiques. J'ai moi-même commis quelques travaux sur la question. Ils ne sont pas légion. Les appels d'offres sur le sujet sont incroyablement discrets, qui n'émanent que de deux ou trois laboratoires. Ensuite, la rencontre avec les sportifs est assez problématique, car ceux-ci ne sont pas demandeurs de notre expertise. Aucun d'entre eux ne dira qu'il souffre. Sollicités uniquement en aval, pour aborder des cas pathologiques, nous sommes souvent désemparés. J'ai suivi un trader qui me disait consommer de la cocaïne quand les marchés étaient en crise. Puis il s'est mis à en consommer hors périodes de crise. Il est venu nous voir parce qu'il voulait, non pas arrêter, mais se limiter à une consommation de crise. Mais quel est le seuil de la crise ? La demande des sportifs ne colle pas avec notre approche de la psychopathologie. Enfin, notre discipline traite des cas de troubles psychopathologiques confirmés. Plus le sport est pratiqué à haut niveau, plus les athlètes sont fragiles. Il faut comprendre les violences sexuelles dans ce cadre, car les sportifs, incapables qu'ils sont de gérer leur vie, sont totalement dépendants des personnes qui les entourent. L'un d'eux m'a dit un jour qu'il se sentait comme quelqu'un qui n'a jamais eu d'argent et qui gagne au loto.

M. Jean-François Humbert, président. - Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

M. Philippe-Jean Parquet. - Je voudrais que vous compreniez la solitude dans laquelle nous sommes lorsque nous menons cette prévention et cette lutte. Nous sommes très peu nombreux. Beaucoup trouvent notre action positive, mais nous manquons toujours de moyens. L'antenne que je préside me prend une vacation par semaine et occupe un médecin et un psychologue à mi-temps, tout cela pour vérifier les autorisations d'usage des médicaments à des fins thérapeutiques (AUT), accueillir les gens qui ont été contrôlés et faire de la prévention. Et encore, je me sers du service d'addictologie dont je suis responsable et utilise le site dédié de l'institut régional de biologie et de médecine du sport dont je suis président. J'ai les plus grandes difficultés à gérer mon budget annexe, qui fait partie du budget de mon CHU. En outre, comme il n'est pas aisé pour tout le monde de se rendre à l'hôpital, j'ai été forcé de m'implanter dans un centre de ressources, d'expertise et de performance sportive (Creps). Quand je pense que mon antenne fait partie des plus richement dotées !

Enfin, je veux insister sur le travail à mener avec l'ensemble des citoyens. L'interdiction de fumer dans les lieux publics a mis des années à s'imposer, après de multiples campagnes axées sur le tabagisme passif plutôt que sur le respect d'autrui. La représentation nationale et les médias ont peut-être ce pouvoir d'infléchir les représentations collectives, afin que les citoyens quittent leur position de déni. Aucun travail constructif ne peut être mené à long terme sans l'adhésion des citoyens.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci.