Mercredi 12 juin 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président - 

Audition de MM. Pierre Berbizier, ancien joueur de rugby et ancien sélectionneur de l'équipe de France de rugby de 1991 à 1995 et Marc Bichon, ancien médecin de l'équipe de France de rugby de 1991 à 1995

M. Jean-François Humbert, président. - Nous sommes très heureux de vous accueillir ainsi que vous le souhaitiez. Nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête. Je me dois de vous rappeler un certain nombre d'obligations. Vous allez nous apporter votre point de vue concernant le dopage. Nous sommes obligés, avec mes collègues, de vous dire que cette audition est publique et que vous avez l'obligation de dire la vérité, toute la vérité. Chacun peut avoir sa version de la vérité, mais tout le monde doit nous dire la vérité, vous comme les autres.

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre Berbizier et Marc Bichon prêtent serment.

M. Jean-François Humbert, président. - La tradition de notre commission d'enquête, avec l'accord de l'ensemble de ces membres, est de laisser la faculté à celles et ceux qui ont voulu parler, de disposer d'un quart d'heure. Nous essaierons de tenir à peu près les délais. Vous disposez de ce temps pour vous exprimer tous les deux sur le sujet, et donner votre version des choses. Nous aurons la possibilité de vous poser quelques questions ensuite. Je vais d'abord demander au public, souvent représenté par un certain nombre de membres de la presse, de ne pas manifester son point de vue ni positivement ni négativement, en fonction de ce qu'on entend.

Ces propos liminaires étant tenus, je vous laisse le soin de parler. Qui commence ? Docteur Bichon ?

M. Marc Bichon. - Étant le plus jeune, c'est moi qui vais commencer. Tout d'abord, nous vous remercions Pierre et moi d'avoir accepté de nous entendre dans le cadre de cette commission concernant l'efficacité de la lutte contre le dopage. Nous avons conscience de la raison pour laquelle nous sommes présents. Nous y sommes parce que des propos ont été tenus sur nos propres personnes, en particulier sur la mienne, touchant à mon intégrité personnelle et médicale.

En brève introduction, je vais vous dire qui nous sommes. Pierre est beaucoup plus connu que moi. Je vais faire un digest de ma vie, notamment dans le monde du sport. Je suis né le 27 avril 1950 dans le Tarn, pays riche en rugby et en matière politique, comme certains d'entre vous le savent. J'ai prêté serment une première fois, le serment d'Hippocrate, en novembre 1978. J'ai commencé ma carrière le 19 avril 1979 au ministère de la jeunesse et des sports, en tant que médecin contractuel et médecin chef du centre d'entraînement en altitude de Font-Romeu, à l'époque lycée climatique et sportif de Font-Romeu. J'étais le médecin de ce centre jusqu'en 1986, ce qui m'a permis de parler beaucoup dans le monde de l'entraînement en altitude, et de m'occuper personnellement de la préparation en altitude de l'équipe de France de football en 1982, 1984 et 1986.

En janvier 1986, j'ai été affecté au Centre de ressources, d'expertise et de performance sportives (CREPS) de Toulouse. J'ai créé le service médical et un département d'évaluation « recherche ». C'était l'époque de l'évaluation au ministère des sports. J'étais personnellement missionné par la fédération française de rugby, d'athlétisme, des sports de glace, etc., pour les aider à mettre en place leur programme de développement et d'évaluation. Je suis resté médecin chef du CREPS de Toulouse jusqu'en 2004. Durant cette période, j'ai été un acteur modeste de la lutte antidopage. À cette occasion, j'ai travaillé sur la formation et l'information des jeunes sportifs vis-à-vis des problèmes du dopage, conformément à notre devoir et à notre mission.

Simultanément, j'ai prêté serment pour la deuxième fois, devant le Tribunal de grande instance de Toulouse, en tant que médecin préleveur. J'ai donc prêté deux fois serment, la troisième fois aujourd'hui devant vous. Les problèmes du dopage ont toujours été en filigrane de cette carrière. J'en avais fait mon « combat ». Je me suis battu pour la lutte contre le dopage, et surtout pour la formation et l'information des jeunes sportifs vis-à-vis de cette problématique.

Les choses ont évolué au fil des ans. Au début, nos propos étaient très moralistes : « ne fais pas ci, pas ça », « voilà la liste », etc. Actuellement, la prévention porte plutôt sur la lutte anti-addictive, vis-à-vis de la cigarette, du cannabis et de l'alcool. Nous continuons d'expliquer aux jeunes sportifs de compétition quels sont leurs droits et devoirs, ainsi que le comportement qu'ils doivent adopter en cas de lutte antidopage. Ça a été ma vie durant vingt-cinq ans au ministère de la jeunesse et des sports, auquel j'appartenais lorsque j'ai rencontré Pierre Berbizier. Celui-ci m'a demandé de l'accompagner avec l'équipe de France de rugby.

Les propos tenus récemment me blessent et me touchent profondément parce que la réalité se situe très loin des propos qui ont été récemment tenus au sein de cette commission. J'invite Pierre à continuer.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous remercie pour ces premiers mots. Monsieur Berbizier ?

M. Pierre Berbizier. - Je vois que j'ai encore une longue route à faire. Par rapport à Marc, c'est la première fois que je prête serment. Il m'en reste deux pour boucler la boucle.

J'ai commencé comme professeur de gym. J'ai éduqué des enfants, entraîné des adolescents et des adultes. Je voulais vous remercier de me permettre de me retrouver devant vous. C'était le seul moyen de s'exprimer à propos de faits surréalistes. Je dois vous avouer que je suis très étonné. Je vous remercie de nous recevoir pour nous permettre de rectifier les propos tenus. Nous n'avions pas d'autre cadre pour le faire. La diffamation ne peut pas être utilisée aujourd'hui. J'ai fait appel à Marc Bichon durant la période 1991-1995 pour m'aider à encadrer l'équipe de France, en raison de son expérience de médecin de haut niveau. Nous avions des moyens beaucoup plus limités qu'aujourd'hui. Nous nous occupions de la préparation physique, Christophe Bombet, l'autre entraîneur, de la vidéo-statistique. Nous n'avions pas un staff médical très fourni pour la préparation physique. Nous avons essayé de traiter ces problèmes dans le cadre d'une organisation du travail.

Le haut niveau demande beaucoup de travail. Ma formation de professeur de gym, d'éducateur et d'entraîneur m'a convaincu que c'est par l'organisation du travail et une certaine préparation qu'on peut arriver au haut niveau et lutter contre le problème dont nous allons parler aujourd'hui. Ça a toujours été mon principe et ma conviction, qui me rendent encore plus fort devant ce genre de témoignage que je ne peux accepter. Je suis prêt à parler de ce problème en toute transparence et toute clarté, sur des faits précis, des preuves précises, et non sur des rumeurs.

Notre monde est malheureusement basé sur la communication. J'ai toujours été dans l'action. Il faudrait trouver un équilibre entre l'action et la communication. Je ne pense pas qu'on lutte efficacement contre le dopage de cette manière. Je pense à l'inverse qu'on favorise ce fléau que j'ai toujours combattu, ce que je tiens à préciser encore plus fortement aujourd'hui.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. Laurent Bénézech, dont vous parlez, est venu devant la commission. À cette occasion, il nous a dit qu'il avait la conviction forte que durant la Coupe du monde de 1995, il aurait été « traité à la cortisone ». Vous étiez entraîneur et médecin de l'équipe de France à cette époque. Que pensez-vous de cette affirmation ?

M. Pierre Berbizier. - Il faut replacer le sujet dans le contexte global de l'organisation d'une Coupe du monde, ou du moins de celle-ci. Durant l'année 1995, nous avons eu 40 jours, compétition comprise, pour préparer ce groupe. À l'époque, nous étions réunis le mercredi à 11 heures pour jouer le samedi. Nous nous retrouvions en tournée ou en Coupe du monde, pour quatre ou cinq semaines. Le créneau permettait d'organiser un travail de haut niveau, en continuité, sur la durée, avec un groupe. C'est ce qui nous a permis d'avoir certains résultats en Argentine en 1992, en Afrique du Sud en 1993, en Nouvelle-Zélande en 1994, en vue d'être compétitifs en Coupe du monde en 1995, qui se terminera en demi-finale contre l'Afrique du Sud.

Durant cette période, nous avions les joueurs à disposition en continuité. J'ai toujours tenté de développer la préparation physique et médicale. J'ai toujours fait appel à des gens compétents pour encadrer et amener les joueurs au meilleur niveau, notamment sur le plan physique, pour développer les habilités tactiques et techniques. L'idée consistait à développer cette préparation, ce suivi médical et la préparation physique, deux éléments complémentaires de la préparation tactique.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous remercie d'avoir resitué le contexte. C'est important pour nous.

M. Marc Bichon. - Il est très important de rappeler comment nous fonctionnions avec Pierre et le staff. À l'époque, les joueurs s'entraînaient trois à quatre fois par semaine. Il y avait un très gros retard sur le plan de la préparation physique. Or, ce sujet est mon obsession. Nous avons beaucoup travaillé ensemble. Nous étions très éloignés des préparations biologiques. Nous avions besoin de faire courir et de muscler les joueurs car ils étaient très en retard.

Sur le plan médical, en matière de rugby, il y a la « bobologie » ou la traumatologie, de temps en temps des problèmes de pathologie médicale. J'avais dans mon matériel médical des produits qui n'étaient dangereux ni en termes d'utilisation ni sur le plan de la législation. Les produits étaient à ma disposition et auraient pu être accessibles pour d'autres personnes plus ou moins bien intentionnées. J'avais aussi en tant que médecin ma trousse d'urgence, où il peut y avoir des injections de corticoïde, qui ne me quittait pas. Elle était toujours dans ma chambre. Nul n'y avait accès. C'était au cas où quelqu'un faisait un oedème de Quincke ou avait un autre problème urgent. Je n'avais jamais de produits dopants, ou de produits inscrits sur la liste des produits dopants.

Quand Monsieur Benezech dit : « à l'insu de mon plein gré, j'ai pris des corticoïdes quelques années plus tard, et j'ai retrouvé l'euphorie que j'avais durant la Coupe de monde de 1995 », c'est la madeleine de Proust. Comment peut-il dire que Marc Bichon lui a donné de la cortisone à l'insu de son plein gré ?

M. Jean-François Humbert, président. - A-t-il fait l'objet d'un traitement à la cortisone ?

M. Marc Bichon. - À mon sens, non.

M. Jean-François Humbert, président. - Monsieur Benezech nous dit lorsqu'il est venu à notre demande : « L'équipe de France avait un médecin responsable qui était Marc Bichon, et un manager Pierre Berbizier. Je ne pense pas que Marc Bichon ait pris de son fait la responsabilité de mettre en place un protocole médicalisé sans en référer au manager général. Je ne pense pas que Pierre Berbizier ait pris la décision sans en référer au président de la fédération, Bernard Lapasset. » Vous êtes sous serment. Est-ce que vous démentez ces propos ?

M. Pierre Berbizier. - Complètement, en ce qui me concerne. Par ces propos, il attaque aussi ma fédération. Je trouve cela complètement déplacé. Avec Bernard Lapasset, on s'est toujours expliqué franchement. Je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, notamment sur la préparation de la Coupe du monde. J'espérais avoir un peu plus de temps, comme tous les entraîneurs des équipes nationales qui souhaitent un maximum de temps de préparation. Un certain travail nous aurait permis d'être encore plus compétitifs. J'ai la conviction que ce n'est pas « 10 centimètres » qui nous ont manqué lors de cette Coupe du monde mais des kilomètres de préparation. Nous maîtrisions un fonctionnement validé lors des précédentes tournées, efficace étant donné les résultats acquis face à des nations majeures du rugby. Cela remet en question toute cette organisation et met en cause une fédération qui n'a jamais, durant la période où elle était sous la présidence de Bernard Lapasset, utilisé ces produits. Je suis profondément blessé par ce genre de propos.

M. Marc Bichon. - Je n'ai jamais obéi à une quelconque pression. Si Bernard Lapasset ou Pierre Berbizier m'avaient demandé d'accéder à ce genre de pratique, j'aurais présenté ma démission sur le champ.

M. Jean-François Humbert, président. - D'une manière générale, nous essayons de revenir sur les principaux sujets évoqués. Monsieur Bénézech a affirmé qu'en matière de dopage, « le rugby est exactement dans la même situation que le cyclisme avant l'affaire Festina ». Vous comprenez le poids d'une telle affirmation. Cette affaire largement commentée a suscité de nombreuses réactions. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre Berbizier. - Pour avoir été l'un des premiers à dénoncer les cadences infernales et l'arrivée de l'argent, cela m'a valu de déclencher un tollé. J'ai dit au début des années 2000 que « le professionnalisme, les cadences infernales et l'arrivée de l'argent » peuvent créer du dopage. Marie-George Buffet, alors ministre de la jeunesse et des sports, m'avait sauvé du lynchage médiatique. Mes propos étaient préventifs. C'est toujours ma position aujourd'hui. En ce qui me concerne, je n'ai jamais vu dans le monde du rugby, en club ou au niveau fédéral, un système institutionnalisé de dopage.

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous été témoin direct ou indirect de pratiques dopantes dans le rugby ?

M. Pierre Berbizier. - Pour ma part, j'ai été confronté deux fois à ce problème : une fois avec un joueur du Racing Metro 92 contrôlé au cannabis, et l'autre en Italie, avec un joueur contrôlé à un produit dit « festif » dans le groupe qui devait partir à la Coupe du monde. Nous procédions à des tests internes en vue de sélectionner le groupe. J'ai exclu le joueur. Voilà les deux contrôles positifs auxquels j'ai été confronté. Je suis conscient aujourd'hui que nous ne sommes pas à l'abri du dopage malgré les valeurs du rugby. Le mixage des populations du rugby accroît cette tendance. Il y a un mouvement permanent avec l'arrivée de joueurs de l'hémisphère sud. Le joueur peut être mis en contact de telles méthodes. Pour ma part, je ne les ai jamais connues en dehors des deux situations que j'ai citées.

M. Jean-François Humbert, président. - Selon vous, ces pratiques ne sont pas généralisées ?

M. Pierre Berbizier. - On n'est pas à l'abri du phénomène d'automédication, ce qui soulève le problème de la formation. Je m'inquiète pour la formation des jeunes : ceux-ci sont enfermés dans des ghettos, on leur fait espérer des contrats mirobolants. Le rugby a suivi le modèle du football. Aujourd'hui, on fait miroiter des sommes d'argent conséquentes à des jeunes qui sont prêts à tout. Il faut être vigilant au niveau de la formation et au niveau professionnel. Je ne suis pas certain que certains joueurs ne seront pas amenés par la contrainte du haut niveau à faire usage de produits dopants.

M. Jean-François Humbert, président. - Je transmets le relais au rapporteur de la commission, Jean-Jacques Lozach.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Merci, monsieur le président. Pierre Berbizier, avant d'être entraîneur et sélectionneur du Quinze de France, vous avez été durant une dizaine d'années demi de mêlée du Quinze de France. Durant cette période, avez-vous été confronté au problème du dopage ? Était-ce un sujet évoqué entre vous, au sein du club ou du Quinze de France ? Le sujet était-il occulté ?

M. Pierre Berbizier. - On était loin de ces préoccupations. Le professionnalisme a changé la situation. Je suis d'une génération où nous commencions à être vieux à 30 ans.

Il faut mettre en avant le travail actuel de préparation et de récupération. En tant que joueurs en équipe de France, nous travaillions le lundi. Il était difficile de récupérer. J'ai gardé cette préoccupation en tant qu'entraîneur. J'ai compris que pour arriver au haut niveau et y rester, cela passait par le travail. J'ai toujours essayé de transmettre cette culture du travail, base indispensable d'une réussite au plus haut niveau, en tant que joueur et entraîneur. Il s'agit d'un travail encadré et qualifié en fonction des spécificités. Je me suis toujours entouré pour développer la préparation physique et l'encadrement médical. J'ai accentué le travail en matière de récupération, ce qui permet au joueur et à l'équipe de maximiser son potentiel.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - À un certain moment, avez-vous été troublé, dubitatif, face à l'évolution morphologique des joueurs de l'hémisphère sud ?

M. Pierre Berbizier. - Oui, mais c'est peut-être dû à l'évolution naturelle et au travail. Nous travaillions trois à quatre jours par semaine. Dans notre génération, nous utilisions très peu la musculation. À mon époque, un joueur de 85 kilos comme Philippe Sella était considéré comme un monstre physique. Aujourd'hui, très peu de trois-quarts de haut niveau pèsent moins de 100 kilos. Il y a une évolution naturelle et des méthodes de travail (musculation, récupération) qui mènent à ces profils. Dans le sud, les joueurs des îles sont des phénomènes sur le plan physique. Je me suis effectivement posé la question quand j'ai vu l'évolution de certains joueurs. Vous vous dites que le rendement physique de ces équipes est supérieur, ce qui a généré des doutes.

M. Jean-François Humbert, président. - Ces doutes se sont-ils dissipés aujourd'hui ?

M. Pierre Berbizier. - Non. Je ne suis pas naïf. Mais je pense aussi qu'un joueur de haut niveau peut y parvenir par des méthodes normales. Je me suis toujours battu pour ça. Je crois encore que c'est possible, même si on peut être amené à douter parfois.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez rappelé de manière détournée et elliptique que vous-même avez jeté le « pavé dans la mare » à une époque. Dans L'Équipe magazine du 6 janvier 2001, vous disiez que « le dopage est une réalité dans le championnat. En France, on pratique une politique de l'autruche, etc. » Confirmez-vous ce propos ?

M. Pierre Berbizier. - Je parlais des cadences infernales et de l'arrivée de l'argent, qui ont créé ces conditions. Je confirme ces propos. Nous devons rester vigilants dans l'encadrement et la formation de nos joueurs de haut niveau.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Faisiez-vous référence à l'utilisation éventuelle de créatine ou d'autres produits dopants ?

M. Pierre Berbizier. - Non. Je vous ai rappelé le contexte dans lequel j'ai tenu ces propos.

M. Stéphane Mazars. - Dans vos propos en 2001, vous étiez plutôt affirmatif, en parlant dans L'Équipe de « réalité du dopage dans le championnat ». Ce n'était pas de la prévention. Vos propos ont-ils été travestis ? Vous dites que vous avez essuyé les foudres du milieu.

M. Pierre Berbizier. - Je vous rappelle dans quel sens j'ai tenu ces propos. Il fallait être vigilant. Il faut rester vigilant. Pensez-vous qu'un journal comme L'Équipe n'aurait pas fait son titre dessus ? Le magazine L'Équipe comprenait un entretien de quatre pages lié à l'évolution du rugby. Les journalistes m'ont posé une question sur le dopage. Il y a deux lignes sur ce sujet.

M. Stéphane Mazars. - Je ne suis pas rédacteur en chef de L'Équipe. Je ne fais que reprendre vos propos.

M. Pierre Berbizier. - Je vous ai rappelé le contexte d'un entretien de quatre pages dans L'Équipe magazine basé sur l'évolution du rugby. À un moment donné, il y avait la question invitant à la vigilance, le sujet des cadences infernales, etc. L'Équipe a naturellement choisi un titre sur le dopage. Il était naturel d'évoquer le problème, même s'il concerne deux lignes dans un article de quatre pages.

M. Stéphane Mazars. - En 2001, l'argent est là, les cadences sont de plus en plus importantes. La vigilance est-elle au rendez-vous ?

M. Pierre Berbizier. - Je me pose la question. J'ai des doutes sur notre formation. Je n'ai pas la réponse. J'ai élaboré une formation dans le projet du Racing Métro. On a suivi le modèle du football. La différence entre football et rugby, c'était la dimension sociale. Nous avons repris le modèle du football par simplicité. J'ai été obligé de m'aligner, en tant que responsable, sur ce qui se fait. Je me pose la question sur la formation de haut niveau. J'ai des doutes comme j'en avais en 2001. Cela ne m'a pas empêché d'apporter des réponses sur le terrain.

Je n'ai géré que des incertitudes en tant qu'entraîneur. Je me suis toujours posé plus de questions que je n'ai amené de réponses. C'est le propre de l'entraîneur que j'ai été. Je regrette que l'on ait abandonné notre différence, cette dimension sociale qui amenait le joueur de rugby à côtoyer le quotidien, qui lui permettait d'atteindre le haut niveau et de continuer en tant qu'homme. J'ai fait avec. Je suis obligé de faire ce constat : est-ce la bonne formation pour nos futurs joueurs de rugby ?

M. Vincent Delahaye. - Nous cherchons à déterminer comment être plus efficaces dans la lutte contre le dopage. Il y a du dopage dans le rugby. Vous ne répondez pas à toutes les questions.

M. Pierre Berbizier. - J'y réponds quand j'y suis actif. J'ai renforcé la préparation physique et le secteur médical dans mon projet du Racing Metro. C'est nous qui donnions les produits complémentaires. Ce sont des produits certifiés et contrôlés par des médecins. Mon action est limitée par rapport au problème du dopage en général.

M. Vincent Delahaye. - Je ne remets pas cela en question. Ma question était de dire : vous avez vécu au sein d'un club et au sein de l'équipe de France. Les contrôles internes sont-ils suffisants pour s'assurer qu'il n'y a pas de joueurs qui prennent des produits dopants à votre insu ? Quelles seraient les trois mesures concrètes pour améliorer la lutte contre le dopage dans le rugby ?

M. Pierre Berbizier. - Je reviens sur la formation. Il faut être vigilant dès ce moment, au niveau de l'information et des pratiques ou du suivi de diététique. Il faut informer correctement les jeunes. Il faut être très strict sur ce sujet. L'organisation du travail permettra un équilibre entre la compétition, l'entraînement et la récupération, dans le contexte de l'enchaînement des matchs, en raison du calendrier national et international. Cela passe par une organisation du travail différente, les contrôles internes, qui ont toujours été pratiqués dans les structures où j'ai travaillé, jusqu'à contrôler les produits complémentaires donnés au joueur. Vous êtes obligé de demander aux personnes qui viennent de l'extérieur ce qu'ils font. Cela passe aussi par la sanction car on ne peut pas éviter les cas particuliers.

Il est important de revenir sur notre formation et notre éducation concernant le triptyque compétition/entraînement/récupération. Nous ne respectons jamais cet équilibre pour le joueur de haut niveau, qui est toujours en déséquilibre.

M. Alain Dufaut. - Je vous ai écouté. Votre parcours sportif et professionnel plaide pour vous. C'est une bonne chose si vous avez pu rétablir une partie de la vérité, ou votre vérité, devant notre commission. Je m'en félicite. Le but de notre commission est de faire des propositions concrètes pour améliorer la lutte contre le dopage. Je suis un de ceux qui se battent contre le dopage depuis vingt-cinq ans. Nous avons parcouru un trajet positif avec des améliorations, mais le dopage est toujours en avance. C'est difficile de lutter efficacement contre le dopage.

Le dopage, ce n'est pas seulement l'atteinte à l'éthique du sport, mais aussi à la santé du sportif, élément qu'on ne met pas suffisamment en avant. Le rôle des éducateurs est fondamental sur ce sujet. Quel est le point de vue du docteur Bichon sur ce point ?

M. Marc Bichon. - Merci de me donner la parole. Nous sommes très vigilants. Des textes ont été produits, en particulier le décret du 6 février 2004 sur le suivi longitudinal des sportifs. On a demandé à chaque fédération de préciser le cahier des charges médical, afin de ne pas mettre en danger nos joueurs de rugby, ainsi que les autres sportifs. Les mesures prises en 2004 ont été améliorées par chaque génération. En effet, la surveillance biologique d'un rugbyman diffère de celle d'un marathonien ou d'un nageur. Il faut aller encore plus loin. Après ma carrière dans le monde du rugby, j'ai été chargé de la surveillance du recrutement de certains joueurs. Cette fonction suppose de s'enquérir de l'état de santé des individus recrutés, de l'avenir qui leur était réservé, et de ne pas les mettre en danger pour leur avenir.

Je poursuis les propos de Pierre Berbizier : j'ai travaillé, tout au long de ma carrière, avec des enfants et adolescents sportifs. Je suis très vigilant. Je m'occupe du centre de formation du Toulouse Football Club, en tant que médecin. Je suis très attentif au recrutement et aux blessures des « petits » joueurs. Il faut occuper le terrain, ce qui constitue la meilleure des préventions contre le dopage. Il faut être présent.

M. Pierre Berbizier. - Il ne faut pas uniquement l'être pour les sportifs de haut niveau. Je collabore avec l'Agence pour l'éducation par le sport. Je regrette que le sport ne soit pas plus pris en compte dans notre éducation. Ça passe aussi par l'éducation de base, et non celle de notre seule élite. Le sport à l'école peut être une solution.

M. Jean-Claude Carle. - Lors de nos premières auditions, la directrice du laboratoire de Châtenay-Malabry nous a dit que le rugby arrivait en tête des contrôles positifs. Cette déclaration vous a-t-elle surpris ?

M. Pierre Berbizier. - J'ai vu d'autres chiffres aujourd'hui dans L'Équipe. Je me méfie des chiffres et des analyses. C'est comme les sondages. On leur fait dire ce que l'on veut. Je préfère retenir que ça existe aussi dans le rugby. Il ne faut pas rejeter ce problème. Quelle est la valeur des chiffres ? Je ne sais pas. Le plus important est que le problème existe. Il faut le traiter, être vigilant et collaboratif dans les solutions qui seront données.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci. Le docteur Felipe Contepomi, qui s'est présenté devant notre commission, s'est inquiété de la prise abusive d'un certain nombre de compléments alimentaires par les joueurs. Quel est votre sentiment sur ce sujet des compléments alimentaires ?

M. Marc Bichon. - Je n'ai jamais été un fervent partisan de cette pratique. J'ai toujours pensé que la préparation cachée, c'est-à-dire une bonne récupération, un bon sommeil, une bonne alimentation, une bonne hydratation, sont des ingrédients suffisants. Il y a des sports à très haute dépense énergétique, qui peuvent créer des pertes sudorales importantes, et qu'il soit alors nécessaire de les compenser. Je pense que vous avez certainement vu des personnes qui vous ont parlé de certaines pratiques comme la micro-nutrition. J'ai toujours été hostile à ce qu'un sportif prenne par exemple plusieurs gélules le matin avant de courir ou de nager. Je trouve ces pratiques d'autant plus aberrantes qu'elles ne s'associent à aucune véracité scientifique.

M. Jean-François Humbert, président. - Votre réticence à l'égard de la prise de ce type de produits est-elle liée à la prise de risque pour les sportifs d'être embarqués à leur insu dans des affaires de dopage ?

M. Marc Bichon. - Oui. Vous trouvez tout aujourd'hui sur Internet. Un sportif peut faire n'importe quoi.

M. Pierre Berbizier. - Ça a été le problème de la créatine, qui a été un produit « miracle » à une époque. Or, il y avait des anabolisants dans la composition de certaines créatines. Il faut être vigilant sur ce problème. Le fait de laisser le joueur dans l'incertitude est particulièrement dangereux.

M. Jean-François Humbert, président. - Monsieur Berbizier, avez-vous vu, durant votre carrière de joueur ou votre carrière d'entraîneur en cours, ou connu ces problèmes ?

M. Pierre Berbizier. - J'ai rencontré le problème de la créatine. Nous avons contrôlé le dosage. Nous avons dû le faire. J'ai toujours demandé à ce qu'on ne consomme pas ces produits, mais certains joueurs les consommaient. Il faut être vigilant.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Le suivi médical des jeunes dans les écoles de rugby est-il suffisamment sérieux pour présenter les dangers liés à la prise de produits ?

M. Pierre Berbizier. - Je ne suis pas très au fait du fonctionnement des écoles de rugby. J'en côtoie certaines durant les tournois. Ce point est lié à la question de l'éducation. Dès l'école de rugby, il faut être attentif. Il faut un encadrement de qualité. Je déplore lors des tournois la pression autour du terrain. Dans le haut niveau, le pouvoir n'est plus sur le terrain, mais autour du terrain, que ce soit au niveau des tournois de jeunes ou dans l'environnement du rugbyman professionnel. Des environnements négatifs mènent à des comportements et des attitudes dangereux. Je redoute que cet environnement ait pris le dessus. Il faut chercher des solutions dans l'environnement du joueur de rugby, au niveau de l'école ou au plus haut niveau.

M. Jean-François Humbert, président. - Que pensez-vous de la géolocalisation, élément souvent évoqué au cours des travaux de la commission, à laquelle certains sont favorables, alors que d'autres y sont complètement hostiles ?

M. Pierre Berbizier. - C'est très contraignant pour celui qui est suivi.

M. Jean-François Humbert, président. - C'est une réponse rapide et claire.

M. Pierre Berbizier. - La géolocalisation présente un intérêt. Cela suppose de tenir un calendrier deux mois avant le contrôle. C'est très difficile à gérer d'un point de vue pratique. L'idée est bonne de savoir ce que fait le joueur ou l'athlète. Peut-on améliorer le système ? C'est très difficile pour l'athlète ou le joueur qui se sent coupable. Il y a un sentiment de culpabilité qui peut être difficile à vivre et à gérer.

M. Jean-François Humbert, président. - Que pensez-vous des contrôles inopinés ?

M. Marc Bichon. - Je vais me permettre de répondre à cette question. J'ai été le premier en France, sur l'ordre du ministère des sports, à faire un contrôle inopiné dans les années 80, au CREPS de Toulouse. Je pense que c'est une très bonne chose, comme la géolocalisation. L'équipe de France était contrôlée avant tous les matchs, avant de partir en Afrique du Sud, en arrivant là-bas, ce qui était très pénible lorsqu'un joueur n'urinait pas. En effet, les contrôles portaient à l'époque uniquement sur les urines. Si nous voulons arriver à la répression, c'est de cette manière qu'il faut procéder.

M. Jean-François Humbert, président. - Le rapporteur posera les deux dernières questions.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Nous avons compris que vous ne partirez pas en vacances avec Laurent Bénézech, qui a déclaré durant son audition qu'il voulait « pousser un cri d'alarme concernant les hormones de croissance », difficiles à détecter. Ce cri d'alarme vous semble-t-il justifié ?

M. Marc Bichon. - Oui. Les hormones de croissance représentent l'étape précédant les anabolisants. Laurent Bénézech a raison sur ce point.

M. Pierre Berbizier. - Est-ce qu'il a donné des cas concrets ? Il serait intéressant d'aborder le problème par des cas concrets qui permettent de faire avancer la réflexion.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Nous essayons modestement de poser les bonnes questions. Nous accordons également un grand intérêt aux preuves matérielles. Docteur, avez-vous conservé des fiches médicales des joueurs permettant de montrer qu'aucun d'entre eux n'a été soigné à la cortisone ?

M. Marc Bichon. - Non. Cela date de 1995. J'ai cessé mon activité au CREPS de Toulouse en 2004. À l'époque, j'ai fait un « vide-tiroir ».

M. Jean-François Humbert, président. - Vous avez maintenant cinq ou six minutes, ensemble ou séparément, pour conclure votre propos sur la lutte contre le dopage.

M. Marc Bichon. - Je souhaite rappeler que j'ai été un acteur de la lutte contre le dopage. Je continue de l'être de façon beaucoup plus modeste. Je crois à l'occupation du terrain par les membres du corps médical, c'est-à-dire l'encadrement médical de tous les sportifs. Cela commence effectivement au plus jeune âge, où les actions sont balbutiantes. Nous mettons malheureusement tous les moyens sur le haut niveau et les professionnels. Au ministère des sports, grâce aux structures comme le CREPS de Toulouse et l'INSEP, il y avait des bases de travail qui font que cet entourage est bien encadré, permettant de se prémunir contre les risques de dopage.

M. Jean-François Humbert, président. - Monsieur Berbizier, souhaitez-vous que l'on vous interroge sur un autre point ?

M. Pierre Berbizier. - Je voudrais vous remercier de nouveau de nous avoir reçus, de nous avoir permis de nous exprimer en toute liberté. L'échange me semble positif. J'en avais besoin et envie, en raison de mes principes et convictions sur ce sujet. Je continuerai à le faire sur le terrain ou en dehors du terrain. Il est évident que si on ne le fait pas, de la base au plus haut niveau, tous les efforts que nous ferons seront très vite réduits à néant. J'ai envie de vous remercier et de préciser que ce problème n'est pas l'affaire d'une seule catégorie, le sport de haut niveau. L'ensemble des sportifs doit être éduqué à ce problème. C'est par l'éducation que nous pourrons lutter du mieux possible contre ce fléau.

Audition de Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative

M. Jean-François Humbert, président. - Madame la ministre, mes chers collègues, nous vous prions de nous excuser pour les quelques minutes de retard. Nous recevons Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.

Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Valérie Fourneyron prête serment.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci madame. Le public est pour le moment moins important que lors de l'audition précédente. Il y avait plusieurs journalistes qui sont sans doute en train de demander des explications complémentaires aux personnes que nous avons reçues. Je propose que vous fassiez un propos préliminaire d'environ un quart d'heure sur ce que vous pensez de la lutte contre le dopage, puis les membres de la commission d'enquête, à commencer par le rapporteur, poseront sans doute des questions complémentaires à vous poser. Notre méthode est très simple. Nous vous écoutons, madame la ministre.

Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative. - Permettez-moi d'ouvrir cette audition par un propos introductif que je tâcherai de rendre le plus bref possible, mais il me semble essentiel de bien développer l'ensemble des facettes du sujet qui nous réunit aujourd'hui.

C'est bien sûr la ministre des sports, responsable de la lutte contre le dopage en France, qui est reçue ce jour devant la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Mais permettez-moi tout d'abord de vous dire à quel point ce sujet de la lutte contre le dopage m'importe, à quel point ce sujet du dopage a été structurant dans mon parcours professionnel, et qu'il explique mon engagement actuel.

En effet, j'ai commencé à être concernée directement par le sujet dès 1987 en étant inspecteur régional de la jeunesse et des sports pour la Haute-Normandie, chargée de coordonner sur le territoire la lutte antidopage, d'organiser les contrôles et de mener des actions de prévention et de sensibilisation des sportifs. La seule fois où j'ai prêté serment à part aujourd'hui était en tant que médecin contrôleur. J'ai également été médecin préleveur, toujours à la fin des années 80.

Je suis devenue en 1989 chef de la mission de médecine du sport au ministère des sports (à l'époque secrétaire d'état), et à cet effet, j'ai contribué à la rédaction de la loi « dopage » de 1989 qui pour la première fois :

- sort le sportif dopé de la juridiction pénale, cette dernière s'appliquant aux seuls trafiquants (le constat ayant été fait que la temporalité juridique n'était pas adaptée, c'est la temporalité sportive qui entre en vigueur) ;

- fait confiance au mouvement sportif et à ses règlements disciplinaires et lui donne la responsabilité de sanctionner les sportifs contrevenants ;

- affirme le rôle de l'État dans la protection de la santé des sportifs.

J'ai ensuite été médecin de nombreuses équipes de haut niveau : l'équipe de hockey sur glace de Rouen, l'équipe de France de volley-ball féminin, l'équipe professionnelle de basketball de Rouen.

Avant d'occuper les responsabilités professionnelles dont j'ai la charge aujourd'hui, j'ai été membre en 1998 du groupe interministériel instauré par les ministres des sports (Marie-George Buffet) et de la Santé (Bernard Kouchner) après l'affaire Festina, ayant conduit à faire évoluer le dispositif législatif français et à participer à la dynamique internationale qui a contribué à la mise en place de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Enfin, je suis depuis janvier 2013 représentante du Conseil de l'Europe au comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage.

Pas question, par ce retour en arrière, d'une quelconque valorisation de mon parcours sur le dopage, mais j'ai seulement la volonté de redonner toutes les données de mes fonctions passées à la commission pour faire comprendre mon extrême intérêt pour les travaux qui sont menés ici depuis le début, et ce à plus d'un titre, pour l'éthique du sport et la protection des sportifs.

Je veux donc profiter de l'occasion pour vous remercier, mesdames et messieurs les sénateurs, pour l'initiative que vous avez prise, pour la qualité du travail qui est effectué, et dont je ne manquerai pas de m'inspirer, et pour les déplacements qui ont alimenté votre commission d'enquête.

L'USADA a permis, en 2012, de montrer aux yeux du monde entier que celui qui prétendait être le plus grand des champions était en réalité le plus grand des tricheurs. J'ai été amenée à dire à de nombreuses reprises, que nous ne devions pas laisser passer cette « affaire Armstrong » comme une affaire de plus dans la lutte contre le dopage, s'ajoutant à la liste des affaires, Festina ou Puerto. Non, il doit y avoir un avant et un après. C'est de notre responsabilité à tous, et le Sénat s'est pleinement saisi du sujet avec cette commission, sous l'impulsion du sénateur Lozach.

Cette commission, d'abord, a permis d'entendre de très nombreuses personnes sur le sujet du dopage. Selon les acteurs auditionnés, nous avons eu des sentiments très différents :

- tantôt de la compétence, de l'engagement et du volontarisme ;

- tantôt du fatalisme et de la résignation ;

- tantôt du repli sur soi.

Nous avons appris beaucoup, aussi, nous avons été étonnés par les témoignages de certains qui ne veulent pas voir ou savoir ce qui se passe, qui remettent en cause les principes de la lutte, ou qui pensent presque que le dopage n'est pas un problème dans le sport. Nous avons été émus, enfin, par les aveux de certains et les explications du pourquoi des pratiques, par le décès tragique de Philippe Gaumont la veille de son audition, aussi.

Mais je ne suis pas ici pour juger les interventions d'untel ou untel, mais bien pour témoigner, devant la représentation nationale, de l'action de mon ministère et des principes qui la guident. Cette action s'est inscrite dans la continuité des différents gouvernements.

Il nous faut répondre dans un premier temps à une question dont nous avons pu nous apercevoir qu'elle n'était en fait pas si évidente pour tous : pourquoi lutter contre le dopage ?

- Préserver l'éthique du sport,

- protéger la santé des sportifs.

Ce sont les deux éléments de réponse.

La réponse première, la réponse évidente, c'est qu'il faut préserver l'esprit du sport, il faut préserver l'éthique du sport.

Et sans rentrer dans l'exercice toujours compliqué de la définition, nous pouvons dire que le sport est caractérisé par deux choses : l'égalité des chances et l'incertitude du résultat.

Or, le dopage remet fondamentalement en cause cette égalité des chances. D'aucuns diront que les conditions d'entraînement, les différences physiques entravent déjà cette notion d'égalité, mais ne nous y trompons pas, cela n'a rien à voir. Si parfois les techniques d'entraînement et de récupération sont très sophistiquées, cela ne peut modifier fondamentalement le profil physiologique d'un sportif. Le dopage modifie les critères sanguins, il modifier la puissance musculaire plus que n'importe quel programme de musculation. Il permet de décupler la puissance développée comme le montrent certaines études actuellement sur le cyclisme avec notamment le nombre de watts développées à l'occasion des étapes.

C'est pour ça qu'il existe une liste de produits interdits, c'est pour ça que les sportifs ne peuvent pas prendre toutes les substances, ne peuvent pas utiliser toutes les techniques. Cette liste, rappelons-le, est établie à partir de critères.

Les trois critères déterminants sont les suivants :

- amélioration de la performance ;

- danger pour la santé des sportifs ;

- contradiction avec l'esprit du sport.

Si deux de ces trois critères sont remplis, alors le produit est interdit.

Ces critères sont justes, j'en suis persuadée, car ils incluent toutes les notions importantes : la performance, l'esprit du sport et la protection de la santé des sportifs.

Il a été longuement évoqué, dans les dernières discussions sur la révision du code mondial antidopage auxquelles j'ai pris part, la possibilité de rendre le premier critère obligatoire. Nous avons obtenu finalement que cela ne change pas, et il s'agit d'une très bonne nouvelle. Il était en effet essentiel que restent sur le même plan les critères de la performance et de la santé des sportifs.

Car c'est bien là la deuxième partie de ma réponse à la question « pourquoi lutter contre le dopage ? » qui nous importe : pour préserver la santé des sportifs.

J'ai entendu, ici et là, évoquer que nous ne savions pas, que nous ne connaissions pas les risques du dopage pour la santé des sportifs. Je veux ici dénoncer ces discours inconscients qui banalisent des pratiques dangereuses. Car je peux le dire ici, comme médecin et comme ministre, le dopage est dangereux pour la santé, et les pratiques dopantes font courir un risque majeur aux athlètes.

Je ne présenterai pas l'ensemble des effets secondaires des stéroïdes, des stimulants, de l'EPO, etc. Les sportifs ont servi de cobayes. L'EPO peut avoir des effets désastreux, comme l'obstruction des vaisseaux sanguins due à l'augmentation de la viscosité du sang et à une diminution de la fluidité sanguine. Les personnes qui prennent des corticoïdes sont conscientes qu'il vaut mieux les prendre le matin en raison du sentiment d'excitation et de la sensation de pouvoir repousser ses limites.

Les études scientifiques démontrant ces effets indésirables sont innombrables. Deux études doivent retenir notre attention :

- le rapport Spitzer de 2006 concernant les conséquences du dopage d'État tel qu'il était organisé dès le plus jeune âge en République Démocratique Allemande. L'étude portant sur 10 000 sportifs dopés a identifié 1 000 troubles mineurs et 500 troubles graves (changement de sexe, stérilité, cancer...) Les produits incriminés étaient essentiellement des anabolisants stéroïdiens et des neuro-stimulants ;

- la seconde concerne le cas des footballeurs italiens qui fait l'objet d'une enquête judiciaire depuis plusieurs années. Ces anciens footballeurs professionnels italiens sont sept à huit fois plus touchés que le reste de la population par la sclérose latérale amyotrophique. Deux fois plus de footballeurs italiens souffrent de cancers sur une population de 24 000 joueurs.

Le dopage est contraire à l'éthique du sport en améliorant artificiellement les performances, oui le dopage est dangereux pour la santé et met en cause l'intégrité physique des sportifs.

C'est pourquoi nous travaillons, au quotidien, à lutter contre le dopage. Le premier rôle du ministère des sports, c'est bien sûr de faire respecter l'arsenal législatif qui existe et de contribuer, avec l'aide du Parlement, à l'améliorer en permanence.

Depuis la loi « Herzog » du 1er juin 1965 - qui a fait de la France le premier grand pays européen à se doter d'une législation réprimant le dopage - jusqu'à la promulgation de l'ordonnance du 14 avril 2010, la lutte contre le dopage est motivée par la préoccupation de promouvoir l'éthique et la santé à l'égard des sportifs, ainsi que par l'objectif de se conformer aux conventions internationales de lutte contre le dopage auxquelles la France a adhéré, celle du Conseil de l'Europe de 1989, celle de l'UNESCO de 2005 qui comporte en appendice le code mondial antidopage (CMA).

Tout d'abord, en vertu de la loi « Herzog » de 1965, le fait de s'être dopé, s'il a été intentionnel, constitue un délit sanctionné pénalement. Ensuite, dans la loi « Bambuck » de 1989, le fait de se doper ne relève plus du pénal. En revanche, la pénalisation de ce qu'on peut déjà appeler le trafic de produits dopants peu atteindre jusqu'à dix ans d'emprisonnement en cas de substances classées comme stupéfiantes.

En 1999, la loi « Buffet » vise la prévention et le renforcement de la protection de la santé des sportifs par la mise en oeuvre d'un suivi médical longitudinal, tout en prévoyant une lutte renforcée contre les pourvoyeurs de produits et procédés dopants.

En 2006, la loi « Lamour » réalise la première transcription en droit français du code mondial antidopage de 2003. Ce nouveau texte a recentré les missions du ministère des sports vers la prévention, la protection du public, la promotion de la santé et la recherche.

Dans ces textes, ni la détention, ni les autres activités caractérisant un trafic (transport, exportation, importation) ne sont réprimées. Par conséquent, les services de police judiciaire ne disposaient pas d'instrument juridique leur permettant de faire face à la réalité des modes opératoires des trafiquants.

En 2008, la loi « Laporte » met à jour le droit français avec le droit international. En effet, la convention internationale contre le dopage dans le sport sous l'égide de l'UNESCO, adoptée en octobre 2005, impose aux États parties, dans son article 8, de limiter la disponibilité et l'utilisation dans le sport de substances dopantes et de lutter contre les trafics en limitant la production, la circulation, l'importation, la distribution et la vente de ces substances et procédés aux sportifs. Le nouveau code mondial antidopage adopté à Madrid en novembre 2007 en a fait également une exigence forte de l'ensemble de cette lutte.

Ces dispositions ont conduit la France à créer une nouvelle infraction : l'infraction pénale de détention de produits dopants, qui permet aux enquêteurs d'engager les procédures visant à remonter et démanteler les filières de distribution. Le panel des incriminations pénales existantes en matière de trafic est donc complété. Tous ces textes sont désormais codifiés dans le code du sport au Titre III « Santé des sportifs et lutte contre le dopage ».

C'est la préservation de la santé des sportifs qui, outre la lutte contre la tricherie, a toujours conditionné la position du ministère des sports, en cohérence avec celle du mouvement sportif sur le sujet. En effet, s'il est important de montrer la détermination de la lutte contre le dopage dans tous les domaines où se rencontrent des pratiques dopantes, la pénalisation de l'usage des produits dopants pose plusieurs difficultés qu'il convient de prendre en compte.

Mais ma conviction est claire sur ce sujet, ma conviction est ferme. Je suis opposée à la pénalisation de l'usage. Comme j'ai eu l'occasion de l'expliquer il y a quelques mois, j'y suis opposée car, de concert avec le mouvement sportif, je suis convaincue que le sportif doit être protégé et non condamné. Le problème du dopage est un enjeu de santé publique, avant d'être un enjeu pénal. Quand un sportif se dope pour gagner, il se met en danger, il joue les cobayes humains en s'injectant des produits dont les effets à terme sont inconnus. Les scientifiques ne doivent pas conduire les études en utilisant des doses énormes sur des patients qui ne sont pas malades. La base scientifique est souvent le sportif placé en situation d'être le cobaye du fait du détournement de l'utilisation du produit et de sa dose.

C'est aussi sous cet aspect qu'il faut considérer la lutte contre le dopage. Condamner pénalement les tricheurs, c'est se mettre en position de défiance envers les sportifs, c'est se mettre en position de défiance envers les fédérations. Le rôle du ministère des sports n'est pas, selon moi, de créer un climat pénal autour du sport, mais bien de protéger les sportifs et, ce faisant, de protéger le sport.

Cette conviction n'enlève rien à ma détermination, rien à la lutte que je veux mener contre le dopage. Je ne serais pas complète sur la législation antidopage si je n'évoquais pas la loi du 12 mars 2012 qui, grâce au travail des sénateurs et aux amendements que vous aviez déposés, met en place le profil biologique pour certains paramètres des sportifs, et en réserve son usage aux sportifs de haut niveau, aux Espoirs, aux sportifs professionnels et aux sportifs ayant fait l'objet d'une sanction. Ces sportifs sont parallèlement assujettis aux obligations de géolocalisation.

Le passeport biologique de l'athlète est un outil développé par l'Agence mondiale antidopage. Sa généralisation fait partie des recommandations du rapport Pound. Il consiste en la réalisation d'une série d'examens biologiques sur la base de paramètres particuliers selon des règles opérationnelles rigoureuses (prélèvement, acheminement, traitement statistique). Les résultats de ces examens sont consignés dans un document, le « passeport biologique de l'athlète », que des experts évaluent sur la durée. En cas de détection d'anomalies ou de variation de ces paramètres, qui ne pourraient se justifier qu'en raison du recours à certains procédés non autorisés, ces experts en réfèrent à la structure concernée.

Sur ce sujet comme sur d'autres, la France reste en pointe. Un comité de préfiguration est en cours, présidé par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Il doit se réunir une dernière fois en juin avant de finaliser le rapport qui aboutira à la mise en place du comité d'experts en septembre prochain, puis un décret en Conseil d'État. Ces dispositions sur le passeport biologique ont vocation à devenir universelles et sont discutées dans le cadre de l'évolution du code mondial antidopage.

Comme vous le voyez, l'arsenal législatif est important, en perpétuelle évolution, notamment pour se mettre en conformité avec les textes internationaux. Les textes continueront de s'enrichir, avec, par exemple, les propositions qui ne manqueront pas d'apparaître dans les conclusions de votre commission d'enquête.

Cependant, le rôle du ministère ne se limite pas aux textes et à leur application. J'ai déjà eu l'occasion de présenter l'étendue des actions du ministère mais je suis heureuse de pouvoir de nouveau le faire aujourd'hui. Depuis plusieurs années, la direction des sports travaille activement sur le sujet de la lutte contre le dopage. Ces actions se décomposent en deux volets majeurs qui seront notamment développés dans le plan de prévention 2013/2016 :

Il existe un volet grand public, tout d'abord :

- avec l'association de la direction des sports aux travaux du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pour la diffusion des programmes concernant la lutte contre le dopage par une mise à disposition de kits de communication à disposition du CSA ;

- avec la sensibilisation des usagers des clubs de remise en forme, portée par l'implication de la fédération française d'haltérophilie - l'État étudie aussi la possibilité de pouvoir exercer des contrôles ou d'engager des enquêtes dans des salles de remise en forme du secteur commercial, sachant que ces salles doivent être en conformité avec la réglementation liée à tout établissement d'activités physiques et sportives ;

- avec la mise en place d'un Numéro Vert Écoute Dopage, porté par Dopage info service - qui reçoit en moyenne 338 appels par mois et 238 courriels par mois ;

- avec la création d'antennes médicales de prévention du dopage (qui effectuent 1 000 consultations par mois, soit 42 par antenne) - et qui bénéficient de 580 000 euros sur la part territoriale du Centre national de développement du sport (CNDS) ;

- avec la mise à disposition d'outils de sensibilisation et de communication, réalisés en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT).

Le deuxième volet concerne notre action à destination du mouvement sportif :

- nous soutenons les fédérations qui s'engagent dans des programmes de prévention du dopage par le biais des conventions d'objectifs ou d'appels à projets. Sur ce chapitre, en dépit de contraintes budgétaires que chacun connaît, j'ai tenu à ce que les moyens de la lutte contre le dopage soient préservés dans le budget 2013 ;

- nous soutenons aussi les territoires, par le biais des projets de clubs intégrant dans leur volet éducatif des actions de sensibilisation à la prévention du dopage ;

- nous avons défini une norme qualité AFNOR le 6 juillet 2012 qui garantit aux sportifs l'assurance de la qualité des compléments alimentaires.

Les actions de la direction des sports sont nombreuses, et elles doivent être sans cesse approfondies et améliorées. Enfin, le ministère des sports est le financeur majeur de l'autre acteur principal, au niveau de la puissance publique, de la lutte contre le dopage. Je veux parler, bien sûr, de l'Agence française de la lutte contre le dopage (AFLD), autorité administrative indépendante.

Je ne peux que souligner les avancées considérables qui ont été faites ces dernières années, et qui ont permis, comme lors du Tour de France 2008, de dépister les tricheurs. Il faut toujours être attentif à ces résultats positifs.

Une agence comme l'AFLD ne peut fonctionner correctement sans un secteur des contrôles efficient et une recherche de pointe.

Afin de préserver la pertinence et le caractère inopiné des contrôles, le secteur qui en a la charge doit, conformément à l'esprit de la loi, jouir d'une totale indépendance pour les aspects techniques et fonctionnels. Je tiens à réaffirmer l'attachement du Gouvernement à ce principe essentiel, qui doit s'exercer dans le cadre du plan stratégique annuel et du budget qui est imparti à l'Agence, après adoption par son collège. Nous pouvons, sur ce sujet, nous féliciter que plus de 40 % des contrôles sont aujourd'hui inopinés, comme l'a précisé le président Bruno Genevois dans le rapport d'activité de l'Agence ;

Pour accroître son efficacité, je suis convaincue que le secteur chargé des contrôles doit pouvoir s'appuyer sur une démarche d'investigation qui lui est propre, et en outre sur une collaboration étroite avec la gendarmerie, la police et les douanes. Au sein de l'Agence, il doit pouvoir collaborer avec le secteur ayant en charge l'instruction des dossiers et le secteur scientifique, qui aura notamment la mission d'assurer le suivi du profilage biologique.

Tout ce travail, qui mérite d'être salué, de tous les agents du ministère, de tout le personnel de l'AFLD, tout cela permet que la France reste un pays moteur dans la lutte contre le dopage.

Mais nous en sommes tous conscients, cela ne suffit pas. Nous avons besoin de mieux coordonner encore nos actions. Nous avons besoin de fédérer autour de nos convictions. Cela dépend de nous, du ministère, du législateur, du mouvement sportif, mais cela dépend également de l'international. Nous savons tous que dans l'époque mondialisée dans laquelle nous vivons, la lutte contre les trafics, la lutte contre les tricheurs se joue aussi en dehors de nos frontières. Vous avez fait de nombreux déplacements dans le cadre de cette commission, sans nul doute fort utiles.

En ce sens, l'un des rôles de mon ministère est aussi d'assurer le rôle moteur de la France. Comme vous le savez il existe plusieurs instances incontournables dans la lutte contre le dopage :

- le Conseil de l'Europe, précurseur sur le sujet avec le texte de 1989 ;

- l'UNESCO et la convention internationale de 2005 adoptée par plus de 170 pays ;

- l'AMA, bien sûr, qui a la responsabilité de la lutte antidopage à l'international et celle, essentielle de la rédaction du code mondiale antidopage, qui s'impose à toutes les fédérations internationales et que l'UNESCO impose comme base juridique à tous les pays signataires de sa convention.

Le travail au Conseil de l'Europe consiste essentiellement dans deux groupes :

- le groupe de suivi de la lutte contre le dopage, dont la principale mission est de veiller au respect du traité par les États parties ;

- le Comité ad hoc européen pour l'Agence mondiale antidopage (CAHAMA), est un comité d'experts chargé de coordonner les positions des États parties à la Convention culturelle européenne, s'agissant de l'Agence mondiale antidopage.

La France est bien évidemment représentée au sein de ces groupes par la Direction des sports et travaille activement au bon déroulement des travaux de ce groupe. Le rôle du CAHAMA est essentiel notamment en amont des comités exécutifs et des conseils de fondation de l'AMA. C'est en effet le CAHAMA qui fixe le mandat des représentants européens, et ainsi coordonne la position européenne. Les européens parlent ainsi d'une voix unie et forte aujourd'hui au sein de l'Agence.

Ce rôle moteur et fort que joue le Conseil de l'Europe pour fédérer les pays européens autour de la lutte contre le dopage, c'est bien sûr l'UNESCO qui le joue à l'international, avec notamment la conférence des parties, conférence statutaire qui a lieu tous les deux ans pour examiner la mise en oeuvre et le suivi de la Convention internationale contre le dopage dans le sport en conformité avec ses dispositions. Cette conférence nourrit plusieurs objectifs, dont celui de fournir une plate-forme d'échanges et de débats.

À ces deux organes de coordination des États, au niveau européen et au niveau mondial, il faut ajouter évidemment l'AMA, qui fait le lien avec le mouvement sportif. Composée à 50 % de représentants du monde sportif et à 50 % des autorités publiques, et d'un représentant par continent, l'Agence est aujourd'hui l'institution centrale de la lutte contre le dopage. Elle édicte les règles par le code mondial antidopage. Elle est aussi motrice sur la recherche, l'éducation, et la prévention. Elle accrédite les laboratoires, parce qu'elle travaille en lien avec les pays en retard ou avec ceux qui vont accueillir de grandes compétitions internationales.

Comme vous le savez, je suis, depuis janvier, la représentante du continent européen au sein du comité exécutif de l'Agence. Aussi me dois-je d'évoquer devant vous les deux actualités qui me paraissent essentielles dans l'avenir proche de l'Agence : la révision du code et le rapport de Dick Pound, ancien président de l'AMA, sur l'efficacité de la lutte contre le dopage.

Sur la version 3.0 du code mondial antidopage, je ne vais pas faire la longue liste des articles qui pourraient évoluer, mais me concentrer sur les quelques points qui me semblent essentiels :

Concernant les sanctions, il s'agit sans doute d'une des modifications les plus « visibles » du nouveau code : le passage de deux à quatre ans pour la sanction en cas de contrôle positif à une substance lourde. Cette position européenne notamment est une bonne nouvelle à deux titres. C'est le signe qu'on ne transige pas avec la lutte contre le dopage. C'est nécessaire quand on voit le nombre de récidivistes qui après un ou deux ans de suspension, reviennent et se font de nouveau prendre.

Concernant les pouvoirs d'investigation, l'agence se voit confier la possibilité de lancer ses propres enquêtes sur les violations des règles antidopage. Cela apparaît d'autant plus important que toutes les leçons de l'affaire Armstrong n'ont pas été tirées. C'est pourquoi, à mon initiative puis à l'initiative des représentants européens et américains, nous avons signé une lettre commune, avec l'ensemble des représentants des autorités publiques à l'AMA, qui encourage l'Agence dans sa volonté de voir installer une commission d'enquête complètement indépendante lorsque l'actualité le justifie.

Concernant les droits de l'homme, le principe de proportionnalité, l'importance de la prévention et de l'éducation, de nombreuses remarques et de nombreux amendements européens ont été pris en compte sur la notion du respect du droit de chacun. En effet, il est nécessaire que le code respecte un certain nombre de droits, et notamment qu'il soit compatible avec les exigences européennes en matière de protection des données, de droits de l'homme, et d'égalité devant la justice et de proportionnalité des sanctions. C'est en ce sens que la période pour comptabiliser les trois « no show » suspensifs passera de 18 à 12 mois à Johannesburg, à la fin de l'année 2013.

Concernant le rôle des acteurs, le rôle des agences nationales est renforcé, notamment par rapport aux fédérations internationales.

Les organisations nationales antidopage (ONAD) auront en effet désormais la possibilité automatique (et non après avoir demandé l'autorisation à l'AMA) d'effectuer des contrôles additionnels sur les compétitions internationales organisées sur leur territoire dès lors que la fédération internationale les mandate pour prendre en charge les contrôles sur la compétition.

Le code pourrait encore aller plus loin en ce sens, pour qu'en cas de carence des fédérations internationales, les agences nationales puissent automatiquement prendre le relais, pour que le transfert d'informations entre les agences et les fédérations soit plus automatique, aussi.

Je suis extrêmement attentive à ce sujet, car il me semble difficile d'être à la fois juge et partie. Ce n'est donc pas faire injure au mouvement sportif, au contraire, de dire que des instances neutres doivent pouvoir être l'acteur principal des contrôles.

Concernant, enfin, les décisions pratiques pour lutter contre le dopage, il est à noter que :

- de nouvelles décisions ont été prises concernant les autorisations à usage thérapeutique (AUT) qui pourront désormais être contestées par les agences nationales ou par les organisateurs des compétitions ;

- le maintien sur un pied d'égalité des trois critères définissant les produits dopants permet notamment d'avoir plus d'assurance quant au maintien des glucocorticoïdes sur la liste des substances interdites ;

- l'utilisation des données du passeport biologique et du suivi longitudinal comme preuves de dopage a été renforcée ;

- dans le même temps, les seuils de détection pour le cannabis seront relevés. C'est une très bonne nouvelle pour la lutte contre le dopage car les traces de THC restent très longtemps dans les urines. De ce fait, il y avait une avalanche de contrôles positifs, et de procédures en cours, simplement parce que des athlètes avaient été en contact avec du cannabis, parfois plusieurs semaines avant une compétition. Donc, sans intention d'utiliser un produit pour améliorer leurs performances.

L'autre sujet essentiel majeur pour l'Agence est le rapport de Dick Pound sur l'inefficacité de la lutte contre le dopage. Dans ce rapport sans concessions de mai 2013, l'ancien président de l'AMA met en exergue les difficultés et les défauts d'organisation de l'ensemble des acteurs de la lutte contre le dopage. Il dresse également un certain nombre de recommandations à destination de toutes les parties prenantes.

Tout le monde est mis face à ses responsabilités, sans tabou, dans ce rapport qui propose par exemple :

- la possibilité pour les ONAD, ou les agences, de contrôler les sportifs étrangers sur son territoire ;

- plus d'obligation d'échanges d'informations entre ONAD et fédérations internationales ;

- l'obligation de conformité au code pour tous les États et toutes les fédérations internationales avec un suivi précis de l'AMA ;

- la généralisation du passeport biologique ;

- l'indépendance des ONAD face à toute pression extérieure.

L'enjeu principal de ce rapport sera surtout de se prononcer sur le positionnement à venir de l'AMA et sur son rôle dans la lutte contre le dopage. Pour certains, l'agence doit être un prestataire de services pour les fédérations internationales. Pour d'autres, elle doit être plutôt une agence de régulation et notamment de contrôle de conformité au code des différentes parties prenantes.

Le prochain comité exécutif de l'Agence mondiale antidopage, qui se déroulera le 11 septembre prochain à Buenos Aires, aura donc une importance capitale, non seulement au sujet de la révision du code mais aussi sur les suites du rapport Pound et donc sur le rôle à venir de l'AMA. J'y porterai la voix de l'Europe avec la plus grande fermeté.

Comme vous le voyez, personne ne se repose sur ses acquis et tout le monde se remet en cause pour améliorer la lutte contre le dopage. Car pour avancer, il faut des règles, des institutions, mais il faut également du volontarisme.

Ce volontarisme politique, nous en avons eu une belle illustration avec la nouvelle convention inédite entre l'Union cycliste internationale (UCI) et l'AFLD pour le Tour de France 2013. En effet, suite aux révélations de l'affaire Armstrong et aux soupçons légitimes (je dis bien légitimes) qui ont pesé sur l'UCI (et dont Travis Tygart vous a fait part), nous avons travaillé, avec l'AFLD, la fédération française de cyclisme (FFC) et Amaury sport organisation (ASO), sur les conditions qui nous paraissaient nécessaires pour que les contrôles soient efficients durant le Tour du centenaire. Je pense notamment à la transparence totale de l'UCI envers l'AFLD sur les passeports biologiques et sur la géolocalisation des coureurs pendant la préparation du Tour. Et je félicite l'AFLD d'avoir eu une attitude ferme qui a débouché sur une convention remplissant toutes les conditions requises.

C'est donc dans des conditions nouvelles et meilleures que jamais que le département des contrôles de l'AFLD a pu travailler sur le Dauphiné et pourra travailler jusqu'au Tour de France et pendant la Grande Boucle.

Les contrôles seront améliorés donc, et plus efficaces sur ce Tour 2013. Nous travaillons aussi avec toutes les parties pour que le dispositif de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), de la gendarmerie, des douanes, soit plus efficace que jamais, et que les parquets soient particulièrement impliqués.

Nous travaillons également sur le décret élargissant la liste des agents habilités à rechercher et constater les trafics de produits dopants qui sera prochainement publié au Journal officiel (JO).

Jusqu'à présent, seuls les officiers et les agents de police judiciaire, ainsi que certains personnels du ministère des sports et les représentants assermentés de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) étaient habilités, par l'article L. 232-20 du code du sport, à s'attaquer aux trafics de produits dopants.

Ce décret renforcera la coopération interministérielle dans ce domaine, en ajoutant désormais à cette liste les agents des services des impôts, de la concurrence et de la répression des fraudes. Tous pourront dorénavant échanger leurs informations sur de possibles trafics de substances dopantes, comme les caractéristiques des substances en circulation et celles des circuits frauduleux (mode d'acquisition et d'approvisionnement, moyens d'acheminement ou typologie des filières).

Ce prochain décret instituera également une « instance nationale de lutte contre le trafic de substances ou méthodes dopantes ». Cet organisme aura pour vocation de mobiliser plus efficacement et de manière coordonnée l'ensemble des services concernés par la lutte contre le dopage et le trafic qui s'y rapporte. Il facilitera également le partage régulier et efficient des informations et des bonnes pratiques.

L'instance nationale permettra de conjuguer les efforts et les ressources du ministère des sports, de l'AFLD, de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes, de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), de l'Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS), de la Direction générale de la santé (DGS), de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), du Service central des courses et des jeux, ainsi que de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT). Dans chaque région, les « commissions régionales de lutte contre le trafic de substances ou méthodes dopantes » réuniront les mêmes administrations au niveau déconcentré.

Et puis il y a d'autres voies aussi que nous devons explorer. Je pense en premier lieu au lien avec l'industrie pharmaceutique. La conférence organisée le 12 novembre 2012 à Paris, conjointement par l'AMA, l'UNESCO, le Conseil de l'Europe et le ministère des sports a été l'occasion de réunir les acteurs du mouvement sportif, les organisations représentatives de l'industrie pharmaceutique, ainsi que certaines firmes. Lors de cet évènement, les bases du processus relatif à la collaboration pharmaceutique ont été présentées. Les firmes présentes ont été invitées à s'inscrire dans cette démarche. Nous devons encourager un travail en amont indispensable avant que les molécules ne soient mises sur le marché, voire détournées de leur usage. Le défi est compliqué. Nous devons continuer à le relever. À ce titre, il est indispensable de pouvoir bénéficier et consulter le travail mené par la commission d'enquête pour que ce défi, pour l'éthique du sport et la santé des sportifs, évolue collectivement dans notre pays, dans un contexte international prégnant. Je vous remercie pour ce propos liminaire sans doute un peu long.

M. Jean-François Humbert, président. - Il était complet et précis. Aurons-nous au Parlement français, à l'Assemblée nationale et au Sénat, la possibilité de se pencher sur un texte à l'automne, par exemple, ou un peu plus tard, sur le sport d'une manière générale, et le dopage en particulier ? Nous pourrions utiliser au Sénat les informations glanées au fil des auditions. Nous demanderons ensuite au rapporteur et aux autres collègues de poursuivre s'ils le souhaitent. J'invite le rapporteur à poser les nombreuses questions qu'il a préparées.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Monsieur le président, madame la ministre, je vous remercie d'avoir contribué à notre commission d'enquête parlementaire et d'avoir suivi ses travaux. Nous avons le sentiment que vous les avez suivis avec beaucoup d'attention et je l'espère, beaucoup d'intérêt. Le Sénat a pris l'initiative de cette commission avec l'objectif d'accroître l'efficacité de la lutte contre le dopage. Nous avons depuis trois mois, et le 14 mars 2013, auditionné beaucoup de personnes. Nous sommes allés à la rencontre d'un ensemble d'instances comme le Comité international olympique (CIO), la Fédération internationale de football (FIFA), l'Agence mondiale antidopage (AMA), l'Union cycliste internationale (UCI), l'USADA, des laboratoires de recherche, etc., afin d'avoir une vision complète de cette problématique du dopage. Nous serons autour du 18 juillet 2013 en capacité de publier le rapport de notre commission. Notre ambition est de promouvoir une vision humaniste du sport, par la lutte contre un ensemble de déviances et de tricheries dont le dopage fait partie.

Nous nous sommes efforcés d'étudier les nombreuses dimensions du sujet, qu'il s'agisse de la dimension juridique, policière, sans oublier la dimension économique et médiatique, à travers des approches locales ou internationales. Nous serons dans quelques semaines en capacité de vous soumettre un certain nombre de propositions qui, je l'espère, attireront votre attention, ainsi qu'à l'ensemble des acteurs du mouvement sportif. Nous nous sommes fait une raison. Tous les sports sont touchés par le dopage, même si certains sont plus exposés que d'autres. Tous les pays sont concernés, même s'il n'y a plus de dopage institutionnalisé comme cela a pu exister dans certains pays quelques décennies plus tôt.

Nous avons la conviction que le dopage concerne également le sport amateur, voire même le sport loisir. Nous avons acquis la certitude avec les collègues, sous la houlette de notre président, qu'il ne fallait surtout pas baisser la garde en matière de lutte contre le dopage et qu'il fallait cultiver, préserver, peut-être consolider encore le savoir-faire spécifiquement français, très souvent reconnu hors de nos frontières.

C'est avec vous, madame la ministre, et le président de l'AMA que nous terminons nos travaux. Je voudrais vous remercier au nom de notre commission pour votre coopération, pour votre collaboration, notamment la mise à disposition d'un ensemble de documents. Je voudrais féliciter vos services pour l'efficacité avec laquelle ils se sont mis à notre disposition. Je vous remercie pour la reconnaissance de notre travail. En effet, dans certaines circonstances, vous avez cité le travail de la commission d'enquête parlementaire, notamment lors du colloque organisé par le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) sur le dopage. Je partage la préoccupation du président et souhaite savoir s'il y aura bientôt une loi-cadre sur la modernisation du sport, et si elle intégrera ou non la problématique du dopage.

Avant d'être parlementaire et ministre, vous avez été médecin de l'équipe de France de volley-ball. Avez-vous été confrontée à l'usage de produits dopants à travers cette discipline ? Si oui, en avez-vous tiré des enseignements qui vous inspirent jusqu'à aujourd'hui ?

Mme Valérie Fourneyron. - Je vous remercie pour votre propos relatif à mon ministère. Dès lors que votre commission d'enquête a été mise en place, j'ai souhaité que l'ensemble des archives et documents à disposition de la Direction des sports vous soient communiqués. Il me semblait indispensable d'assurer cette transparence aux travaux de votre commission.

Je n'ai jamais été confrontée comme médecin de l'équipe de France de volley-ball féminine à une quelconque interrogation par rapport au dopage. Je l'ai été plus tôt, en tant que médecin, dans le cadre des équipes de basket professionnel. Des basketteurs qui arrivent des États-Unis n'ont pas nécessairement les mêmes codes que nous sur la lutte contre le dopage. Il faut assez vite leur apprendre nos propres règles de lutte contre le dopage. Mes inquiétudes ont davantage concerné le transfert de basketteurs américains pour leur faire découvrir les règles de notre pays dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Concernant l'efficacité des contrôles, la réalité du dopage n'est pas ce qui correspond aux résultats de ces tests. Nous arrivons toujours au même résultat, c'est-à-dire des tests positifs dans 1 ou 2 % des cas. La réalité du dopage va-t-elle bien au-delà de cette réalité chiffrée des tests positifs ?

Mme Valérie Fourneyron. - Oui, bien entendu. Le débat sur l'efficacité des contrôles ne se traite pas en fonction du nombre de contrôles réalisés. J'ai échangé avec le président de la Fédération internationale du cyclisme, qui assure qu'il fait beaucoup plus de contrôles que les autres sports. Or ces contrôles sont presque tous négatifs. La quantité n'est pas forcément le bon critère pour constater l'efficacité de la lutte.

Il convient d'avoir une attention particulière sur les contrôles effectués dans les parcours de construction du haut niveau, qui font partie de la règle apprise tôt. Les structures de formation doivent être le cadre de contrôles antidopage. Nous cherchons à montrer qu'il y a une politique éducative dans laquelle le contrôle a sa place. Le passeport biologique est indispensable dans le cadre d'une recherche d'un dépistage lorsque quelqu'un a triché, au même titre que la multiplication des contrôles inopinés, la localisation des sportifs, les paramètres biologiques, etc.

Nous devons être plus pertinents pour trouver le bon équilibre entre l'organisateur et les contrôles, sans enlever la responsabilité au mouvement sportif qui est très impliqué dans la lutte contre le dopage. Il ne faut pas le désengager de la lutte contre le dopage. En revanche, il convient de mettre en place une organisation, comme sur le Tour de France en 2013, qui ne confie pas les contrôles à l'organisateur. Cet environnement permettra d'améliorer l'efficacité des contrôles, sans prétendre que les résultats des contrôles seront la réponse à tout. Il faut également se désengager de l'idée selon laquelle le contrôle ne peut avoir de portée préventive. Les contrôles permettent de dissuader certains jeunes sportifs de se doper.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué le travail de votre ministère. Nous avons eu le sentiment qu'un travail restait à faire en matière de coopération interministérielle, entre le ministère de la santé, le ministère de l'intérieur, le ministère de la justice, le ministère des affaires européennes, voire le ministère de la consommation. La situation ne peut-elle être sensiblement améliorée dans ce domaine ?

Mme Valérie Fourneyron. - Oui. J'ai évoqué la mise en place d'une instance nationale de coordination et les instances de coordination dans chaque territoire. Nous avons besoin de mieux articuler tous les acteurs de la chaîne de la lutte contre le dopage. Nous essaierons d'être opérationnels dès cette année avec ce décret réglementaire attendu et le Tour de France, d'avoir une meilleure coordination entre les acteurs qui luttent pour l'éthique du sport et la lutte contre le dopage.

M. Stéphane Mazars. - Madame la ministre, vous avez rappelé que la lutte contre le dopage était d'abord un problème de santé publique, et vous avez rappelé votre attachement à cette grille de lecture. Vous avez clairement indiqué qu'il ne fallait pas selon vous pénaliser les usagers de produits dopants. Vous utilisez tout de même des termes qui font référence à ce domaine pénal. Vous avez parlé de récidiviste, de tricheur et de trafiquant. Un certain niveau de dopage correspond à des systèmes organisés. Au-delà de la volonté de gagner, il y a des gains de notoriété et des gains financiers très importants.

J'ai bien noté votre position. Dans le cadre des travaux de la commission, deux sportifs ont été précis sur le fait que la pénalisation de l'usage de produits dopants aura un effet dissuasif assez fort, en décrivant la limite à ne pas franchir. Les services d'enquête sont pratiquement tous unanimes pour dire que dans l'éventualité où les produits dopants étaient pénalisés, il faudra leur permettre d'avoir des moyens supplémentaires pour lutter contre le dopage, et notamment pour remonter les filières organisées derrière la pratique dopante. Que peut-on dire à ces services d'enquête ?

Ce qui nous est souvent opposé est que ces sportifs seront physiquement impactés par l'usage de produits dopants. Ils sont largement sanctionnés sur le plan sportif. Une suspension durant deux ans et peut-être demain quatre ans, est une sanction très lourde. On ne va pas envoyer des sportifs en prison. Il y a dans le domaine pénal un principe de personnalisation de la sanction, qui fait qu'un sportif confondu ne serait pas renvoyé derrière des barreaux. En revanche, les récidivistes qui ont gagné beaucoup d'argent et de notoriété par l'usage de produits dopants soulèvent la question consistant à se demander s'il faut éventuellement déborder sur le plan pénal.

Tout en gardant la philosophie vertueuse d'un problème de santé publique et la volonté de protection de la santé du sportif, le sport a pris une telle place en matière de notoriété et d'argent qu'il faut peut-être avoir une autre grille de lecture. Que pouvons-nous dire à ceux qui demandent plus de moyens d'investigation comme la pénalisation ? Que dire aux sportifs de haut niveau qui encouragent la mise en place de sanctions pénales ?

Mme Valérie Fourneyron. - Le sujet est complexe. Le président de l'AFLD a indiqué à votre commission qu'il était également opposé à la pénalisation, alors qu'il s'est exprimé favorablement sur ce sujet dans un autre cadre. Ce débat n'est pas facile à trancher. Nous avons une approche santé/éthique. C'est le rôle du ministère des sports, de promouvoir le sport comme outil de santé publique. C'est notre mission publique. Est-ce à nous d'encourager la pénalisation d'un sportif ? Il y a des filières et des lois pénales qui permettent de rechercher ce trafic. J'aurais voulu lever l'omerta sur les réseaux mafieux ou l'environnement particulièrement prégnant, comme cela a pu se voir dans l'affaire Armstrong. Je voudrais que l'on puisse se donner les moyens afin de permettre aux sportifs de s'exprimer et de faire progresser la lutte contre les trafiquants, plutôt que d'être sur le registre pénal pour l'usager. Je conviens que le débat n'est pas facile.

M. Jean-Claude Carle. - Nous avons visité le laboratoire de Châtenay-Malabry, qui était à la pointe de la recherche en matière de lutte contre le dopage et de détection des produits dopants et notamment de l'EPO, qui a évolué pour atteindre la 4e génération. Ce laboratoire de référence n'est-il pas dépassé par d'autres laboratoires comme ceux de Lausanne et Cologne ? Il nous semble que ce laboratoire souffre d'un manque de moyens en équipements, qui coûtent plusieurs dizaines de milliers d'euros. Ne faut-il pas trouver des partenariats innovants pour offrir des moyens conséquents à ce laboratoire, au-delà du financement public ?

Ce laboratoire était rattaché à l'AFLD. Un adossement à une université, notamment une université spécialisée en pharmacologie, ne serait-il pas envisageable ?

Mme Valérie Fourneyron. - Nous ne pouvons pas imaginer que tous les laboratoires de haut niveau, comme le laboratoire français, puissent être pertinents sur toutes les nouvelles molécules. Le laboratoire de Cologne est en pointe sur l'Aicar, nouvelle molécule en vogue, comme celui de Châtenay-Malabry l'a été sur la CERA et l'EPO. Le partage du savoir-faire entre laboratoires est un élément indispensable.

En ce qui concerne le positionnement du laboratoire de Châtenay-Malabry, il est indispensable qu'il soit indépendant sur la fonctionnalité et les techniques. Le seul élément qui le rattache à une structure est son financement, qui est celui du ministère des sports. Il faut être attentif à ce que cette indépendance ne soit pas remise en cause par les financements qui viendraient d'autres parties. Les fédérations internationales considèrent le laboratoire comme leur prestataire de service, les gouvernements comme une instance de contrôle.

La réalité du positionnement du laboratoire ne lui permet pas, selon moi, de travailler suffisamment sur la dimension de la recherche. Le fonds de roulement d'investissement lui permet d'acquérir du matériel et de suivre l'évolution du code mondial antidopage. La dimension de recherche est insuffisante. Il y en a un peu au sein de l'AFLD et dans les antennes régionales. Par rapport à cette dimension recherche qui mériterait d'être plus importante, la solution serait-elle d'adosser le laboratoire à une université pharmacologique ? Cette perspective mérite d'être étudiée, avec le souci des financements et de l'indépendance, indispensables pour que les contrôles soient pertinents. En effet, le laboratoire est avant tout concentré sur la pertinence et l'efficacité des contrôles.

M. Dominique Bailly. - Je voudrais revenir sur le volet prévention. De nombreuses personnes auditionnées par la commission ont évoqué la prévention comme un outil essentiel pour lutter contre le dopage. Au fil des auditions, j'ai eu le sentiment que certaines fédérations étaient plus ou moins impliquées dans cette prévention. Je voudrais connaître votre appréciation. Comment pourrions-nous évaluer cet engagement des fédérations dans cette lutte contre le dopage et mettre en place une prévention forte ? La charte éthique doit être déclinée au sein de chaque fédération. Où en est ce projet ? Il y a matière à améliorer le dispositif.

Mme Valérie Fourneyron. - Je vais peut-être vous faire sourire sur le sujet de la prévention. Nous avons un lien permanent au médicament dans notre pays : certains prétendent que le médicament peut tout. Certains prétendent qu'il faut donner un sucre pour la deuxième mi-temps d'un match de football d'un match de débutants. Des mères de famille prétendent qu'il faut donner à leur enfant une vitamine C pour aller à l'école, etc. Cet environnement autour du « médicament qui peut tout » est extrêmement prégnant dans notre pays.

J'ai évoqué le travail accompli avec les enveloppes territoriales du CNDS et les appels à projet pour accompagner les clubs dans cette approche du sport et la prévention autour de l'éducation au sport. Nous n'avons pas rogné sur les moyens en 2013. Il y a avec chaque fédération un programme de sensibilisation, de prévention et de formation des éducateurs sportifs dans les brevets professionnels, à la lutte contre le dopage.

Les fédérations n'ont pas toutes le même entrain à travailler sur la prévention, la sensibilisation et la lutte contre le dopage. Le fait de pratiquer de nombreux contrôles ne rend pas nécessairement présent sur ce champ. La sensibilisation est mise en place avec la MILDT, le CSA, les clubs, elle est inscrite dans les conventions d'objectifs avec les fédérations, etc. Certaines fédérations sont réticentes, mais il est vrai qu'elles ont moins besoin d'argent public que d'autres. C'est un sujet important. La charte éthique doit trouver sa place dans le texte sur la modernisation du sport.

M. Jean-Pierre Chauveau. - Madame la ministre, vous avez donné plusieurs réponses aux questions que je souhaitais poser. La prévention est indispensable au niveau scolaire et de toutes les écoles du sport. Il est indispensable de mettre l'accent sur ce sujet. Vous avez des responsabilités au niveau de l'Europe. Par rapport aux différents ministères des sports et des fédérations, ne faut-il pas accroître les liens pour que tout le monde travaille dans le même sens, en vue d'abolir autant que possible ce qui peut toucher le dopage ? Les laboratoires ont intérêt à travailler ensemble, de manière à être encore plus efficaces.

Mme Valérie Fourneyron. - La pratique du sport à l'école est indispensable. Je me réjouis que dans le cadre de la réforme de l'école, les enseignants soient formés à la pratique sportive. Il est indispensable d'apprendre dès le premier degré à bien se sentir dans son corps. Il faudra être attentif à ce que la réforme de l'enseignement supérieur accorde une place à la pratique sportive chez les étudiants. La santé des étudiants s'est dégradée avec la diminution de la place des activités sportives.

Il y a en Europe un travail au sein du Conseil européen. Les instances restent internationales, notamment l'UNESCO et l'AMA. Les principaux acteurs ne sont plus au niveau de l'Europe. Sur les paris truqués, la première étape consistant à élaborer un texte européen sur la lutte contre les paris truqués, n'a pas été franchie. En revanche, sur le plan de la lutte antidopage, 173 pays ont signé la convention internationale de l'UNESCO, qui constitue la base pour adopter le code mondial antidopage. Des pays africains ont signé la convention. Il y a deux laboratoires en Afrique. La réalité d'un certain nombre de territoires fait qu'ils n'ont pas de laboratoires pertinents, ce qui leur impose de déplacer les prélèvements. L'ajustement international est indispensable pour emmener tout le monde.

Enfin, se pose le sujet des fédérations internationales. Le débat attendu sur le rapport de Dick Pound est extrêmement important sur le positionnement du mouvement sportif par rapport au Gouvernement. Les fédérations internationales souhaitent que l'Agence mondiale antidopage soit leur prestataire de service. Travis Tygart souhaite que l'Agence mondiale soit indépendante des fédérations nationales. L'enjeu financier n'est pas négligeable. Il faut trouver le bon équilibre avec le mouvement sportif pour que nul ne se retrouve juge et partie.

M. Jean-François Humbert, président. - Je souhaite poser une question au médecin que vous êtes. Quel regard jetez-vous sur l'accompagnement médical de la performance sportive ? Estimez-vous que le suivi médical réglementaire des sportifs de haut niveau est appliqué avec la même rigueur selon les fédérations ?

Mme Valérie Fourneyron. - Nous avons fait énormément de progrès dans la préparation des sportifs de haut niveau, leur récupération, et les outils d'accompagnement vers la performance, sans utiliser de produits dopants. Nous avons énormément progressé sur cette approche. Le rapport de la Cour des comptes stipule que l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) doit être le pivot opérationnel du sport de haut niveau français. La mission donnée au directeur général de l'INSEP est d'être un pôle ressource permettant à tous les directeurs techniques nationaux, entraîneurs nationaux et médecins qui accompagnent les sportifs d'avoir une ressource partagée de l'excellence de la performance. L'environnement médical et paramédical de l'INSEP s'est très nettement amélioré depuis quelques années.

Le suivi médical de l'ensemble des sportifs n'est parfois pas suffisant. La surveillance médicale réglementaire dans les pôles espoir a tendance à avoir multiplié de manière excessive le nombre de contrôles. C'est parfois excessif par rapport au besoin médical d'avoir toutes ces données chez un jeune sportif qui intègre un pôle espoir. Les contrôles n'ont sans doute pas la bonne proportionnalité car ce qui est imposé aux jeunes sportifs de haut niveau est parfois du même niveau que ceux qui préparent les Jeux olympiques de Rio. La proportionnalité n'est pas toujours trouvée. Le certificat médical d'aptitude a pu être un handicap à la pratique du sport sans risque pour le plus grand nombre.

Il y a toujours des morts subites sur les terrains de sport. Nous devons trouver l'équilibre entre le dépistage par l'électrocardiogramme, un suivi médical excessif dans certains pôles, l'excellence pour la préparation des Jeux olympiques et un certificat qui peut être un handicap dans certains quartiers en vue de favoriser l'accès à une pratique sportive. Nous devons « proportionnaliser » la surveillance médicale et faire bénéficier les meilleurs de l'environnement qui leur permettra d'aller au plus haut niveau de performance.

M. Jean-François Humbert, président. - Quelles mesures ont-elles été prises en matière de lutte contre le dopage depuis que vous avez pris votre fonction de ministre ? Ces mesures ont-elles été faciles à mettre en oeuvre ? Avez-vous rencontré des résistances ou subi des pressions ?

Mme Valérie Fourneyron. - J'ai tenté de montrer en préambule quelles mesures nous avons prises en matière de sensibilisation pour le plus grand nombre, d'actions sur le Tour de France 2013, etc. Nous avons exprimé notre désaccord sur la manière dont les contrôles antidopage étaient organisées par des instances à la fois juges et parties. Nous ne tirions pas suffisamment profit de l'enquête de l'USADA sur l'affaire de l'équipe cycliste US Postal. Il m'a semblé important de pousser les barrières afin d'obtenir cette convention avec une autorité administrative indépendante, l'AFLD. Dans l'environnement médiatique, nous avons exprimé notre souhait que ce résultat soit constaté dès le Tour de France 2013.

Je vous mentirais en affirmant que je n'ai pas reçu d'appel du président de l'Union cycliste internationale, me disant que sa fédération faisait beaucoup de contrôles. Après ce premier appel téléphonique, nous avons abouti, à mon sens, à une mesure qui me semble intéressante pour le Tour, et d'autres organisations, au-delà du cyclisme.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Je reviens sur le volet prévention de la lutte contre le dopage. Nous avons reçu le délégué national des antennes médicales de prévention du dopage. La situation est très inégale selon les régions et les territoires. Il a évoqué une situation préoccupante concernant ces antennes. Elles ont disparu de certains territoires. Ils sont inquiets pour leur avenir et leur situation financière. Leur motivation s'émousse. La question d'un financement à travers la part nationale du CNDS est-elle ouverte aujourd'hui ?

Mme Valérie Fourneyron. - Le sujet des antennes a le mérite d'être évalué. J'ai lancé une inspection générale sur le bilan des antennes médicales afin de prendre toutes les mesures permettant d'étudier quel serait le meilleur mode de financement, ainsi que de réfléchir à la pertinence de leur rôle. Il y a beaucoup d'inégalité entre les antennes. Le nombre de personnes qui les consultent en France est extrêmement faible. 580 000 euros sont mobilisés chaque année sur ces antennes, financées par la part nationale du CNDS. J'essaie de sauver cet établissement public qui a engagé deux fois son budget. Le plan de redressement jusqu'en 2016 a conduit à une chute du budget de 30 % sur la part nationale, entraînant la suppression de la réunion du conseil d'administration du CNDS à la fin de l'année 2012. Lors de la réunion de mars 2013, j'ai attribué 20 millions d'euros de subvention pour 1,5 milliard d'euros de demandes. Nous étudions actuellement les critères d'intervention du CNDS à compter du 1er janvier 2014. Le fonds de roulement de l'établissement était négatif dès cette année.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué une continuité de l'action gouvernementale en matière de lutte contre le dopage. Y a-t-il une continuité sur la prise de position de notre pays concernant la double liste de produits dopants, durant la période de compétition et d'entraînement. La France s'est toujours opposée à la prise de produits dopants durant la compétition et l'entraînement. Maintenez-vous cette position ?

Mme Valérie Fourneyron. - Oui, fermement.

M. Jean-François Humbert, président. - Nous remercions la ministre d'avoir consacré le temps qu'elle nous a consacré jusqu'à présent. Nous vous transmettons la parole pour conclure si vous le voulez bien.

Mme Valérie Fourneyron. - Je vais conclure avec votre question initiale. Je travaille à un texte de loi de modernisation du sport. Il ne serait pas satisfaisant de passer par des modifications pour glisser des articles sur le dopage. Nous avons modifié à 22 reprises le texte initial de la loi sur le sport et son socle, la loi de 1984. Elle comprend 370 articles aujourd'hui. Il me semble que le temps est venu pour qu'il y ait une loi d'orientation et de modernisation du sport, qui reprenne l'ensemble des enjeux du sport en France : la relation sport/argent, l'éthique, la relation entre l'État et le mouvement sportif, les équipements sportifs, l'Euro 2016 et les interrogations qui n'ont jamais été aussi importantes de la Commission européenne sur l'intervention publique dans les équipements confiés par la suite à des sociétés commerciales.

Il y a des enjeux de niveau éthique : le dopage, la législation sur les paris, mise en oeuvre rapidement avant le Mondial de 2010. Il y a de nouveaux acteurs depuis 1984. Les collectivités locales sont le premier financeur public du sport. Les élus locaux n'ont pas suffisamment de poids dans le Centre national pour le développement du sport (CNDS) alors qu'ils sont les meilleurs connaisseurs de leur territoire.

C'est un enjeu essentiel de santé publique. Le sport peut être un bel outil de santé publique. Il y a de multiples enjeux quant à la place du sport dans la société. Le sport est un outil économique, d'emploi, etc. Le sujet nécessite un travail qui aboutira pour un dépôt en conseil des ministres d'un texte avant la fin de l'année, en vue d'être débattu au Parlement en 2014.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous remercie pour ces conclusions. Nous suivrons attentivement, notamment en tant que membres de la commission pour la culture, les dossiers sportifs. Les auditions de la commission d'enquête s'achèvent demain. Nous reviendrons au cours des prochains mois sur les questions du sport. Nous étudierons avec beaucoup d'intérêt l'éventuel nouveau texte.

Mme Valérie Fourneyron. - Je vous remercie.

Jeudi 13 juin 2013

- Présidence de M. Jean-François Humbert, président - 

Audition de M. John Fahey, président de l'Agence mondiale antidopage

M. Jean-François Humbert, président. - Nous sommes heureux d'accueillir, pour notre dernière audition, M. John Fahey, président de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Last but not least !

Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. John Fahey prête serment.

M. John Fahey, président de l'Agence mondiale antidopage. - Merci de votre invitation. Nous avons progressé dans le combat contre le dopage depuis la création de l'AMA il y a treize ans. Je remercie la France pour son engagement et son soutien constants. Votre gouvernement a joué un rôle dans la création de l'agence et l'une de vos ministres est devenue membre de notre conseil. La France a été un des premiers pays à ratifier la convention de l'Unesco. Elle apporte un soutien financier grâce à ses cotisations, et a collaboré avec nous pour développer le passeport biologique. Celui-ci a été introduit en 2007, après les cas de dopages révélés sur le Tour de France. L'AMA avait souhaité la tenue d'un sommet international. L'UCI l'ayant refusé, la France avait organisé une réunion à Paris. L'AMA a été d'accord pour laisser l'UCI piloter la mise au point du passeport biologique. De plus, un responsable français d'Interpol a travaillé avec nous dans le cadre d'un partenariat très fructueux, pendant plusieurs années, pour coordonner les enquêtes internationales et le recueil des informations. Les enquêtes occupent une place de plus en plus importante.

En 2005, L'Équipe a révélé que des prélèvements attribués à Lance Armstrong contenaient de l'EPO. L'AMA voulait lancer une enquête. L'UCI a refusé et lancé sa propre enquête tout en mettant en cause le laboratoire français. L'AMA n'a pas accepté ces allégations et a mis à jour les manoeuvres de l'UCI.

Si l'AMA a pu parfois émettre des réserves sur telle ou telle disposition de la loi française, la coopération avec le gouvernement et l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a toujours été exemplaire. Mme Valérie Fourneyron, ministre des sports, est membre de notre comité exécutif.

L'AMA a été créée en 1999, à la suite de l'affaire Festina. À l'époque, le combat contre le dopage n'était pas efficace, faute d'harmonisation. Le code mondial antidopage a été adopté en 2003 lors de la conférence mondiale sur le dopage dans le sport à Copenhague. Les gouvernements se sont alors engagés à le mettre en application avant les Jeux olympiques de 2004. L'AMA étant une organisation de droit privé suisse, un traité n'était pas possible ; c'est une convention, sous l'égide de l'Unesco, qui a été adoptée et qui est entrée en vigueur en 2007. À ce jour, 174 pays l'ont ratifiée.

Le code a été révisé en 2007 et la nouvelle version est entrée en vigueur en 2009. Une nouvelle modification est en cours, qui devrait être adoptée lors de la conférence mondiale de Johannesburg en novembre prochain et entrer en vigueur en janvier 2015. Le code dresse la liste des substances prohibées, harmonise les sanctions, détermine une procédure d'appel devant une cour d'arbitrage, prévoit la reconnaissance mutuelle des décisions. Il sert de fondement à un système juridique cohérent. Il définit des règles applicables par tous, aussi bien les pays dotés d'un droit bien établi en ce domaine que les autres. L'AMA soutient la création d'organisations régionales antidopage (ORAD) regroupant des pays pauvres qui s'associent, sur une base régionale, pour mutualiser les ressources, organiser des contrôles et des programmes d'action communs ; 15 ORAD ont été créées dans 123 pays. Un membre de l'AMA se consacre au suivi de leurs travaux. Nous apprécions le soutien de certaines organisations nationales, notamment pour former des experts nationaux dans certaines régions du monde, ainsi l'AFLD en Afrique francophone.

L'éducation et la prévention sont essentielles. L'AMA a développé des programmes de sensibilisation, qui visent les sportifs et leur entourage. Ils sont disponibles dans de nombreuses langues, gratuits, mis à disposition de toutes les organisations antidopage. L'AMA poursuit son action de prévention lors des grandes manifestations sportives. Ces programmes se sont révélés populaires et efficaces.

En ce qui concerne la lutte contre le dopage elle-même, le renseignement et les investigations prennent une importance croissante. Le dopage devenant intelligent, les tests doivent être plus efficaces. À chaque discipline de mener une analyse des risques de dopage, en lien avec l'AMA. Puis un plan de contrôles sera élaboré, centré sur les athlètes les plus vulnérables, les autres étant soumis à des contrôles aléatoires. Le passeport biologique comporte des informations qui sont exploitées pour mieux cibler les contrôles hors compétition. Le choix des substances testées sera validé par l'AMA, qui s'assurera de leur pertinence au regard de la nature de la discipline sportive. Les autres substances seront recherchées sur une base aléatoire. Nous économiserons ainsi des ressources et garantirons la meilleure efficacité des contrôles.

L'affaire Armstrong, l'affaire Balco, le compte rendu de la commission anti-crime australienne témoignent que les preuves non analytiques sont puissantes aussi. Mais les prérogatives des organisations antidopage pour diligenter des enquêtes sont très limitées, à moins que des lois nationales n'aient été votées en ce sens. Des dispositions seront introduites dans le nouveau code. Les sanctions sportives pourront être réduites et même annulées si un athlète coopère avec les autorités. Les enquêtes seront systématiques si des mineurs sont concernés.

Mais les autorités antidopage ne peuvent pas tout faire. Elles ont besoin de cadres juridiques nationaux adaptés, qui autorisent les échanges d'informations entre les douanes, la police, les fédérations sportives et les agences antidopage. Si les gouvernements comprennent l'importance d'adopter de telles lois, alors je serai optimiste pour l'avenir. En dépit de la conjoncture économique, il importe aussi que les pays augmentent leurs contributions à l'AMA et à leurs programmes nationaux. La lutte contre le dopage manque d'argent. Le budget de l'AMA s'établit à 28 millions de dollars, et n'a pas augmenté depuis deux ans. Comment mener des actions ambitieuses ? Nous avons besoin de davantage de ressources pour protéger la santé des athlètes et les rêves des sportifs qui ne se dopent pas.

M. Jean-François Humbert, président. - Je vous remercie monsieur Fahey. Que pensez-vous du rapport Pound, sévère sur l'efficacité de la lutte antidopage dans le monde ?

M. John Fahey. - Ce rapport, intitulé L'inefficacité des contrôles, a été rédigé par un comité composé de représentants des agences antidopage, des fédérations sportives, des laboratoires, etc. Ils ont fait des recommandations à l'AMA, aux fédérations, aux laboratoires, aux athlètes. Nous avons publié ce rapport en mai et avons demandé aux différentes catégories concernées de nous adresser leurs contributions, que nous examinerons à la réunion du comité exécutif de septembre.

Le rapport souligne que la qualité des contrôles importe plus que la quantité. Il préconise l'exploitation de renseignements et prône des contrôles ciblés sur les athlètes davantage susceptibles de tricher : ceux qui font un retour après une blessure, ou ceux qui, ayant pris leur retraite, reviennent finalement à la compétition, après avoir échappé à toute surveillance pendant de longs mois... La coopération avec les forces de police est essentielle. On ne peut dicter aux États souverains leurs lois mais j'applaudis quand l'un d'eux adopte un texte de combat contre le dopage, comme la France et d'autres l'ont fait.

Les contrôles sanguins ne représentent que 3 à 4 % du total, or certains produits, comme les hormones de croissance, ne sont pas détectables par un autre examen. Les contrôles doivent être adaptés aux particularités des différents sports et des risques. Chaque année, 270 000 prélèvements sont réalisés dans le monde. Mais beaucoup ne sont pas analysés en totalité. Certaines agences antidopage ne recherchent pas l'EPO systématiquement dans les prélèvements d'urines. C'est dommage. Mieux vaut des contrôles plus complets, même moins nombreux. Autrement dit, nous n'avons pas bien travaillé et nous devons mieux faire : telles sont les conclusions du rapport Pound. Fin juillet nous recevrons tous les commentaires et contributions et verrons quelles recommandations méritent d'être traduites dans la nouvelle version du code.

M. Jean-François Humbert, président. - Ce rapport propose que les agences nationales antidopage puissent contrôler tout athlète, national ou étranger, présent sur leur territoire. L'AMA est-elle favorable à ces contrôles systématiques ?

M. John Fahey. - Les agences sont financées par des crédits nationaux, avant tout pour tester les athlètes du pays. Elles rechignent à contrôler sans crédits supplémentaires les athlètes étrangers. C'est dommage ! Un athlète doit pouvoir être contrôlé à tout moment et dans tout pays, sinon nos règles resteront sans effet. Il existe des ententes bilatérales ou multilatérales. Les Canadiens ou les Américains contrôlent tout athlète y compris étranger sur leur sol, mais indiquent qu'ils ne savent pas toujours les localiser et se heurtent aux règles de la protection de la vie privée. D'autres obstacles sont d'ordre économique. Cependant aucune disposition du code ne s'oppose à de tels contrôles.

M. Jean-François Humbert, président. - M. Patrick McQuaid, président de l'UCI, a déclaré qu'il était prêt à accueillir des observateurs indépendants de l'AMA sur le prochain Tour de France. Est-ce selon vous souhaitable ?

M. John Fahey. - Nous avons envoyé des observateurs indépendants à de nombreux Jeux olympiques (JO), d'été comme d'hiver, à d'autres manifestations sportives, et sur le Tour de France à deux reprises. Notre mission était de juger de la portée des mesures antidopage mises en place par les organisateurs. Nous n'étions pas sur le Tour de France l'an dernier. Nous serions ravis d'être invités par l'UCI, comme par toute autre organisation, pourvu qu'elle prenne à sa charge les frais car notre budget est limité. Je n'ai pas encore reçu d'invitation.

M. Jean-François Humbert, président. - Il ne s'agit pas d'invitation : l'UCI a simplement proposé d'accueillir des observateurs. L'expression est ambiguë.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Pourquoi l'AMA n'impose-t-elle pas aux organisateurs, privés ou fédéraux, la présence d'observateurs indépendants lors des grandes manifestations ?

M. John Fahey. - Nous ne pouvons pas nous imposer. Nous devons travailler en collaboration avec les fédérations. Or, souvent, nous ne sommes pas invités. Quand nous le sommes - et que l'opération est financée par nos hôtes - nous envoyons toujours une équipe. C'est ainsi que nous sommes venus deux fois sur le Tour de France, mais pas l'an dernier.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Certaines fédérations sportives sont-elles plus actives que d'autres dans la lutte antidopage ?

M. John Fahey. - Il est important d'entretenir des relations constructives avec les 360 signataires du code, acteurs nationaux comme internationaux, notamment les comités nationaux olympiques. Toutefois nous sommes aussi les gardiens du code et il nous appartient de faire appel devant l'instance d'arbitrage s'il n'est pas appliqué. Nous devons conserver une certains distance à l'égard des autres organisations, afin de préserver notre indépendance. Mais nous fournissons chaque fois que nécessaire notre soutien aux fédérations qui le souhaitent pour mettre en place des programmes antidopage. Nous ne cherchons pas à nous immiscer dans leur fonctionnement interne car elles sont autonomes. Il est vrai que certaines sont plus efficaces que d'autres, vous le savez, et vous savez lesquelles.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Disposez-vous des moyens suffisants pour sanctionner les fédérations internationales qui n'appliquent pas le code mondial ? Pouvez-vous exclure un pays des Jeux olympiques ?

M. John Fahey. - Non, nous n'avons pas ce pouvoir. Nos membres, pour la moitié représentants des pays membres, pour l'autre des mouvements sportifs nationaux, décident, lorsque nous estimons qu'un pays doit être exclu, d'en faire état ou non devant le Comité international olympique. C'est ce dernier qui statue. Le code prévoit des sanctions contre des particuliers, mais non contre des nations. Aucun pays n'a été exclu en treize ans.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Saisissez-vous Interpol ou Europol si vous avez connaissance de trafics de produits dopants ? Ces organismes s'appuient-ils sur vous dans leurs enquêtes ?

M. John Fahey. - Grâce à l'aide de la France, un officier d'Interpol se consacre à la lutte contre les trafics de produits illicites dans le sport. De nombreuses informations ont été recueillies grâce à la collaboration des 140 services de police et de gendarmerie réunis dans Interpol. Si l'on soupçonne un trafic, l'information est transmise au bureau d'Interpol du pays concerné. Grâce à nos demandes d'investigation, nous avons découvert que les mêmes réseaux mafieux sont impliqués dans le trafic de produits dopants, le trafic de drogues, le trucage des compétitions sportives. Interpol a appuyé les enquêtes de la commission de lutte contre le crime en Australie en début d'année. Il faut que les pays collaborent et se dotent d'un cadre législatif approprié.

M. Jean-François Humbert, président. - Avez-vous également des contacts directs réguliers avec les services policiers et douaniers des différents pays ? Ou passez-vous toujours par Interpol ?

M. John Fahey. - Nous avons signé une lettre d'intention avec l'organisation mondiale des douanes pour mettre en place une collaboration similaire à celle que nous entretenons en matière de police avec Interpol. Malheureusement aucun pays n'a encore accepté de mettre à disposition de l'organisation un agent en charge de cette mission.

Ces collaborations sont indispensables. En Australie, 40 % des sanctions résultent de renseignements fournis par les douanes ou la police. La loi autorise les échanges d'informations avec ces services. Lorsque la douane détecte un colis contenant des substances dopantes, elle consulte l'agence antidopage, recoupe les informations et parvient in fine à attraper en flagrant délit les athlètes qui se dopent.

M. Jean-François Humbert, président. - Seriez-vous partisan d'un renforcement des liens directs avec les instances policières et douanières nationales, si la question du financement était réglée ?

M. John Fahey. - Absolument. La coopération des forces de police et des douanes est essentielle pour démanteler les trafics dans les pays.

Les ressources sont rares. Lorsque j'étais ministre des finances en Australie, une grande partie de mon travail consistait à refuser des demandes de financement... Déjà, entre 100 et 120 pays ne peuvent faire plus que s'appuyer sur des organisations régionales antidopage. Ainsi le Kenya, dont les athlètes ont remporté onze médailles d'or aux JO de Londres, fait-il partie d'une organisation qui regroupe six pays. De nombreux sportifs d'autres pays vont s'entraîner sur les hauts plateaux. J'aimerais que le pays consacre quelques ressources à la lutte antidopage, mais je comprends que la santé ou l'éducation soient considérés comme prioritaires...

Avec plus d'argent, nous serions plus efficaces. Néanmoins, tout dépend de la volonté des pays. La France a contribué au financement d'un ORAD en Afrique. L'Australie en finance un autour des îles Fidji.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La pénalisation de l'usage des produits dopants par les législations nationales vous aiderait-elle dans la lutte contre le dopage ?

M. John Fahey. - Oui, sans aucun doute. Mais les législateurs nationaux sont souverains. La France, l'Italie la Russie ont adopté des lois sévères. En Norvège le dopage est passible de peines pénales. Ce n'est pas le cas en Australie. Plus les sanctions sont fortes, plus elles sont dissuasives. Je n'exige rien des pays, mais j'applaudis lorsqu'ils s'orientent en ce sens.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Les Européens sont opposés à l'existence de deux listes de produits interdits, l'une pendant la compétition l'autre hors compétition. Quel est votre avis sur ce point ?

M. John Fahey. - La question est : telle substance procure-t-elle un avantage en compétition ? Notez que 8 % des résultats positifs aux anabolisants concernent la marijuana ou le cannabis, qui laissent une trace durable dans le corps. C'est ainsi qu'un joueur de football peut être en infraction avec le code de l'AMA le jour d'un match si dix jours auparavant il a fumé un joint au cours d'une fête - comportement qui n'a certes pas pour objectif de mieux jouer dix jours plus tard...

Pour déterminer ce qui doit figurer sur chacune des deux listes, il faut se demander si la performance est améliorée de manière non naturelle. En pratique, nous dépensons beaucoup d'argent pour confondre des fumeurs de cannabis qui ne sont pas réellement des tricheurs. Nous devons donc continuer à travailler sur les substances illicites, prises lors des compétitions ou en dehors de celles-ci.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - La France, dans le cadre du suivi réglementaire, considère qu'il faut empêcher des sportifs ayant subi une infiltration de corticoïdes de participer à une épreuve. Comment expliquez-vous, à l'inverse, l'élévation du taux autorisé ?

M. John Fahey. - Notre comité exécutif examine chaque année la liste des substances interdites. Il se fonde sur les travaux du comité « Liste », composé de scientifiques, de pharmaciens, de biologistes, d'experts du monde entier, au courant de toutes les évolutions de la science : ce comité est donc à même de prendre de bonnes décisions. Les corticoïdes font l'objet d'un débat depuis quelques années. Les experts estiment qu'en-dessous d'une certaine quantité, ou lorsqu'elles sont absorbées par inhalation, ces substances n'ont pas d'effet sur les résultats sportifs. Quant à moi, je ne suis pas un expert. Les listes sont révisées chaque année : la caféine, par exemple, figurait sur la liste, elle en a été ôtée car le comité « Liste » a considéré que tout le monde consommant quotidiennement du café, on ne pouvait pas sanctionner les sportifs pour un tel motif.

M. Jean-François Humbert, président. - Vous avez insisté sur la nécessité de compléter le financement de l'AMA. Vous considérez que son budget est insuffisant pour faire face aux dépenses nécessaires à une amélioration de la lutte contre le dopage. Une taxe sur les droits de retransmission télévisuelle des compétitions internationales serait-elle envisageable ?

M. John Fahey. - Oui, bien sûr, mais ces droits sont négociés par les fédérations sportives, pas par nous. Certes, si chaque organisation sportive nous en reversait un petit pourcentage, par exemple 0,25 %, ce serait fantastique ! Mais je respecte entièrement leurs prérogatives. Nous dépendons en réalité des pays. La France contribue au financement de son comité national olympique. Elle pourrait, par exemple, aider le développement du rugby junior, ce qui permettrait à la fédération de dégager des ressources pour la lutte contre le dopage. Si les fédérations nationales en faisaient plus dans ce domaine, nous aurions moins à faire... Indirectement, nous dépendons de la générosité des gouvernements nationaux : s'ils soutiennent leurs fédérations, cela nous profite aussi. La lutte contre le dopage est une obligation morale, car la triche est intolérable. Chaque fédération doit se demander quel prix elle est prête à payer pour préserver l'intégrité de ses compétitions. Si elle perd sa réputation, elle perdra le soutien du public, celui des sponsors, les droits de retransmission, et son sport finira par disparaître. La triche est vraiment la force destructrice la plus redoutable. Ce message doit être diffusé aux fédérations par les gouvernements qui les financent.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Quelle est votre appréciation de la performance du laboratoire de Châtenay-Malabry ? Que pensez-vous du fait qu'il soit administrativement rattaché à l'AFLD ?

M. John Fahey. - Je n'ai pas de commentaires à faire. Il me semble toutefois que le principe d'un tel lien n'est pas bon. Mieux vaut l'indépendance : il ne faut pas de lien entre ceux qui mènent l'enquête et ceux qui font les analyses. Sinon, ils sont plus fragiles et peuvent être attaqués... Il faut être attentif aussi à l'association entre certaines fédérations internationales et certains laboratoires. Si la fédération fait beaucoup travailler un laboratoire, celui-ci peut devenir financièrement dépendant d'elle, ce qui risque de créer des tentations. Il faut une séparation complète, qui seule envoie un message d'intégrité et suscite la confiance.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué des difficultés relationnelles avec l'UCI. Faites-vous encore confiance à ses dirigeants ? Ou souhaitez-vous que le souffle du changement atteigne aussi cette instance internationale ?

M. John Fahey. - Pardonnez-moi si je dois utiliser un peu la « langue de bois » pour vous répondre. Ce n'est pas à moi de dire aux pratiquants d'un sport comment ils doivent se gérer. C'est à eux de se poser des questions. Nous savons bien qu'il y a eu des problèmes dans le monde du cyclisme : l'AMA doit son existence au scandale « Festina ».

J'ai dit que nous devions travailler ensemble. Le gouvernement français exerce des pressions en ce sens également, pour protéger le Tour de France contre une mauvaise réputation. Le cyclisme a une histoire à tout le moins turbulente. À présent, le passeport biologique est en place, depuis trois ans. Je suis heureux que vous ayez contribué à sa création. C'est aux fédérations nationales de dire si elles sont satisfaites de leurs dirigeants internationaux. La réputation, c'est tout. Je suis un amateur de sport, je regarde les compétitions et je vais aux matchs... jusqu'au jour où je n'ai plus confiance dans l'intégrité des joueurs. Nous avons fait de notre mieux pour appuyer l'UCI dans ces temps difficiles. Je n'ai aucun préjugé sur le cyclisme. J'ai écrit une lettre au dirigeant de l'UCI en février, dans laquelle je lui disais être prêt à le rencontrer, n'importe où dans le monde. Je n'ai pas reçu de réponse. Deux rencontres récentes entre des responsables de nos deux institutions n'ont donné aucun résultat.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Vous avez évoqué le trucage des matchs. Le modèle de l'AMA doit-il être transposé au combat contre ce type de phénomènes, qui révèlent la main du crime organisé dans l'économie du sport ?

M. John Fahey. - Oui. L'AMA ne souhaite pas être chargée de travailler sur ce problème, sauf si ses membres décidaient d'élargir sa mission. C'est à eux de le décider : nous n'allons pas le réclamer. Je ne doute pas qu'une organisation semblable à la nôtre serait utile. Les paris illicites, grâce à Internet, franchissent les frontières. Les gouvernements peuvent jouer un rôle essentiel en cette matière. Certains ont fait adopter des lois sur la transparence et sur les règles d'organisation des paris. Mais pour lutter efficacement contre le trucage, il faudrait l'alliance des gouvernements et du monde du sport, et une convention internationale.

Quand la réflexion sur ce sujet aura abouti, la création d'une commission mondiale de l'intégrité dans le sport sera peut-être la solution pour une approche uniforme et complète de la lutte contre le trucage des matchs. Les valeurs sportives sont fondamentales, que nous inculquons aux enfants dès le plus jeune âge : savoir jouer à un jeu en respectant des règles, être juste, honnête... Ce sont des règles de vie.

Notre modèle est unique : je ne connais pas d'autre organisation qui travaille comme nous de concert avec les gouvernements. Nous sommes de plus en plus efficaces. Nous avons suscité une prise de conscience, et créé des mécanismes de lutte contre le dopage qui n'existaient pas il y a dix ans.

M. Jean-François Humbert, président. - Est-ce votre conclusion, ou voulez-vous ajouter quelques mots ?

M. John Fahey. - Nous devons améliorer l'éducation de nos enfants sur les dangers du dopage sportif pour la santé. Notre code exige que nos signataires aient un programme d'éducation : ceux-ci demeurent souvent trop limités. Au Japon, en revanche, il y a dans chaque école primaire et secondaire un module d'éducation sur les dangers des drogues dans le sport. Les élites sportives ne sont pas seules concernées : dans les centres de fitness, combien d'adeptes avalent des comprimés pour avoir un corps parfait, et s'infligent de la sorte de grands dégâts. Nous publierons à la fin de l'année un module d'éducation à destination des écoles et des universités. Nous souhaitons mieux former les futurs éducateurs sportifs aux dommages produits par les substances illicites. La culture de la performance s'est développée dans les pays du bloc de l'Est, dans les années soixante-dix et quatre-vingt : après la chute du mur de Berlin, la transparence s'est développée.

Merci pour votre invitation, et merci d'avoir accepté que je m'exprime en anglais. J'ai suivi vos auditions, je connais les objectifs de votre enquête, et vous souhaite plein succès. C'est un sujet qui occupe ma vie depuis six ans.

M. Jean-François Humbert, président. - Merci pour votre intervention. C'était la dernière audition de notre commission d'enquête. Nous présenterons notre rapport au mois de juillet prochain.