Mercredi 12 février 2014

- Présidence de M. Joël Bourdin, président -

Atelier de prospective : commerce électronique, tendances et opportunités

M. Joël Bourdin, président. - Mesdames, Messieurs, chers collègues, je suis heureux de vous accueillir au nom de la délégation à la prospective. Voilà deux ans, nous nous étions penchés sur l'émergence d'un phénomène nouveau, celui de l'e-commerce, auquel nous avons consacré un rapport d'information intitulé Commerce électronique, l'irrésistible expansion. À cette époque, j'insistais sur le chiffre d'affaires exceptionnel réalisé par les e-commerçants en 2011, en l'occurrence 37 milliards d'euros.

Or, deux ans après, en 2013, ce chiffre d'affaires s'est établi à environ 50 milliards d'euros, soit une progression considérable. Son taux d'expansion, qui ne se dément pas depuis un certain nombre d'années, s'inscrit à 14 % par an.

Nous avions à l'époque identifié trois variables clés dans le développement du commerce électronique : son attractivité, son accessibilité et le comportement des consommateurs. Sur ces trois points, l'évolution des événements a pleinement conforté nos analyses.

Qu'il s'agisse du prix, de la diversité de l'offre ou du service annexe, le e-commerce est aujourd'hui plus attractif que jamais. Nous trouvons tout sur Internet. Effectuer ses courses en ligne représente un gain de temps, un gain d'argent, tout en offrant une gamme de choix plus large que celle proposée par un centre commercial.

L'accès à l'offre a quant à lui été démultiplié au cours des années écoulées. Nous avons assisté au développement de deux outils technologiques, les smartphones et les tablettes, à la fois légers, pratiques et mobiles. Ils autorisent un accès à Internet qui permet d'acheter en ligne depuis n'importe quel endroit du globe à n'importe quelle heure, en particulier depuis le déploiement de la 4G. Nos concitoyens peuvent acheter en ligne en permanence sur des sites spécialement conçus pour être consultés sur un téléphone. Nous parlons d'ailleurs davantage aujourd'hui de « m-commerce », pour mobilité, que de e-commerce. Entre 2011 et 2012, le chiffre d'affaires réalisé sur les tablettes et les smartphones passait de 400 millions à 1 milliard d'euros, soit une hausse de 160 %. Ces statistiques feraient pâlir d'envie n'importe quel autre secteur.

Les consommateurs ont répondu présent. Parmi les quarante millions de Français qui utilisaient Internet au début de l'année 2013, nous comptions trente et un millions d'acheteurs en ligne. Ce chiffre est en progression continue, il a encore augmenté de 8 % l'an dernier. Qui plus est, les analyses montrent que ces acheteurs deviennent des e-consommateurs réguliers. Au cours de l'année 2012, chacun d'entre eux a dépensé en moyenne 1 400 euros répartis sur seize achats. Nous ne nous posons plus la question de savoir si le commerce électronique s'installera durablement ou non dans les habitudes de consommation des Français et des Européens. En revanche, nous pouvons nous interroger sur les nouvelles formes que prendront les développements futurs. Les premiers produits en vente étaient les livres, les DVD, les CD. Puis sont venus les vêtements, les chaussures. Peu de temps après, nous entendions parler des drives, concernant la vente de produits alimentaires, conçus alors comme des curiosités marginales. Aujourd'hui, ce concept est entré dans les moeurs. Il est attractif et très utilisé par nos concitoyens, à chaque niveau d'âge et par l'ensemble des catégories socioprofessionnelles. Depuis lors, nous sommes passés aux services. Quelle sera la prochaine étape ? Nos invités nous le diront peut-être...

Longtemps, nous avons imaginé que le commerce physique et le commerce électronique étaient par nature incompatibles, voire concurrents. L'un devait mourir pour faire place à l'autre. Or il me semble, comme nous l'avions pressenti il y a trois ans, que nous assistons davantage à la complémentarité qu'à la compétition de ces deux formes de commerce. Le commerce électronique ne tue pas le commerce traditionnel. Parfois, le commerce électronique favorise même le commerce traditionnel. J'observe par exemple que les enseignes classiques, qui ont parfois réagi avec lenteur, ont finalement à leur tour investi sur Internet pour contrer l'offensive des acteurs entièrement numériques.

Enfin, je constate que la conjonction entre un intérêt croissant pour le développement durable et un pouvoir d'achat en baisse a entraîné l'apparition d'une nouvelle génération de consommateurs qui souhaitent consommer mieux et moins cher et cette génération y parvient, notamment grâce au commerce électronique qui participe, dans les faits, à l'évolution du pouvoir d'achat. Nous parlons en effet de crise tandis que le pouvoir d'achat global continue de progresser. Certes, les revenus n'augmentent pas nécessairement. Simplement, les achats sont moins coûteux, en particulier par le recours au commerce électronique.

Celui-ci modifie profondément les modalités du commerce tel que nous le connaissions autrefois. Nous voyons, dans les petites villes, des commerçants rejoindre le commerce sur Internet ou s'allier pour présenter un site : c'est le cas tout récemment, par exemple au Puy-en-Velay où les commerçants se sont organisés pour répondre aux clients. Le commerce électronique permet en outre aux consommateurs d'améliorer le confort de leur consommation. J'ai moi-même interrogé des personnes qui fréquentent des drives. Manifestement, elles en tirent le bénéfice de réduire le temps consacré aux courses et d'améliorer leur confort de vie. Enfin, le commerce électronique permet évidemment aux commerces traditionnels de se conforter. Je pense aux acteurs qui profitent des possibilités du commerce électronique pour vendre leurs produits non plus sur le bord d'un trottoir mais sur la totalité de l'espace national. Nous voyons ce type d'offres se multiplier. Les collectionneurs de livres, par exemple, n'ont plus à se rendre rue de l'Odéon, à Paris, chez un vieux bouquiniste. Ils peuvent accéder à des offres directes sur Internet, qui présentent notamment des photos. Les consommateurs eux-mêmes peuvent ensuite revendre leurs livres.

Je n'irai pas plus loin. Nous sommes réunis en effet aujourd'hui pour écouter les spécialistes, que je remercie de leur présence et que je vais vous présenter :

- Olivier Aizac, directeur général de Leboncoin,

- Paulin Dementhon, président et fondateur de Drivy,

- Thierry Petit, directeur général et cofondateur de Showroomprive,

- Lara Rouyrès, membre du Conseil national du numérique,

- Patrick Waelbroeck, maître de conférences à Télécom Paris Tech.

Peuvent-ils nous présenter leur activité ?

M. Thierry Petit, cofondateur et directeur général de Showroomprive. - En 2011, Showroomprive affichait un chiffre d'affaires d'environ 120 millions d'euros ; aujourd'hui, celui-ci s'élève à 350 millions d'euros. La croissance est donc extrêmement importante. Showroomprive emploie environ sept cents collaborateurs, recrutés pour l'essentiel au cours des quatre ou cinq dernières années. Le site bénéficie d'une présence en Europe puisque 25 % de son chiffre d'affaires sont réalisés en dehors de France, principalement en Italie, en Espagne, en Belgique et au Portugal. L'offre est focalisée sur l'univers de la digital mum, c'est-à-dire sur les besoins d'une femme active mère de famille qui achète de la mode, du prêt-à-porter et des accessoires pour elle, pour sa famille, pour ses enfants et pour sa maison. Malgré la crise, elle veut toujours se faire plaisir, acheter des marques mais avec des offres tarifaires intéressantes. Notre produit répond donc aux attentes de ce qu'est devenue la consommatrice française et européenne de nos jours.

Pour réagir sur le sujet du commerce électronique et sur la possible rivalité entre commerce électronique et commerce traditionnel, le débat se poursuit aujourd'hui : le commerce électronique tue-t-il le commerce traditionnel ? Les journalistes me posent parfois encore cette question. Ma réponse est toujours identique : un commerçant, qu'il pratique le e-commerce, le m-commerce ou le commerce traditionnel, reste un commerçant. Le commerce consiste simplement à proposer une belle offre à une clientèle cible qui l'attend pour un prix intéressant et avec un niveau de service qui correspond à son attente. Que l'offre soit proposée par mobile, par tablette ou dans un magasin importe peu puisqu'il s'agit quoi qu'il en soit de commerce. Certes, le commerce électronique a créé des ruptures de consommation et d'usages, qui ont entraîné une modification forte du commerce mais je ne vois pas qu'il en résulte l'opposition qu'on agite souvent.

En outre, le commerce électronique va « dans le sens de l'Histoire ». Nous n'avons pas le choix. On peut certes imaginer des régulations ; des lois, parfois stupides, peuvent se multiplier, par exemple celles engagées par un législateur en position défensive pour contrer le site Amazon qui est supposé tuer le marché du livre. Il n'en demeure pas moins que le commerce électronique va « dans le sens de l'Histoire ». Je pense pour ma part que le commerce électronique doit être facilité et que nous devons oublier cette idée d'opposition entre les commerces qui me semble obsolète.

Nous entendons souvent l'affirmation selon laquelle le e-commerce grandit. Pourtant, lorsqu'on consulte l'ICE 40, l'indice des quarante premiers sites marchands en France, on constate qu'il n'affiche qu'une croissance de 6 %. Le commerce électronique n'est donc pas omniprésent. De grands sites sont en train de mourir - Pixmania, La Redoute, Les 3 Suisses, etc - qui pèsent beaucoup sur cet indice. La vraie croissance du commerce électronique se fonde en réalité sur les sites de petite taille qui grandissent et sur les nouvelles boutiques. Contrairement à ce que l'on pense, la vraie richesse du commerce électronique se situe aux deux extrémités de la chaîne, avec d'un côté des acteurs de très grande taille et de l'autre des acteurs de petite taille qui grandissent.

Cette situation ouvre des opportunités : une petite boutique de quartier peut obtenir, grâce au commerce électronique, des opportunités de croissance insoupçonnables auparavant. La peur du e-commerce doit donc laisser la place à l'envie de saisir l'opportunité de développement qu'offre un secteur en croissance. Il n'en demeure pas moins que le commerce électronique reste une économie fragile. En effet, dans le e-commerce, un acteur est soit petit, soit grand : les acteurs de taille intermédiaire peinent à trouver leur place. Ce métier requiert une logistique qui devient industrielle dès lors qu'il mobilise de forts volumes. Cette logistique impose des dépôts de stockage, des algorithmes, des ingénieurs, des coûts, des sites en perpétuelle évolution.

M. Joël Bourdin, président. - De quelle surface de dépôts le site Showroomprive dispose-t-il ?

M. Thierry Petit. - Notre surface d'entrepôts s'élève à 200 000 m². Il est d'ailleurs relativement effrayant de devoir disposer d'une telle surface et d'un personnel en nombre...

Je reviens à mon propos. Les sites sont en perpétuelle évolution. Les consommateurs également. De nouvelles technologies apparaissent en permanence. Les ingénieurs sont indispensables. Les marques vendues sur le site sont chaque jour plus exigeantes. Les modèles, les photographes doivent être compétents. Il devient rapidement indispensable de recruter, de développer la marque à l'international. Le commerce électronique se révèle donc extrêmement onéreux dans un contexte où les marges tendent à décroître.

Le e-commerce est en effet prioritairement axé sur une offre de prix - ce qu'il faut traduire par réduction des marges - tandis que le consommateur exige chaque jour davantage : la livraison dès le lendemain, la gratuité des frais de retour, l'allongement des délais de retour par exemple, tandis que les opérateurs de transport ne baissent pas leurs prix. En tout état de cause, le métier du commerce électronique souffre de forts coûts avec des marges à la baisse, ce qui rend ce modèle économique extrêmement difficile pour les acteurs intermédiaires, c'est-à-dire essentiellement les sites marchands. Le e-commerce constitue donc bien une opportunité en croissance mais qui reste néanmoins fragile.

Pour toutes ces raisons, il me semble que les politiques se doivent de trouver des moyens d'harmonisation, de financement, de développement au niveau européen. L'Europe est un vrai gisement, elle est le premier marché au monde du e-commerce. De formidables opportunités sont à notre portée, et elles comportent leur part de risque. Ce monde n'est cependant ni noir, ni blanc. Le commerce électronique peut être source de richesses s'il est encouragé avec énergie et régulé avec précaution. Si je devais transmettre un message, il soulignerait les opportunités qu'offre le commerce électronique, qui ne doit pas être vu seulement comme un danger.

M. Joël Bourdin, président. - Je vais maintenant demander à Patrick Waelbroeck comment il analyse le phénomène du développement du e-commerce et quelles sont les compétences à mobiliser en matière de formation professionnelle et d'accès aux marchés financiers pour les entreprises qui sollicitent les banques.

M. Patrick Waelbroeck, maître de conférences à Télécom Paris Tech. - Je donne des cours d'économie d'Internet aux futurs ingénieurs de Télécom Paris Tech, notamment dans le cadre d'un nouveau master Big data. Le Big data regroupe les personnes qui travaillent, analysent, extraient, donnent du sens à la donnée. Il peut s'agir de données personnelles, mais pas seulement. Dans le commerce électronique, les données peuvent également être des données de géolocalisation par exemple. Je pense que l'ensemble des outils qui concernent la data constitueront le futur coeur de métier des personnes qui travaillent dans le commerce électronique. J'y reviendrai. J'ajoute simplement que ce master accueille aujourd'hui vingt-cinq étudiants.

Il existe donc une demande de la part des étudiants mais également de la part du monde professionnel et des entreprises pour un métier qui n'existe pas à ce jour. Nous réalisons en effet que, de plus en plus, la richesse et l'avantage concurrentiel d'une entreprise, en particulier d'une entreprise du commerce électronique, consistent à cibler et à fournir le produit adapté à une personne pour s'assurer qu'elle acceptera l'offre commerciale. Ce cas de figure est rendu possible par des analyses de comportements, des analyses d'achats, des analyses de préférences. L'analyse des données permettra de cibler la personne pour lui fournir l'offre commerciale adaptée. C'est pourquoi je pense que dans dix à quinze ans, l'analyse de la donnée sera le coeur de métier des grandes entreprises du commerce électronique. Amazon constitue un exemple évident de ce type de pratiques : ce site envoie en effet aux consommateurs des recommandations personnalisées fondées sur des données de consommation, sur des données de navigation et, parfois, sur des données extérieures à celles qu'il possède lui-même.

Nous avons également ouvert une chaire à l'Institut Mines-Télécom sur les informations personnelles d'une façon plus générale. Nous abordons les enjeux économiques, juridiques, philosophiques et techniques de ces notions de ciblage que nous observons chaque jour davantage dans le monde d'Internet. Le sujet soulève des questions non seulement économiques mais également sociétales. C'est pourquoi la chaire est pluridisciplinaire. Nous essayons d'aborder les intersections entre les différentes disciplines concernées.

Dans un second temps, je souhaite par ailleurs donner une perspective plus académique sur ce que j'appelle les effets de substitution. Par le passé, les consommateurs achetaient en magasin physique. Aujourd'hui, une nouvelle opportunité leur est offerte : la possibilité d'un achat sur Internet. Deux évolutions sont liées à cet état de fait. La première concerne le fait d'acheter un produit physique sur Internet plutôt qu'en magasin à travers une forme de commerce dématérialisé. La seconde, que nous vivons actuellement, consiste à acheter un produit numérique dans un environnement numérique (par exemple un streaming sur Deezer). Une question académique se pose. Elle consiste à savoir si les personnes qui, par le passé, achetaient dans un magasin physique achètent à présent sur Internet, auquel cas l'effet économique serait nul. En effet, nous assisterions alors à un simple effet de substitution. Au contraire, les personnes qui achètent sur Internet acquièrent-elles des produits qu'elles n'auraient pas nécessairement achetés en magasin physique ? Existe-t-il, en l'occurrence, un effet d'expansion de la demande ? La demande totale augmente-t-elle avec l'ouverture d'un nouveau canal de distribution ?

La réponse est double. Un certain nombre d'études ont porté sur le sujet. Elles montrent des effets de substitution sur les produits « tête de gondole » de la grande distribution, c'est-à-dire les produits qui se vendent très bien. En revanche, pour les produits qui ne sont pas distribués dans les grands magasins physiques par absence de demande et en raison du coût de distribution induit par cette faible demande, une nouvelle demande apparaît sous la forme du commerce électronique. Ce constat se révèle d'autant plus vrai lorsque nous examinons la seconde évolution, celle du tout numérique, avec achat d'un produit numérique à travers un canal de distribution numérique. Par exemple, s'agissant de l'e-book, des auteurs distribuent des produits qui ne sont même pas commercialisés physiquement. Il ne peut donc pas exister d'effet de substitution. À côté des effets de substitution, nous observons bien alors un effet d'expansion de marché, un effet d'expansion de la demande, en particulier concernant les produits moins connus du grand public.

M. Joël Bourdin, président. - Nous avons parlé jusqu'à présent de la vente en ligne de produits neufs. Or, il existe aussi des sites, très fréquentés, de vente de produits d'occasion. C'est le cas, tout particulièrement, du site Leboncoin et je laisse à Olivier Aizac le soin de nous présenter ce concept et les évolutions passées et à venir pour ce secteur.

M. Olivier Aizac, directeur général de Leboncoin. - Leboncoin est une société jeune, créée en 2006. En quelques années, elle a connu un essor exceptionnel. Initialement, deux personnes animaient l'activité ; la société en emploie aujourd'hui plus de deux cents. Son chiffre d'affaires est légèrement supérieur à 100 millions d'euros. Leboncoin est un acteur incontournable en termes d'audience sur le web puisque, chaque mois, un Français sur quatre se connecte sur le site pour acheter ou vendre tout type de produit. À l'origine site de vente entre particuliers de produits d'occasion, il est également devenu le premier site immobilier, le premier site automobile et le premier site dans le domaine de l'emploi en France. Notre métier n'est pas réellement le commerce électronique. Le site est davantage un support média qu'un site de e-commerce. Nous ne vendons rien sur Leboncoin. En revanche, nos utilisateurs déposent des annonces pour proposer un objet ou un service aux personnes qui viennent consulter le site.

Notre métier est très ancien. Leboncoin n'est en effet que la version Internet de la petite annonce ou du papier que l'on affichait sur la caisse du commerçant voisin. Il s'agit d'un métier de proximité puisque acheteurs et vendeurs se rencontrent, discutent autour du produit et se mettent d'accord sur la transaction, qu'il s'agisse d'acquérir une maison au bord de la mer ou d'acheter des vêtements pour bébé à quelques euros.

Vous le disiez vous-même en ouvrant ce débat, l'essor de ce mode de consommation est lié en premier lieu à une prise de conscience chez les consommateurs du fait que la consommation effrénée et l'ère du jetable ne sont pas durables. Il existe une vraie prise de conscience du besoin d'évoluer vers une consommation raisonnée et pérenne. Leboncoin est ainsi la première machine à recycler de France. Le site propose en effet des produits dont le vendeur n'a plus l'usage mais qui, encore en état de fonctionner, peuvent servir à une autre personne. Nous évoluons sur une logique de recyclage, sur une logique de consommation collaborative et sur de nouveaux modes de consommation, même si, finalement, notre métier est un métier ancien qui a juste su s'adapter au nouveau média Internet.

Sur la question qu'on évoquait tout à l'heure, du e-commerce ou du m-commerce, nous nous considérons pour notre part comme un simple support digital. Le moyen de consommation, qu'il soit un terminal de téléphone portable ou un écran d'ordinateur, n'est pas important. Nous sommes un média digital. Nous devons être capables de proposer une solution à nos clients quels que soient leurs modes de consommation. Nous tentons d'accompagner les évolutions des modes de consommation, notamment vers une consommation plus durable et plus raisonnée, en apportant une solution de mise en relation.

M. Thierry Petit. - Savez-vous que Leboncoin est le premier vendeur de foin en France ?

M. Olivier Aizac. - Nous occupons certainement la première place du marché dans ce domaine. Le vendeur utilise Leboncoin pour toucher l'ensemble des Français qui peuvent être intéressés par l'achat de foin. Leboncoin permet en outre la vente de matériel professionnel, matériel agricole ou matériel des métiers de la restauration et de l'hôtellerie notamment : un certain nombre de professionnels viennent s'équiper avec des produits d'occasion, il existe un véritable marché dans ce domaine. Nous sommes certainement, par exemple, le premier site de transactions de tracteurs, de moissonneuses-batteuses, de cuisinières professionnelles, d'équipements frigorifiques, etc. Quand un restaurant ferme, le matériel d'occasion est en effet susceptible d'intéresser un autre restaurateur.

M. Joël Bourdin, président. - Vous avez commencé par parler des relations de consommateur à consommateur. Vous pratiquez cependant également le B to B (ensemble des relations commerciales entre deux entreprises).

M. Olivier Aizac. - Nous pratiquons le B to B comme le B to C (ensemble des relations entre une entreprise et ses consommateurs, dont l'entreprise a pris l'initiative). Des dizaines de milliers de professionnels utilisent le site en tant que premier site immobilier ou premier site automobile. Aujourd'hui, les agents immobiliers et les concessionnaires automobiles sont des clients de Leboncoin, qu'ils utilisent pour mettre en avant les biens ou les véhicules qu'ils ont à proposer à des acheteurs potentiels. Au même titre qu'ils le feraient en réservant des places de marché, un grand nombre de petits commerçants locaux rendent accessible leur catalogue de produits sur le site pour se donner davantage de visibilité et trouver des clients situés en dehors de leur zone de chalandise traditionnelle.

M. Joël Bourdin, président. - Comment le site se rémunère-t-il ?

M. Olivier Aizac. - Le service que nous proposons est entièrement gratuit. La magie d'Internet permet en effet des économies d'échelle. Nous nous rémunérons de différentes manières. Nous proposons des services payants aux professionnels. Nous vendons de la publicité à des annonceurs. Notre troisième source de revenus tient au fait que cinq cent mille annonces sont déposées chaque jour et que plus de vingt millions de produits sont en vente sur Leboncoin : pour que le vendeur puisse mettre en avant son produit parmi ce volume d'annonces, nous lui proposons des options payantes de visibilité. Ces options permettent à un annonceur de se démarquer et donc de vendre plus rapidement le produit qu'il propose.

M. Joël Bourdin, président. - Du point de vue juridique, pouvez-vous être partie à un éventuel contentieux qui opposerait acheteur et vendeur ?

M. Olivier Aizac. - Notre métier est un métier d'hébergeur au même titre qu'un journal local qui aurait une section de petites annonces. Nous n'avons pas de responsabilité : nous ne vendons pas le produit ni ne l'achetons. Notre métier est particulier. Nos utilisateurs créent notre contenu en déposant des annonces.

Nous ne contribuons pas davantage à l'efficacité du site : nous n'appelons pas des vendeurs pour leur indiquer que nous sommes intéressés. Ce sont les utilisateurs du site qui font son efficacité. Notre savoir-faire consiste à concevoir un logiciel informatique extrêmement simple d'utilisation et particulièrement pertinent puisque les contacts se nouent entre les parties.

M. Joël Bourdin, président. - Si un objet provient de la contrefaçon, le vendeur est-il seul responsable ?

M. Olivier Aizac. - Le vendeur est effectivement responsable. Dans ce cas d'espèce, nous avons cependant mis en place une collaboration poussée avec l'ensemble des maisons de luxe. Elles ont partagé avec nous un certain nombre de leurs secrets pour nous permettre d'identifier des produits de contrefaçon. Nous évitons ainsi la circulation de contrefaçons sur notre site pour les marques avec lesquelles nous collaborons, comme aujourd'hui LVMH, Chanel, Dior, Hermès. Elles sont ravies des résultats que nous obtenons ensemble. Par exemple, lorsqu'un produit Hermès est déposé sur le site, la probabilité qu'il s'agisse d'un produit de contrefaçon est presque nulle.

M. Joël Bourdin, président. - Je donne maintenant la parole à Lara Rouyrès, qui est membre du Conseil national du numérique.

Mme Lara Rouyrès, membre du Conseil national du numérique. - Avant de rejoindre le Conseil national du numérique, j'avais cofondé en 2009 une société qui était un acteur du Daily Deal. Le Daily Deal est le marché de la publicité locale. Concrètement, nous mettions à l'honneur chaque jour sur le site un commerçant local de quartier avec lequel nous avions discuté d'une promotion sur un service qu'il vendait : un massage, une offre de restauration, un cours de sport par exemple. Nous étions donc axés sur le service. Il s'agissait d'un e-commerce différent de celui dont nous avons parlé jusqu'à présent. Le commerce électronique dont je parle n'a pas besoin de logistique. Il vend une prestation de service.

L'activité a fonctionné de manière satisfaisante. Nous avons tenté d'en faire un acteur puissant sur le marché de la publicité locale. Nous nous adressions donc à des commerçants de quartier qui cherchaient à se faire connaître sur Internet. Si le sujet vous intéresse, je peux vous apporter ma vision de ce que cherchent aujourd'hui des commerçants de quartier sur Internet.

J'ai rejoint le Conseil national du numérique en début d'année 2013. Parmi les différents sujets dont on y discute, nous n'avons pas traité cependant de thèmes uniquement centrés sur le commerce électronique. Malgré tout, nous sommes amenés à réfléchir sur différentes questions qui affectent de près ou de loin le commerce électronique.

Les enjeux que nous avons identifiés, au-delà des débats sur la fiscalité dans le monde du numérique qui ne sont pas à l'ordre du jour aujourd'hui, portent sur la suprématie de Google en France et sur les impacts possibles sur les intermédiaires du e-commerce (par exemple les comparateurs de prix). Aujourd'hui, Google se positionne en effet comme un moteur de recherche permettant de référencer des sociétés et de les faire exister sur Internet. Il se pose cependant également chaque jour davantage comme un acteur vertical en matière de comparaison de produits. En raison de la suprématie de Google en France, certaines sociétés françaises ont clairement à craindre pour leur avenir. Ce sujet est en cours d'examen : un rapport sera rendu dans quelques semaines.

Le Conseil national du numérique a également discuté des méthodes d'acquisition de trafic d'un e-commerçant. Un e-commerçant doit aller chercher des clients et donc des prospects. Lorsqu'il a acquis les prospects, il collecte des adresses électroniques, qu'il sollicite en leur adressant des courriels réguliers. Le fait que ces courriels parviennent dans les boîtes de réception constitue un enjeu considérable, l'unique façon en réalité de communiquer avec la base de données. Aujourd'hui, Google a redéfini sa boîte de réception Gmail : les courriels promotionnels parviennent non plus dans la boîte de réception mais dans un onglet « Promotions ». L'enjeu de déposer les courriels dans la boîte de réception est ici lié à Google. D'autres acteurs pourraient cependant se positionner à l'avenir d'une manière identique avec une ambition : faire payer le fait qu'un courriel parvienne dans une boîte de réception.

Le Conseil national du numérique intervient aujourd'hui sur des sujets extrêmement différents. Nous sommes souvent mandatés sur des sujets très pointus par différents ministères, dont chacun a ses spécificités, que ce soit la santé, les questions financières, les relations transatlantiques. Nous ne faisons pas de prospective mais nous tentons pour notre part de répondre à des questions précises pour donner une vision du marché et de la société sur ces points.

Parallèlement, j'ai fondé très récemment une nouvelle société qui a pour objet d'agréger tous les produits qui ont été vus dans la presse et qui redirige des flux vers les e-commerçants. Je suis en quelque sorte à la frontière entre un média et un e-commerçant.

M. Joël Bourdin, président. - Je souhaite que nous puissions à présent nous intéresser à des formes nouvelles du commerce électronique, celles qui découlent de l'apparition de l'économie du partage. Je donne donc la parole à Paulin Dementhon.

M. Paulin Dementhon, président et fondateur de Drivy. - Le site Drivy est un service de location de voitures entre particuliers. Sur Drivy, nous rapprochons, d'une part, des personnes qui possèdent une voiture et qui se sont connectées pour déposer une annonce de location, d'autre part, des voisins ou des touristes intéressés qui souhaitent louer ces voitures dans leur quartier. Le paiement s'effectue par carte bancaire sur le site. Nous nous occupons de la transaction.

M. Joël Bourdin, président. - Vous êtes donc partie prenante.

M. Paulin Dementhon. - Nous sommes effectivement partie prenante. Nous ne sommes pas loueurs mais intermédiaires dans la transaction. Le paiement s'opère par carte bancaire sur le site.

M. Joël Bourdin, président. - Quand avez-vous créé le site ?

M. Paulin Dementhon. - Le site a été créé à Paris il y a quatre ans. Dix-sept personnes y travaillent aujourd'hui. Nous couvrons désormais toute la France. Nous commençons à présent à nous occuper de l'expansion à l'international, dans les pays européens proches.

M. Joël Bourdin, président. - Vous êtes donc un concurrent des loueurs de voitures.

M. Paulin Dementhon. - Il existe effectivement une zone de concurrence. Un sondage récent auprès de nos utilisateurs montre cependant que 35 % d'entre eux n'avaient jamais loué de voiture par le passé. Nous amenons donc de nouveaux clients vers la location de voiture. Nous ne nous contentons pas de prendre des parts de marché. Surtout, la location de voiture est un marché de petite taille. Aujourd'hui, la pratique majoritaire consiste encore à posséder soi-même une voiture, voire plusieurs. Nous sommes persuadés, de notre côté, qu'avec une densité suffisante, grâce à des centaines de milliers de voitures disponibles partout en Europe, nous pourrons offrir une alternative efficace à l'achat d'une voiture. Notre logique n'est pas celle d'une location de voiture low-cost.

M. Joël Bourdin, président. - Les résultats sont-ils positifs ?

M. Paulin Dementhon. - Nous sommes en mode lancement-investissement : nous dépensons davantage que nous ne gagnons d'argent. Nous comptons à ce jour deux cent mille utilisateurs pour treize mille véhicules à louer dans toute la France. Nous réalisons environ six mille locations chaque mois.

Notre projet a d'ailleurs suscité des inquiétudes à l'Assemblée nationale, avec une tentative d'amendement portant précisément sur notre secteur. Celui-ci traitait de la fiscalité en se fondant sur une base de 10 % à 15 % de parts de marché de la location de voitures. En réalité, nous représentons moins de 1 % du marché.

M. Joël Bourdin, président. - Quelles sont les difficultés spécifiques que vous rencontrez ? Qu'en est-il par exemple de l'assurance ?

M. Paulin Dementhon. - L'assurance est la pierre angulaire du service. En effet, en louant un véhicule sur Drivy, les personnes sont assurées. J'ai dû démarcher les assureurs durant un an. J'ai essuyé de nombreux refus. Finalement, le groupe Covéa, avec MMA, nous a rejoints. En début d'année, nous avons opté pour Allianz. La difficulté était de démontrer que la location entre particuliers était synonyme non pas de fraude et d'arnaque mais au contraire de confiance et de respect. Nous avons également démontré notre sérieux en termes de contrôle du risque.

M. Joël Bourdin, président. - Comment gérez-vous par exemple le retour de la voiture ?

M. Paulin Dementhon. - Nous le gérons de façon traditionnelle. Un état des lieux est réalisé avant et après la location. En cas de difficulté de faible importance, la personne qui loue paie les dommages jusqu'à la franchise.

M. Joël Bourdin, président. - Je comprends que le retour s'opère à l'endroit où la voiture a été louée.

M. Paulin Dementhon. - Absolument. Notre dispositif est différent d'Autolib qui permet de faire un aller simple. Nous proposons une location aller-retour. Les usages concernent principalement les week-ends et les vacances. Les personnes qui louent vivent pour 40 % d'entre elles en région parisienne. Elles partent principalement en week-end ou en vacances. Les personnes reviennent pour rendre la voiture après une durée moyenne de location de quatre jours.

M. Joël Bourdin, président. - Comment gérez-vous les difficultés liées à la qualité ? J'imagine en effet que vos clients loueurs ne possèdent pas tous des véhicules en excellent état.

M. Paulin Dementhon. - Nous n'avons pas la même position que Leboncoin. Nous sommes tiers de confiance. Des évaluations réciproques sont réalisées sur les locations. Quand des problèmes nous sont signalés, nous demandons l'ensemble des papiers, le contrôle technique. Nous désactivons parfois des annonces. Deux personnes à temps plein, sur les dix-sept salariés que compte l'entreprise, s'occupent en permanence des questions de qualité.

M. Joël Bourdin, président. - Votre présentation démontre que le commerce électronique va de plus en plus loin.

M. Paulin Dementhon. - Nous faisons partie des représentants de la consommation collaborative. Vous avez probablement également entendu parler de BlaBlaCar, le site de covoiturage. Cette économie est en pleine explosion. Certes, elle reste un secteur de petite taille sur Internet. Il est intéressant cependant de constater que, si la France n'est pas leader dans l'Internet en raison de la prédominance des États-Unis (Google en particulier), notre pays demeure très en avance sur le créneau de l'économie collaborative. L'économie et la culture françaises semblent extrêmement bien convenir à ce type de consommation. Nous avons d'ailleurs été invités avec les représentants de BlaBlaCar et d'autres au 10, Downing Street, à Londres. Les Anglais tentent en effet de développer la consommation collaborative. Il existe une vraie opportunité en France de créer un leadership dans le domaine.

M. Jean-François Mayet. - Les intervenants que nous venons d'entendre peuvent-ils nous indiquer s'ils ont pris l'exemple d'un modèle de site préexistant ? Sont-ils au contraire les inventeurs de leur activité ?

M. Olivier Aizac. - Leboncoin vient du nord de l'Europe. Il s'agit en effet d'un concept lancé en Suède à la fin des années quatre-vingt-dix qui y a rencontré un fort succès. Du fait de ce succès, l'actionnaire principal a décidé de décliner le concept en France avec une équipe locale. J'ai ainsi été recruté pour adapter un concept suédois à la réalité du marché français. Aujourd'hui, l'intégralité des problématiques de Leboncoin sont gérées en France. Il s'agit d'une marque locale, avec des équipes de développement informatique locales, des équipes commerciales locales, des équipes administratives locales. Pour information, le concept est aujourd'hui présent dans plus de trente-cinq pays en Europe, en Amérique latine et en Asie.

M. Joël Bourdin, président. - Qui détient votre capital en majorité ?

M. Olivier Aizac. - Un actionnaire unique, le groupe médias Chipstead, le détient à 100 %.

M. Joël Bourdin, président. - C'est pourquoi vous en êtes le directeur général.

M. Olivier Aizac. - Je suis effectivement salarié de Leboncoin.

M. Paulin Dementhon, président et fondateur de Drivy. - Notre site, de son côté, est issu d'une idée personnelle. Il existait déjà, évidemment, des sites de location pour tous types d'objets, y compris des voitures. Je pense que nous pouvons toujours trouver des antécédents. En revanche, nous avons été les premiers dans notre domaine spécifique même si, aujourd'hui, il existe une trentaine de sites similaires dans le monde.

M. Joël Bourdin, président. - Qui est le détenteur de votre capital ?

M. Paulin Dementhon. - Le capital appartient à moi-même, à mes employés et aux fonds d'investissements qui ont cru en nous.

M. Joël Bourdin, président. - Qu'en est-il de Showroomprive ?

M. Thierry Petit. - Le métier de la vente privée existe depuis environ vingt-cinq ans dans le commerce traditionnel. Il a été digitalisé pour la première fois par Ventesprivees, qui reste le leader du marché. Mes associés exerçaient ce métier depuis vingt ans dans le commerce traditionnel. L'évolution a consisté à digitaliser ce métier.

Mme Lara Rouyrès. - Le Conseil national du numérique, de son côté, est, je crois, une invention française, et c'est bien dommage qu'il reste une de nos spécificités car nous recherchons des alter ego dans d'autres pays. Pour ce qui concerne ma société actuelle, Selectionis, c'est une création originale.

M. Patrick Waelbroeck. - La chaire à l'Institut Mines-Télécom est également la première en France. Nous sommes à la pointe des questions relatives au Big data et aux données personnelles, qui feront débat dans les cinq à dix prochaines années.

M. Yvon Collin. - La commission des finances se penche de façon régulière sur la fiscalité du numérique, qui apparaît comme une nouvelle richesse un peu furtive. Le législateur a le souci d'élargir une assiette de l'impôt dont une partie lui échappe du fait de l'apparition de nouvelles formes de commerce. Pouvez-vous nous indiquer la manière dont vous êtes fiscalisés ? Comment ressentez-vous la fiscalité qui vous est appliquée ?

M. Thierry Petit. - Nous sommes très fortement, trop fortement fiscalisés.

M. Joël Bourdin, président. - Vous êtes davantage fiscalisés que Google...

M. Yvon Collin. - Google est vraiment furtif !

M. Thierry Petit. - La position de Google résulte uniquement du fait que l'Europe ne s'est pas construite d'un point de vue fiscal. Si nous étions américains, nous agirions de même. Nous nous installerions au Luxembourg pour bénéficier de montages rendus possibles par la loi. Je trouve pour ma part qu'il y a beaucoup d'hypocrisie à incriminer Amazon ou Google. La difficulté réelle vient de notre incapacité à créer une Europe harmonisée fiscalement, ce qui crée des situations stupides. Les acteurs français, notamment, sont contraints de payer un niveau d'impôts considérable. Nous sommes pénalisés. Des taxes, des lois qui n'ont pas de signification viennent s'ajouter sans cesse. La vraie difficulté dans le commerce électronique vient de l'absence d'harmonisation en Europe.

Je suis président d'une commission au sein d'une association qui agit pour le commerce électronique. J'interviens beaucoup auprès du commissaire Michel Barnier pour favoriser le commerce électronique en Europe. Ce secteur est pourtant très performant et mature mais la difficulté est principalement fiscale. Elle rend impossible tout développement. La mécanique de la fiscalité est selon moi à revoir à l'échelle de l'Europe. Nous évoluons dans un monde qui laisse subsister des absurdités dont profitent certains acteurs non européens tout en respectant les lois. Ils tirent avantage du système, ce n'est pas un jugement de valeur, c'est une réalité. Il nous appartient, plutôt que de les incriminer, de trouver des solutions favorables au développement des acteurs européens. Aussi longtemps que nous n'aurons pas créé une Europe harmonisée fiscalement, nous n'y parviendrons pas. Michel Barnier a récemment affirmé que la TVA unique serait mise en place dans trois ou quatre ans. Or l'économie d'Internet évolue extrêmement rapidement, on dit qu'une année de vie classique équivaut à sept années de vie pour l'économie numérique ! Que fera Internet d'une loi qui sera publiée dans quatre ans ? Ce délai est trop long, surtout dans un secteur qui bouge sans cesse. Les vitesses sont trop différentes. Malheureusement, les économies anglo-saxonnes sont plus réactives, mieux financées, plus intelligentes, mieux préparées. Nous pouvons bien sûr critiquer les acteurs qui savent profiter du système mais il serait plus judicieux de nous inscrire dans un contexte favorisant l'expansion et le développement.

M. Joël Bourdin, président. - Vous avez raison d'évoquer cet aspect des choses. Il y a quelques années, nous avions produit, à la commission des finances du Sénat, un rapport sur les difficultés d'harmonisation des politiques monétaires et fiscales et sur la nécessité de revenir sur le sujet. Nous sommes donc d'accord avec vous.

M. Olivier Aizac. - Le débat porte effectivement sur l'harmonisation fiscale. La situation actuelle provoque en effet des distorsions de concurrence. L'ensemble des acteurs sont actuellement en phase d'investissement. Une distorsion de concurrence qui porte sur plusieurs points de marge désavantage fortement les acteurs qui n'en bénéficient pas. Les quatre années nécessaires pour publier une loi représentent un délai beaucoup trop long pour des entreprises qui perdent progressivement leur trésorerie.

M. Joël Bourdin, président. - Showroomprive a-t-il des concurrents en France qui bénéficient de conditions plus avantageuses ?

M. Thierry Petit. - Je ne suis pas convaincu que notre métier consiste à optimiser fiscalement notre activité et à passer des heures avec des avocats pour réfléchir au montage le mieux adapté. Nous devons nous focaliser sur les affaires. J'ai simplement un reproche à adresser aux pouvoirs publics, à l'aune de notre propre expérience. Nous avons créé sept cents emplois en quatre ans et demi. Cette année, nous paierons 6 millions d'euros d'impôts sur le résultat, ce qui signifie que nous apportons des éléments positifs à notre économie. Parallèlement, nous avons subi dans l'année deux contrôles fiscaux et trois contrôles sociaux. Certes, l'activité doit être régulée. Néanmoins, nous avons perdu une multitude d'heures en contrôles et ça peut vraiment donner envie de quitter la France. Nous prenons des risques. Nous passons des nuits à travailler et à créer des emplois. Nous avons envie de davantage de simplicité. Je le répète : je suis convaincu que la régulation est nécessaire. Pour autant, la multiplication des contrôles sous le prétexte qu'une affaire fonctionne nous laisse penser que notre rôle consiste simplement à permettre à l'État de récupérer de l'argent. Depuis un an et demi, l'État cherche davantage encore d'argent par l'impôt tandis que nous sommes déjà extrêmement taxés. Il devrait plutôt nous féliciter d'avoir recruté sept cents personnes et nous proposer son aide pour recruter davantage encore. Malheureusement, cette position n'est pas d'actualité.

Ce pays est formidable. Il dispose notamment de nombreux ingénieurs de qualité. Le marché est prometteur. Nous devons simplement décider de marcher sur les pieds et non sur la tête. Or, c'est aux politiques qu'il appartient de nous aider à marcher sur les pieds.

M. Joël Bourdin, président. - Qu'en est-il de Drivy ?

M. Paulin Dementhon. - Nous ne payons pas encore d'impôts sur les bénéfices. Quand nous serons bénéficiaires, nous paierons nos impôts en France.

Dans notre cas, en revanche, la question se pose des impôts sur les particuliers qui louent leur voiture. Sur ce point, le syndicat des loueurs professionnels a convaincu le député Charles de Courson de présenter un amendement au projet de loi de finances pour 2014. Nous souhaiterions pour notre part que l'approche de l'économie collaborative soit plus nuancée. Des mots extrêmement durs ont en effet été utilisés contre notre activité dans les rapports de l'Assemblée nationale. Il était question d'économie grise ou d'économie noire... Il serait plus légitime de distinguer l'immense majorité des pratiques d'échanges entre particuliers, qui sont du partage de frais. Une voiture coûte en effet 6 000 euros chaque année. Une personne qui gagne 1 000 euros chaque mois, grâce à la location de son véhicule, peut ainsi en partager l'usage et les frais. En temps de crise, cette pratique peut se révéler extrêmement appréciable.

Les loueurs professionnels voulaient, de leur côté, faire payer la TVA et une taxe sur les bénéfices aux particuliers, tandis qu'il n'existe ni valeur ajoutée ni bénéfice. Notre site conseille d'ailleurs aux propriétaires de déclarer les sommes au titre des bénéfices industriels et commerciaux et de se renseigner auprès de l'administration fiscale. Par comparaison, l'Angleterre, par exemple, a défini des seuils dans la location d'appartements avant de décider une taxe. Le sujet est extrêmement important. En lisant certains articles dans la presse, en effet, les particuliers peuvent être découragés et choisir de ne pas partager leurs biens. L'enjeu, pour nous, est considérable.

M. Joël Bourdin, président. - Je crois que Leboncoin ne connaît pas cette difficulté d'une fiscalité imposée aux consommateurs.

M. Olivier Aizac. - La loi française est extrêmement claire sur le sujet. Dès lors qu'un particulier n'achète pas dans le but de revendre ou de faire commerce, il n'y a pas commerce. Le particulier n'est pas commerçant. Il n'y a pas lieu par conséquent d'appliquer une quelconque fiscalité.

M. Joël Bourdin, président. - La fiscalité s'applique si le particulier agit de la sorte de manière habituelle.

M. Olivier Aizac. - Absolument. La logique d'habitude doit venir s'ajouter à la logique d'acheter pour revendre ou pour louer. Les loueurs de Drivy sont des personnes qui ont un usage personnel de leur voiture. Ils la louent à l'occasion à d'autres particuliers. Le débat est déjà tranché dans la loi française.

M. Joël Bourdin, président. - D'une certaine manière, ils vendent un service d'occasion. Il n'y a pas lieu d'imposer une fiscalité. Le neuf et l'occasion sont traités de façon différente.

M. Yannick Vaugrenard. - Pour ma part, je trouve extrêmement rafraichissantes l'ensemble des interventions précédentes. Nous y sentons du dynamisme, du volontarisme, une envie d'aller de l'avant. Vous avez notamment raison de réclamer une harmonisation fiscale en Europe. Nous nous sommes attaqués à ce sujet il y a plusieurs années déjà. Au-delà de l'Europe, nous pouvons même rêver d'une harmonisation fiscale au niveau international.

Simplement, chacun raisonne dans le prisme de l'activité dans laquelle il évolue. Vous constatez cependant que nous traversons une situation économique et financière délicate. Des secteurs sont en pleine expansion tandis que d'autres, en grande difficulté, nécessitent d'être soutenus. Je ne parle pas des secteurs condamnés à disparaître mais des personnes qui en vivent. Cette situation suppose un minimum de solidarité.

Par ailleurs, je trouve enrichissante votre volonté de créer et d'inventer. Pour autant, cette dynamique n'est pas née subitement. Nous avons tous bénéficié d'un système de formation extrêmement performant, d'un niveau de santé et de sécurité sociale très élevé dans notre pays, niveau de santé qui fait que nous sommes les hommes et les femmes qui vivons le plus longtemps sur notre continent. Cette situation est rendue possible également par la fiscalité et la solidarité nationale.

Je souhaite en outre revenir sur deux ou trois points. Je suis convaincu, comme vous, que les progrès technologiques que nous constatons aujourd'hui ne peuvent et ne doivent pas être stoppés. J'y vois le sens du progrès technologique. Il ne s'agit pas pour autant du « sens de l'Histoire » de manière exclusive que vous avez évoqué tout à l'heure. Le sens de l'Histoire réside également dans la maîtrise du progrès technique et technologique par les hommes qui favorisent ce progrès et par l'ensemble de la société. Prenons l'exemple des évolutions de consommation par rapport au commerce électronique. Elles peuvent entraîner des achats compulsifs. C'est pourquoi nous examinerons aujourd'hui même, en séance publique au Sénat, les conclusions de la commission mixte paritaire sur les nouveaux droits des consommateurs. S'agissant de l'achat spécifique à Internet, le délai de rétractation passera de sept à quatorze jours en raison précisément des possibles achats compulsifs. L'adaptabilité à un comportement nouveau est, en l'occurrence, indispensable. La protection du consommateur doit être prise en considération par rapport aux évolutions techniques et technologiques.

Je souhaite à présent vous poser quelques questions.

Comment, selon vous, est-il possible de se prémunir contre les attaques électroniques, en particulier pour le paiement ? Notre pays est-il bien armé dans le domaine ?

L'évolution du commerce électronique entraîne-t-elle une modification de la relation entre le fournisseur et le client par rapport au service après-vente ?

Enfin, je remarque que, souvent, les sites Internet incarnent une forme de système D généralisé mais efficace. Ils peuvent ainsi entraîner des achats supplémentaires. Pour être optimistes, nous pourrions considérer que les Français seraient moins incités à économiser et donc à dépenser davantage par une forme de consommation supplémentaire. Cet aspect d'activité économique n'est pas inintéressant.

M. Patrick Waelbroeck. - Les achats compulsifs représentent un véritable risque. Grâce au Big data, de plus en plus d'entreprises testent des modèles d'économie comportementale. Les périodes de faiblesse des consommateurs sont étudiées afin de détecter grâce à des algorithmes le moment idéal pour leur adresser une offre commerciale. Nous parlons également de publicités personnalisées. Le visage d'un proche, celui de votre mère par exemple, sera utilisé pour vous convaincre d'acheter. Le fait de connaître de mieux en mieux les habitudes de consommation des consommateurs représente donc un danger réel. Il existe un risque de voir fortement augmenter le nombre d'achats compulsifs dans les toutes prochaines années à des prix ciblés. Les prix, en effet, ne seront pas nécessairement les plus favorables pour chaque consommateur, dès lors que leur pouvoir d'achat sera connu.

Concernant les attaques électroniques, je remarque que la question de la sécurité informatique est une question de sécurité dans un écosystème. Plusieurs personnes collaborent à l'élaboration de la transaction. Il s'agit en quelque sorte d'un bien public. Les personnes auront tendance à sous-investir, laissant la responsabilité à une autre personne de sécuriser le système. En définitive, cependant, personne ne sécurise le système. Nous pouvons néanmoins facilement résoudre ce risque par la loi et par des relations contractuelles strictes où les intervenants seraient contraints de garantir un minimum de sécurité dans l'écosystème auquel ils participent.

Enfin, à propos des achats supplémentaires, la difficulté réside aujourd'hui dans la nécessité de trouver l'offre qui vous correspond. En 2011, j'ai réalisé une étude pour l'Hadopi (Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet) sur le partage de la valeur dans le secteur de la musique numérique. Quatorze millions de titres étaient alors disponibles sur les plateformes, contre plus de vingt millions aujourd'hui. Or, à l'époque, seuls quatre millions étaient consommés : sur l'assiette complète du commerce électronique possible, un tiers seulement était consommé. J'y vois l'aspect positif du Big data. Si nous parvenons, avec de meilleurs outils de recommandation, de meilleurs ciblages, à faire en sorte que les dix millions de titres délaissés trouvent un consommateur, nous « relancerons la machine ». La difficulté ne vient pas en effet du fait que le consommateur n'a pas envie d'acheter mais du fait qu'il ignore l'existence d'un produit.

M. Olivier Aizac. - Je ne partage pas ce point de vue. Le métier d'une entreprise consiste en effet à construire une marque et une relation de confiance avec le consommateur. Si le consommateur n'a plus confiance dans la marque, la marque et l'entreprise meurent. La sécurité, pour tout acteur de l'Internet, constitue ainsi une préoccupation du quotidien. Imaginons qu'un consommateur ait le sentiment de se faire escroquer dès lors qu'il vient consulter Leboncoin, je ne serais pas devant vous pour vous raconter l'histoire d'un site qui réalise la septième audience de France et a grandi de 25 % au cours des douze derniers mois. La confiance des consommateurs dans notre marque est essentielle pour la survie de notre entreprise.

D'une manière identique, si les principes que nous pouvons développer pour proposer des publicités plus pertinentes donnent le sentiment au consommateur d'être attaqué dans un moment de faiblesse, il craquerait peut-être mais pour se rendre compte ensuite qu'il a été escroqué. Cette vision ne serait pas une vision de long terme favorable à la pérennité d'une marque et d'une entreprise.

En réalité, la logique de marché prévaut. Si un concurrent propose un produit plus efficace, plus sûr, en respectant davantage le consommateur, le consommateur se tournera vers ce concurrent. Ma préoccupation au quotidien consiste à faire en sorte que mes utilisateurs aient une expérience aussi parfaite que possible sur mon site. J'y travaille à chaque instant. Cent soixante-dix personnes travaillent par exemple sur la qualité des annonces. Il s'agit du premier investissement de la société. Nous investissons davantage dans la qualité que dans la publicité. Ce point est essentiel. En effet, l'industrie est jeune. Elle doit encore faire ses preuves auprès du grand public. Nous devons être irréprochables, notamment parce qu'il existe des alternatives. Si nous n'apportons pas une valeur ajoutée, la croissance, l'activité et la pérennité de l'entreprise ne seront pas au rendez-vous.

M. Thierry Petit. - Je suis d'accord avec Olivier Aizac. Je tiens à préciser également que le passage du délai de rétractation de sept à quatorze jours ne tient pas à la prise en compte d'éventuels achats compulsifs. Il résulte de la nécessité d'une harmonisation au niveau de l'Union européenne, avec la réglementation allemande notamment.

En outre, le fait d'estimer que le commerce électronique provoque davantage d'achats compulsifs consiste à considérer le consommateur comme une personne incapable. Autour de la table, nous sommes tous d'accord pour affirmer que, lorsque nous ne sommes pas satisfaits d'un site, nous passons à un autre. Telle est la force d'Internet. Nous n'avons jamais été aussi libres que dans ce monde ouvert. Chaque consommateur peut également donner son avis. Le consommateur est entièrement maître de son achat. Il achète en toute connaissance de cause. Je ne crois pas que l'on puisse aujourd'hui forcer l'achat en e-commerce.

La question de savoir comment utiliser les données pour proposer un produit mieux adapté au consommateur constitue, selon moi, un progrès. Je rêve pour ma part d'un réfrigérateur qui analyserait les codes-barres pour commander à ma place les produits manquants ou me proposer un produit analogue à celui que j'aime. Je considère qu'il s'agit d'un progrès, pas d'une incitation à la consommation. Considérer cet aspect comme un possible achat compulsif est, à mon sens, synonyme de peur du progrès. Je le répète : si vous vendez de mauvais produits aux consommateurs ou si vous les forcez à acheter, votre société ne grandira pas. Dans le cas contraire, s'il était possible de berner en permanence le consommateur, il serait facile de grandir.

M. Yannick Vaugrenard. - Il arrive cependant que des consommateurs soient plus vulnérables que d'autres. Tel est le cas par exemple dans le démarchage téléphonique auprès de personnes âgées à certaines heures de la journée. La société a besoin d'initiative mais également de protection.

M. Thierry Petit. - Je suis d'accord avec vous. Néanmoins, cet aspect existait déjà dans le commerce traditionnel. Le e-commerce ne produit pas plus ou moins de fraudes.

M. Yannick Vaugrenard. - Il me semble néanmoins que la probabilité d'un achat compulsif est plus grande chez une personne vulnérable seule devant son ordinateur face à un très grand nombre de produits proposés que chez celle qui doit prendre la décision de se rendre chez le commerçant. Il s'agit d'une évidence. L'ensemble des études comportementales le démontrent.

Pour le reste, je pense qu'il est nécessaire de mettre en place un délai de rétractation d'une semaine supplémentaire pour éviter les achats compulsifs. Si cette décision permet une harmonisation au niveau européen, je m'en félicite. L'important, cependant, reste de construire une société qui protège les plus vulnérables.

M. Thierry Petit. - Je suis d'accord. Simplement, parfois, le fantasme de la fraude sur Internet prévaut. Or la fraude n'y est pas plus répandue que dans le monde réel. Au contraire, sur Internet, vous disposez notamment d'avis de consommateurs par milliers pour apprécier le sérieux d'un site, ce qui n'est pas le cas en commerce traditionnel.

Vous avez également soulevé la nécessité de gérer le passé. À ce titre, la France concentre ses efforts sur l'industrie. Certes, il est indispensable de reclasser les personnes impactées par les restructurations industrielles mais le site de Florange a par exemple été sur-financé tandis que les secteurs de demain, le Big data, les services, sont appelés de leur côté à créer de l'emploi. À force de trop travailler sur les économies du passé, nous oublions de libérer les forces vives, les énergies et les financements des économies futures qui créeront des emplois dans dix à quinze ans.

M. Joël Bourdin, président. - Nous n'avons pas encore parlé des grandes surfaces. Voilà trois ans, il m'était apparu qu'elles avaient perdu des parts de marché dans certains domaines. Certes, elles avaient réagi en créant le drive, mais celui-ci concerne essentiellement les produits alimentaires. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, je pensais auparavant que le commerce électronique se développerait grâce aux jeunes tandis que les personnes âgées seraient une résistance. Il me semble que j'ai eu tort. Je vois en effet aujourd'hui autour de moi de nombreuses personnes âgées utiliser le commerce par Internet. Y a-t-il un âge pour le e-commerce ?

M. Paulin Dementhon. - De nombreux retraités louent leur voiture.

M. Joël Bourdin, président. - C'est un point intéressant à souligner. Auriez-vous d'autres éléments d'information du même ordre pour contrarier les idées que j'avais il y a trois ans ?

Je souhaite que nous parlions également des nouvelles techniques d'approche du commerce électronique. Pouvez-vous par exemple nous parler du showrooming (pratique qui consiste à vérifier en magasin les caractéristiques d'un produit qu'on achètera ensuite en ligne, souvent moins cher?)

Concernant la formation de vos personnels, quelles sont les difficultés particulières que vous rencontrez pour recruter et/ou former dans un domaine en perpétuelle évolution ?

Enfin, j'ai une dernière question. Comment imaginez-vous le commerce électronique dans dix ans ?

M. Thierry Petit. - Les acteurs de la grande distribution sont effectivement davantage présents qu'ils ne l'ont été. Pour autant, dans le commerce traditionnel, le chiffre d'affaires d'un simple hypermarché peut atteindre 200 ou 250 millions d'euros. Or un chiffre d'affaires de 250 millions d'euros dans le commerce électronique ne concerne que six ou sept sites en France. La grande distribution n'a donc simplement pas encore pris la décision d'investir dans le commerce électronique. Je ne m'inquiète pas cependant pour les acteurs de la grande distribution. Quand ils décideront d'augmenter leurs investissements, ils se replaceront parmi les grands acteurs du secteur.

Concernant l'âge des consommateurs, nous observons à la fois que le public est de plus en plus jeune et que les seniors maîtrisent mieux les nouvelles technologies, notamment parce qu'elles sont plus simples d'utilisation par exemple sur les tablettes. En outre, les seniors ont du pouvoir d'achat et du temps. Les seniors se tournent vers Internet également pour des raisons pratiques. Il est en effet plus simple de se faire livrer une télévision ou un canapé à domicile plutôt que d'aller l'acheter soi-même. Enfin, Internet permet des économies à une certaine population de retraités qui rencontrent de vraies difficultés de pouvoir d'achat. Les économies collaboratives sont des modèles très efficaces pour compenser une perte de pouvoir d'achat et pour pouvoir consommer de façon plus intelligente, plus durable, plus éthique.

Selon moi, le smartphone est une vraie révolution. Il rejoint à mon sens la question du panorama du commerce électronique dans dix ans. Aujourd'hui, mon neveu tient constamment son téléphone en main. Dans dix ans, il aura vingt-huit ans. Il sera un consommateur type. Il serait prétentieux aujourd'hui de décrire le commerce électronique dans dix ans. Simplement, la mobilité, le mobile, y tiendra certainement une place essentielle. Pour s'adapter au futur, il sera donc nécessaire de se montrer pragmatique, de tester des éléments nouveaux, des usages nouveaux, même s'ils ne sont pas couronnés de succès. Il y a quatre ans, l'achat sur mobile n'existait pas. Aujourd'hui nous faisons plus de 100 millions de chiffre d'affaires avec des paiements réalisés sur ce type de support ; plus de 50 % de notre audience se fait sur mobile.

L'économie d'Internet impose de se montrer humble et pragmatique. Nous partons d'un secteur qui n'existait pas voilà sept ans ; il est compliqué de présager du futur mais nous ne pouvons nous projeter à dix ans que de la sorte. Nous ne pouvons pas décrire le monde tel qu'il sera dans dix ans car nous l'ignorons. Nous devons nous montrer extrêmement pragmatiques pour imaginer encore être présents dans dix ans. Je me souviens de Pixmania, il y a trois ans, pépite française du e-commerce, ouvert à l'international avec 800 millions d'euros de chiffre d'affaires et qui n'existe plus aujourd'hui. En deux ans, tout peut changer. Dans un sens ou dans l'autre.

M. Joël Bourdin, président. - Je confirme que lorsque j'ai établi mon premier rapport sur le commerce électronique il y a trois ans, Pixmania était un modèle impressionnant.

M. Olivier Aizac. - Pour ce qui concerne l'âge des consommateurs, l'objectif de Leboncoin était de proposer un service à des catégories de populations de tous âges. Certaines des personnes qui m'entourent ont ainsi entendu parler pour la première fois de Leboncoin par leurs parents. Les usages sont principalement provinciaux. Nous nous adressons en outre davantage à des ménages installés qu'à des jeunes qui sortent de l'école. Ce qui a tout facilité, ce sont les outils de plus en plus simples d'utilisation et le développement du haut débit.

Deuxième point : la formation, qui est un élément essentiel du développement de notre société qui affiche 30 % à 40 % de promotion interne. Notre budget de formation correspond au minimum légal multiplié par 5 à 10. Dans une société en croissance, nous avons en effet besoin de former des professionnels.

M. Joël Bourdin, président. - Et vous ne les trouvez pas sur le marché ?

M. Olivier Aizac. - Nous passons par des organismes de formation externes mais lorsqu'on demande à un expert d'évoluer vers un rôle de manager, il faut le former au métier ; un commercial est par nature en formation permanente ; un développeur informatique doit être à la pointe des dernières technologies. La formation est donc un point crucial pour une société comme la nôtre.

Enfin, je suis incapable de vous décrire le commerce électronique dans dix ans. Il me semble simplement évident que, dans l'univers d'Internet, ce sont les sociétés qui seront en mesure de s'adapter en permanence et de comprendre le cheminement futur de cette industrie qui seront présentes dans dix ans. Cette activité n'est vieille en effet que de quinze ans. De nombreuses industries sont standardisées. Tel n'est pas le cas d'Internet. Les noms qui faisaient Internet il y a dix ans ou moins (AOL, Altavista, etc.) ont aujourd'hui déjà disparu. L'enjeu pour les sociétés qui rencontrent le succès aujourd'hui consiste à appréhender un monde qui se construit dont elles ne connaissent pas les formules. En se développant sur un nouveau concept, Leboncoin a évincé du marché le site leader Ebay, qui tenait précédemment le créneau de la vente entre particuliers. En ce moment même, des jeunes sont peut-être en train de concevoir le site qui nous détrônera demain. L'enjeu du web est d'être sur un monde qui se construit. Nous ne sommes pas sur un modèle comme peut l'être celui de la sidérurgie où l'on sait depuis longtemps comment faire de l'acier de qualité. La seule société qui maîtrise aujourd'hui les codes Internet, c'est Google. Mais peut-être dans dix ans, Google lui-même aura-t-il disparu.

Mme Lara Rouyrès. - J'ajoute que la vente sur Internet en matière de grande distribution ne concerne essentiellement que Paris, soit environ 2 %, ce qui est mineur. Il ne s'agit pas par conséquent d'un enjeu pour les acteurs de ce secteur d'autant que la logistique est très lourde : la livraison des produits frais, notamment, est particulièrement complexe. C'est pourquoi, en province, les modèles comme le drive se sont développés. Ils y enregistrent une excellente croissance. Aujourd'hui, se développent également des moteurs de comparaison de drives. J'y vois un possible moyen pour la grande distribution de se placer sur Internet.

L'avenir du commerce électronique est un vaste débat. La livraison dans dix ans est un enjeu ; sera-t-on livré par la poste ? par drone ? La data est un enjeu. Au sein du Conseil national du numérique, beaucoup militent pour la réappropriation des datas par l'individu. Demain, les grandes sociétés seront peut-être celles qui permettront à l'individu de monétiser ses propres datas. Honnêtement, je l'ignore. Je doute simplement que Google soit, comme il l'affirme, « à un clic de la concurrence ». Avec la puissance de marché et l'agilité dont il dispose, Google est aujourd'hui difficilement détrônable.

M. Patrick Waelbroeck. - Je pense que l'usage d'Internet dépend d'une question non pas d'âge mais d'éducation. J'y vois un enjeu politique et de société. Pour utiliser les outils, un certain niveau d'éducation est nécessaire. Nous le voyons également dans la consommation. Sur les sites de streaming de musique par exemple, les personnes au faible niveau d'éducation reproduisent leurs écoutes radiophoniques. Les personnes dotées d'un niveau d'éducation supérieur explorent le site pour écouter des morceaux qu'elles ne connaissent pas. Elles testent la variété du site. Il est donc important que le public soit éduqué sur les outils et sur la manière d'utiliser les nouvelles technologies.

Par ailleurs, à mon sens, la perspective d'avenir porte sur un horizon non pas de dix mais de cinq ans. Je pense que, dans cinq ans, les compagnies qui domineront le commerce électronique et, plus généralement, leur domaine d'activité seront les entreprises qui connaîtront le mieux leurs clients. J'insiste donc à nouveau sur l'importance du Big data, qui constitue un outil pour mieux connaître le client. Les personnes qui connaîtront leurs clients prendront les nouveaux marchés. Les géants du Net, à cet égard, s'étendront peut-être dans des industries qui ne sont pas traditionnellement dominées par des acteurs du web. Je pense en particulier au secteur automobile et au secteur de l'énergie. Les compagnies du Net sont les seules aujourd'hui à connaître la voiture que souhaite le consommateur ou à pouvoir envisager celle qu'il souhaite. Elles connaissent également par exemple la meilleure offre d'électricité que le consommateur attend. Ces prospectives sont rendues possibles grâce aux données et aux algorithmes que certaines compagnies américaines maîtrisent parfaitement mais que les compagnies françaises maîtrisent malheureusement peu. Je reviens ainsi à l'enjeu d'éducation et de maîtrise de la donnée en France.

M. Paulin Dementhon. - La consommation collaborative suscite une grande variété d'âges chez les consommateurs. Je le répète : de nombreux retraités louent leur véhicule, par exemple. Cette dimension est doublement intéressante. En effet, dans notre cas, après la transaction, une rencontre a lieu, qui suscite une vraie valeur sociale.

En matière de formation, nous manquons d'ingénieurs informatiques. Il est inquiétant de constater que, même dans les filières d'excellence d'ingénieurs en France, l'informatique demeure peu mise en valeur.

Enfin, votre question concernant la prospective dans dix ans me permet de revenir à votre propos sur le système D. Nous entendons souvent qu'Internet est une sorte de dispositif de « débrouille » en attendant que la situation économique s'améliore. À mon sens, cependant, cette façon de rendre un service qui n'est plus pyramidal mais d'avoir recours à une capacité non utilisée jusqu'à présent est pérenne. Nous avons envie de sortir de la crise. Pour autant, dans le secteur automobile, les voitures partagées sont à l'ordre du jour depuis des dizaines d'années. Aucun dispositif n'avait abouti jusqu'à présent. Avec notre système, nous avons le sentiment d'entrer dans une nouvelle phase de la pratique automobile.

M. Joël Bourdin, président. - Merci de nous avoir fait profiter de cet échange.

Je me souviens qu'il y a dix ans, les économistes se demandaient si l'ordinateur avait accru la productivité du travail. Certains répondaient que seule la productivité du secteur des ordinateurs et de l'informatique avait augmenté. Après des calculs savants, les économistes ont finalement réussi à mesurer la part de l'innovation informatique dans l'évolution de la productivité américaine. Il s'est dit durant plusieurs années qu'un point de productivité était simplement dû à l'utilisation des ordinateurs.

Dans une même logique, je me demande si le commerce électronique n'a pas permis d'améliorer le pouvoir d'achat. Nous sommes aujourd'hui incapables de le mesurer. Les économistes se pencheront peut-être dans les années qui viennent sur le sujet. Ils devront déterminer si le commerce électronique est favorable au pouvoir d'achat. Ma réponse personnelle est affirmative. Je ne dispose pas cependant des chiffres nécessaires pour le démontrer.

Il me reste, pour conclure, à vous féliciter pour vos différentes initiatives et à vous souhaiter bon courage et pleine réussite pour l'avenir.