Jeudi 28 mai 2015

- Présidence de M. Philippe Bonnecarrère, président -

La réunion est ouverte à 10 h 10.

Audition de Mme Rozen Noguellou, Professeur de droit public à l'Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Notre rapporteur, Martial Bourquin, ne pourra pas assister à notre réunion. Nous sommes néanmoins très heureux de vous recevoir pour poursuivre nos travaux qui s'organisent en deux temps. Jusqu'à la mi-juin, nous nous concentrerons sur la transposition des trois directives du 26 février 2014, et en particulier des deux directives sur les marchés. Puis, jusqu'à fin septembre, nous élargirons notre réflexion en nous intéressant à l'accès des PME à la commande publique, cher à M. Bourquin, et à l'impact économique du droit de la commande publique.

Nous verrons ainsi si les idées toutes faites se vérifient : la commande publique coûte-t-elle plus cher que l'achat privé par les grandes entreprises et selon quels écarts ? Quel est le coût de la « démocratie » des marchés, c'est-à-dire des procédures de sécurisation pour garantir la transparence, l'accès de toutes les entreprises au marché ou la prévention de la corruption ? Nous ne souhaitons pas être trop techniques, ni réécrire le code des marchés publics. Notre approche est politique et économique. Est-il possible de faire plus simple et moins cher, en améliorant les conditions et les procédures d'achat public ? Est-il possible de faire mieux, en facilitant l'accès de nos PME à la commande publique ? Certains nous disent que c'est déjà fait grâce aux directives, tandis que d'autres affirment qu'il n'y aura jamais de Small Business Act à la française ou à l'européenne. Vous nous direz en toute liberté ce que vous en pensez.

Considérez-vous que notre pays a bien ou mal négocié ? Certains se réjouissent que nous ayons pu protéger le modèle français de la concession, d'autres s'inquiètent de ce que les Allemands aient préservé leur modèle sur l'eau. Les représentants de la sphère étatique nous disent que les directives contribuent - enfin - à la simplification, alors que des travaux récents d'universitaires suggèrent l'inverse, car en intégrant au droit des marchés publics des éléments relevant d'autres branches juridiques (droit de l'environnement, droit du travail, etc.) on génère de la complexité. Notre pays est atypique en Europe par le nombre des autorités susceptibles d'y passer des commandes publiques. Existe-t-il des moyens de davantage mutualiser les achats ? Si le groupement est l'avenir de la commande publique, comment le favoriser au niveau de l'État, des collectivités locales et des établissements publics ?

Mme Rozen Noguellou, professeur. - Je suis heureuse et honorée que vous receviez l'universitaire que je suis. Je serai en peine de répondre à certaines de vos questions, car nous manquons d'études analysant le coût financier de la commande publique. Il serait intéressant, par exemple, d'avoir une évaluation chiffrée des entreprises françaises qui réalisent des marchés publics et obtiennent des concessions à l'étranger, et inversement des entreprises européennes qui interviennent en France, afin de mesurer le coût public de ces procédures, en termes administratif et de contentieux et de vérifier que l'ouverture à la concurrence a bien été réalisée au niveau européen.

Le paysage des contrats de la commande publique est extrêmement complexe, en France. Les entités publiques, pouvoir adjudicateur, sont face à un vaste choix de modèles contractuels, chacun ayant son régime juridique spécifique. Il suffit qu'elles se trompent de régime juridique pour que les entreprises évincées de la procédure d'attribution engagent une procédure contentieuse et remettent en cause le contrat, même si ces derniers temps le juge administratif a cherché à sécuriser les contrats passés.

Notre modèle a toujours été caractérisé par une porosité entre le marché public de services et la délégation de service public, catégories auxquelles viennent s'ajouter les baux emphytéotiques administratifs (BEA) - très souvent utilisés pour réaliser des travaux au bénéfice de la collectivité publique - mais aussi les contrats de partenariat public-privé, les modèles qui reposent sur des autorisations d'occupation temporaire du domaine public, les baux emphytéotiques hospitaliers (BEH), les concessions d'aménagement, sans compter tous les contrats innommés qu'on ne sait pas classer, et que le juge qualifie éventuellement ex post. À cela s'ajoute l'absence de code unifié, car le code des marchés publics, ancien et uniquement réglementaire, est complété tantôt par le code général de la propriété des personnes publiques pour les baux emphytéotiques administratifs (BEA), tantôt par le code général des collectivités territoriales pour les conventions de délégation de services publics.

Dans un souci de simplification, le projet de transposition voudrait imposer le modèle européen, binaire, organisé autour des contrats de marchés publics d'une part et des concessions d'autre part.

Ce modèle englobe le code des marchés publics français mais également des entités qui n'entrent pas dans le champ des marchés publics français. Pour corriger ce déséquilibre, une ordonnance de 2005 a dû intégrer dans la définition des marchés publics français les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les personnes publiques sui generis qui n'y figuraient pas. En effet, au-delà de l'État et des collectivités infra-étatiques publiques, le droit européen vise aussi les organismes de droit public, c'est-à-dire ceux qui sont contrôlés d'un point de vue capitalistique ou qui sont soumis à un contrôle de gestion, plus lâche que le contrôle financier. Tout notre secteur parapublic entre dans cette catégorie, dès lors que l'entité a une activité autre qu'industrielle et commerciale - notion très large, qui englobe notamment la construction de logements.

Une autre différence porte sur la définition des marchés de travaux. Alors que le code des marchés publics impose que la personne publique assure la maîtrise d'ouvrage, il suffit, en droit de l'Union européenne, que l'ouvrage construit réponde aux besoins du pouvoir adjudicateur, et que ce pouvoir exerce une influence déterminante sur la construction de l'ouvrage, selon la nouvelle directive. Par conséquent, des contrats comme les baux emphytéotiques administratifs (BEA) étaient classés parmi les marchés publics de travaux en droit européen, mais pas en droit français, car la personne publique n'a pas la maîtrise d'ouvrage. La transposition des nouvelles directives unifie le champ en faisant disparaître la référence à la notion franco-française de maîtrise d'ouvrage. Elle remet en cause la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'oeuvre privée de 1985, qui encadrait de manière précise - et sans doute trop restrictive - la maîtrise d'ouvrage public.

Les concessions de services sont la grande nouveauté des directives de 2014, car aucune règlementation n'existait jusqu'alors en droit européen. Le juge européen s'était néanmoins saisi de la question en indiquant qu'en l'absence de directive spécifique, les principes généraux du Traité avaient vocation à s'appliquer pour les contrats de type concessifs, avec notamment une obligation générale de transparence et une publicité adaptée. En France, la loi Sapin de 1993 obligeait déjà les concessions de service public à respecter ce principe de publicité. La nouvelle directive exclut certains services, comme l'eau et l'assainissement, sans que l'objectif poursuivi soit très clair, ni avantageux pour nous. Si certains pays ont argué que l'eau était un bien trop important pour être délégué au secteur privé, il n'en reste pas moins que les opérateurs français sont performants dans ce secteur. La loi Sapin oblige à une mise en concurrence, mais pas l'Union européenne. Poursuivrons-nous dans la voie française en nous soumettant à des règles plus strictes ? D'un point de vue économique, je ne suis pas sûre que nous nous soyons très bien défendus.

La loi Sapin ne règlemente que les conventions de délégation de service public (DSP). En témoigne l'arrêt du Conseil d'État sur le contrat du stade Jean Bouin. La directive est beaucoup plus large, car elle s'intéresse aux concessions de services en général, c'est-à-dire à tout ce qui n'est ni travaux, ni fournitures. Faut-il conserver un double régime en France, avec la loi Sapin pour les délégations de service public, et la directive sur les concessions pour les prestations de services au bénéfice de la collectivité publique ?

Le seuil qui ouvre le champ des obligations européennes en matière de concessions est élevé, notamment pour les services, puisqu'il est fixé à environ 5 millions d'euros. Quant à la procédure de passation, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. Le régime des délégations de services publiques repose sur l'intuitu personae, notion à laquelle je ne crois pas beaucoup d'un point de vue juridique. En tout état de cause, la procédure impose que les critères de sélection des candidats soient précisés et que le juge administratif contrôle le choix opéré par la collectivité publique. La directive est très souple sur la procédure : obligation d'une publicité préalable, obligation de motivation une fois le choix opéré, obligation de préciser les critères du choix. Il n'y a là rien de révolutionnaire.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Nous avons été surpris par la validation dans les directives de l'approche du sourcing, selon laquelle pour acheter mieux, il est bon de connaître l'environnement économique dans lequel les opérations doivent se faire. C'est une révolution copernicienne pour nos gestionnaires publics qui s'interdisent de rencontrer les entrepreneurs ou les fournisseurs. Peut-on gérer les directives sans modifier les règles sur le favoritisme, ou bien nous heurterons-nous à une contradiction entre ce qu'autorisent les directives et ce que dit notre droit pénal ? Sans plaider pour l'irresponsabilité des élus, nous ne voudrions pas laisser cours à un jeu de massacre.

Mme Rozen Nogellou. - Le délit de favoritisme est défini de manière si large qu'on arrive parfois à des sanctions pénales peu justifiées. Il sera néanmoins difficile de redéfinir cette infraction. Dès lors qu'une simple erreur dans la procédure applicable peut dégénérer en une infraction pénale, la situation est compliquée. Le maître mot doit être de respecter l'égalité de traitement entre les candidats. C'est très théorique, certes, mais c'est essentiel. Avant de passer un contrat, on peut avoir besoin d'études préalables pour identifier les besoins, etc. Or, les entreprises n'ont pas toujours intérêt à réaliser ces études qui risquent de les bloquer ensuite pour l'attribution des travaux. C'est une source de difficulté. En France, le juge pénal peut paraître très rigoriste. Ce n'est pas le cas dans d'autres pays, comme la Grande Bretagne, où le référé précontractuel n'existe pas, ce qui simplifie la situation.

L'autre nouveauté des directives est d'imposer des règles sur la modification des contrats, ce qui ne manquera pas de donner lieu à des interprétations jurisprudentielles et à des contentieux supplémentaires. Le projet d'ordonnance se contente de reprendre les directives avec des règles ultra-précises sur les possibilités d'évolution en cours d'exécution des contrats, identiques pour les marchés publics et pour les concessions - alors que ces dernières sont prévues pour des durées bien plus longues. Le principe est que toute modification substantielle du contrat impose une nouvelle mise en concurrence et un nouveau contrat. Heureusement, nombre d'exceptions ont été prévues, dont la possibilité de prévoir des clauses d'évolution du contrat dans le contrat initial. Reste à voir comment le juge appréciera cela.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Cela revient-il à valider le système des tranches fermes et des tranches conditionnelles auquel nous sommes habitués ?

Mme Rozen Noguellou. - Oui, mais pas dans ce cas de figure, car on parle de l'évolution d'un contrat non inscrite dès l'origine, à la différence du système des tranches. On va donc plus loin. Ces questions bien que pointilleuses sont extrêmement importantes : peut-on ajouter de la durée ou non à un contrat ? Demander des prestations supplémentaires ou au contraire en retrancher ? La directive s'intéresse aussi à la résiliation des contrats par la collectivité publique - il y a eu des exemples très médiatisés en France - pour motif d'intérêt général ou pour faute, sans entrer néanmoins dans le détail des conséquences d'une telle résiliation, de sorte que chaque État peut conserver ses solutions propres.

Enfin, ces textes transposent les solutions jurisprudentielles en matière d'exclusion du champ d'application du droit des marchés et des concessions pour les contrats dits in house, passés avec des structures contrôlées par des collectivités publiques, et pour les contrats dits de coopération, passés entre personnes publiques. Sur ce point, les directives ont élargi la jurisprudence de la Cour de justice, sans doute sous l'influence de l'Allemagne. On a repris des exceptions importantes aux règles d'application du droit des marchés qui ont justifié en France la création des sociétés publiques locales. Si l'on s'en tient à la directive, certaines sociétés d'économie mixte qui étaient exclues du champ de l'in house pourront désormais y entrer.

Quant au nombre d'entités susceptibles de passer des commandes publiques, la situation singulière de la France est liée à ses 37 000 communes et aux nombreux établissements publics présents sur notre territoire. Les autres pays en ont beaucoup moins. La mutualisation de l'achat est une voie d'amélioration qui fonctionne bien pour les fournitures. Pour les travaux, mieux vaut préférer la mutualisation des équipements. Pour les services, la directive autorise des dérogations au champ d'application du marché public, dès lors qu'il y a coopération entre les pouvoirs adjudicateurs. Si une collectivité publique met sa station de chauffage urbain à la disposition d'une autre via un contrat de coopération, cela n'entrera pas dans le champ du marché public.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le contrat de coopération échappe au droit du marché public tel qu'il résulte de la directive. Une commune qui dispose d'une restauration scolaire pourra-t-elle en faire bénéficier d'autres écoles du secteur, par exemple un lycée ou un collège privé ?

Mme Rozen Noguellou. - Le contrat de coopération ne vaut qu'entre collectivités publiques, entre une commune et la région ou le département, par exemple. Il ne sera alors pas soumis aux règles du marché public. En revanche, si une collectivité vend une prestation à un opérateur privé, elle devient un opérateur sur le marché.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le modèle de l'in house s'applique-t-il à tous les établissements publics ? Historiquement, il n'était pas possible d'utiliser la cuisine centrale d'une collectivité locale pour alimenter un hôpital.

Mme Rozen Noguellou. - Le cas de l'in house vaut pour une coopération institutionnelle, et implique la création d'une structure. Si aucune structure n'est créée, il est possible de passer un contrat avec un pouvoir adjudicateur - un hôpital, par exemple - en vue d'une coopération. Les seules limites imposées sont les règles régissant les interventions économiques des collectivités locales, avec la notion d'intérêt public local.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - On compte en France 130 000 acheteurs publics, soit la moitié du contingent européen. Bien que la situation soit difficilement tenable, nous ne sommes pas en mesure de proposer une organisation administrative qui en limite le nombre. Disposons-nous des outils pour favoriser les groupements, notamment entre État et collectivités locales ? Comment développer la coopération et contourner l'incapacité de notre pays à se restructurer ?

Mme Rozen Noguellou. - Les possibilités d'achats groupés sont peu utilisées, sans doute à cause de notre tradition administrative : on n'a pas l'habitude de comparer les coûts.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - La directive n'introduit-elle pas une difficulté juridique ?

Mme Rozen Noguellou. - Au contraire. Les directives encouragent les mécanismes de mutualisation entre pouvoirs adjudicateurs. Nous avons les outils juridiques nécessaires pour réaliser des regroupements au niveau intercommunal ; nous n'en avons sans doute pas suffisamment aux niveaux départemental ou régional. Le problème tient aussi au nombre d'établissements publics en France.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Notre rapporteur, Martial Bourquin, n'aurait pas manqué de vous poser la question de l'accès aux PME. A-t-on suffisamment ouvert les marchés publics aux PME ou des progrès sont-ils encore possibles ? Devons-nous faire définitivement le deuil d'un Small Business Act ?

Mme Rozen Noguellou. - À la française, certainement. Au niveau européen, il faudra faire un choix politique et économique. Les règles sur l'allotissement favorisent les PME. Je reste néanmoins partagée, car les directives consacrent également la notion de marchés de partenariat, or les contrats globaux ne sont pas favorables aux PME.

Il y a une part d'hypocrisie dans les débats. On considère que le modèle « marchés publics » protègerait les PME, quand les contrats globaux et les partenariats public-privé seraient le mal absolu, la personne publique perdant la main et les PME ayant un accès difficile. Les chiffres de l'Observatoire économique de l'achat public montrent que la part des PME dans les marchés publics d'un certain montant est très réduite ; elles interviennent surtout comme sous-traitants, tant dans des marchés publics que des partenariats public-privé.

En général, les difficultés relèvent de la manière dont les contrats ont été rédigés ou négociés ; la personne publique ne se défend pas toujours très bien, et signe parfois n'importe quoi ! Faut-il incriminer le modèle juridique ? L'ordonnance de 2004 sur les contrats de partenariat instaure des types de contrats très compliqués, avec des clauses impératives. Peut-être aurait-il fallu ne pas prendre modèle sur le régime anglo-saxon. En France, on avait l'habitude des délégations de service public, qu'on appliquait correctement sans que la personne publique ne se sente flouée.

Les directives européennes édictent désormais des règles de protection des sous-traitants, ce qui est dans l'intérêt des PME. Quant à l'idée d'un Small Business Act à l'européenne, c'est un choix politique qui n'a pas été fait au niveau européen, et qui ne peut l'être en France.

M. Gérard César. - Dans quel délai les directives européennes doivent-elle être transposées ? La maîtrise d'ouvrage public dans les marchés de travaux est un problème, dites-vous ? Pourtant, celui qui commande paie, que ce soit le maire ou le président de l'intercommunalité. Enfin, les collectivités territoriales ont l'obligation de publier des annonces légales dans les journaux lors des consultations. Quel est votre avis sur les critères de jugement des offres - délais, prix, offre technique ? En général, on compte 50 ou 60 % pour le prix, l'offre technique et le délai viennent ensuite.

Mme Rozen Noguellou. - Les directives doivent être transposées avant le 18 avril 2016. Un projet d'ordonnance sur les marchés publics est attendu à l'été 2015. La transposition de la directive sur les concessions pose davantage de difficultés : si elle n'est pas transposée à temps, la directive deviendra immédiatement applicable avec un effet direct car elle est suffisamment précise. Mais le gouvernement dit réfléchir à l'organisation générale des contrats de concessions et préparer une transposition.

Ce n'est pas la maîtrise d'ouvrage publique qui pose problème, mais la différence entre la définition de la notion de marchés de travaux publics proposée par le Code des marchés publics, qui repose sur la maîtrise d'ouvrage publique, et la définition européenne, plus large, pour laquelle tout contrat de réalisation de travaux publics est un marché public.

De nombreux BEA pour des marchés de travaux ont été signés avant la loi de 1988 sans formalité préalable. Or les collectivités ignorent souvent que ces contrats entrent dans le champ des marchés de travaux publics au sens de l'Union européenne, et qu'elles ont souvent dépassé les seuils... La nécessité de modifier la loi MOP, qui a limité les dérives, aura des incidences qui n'ont, à mon sens, pas été perçues.

Pour les marchés publics, les critères de choix public doivent être hiérarchisés et pondérés, cela ne change pas. En revanche, la directive prévoit que la passation des concessions de travaux ou de services doit donner lieu à information sur les critères de choix, mais n'impose pas de hiérarchisation ou de pondération. Si la collectivité souhaite néanmoins apporter ces précisions, elle devra veiller à les respecter, car le juge contrôlera le contrat à l'aune des critères affichés. Il faut donc bien prendre la mesure de cette contrainte.

La directive sur les concessions pose comme principe que le choix de l'opérateur doit dépendre de l'avantage économique global pour le pouvoir adjudicateur, ce qui comprend des critères économiques mais aussi sociaux ou environnementaux.

M. François Bonhomme. - Vous évoquiez l'Observatoire économique de l'achat public. La loi Sapin de 1993 a-t-elle permis à l'acheteur public de faire des économies sur la longue durée ? Peut-on les quantifier ?

Quelles sont les suites de l'arrêt Tropic élargissant les possibilités de contestation de la validité du contrat ?

Mme Rozen Noguellou. - Je déplore que nous n'ayons pas de chiffres disponibles sur les gains réalisés grâce aux procédures, très contraignantes, de marchés publics et de concession. Elles ont certes eu comme avantage de prévenir la corruption, mais, en termes économiques, nous manquons d'informations sur le nombre d'entreprises françaises qui obtiennent des marchés publics ou des concessions à l'étranger, et inversement.

L'Observatoire économique de l'achat public fournit des données sur l'évolution, parfois inquiétante, des dépenses, notamment celles des régions, sur l'accès des PME aux marchés publics et sur le pourcentage de marchés comportant des clauses sociales ou environnementales.

L'arrêt Tropic est dépassé depuis l'arrêt Tarn-et-Garonne : la jurisprudence a complètement revu le paysage contractuel. Le contentieux est potentiellement plus ouvert puisqu'on peut attaquer directement le contrat, mais les conséquences que le juge tire de ces contentieux sont désormais très réduites, pour éviter une remise en cause rétroactive des contrats. L'arrêt Tarn-et-Garonne réduit l'accès au juge pour le requérant, non pour le candidat évincé. Le contrat peut alors être soit résilié, soit poursuivi, avec compensation. La même tendance s'observe dans le secteur de l'urbanisme : on cherche à éviter la remise en cause des situations acquises. Même si le requérant peut attaquer plus facilement, les suites du recours étant moins assurées, il y aura moins de contentieux.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le contentieux des marchés publics est un vrai traumatisme pour les élus locaux. Leur nombre parait pourtant relativement faible. Dispose-t-on de chiffres ?

M. François Bonhomme. - Des statistiques sur les sanctions pénales devraient être disponibles.

Mme Rozen Noguellou. - Effectivement, le traumatisme tient surtout aux sanctions pénales. Le juge administratif a fermé encore plus la porte du référé précontractuel, qui bloquait toute la procédure. Avec l'arrêt Smirgeomes de 2008, ce contentieux est désormais plus difficile à mettre en oeuvre, au grand dam des avocats qui se sont spécialisés dans ce domaine...

La difficulté tient à ce qu'à ce contentieux est associé un risque pénal. Dès lors qu'il s'est trompé dans la procédure, même en toute bonne foi, l'élu tombe sous le coup d'infractions pénales très larges.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Surtout avec les dernières directives.

Mme Rozen Noguellou. - Elles changent peu de choses mais simplifient tout de même les catégories de contrats et les régimes applicables.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Merci pour votre intervention. Vous pourrez nous remettre, si vous souhaitez compléter vos propos, une contribution écrite.

Audition de M. Antony Taillefait, professeur de droit et de finances publics à l'université d'Angers

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Cette mission commune d'information a pour but d'étudier les améliorations possibles à apporter aux procédures de commande publique, selon trois critères : faire plus simple et voir s'il existe un « réservoir » de simplification ; faire moins cher, et évaluer le coût éventuel de la procédure démocratique qui garantit le libre accès, la transparence, la lutte contre la corruption, par rapport aux pratiques d'achat des entreprises privées ; améliorer l'accès aux PME, préoccupation particulière de notre rapporteur Martial Bourquin.

Notre approche n'est pas uniquement juridique - loin de nous l'ambition de réécrire les textes - mais plutôt politique et économique. Nous disposons d'une fenêtre de tir jusqu'au 15 juin pour faire des propositions au gouvernement sur les projets de transposition des directives sur les marchés publics ; nous pourrons ensuite élargir la réflexion jusqu'à fin septembre, notamment sur le sujet des concessions.

Vous pouvez vous exprimer en toute liberté et émettre toute proposition qui vous paraitrait pertinente, par exemple sur d'autres formes d'achat public liés à l'innovation. Y a-t-il eu des occasions ratées ? Quels sont les freins en matière de groupements d'achat et de mutualisation ? Comment améliorer notre efficacité, sachant que notre pays compte 130 000 entités adjudicatrices, soit la moitié du total de l'Union européenne ?

M. Antony Taillefait, professeur de droit et de finances publics à l'université d'Angers. - Le droit des contrats publics ne concerne pas seulement les commandes publiques et va enfler avec la transposition des deux directives sur les secteurs classique et spéciaux. C'est une matière technique, dont les règles évoluent rapidement ; ces modifications sont parfois considérées comme des détails, alors qu'elles ont un effet d'onde, qui désoriente le citoyen ou les élus. J'étais récemment à l'université autonome de Barcelone pour un séminaire sur les conventions d'occupation du domaine public, dont certaines vont basculer dans le champ de la commande publique avec la transposition des directives : nos collègues européens sont eux aussi préoccupés.

Les deux directives Marchés comportent des adaptations techniques intéressantes. Elles multiplient les objectifs assignés à l'achat public et oblige à les concilier, ce qui introduit un assouplissement dans l'interprétation et la mise en oeuvre des textes. Ces transformations auront sans doute un effet d'onde sur le droit des contrats publics. À la différence de certains de mes collègues, j'estime que la transposition des directives ne devrait pas remettre en cause notre classification des contrats publics. Nous n'avons pas besoin de faire exploser notre droit des contrats publics en faisant un copier-coller du droit européen.

Les directives apportent de nombreuses adaptations techniques sur les règles de passation ou d'exécution des marchés publics, qui seront facilement intégrées en droit interne. Parmi les innovations intéressantes, citons la procédure concurrentielle avec négociation pour la passation des marchés publics, avec une amélioration du cahier des charges en cours de sélection des candidats et des effets sur les prix, ce qui répond à vos préoccupations. Des innovations sont aussi possibles en matière de dématérialisation.

L'exécution du régime des avenants est améliorée sans grand changement mais la question des cessions de contrats, auparavant plutôt maîtrisée par notre jurisprudence, le sera à l'avenir par les textes communautaires.

La directive brasse généreusement une mixité d'objectifs et de principes de l'achat public. Alors que la législation européenne visait précédemment essentiellement l'ouverture du marché intérieur, assurée par le principe de concurrence, la directive marchés « secteurs classiques » place les objectifs environnementaux et sociétaux et la bonne utilisation des deniers publics au même niveau. Ainsi, la conciliation rogne la portée des principes de publicité et de transparence, et la liberté de gestion des autorités publiques est réaffirmée solennellement par le droit européen. Le préambule de la directive admet l'existence de traditions nationales en matière de marchés publics, de pratiques et d'expériences propres. Bref, en forçant un peu le trait, on dira que la technique des achats publics n'est plus totalement saisie par un ensemble de règles d'inspiration communautaire, et qu'il est possible d'adapter les pratiques.

Les règles européennes concilient des objectifs de niveau comparable. Les nouvelles directives allègent les seuils pour les services sociaux ou spéciaux, et permettent de réserver des marchés à des organisations chargées d'un service public, tout en les encadrant, avec une place dérogatoire pour la négociation dans le cahier des charges des marchés publics. Dans la même veine, lorsqu'il est nécessaire de procéder à une modification substantielle du contenu du marché en cours d'exécution, il fallait précédemment refaire le marché, avec appel public à concurrence. Avec la directive « secteurs classique », la modification substantielle l'est moins qu'auparavant, ce qui devrait permettre d'adapter le cahier des charges.

On avance donc. Il faudra sans doute aller plus loin. J'ai le sentiment que les rédacteurs des directives se défient moins des autorités publiques et administratives qu'auparavant. Ils admettent que le pouvoir adjudicateur peut, même après un appel public à concurrence, améliorer le document pour améliorer l'exécution du contrat, voire le prix. La conciliation des objectifs de l'achat public alimentera les travaux des praticiens et de la jurisprudence, ce qui aura une incidence sur la passation des marchés publics.

Difficile de mesurer l'efficacité de la législation européenne car seul un faible pourcentage des marchés publics nationaux est attribué à des entreprises d'autres États-membres : selon un rapport de la Commission européenne de 2011, les marchés transfrontaliers directs représentent 1,6 % des attributions de marchés dans toute l'Union, en volume financier et en nombre d'entreprises.

La transposition des directives ne devrait pas, à mon sens, remettre en cause les catégories de contrats publics. Le droit interne est devenu un droit des contrats publics spéciaux. Ceux-ci sont complexes et difficiles à distinguer les uns des autres - on est loin d'une classification à la Buffon ! Cela ne me gêne pas car les différentes catégories se recouvrent en partie ; dans le secteur privé, le droit civil et le droit commercial offrent également toute une palette de contrats et d'outils. Les techniques du privé ont été transposées dans le public avec l'adjonction de normes de droit public pour concilier intérêt général et efficacité économique.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Y a-t-il convergence entre les procédures d'achat public et d'achat privé ?

M. Antony Taillefait. - Sans ambages, oui. La sophistication est comparable même si des sujétions supplémentaires s'appliquent aux contrats publics. Le secteur privé a davantage développé l'analyse économique du droit, l'évaluation de l'efficacité et le chiffrage des procédures en cours, qui restent à inventer pour l'achat public. Nous pourrions nous inspirer de l'exemple anglo-saxon, où l'achat public se voit assigner des objectifs en matière de célérité de la procédure, de multiplicité de phases, de conditions d'exécution et de modification du contrat, tout cela ayant un coût. L'analyse économique est une information parmi d'autres, qui permet le chiffrage. Un économiste américain a ainsi élaboré des grilles d'analyse et de chiffrage du contrat, ce qui n'a pas été fait en France où l'approche est exclusivement juridique et protectrice, et non économique et managériale. Nous ne sommes pas plus en retard que l'Italie ou l'Espagne, mais devons former des spécialistes ayant une approche d'économiste du coût des marchés publics.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Dans le classement annuel des systèmes juridiques, le système français est jugé peu efficace. Le droit de la commande publique est-il un élément en faveur du droit anglo-saxon dans la compétition juridique ?

M. Antony Taillefait. - La comparaison des systèmes ne me semble pas appropriée car même si objectif poursuivi est le même, la place des collectivités publiques, les procédures et la notion d'intérêt général sont différents. Cela ne nous empêche pas de regarder les méthodes de nos voisins et d'engranger des informations. Plutôt qu'une compétition des droits, j'observe plutôt un syncrétisme ; sinon une hybridation, du moins une convergence : des travaux de juristes américains montrent comment notre droit des contrats les aide à améliorer la connaissance de la concurrence et à sauvegarder un certain nombre d'intérêts essentiels qu'ils appellent le bien commun.

Quels sont les différents types de contrats de partenariat existants ? Le partenariat public-privé (PPP) est le financement privé d'un équipement public, avec une maîtrise d'ouvrage privée à la naissance ou durant l'existence de l'équipement, voire une propriété privée. En France, les PPP sont considérés comme des formules contractuelles. Pourquoi avoir laissé subsister des contrats de PPP dits sectoriels après l'ordonnance de 2005 ? Ces contrats sectoriels sont en réalité des contrats inspirés du droit civil, des locations avec option d'achat, des marchés publics globaux, des baux emphytéotiques qui peuvent toujours perdurer. La question n'est pas tant la diversité des techniques contractuelles que les raisons du recours à ce type de contrats. Faut-il ajouter des conditions à ces contrats de PPP sectoriels ? La réponse est oui.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Quels outils nouveaux nous offre la transposition des directive, notamment avec les partenariats d'innovation ? Est-ce intéressant pour les acheteurs publics français ?

M. Antony Taillefait. - Les partenariats d'innovation sont une nouveauté. Ils ressemblent aux anciens marchés de définition. Sont prévues des phases successives, assez longues. De quel type d'innovation parle-t-on ? Il faudra une approche au cas par cas, en fonction des partenaires privés, de la recherche publique et de la recherche-développement, mais la question est surtout économique. Les partenariats d'innovation sont sans doute un bon instrument - si la recherche-développement retrouve du dynamisme. Toutefois, c'est surtout le besoin qui doit susciter l'instrument.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Historiquement, la France gère difficilement l'achat de services complexes - souvenez-vous du système informatique Louvois du ministère de la Défense, véritable catastrophe financière et humaine. Pourquoi de tels échecs de la commande publique dans notre pays ?

M. Antony Taillefait. - Le droit des contrats publics n'implique pas, dans le détail et au quotidien, une uniformisation des pratiques. Le service n'est jamais absolument identique aux quatre coins du pays car les besoins et l'urgence varient. Au quotidien, le praticien cherche des assouplissements dans les instruments qui lui sont prescrits. Plutôt qu'une approche uniformisante, mieux vaut laisser des marges d'appréciation et de formalisation au plus près de l'achat, ce qui de fait est le cas.

Comme élu local, je suis préoccupé par l'accès des PME à la commande publique, et je sais combien il est difficile d'expliquer à un chef d'entreprise local pourquoi il n'a pas été retenu. Toutefois, une politique préférentielle de type Small Business Act est incompatible avec les obligations résultant de l'accord international sur les marchés publics conclu dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Si un régime particulier existe aux États-Unis, c'est qu'ils ont émis des réserves sur l'application de l'accord international, à la différence de l'Union européenne. L'Europe - et notamment l'Allemagne - hésite à émettre des réserves aux accords internationaux, à la différence des pays d'Amérique, ce qui explique que nous avancions très lentement.

En droit interne, l'allotissement est obligatoire pour améliorer l'accès des PME aux marchés publics, avec deux exceptions : en cas de marché de conception-réalisation ou de performance énergétique.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Est-ce une exception française ?

M. Antony Taillefait. - Oui, cela relève d'un choix français. Autre exception : lorsque le recours à l'allotissement a un effet potentiellement anti-concurrentiel, mais la jurisprudence n'est pas très claire sur ce critère d'évitement, qui mériterait d'être approfondi.

J'ai également exploré la piste des délais de paiement, qui sont souvent une manière de demander aux PME de faire des avances de trésorerie aux collectivités publiques.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - N'est-ce pas un lieu commun ? Les délais ont été fortement réduits...

M. Antony Taillefait. - Oui, le régime a beaucoup évolué. Le problème n'est pas tant le respect global du délai que l'appréciation de son point de départ, qui peut créer des délais masqués. Une collectivité peut prétexter une prestation incomplète pour ergoter sur la date de départ, ce qui sollicite la trésorerie de l'entreprise.

Il faudrait également revisiter la règle dite du service fait : pour certains marchés de fournitures, lorsque la facture définitive est envoyée à la collectivité, elle devrait être immédiatement réglée, à charge pour la collectivité de la contester ensuite pour récupérer d'éventuels indus.

L'article 14 de la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises a enfoncé un coin dans le droit public financier en autorisant les collectivités publiques à écarter le recours au comptable public pour recouvrer certaines recettes ou engager certaines dépenses publiques, lorsque cela est prévu dans un contrat public.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - En quoi est-ce un gain de compétitivité pour la collectivité ?

M. Antony Taillefait. - Cela permet d'accélérer l'exécution du contrat et le recouvrement de recettes publiques. D'où un gain en trésorerie. Je parle en tant qu'ancien comptable du Trésor...

M. Philippe Bonnecarrère, président. - La question du point de départ des délais relève-t-elle du droit français ou européen ?

M. Antony Taillefait. - La directive ne contient aucune norme nouvelle sur le sujet, qui reste à explorer.

J'ai présenté globalement le contentieux contractuel de la commande publique, mais la France a une position originale par rapport aux autres États de l'Union Européenne en raison de la multiplicité des juges compétents : le juge administratif, le juge judiciaire, le juge pénal, le juge de la concurrence, le juge communautaire, le juge constitutionnel peuvent être saisis selon les cas, et les voies de recours sont abondantes, notamment pour les tiers, à la différence du droit allemand. Il existe donc des marges de simplification.

L'office du juge administratif a fait évoluer le droit des contrats en se fondant sur la loyauté des relations contractuelles pour améliorer la stabilité des contrats, mais est-ce source d'économie des deniers publics ? Je ne sais.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Les élus ont le sentiment que le contentieux a explosé. Il y a eu des exemples marquants, mais en réalité, ces contentieux restent assez marginaux. Personnellement, je n'ai pas vécu de nombreux recours, et n'en ai jamais perdu.

M. Antony Taillefait. - Les professeurs de droit public ne sont peut-être pas étrangers à cette focalisation sur les contentieux...

Le droit administratif prend ses racines dans le droit des contrats administratifs qui s'est développé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Aujourd'hui, le Conseil d'État nous invite à imaginer une nouvelle théorie du contrat.

Il y a effectivement peu de recours. D'après une étude thématique, le Conseil d'État n'avait jugé en 2013 que 333 affaires relatives aux contrats publics, représentant seulement 3,4 % des contentieux. Cette proportion ne dépasse pas 3 % aux autres niveaux de la juridiction administrative, et est encore moindre pour ce qui est du volume financier, s'agissant souvent de petits contrats.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Le droit pénal français en matière de favoritisme, qui omet le caractère intentionnel, est-il exceptionnellement sévère ? La directive européenne conduit à légitimer le sourcing : l'acheteur public a presque le devoir de faire le tour les entreprises, d'avoir un contact avec le monde économique. Pour les élus, c'est traumatisant : on leur a appris à changer de trottoir à la simple vue d'un chef d'entreprise ! Est-il opportun, nécessaire, de modifier le droit pénal sur ce point ? Peut-on faire du sourcing sans tomber sous le coup du délit de favoritisme ? Nous devons y réfléchir à deux fois.

M. Antony Taillefait. - Vous avez déployé tout le raisonnement, monsieur le président ! Les principes du code pénal pour le délit de favoritisme  peuvent évoluer ; en Allemagne, les conditions sont moins strictes. Il conviendrait surtout de définir davantage ce qu'on entend par éléments non intentionnels et de fixer dans la loi des critères juridiques au lieu de laisser la jurisprudence dire la règle. Des propositions ont déjà été faites en ce sens, la difficulté est ailleurs. J'ai fait des propositions complémentaires plus techniques dans le document que je vous remettrai.

M. Georges Labazée. - Seuls 1,6 % de marchés font intervenir des entreprises d'autres États membres, dites-vous ; il s'agit bien uniquement de marchés publics ?

M. Antony Taillefait. - Je vous le confirme.

M. Georges Labazée. - Dans mon département, frontalier de l'Espagne, des entreprises espagnoles de BTP viennent, en toute légalité, prendre jusqu'à 25 % des marchés privés, notamment dans le secteur du logement.

M. Antony Taillefait. - Je comparais la sophistication de la législation communautaire par rapport à son objectif d'ouverture des marchés.

M. François Bonhomme. - En tant que praticien et élu local ...

M. Antony Taillefait. - Humble conseiller municipal et communautaire !

M. François Bonhomme. - ... vous sentez la double opposition entre le respect de la mise en concurrence et la pédagogie nécessaire envers les opérateurs économiques qui comprennent difficilement les contraintes auxquelles ils sont soumis alors que la collectivité territoriale en tire un bénéfice certain. On atteint la schizophrénie !

M. Antony Taillefait. - Je rappelle périodiquement aux entreprises locales que l'on ne peut pas comparer les marchés publics aux marchés privés : les objectifs et les sujétions sont différents. Le degré de sophistication est lié à la mise en forme juridique du respect de la concurrence. Cette approche presque religieuse de la concurrence ne laissait la place à aucun autre type d'objectif. La bonne gestion des deniers publics, le respect des traditions locales sont importants. Un certain nombre de contrats nécessiteraient des adaptations, davantage d'espace juridique. On ne peut pas aller jusqu'à régler la manière dont il faut saluer un chef d'entreprise. L'analyse doit se faire catégorie par catégorie de contrats.

M. Philippe Bonnecarrère, président. - Merci de nous avoir éclairés tant par votre expérience de terrain que par votre réflexion théorique. Vous nous avez ouvert des pistes opérationnelles et chiffrées. Nous retiendrons que les évolutions en cours sont de nature à diminuer la défiance vis-à-vis des autorités publiques. Après la période noire des années 1980 et 1990, on observe un effet de balancier, et on nous reproche aujourd'hui un manque de souplesse vis-à-vis des entreprises. Vous nous proposez de passer de la défiance à la confiance tant pour les pouvoirs adjudicateurs que pour les entreprises. C'est ainsi que nous consoliderons la maison France. Soyez remercié pour ce fil conducteur que vous nous livrez : un système de commande publique fonctionnant dans un climat de confiance.

La réunion est close à 12 h 25.