Jeudi 12 mars 2015

- Présidence de M. Francis Delattre, président -

Audition de Mme Maxime Gauthier, directrice des vérifications nationales et internationales à la direction générale des finances publiques

La réunion est ouverte à 13 h 50.

M. Francis Delattre, président. - Nous recevons Mme Maxime Gauthier, directrice des vérifications nationales et internationales à la direction générale des finances publiques, ainsi que M. Cédric Boizart, inspecteur principal. Vous contrôlez les grands groupes de notre pays, à un moment où la base fiscale se dérobe vers l'étranger... Notre Commission d'enquête porte sur le crédit d'impôt recherche (CIR), qui représente une dépense en forte augmentation. Constituée à la demande du groupe CRC, sa composition respecte les équilibres politiques du Sénat : c'est dire que nous n'avons aucun a priori.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Maxime Gauthier et M. Cédric Boizart prêtent serment.

Que pensez-vous du fonctionnement du CIR ? Comment évaluez-vous la valeur scientifique des projets ? Nous savons que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) désigne des experts pour collaborer avec vos équipes : ces experts sont-ils en nombre suffisant ? Cette méthode est-elle efficace ?

Mme Maxime Gauthier, directrice des vérifications nationales et internationales à la direction générale des finances publiques. - La direction des vérifications nationales et internationales a une compétence nationale : nous pouvons contrôler toutes les entreprises de France. Nous nous concentrons toutefois sur les plus grosses et leurs filiales, puisque nous ne nous intéressons qu'aux entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 152, 4 millions d'euros - 76, 2 millions d'euros dans les services - et dont l'actif brut est supérieur à 400 millions d'euros, ainsi qu'à leurs filiales à plus de 50 %. Cela représente un portefeuille de quelque 78 000 entreprises de toutes tailles.

Notre direction est organisée en 25 brigades de vérification fiscale comptant chacune, sous l'autorité du chef de brigade, huit à dix vérificateurs. Les brigades se spécialisent par secteurs socio-professionnels - électronique, automobile, grande distribution... - car un secteur présente souvent des caractéristiques fiscales propres. Nous avons aussi dix brigades de vérification et de contrôle informatiques, composées d'informaticiens.

Une grande partie de notre travail est consacrée au CIR, surtout depuis que la loi de finances pour 2008 a transformé son mode de calcul. Cette réforme a eu pour conséquence un fort accroissement du nombre de bénéficiaires et du coût de ce dispositif. En 2010, il concernait 2 500 entreprises pour un total de 2, 3 milliards d'euros ; en 2013, il en touchait 3 800, pour un montant global de 3,6 milliards d'euros. Il s'agit, en trois ans, d'une augmentation de 56 %.

Nous réalisons environ 1 200 contrôles par an. Comme notre portefeuille comprend environ 78 000 entreprises, cela impose des choix. Nous établissons donc chaque année un programme autour d'enjeux spécifiques. Si notre présence auprès des plus grosses entités est quasi constante, encore faut-il définir des axes de contrôle. En ce qui concerne les plus petites entreprises, nous identifions nos cibles au quatrième trimestre, en nous appuyant sur la connaissance qu'ont nos brigades de leur tissu fiscal et, depuis 2011, sur la cellule d'analyse des risques que nous avons créée pour nous aider à opérer cette sélection. Il s'agit de procéder à du data mining dans nos fichiers informatiques et parmi les déclarations des entreprises : grâce à un système de cotations, nous déterminons des zones à risque. Contrairement à une légende, le fait de réclamer un CIR n'expose pas automatiquement une entreprise à un contrôle ! La preuve : 3 800 entreprises ont sollicité un CIR l'an dernier, et nous n'avons effectué que 1 200 contrôles. Bien sûr, nous sommes vigilants car le CIR représente un enjeu financier important, mais nous ne contrôlons pas que le CIR.

Nous identifions parmi les déclarations des entreprises les requêtes qui présentent un caractère d'étrangeté : premières demandes, demandes intermittentes - la recherche, en principe, est un travail de longue haleine -, demandes issues de secteurs traditionnellement pauvres en recherche et développement, comme la pêche, la restauration, le voyage, le sport... Nous examinons de près aussi les projets informatiques, qui relèvent moins souvent de la recherche que les entreprises voudraient le faire croire ! Nous recherchons enfin la présence de subventions publiques, ou le recours à une main d'oeuvre extérieure. Tous ces indicateurs ne sont pas forcément révélateurs d'une fraude mais ils constituent autant de signaux qui attirent notre attention.

Le nombre de rappels a triplé en cinq ans : alors qu'en 2010, 70 entreprises, soit 5 % des entreprises contrôlées, s'en étaient vu imposer un, en 2014 ce chiffre est monté à 200, soit 17 % du total. Du reste, un rappel ne remet pas tout en cause. Il arrive qu'une même entreprise présente une ou deux centaines de demandes distinctes de CIR. Si une demande est refusée, les autres restent valables. Les montants rappelés sont passés de 36 millions d'euros en 2010 à 95 millions d'euros en 2014. Cela reste marginal : chaque année, le total des droits rappelés s'établit entre 3 et 3,5 milliards d'euros, et le montant total des CIR octroyés est compris entre 2 et 3 milliards d'euros. L'État ne reprend donc pas d'une main ce qu'il octroie de l'autre. Mais, comme le CIR est un dispositif très généreux, la vigilance est nécessaire.

Les rappels portent, en proportion à peu près égale, sur l'éligibilité du projet ou sur des dépenses qui y sont rattachées à tort. Nous ne constatons pas de fraude caractérisée sur le CIR, tout au plus des erreurs, une interprétation trop généreuse des règles ou encore un manque de documentation sur le projet. Nous n'avons pas détecté de volonté déterminée de détourner les sommes en question.

La difficulté, pour nous, n'est pas de réaliser les contrôles comptables, fiscaux ou juridiques, pour lesquels nos vérificateurs sont bien formés, mais bien d'évaluer la pertinence scientifique des projets de recherche. Dans le domaine informatique, les fonctionnaires de nos dix brigades sont formés depuis 2012 par le MESR aux méthodes d'investigation développées par ce ministère : nous disposons donc de 35 vérificateurs capables de conduire eux-mêmes une évaluation. Ils procèdent à une soixantaine d'expertises chaque année. Pour les autres sujets, nous travaillons avec des experts du MESR et nous avons accru les recours à leurs expertises dont le nombre est passé de 28 en 2012 à 56 en 2014. Ces experts ne sont pas si nombreux, et nous aimerions que leur nombre s'accroisse encore, car leur tâche est lourde : une expertise peut prendre plusieurs mois. Pour améliorer notre collaboration, nous avons développé une relation structurelle avec le MESR, et notamment avec sa direction générale de la recherche et de l'innovation, avec laquelle nous avons signé un protocole. De notre côté, le correspondant unique est M. Boizart, ici présent. Deux fois par an, nous nous réunissons pour faire le point et préparer les actions futures. Cette fluidification de nos relations avec le MESR a eu des effets très bénéfiques : les experts comprennent mieux nos contraintes juridiques et notre collaboration, sur des dossiers parfois pointus, s'est considérablement développée et améliorée.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin rapporteure. - Merci. Comment effectuez-vous vos contrôles lorsque la recherche a été confiée à un sous-traitant et que celui-ci est à l'étranger ? Les experts du MESR sont-ils désignés pour un projet ou pour une entreprise ? Comment parvenez-vous à contrôler de très grosses entreprises, comme par exemple Sanofi ? Quelles pénalités infligez-vous ? Quels sont les délais de prescription ? Les cabinets de conseil, qui aident les entreprises à monter leur dossier de demande de CIR, vous compliquent-ils la tâche, ou la facilitent-ils ?

Mme Maxime Gauthier - Nous contrôlons toujours une société, c'est-à-dire une personne morale. Cela peut être, par exemple, une filiale de Sanofi. Nous examinons les exercices passés, en nous fondant sur les déclarations déposées, dans la limite de trois années avant l'année en cours : actuellement, nous ne remontons donc pas avant le 1er janvier 2012. En général, nous contrôlons deux ou trois exercices en même temps. Bien sûr, nous nous assurons avant de lancer le contrôle de la disponibilité d'un expert du MESR. L'existence de sous-traitants ne change rien : c'est à l'entreprise de prouver que les charges qu'elle a déduites lui donnaient effectivement droit au CIR. Il existe sur internet un guide qui indique aux entreprises comment elles doivent constituer leur dossier justificatif.

Elles doivent d'abord faire un état de l'art, pour établir le besoin d'une recherche en montrant que personne ne l'a effectuée ou que ceux qui l'ont tentée n'ont pas abouti. Ce point est souvent mal compris : il ne s'agit pas de faire l'état de l'art au sein de l'entreprise mais bien dans le monde ! Le dossier doit aussi comprendre une documentation technique sur le projet, qui peut se limiter à quelques pages, pourvu qu'elle prouve sa qualité scientifique. Que le projet soit conduit en interne ou sous-traité ne change rien. En plus de ce dossier, l'expert du MESR peut poser des questions supplémentaires.

Les cabinets de conseil sont très actifs, si actifs que l'un d'eux, me prenant sans doute pour la représentante d'une entreprise que vous alliez auditionner, m'a écrit hier pour me proposer ses services ! Leur rémunération est un pourcentage du CIR obtenu, qui est de l'ordre de 25 %. Ils aident les entreprises à monter leur dossier, mais le font souvent a posteriori, en convaincant l'entreprise que ce qu'elle a déjà fait lui ouvre droit au CIR : du coup, les dossiers ne sont pas toujours très solides. Leur présence, marquée, durcit l'atmosphère, car les entreprises accueillent alors fort mal la remise en cause de leur dossier. Comme ils offrent souvent une garantie financière à condition que toutes les capacités de recours soient épuisées, les entreprises contestent jusqu'au bout nos décisions, parfois pour des sommes minimes.

Il est très rare que nous infligions des pénalités exclusives de bonne foi lorsque nous imposons un rappel sur le CIR. La plupart des cas recouvre des erreurs. Nous n'infligeons des pénalités que dans le cas où, par exemple, des salaires ont été consacrés à des tâches qui n'ont rien à voir avec de la recherche. En général, l'éligibilité d'un dossier n'est pas évidente.

M. Francis Delattre, président. - Ces pénalités sont-elles calculées en fonction du montant de l'impôt qui aurait dû être versé ?

Mme Maxime Gauthier - Oui.

M. Francis Delattre, président. - Les frais d'ingénierie des cabinets ne sont-ils pas plafonnés ?

M. Cédric Boizart - Les honoraires que peuvent leur verser les entreprises le sont en fonction de l'assiette de calcul du CIR.

M. Michel Berson. - Quel est le montant de ce plafond ? Est-il fixé par les textes ?

M. Cédric Boizart - Par l'article 244 quater B III du code général des impôts de source législative.

M. Francis Delattre, président. - Ces cabinets sont un des aspects les plus critiquables du dispositif...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Quelles sont les 20 plus grosses entreprises à émarger aux quelque 3,6 milliards d'euros du CIR ? Combien touchent-elles ? Quels secteurs et quels types d'entreprises profitent le plus du CIR ?

Mme Maxime Gauthier - Il n'y a pas de secteur particulièrement frauduleux. Les rappels représentent un pourcentage assez limité de nos contrôles : l'écrasante majorité des entreprises contrôlées font effectivement de la recherche de haut niveau. Les 25 plus grosses sont nos fleurons nationaux - Renault, Peugeot, Sanofi, L'Oréal, Total... - et il est très rare que nous leur imposions un rappel. Le type de projet le plus contestable du point de vue du CIR est, à mon avis, le projet informatique.

M. Daniel Raoul. - Si une entreprise a eu un rescrit de l'administration, que faites-vous ? Quand je dirigeais une école d'ingénieur, je voyais ces cabinets de conseil démarcher les jeunes entrepreneurs : souvent, ils leur proposaient essentiellement de l'optimisation fiscale, ce qui en a conduit plusieurs dans le mur ! Ce sont de mauvais guides.

Mme Maxime Gauthier - Le rescrit est opposable à l'administration, à condition que l'entreprise ait effectivement fait ce qu'elle annonçait.

M. Daniel Raoul. - C'est le minimum !

Mme Maxime Gauthier - Nous pouvons toutefois examiner le détail des dépenses consacrées au projet ... mais ces cas sont très rares.

M. Daniel Raoul. - Combien d'entreprises ont eu recours au rescrit ? Je pense en particulier aux jeunes entrepreneurs, pour qui cela peut constituer une garantie indispensable.

M. Michel Vaspart. - Vos propos sont conformes à ce que nous avons entendu lors d'auditions précédentes. Je comprends que la progression du volume des redressements correspond à peu près à celle du volume des demandes de CIR. Vous avez qualifié ce dispositif de très généreux. N'est-ce pas porter un jugement de valeur qui devrait être l'apanage du Gouvernement, qui le met en oeuvre, ou du Parlement, qui l'a voté ? Votre interprétation de l'éligibilité des projets est-elle conforme à l'esprit de la loi ?

Mme Maxime Gauthier - Je n'ai fait que reprendre un jugement largement partagé. Le CIR a d'ailleurs été conçu pour être généreux, afin d'attirer et de maintenir la recherche en France. Et il l'est, si on le compare aux dispositifs équivalents en Europe ou ailleurs dans le monde. L'est-il trop ? Ce n'est pas à moi d'en juger. Comme il mobilise des montants importants, la vigilance de l'administration est de mise. Si nous la relâchions, des dérives ne tarderaient pas à apparaître. Dans l'appréciation de l'éligibilité, le doute profite à l'entreprise. Nous travaillons en étroite collaboration avec les experts du MESR.

M. Michel Berson. - Ne contrôlez-vous que les grands groupes ? Quid des ETI ?

M. Francis Delattre, président. - Nous contrôlons les entreprises dont le chiffre d'affaires ou l'actif brut dépassent un certain montant, quel que soit leur secteur.

M. Michel Berson. - Leur nombre est passé de 2 500 à 3 880.

Mme Maxime Gauthier - Oui.

M. Michel Berson. - Le montant des redressements, de 36 millions d'euros à 94 millions d'euros.

Mme Maxime Gauthier - Oui, entre 2010 et 2014.

M. Michel Berson. - Quel pourcentage cela représente-t-il ?

Mme Maxime Gauthier - Il s'agit de 94 millions d'euros sur un total de 3,6 milliards d'euros, et de 200 entreprises sur un total de 1 200.

M. Michel Berson. - Le rescrit était peu utilisé en France car il fallait, pour y avoir recours, que le programme de recherche n'ait pas commencé. La suppression de cette condition, il y a deux ans, a-t-elle entraîné un accroissement de son utilisation ? Avez-vous souvent constaté des modifications ou des évolutions dans un projet de recherche ?

Mme Maxime Gauthier - Le rescrit est encore très rare.

M. Michel Berson. - La stabilité juridique du CIR impose une stabilité des textes législatifs et réglementaires mais aussi des instructions fiscales. Nous avons été saisis par nombre d'entreprises l'an dernier sur la question de la sous-traitance : qui devait bénéficier du CIR, le donneur d'ordre ou le sous-traitant ? Une circulaire, en avril 2014, a modifié la doctrine de l'administration fiscale en réservant le CIR aux donneurs d'ordres. Ne serait-il pas plus simple que le CIR bénéficie à celui qui effectue le travail ?

M. Francis Delattre, président. - Quels ont été les effets de cette circulaire ?

Mme Maxime Gauthier - L'esprit de la loi était bien que le CIR soit réservé au donneur d'ordre. L'administration avait élargi son sens en permettant son octroi au sous-traitant. La direction de la législation fiscale a rapporté cette doctrine en revenant à la pureté initiale du texte. Cela ne me choque pas : le sous-traitant n'est qu'un prestataire de service, et lui octroyer le CIR pose de nombreux problèmes, notamment s'il est à l'étranger...

M. Michel Berson. - Les dépenses de recherche sous-traitées sont encadrées et plafonnées. Faut-il supprimer ces agréments et plafonds ?

Mme Maxime Gauthier - Le donneur d'ordre a le choix de son organisation, mais c'est lui qui a droit au CIR. Tout changement de doctrine suscite de l'émoi ; un article récent du journal Les Échos en fait foi.

M. Daniel Gremillet. - Le recherche ainsi financée est-elle faite dans notre pays ? Constatez-vous une forme de tourisme fiscal ?

M. Daniel Raoul. - Oui, hélas !

Mme Maxime Gauthier - Tous nos grands groupes sont internationaux. Même si la recherche est effectuée en France, elle est parfois utilisée ailleurs : son fruit est cédé à une filiale située dans un pays comme le Luxembourg, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, où la législation sur les brevets est plus favorable que chez nous. Des redevances sont versées à ces filiales. Nous nous assurons que la cession du brevet soit réalisée à un bon prix et que la redevance ne soit pas excessive mais, d'une manière générale, la gestion de la propriété intellectuelle permet à de nombreux grands groupes, notamment les géants américains du numérique, de rapatrier leurs profits dans des paradis fiscaux par le biais de redevances.

M. Daniel Raoul. - La question du retour sur investissement pour l'État se pose...

M. Daniel Gremillet. - Nous en arrivons même à payer pour utiliser des brevets développés en France avec l'argent du CIR !

Mme Maxime Gauthier - Oui, et tous les ans !

M. Francis Delattre, président. - La voiture verte de Renault est conçue en France mais fabriquée en Roumanie - et Renault paie ses impôts aux Pays-Bas ! Nous avons besoin de courage politique.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Comment se déroulent vos contrôles, en pratique ? Comment contrôlez-vous les sous-traitants ? Que faites-vous s'ils sont à l'étranger ? Un grand groupe peut être une nébuleuse extraordinaire...

Mme Maxime Gauthier - Pour le CIR, ce n'est pas gênant. C'est un sujet techniquement complexe mais très concret. L'entreprise doit nous présenter un dossier...

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Plus concrètement ? Y a-t-il des cas où il n'y a pas eu de recherche ?

Mme Maxime Gauthier - Il arrive que la recherche n'ait pas abouti. Mais dès lors qu'il y a déduction fiscale, il y a eu des dépenses, dont nous contrôlons les pièces justificatives.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Allez-vous à l'étranger ? Quelles formes prennent les relations de sous-traitance ?

Mme Maxime Gauthier - Il s'agit de contrats de prestation de service. Si le sous-traitant est payé sans avoir rien fait, nous sommes face à un acte anormal de gestion. S'il a fait son travail, peu importe qu'il soit en France où ailleurs, l'expert analyse sa production et détermine s'il s'agit bien de recherche.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Coopérez-vous avec d'autres administrations fiscales ?

Mme Maxime Gauthier - Nous n'en avons pas besoin : c'est l'entreprise bénéficiaire de la sous-traitance qui doit fournir un dossier complet, et celle-ci est en France.

M. Francis Delattre, président. - Merci à tous deux. L'OCDE se préoccupe de ces sujets...

Mme Maxime Gauthier - Oui, surtout des questions de propriété intellectuelle et de brevet.

M. Francis Delattre, président. - Les pays émergents posent problème en ce domaine.

La réunion est suspendue à 15 heures.

Audition de MM. Denis Randet, délégué général, Alain Quevreux, chef du département Europe, et Pierre Bitard, conseiller du délégué général, de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT)

La réunion est reprise à 16 h 15.

M. Francis Delattre, président. - Nous recevons M. Denis Randet, délégué général de l'Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT). Il est accompagné de M. Alain Quevreux, chef du département Europe de cette organisation, et de M. Pierre Bitard, son conseiller.

Je rappelle que le choix de la procédure de la commission d'enquête ne préjuge en rien des conclusions de notre rapport. Notre commission, qui a chargé Mme Gonthier-Morin, rapporteure, de tenir la plume, est composée à la proportionnelle des groupes, et chacun pourra apporter sa pierre à l'édifice.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Denis Randet, Alain Quevreux et Pierre Bitard prêtent successivement serment.

M. Denis Randet, délégué général de l'ANRT. - C'est la raison d'être de l'ANRT que de faire le lien entre acteurs publics et privés de la recherche. Si notre association, forte de 300 membres - nombre en augmentation rapide puisque 40 d'entre eux nous ont rejoint l'an passé - est jugée utile par ses adhérents, c'est qu'en dépit de quelques progrès, il reste encore bien du chemin à parcourir pour faire travailler ensemble pouvoirs publics et entreprises.

Je le dis d'emblée, tous nos membres, y compris les établissements supérieurs d'enseignement et de recherche, ont une vision positive du crédit d'impôt recherche, outil qu'ils jugent adapté au développement des écosystèmes, lesquels constituent la clé de l'efficacité d'un système de recherche et d'innovation, partant, de l'attractivité d'un pays. Le crédit d'impôt recherche a de fait cette vertu qu'il bénéficie à tous les membres de l'écosystème.

Sans ignorer le principe d'annualité budgétaire, je tiens à souligner que la première vertu d'une incitation fiscale réside dans sa stabilité. Si, reprenant certains voeux de nos membres, nous pouvons être amenés à formuler des recommandations visant à améliorer le dispositif, je serais presque tenté d'ajouter que la première d'entre elles serait de les ignorer. À vouloir toujours améliorer l'outil, on nuit à son efficacité.

La sécurité du dispositif est un enjeu tant pour le contrôleur, soucieux du bon emploi des deniers publics, que pour les usagers : la meilleure preuve en est le recours assidu que font les entreprises, pour monter leur dossier, aux cabinets de conseil. Le fait est que le dispositif n'est pas simple à manier. La première question est celle de l'éligibilité des dépenses, qui, par construction, doit nécessairement faire l'objet d'une appréciation, puisque le crédit d'impôt recherche couvre aussi les dépenses de développement. Or, entre développement et production, la frontière n'est pas nette : il s'agit d'un processus continu. C'est donc à préciser la définition que l'on doit mettre la plus grande diligence dans l'effort. En s'inspirant, certes, du manuel de Frascati, mais dans la conscience que l'on ne saurait appliquer le même compas à l'industrie automobile ou à celle du logiciel. D'où la nécessité d'une interaction avec les entreprises. Et ce n'est pas la dernière fois que vous m'entendrez plaider en ce sens, tant l'effort de concertation doit être permanent.

Ceci n'est pas sans lien avec la difficile question de la professionnalisation du contrôle. Le crédit d'impôt recherche concerne le ministère de la recherche et celui des finances, qui associent leurs forces dans ces opérations de contrôle, ce qui témoigne de la difficulté du processus. Les experts académiques ont du mal à apprécier où sont les défis et les incertitudes qui affectent l'activité des entreprises : le contact direct permet de lever, mieux que tout document écrit, bien des malentendus.

Autre risque : la confusion entre la recherche et l'innovation, qui n'est pas éligible. Sur suggestion de l'un de nos membres, nous recommandons de revenir à l'instruction fiscale de 2012, qui distinguait mieux ces deux aspects. Le formulaire de déclaration, en l'état, peut laisser penser à l'entreprise qu'elle doit mettre l'accent sur l'innovation, au risque d'étendre leur déclaration au-delà de l'assiette éligible, ce qui peut lui valoir bien des déboires. Cela dit, l'opinion des entreprises sur les contrôles est globalement positive, même si quelques cas négatifs l'entachent, et que se pose la question des délais, liée au calibrage des moyens de contrôle au regard de l'ampleur qu'a pris le crédit impôt recherche. L'un de nos membres estime ainsi que le plus simple serait de mettre sur pied une brigade dédiée d'une trentaine de personnes. La question ne peut sans doute pas s'apprécier d'une manière si simple, mais elle reste une préoccupation

Le dialogue entre administration et entreprises, encore une fois, est fondamental. Il peut arriver que l'administration soit amenée à apporter des précisions aux dispositions en vigueur. L'instruction fiscale d'avril 2014 sur la sous-traitance visait ainsi à éviter qu'une même dépense soit à la fois déclarée par celui qui passe commande et par celui qui exécute. Mais outre qu'elle a eu des effets rétroactifs sur l'année 2013, les sociétés de recherche sous contrat font observer qu'il est devenu plus avantageux pour elles de travailler avec une entreprise étrangère, que le crédit d'impôt recherche ne concerne pas.

Pour sécuriser les entreprises, l'administration propose la procédure du rescrit, qui a cependant ses limites. Si le programme réalisé ne correspond pas exactement au projet proposé, l'accord donné dans le rescrit ne s'applique pas. Or, un programme de recherche se déroule rarement comme prévu. Le Conseil d'Etat propose que le rescrit puisse être évolutif. C'est là, à mon sens, un exemple de ces bonnes idées que je vous recommandais tout à l'heure d'écarter, car au motif de le rendre plus juste, elle rendrait le dispositif plus complexe.

J'en viens au chapitre qui est au coeur de notre message. Dès lors qu'une dépense s'élève à 5 ou 6 milliards par an, on soupçonne aussitôt l'effet d'aubaine et ce sont les grandes entreprises qui se trouvent immanquablement dans le collimateur. Autant il serait contraire à notre mission que de nous employer à défendre telle ou telle catégorie de nos membres, autant il nous revient d'établir un constat exhaustif. Or, nous ne pouvons que constater le rôle indispensable que jouent les grandes entreprises dans les écosystèmes. Ajoutons que ce sont elles qui peuvent le plus aisément délocaliser leurs équipes d'un pays vers un autre. Plusieurs grands patrons nous l'ont dit sans balancer : c'est ce qu'ils feront si le crédit d'impôt recherche disparaît.

Nous apportons, dans ce débat, un repère. Nous avons agrégé les données qui nous ont été fournies par les groupes internationaux relatives au coût des chercheurs dans leurs différentes implantations. Il en ressort que sans le crédit impôt recherche, la France se situerait au niveau des pays les plus chers, juste après les États-Unis, tandis qu'avec le crédit impôt recherche, elle se situe dans la moyenne haute des pays de l'OCDE.

La France se caractérise par un niveau d'imposition plutôt élevé pour les entreprises, assorti de dégrèvements fiscaux ciblés. La raison d'être du crédit impôt recherche est bien de ramener la fiscalité pesant sur les entreprises qui font de la recherche au niveau qui est celui de la moyenne internationale. C'est un outil à ne pas confondre avec d'autres incitations, comme celles du plan d'investissements d'avenir. La localisation des forces de recherche déborde le seul enjeu de la recherche. La France compte un nombre remarquable de grands groupes internationaux, dans lesquels la puissance de recherche est très étroitement associée à la décision stratégique et à la conception des orientations futures de l'entreprise. Là où est le cerveau, là est la maison. Les entreprises françaises créent aussi des laboratoires de recherche à l'étranger, mais ce sont souvent des laboratoires d'application ou qui sont faits, comme en Californie, pour capter le savoir local.

Le reproche souvent adressé au CIR est qu'il n'entraîne pas une augmentation à proportion des dépenses de recherche des entreprises françaises. On sait que ce sont les entreprises industrielles qui réalisent 80 % de l'effort de recherche. Si l'on regarde l'effectif des entreprises industrielles françaises au cours de la dernière décennie, on constate qu'il ne cesse de baisser, comme la part de l'industrie dans le PIB - elle est, en France, presque deux fois moindre de ce qu'elle est en Allemagne : l'écart est de 11 %. Or, sur la même période, les effectifs de recherche des entreprises française ont augmenté.

M. Francis Delattre, président. - Mais comment retenir les acquis de la recherche sur le territoire ? Là est le problème.

M. Denis Randet. - La stratégie de Lisbonne, qui visait à affecter 3 % du PIB de l'Union européenne à la recherche, pouvait encourir le reproche de ne faire que sanctifier un chiffre, d'autant que le pourcentage de l'effort de recherche varie considérablement selon les secteurs industriels - autour de 20 % dans la microélectronique ou le médicament, 7 % à 8 % dans l'aéronautique, 4 % à 5 % dans l'automobile, 1 % dans l'agroalimentaire, 0,5 % dans le bâtiment. Mais c'est oublier qu'elle traduisait par-là la conviction que l'avenir est du côté des secteurs à forte intensité de R&D, parce qu'ils sont porteurs d'innovation et de création d'emplois.

On sait que l'implantation des start up est déterminante dans la répartition des implantations des entreprises. Le CIR joue un rôle très important pour elles. Il représente une aide de départ qui fixe l'implantation de l'entreprise et renforce les écosystèmes. Or, la plupart des start up qui se développent sont rachetées.

M. Francis Delattre, président. - Nous sommes au moins d'accord là-dessus.

M. Denis Randet. - A partir d'une certaine zone de développement, une start up ne trouve pas chez nous les capitaux : la solution, pour elle, consiste à se faire racheter. Et c'est en fonction de l'attractivité des écosystèmes que le groupe dans le giron duquel elle entre décidera de son implantation future.

On a soupçonné les grandes entreprises de créer des filiales pour échapper au plafond du CIR. Nous avons fait l'inventaire, pour constater que tel n'est pas le cas : il y a peu de mouvements, et ils sont liés à tout autre chose.

S'agissant de l'insertion des jeunes docteurs, nous sommes aux premières loges pour mesurer son évolution, puisque nous animons le dispositif des Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche). Chaque année, 1 300 jeunes en sortent titulaires de leur doctorat. Le nombre de Cifre ne cesse d'augmenter. Au cours de la période que je visais tout à l'heure, alors que les effectifs des entreprises diminuaient, ceux du Cifre augmentaient. Cela étant, il est clair que les grandes entreprises ne prennent pas la décision d'embaucher un doctorant parce que les deux premières années sont gratuites. Elles se déterminent sur des considérations de plus long terme. En revanche, pour des start up, ce peut être une considération déterminante.

Quel est l'impact du CIR sur la recherche partenariale ? Le doublement de la prise en compte des dépenses quand l'entreprise confie des travaux à un laboratoire public est une incitation très opportune, en phase avec le mouvement de décentralisation des activités de recherche des entreprises. Les modèles évoluent, et l'open innovation se généralise. On assiste même à des transferts d'activité complets. Vers quels laboratoires ? Là est bien l'enjeu. Le CIR aide à ce que ces transferts aient lieu vers les laboratoires français.

Ceci appelle une autre remarque. Comparés à ceux des autres pays, les laboratoires publics français valorisent mal leur travail ; ils ont tendance à sous facturer leurs travaux, parce qu'ils ne comptabilisent pas les salaires des chercheurs fonctionnaires. Il n'y a pourtant pas de raison que l'entreprise commanditaire n'en paye pas une quote-part. Moyennant quoi, une sorte de complicité dans la médiocrité s'est installée, et l'on constate qu'au sein d'un même groupe international, la partie française est plus réticente que la partie américaine à payer la recherche à son prix.

M. Francis Delattre, président. - C'est de l'assistanat !

M. Denis Randet. - Cela arrange tout le monde. Comme le chercheur n'est pas très grassement payé, il a tendance à être plus flou dans la justification de l'emploi de son temps et les délais de son travail. Et de l'autre côté, on se dit que l'on pourrait attendre mieux mais qu'au fond, ce n'est pas cher. Il y a là une dérive : c'est le coût complet qu'il convient de retenir, ce qui n'est pas encore entré dans les pratiques - les agences françaises continuent à pratiquer ce système pervers. Elles retiennent 50 % d'un projet, mais en retenant à 100 % les précaires, et en ne comptant les titulaires pour rien. D'où une inflation des contrats précaires et une déresponsabilisation des laboratoires à l'égard de leurs titulaires. Au lieu de raisonner par préciput, on ferait mieux de commencer par prendre en compte le coût complet de la recherche pour déterminer le pourcentage que l'on prend en charge.

M. Francis Delattre, président. - Intéressante remarque...

M. Denis Randet. - Dernière observation, enfin : l'OCDE, qui a analysé les dispositifs d'aide à la recherche, a jugé que le crédit d'impôt français était le meilleur.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Vous plaidez pour une meilleure articulation entre public et privé, en relevant que des difficultés persistent : lesquelles ? Vous indiquez que tous les membres de votre association se déclarent favorables au CIR - ce qui n'est pas pour étonner - mais ne relève-t-on pas néanmoins des nuances dans les appréciations ?

L'une des missions assignée au crédit d'impôt recherche était de favoriser l'emploi scientifique. Où en est-on ?

L'enjeu est aussi du passage de la recherche à l'innovation. Si la France se classe au sixième rang mondial en matière de recherche, elle ne se situe qu'au vingtième rang en matière d'innovation. Comment l'expliquer ? En subventionnant notre recherche, ne subventionne-t-on pas, au fond, les mise en production à l'étranger ? Au regard du volume d'argent public mobilisé, la question n'est pas indifférente.

Que pensez-vous de la suggestion d'attribuer le CIR à l'entreprise qui exécute la recherche plutôt qu'au donneur d'ordre ?

Vous indiquez que le CIR est très profitable aux start up, tout en relevant que celles-ci sont souvent rachetées, quand elles décollent, par des entreprises étrangères. Cela ne signifie-t-il pas, du même coup, que le contribuable français accroît la valeur de vente d'actifs qui vont ensuite être transférés à l'étranger ?

Dernière question, enfin, sur le rapport du CIR à l'industrie. Vous soulignez que le dispositif est plus favorable à certains secteurs, comme l'informatique. Comment mobiliser l'outil au service des industries structurantes pour notre pays ? Ne doit-on pas mettre tous nos efforts à cela, sauf à risquer une évaporation préjudiciable à l'emploi ?

M. Alain Quevreux, chef du département Europe de l'ANRT. - Autant il serait difficile d'affirmer que l'appréciation de tous nos membres est homogène sur le CIR, autant on peut constater qu'il n'y a pas d'oppositions tranchées. Pour les grandes entreprises, l'enjeu est dans l'attractivité du territoire et de leur site ; elles veulent défendre leur emploi en France. Quand le coût d'un chercheur est compétitif, cela est décisif pour la localisation en France du programme de développement d'un groupe international. Pour nos membres académiques, le CIR a facilité leur capacité à travailler avec les entreprises, et en particulier les PME. Les dépenses sous-traitées à un laboratoire public comptant double, le reste à payer, pour ces entreprises, n'est guère élevé. C'est un argument de vente pour les laboratoires publics. S'il y a des bémols, ce n'est pas sur le dispositif lui-même, mais sur la lourdeur de la procédure, en particulier pour les PME, car elle leur impose de rendre compte par projet, alors que ce n'est pas de cette façon qu'elles ont coutume de travailler.

Pour le reste, nous ne pensons pas que l'on ancre l'activité sur un territoire sur le fondement d'une décision unique, mais plutôt grâce à l'existence d'un faisceau d'acteurs qui veulent travailler ensemble. Plus le maillage sera innovant, plus il saura retenir car comme le disait Denis Randet, où est le cerveau, là est la maison.

Faut-il imputer la dépense à l'exécutant ou au donneur d'ordre ? Cette question est à l'origine de l'instruction fiscale de 2014, qui visait à éviter qu'une même dépense soit déclarée deux fois. Dans les grands groupes, qui font beaucoup appel à des sous-traitants, cette question est très sensible. Ils distinguent, dans leur déclaration, entre la partie sous-traitée et celle pour laquelle ils demandent pour eux-mêmes le bénéfice du crédit d'impôt recherche. Supprimer le lien au donneur d'ordre, cela revient à dire au sous-traitant qu'il faut qu'il devienne entrepreneur à son compte. C'est tout autre chose que d'engager un travail commandé par un donneur d'ordre, qui est prêt à payer un certain prix sur la base de spécifications qu'il a définies. C'est ainsi que se forme un écosystème. Tandis que si chacun touche sa part, et que la relation ne se construit qu'ensuite, on risque des pertes en ligne : pour chaque pièce de développement, la question se posera du meilleur fournisseur, qui pourra alors se trouver en Allemagne, en Angleterre, en Belgique. En la matière, la compétition est réelle entre pays d'Europe. Déboucler le système, comme l'a fait l'instruction fiscale du 11 avril 2004, pose problème. L'administration argue qu'elle n'agit qu'à législation constante, mais le fait est qu'elle a pris les acteurs par surprise. Ce n'est pas propre à asseoir la confiance. Il n'est pas bon qu'au sein des groupes internationaux dont les centres de décision ne sont pas en France, les troupes françaises ne soient pas capables de défendre une position stable.

M. Francis Delattre, président. - Le CIR est stable depuis 2008.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Stable à près de 6 milliards...

M. Alain Quevreux. - C'est affaire d'appréciation. La question est soulevée par de nombreux rapports, dont celui du Sénat.

M. Francis Delattre, président. - Qu'il soit bien clair que nous n'avons d'autre objectif que de conforter le CIR, en évitant certaines anomalies. La tentation d'optimisation, ainsi que vous l'avez rappelé, n'est jamais loin. S'agissant des cabinets auxquels il est fait appel pour monter les dossiers, nous pensons qu'il faut réglementer. Leurs fiscalistes vont jusqu'à démarcher les chercheurs, cela pose problème. Et l'on s'aperçoit que le montage des dossiers coûte fort cher.

Vous évoquez l'impératif de sécurité. En ce qui concerne le contrôle, le principe du binôme, qui associe un inspecteur des impôts et un expert vous semble-t-il satisfaisant ? Il est clair que nous peinons, dans un contexte mondialisé, à rentabiliser notre recherche. Les 3 600 entreprises couvertes par la DVNI ne subissent que 1 200 contrôles chaque année, soit, pour une entreprise, un contrôle tous les trois ans. Comment s'assurer que les start up demandeuses n'aient pas l'intention de s'envoler hors de France, voire d'Europe ?

M. Denis Randet. - Quand les Allemands s'employaient à améliorer les points forts de leur industrie, avec son tissu de PME, nous sommes restés les yeux fixés, des années durant, sur le modèle américain de la start up, qui convient bien aux technologies de l'information, à la biotechnologie et qui commence à faire son chemin dans le domaine de l'énergie, mais qui ne correspond pas à la réalité d'autres secteurs, comme l'automobile, par exemple. Le résultat, c'est que notre spectre n'est pas assez large : nous avons mis tous nos oeufs dans le même panier.

M. Francis Delattre, président. - Des oeufs frais, dans le cas présent.

M. Denis Randet. - Tellement frais qu'on manque de recul. Le mouvement français des start up a commencé vers la fin des années 1990. En matière de recherche publique, la loi Allègre a donné le signal. Mais nous manquons encore de ce que l'on appelle des coach de start up, de capacités d'expertise, d'investisseurs. Le mouvement commence certes à prendre corps, mais les enquêtes du ministère de la recherche font apparaître que si le nombre de créations est élevé, le nombre de ces start up qui se développent au-delà d'un effectif d'une dizaine de personnes reste faible. C'est un indicateur beaucoup plus pertinent que le taux de survie. Toute la question est de savoir combien, parmi ces start up, parviennent à se hisser au rang de stars.

M. Francis Delattre, président. - Il y en a, et qui se manifestent.

M. Daniel Raoul. - Cette faiblesse ne tient-elle pas aussi à un manque de crédit ? On est loin du système américain des fonds dédiés, des business angels. D'où la tentation de se faire racheter pour pouvoir grandir.

M. Denis Randet. - Dans la zone de départ, entre quinze et vingt millions, tout va bien. Le trou commence dans la zone des 40 à 50 millions. Or, c'est là que l'on trouve les start up les plus intéressantes, celles qui commencent à réussir.

M. Daniel Raoul. - La zone grise se situe plutôt entre dix et quarante millions.

M. Denis Randet. - Le CIR aide, surtout quand il est combiné au dispositif JEI (Jeunes entreprises innovantes) et au Cifre.

M. Francis Delattre, président. - Mais on a ce problème, en Europe, que la Banque européenne d'investissement (BEI) ne s'intéresse pas aux dossiers de taille intermédiaire.

M. Alain Quevreux. - Elle délègue à la BPI.

M. Daniel Raoul. - Le Cifre n'est pas assez utilisé. Alors qu'il favorise l'interface entre nos laboratoires et l'industrie, celle-ci ne semble guère demandeuse.

M. Denis Randet. - En 2014, 1 370 conventions nouvelles ont été signées. Ce n'est pas rien quand on sait que plus 95 % des doctorants Cifre soutiennent leur thèse. Ce qui n'est pas vrai pour l'ensemble des doctorants français, dont la moitié lâche en cours de route.

M. Daniel Raoul. - Cela dépend des spécialités...

M. Denis Randet. - La France produit 12 000 docteurs par an. Ceux qui sont passés par le Cifre représentent donc 10 % du total. Et les deux tiers vont dans les entreprises. Alors que les effectifs des entreprises diminuent, celui des Cifre augmente, ce qui atteste bien que le mécanisme se diffuse. Reste que nous sommes surpris de constater qu'il n'est pas encore assez connu. C'est pourtant un dispositif stable depuis trente ans, simple d'utilisation, avec un temps d'instruction de moins de trois mois et bénéficiant d'une expertise fiable - nous avons durci nos conditions d'examen.

M. Daniel Raoul. - Cela dit, le mouvement inverse mériterait aussi d'être poussé. Les entreprises, au lieu de gaspiller de l'argent dans des formations professionnelles dont on ne sait pas toujours ce qu'elles valent devraient inciter leurs ingénieurs à aller faire un doctorat à l'université.

M. Denis Randet. - La question de la relation entre l'université et les entreprises nous est chère.

M. Francis Delattre, président. - Il faut les attirer sur les campus, voilà ce qui fonctionne bien.

M. Denis Randet. - A Strasbourg, à Paris VI, à Aix-Marseille, à Nantes, cela marche bien, en effet. Mais quand on voit que des instituts de recherche technologique (IRT) se créent hors du périmètre des universités, on se dit qu'il y a là une occasion manquée. Si les étudiants voient les choses à travers les yeux de leurs professeurs, qui ne connaissent pas l'entreprise, ce peut être un problème. Globalement, le mouvement va dans le bon sens, tous les présidents d'université veulent développer leurs relations avec les entreprises. Toutes les universités veulent faire de la formation continue, et pour cause.

M. Daniel Raoul. - Les souris savent où est le fromage.

M. Denis Randet. - Mais cela suppose de dispenser des enseignements adaptés. Si l'on entend amener 50 % d'une classe d'âge à la licence avec des enseignements abstraits, il y a de quoi s'inquiéter. Seuls 20 % des Suisses ont leur bac, et le pays ne s'en porte pas plus mal. Chacun son système, mais ce qui est sûr, c'est que l'interaction entre université et entreprise est la clé de l'avenir.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Je suis surprise de la tonalité consensuelle dont vous teintez votre propos. Certaines des auditions que nous avons déjà menées témoignent pourtant que des inquiétudes se manifestent, notamment quant à la fraude.

En ce qui concerne l'emploi, j'aimerais savoir précisément quel est le coût d'un chercheur en France. Il me semble qu'une fois additionnés les effets du CIR et le reste, il ne doit pas être très élevé.

M. Denis Randet. - Dans notre baromètre il s'agit des chercheurs du privé, pas du public. Et il ne faut pas oublier, à côté des salaires, les frais de recherche et développement, qui varient beaucoup selon la nature de la recherche. Un économiste coûte moins cher, de ce point de vue, que quelqu'un qui fait de la recherche sur les circuits intégrés. Vous touchez là un point crucial : pour faire de la bonne recherche, il faut un budget approprié à la nature de l'activité. Or, le budget de certains de nos établissements souffre d'un déséquilibre. Celui du CNRS est absorbé à 70 % par les salaires. Cela est préoccupant. Pour les universités, il faut voir au cas par cas. Les évaluations comparatives que nous avons menées montraient que le ratio personnel support-enseignants pouvait aller, comme cela est le cas au California Institute of Technology, jusqu'à dix pour un. En France, on est plutôt à un pour un, et l'on demande aux enseignants-chercheurs de tout faire. Nous employant à promouvoir l'accès aux contrats européens d'Horizon 2020, nous travaillons avec les universités pour qu'elles renforcent les compétences de leurs équipes de support. Les exigences européennes sont pointues. En matière de recherche clinique, par exemple, les échantillons de patients doivent être paritaires. Quand d'autres pays s'y conforment scrupuleusement, nous avons tendance à estimer, en France, que c'est le résultat qui compte. Et l'on est sanctionné à l'arrivée.

Nous nous heurtons à un vrai problème de répartition des qualifications dans l'effort. Imaginez une entreprise qui ne compterait que des ouvriers et des directeurs et dans laquelle manquerait toute la panoplie des personnels intermédiaires. Le budget alloué par l'Etat à l'Ecole polytechnique de Lausanne, avec ses 10 000 étudiants, s'élève à 644 millions de francs suisses par an. Savez-vous quel est le budget de notre École Polytechnique, qui n'est pas la plus mal lotie en France ? 67 millions, pour 3 000 étudiants. Trois fois moins d'étudiants, mais un budget dix fois moindre. Il y a là une vraie question... qui se pose à un mauvais moment.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Nous avons aussi entendu avancer l'idée d'une concurrence déstabilisante des sociétés de recherche privées.

M. Denis Randet. - On ne peut parler de concurrence qu'entre gens qui font la même chose. Sur l'échelle des TRL (Technology Readiness Level), qui mesure la maturité d'une technologie, les équipes universitaires et le CNRS se situent entre zéro et 3 ; le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) ou l'Office national d'études et de recherche aérospatiale (Onera) peuvent monter jusqu'à 6 ou 7, tandis que les sociétés de recherche sous contrat se situent entre 6 et 8 : on est dans la zone où tout est facturé au client, parce qu'il prend peu de risque. Il est clair que l'on n'est pas dans le même monde.

M. Francis Delattre, président. - Vous avez rappelé que si la part de l'industrie dans le PIB s'est affaissée ces dernières années, le niveau de l'investissement dans la recherche s'est, en revanche, bien tenu. Quels secteurs industriels vous paraissent avoir le plus d'avenir ?

M. Denis Randet. - Il ne faut négliger aucun secteur, ni le tourisme, ni le luxe.

M. Francis Delattre, président. - Il existe certes une industrie du tourisme, mais je songeais plutôt à l'industrie lourde, à l'aviation, à l'automobile...

M. Denis Randet. - Il ne faut pas négliger ses points forts, parce que dans le monde que nous connaissons, point fort n'est pas synonyme de point fixe.

M. Francis Delattre, président. - Dans notre PIB, à ce compte, le point fort n'est pas l'industrie.

M. Denis Randet. - Les points forts de la France sont connus : automobile, aéronautique, agroalimentaire...

M. Francis Delattre, président. - Défense.

M. Denis Randet. - Sociétés de services en informatique, santé. Ce sont d'ailleurs là des secteurs à forte intensité de R&D. Pour maintenir ses positions, il faut un effort constant d'innovation. L'histoire de l'industrie automobile allemande est, de ce point de vue, assez exemplaire.

M. Michel Berson. - Dans le document que vous nous avez adressé figure un graphique retraçant la dépense intérieure en recherche et développement des entreprises (DIRDE), qui entend mesurer l'effort supplémentaire de R&D fourni en tenant compte de la désindustrialisation. Je m'étonne de l'ampleur de cet effort telle qu'elle ressort de votre graphique. N'apparaît-il pas, par un effet d'optique, plus important qu'il n'est en réalité ?

M. Denis Randet. - Qu'est-ce qui vous paraît suspect ?

M. Michel Berson. - L'écart entre la courbe retraçant la DIRDE réelle et celle qui retrace la DIRDE théorique à intensité de R&D stable me semble très important. On a le sentiment que le CIR aurait boosté la recherche dans d'énormes proportions...

M. Denis Randet. - Ce qui vous donne cette impression, c'est que l'axe des ordonnées - soit celui de la DIRDE en millions d'euros - ne part pas de zéro, mais de 17 000. Il est vrai aussi que la courbe retraçant la DIRDE théorique à intensité de R&D stable reste une hypothèse : on suppose que le volume de R&D demeure constant, et que c'est le nombre d'entreprises qui dégringole.

M. Michel Berson. - Si je comprends bien, c'est l'observatoire du CIR qui présente les données du ministère de manière flatteuse...

M. Pierre Bitard, Conseiller du délégué général de l'ANRT. - Ce graphique est la simple mise en image d'une analyse contrefactuelle publiée dans le rapport du ministère de la Recherche sur le CIR.

M. Alain Quevreux. - C'est en tout cas un indicateur de résultat. Une chose est sûre, c'est qu'alors que l'industrie française, comparée au reste du monde, n'a pas progressé - c'est un euphémisme - ces quinze dernières années, la dépense intérieure en R&D des entreprises a augmenté, en partie aussi du fait de l'implantation d'entreprises internationales.

M. Pierre Bitard. - Le CIR a-t-il un effet sur l'industrialisation ? Ce que l'on ne peut nier, c'est qu'il prend en compte les dépenses de R&D, qui sont le fait, comme du reste partout ailleurs, d'entreprises industrielles. Nous n'avons guère d'autre moyen d'encourager les entreprises qui font de la recherche à continuer.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure. - Mais 40 % du CIR sont tout de même absorbés par des sociétés de service...

M. Denis Randet. - La frontière entre industrie et services n'est pas toujours nette. Surtout, il ne faut pas oublier que dans le terme R&D, le « D » compte beaucoup : c'est avec lui que l'on relocalisera des usines en France.

M. Francis Delattre, président. - Pour la souveraineté d'un pays, la localisation des centres de recherche et partant, de décision, est en effet essentiel.

M. Denis Randet. - Sans oublier, c'est très important, la production pilote.

M. Francis Delattre, président. - Je vous remercie de ces éclairages.

La réunion est levée à 17 h 25.