Mardi 7 juillet 2015

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente.

La réunion est ouverte à 15 heures 30.

Audition de M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous entendons aujourd'hui M. Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA). Créé par la loi du 17 janvier 1989, le CSA a pour mission de garantir la liberté de communication audiovisuelle en France. La loi du 30 septembre 1986, modifiée à de nombreuses reprises, lui confie de larges responsabilités. L'article 1er de la loi du 15 novembre 2013 a modifié le statut du Conseil en lui conférant la qualité d'autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale. Cette même loi a aussi largement renforcé les compétences du CSA, qui a notamment retrouvé son pouvoir de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel était dirigé par un collège composé de neuf membres nommés par décret du Président de la République, mais la loi du 15 novembre 2013 a prévu de réduire progressivement ce collège à sept membres, dont trois désignés par le Président de l'Assemblée nationale et trois par le président du Sénat. Les membres du collège sont désignés en raison de leurs compétences en matière économique, juridique ou technique ou de leur expérience professionnelle dans le domaine de la communication, notamment dans le secteur audiovisuel ou des communications électroniques, après avis conforme des commissions permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat en charge des affaires culturelles statuant à bulletin secret à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Actuellement le collège est composé de huit membres. Le président est nommé par le Président de la République pour la durée de ses fonctions de membre du Conseil. En cas d'empêchement du président, pour quelque cause que ce soit, la présidence est assurée par le doyen d'âge.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Schrameck prête serment.

M. Olivier Schrameck, président du CSA. - Vous avez rappelé l'historique du CSA. Il est constitutif. Le choix de créer une autorité indépendante, devenue, ainsi que vous l'avez rappelé, autorité publique indépendante, fait suite à l'ouverture des fréquences audiovisuelles et radiophoniques, au début des années 1980. Il avait alors été jugé que la protection des valeurs de droit et la promotion du secteur justifiaient, tant au plan juridique que social et économique, qu'une institution s'intercale entre les pouvoirs publics exécutifs et l'autorité législative qu'est le Parlement. Ce choix, qui n'a jamais été démenti, se situe dans la tradition européenne. Dans le droit de l'Union européenne, elle répond à l'exigence d'indépendance des médias et de la production audiovisuelle, qui irrigue l'ensemble de la directive sur les services de média audiovisuels (SMA), et à laquelle il est explicitement fait référence dans le considérant 94 et l'article 30. Une organisation des régulateurs européens a en outre été créée l'an dernier, l'ERGA (European Regulators Group for Audiovisual Media Services), dont le premier acte a consisté en une déclaration d'octobre 2014 qui met l'accent sur les critères garantissant l'indépendance de ces autorités - choix hors des pressions politiques, indépendance économique, autonomie financière, capacité à régler des différends sous le contrôle du juge.

La première fonction du CSA est de garantir les droits et libertés des citoyens que sont les téléspectateurs et auditeurs face aux pouvoirs publics exécutifs et aux groupes de pression, en particulier économiques. Il lui revient également de garantir la sauvegarde et l'équilibre économiques d'un secteur sensible, où l'État est partie prenante à la fois comme autorité normative et comme opérateur économique de marché.

Les principes susceptibles de limiter la liberté de communication audiovisuelle, qui reste la règle, sont énumérés à l'article 1er et, pour ce qui concerne plus spécifiquement le CSA, à l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986. Parmi eux, le principe de dignité humaine ou la sauvegarde de l'ordre public - nous en avons vu une illustration, qui fut au reste contestée, avec les attentats qui ont endeuillé notre pays en janvier dernier.

D'autres missions nous sont également confiées, comme la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité, certaines s'étendant à des objectifs sociaux, comme la promotion de la santé publique ou le développement durable.

Surtout, le CSA est chargé de veiller au pluralisme des médias. C'est là une mission essentielle, que nous exerçons par l'édiction de recommandations, par le contrôle des chaines et des stations, dont nous informons mensuellement le Parlement, et par la réglementation des campagnes officielles sur le service public.

En matière économique, la forte présence de l'État tient au fait que le réseau hertzien appartient au domaine public de l'État. J'ajoute que l'économie de l'audiovisuel est encore très réglementée, notamment dans le cadre de l'exception culturelle, ce qui donne lieu à régulation, laquelle s'exerce soit unilatéralement soit par le biais de conventions avec les chaines et stations. Ajoutons qu'un opérateur puissant sur le marché a pour seul actionnaire l'État : le service public de l'audiovisuel, qui fait partie des acteurs régulés par le Conseil.

Dans sa décision du 27 juillet 2000, le Conseil constitutionnel rappelait que l'objectif à réaliser consiste à s'assurer que les auditeurs et téléspectateurs, destinataires essentiels de la liberté de communication audiovisuelle, soient à même d'exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leur propre décision, ni que l'on puisse en faire les objets d'un marché. Il en résulte toute une série de compétences économiques, qui tiennent à la régulation de l'accès au marché - autorisation des services hertziens, conventionnement des services non-hertziens, déclarations préalables des distributeurs et des services de médias audiovisuels à la demande (SMAD) - ou à la régulation du fonctionnement - contrôle de la concentration, de l'évolution des programmes, des changements de modèle économique entre payant et gratuit, résolution des litiges.

En matière de gouvernance de l'audiovisuel public, outre la compétence de nomination que vous avez rappelée, nous exerçons une compétence consultative sur le cahier des charges et les contrats d'objectifs et de moyens, à quoi s'ajoute, en vertu de la loi du 15 novembre 2013, une compétence de contrôle et d'évaluation du respect de ces instruments contractuels.

Pour cela, nous sommes soumis, j'y insiste, à un certain nombre de règles de procédure essentielles : consultation des intéressés, via des auditions, en général publiques ; études d'impact, qui se sont multipliées en vertu de la législation de 2013 ; principe de la mise en demeure préalable à l'engagement de toute procédure de sanction, affirmé par le Conseil constitutionnel dès 1989 ; exigence de motivation de toutes nos décisions et, comme il va de soi, contrôle du juge. La procédure disciplinaire a été modifiée en 2013, pour être parfaitement conforme aux jurisprudences constitutionnelle et conventionnelle, par la nomination d'un rapporteur indépendant désigné par le vice-président du Conseil d'État.

En matière d'organisation, vous avez rappelé l'essentiel. Je ne reviens donc pas sur le nombre des conseillers et les conditions requises par la législation. J'indique tout de même que l'implication du Parlement, qui nomme six membres sur sept à la majorité des trois cinquièmes, marque un lien structurel profond avec le pouvoir législatif sans équivalent dans d'autres autorités administratives indépendantes. Le collège est paritaire dans sa composition. Il compte deux juristes ayant l'expérience des affaires publiques, trois professionnels des médias, deux économistes et ingénieurs et un ancien sénateur, Nicolas About, qui fut président de la commission des affaires sociales du Sénat.

Les fonctions de membre du CSA s'exercent à temps plein ; les conseillers sont fortement mobilisés, chacun assurant la présidence ou la vice-présidence de groupes de travail qui, même si un effort de réduction a été consenti en janvier dernier, restent au nombre de dix-neuf, pour couvrir l'éventail des missions du Conseil.

Nous sommes soumis à un triple encadrement déontologique. Des dispositions législatives spécifiques de la loi de 1986 nous interdisent d'exercer dans six secteurs - l'audiovisuel, le cinéma, l'édition, la presse, la publicité et l'ensemble des communications électroniques - non seulement pour la durée de notre mandat mais un an au-delà. À quoi s'ajoute la réglementation relative aux conflits d'intérêt, l'ensemble des dispositions législatives applicables aux autorités administratives indépendantes en vertu de la loi du 11 octobre 2013 et un code de déontologie élaboré par le CSA lui-même. Quant aux collaborateurs, ils font l'objet d'une recommandation de 2008. Représentant 284 équivalent temps plein (ETP), ils sont en majorité hébergés dans la tour Mirabeau, avec d'autres services administratifs - ministère du travail, Inspection générale des affaires sociales, Bureau de recherches géologiques et minières - les autres étant en poste dans nos implantations territoriales, qui revêtent pour nous une très grande importance - 12 comités territoriaux de l'audiovisuel (CTA) en métropole et quatre outre-mer. Nous veillons là aussi à une mutualisation de nos locaux, dans une optique d'économie. Nathalie Morin, chef du service France Domaine, a évoqué, lors de son audition, cet aspect domanial.

En tant qu'autorité administrative indépendante, nous percevons une subvention de l'État sous un titre unique. Nos dépenses de fonctionnement ont diminué de 13 % depuis 2013. Nos dépenses de personnel ont également baissé, bien que nos missions aient été assez considérablement élargies, notamment par la loi de 2013.

Nous sommes attachés à entretenir un dialogue étroit avec les pouvoirs publics exécutifs. Nous avons ainsi des échanges très denses sur l'audiovisuel public ou le régime de financement de la production audiovisuelle. Nous avons également de nombreux liens avec d'autres autorités administratives indépendantes, notamment l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) ou l'Autorité de la concurrence, via des demandes d'avis croisés. Mais cette audition est une occasion précieuse de rappeler que le lien essentiel reste le lien avec le Parlement - qui fixe, depuis la révision de 2008, les règles relatives au pluralisme et à l'indépendance des médias - afin d'honorer au mieux les missions que celui-ci nous a fait la confiance de nous confier. J'ai souligné, dès avant ma nomination, combien je comptais sur les relations avec le Parlement pour orienter et accompagner, en la contrôlant, la démarche du CSA. Cette relation avec le législateur, qui joue aussi le rôle d'évaluateur, est indispensable à la légitimité même du CSA. Ceci s'exprime par de nombreux rapports au Parlement : le rapport annuel, considérablement enrichi par la loi de 2013, qui constitue une évaluation ex post de l'activité du Conseil, mais aussi de nombreux rapports à l'initiative du CSA - sur la promotion de la diversité de la société française, sur l'intensité sonore des programmes de télévision, par exemple. La pratique du CSA consiste également à établir de façon systématique un bilan public de l'application de sa réglementation sur les campagnes électorales - nous vous adresserons prochainement celui qui concerne les échéances de l'an dernier. Nous avons également consacré un rapport à la situation des personnes handicapées. Deux autres, enfin, vous ont été adressés en début d'année, l'un sur la concentration dans le secteur de la radio et l'autre sur la radio numérique terrestre. J'ajoute que vous m'offrez l'occasion de me présenter fréquemment devant vous puisque cette audition est la onzième à laquelle le Parlement me convie depuis le début de l'année.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'espère que ce onzième rendez-vous ne sera pas trop répétitif.

M. Olivier Schrameck. - Je ne l'escompte pas.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je vois que nous nous comprenons.

Vous faites partie des grands serviteurs de l'État - l'une des épines dorsales de notre République. Vous êtes doté d'une longue expérience, du Conseil d'État, du Conseil constitutionnel, des affaires étrangères, du Gouvernement. Quel est votre avis sur la multiplication des autorités administratives indépendantes ?

M. Olivier Schrameck. - Dans beaucoup de cas, elles sont nées comme la prose dans la bouche de Monsieur Jourdain. On a fait des autorités administratives indépendantes sans le savoir - et sans nécessairement le vouloir. Au reste, les premiers rapports du Conseil d'État sur la question se donnaient pour but de dénombrer ces autorités. Car si certaines ont été créées volontairement par la loi, ou par le pouvoir réglementaire, d'autres l'ont été par la pratique : un certain nombre de trait caractéristiques agrégés ont fait que l'on a considéré que telle ou telle institution entrait dans cette catégorie, sans que cela ait été le fruit d'un plan délibéré et d'une réflexion préalable sur le rôle qu'elles devaient jouer : distance par rapport au pouvoir exécutif, dans des domaines essentiels pour les droits et libertés ou dans des domaines où l'État jouait un rôle tel dans la sphère économique qu'une autorité de régulation était nécessaire au respect des équilibres économiques. Car tels sont bien les deux critères essentiels qui peuvent justifier l'existence d'une autorité administrative indépendante. Or, le foisonnement de ces AAI - il en existe une quarantaine - témoigne à lui seul d'un écart à cette aspiration fondamentale. J'ai eu l'occasion, comme membre de la commission Balladur, de me pencher sur ces questions. Nous nous étions alors beaucoup interrogés sur l'opportunité d'en fusionner certaines, et notre réflexion d'alors n'est pas étrangère à la création du Défenseur des droits, tandis qu'à l'inverse, le Conseil du pluralisme qui avait alors été envisagé est resté sans lendemain.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela n'est pas vraiment le cas du CSA, mais la composition des autorités administratives indépendantes est marquée, disent certains, par la consanguinité. Le mot est sans doute trop fort, mais disons que leur composition, qui puise beaucoup aux grands corps de l'État, est assez homogène. Après vote du Parlement, il est vrai, assumons-le. Mais en restant ainsi entre soi, ne risque-t-on pas de tourner en rond ? D'autant que les liens se multiplient entre certaines de ces autorités, appelées à collaborer en vertu de dispositions législatives ou par simple bon sens.

M. Olivier Schrameck. - Ainsi que vous l'avez relevé, c'est un reproche qui ne peut être fait au CSA, dont les membres viennent d'horizons très divers.

Ces institutions sont par nature collégiales et reposent sur des principes de droit et déontologiques qui sont profondément ancrés dans les consciences de la haute fonction publique, notamment le respect du secret des délibérés et le devoir de réserve. Ce sont des atouts, je puis en attester, qui ne sont pas négligeables dans la vie d'une autorité administrative indépendante. A l'inverse, s'il est très important de faire appel à des compétences professionnelles, sociales, à une expérience qui ne soit pas limitée à l'expérience administrative, il est vrai que le recrutement de personnalités engagées dans la vie active peut soulever un problème. On leur demande de se consacrer, durant une partie de cette période, à un mandat social ou institutionnel, mais elles peuvent avoir ensuite beaucoup de mal, soit pour des raisons tenant à la législation - j'en ai rappelé quelques-unes - soit pour des raisons pratiques, à renouer avec une carrière professionnelle interrompue.

Oui, il est extrêmement utile que la composition des collèges soit diverse et équilibrée, mais à condition que soient strictement respectés les principes qui fondent la délibération collégiale et que puisse être fait appel à des personnalités dont la qualité et l'expérience se soient marquées antérieurement et soient encore susceptibles de le faire ultérieurement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre souci de la perfection vous honore, mais nos auditions nous ont amenés à ce constat que le recrutement se faisait dans un vivier relativement restreint. Au point que nous nous demandons comment certains membres des collèges ou certains présidents parvenaient à faire autant de choses en même temps. Je n'oublie pas que vous avez siégé à la commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique, qui a conclu à la nécessité du non cumul pour les parlementaires. Mais les autorités administratives indépendantes ne sont pas concernées. Ses membres ont sans doute des qualités exceptionnelles que nous n'avons pas ?

M. Olivier Schrameck. - Je rappelle que les membres du CSA ont obligation de se consacrer exclusivement à leurs fonctions, lourdes et astreignantes. Il nous est seulement permis de dispenser, à l'occasion, un enseignement non rémunéré et de nous livrer à ce qui entre dans les oeuvres de la propriété littéraire ou artistique, en vertu d'une exception très généralement reconnue dans notre droit.

Les membres du CSA se consacrent donc exclusivement à leur mission. Ils sont soumis non seulement au devoir de réserve et au respect du secret des délibérations mais n'ont de surcroît pas le droit de s'exprimer sur des affaires à l'instruction. Autant dire que d'une certaine manière, ils font retraite - même si cette retraite est très active.

Au-delà, il est vrai que les fonctions, dans certaines autorités administratives indépendantes, ne sont pas à plein temps. La question peut se poser d'un cumul d'activité au sein de la fonction publique - dans le respect de la réglementation existante - mais ce que j'ai dit tout à l'heure de la difficulté de faire appel à des personnalités du secteur privé ou social pendant une période longue - gage d'indépendance - et à plein temps, peut aussi justifier que l'on permette la poursuite d'une activité. J'entends bien que cela pose souvent des problèmes délicats, touchant à la question des conflits d'intérêt. On voit bien par exemple, dans le fonctionnement de telle ou telle autorité compétente en matière financière, que beaucoup de questions se posent sur les réseaux et relations que d'aucuns peuvent entretenir avec d'autres. Il y a là des équilibres délicats qui rendent difficile la généralisation de la référence singulière que constitue le CSA.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai coutume, au cours de ces auditions, de poser la question suivante : vu le nombre de conseillers d'État qui siègent dans les autorités administratives indépendantes, ne pourrait-il y avoir difficulté en cas de recours devant le Conseil d'État ? Je ne vous mettrai pourtant pas sur la sellette, car c'est un reproche qu'il est difficile d'adresser au CSA, vu les conclusions de l'arrêt du 17 juin 2015 sur Paris Première.

M. Olivier Schrameck. - Voilà bien un des rares avantages de ma situation...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le CSA est désormais non plus autorité administrative indépendante, mais autorité publique indépendante. Pourquoi ce changement de statut ?

M. Olivier Schrameck. - Il est inspiré par une mutation que vous n'aurez pas manqué de relever et qui veut que depuis la loi de 2003, qui a modifié, en particulier, le statut de l'Autorité des marchés financiers (AMF), par fusion d'institutions existantes, est apparue une nouvelle génération d'autorités indépendantes, ainsi que l'a analysé la doctrine, portant un certain nombre de novations dignes d'intérêt. La fongibilité des crédits en est une. À l'intérieur de la dotation allouée par l'État - dans le programme 308 « Protection des droits et libertés » pour ce qui nous concerne - les gestionnaires que nous sommes ont la possibilité de faire la part aux priorités du moment. Si, par exemple, on nous demande un très grand nombre d'études d'impact dans une période définie, nous pouvons imputer un certain nombre de crédits d'études en dépenses de fonctionnement, sans faire appel à des recrutements supplémentaires qui engageraient nos finances sur la durée, au-delà des exigences du moment.

Le deuxième avantage, c'est que le collège prend ses responsabilités. Il fonctionne un peu comme le conseil d'administration d'un établissement public - sans tutelle, dans notre cas. Pour moi, le fait que cette responsabilité collective et solidaire ne se limite pas au traitement des affaires sur le fond mais s'étende également à l'orientation et à la gestion de l'institution me paraît une bonne chose - sachant que les questions de financement ne sont que le décalque de ses priorités.

Dernière remarque enfin, qui pourra vous surprendre mais est pourtant, croyez-le bien, profonde et authentique : cela rend le contrôle plus rigoureux, plus étroit et plus efficace, car à un comptable du Trésor, qui n'est occupé qu'à temps partiel au contrôle de l'institution, se substitue une agence comptable, composée d'une équipe de quatre personnes et coordonnée par un agent comptable, une contrôleuse des finances publiques en l'occurrence, qui vérifie l'ensemble des comptes issus de la direction administrative, financière et des systèmes d'information et pousse à une modernisation de la comptabilité, pour favoriser une comptabilité patrimoniale et une comptabilité dite de destination, laquelle fait mieux apparaître les fonctions actuelles et à venir de l'institution que ne le fait la comptabilité analytique classique, beaucoup plus statique.

M. Jacques Mézard, rapporteur. -Si je comprends bien, outre que vous êtes désormais doté de la personnalité morale, vous avez plus de latitude sur l'usage de la dotation. Mais le contrôle parlementaire en est rendu plus difficile. On connaît le montant de la subvention, mais on ne sait pas ce qu'il en sera des dépenses.

M. Olivier Schrameck. - Dans la réponse à votre questionnaire, nous vous avons livré la totalité des chiffres dont nous disposons. Et nous faisons le même exercice lorsque nous sommes interrogés, chaque année, par la commission des finances, dans le cadre de la préparation de la loi de finances. Dans les formulaires que nous renseignons, nous essayons d'être aussi précis que possible tant en ce qui concerne l'utilisation de nos ETP que pour la fixation de nos crédits de fonctionnement - 14,85 millions d'euros -, ainsi que sur le chiffre de ce qui nous revient de l'extérieur en complément de la dotation de l'État - 88 000 euros. Loin de nous l'idée de garder quelque chiffre que ce soit par devers nous.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous en avez fait la démonstration dans votre réponse au questionnaire. Mais ma question était d'ordre général. Le fait est que le contrôle des commissions des finances du Parlement est rendu plus difficile par le passage au statut d'autorité publique indépendante.

Envisagez-vous une mutualisation des fonctions dites « support » du CSA ?

M. Olivier Schrameck. - Nous mutualisons au niveau territorial. À Caen, Dijon et Toulouse, nous avons ainsi mutualisé les locaux des CTA avec les directions régionales de l'action culturelle (DRAC). À Lyon, nous occupons une partie des locaux administratifs de la préfecture.

Pour le reste, les fonctions du CSA sont extrêmement spécialisées. Elle sont essentiellement techniques - liées à l'octroi, à la gestion et au contrôle des fréquences -, économiques - liées aux études d'impact -, juridiques, enfin, puisque le CSA s'exprime à travers des décisions de droit, soumises, ainsi que vous l'avez rappelé, au juge administratif. Nous développons également une activité internationale spécifique, à travers le rôle que nous jouons au sein de réseaux. Je rappelle qu'outre la présidence de l'ERGA, le CSA assure le secrétariat du réseau des régulateurs méditerranéens ainsi que du réseau francophone. C'est important, tant du point de vue des droits et libertés que de notre capacité à exporter notre savoir-faire.

En matière de gestion, nous mutualisons de plus en plus de marchés publics avec les services du Premier ministre, pour tous nos déplacements, par exemple. Nous passons systématiquement, quand nous avons une dépense à faire, par une procédure de marchés négociés communs comme celle de l'UGAP (Union des groupements d'achats publics).

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le passage au statut d'autorité publique indépendante a-t-il facilité vos négociations budgétaires avec l'État ?

M. Olivier Schrameck. - Il est trop tôt pour faire un bilan. À la suite du vote de la loi du 15 novembre 2013, il a été convenu, avec les services de Bercy, de prévoir une période intermédiaire de préparation, sur l'année 2014. Nous ne sommes donc passés sous le nouveau régime, qui suppose une gestion via le logiciel Chorus, que depuis le 1er janvier 2015. Et nous sommes encore dans le cadre de la discussion budgétaire, dont nous ne sommes pas acteurs, même si, ainsi que l'a souligné Marc Guillaume lors de son audition, nous faisons partie du petit nombre des autorités indépendantes qui peuvent avoir accès à des conférences budgétaires.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Avez-vous été contrôlé par la Cour des comptes ?

M. Olivier Schrameck. - Nous l'avons été à trois reprises, mais pas récemment.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si j'en crois vos réponses à notre questionnaire, vos dépenses de communication sont modestes - 100 000 euros en 2014 sur un budget, hors masse salariale, de 14,5 millions d'euros - mais elles ont doublé en quatre ans.

M. Olivier Schrameck. - La dépense moyenne est de 70 000 euros sur quatre ans. Il est vrai qu'elle est passée, entre 2013 et 2014, de 0,07 à 0,1 million. C'est certes une augmentation significative, mais qui s'explique par l'organisation, en octobre 2014, d'un grand colloque intitulé L'audiovisuel, enjeu économique, qui a été clôturé par le Président de la République, et que nous avons entièrement organisé, sans rien déléguer. Le 9 décembre de la même année, nous avons également organisé, au collège de France, un colloque intitulé Des écrans pour les jeunes, autour des grandes thématiques de l'évolution de la communication audiovisuelle parmi ce public. Cela dit, nous nous efforçons de limiter au maximum nos dépenses de communication. Le grand colloque de cette année, sur le thème de la diversité, sera ainsi organisé, le 6 octobre prochain, dans les locaux mêmes du CSA, par souci d'économie.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Cela étant, si j'en crois l'écho qu'ont reçu vos communications au cours des six derniers mois, vous n'avez pas besoin de consacrer à ce chapitre un important budget : il suffit que vous vous exprimiez publiquement...

M. Olivier Schrameck. - Dois-je le prendre comme un compliment ?...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Absolument, car la lecture de ces excellentes déclarations est fort roborative, et j'invite d'ailleurs mes collègues à s'en imprégner.

Vous avez indiqué à la commission d'enquête que 4,4 millions d'euros correspondaient à des prestations externes relatives à des « missions du CSA (études, contrôles des programmes, projets informatiques et contrôle des mesures y compris TNT, RNT, etc.) ». Or, toujours selon la réponse transmise, « les prestations externes concernent les loyers, les charges locatives, les travaux d'entretien et de réparation, les contrats d'assurance et les rémunérations des prestataires techniques ». Pouvez-vous nous expliquer ce dont il s'agit exactement et pourquoi cette dépense qui « touche le coeur de métier » du CSA, selon vos propres mots, est considérée comme une prestation externe ?

M. Olivier Schrameck. - Il y a, comme vous le mentionnez, deux sources de dépenses. Tout d'abord, tout ce qui relève du pôle immobilier, et en particulier des loyers, qui représentent 6 millions d'euros - une somme importante. Nous avons réussi à réduire d'un million d'euros les coûts de location de notre siège parisien, ramenés de 575 euros à 431 euros le mètre carré. Nathalie Morin a souligné que cela ne soulevait aucune observation de la part de France Domaine. Par ailleurs, lorsque, dans un souci de mutualisation, nous nous installons dans des locaux administratifs, nous n'exposons plus que les dépenses locatives. Avec la bascule de quatre des CTA de la métropole dans le giron administratif commun, nous avons ainsi réalisé d'importantes économies.

La seconde source de dépenses vient des prestations externes, auxquelles nous faisons appel le moins possible pour les études d'impact, dont nous préférons garder la maîtrise dans le souci d'éviter les conflits d'intérêt - bien que quand la charge se révèle trop importante, nous devions déléguer, tout en assurant un contrôle. En revanche, nous sommes contraints de recourir à des prestations de cabinet, par exemple pour la signalétique, qui fait partie des missions que le Parlement nous a confiées pour la protection du jeune public mais nous coûte très cher - près de 240 000 euros par an. Nous avons également la responsabilité d'établir des baromètres, soit par nous-mêmes, soit en coopération, comme cela est le cas pour le baromètre de l'équipement des foyers en télévision, essentiel pour la question du basculement de la bande des 700 MHz en cours d'examen devant le Parlement. Ce baromètre est financé de façon tripartite par le ministère de la culture, l'Agence nationale des fréquences et nous-mêmes. C'est d'ailleurs une pratique que nous essayons de généraliser avec d'autres services administratifs ou autorités indépendantes. Si bien que le nombre d'études que nous prenons en charge à titre exclusif est minoritaire.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Comment expliquer que près de la moitié de l'effectif de vos collaborateurs soit sous contrat à durée indéterminée (CDI) de droit public ?

M. Olivier Schrameck. - Ils sont au nombre de 146, en effet. C'est un véritable problème - qui ne tient en rien à la qualité des intéressés, auxquels je tiens à rendre hommage. Les contrats à durée déterminée qui se muent en CDI installent ces collaborateurs dans une situation spécifique au sein de l'institution. Alors que la quarantaine de nos fonctionnaires détachés sont sous un régime statutaire qui leur permet de changer régulièrement d'affectation, il n'en va pas de même des collaborateurs en CDI. Nous avons donc mis en place une politique de mobilité et de promotion, récemment favorisée par une décision du 12 mai dernier, qui a refondu notre organigramme. Ce processus est en cours, et a permis des promotions méritées. En revanche, la pratique d'échange de personnels en CDI entre autorités administratives indépendantes reste difficile. La tentative que nous avions engagée avec l'Autorité de la concurrence s'est rapidement heurtée à des limites. Nous avons également des contacts avec le Défenseur des droits, mais il reste que le détenteur d'un CDI ne bénéficie pas des mêmes garanties de mobilité qu'un fonctionnaire statutaire. On touche par là du doigt ce paradoxe de la fonction publique qui veut que le statut soit gage de liberté, tandis que le contrat est une contrainte.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous nous avez communiqué le montant des traitements et rémunérations servis aux membres du CSA et à son président. Ces montants varient-ils beaucoup selon les autorités, sachant que les responsabilités assumées peuvent être sans commune mesure ? Considérez-vous que ceux du CSA correspondent aux responsabilités exercées ?

M. Olivier Schrameck. - Il m'est difficile de porter une appréciation sur la rémunération d'autrui. Ce que je peux dire, c'est que celle dont bénéficient les membres du collège du CSA n'est pas sans soulever les difficultés que j'ai indiquées : des professionnels engagés dans une carrière où ils sont reconnus pour leurs compétences se voient allouer un traitement net de 9 000 euros mensuels. C'est sans doute beaucoup au regard de bien des situations, mais dans le monde des médias, cela peut poser problème. Quant au travail accompli, j'ai rappelé qu'il l'était à plein temps et j'ai dit la diversité des compétences des membres du collège, garanties par l'autorité qui les désigne.

Quant à moi, au regard de ma situation antérieure de président de section au Conseil d'État, je n'ai tiré aucun avantage des responsabilités qui m'ont été confiées. Et je n'ai droit, par ailleurs, d'exercer aucune autre activité, ce qui me paraît parfaitement justifié compte tenu de la lourdeur de la charge.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le régime indemnitaire est important - quelque 80 000 euros au-delà du traitement.

M. Olivier Schrameck. - Pour les membres du collège, l'indemnité est de 50 500 euros.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce ne sont pas exactement les chiffres que j'avais en tête.

M. Olivier Schrameck. - Ils perçoivent quelque 76 000 euros, ce qui correspond à un traitement hors échelle à la lettre F, et un complément de rémunération fixé, ainsi que le précise l'article 5, par la loi et le règlement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Faut-il le considérer comme un gage d'indépendance, eu égard à leur origine professionnelle ? Vous nous avez indiqué que certains membres du collège ont exercé des fonctions importantes dans le monde de l'audiovisuel, avec des revenus à l'avenant, ce qui peut poser problème quand ils acceptent de siéger au CSA.

M. Olivier Schrameck. - Je pense que cela peut présenter un problème substantiel, d'autant que des incompatibilités professionnelles s'appliquent durant une année ; parmi les trois membres du CSA qui ont quitté le collège, l'un, issu de la fonction publique, est revenu dans son corps d'origine, et les deux autres, qui touchent la mesure compensatoire en matière de rémunérations, n'ont pas été en mesure de retrouver une activité professionnelle.

Par ailleurs, s'applique ensuite une période de deux années durant laquelle les conflits d'intérêt sont très normalement contrôlés au titre de l'article L. 432-12 du nouveau code pénal.

Le problème serait encore aggravé si, comme il en avait été question, et comme c'est le cas pour une institution qui va se présenter devant vous en la personne de sa présidente, ces incompatibilités s'appliquaient a priori ex ante, et interdisaient à des personnes appartenant à ces milieux d'intégrer l'institution en cause - mais je ne vais pas parler en lieu et place de Mme Marais.

C'est pour moi, en tant que président de l'institution, une préoccupation car le rôle de régulateur peut comporter un effet de césure en cours de parcours. Je ne crois pas qu'il serait bon que ce rôle soit confié uniquement aux plus jeunes, ni aux plus anciens.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si j'ai bien compris, ce n'est plus possible au-delà de soixante-cinq ans...

M. Olivier Schrameck. - On ne peut plus être nommé lorsqu'on a dépassé l'âge de soixante-cinq ans mais, comme l'article 5 de la loi le garantit, on peut et on doit poursuivre ses fonctions au-delà, dans le cadre de son mandat.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Toutefois, dans ce type d'expérience professionnelle, cela peut devenir un réel problème.

M. Olivier Schrameck. - De mon point de vue, oui.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Estimez-vous que le CSA pourrait absorber d'autres autorités administratives indépendantes ? J'ai lu un certain nombre de vos déclarations...

M. Olivier Schrameck. - Vous me permettrez tout d'abord de dire que le terme d'absorption est très loin de ma réflexion, et encore plus de ma vision de ce que pourrait être l'avenir des autorités administratives indépendantes.

En réalité, un certain nombre de questions ont été posées. J'en distinguerai trois.

La première concerne les rapports entre le CSA et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), dont certaines fonctions communes sont très importantes. Elles tiennent au fait que le monde des communications électroniques est un, et que s'applique le principe de neutralité technologique, d'ailleurs explicitement souligné par l'article 1er de la loi de 1986, selon lequel, quelle que soit la nature des services audiovisuels numériques, ceux-ci ont vocation à relever de la même autorité, indépendamment du canal de diffusion qu'ils empruntent.

D'autres problèmes nous sont communs, comme la question du basculement de la bande 700, à laquelle j'ai déjà fait référence, le principe de neutralité du Net, le règlement des différends entre les distributeurs et les éditeurs en ligne, ou le marché de gros en amont de la radiodiffusion, etc.

Le Président de la République a fait une déclaration valant position de principe le 2 octobre 2014 ; il a même parlé d'intégration progressive, invitant les ministres concernés à lui soumettre des rapports : je n'ai pas d'information sur la rédaction de ceux-ci. Je ne peux que le constater.

En ce qui concerne le CSA et la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (HADOPI), nous n'avions absolument rien demandé à cet égard, mais un rapport qui avait marqué, le rapport de Pierre Lescure, avait proposé que le CSA puisse reprendre un certain nombre des attributions de la HAODPI. Nous avions simplement remarqué que nous étions prêts à en reprendre certaines, si telle était la décision des pouvoirs publics, notamment au regard des capacités importantes et remarquables de veille et d'observation des marchés du numérique assurées par la HADOPI, et pour entrer plus aisément en contact avec quelques grands acteurs du numérique qui pourraient mettre en oeuvre une politique de conventionnement favorable à la création culturelle française et européenne. Nous avions également relevé que nous n'étions pas prêts à prendre en charge, même indirectement, le travail d'une commission qui a pour objet de surveiller le comportement des individus, ce qui n'est absolument pas conforme à l'équilibre et à l'inspiration des tâches du CSA. Les pouvoirs publics ont renoncé à cette perspective. Dont acte !

Quant à la troisième question, mentionnée par certains plus à titre de crainte que de projet, le CSA n'a assurément pas vocation à être un régulateur d'ensemble du Net, mais à rester celui des services audiovisuels au sens le plus moderne et le plus numérisé qui puisse être, le cas échéant. Le numérique englobe aujourd'hui toutes les activités. De façon générale, il me semblerait imprudent, peut-être même pour nos droits et libertés, qu'un seul organisme puisse exercer des fonctions de régulation dans un domaine aussi vaste et dont la croissance est quasiment exponentielle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le CSA publie beaucoup de rapports, vous l'avez indiqué. Ceci résulte de la réponse que vous nous avez transmise. De plus en plus de ces rapports sont publiés à l'initiative du CSA. J'en reviens en partie à un propos antérieur : pensez-vous que la multiplication des prises de position publiques du CSA soit souhaitable ?

M. Olivier Schrameck. - Les pouvoirs publics nous y invitent en grande partie. Tout d'abord, l'article 18 de la loi qui fixe le contenu de notre rapport annuel mentionne qu'il nous incombe de proposer les adaptations législatives et réglementaires qu'appellerait l'évolution de notre environnement. C'est ce que nous avons fait à nouveau depuis le rapport publié en 2013 sur l'exercice 2012, première année durant laquelle j'ai exercé mes responsabilités. Ceci a été poursuivi les années suivantes.

Ce même article 18 comporte une autre disposition, dont nous n'avons jamais usé jusqu'à présent, qui consiste à donner un avis sur la répartition de la contribution à l'audiovisuel public, et sur la répartition des ressources publicitaires.

Par ailleurs, le rapport nous a invités à faire un bilan de notre activité. Enfin, la loi de 2013, en particulier - mais ce n'est pas la seule - a multiplié les demandes de rapports qui doivent être adressés au Parlement, et en particulier aux commissions parlementaires chargées des affaires culturelles. Je veux parler en particulier des rapports sur les modifications et applications annuelles des cahiers des charges et contrats d'objectif et de moyens s'agissant du secteur public de l'audiovisuel, et du rapport de la situation de ces mêmes sociétés publiques au bout de quatre années d'exercice du mandat de leur dirigeant.

Le Parlement, à chaque fois qu'il a prévu une étude d'impact, l'a assortie d'une consultation publique, qui constitue en quelque sorte, dans le monde des médias, un rapport, si j'ose dire, urbi et orbi.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Revenons-en à des problèmes d'actualité : la loi organique du 15 novembre 2013, relative à la l'indépendance de l'audiovisuel public a rendu au CSA son pouvoir en matière de nomination du président de France Télévisions, de Radio France et de l'audiovisuel extérieur français, France 24.

Du fait de cette décision, ces nominations ne sont plus soumises pour avis aux commissions parlementaires. Considérez-vous que cette forme de nomination soit une avancée en termes de transparence démocratique ?

M. Olivier Schrameck. - En ce qui concerne votre observation sur le rôle des commissions parlementaires, il s'agit, comme vous le savez, de l'application d'une décision du 13 décembre 2012 du Conseil constitutionnel relative au Haut Conseil des finances publiques, qui interdit, lorsqu'une autorité administrative ou judiciaire exerce un pouvoir de nomination, que celui-ci soit soumis à l'avis d'une instance parlementaire. Nous ne sommes pas responsable des conséquences de cette décision, ni même à l'origine de celle-ci. Le législateur a prévu que, dans un délai maximal de deux mois suivant sa nomination, la nouvelle présidente ou le nouveau président d'une société publique de l'audiovisuel vienne présenter son rapport d'orientation, c'est-à-dire le projet qu'elle ou qu'il propose pour son mandat.

En ce qui concerne le mode de nomination, le CSA a toujours dit qu'il s'estimait prêt à exercer à nouveau la compétence que, sous une forme quelque peu différente, avec des règles nouvelles, le législateur lui a à nouveau confiée après l'interruption de la loi de 2009. Mais quant aux choix de la procédure, il s'agit bien évidemment d'une question politique, sur laquelle le CSA n'a pas lieu de se prononcer.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Lorsque ces nominations ont été soumises pour avis au Parlement, la procédure mise en place par la loi de juillet 2010 fixait les conditions précises de procédure pour en assurer une réelle transparence. Un délai minimum de huit jours était ainsi prévu entre la proposition de nomination et l'audition publique par les commissions. Quelles règles avez-vous fixé, qui puissent équivaloir à une telle transparence, pour la désignation par le CSA des présidents de ces sociétés ?

M. Olivier Schrameck. - Tout d'abord, nous avons strictement appliqué la loi et la jurisprudence constitutionnelle. La loi a prévu de se fonder sur un projet stratégique, qui a mis en place des conditions préalables d'appréciation de compétences et d'expérience. Nous avons mis en oeuvre une procédure que nous avons annoncée par des communiqués de presse successifs, qui ont conduit à un choix très largement ouvert : à la différence des cas précédents, il y a eu, s'agissant de Radio France, douze candidats ou candidates et, s'agissant de France Télévisions, trente-trois.

La question s'est posée de savoir si nous devions rendre publics les noms et les auditions elles-mêmes. En ce qui concerne les noms, nous avons - et c'est la seule différence entre Radio France et France Télévisions - adopté une démarche légèrement différente pour France Télévisions, dans la mesure où plusieurs des candidats qui pouvaient se réclamer d'une très grande compétence et d'une très grande expérience nous ont fait savoir que la condition de leur candidature était que leur nom ne fut pas rendu public par le CSA.

Parmi les sept candidats auditionnés par le CSA, trois d'entre eux, que je ne puis naturellement citer, en ont notamment fait la condition même de la poursuite de leur démarche de candidature.

En ce qui concerne les auditions, nous avons été contraints par la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2000, qui indique très clairement qu'il n'est pas possible de rendre les auditions publiques dès lors que - et je me permets de citer cette décision - « ne serait plus assurée en pareil cas l'entière liberté de parole tant des candidats que des membres du Conseil eux-mêmes, condition nécessaire à l'élaboration d'une décision collégiale éclairée, fondée sur la seule prise en compte de l'intérêt général et du bon fonctionnement du secteur public de l'audiovisuel dans le respect de son indépendance ».

Le Conseil constitutionnel a même relevé que « la publication intégrale de ces auditions et débats pourrait porter atteinte à la nécessaire sauvegarde du respect de la vie privée des personnes concernées ».

Nous sommes tout à fait conscients du problème et, dans une déclaration collective, les huit membres du CSA, le 4 juin 2015, ont à la fois marqué qu'ils assumaient complètement le choix qui avait été le leur, qu'ils n'avaient subi aucune pression et que les délibérés s'étaient déroulés dans la plus totale indépendance, selon une procédure collégialement acceptée, mais qu'une réflexion pouvait assurément être utilement ouverte sur des voies de publicité plus larges, qui pourraient concerner le nom des candidates et candidats, les auditions - à condition que le Conseil constitutionnel ne soit pas conduit à s'y opposer - voire des auditions publiques de tiers intéressés, notamment de différents acteurs de l'audiovisuel.

Nous demandons à cet égard au législateur, selon notre démarche habituelle, de nous indiquer une voie à suivre, et nous pensons qu'il y a lieu de rechercher un équilibre entre le compte rendu, qui est une condition importante de la vie démocratique, et la prévention de toute pression qui pourrait déformer l'appréciation collective que le législateur nous a chargés d'élaborer.

Nous estimons par ailleurs qu'il convient de faire appel à une gamme suffisamment large de compétences et d'expériences.

Je me permets de noter que, même si les rémunérations des sociétés publiques de l'audiovisuel n'ont rien à voir avec celle des autorités administratives indépendantes, nous nous heurtons malheureusement au même problème vis-à-vis de responsables reconnus et compétents des médias ou de secteurs annexes, comme les télécommunications, qui sont extrêmement réticents à l'idée de diviser leur rémunération par deux, trois, quatre, voire plus, pour exercer des responsabilités publiques, aussi éminentes et essentielles pour le pays fussent-elles.

C'est là aussi, me semble-t-il, une question d'équilibre et c'est, je crois, au législateur qu'il incombe de déterminer cet équilibre, auquel le CSA se tiendra strictement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez fait référence au communiqué du 4 juin 2015, que j'ai sous les yeux, intitulé : « Nomination à France Télévisions : un choix assumé, un débat pour l'avenir ».

On comprend ce que signifie le choix assumé mais, s'il y a débat pour l'avenir, c'est que la situation actuelle pose problème, sans quoi le communiqué n'aurait pas lieu d'être !

M. Olivier Schrameck. - Le débat qui a eu lieu repose à la fois sur des problématiques que je viens de reprendre, dont j'ai exposé la justification, et sur un certain nombre de procès d'intention, qui m'ont même conduit à parler de déstabilisation devant la commission de l'Assemblée nationale.

Le Conseil constitutionnel a lui-même évoqué les différentes pistes que je viens de mentionner, mais ses membres ont ajouté, je les cite : « Nous attirons toutefois l'attention sur le risque, réel, de dissuader des candidatures particulièrement intéressantes pour le bon fonctionnement de l'audiovisuel public, et de mettre en cause la précision, l'authenticité et, finalement, la sincérité des débats. Nous mesurons la difficulté à renforcer la transparence sans fragiliser l'indépendance ». Transparence et indépendance sont un couple précieux, mais qu'il est difficile, parfois, d'unir dans la durée !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Ce pouvoir de nomination doit-il vraiment être confié à une autorité administrative indépendante ? Personnellement, je ne le pense pas. Contrairement au Gouvernement, l'autorité administrative indépendante n'est pas responsable de ses décisions devant le Parlement. Cette question mérite d'être étudiée attentivement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Même s'il s'agit de l'application de la loi...

M. Olivier Schrameck. - Madame la présidente, ce principe a été appliqué depuis la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. Un principe tout à fait différent a été utilisé entre 2009 et 2013. Je répète qu'il s'agit là de choix du Parlement, et qu'il ne revient pas au CSA de revendiquer ou de refuser de mettre en oeuvre quoi que ce quoi soit en la matière.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Certes, mais vous pouvez nous dire quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Le Parlement prend parfois des décisions sans en réaliser les conséquences. On est dans une situation un peu particulière : votre expérience est utile, et la commission d'enquête désire vous entendre sur ce point précis.

M. Olivier Schrameck. - Je pense qu'une réflexion serait utile sur la répartition de l'accompagnement de la gouvernance des sociétés publiques. Il revient au Gouvernement, sous le contrôle du Parlement, d'exercer ses activités d'actionnaire et d'autorité de tutelle.

En revanche, le législateur a beaucoup insisté, tout récemment encore, fin 2013, sur la nécessité que le CSA puisse rendre compte au Parlement de l'activité des sociétés publiques de l'audiovisuel, et ce pour une raison fondamentale : le service public de l'audiovisuel est défini par la loi de 1986 modifiée comme la référence de toutes les qualités que le Parlement souhaite voir porter par le secteur audiovisuel. Il a pu lui paraître important, en tant qu'autorité régulatrice, que le CSA en atteste, d'où la série de rapports qui lui sont demandés.

Or, ceux-ci ne portent pas simplement sur les aspects programmatiques des sociétés de l'audiovisuel. En effet, dans la mesure où ils touchent les contrats d'objectifs et de moyens, ou les résultats des sociétés de l'audiovisuel, ils touchent également à des problèmes qui concernent la gestion des ressources humaines ou la gestion de ressources financières.

Il y a, là aussi, un équilibre entre les différentes compétences qui se trouvent exercées : compétence de nominations, qui ne touchent pas que les dirigeants, mais aussi les membres des conseils d'administration en nombre non négligeable - quatre ou cinq selon les sociétés ; évaluation ex ante, à travers les études d'impact et les modifications ou conclusions projetées des contrats d'objectifs et de moyens - il en est un fort important en cours de négociations à Radio France ; évaluation ex post, à travers les bilans annuels ; exécution des cahiers des charges et des contrats d'objectifs et de moyens ; rapport annuel général prévu par l'article 18 de la loi.

C'est un ensemble qui comporte des problèmes d'articulation et d'équilibre. Je crois que l'expérience des sociétés de l'audiovisuel public elles-mêmes, telles qu'exprimée par ses présidentes et présidents, est importante en l'espèce. Ont-elles ou non vocation à être accompagnées par une pluralité d'acteurs, au sein desquels l'autorité régulatrice a naturellement une place importante, où doit-on se trouver dans le cas classique du dialogue entre une autorité de tutelle et une société publique ? Pour l'instant, le législateur a considéré que les sociétés publiques consacrées à la communication audiovisuelle étaient dans une situation particulière, qui devait conduire à préserver au maximum l'autonomie et la largeur de compétences aujourd'hui reconnues à l'autorité régulatrice. Il pourrait en aller différemment si le législateur en décidait ainsi.

Je reconnais bien volontiers qu'il reste des ajustements à opérer en ce qui concerne le suivi de l'accompagnement multiple réalisé par l'autorité de régulation, les corps de contrôle et l'ensemble des administrations chargées de la tutelle : je veux évidemment parler du ministère de la culture et de la communication, du ministère de l'économie et des finances, et notamment de la direction du budget, comme de l'Agence des participations de l'État. Il y a là une pluralité d'acteurs qui invite à la réflexion.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce débat ne constitue pas le fil rouge de notre commission d'enquête, mais force est de reconnaître qu'on est passé d'un système où l'on reprochait à l'exécutif politique d'avoir la haute main sur la désignation des présidents de ces sociétés audiovisuelles publiques à un système où l'on a confié cette responsabilité à une autorité publique indépendante, en pensant que cela ne poserait pas de problèmes. On se rend aujourd'hui compte, sans vouloir faire de polémiques, que les débats qui ont suivi certaines nominations sont de même nature, voire pires, que ceux ayant concerné la désignation de M. Pflimlin, qu'il s'agisse de celle de Mme Ernotte, de la décision du Conseil d'État du 17 juin 2015 relative à LCI, ou de la revente de la chaîne Numéro 23. Vous en êtes d'ailleurs conscient : dans le cas contraire, vous n'auriez pas réagi de la manière dont vous l'avez fait.

Vous allez certes nous donner votre sentiment sur l'accumulation et les difficultés liées à ces trois dossiers, mais il s'agit d'une responsabilité collective. Vous l'avez souligné, le législateur a voté des lois. Nous voyons bien, ici, au Sénat, comment les textes arrivent, s'accumulent, et la difficulté à trier le bon grain de l'ivraie parmi les projets de loi, voire les propositions de loi.

Aujourd'hui, le CSA est sur la sellette en raison des dossiers que je viens de citer. J'aimerais donc connaître votre sentiment à ce sujet. Nous ne sommes pas devant un tribunal, mais devant une commission d'enquête, qui travaille sur la question des autorités administratives indépendantes. Comment le président du CSA pense-t-il sortir de cette situation ? Une autorité administrative indépendante et, encore plus, une autorité publique indépendante, pas plus que la femme de César, ne peut être soupçonnée. Vous le savez mieux que quiconque, pour avoir servi l'État depuis toujours.

Cela signifie qu'il existe en la matière un dysfonctionnement. Je n'emploie pas d'autres termes : ce serait discourtois, et je ne dispose pas de tous les éléments pour qualifier la situation, mais cela révèle un problème.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je voudrais aller dans le sens du rapporteur, en reformulant toutefois les choses : je ne suis pas sûre qu'il faille parler de simples « ajustements ». On doit aussi se poser certaines questions de fond dans cette affaire.

Vous nommez en effet des dirigeants que vous allez contrôler. Le conflit d'intérêts qu'on avait pointé au niveau de l'État, on l'a déplacé vers le CSA ! Une autorité de nomination peut-elle se confondre avec une autorité de régulation ?

M. Olivier Schrameck. - Je vais essayer de répondre aussi complètement que possible à ces questions.

Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que les trois questionnements que vous avez soulevés sont de nature totalement différente. Tout au long de l'année, le CSA prend des dizaines de décisions plus ou moins importantes, en moyenne une quarantaine chaque semaine, dont certaines très attendues - attributions ou retraits de fréquences, etc. Ces décisions ne donnent lieu ni à polémiques, ni à contestations hors de cercles limités ou directement touchés.

Vous avez mentionné trois difficultés. Je les ai déjà rencontrées depuis deux ans et demi, et je vais les détailler l'une après l'autre.

En qui concerne la première, sur laquelle nous avons déjà échangé quelques observations, je rappelle que le principe qui consiste à confier la nomination aux membres d'un collège d'une autorité indépendante - Haute autorité de la communication audiovisuelle, Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL), puis CSA - remonte à 1982 et a été mis en oeuvre de 1982 à 2009, avant d'être remis en vigueur en 2013. Il n'y a donc, à cet égard, aucune surprise, mais il existe cependant peut-être quelques nouveautés.

En premier lieu, puisque vous avez bien voulu vous-même relever que j'ai été pendant assez longtemps un observateur voire parfois un acteur de la vie publique, permettez-moi de vous dire qu'il existait un certain halo d'incertitudes sur la responsabilité pleine et entière qui reposait sur les membres du CSA. On faisait fréquemment référence au fait que d'autres influences - politiques, économiques - pouvaient jouer, et les très nombreuses démarches effectuées par des candidats pouvaient supposer que leurs interlocuteurs n'étaient pas les seuls membres du CSA.

Cette fois, nul ne peut contester, je pense, que les choix qui ont été réalisés par le CSA l'ont été exclusivement par les membres du CSA, conformément à la loi, dans le seul respect de leur conscience et, comme ils l'ont affirmé dans le communiqué de juin dernier, en dehors de toute pression, qu'elle soit politique, économique ou sociale. L'éclairage diffère donc. C'est un premier point.

En second lieu, je rappelle qu'entre 2009 et 2014, quinze lois successives ont augmenté les pouvoirs du CSA - seize si l'on compte la loi organique. Le CSA d'aujourd'hui n'est donc pas le même que celui d'hier.

Ce n'est pas non plus le même paysage audiovisuel. Nous avons désormais affaire à 240 chaînes conventionnées ou déclarées, à 22 chaînes hertziennes, 15 gratuites, 7 payantes, ou à 549 stations de radio, sans compter les services de média à la demande, les webradios, les web télévisions et les différentes fonctions que nous avons aujourd'hui à exercer.

L'environnement a complètement changé, et l'on peut observer, indépendamment de ces affaires, qui n'ont pas toujours été du meilleur aloi, que la présence du CSA est sans cesse plus intense. Cela s'explique notamment du fait des compétences additionnelles que le législateur a accepté de lui confier.

Jusqu'à présent, j'ai pu le constater en prenant mes fonctions, le contrôle de l'audiovisuel public était à mes yeux assez paradoxalement bien moindre que le contrôle du secteur privé. Avec le secteur privé, c'était pratiquement le CSA qui fixait les règles, notamment via les conventionnements ou la surveillance des déclarations.

En revanche, pour le secteur public, il y avait peu d'examens et peu de contrôles. Nous venons de créer un département consacré au secteur public au sein de la direction des programmes, mais jusqu'alors, lorsqu'on examinait l'organisation du CSA, on voyait que sur 293 agents que comportait le tableau des effectifs, ceux qui s'occupaient à temps plein du secteur public se comptaient sur les doigts d'une main.

C'est un paradoxe, car la loi met aujourd'hui le secteur public de l'audiovisuel, dans ses articles 43 et suivants, au coeur même des fonctions, des missions, des références et des modèles de la communication audiovisuelle. Prévoir un régulateur qui ne s'occupe pas d'abord de l'audiovisuel public me paraît donc comporter une certaine contradiction.

Ces trois changements peuvent expliquer que le contexte a pu substantiellement changer, une fois la compétence des nominations à nouveau dévolue au CSA, en 2013. On est passé d'un système de droit commun relevant de la responsabilité du Président de la République, en vertu de l'article 13 de la Constitution, quel que soit l'organe concerné, à un système reposant sur neuf, puis sur sept personnes.

C'est la loi : les nominations ont été le fait de neuf puis de huit personnes, respectivement pour Radio France et France Télévisions, sans aucune interférence ni pression d'une autorité ou d'une autre. Or, une autorité, ou un groupe - fût-ce un groupe d'intérêts -, privé d'influence, peut éprouver un certain mécontentement.

En ce qui concerne LCI, l'affaire n'est pas de même nature. C'est le Parlement qui a explicitement confié, par une modification de l'article 42-3 de la loi, le pouvoir au CSA de faire passer un service de télévision du payant au gratuit ou du gratuit au payant. Jusqu'à présent, c'était considéré, en vertu de la jurisprudence du Conseil d'État, comme une condition substantielle que le CSA n'était pas habilité à modifier.

Nous avons donc réalisé une première application de la loi. Celle-ci a reposé sur des auditions, des échanges, sur des études d'impact de plus de cent pages rendues publiques, et sur des motivations. Il se trouve que l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État a décidé que ce n'était pas suffisant au regard de ce qu'a voulu le législateur, estimant qu'il fallait procéder en deux temps, c'est-à-dire réunir tout ce matériau à travers des études et des consultations pour élaborer l'étude d'impact puis, à nouveau, rouvrir un débat contradictoire non seulement avec les demandeurs, mais également avec tout tiers intéressé et, à leur choix, sous forme d'auditions ou de contributions. Je signale que tous ceux qui se sont manifestés à propos de l'étude d'impact de la bande 700 ont préféré l'audition à la contribution.

Il s'agit d'une procédure infiniment plus lourde, en deux temps et deux volets, qui se trouve mise en oeuvre par l'application de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État, si le législateur confirme cette interprétation. Elle va rendre infiniment plus lente et plus difficile la mise en oeuvre des d'études d'impact, je me permets de le faire remarquer.

C'est un problème de procédure. Nous n'avions pas compris ainsi la volonté du législateur ; nous avons cherché intensément dans les travaux préparatoires : nous n'y avons trouvé aucune indication de cette intention.

Toutefois, la méthode employée par le CSA, à travers les études d'impact, n'a pas été en elle-même contestée. Ces études économiques, programmatiques et éditoriales ont fait l'objet d'un débat public, mais n'ont nullement été mises en cause pour le sérieux et l'approfondissement de ses analyses.

Nous réexaminerons les dossiers de LCI, Paris Première et peut-être aussi, si elle le demande, de Planète Plus, selon les mêmes méthodes, et avec la procédure redoublée que nous a prescrite l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.

En ce qui concerne la chaîne Numéro 23, je voudrais être extrêmement clair sur deux points.

En premier lieu - et je me permettrai une seconde et dernière fois de me citer moi-même - lorsque j'ai été entendu par les commissions des affaires culturelles des assemblées avant même d'être nommé, j'ai dit que la diversité ne saurait, dans mon esprit, se résumer à une chaîne qui s'en prévalait.

En second lieu, les choix ont été réalisés en mars 2012, mis en oeuvre en novembre 2012, et l'ouverture de ces chaînes a eu lieu le 12 décembre 2012. Je n'exerçais aucune responsabilité au CSA à ces différentes dates, et je ne me considérais pas comme ayant vocation à en exercer. J'ai trouvé comme legs du collège précédent les décisions que je viens de mentionner.

J'ai toujours entendu le président de la chaîne Numéro 23 dire publiquement qu'il n'avait aucune intention de revendre à court terme la chaîne qui lui avait été attribuée. Il l'a répété à plusieurs reprises, et en plusieurs lieux : je puis donc le répéter ici.

Face au contrat annoncé, le CSA a usé des deux voies qui lui sont ouvertes par la loi. La première concerne la vérification des modifications de contrôle opérées en application des alinéas 1 et 2 de l'article 42-3 de la loi. Elle a débouché sur la saisine par le directeur général, en vertu de l'article L. 42-7, du rapporteur indépendant du Conseil d'État, lequel a, presque immédiatement, dans un délai inférieur à 48 heures, notifié les griefs, notamment au vu d'un pacte d'actionnaires, à la société Numéro 23. Il rendra son rapport public très prochainement, comme la loi le prévoit, en laissant un délai minimal de quinze jours, qui ressort des travaux préparatoires, afin qu'il puisse en être discuté par les parties, en particulier lors d'une séance publique au cours de laquelle le rapport sera présenté, la décision étant prise ultérieurement.

Il s'agit du seul cas dans la loi où la mise en demeure ne soit pas prévue. La sanction, le cas échéant, si elle est proposée, est votée par le collège et directement applicable, et constitue un retrait de fréquence.

La deuxième voie est celle de l'agrément ; elle est prévue par le cinquième et le sixième alinéa du même article 42-3.

Les travaux préparatoires sont muets sur les conditions dans lesquelles le CSA doit attribuer ou ne pas attribuer un agrément. Il ne saurait être automatiquement délivré dans un sens ou un autre. Ce n'est pas une politique de guichet, mais d'appréciation.

Nous attendons à ce stade le rapport des services du CSA - mais je ne le connais pas plus que vous - et l'étude d'impact en cours d'élaboration. Il apparaît que l'ensemble des critères qui sont énumérés par les articles 29, 30-1 et 31 de la loi sont susceptibles d'être appliqués.

Nous verrons quelle sera la consistance de l'étude d'impact qui sera élaborée par le CSA ; il va de soi qu'elle sera soumise à la procédure dont je viens de parler, en vertu de la décision de l'Assemblée du contentieux du Conseil d'État.

Nous ferons en sorte de rendre publique cette étude d'impact le plus rapidement possible, mais la multiplicité des études d'impact auxquelles nous devons procéder, qui touchent en même temps Numéro 23, les décisions relatives à LCI, Paris Première ou d'autres, les conséquences considérables du basculement de la bande 700 et de l'extension des services haute définition liés à l'adoption de la compression MP4, les demandes très nombreuses dont nous sommes saisis par des chaînes concernant W9, D 17, D 8, Chérie 25, font que la charge du CSA est considérable. Cette charge, je vous en donne ici l'assurance, sera menée avec le plus grand sérieux, la plus grande minutie, et dans le respect le plus scrupuleux de la loi.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez rappelé que le CSA avait fait l'objet de quinze modifications législatives entre 2009 et 2014. Il y a là une responsabilité collective, tant de l'exécutif que du législatif. Je doute que l'on puisse continuer à travailler efficacement à ce rythme.

Nous nous étonnons de la multiplication des autorités administratives indépendante, dont la création est souvent approuvée par le Parlement, mais l'on peut aussi s'étonner du nombre de modifications législatives qui interviennent. C'est une remarque que nous nous faisons les uns et les autres très souvent.

Pour en revenir aux questions récentes qui font débat dans les médias, ce qui est normal s'agissant d'audiovisuel, la presse, que nous lisons, même si c'est parfois sans enthousiasme, a mis en cause des fuites à propos d'un prérapport sur la gestion de M. Pflimlin. Ces fuites posent un certain nombre de problèmes. Il faut donc trouver des solutions qui permettent de sortir cette situation, je le dis avec mesure !

M. Olivier Schrameck. - Monsieur le rapporteur, c'est un problème difficile et sensible, et je comprends parfaitement que vous l'abordiez de front. Vous êtes en droit d'attendre que je fasse de même.

Je dirai que l'histoire du CSA et des organismes qui l'ont précédé a été ponctuée de fuites. Certaines ont même touché au secret des affaires. À partir du moment où vous confiez une responsabilité à un organisme collégial et qu'il ne s'agit pas de personnes formées comme de futurs magistrats administratifs, comptables ou judiciaires, sur un certain nombre de principes, ou d'individus - je ne vise personne - dont le métier a consisté pendant des dizaines d'années à se faire la recherche et l'écho d'informations, le risque existe plus au CSA qu'au Conseil constitutionnel ou à l'Assemblée générale ordinaire du Conseil d'État.

Depuis le 24 janvier 2013, date à laquelle j'ai commencé à exercer mes responsabilités, il y a eu deux exemples de fuites - et non des moindres.

Le premier a concerné un rapport que je n'avais même pas encore vu, qui a été élaboré au sein d'un groupe de travail sur la situation de France Télévisions. L'affaire a été reprise selon la procédure habituelle, examinée par le groupe de travail, puis par le collège ; elle a donné lieu à un rapport, qui a pu être critiqué, mais dont je remarque qu'il a été la référence de beaucoup, en particulier en réponse à certaines attaques du président Rémy Pflimlin lui-même.

Le second exemple découle d'un certain nombre d'articles de presse, qui ne peuvent guère laisser de doute sur la provenance des informations qui y sont dévoilées, et a trait au vote qui a eu lieu lors de la désignation de la présidente de France Télévisions.

Je n'ai jamais menacé qui que ce soit de poursuites judiciaires, mais je dois relever que l'article 5 de la loi garantit strictement le secret des délibérations, qui est même protégé par la loi du 16 novembre 2013, qui rappelle que sa transgression est strictement prohibée et punie par le code pénal.

En outre, je rappelle que l'article 40 du code de procédure pénale peut conduire le président, sur demande d'un membre ou de plusieurs d'entre eux, à saisir le juge si la fuite provient d'un de leurs collègues.

Si je peux répondre intégralement de tous mes actes et de toutes les procédures auxquelles je participe, dans le secret des délibérations, je ne suis qu'un membre d'un collège dont j'exerce la présidence, et je n'ai ni autorité, ni vocation à surveiller les conversations, quel qu'en soit le canal, de tel ou tel de mes collègues.

Je n'ai jamais eu d'informations me permettant d'identifier la source de ces indications, vraies ou fausses. Noter une indication n'est assurément pas en confirmer la véracité : c'est simplement en caractériser la nature. Au regard du respect du secret des sources prévu par le législateur, je n'ai personnellement aucun moyen d'user d'une quelconque procédure qui permette d'empêcher ce type de phénomène, au-delà de l'autorité purement morale que l'on voudrait bien me reconnaître.

Faut-il renoncer à une obligation parce qu'en de très rares circonstances, mêmes si elles sont significatives, elle ne paraît pas avoir été observée ? Je ne le pense pas. Je crois qu'elle doit être réitérée, et je fais confiance, par principe et par raison, à la conscience de mes collègues, comme à celle des collaborateurs du CSA, pour respecter la loi.

Il faut se garder d'attacher une importance exagérée à des faits isolés. Cela me rappelle un raisonnement d'une tout autre nature, souvent opposé à l'action du CSA, qui consiste à lui demander pourquoi il contrôle avec une minutie la protection de l'enfance ou de l'adolescence, ou le pluralisme politique, puisque tout est possible et permis sur les réseaux sociaux. Je caricature, mais c'est le même type de problématique : nous devons veiller aux principes et nous assurer de leur respect chaque fois que c'est possible. C'est essentiel, et il y va de la nature et de la portée de la délibération collégiale. Je crois que cette délibération collégiale, au sein du CSA, a beaucoup apporté et continue à beaucoup apporter. Qu'il y ait eu des incidents, c'est incontestable. Ils ne sont pas limités à la période dont j'ai eu la responsabilité. Cela ne doit pas conduire à des conclusions générales négatives.

M. Pierre-Yves Collombat. - Monsieur le président, vous nous avez dit que l'environnement du CSA avait totalement changé. Vous excuserez le caractère primaire de mon observation, mais mon impression de téléspectateur est que si le paysage est certes plus encombré, il n'est pas forcément plus divers, et ce qui peut être compris s'agissant de chaînes privées, qui visent d'abord à faire de l'argent, est plus étonnant s'agissant de l'audiovisuel public. Sur le plan culturel, quand on passe les chaînes en revue, on reste souvent sur sa faim !

Vous avez affirmé que vous veilliez à la diversité des programmes. J'aurais souhaité que vous veilliez aussi au pluralisme, non pas seulement en répartissant les temps de parole au moment des élections. En matière culturelle, il s'agit d'un problème bien plus large. Ce n'est qu'une impression, mais vous me direz si vous la partagez ou non.

Pour prendre le problème par un autre bout, j'ai l'impression que les choix s'opèrent entre des personnes qui ont finalement toutes le même profil. Pour vous, c'est une question de compétences, d'expérience, etc., mais on a surtout un sentiment d'uniformité, là où on aurait attendu plus de variété.

Cela me fait penser à la justification que François Léotard avait fournie lorsque TF1 avait été privatisée au profit de Francis Bouygues, qui constituait soi-disant le « mieux-disant culturel ». Je crains que ce ne soit une formule de rhétorique qui entre peu dans les choix qui sont arrêtés. Je souhaite me tromper complètement ; si c'est le cas, vous me rassurerez complètement, je n'en doute pas !

M. Olivier Schrameck. - Je crois que, derrière votre intervention, se profilent deux préoccupations majeures, la diversité et la qualité. Les deux sont liées dans votre esprit, me semble-t-il.

La diversité est un problème constant auquel nous nous heurtons. Je rappelais tout à l'heure que nous y consacrerons un colloque cette année. Il s'agit d'un outil de promotion des médias. J'ai parfois employé la formule suivante, ces dernières semaines : « Pour mieux rassembler, il faut plus complètement ressembler ». Un des problèmes que connaissent les médias vient de ce que certaines catégories de la population, même si je n'apprécie guère de tronçonner une population en catégories - classes d'âge, conditions sociales ou d'habitat - ne se reconnaissent pas toujours vraiment dans les émissions qui leur sont proposées.

C'est pourquoi nous avons élaboré un prérapport, que nous avons soumis à une procédure contradictoire auprès des chaînes de télévision, qui sont en train de faire leurs observations. Nous publierons donc un rapport supplémentaire, que nous vous adresserons sur ce sujet, car nous le pensons extrêmement important.

Nous ne pouvons avoir, s'agissant de la représentation de la diversité au sein des programmes des chaînes, qu'un pouvoir de stimulation et d'incitation. Nous entrons dans la semaine du 14 juillet. Nous avons enregistré un message, à l'initiative de notre collègue Mémona Hintermann-Afféjee, ainsi libellé : « Nous sommes la France », qui sera reproduit tout au long de la journée, ainsi que sous des formes de rattrapage tout au long de la semaine, et qui sera également présent sur le site du CSA. Il sera étendu, pour la première année, à toutes les radios - et elles sont très nombreuses - qui veulent bien s'y associer.

Cela marque bien nos limites, car nous n'avons ni l'argent pour financer ces séquences, ni la force juridique pour les imposer. Sans doute d'ailleurs une méthode unilatérale ne serait-elle pas très satisfaisante.

Par ailleurs, lorsque nous nous heurtons à certaines anomalies, nous nous devons de rappeler que la loi nous a confié le pouvoir d'intervenir une fois la diffusion opérée, par crainte, bien évidemment, que nous soyons tentés d'exercer le moindre pouvoir de censure. Ce n'est nullement notre état d'esprit, mais le principe posé par la loi est cardinal.

En ce qui concerne la diversité même des chaînes et des stations à laquelle vous avez fait référence, c'est incontestablement en soi un facteur positif que d'offrir au public une gamme aussi large que possible de programmes. Cela soulève des difficultés, notamment les distinctions entre télévision payante et télévision gratuite, qui sont l'un des grands sujets des médias d'aujourd'hui. On pense en particulier aux retransmissions des manifestations sportives. Il est vrai qu'il peut y avoir des effets de doublon ; on peut avoir l'impression, face à certaines chaînes ou certaines stations dites « généralistes », « mini-généralistes » ou « semi-généralistes » - les spécialistes ne sont pas avares de termes - que la profusion n'est pas nécessairement une garantie de richesse et de liberté de choix.

J'ai personnellement insisté sur le fait qu'il y a, dans l'évolution des médias d'aujourd'hui, en particulier la télévision, un phénomène qui peut être inquiétant dans le passage d'une télévision de l'offre séquencée, programmée, dans sa diversité affichée par les différentes chaînes, à une télévision à la demande, façonnée selon les penchants antérieurement exprimés par les téléspectateurs, en particulier par l'application d'algorithmes plus ou moins complexes, susceptibles d'enfermer et de cloisonner ceux-ci dans des goûts supposés être les leurs, par nature et dans la durée, en les privant de l'ouverture, de la curiosité intellectuelle et de l'envie de voir ce qu'ils n'ont pas eu immédiatement la tentation de regarder.

Vous avez tout à fait raison : la profusion n'est pas une garantie en elle-même. Elle doit s'allier à un souci de qualité. Cette interrogation, vous l'avez aussi souligné, est au centre de nos réflexions sur la télévision publique. Je rappelle qu'en 2014, nous avons rédigé un rapport particulier sur la programmation culturelle à la télévision publique. « L'été et la nuit » est le titre de l'étude assez connue d'une personnalité sur la tentation de remplir ses obligations à des moments de faible écoute. On la retrouve chez beaucoup de nos interlocuteurs, en particulier dans des radios ou des chaînes musicales.

Nous devons sans cesse nous focaliser sur des problèmes qualitatifs plutôt que quantitatifs. C'est la raison pour laquelle la régulation me semble irremplaçable, car la réglementation ne peut fixer que des quotas généraux, permanents, stables, lesquels donnent lieu à des tentations d'évasion dans leur application concrète, alors que la régulation, réactive, interactive, immédiate, mobile, permet un véritable dialogue, fut-il un dialogue a posteriori qui permette d'orienter pour le futur les politiques des différentes chaînes et stations.

Reste que nous devons respecter la responsabilité éditoriale des chaînes et des télévisions. Si nous souhaitions nous faire programmateurs à la place des programmateurs, il nous serait justement reproché d'aller au-delà de nos pouvoirs d'autorité administrative indépendante.

Quant à la diversité des dirigeants, on a tendance à se focaliser en particulier sur le dirigeant principal de telle ou telle société, ou de tel ou tel groupe. Il existe des compétences variées - gestion financière, humaines, économique - des compétences de programmation, d'antenne, d'information. Le rôle d'un groupe important, quel qu'il soit, est de faire se réunir et s'agréger, pour la plus grande qualité possible des programmes, ces différentes compétences.

La désignation d'un président ou d'une présidente à la tête d'un grand groupe ne vaut pas garantie pour la programmation de telle ou telle des chaînes du bouquet de ce groupe.

M. Pierre-Yves Collombat. - On a quand même l'impression que c'est un jeu des chaises musicales ! Ce sont toujours les mêmes qui se partagent les responsabilités. C'est un vrai problème.

Y a-t-il une différence entre l'audiovisuel public et le privé ? Qu'est-ce que cela aurait d'extraordinaire pour l'audiovisuel public que d'autres règles que celle de l'audience ou du marketing influent sur le choix de la programmation ?

Il ne s'agit pas uniquement de faire respecter la loi dans le secteur privé ! La commission de la concurrence est là pour s'en occuper ! C'est bien parce qu'il s'agit d'un domaine particulier que l'audiovisuel bénéficie d'une instance spécialement chargée du sujet. Veiller au respect des règles de la concurrence n'est pas un problème spécifique à l'audiovisuel ! Les fréquences sont un bien public : c'est bien là le fond du débat...

M. Olivier Schrameck. - Certainement.

Le débat que vous soulevez est d'une telle ampleur qu'on ne peut y apporter que des éléments de réponses.

Tout d'abord, je note que l'un des reproches essentiels qui a été fait à la désignation de la future présidente de France Télévisions est qu'elle n'a pas exercé de responsabilités équivalentes dans l'audiovisuel public ou privé. Cela démontre que le réflexe général a été précisément contrebattu par le CSA, qui a voulu choisir une personnalité dont les qualités étaient incontestables, et qui, précisément, apportait une expérience nouvelle dans le métier. Il a été rappelé à cette occasion que M. Meheut n'exerçait aucune compétence dans l'audiovisuel lorsqu'il a reçu les responsabilités qui sont les siennes au sein du groupe Canal Plus, pas plus que M. Le Lay au sein du groupe TF1. Par conséquent, allier la compétence et la diversité n'est absolument pas contradictoire : c'est un argument qui pourrait être versé au débat qui a eu lieu ces dernières semaines.

En ce qui concerne l'évaluation de la qualité, je me permets de me référer au projet stratégique de Mme Ernotte, qui a été rendu public. Celle-ci insiste sur la nécessité de privilégier le « qualimat » sur l'audimat, et de mettre en oeuvre un baromètre de satisfaction.

Pour ce qui est des chaînes privées, il m'est plus difficile de vous répondre : comme vous le savez, les chaînes gratuites dépendent des ressources publicitaires. C'est d'ailleurs l'un des éléments fondamentaux de la problématique, qui a été débattu à propos de LCI, de Paris Première, et de Planète Plus.

Pas plus que dans un autre métier, on ne peut s'improviser dans une fonction aussi difficile que celle de responsable d'un groupe de l'audiovisuel, mais je crois comme vous que cette sorte de fonctionnement en vase clos, qui peut transparaître à travers le discours de certains acteurs - je ne parle pas que des éditeurs - n'est pas nécessairement un gage de qualité, de renouvellement, ni d'inventivité dans la durée. La création culturelle est très largement fondée sur l'innovation, ce que reflète, en ce qui concerne France Télévisions, le diagnostic porté par la future présidente de ce groupe.

M. Jean-Louis Tourenne. - Quelle appréciation portez-vous sur les programmes, sur leur nature et leur contenu, ainsi que sur les éventuels conflits d'intérêts entre des sociétés qui sont l'objet de grandes commandes de l'État et qui possèdent des chaînes importantes dont la diffusion est extrêmement large ? Cela conduit-il à des perversions et à des dérives en matière de programmes que vous êtes capables d'apprécier, voire de corriger ?

Je comprends que la réponse puisse être difficile ; malgré tout, c'est une question permanente qui se pose sur la possibilité de disposer de grands médias, tout en étant dépendant de l'État pour d'autres activités.

En second lieu, pensez-vous que vos missions seraient moins efficaces et que leur exercice serait moins aisé si, au lieu d'être installés à Paris, vous vous trouviez à Rennes, Brest, Limoges ou Montpellier ? Quelle est la raison qui exige que vous soyez à Paris ? Quelle en est la plus-value, alors que vous pourriez participer à l'aménagement du territoire, et connaître un autre terrain que celui que vous fréquentez habituellement ? Vos missions en seraient-elles plus difficiles ?

M. Olivier Schrameck. - Ce sont là deux questions très différentes.

La première a trait au problème général des cumuls au sein des médias et en dehors des médias. Cette question a connu des législations successives. La dernière remonte à 1994. Elle a régi ce que l'on appelle le « plurimédia » ou « transmédia », et les cumuls de responsabilités. Il existe des plafonds de concentration aussi bien en matière de télévision, quant au nombre des chaînes - sept -, ou quant à l'importance de l'audience, qu'en matière de radio. C'est l'objet d'un rapport transmis récemment au Parlement. Le problème a été débattu à plusieurs reprises dans la vie publique de savoir si certaines activités étaient ou non conciliables.

Vous me permettrez de vous répondre sur ce point que c'est une question éminemment politique, et que le CSA n'a vraiment pas à se prononcer sur la capacité d'un groupe implanté dans les médias à s'engager dans d'autres activités : il sortirait complètement de ses compétences !

M. Jean-Louis Tourenne. - Ma question n'était pas celle-là !

Je comprends fort bien que ce ne soit pas de votre responsabilité, ni de votre compétence, mais ressentez-vous vous-mêmes une certaine influence sur le contenu des programmes et sur ces programmes eux-mêmes du fait de ces concentrations ?

M. Olivier Schrameck. - Ma réponse va peut-être vous décevoir, mais je ne puis en donner d'autres : la question n'a jamais été délibérée au sein du collège du CSA. Aucun fait précis ne nous a conduits à nous interroger sur cette question.

Si c'est mon opinion personnelle que vous me demandez, je suis forcé, tout en ayant conscience d'être devant une commission d'enquête, de respecter le devoir de réserve lié à mes fonctions. Je ne peux, en tant que président du CSA, me livrer devant vous à des appréciations à caractère purement personnel.

En ce qui concerne la territorialisation, il existe des raisons objectives pour qu'il existe un établissement principal en région parisienne. Cela tient tout simplement au contact physique et concret avec l'ensemble de nos interlocuteurs. Les pouvoirs publics, qui sont très importants pour nous, sont installés en région parisienne. L'ensemble des sièges des grandes sociétés nationales de radio et de télévision le sont également. D'ailleurs, notre implantation à Issy-les-Moulineaux, qui est limitrophe du XVe arrondissement, nous permet d'être voisins d'un certain nombre de sociétés, comme l'Institut national de l'audiovisuel (INA), France Médias Monde, Eurosport, Orange, Bouygues, qui pratiquent des activités semblables ou voisines de la sphère de la régulation qui est la nôtre.

En revanche, je suis persuadé que le CSA ne doit rester, ni dans les faits, ni en image, comme une institution parisienne. C'est une institution des territoires. C'est pourquoi, depuis que j'ai pris mes responsabilités, j'ai porté constamment l'accent sur l'importance du rôle des comités territoriaux de l'audiovisuel. Mon souci, avec le directeur général et le directeur général adjoint, est d'accroître sans cesse leurs compétences et leurs moyens.

Je vous en donnerai comme exemple le fait que nous venons de leur transférer, outre les compétences en matière de radio locale, les compétences en matière de télévision locale. Tout ce qui est territorial, dans le monde de la radio et de la télévision, doit relever au premier chef des comités territoriaux de l'audiovisuel. Nous venons d'abandonner une pratique qui avait cours jusqu'à présent, qui permettait de contredire une décision du comité territorial de l'audiovisuel, de l'inviter à en prendre une nouvelle, différente de la première, et conforme à l'orientation que nous lui donnions.

Chacun doit détenir ses propres responsabilités. Le principe veut que c'est le comité territorial de l'audiovisuel qui décide. Il le fait dans plus de 95 % des cas. Lorsqu'il y a une différence d'appréciation, qui peut parfaitement s'expliquer du fait d'une contradiction entre une optique locale et une optique nationale de la régulation, le CSA doit prendre ses responsabilités, évoquer l'affaire et décider de ce qui lui paraît approprié.

M. Jean-Louis Tourenne. - Je voudrais que vous preniez conscience du fait que l'argument que vous venez d'employer relève de la logique qui préside à toutes les concentrations ! Cette nécessaire promiscuité aboutit inévitablement à rassembler autour d'un même pôle tous ceux qui doivent travailler ensemble. Avec cette logique, il faudrait que toutes les mairies quittent leur commune pour s'installer près du ministère de l'intérieur, parce qu'il existe de nécessaires voisinages...

M. Olivier Schrameck. - Je sais que je ne vous apprendrai rien, mais le législateur a voulu que les comités territoriaux de l'audiovisuel soient des échelons déconcentrés du CSA : ce ne sont pas des mairies ! Si le législateur décide de créer des conseils régionaux, des conseils départementaux, et des conseils communaux de l'audiovisuel, cette décision sera appliquée.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Toutefois, cela se produit souvent au détour de tout un tas de textes. La difficulté est de tout rassembler et d'avoir une vue globale des choses.

M. Michel Canevet. - Assurant le suivi des crédits du programme 308 pour la commission des finances, je voudrais évoquer quelques questions financières et matérielles.

Vous avez rappelé que le budget du CSA avait diminué de 13 % depuis 2013 ; cela correspond à l'effort qui est demandé à l'ensemble des administrations publiques, aux collectivités locales et à beaucoup d'autres partenaires : il faut en effet que l'argent public soit géré avec la plus grande rigueur possible.

Or, j'observe qu'en ce qui concerne l'exercice 2015, le budget du CSA augmente assez significativement, passant de 35,7 millions d'euros en 2014 à 38,1 millions d'euros en 2015, s'agissant des crédits de paiement. Comment justifiez-vous cette augmentation importante ?

Le rapporteur a par ailleurs évoqué un certain nombre d'articles parus dans les médias dans différentes affaires. Vous avez bien voulu nous apporter un certain nombre d'explications sur les dossiers en cours. Je me rappelle, l'année passée, qu'un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi avait évoqué la manière dont s'opéraient vos déplacements en province. Pourriez-vous nous apporter des explications à ce sujet ?

Enfin, disposez-vous d'un cabinet ? Si tel est le cas, de combien de personnes est-il composé ? Quelles sont ses fonctions précises ?

M. Olivier Schrameck. - L'augmentation dont vous parlez est optique : elle tient à notre transformation en autorité publique indépendante, qui nous conduit à acquitter la taxe sur les salaires. C'est une mesure d'ordre décidée dans le cadre de la négociation budgétaire.

En ce qui concerne les deux déplacements dont il a été question, il s'agit de déplacements qui, l'un pour des raisons liées à une prise de parole nécessaire, pour laquelle je suis malgré tout arrivé avec une demi-heure de retard, et l'autre pour des raisons d'éloignement, rendaient l'utilisation de la voiture de service dévolue aux besoins du président dans l'exercice de ses fonctions parfaitement justifiable et financièrement équilibrée par rapport à des frais de location ou de taxi, à mes yeux comme à ceux de la direction générale. Je souligne que je n'utilise bien entendu ce véhicule que dans l'exercice strict de mes fonctions.

En ce qui concerne le cabinet, je relève tout d'abord que c'est un problème de choix des affectations à l'intérieur du tableau des emplois. Cela n'a rien à voir avec la problématique que je connais un peu, et sur laquelle j'ai écrit quelque peu, des cabinets ministériels, pour lesquels on ajoute des ressources supplémentaires en faisant appel à des compétences extérieures de la fonction publique, ou même d'ailleurs.

En quoi consiste-t-il, ce fameux cabinet ? Il comporte un directeur de cabinet, comme c'était le cas pour MM. Bourges et Baudis. J'ai pensé qu'il était utile qu'un fonctionnaire des services de très grande qualité vienne me seconder, car l'expérience publique m'a appris que le lien entre l'administration et le collaborateur personnel du président est très important pour la connaissance de l'administration dans sa diversité et sa qualité. Ce cabinet compte également un chef de cabinet pour organiser les très nombreuses manifestations auxquelles nous participons, un conseiller ou une conseillère pour la communication, qui est d'ailleurs la même que pour mon prédécesseur, et de grande qualité, enfin un chargé de mission, qui m'aide à rassembler la documentation nécessaire aux prises de parole que je suis conduit à effectuer en général plusieurs fois par semaine.

J'ajoute que, par rapport à d'autres autorités, le milieu des médias est très particulier. Je dois avoir des contacts permanents avec l'ensemble des pouvoirs publics et des médias. Quant à la communication, comment imaginer que le CSA puisse être privé d'un conseiller ou d'une conseillère chargée de la communication ?

M. Claude Raynal. - Vous avez évoqué à l'instant les télévisions locales. On a l'impression que ce modèle est aujourd'hui à bout de souffle. Dans le Sud, Télé Toulouse vient de fermer, après les chaînes locales de Montpellier et de Marseille. Certains acteurs émettent vaguement la volonté de reprendre les fréquences, sans qu'un modèle ne se dessine aujourd'hui très clairement. Pensez-vous qu'il en existe aujourd'hui un permettant de faire vivre les réseaux de télévision locale ou est-ce derrière nous ?

S'agissant du rôle du CSA en matière d'éthique, je trouve, à titre personnel, qu'il existe une grande variété de chaînes par rapport au passé, mais je trouve les chaînes d'information en continu aujourd'hui extrêmement critiquables du point de vue déontologique. Les choses vont de plus en plus vite et les informations sont de moins en moins contrôlées. On assiste à une course effrénée, dont l'impact est considérable sur les réseaux sociaux, qui servent de relais. Cela renvoie une image très négative et maintient une chape de plomb sur le pays. Quand on regarde CNN ou la BBC, où les informations sont justes, on n'a pas cette impression. Étudiez-vous cette problématique ? Quelles règles éthiques demandez-vous à ces chaînes d'appliquer ?

M. Olivier Schrameck. - Les télévisions locales sont d'une très grande importance, et la place qu'elles occupent me frappe à chaque fois que je me déplace sur le territoire.

C'est un monde économiquement très instable, qui connaît beaucoup de disparitions, mais aussi beaucoup de naissances. Depuis le début de l'année, nous avons fait quatre appels d'offres. À chaque fois, des candidats ont été susceptibles d'être retenus, mais toutes les procédures ne sont toutefois pas allées à leur terme.

Récemment, en Île-de-France, la renonciation à une fréquence par le groupe NRJ a donné lieu, dans un premier temps, à treize puis à onze candidatures. Nous avons passé toute une journée à auditionner les candidats, qui montraient des ambitions, des vocations et des appétits divers et variés. Il ne faut donc pas être trop pessimiste.

En revanche, il faut avoir conscience de la très grande fragilité de ces télévisions locales et, en particulier, de leur dépendance, au centre des débats à propos de Télé Toulouse, par rapport aux collectivités publiques qui les soutiennent plus ou moins : elles sont, elles aussi, aujourd'hui frappées par les contraintes des finances publiques - vous le savez mieux que quiconque.

L'appétit et le dynamisme demeurent, mais l'environnement est de plus en plus difficile. Je voudrais, sur ce point, insister sur la préoccupation qui s'est fait jour au sein du CSA concernant une meilleure coordination entre les stations régionales, qui comportent parfois des antennes départementales de France 3, et les chaînes de télévision locale. Il existe parfois de très bons exemples de coordination, mais aussi une certaine ignorance, voire des affrontements feutrés.

Il ne faut cependant pas renoncer à soutenir les télévisions locales, qui sont fondamentales pour faire vivre les territoires. Accepter leur repli, c'est s'inscrire dans une optique générale à laquelle je sais à quel point votre Haute Assemblée est hostile, à juste titre.

La problématique à propos de laquelle vous posez une question a été très présente dans l'étude d'impact concernant LCI. J'ai d'ailleurs noté des déclarations de dirigeants de TF1 qui ont fait savoir que, s'ils présentaient au CSA de nouveaux projets, ce serait dans une optique éditoriale différente. C'est une marque du débat que vous venez de soulever.

Il est sûr que l'absence de recul, la recherche de recettes publicitaires, la concurrence des réseaux sociaux, sur laquelle les intéressés insistent beaucoup, fait qu'il existe une tentation d'information à tout prix. Celle-ci peut être à nos yeux, dans certains cas, déviante.

Un contentieux devant le Conseil d'État est en cours, et je ne sais ce que celui-ci dira, mais nous avons affirmé que, pour une chaîne publique, montrer les derniers instants d'un policier assassiné et faire entendre ses cris de grâce était attentatoire à la dignité humaine - même s'il nous a été répondu que CNN ou Al Jazeera faisaient la même chose.

Nous avons pensé qu'indiquer la présence de personnes que ne connaissaient pas des assassins dans des locaux qu'ils occupaient, ou de personnes susceptibles d'être prises en otage, montrer un assaut dont risquait de dépendre la vie d'autres personnes pouvait constituer une atteinte à la préservation de la vie d'autrui, à la sauvegarde de l'ordre public, ou encore à la dignité de la personne humaine.

Nous n'avons pas entendu beaucoup de voix, en dehors du CSA, s'élever pour le dire ! Cela ne nous désoriente pas, mais nous confirme dans la vocation singulière et peut-être irremplaçable du CSA, qui est d'attirer l'attention sur les déviances et les anomalies possibles, heureusement rares, susceptibles de se manifester. Nous le faisons dans l'exercice de notre responsabilité collective, et sous le contrôle du juge.

Même si aucun sondage n'est paru sur ce point, cela peut correspondre à une sensibilité du public, pour lequel la responsabilité éditoriale, tout comme pour nous, est fondamentale. Ce qui différencie une chaîne de télévision, quelle qu'elle soit, quel que soit le type d'informations qu'elle produit, d'un réseau social sur lequel on poste des messages ou des vidéos, c'est la responsabilité éditoriale, qui consiste à analyser, à étudier, à sélectionner et à présenter les informations que l'on diffuse !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le fait que vous estimiez que le CSA ait été assez seul à réagir à propos de certains comportements des chaînes d'information en continu à la suite des attentats terroristes constitue un message clair.

Toutefois, le CSA a les moyens d'agir, qui sont prévus par la loi. Ceux du Parlement sont relativement limités, y compris vis-à-vis de chaînes publiques comme France 3, lorsqu'elles vomissent sur le Sénat ! Même si vous avez réagi à ce sujet, on ne peut pas dire que les réactions de la Haute Assemblée vis-à-vis de la chaîne ont été suivies d'un quelconque effet !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Monsieur le président, je vous remercie d'avoir répondu à nos interrogations.

M. Olivier Schrameck. - Merci à vous.

La réunion est levée à 18 heures 13.

Mercredi 8 juillet 2015

- Présidence de Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 40.

Audition de Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous entendons Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi), créée par la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la création sur Internet, dite Hadopi I, qui la qualifie d'autorité publique indépendante. Cette loi instaure la réponse graduée en matière de lutte contre le piratage sur Internet, en particulier par des outils d'échange peer-to-peer, et en confie l'application à la nouvelle Hadopi. Cette dernière reprend les missions précédemment dévolues à l'Autorité de régulation des mesures techniques (ARMT) créée sur une initiative sénatoriale par la loi du 1er août 2006 relative aux droits d'auteurs et aux droits voisins dans la société de l'information.

L'Hadopi comprend deux organes distincts. Le collège d'abord, composé de neuf membres nommés par le Conseil d'État, la Cour des comptes, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, les ministères concernés et le Parlement. Il est renouvelé par tiers tous les deux ans et présidé par vous-même, magistrate à la Cour de cassation, élue par le collège. Celui-ci met en oeuvre les missions confiées par la loi à l'institution à l'exception de la réponse graduée. Le deuxième organe est la commission des protections des droits (CPD), présidée par Mme Mireille Imbert-Quaretta, composée de trois magistrats respectivement issus de la Cour de cassation, du Conseil d'État et de la Cour des comptes. Cette commission, indépendante du collège, a la responsabilité de la réponse graduée.

Vous nous exposerez les missions de l'Hadopi définies par la loi du 12 juin 2009 et précisées par la loi du 28 octobre 2009 relative à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet, dite Hadopi II.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-Françoise Marais prête serment.

Mme Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet. - Merci de me recevoir. Ces rencontres sont toujours très enrichissantes car elles nous obligent à approfondir la réflexion sur notre institution et à préciser les voies que nous devons explorer.

Tout d'abord, je voudrais revenir sur les raisons qui ont poussé à la création de l'Hadopi. Les pouvoirs publics ont estimé qu'ils ne pouvaient se désintéresser du piratage qui prenait une ampleur sans précédent : ils devaient réagir, mais pas n'importe comment. Une période de maturation était nécessaire. Comment en effet réagir face à un phénomène qui ne concernait pas les délinquants habituels mais des personnes qui, par ailleurs, respectent les lois et qui, pour certaines, n'avaient même pas conscience de les enfreindre ? Il n'y avait à l'époque en droit qu'une seule incrimination pour les sanctionner : la contrefaçon, qui est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. Ces sanctions n'étaient bien évidemment pas adaptées à la problématique du téléchargement illégal.

La loi de 2006 disait que tout abonné à Internet devait veiller à ce que ses connexions ne serve pas à des usages illicites, mais cette obligation n'était assortie d'aucune sanction. Face à ce vide juridique, le législateur a souhaité confier à une autorité administrative indépendante (AAI) le soin de surveiller les comportements des internautes. Il a alors été envisagé une riposte graduée : cette autorité pourrait prononcer des amendes mais aussi couper l'accès à Internet après trois mises en demeure. Le Conseil constitutionnel en a jugé autrement, estimant que si la propriété intellectuelle était un droit fondamental, ce qui nous réjouis, la liberté d'expression et la liberté d'opinion lui prévalaient : or une coupure d'Internet portait atteinte à ces libertés. Ainsi, seul le gardien naturel des libertés, à savoir le juge, devait avoir le droit de prononcer une telle sanction.

C'est pour cette raison que nous sommes passés d'une « riposte graduée » à une « réponse graduée » et que l'Hadopi a conservé le pré-pénal, et acquis la faculté de renvoyer les dossiers devant le juge. En outre, grâce au Sénat, nous avons reçu la mission d'encourager le développement de l'offre légale, ce qui intéresse nombre d'utilisateurs. Enfin, nous sommes chargés de l'observation étant donné du peu d'informations dont nous disposons. Nous devons également publier des indicateurs et réguler les mesures techniques.

Le 8 janvier 2010, quand j'ai poussé pour la première fois la porte des bureaux que le ministère de la culture mettait à notre disposition, il n'y avait que quelques bureaux, des chaises et un vieil ordinateur. J'étais bien seule. Il a fallu construire cette autorité à partir de rien. La première recommandation que nous avons faite le 1er octobre 2010 représentait un véritable exploit. Il a fallu quatorze décrets et deux années pour être réellement opérationnels. Voilà donc quelle fut la naissance de l'Hadopi.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Merci pour cette présentation très intéressante.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - En quoi l'existence de l'Hadopi est-elle utile ? Pourquoi ne serait-elle pas absorbée par le CSA ? En quoi considérez-vous qu'une autorité indépendante est utile ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Je me suis posé cette question à de nombreuses reprises. Cela dit, l'Hadopi existe par la volonté du législateur.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Et si le législateur décidait de la supprimer, qu'en penseriez-vous ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Je n'ai pas d'états d'âme. Notre existence n'a pas été facile. On parlait régulièrement de nous supprimer, de nous transférer, de nous fusionner... Difficile d'avancer dans de telles conditions.

Sommes-nous légitimes ? Tous les présidents des AAI que vous allez auditionner vous répondront par l'affirmative. Chaque autorité a un objet spécifique, un métier particulier. Pour notre part, notre identification est forte. Avant même notre création, certains tiraient à boulets rouges sur cette future autorité. Mais cette identification montre l'attachement des pouvoirs publics au droit de la propriété intellectuelle et il s'agit d'un atout auprès de nos interlocuteurs étrangers.

En outre, nous avons un réel effet bouclier : notre exposition est telle que nous parons les coups pour les administrations centrales. Enfin, nous protégeons les données personnelles des particuliers. La commission de protection des droits (CPD) est totalement indépendante de l'Hadopi afin de protéger les données personnelles sensibles. Je comprends l'obsession de la présidente de la CPD qui veille à une étanchéité parfaite. Les ayants droit qui constatent une infraction n'ont pas accès aux données personnelles. On a craint à une époque une faille lors du recueil des adresses IP : la CPD a demandé une expertise et l'expert auprès de la Cour de cassation a estimé que le système en place était robuste.

Victoria Espinel, conseillère du président Obama, défend une tout autre logique. Aux États-Unis, les intrusions du législateur sont perçues comme une atteinte à la liberté. C'est pourquoi la réponse graduée y est mise en oeuvre par une association. L'approche française est totalement différente : un système privé serait considéré par nos concitoyens comme un petit arrangement entre amis.

Enfin, la lutte contre le piratage et le développement de l'offre légale me semblent complémentaires, mais pourraient néanmoins être dissociés et confiés à d'autres. J'ajoute que l'Hadopi compte 52 personnes, ce qui en fait une très petite administration.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Les petits ruisseaux font les grandes rivières.

Mme Marie-Françoise Marais. - Certes, mais une taille réduite est le gage d'une plus grande réactivité, adaptée aux évolutions de notre temps. Une fusion avec le CSA ne le permettrait sans doute pas. Bien entendu, le législateur peut concevoir d'autres systèmes.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous estimez que l'Hadopi sert de bouclier, mais cet argument est difficilement recevable : chacun doit assumer ses responsabilités. Le délitement de l'État n'est pas une bonne chose pour la République.

Dans de nombreux domaines, l'État est amené à utiliser des données personnelles et il le fera de plus en plus à l'avenir, dans le cadre de ses missions institutionnelles. Faut-il une autorité indépendante pour que les données personnelles de nos concitoyens soient protégées ? Cette question mérite d'être posée.

Mme Marie-Françoise Marais. - Je n'ai pas la prétention de dire qu'un service de l'État serait incapable de le faire à notre place. Mais nous sommes confrontés à de forts antagonismes entre les ayants droit, les intermédiaires techniques - fournisseurs d'accès Internet (FAI) et hébergeurs - et les divers utilisateurs. Le législateur a voulu une autorité indépendante mais une autre forme juridique était et reste envisageable.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pour que vive l'Hadopi, il faut des moyens et du personnel. La subvention de l'État a régulièrement diminué. Pouvez-vous nous en dire plus ? Vous avez constitué un bon matelas au départ et vous le consommez depuis quelques années.

Mme Marie-Françoise Marais. - Nous avons subi une première diminution de notre budget en 2012, avec 10 % de crédits en moins, ce qui nous a conduits à réduire drastiquement nos dépenses en internalisant des services et en réduisant les frais de communication et de représentation.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Dans votre dernier rapport, il est dit que vous exécutez de manière élevée votre budget, ce qui est positif. Ce n'est pas le cas de toutes les autorités indépendantes.

Mme Marie-Françoise Marais. - L'année 2012 fut bénéficiaire, ce qui a alimenté le fonds de roulement. En 2013, nous avons subi une réduction de 32 % : nous avons connu notre premier résultat déficitaire et il nous a fallu prélever environ 1,6 million d'euros sur notre fonds de roulement. En 2014, les crédits ont encore diminué de 20 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - D'après mes informations, vous avez subi une diminution de 51 % en trois ans.

Mme Marie-Françoise Marais. - C'est exact. En 2014, nous avons eu un deuxième résultat déficitaire et nous avons à nouveau ponctionné notre fonds de roulement à hauteur de 2,5 millions.

Cette année est catastrophique, avec des moyens réduits encore de 20 %.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Sans compter le gel de 7 % appliqué à tous les opérateurs.

Mme Marie-Françoise Marais. - J'ai tiré le signal d'alarme. Même les rapporteurs de la loi de finances ont noté que ces réductions ne permettaient plus d'assumer toutes nos missions.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il faut dire que des coups de rabot uniformes ne se justifient pas. Bercy pourrait proposer des solutions plus sophistiquées.

Mme Marie-Françoise Marais. - Nous avons été contraints de licencier quatre personnes, de ne pas remplacer cinq départs et de ne pas renouveler deux CDD. Nous référant aux préconisations de l'inspection générale des finances, nous disposons de deux mois de fonds de roulement.

Je ne sais pas si vous vous rendez compte des conditions de travail de nos agents. Ils sont extrêmement stressés, ne sachant pas quel sera l'avenir de cet organisme. Pourtant en quarante ans d'activité professionnelle, je n'ai jamais rencontré des agents aussi motivés. Je leur tire mon chapeau. Le travail qu'ils accomplissent mérite le respect.

Pour le budget 2015, nous n'avions pas été associés aux discussions. Pour 2016, nous sommes dans la boucle dès le départ. Nos prétentions sont modestes mais nous devons arriver à faire vivre notre institution.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Avez-vous été contrôlés par la Cour des comptes ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Pas encore. En revanche, nous envoyons nos comptes financiers au ministère de la culture.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous êtes indépendants, mais totalement dépendant de la négociation avec l'État.

Mme Marie-Françoise Marais. - Je suis très indépendante. Le doyen Gélard disait qu'une autorité administrative doit avoir les moyens d'exercer ses fonctions de façon satisfaisante. Je tire donc le signal d'alarme car 2015 est une année noire pour notre institution.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le doyen Gélard estime qu'il faudrait supprimer 80 % des AAI.

Mme Marie-Françoise Marais. - J'espère que l'Hadopi sera dans les 20 % restantes. En parfait accord avec Mme Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la CPD, nous avons réduit nos budgets. Mais cette diminution drastique affecte à présent le fonctionnement de l'institution et le moral du personnel.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il est normal que le capitaine se préoccupe de l'équipage. En dépit de votre statut d'autorité publique indépendante, l'État ne vous a pas facilité la tâche puisque la nomination de trois membres de votre collège sur neuf a tardé entre fin 2013 et mi 2014.

Mme Marie-Françoise Marais. - J'ai tiré le signal d'alarme à plusieurs reprises car nous ne pouvions pas fonctionner correctement, malgré le quorum. Nous avons enfin obtenu satisfaction, au bout de six mois, après une alarme vigoureuse pour ne pas dire une mise en demeure avant que d'autres instances interviennent.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si le Gouvernement est convaincu de la nécessité de votre action, c'est une curieuse méthode de réduire régulièrement votre budget et de ne pas nommer les membres de votre collège.

Mme Marie-Françoise Marais. - J'ai bon espoir que les relations s'améliorent à l'avenir.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Quel est le bilan que vous dressez de votre action contre le piratage ? Le mécanisme de la réponse graduée donne-t-il satisfaction ? Où en est le développement de l'offre légale accessible ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Les résultats doivent être examinés à l'aune des objectifs fixés. L'Hadopi n'est pas faite pour éradiquer le piratage. D'autres actions sont utilisées, comme la fermeture de sites ou les poursuites en contrefaçon. Indépendamment du peer-to-peer, le téléchargement en direct est monté en puissance. Nous avons été un des premiers à nous en préoccuper et j'ai demandé à Mme Mireille Imbert-Quaretta de se pencher sur la question. Son rapport a donné lieu à un autre rapport commandé par le ministère de la culture pour déterminer les moyens opérationnels à mettre rapidement en place. Des chartes ont été signées pour assécher les ressources publicitaires des plateformes illicites. Une autre charte devrait bientôt voir le jour pour assécher les paiements. Le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) présente désormais sur son site les plateformes d'offres légales. Nous avons nous-mêmes créé une plateforme recensant les sites manifestement illicites. Les personnes qui cherchent des oeuvres introuvables peuvent nous interroger : nous leur donnons l'information ou répercutons ces demandes sur les producteurs. Nous regrettons notre peu de pouvoir en matière de mesures techniques de protection (MTP). Nous avons rendu trois avis, mais nous souhaiterions faire plus.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous prononcez plus de quatre millions de premières recommandations : comment faites-vous ? A la dernière étape, après la deuxième recommandation et la délibération, vous ne transmettez que 200 cas au parquet. L'entonnoir est vraiment étroit.

Mme Marie-Françoise Marais. - Les ayants droit nous saisissent après avoir constaté une infraction et ils nous transmettent une adresse IP. La CPD traite environ une demande sur deux. Elle demande aux FAI d'identifier la personne qui détient l'adresse IP : dans 88 % des cas nous obtenons une réponse. La CPD envoie alors une première recommandation.

Mme Mireille Imbert-Quaretta a développé pour la réponse graduée une sorte de process pédagogique. La deuxième recommandation ne concerne plus que 10 % des personnes qui ont déjà reçu un mail, ce qui ne veut pas dire que les 90 % restants ont arrêté de télécharger de façon illégale. Mais beaucoup de gens ne savent même pas qu'ils ont recours à des sites illégaux. Leurs enfants le savent, mais se gardent bien de les éclairer...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - On nous dit qu'il y aurait 70 000 saisines par jour. C'est énorme !

Mme Marie-Françoise Marais. - C'est bien le cas. J'ai ma liberté de parole ; je vous raconterai donc ma conversation avec la fille d'un ami. Sachant qu'il lui arrive de télécharger, je lui ai dit : cessez de considérer qu'avec Hadopi, c'est « pas vu, pas pris » ! Lorsque l'on aime la création, il faut la défendre, non l'affaiblir. Cet ami m'a dit ensuite que sa fille avait changé de comportement. Ce n'est pas parce que je ne vois pas de gendarme que je roule à plus de 50 kilomètres à l'heure en agglomération. La réponse graduée est efficace.

Certains disent que le piratage augmente. En nombre, oui, mais pas plus vite que le nombre d'internautes. Les Nordiques ne piratent pas ? Chaque peuple à sa façon de réagir et je crains que les Français ne soient pas un modèle en cette matière. Nous essayons de changer cela par tous les moyens, chartes ou développement de l'offre légale.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je suis heureux qu'un haut magistrat comme vous n'adhère pas au « pas vu pas pris ».

Mme Marie-Françoise Marais. - C'est dans mes gènes !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais on peut lutter contre les addictions ou le braconnage sans AAI... La structure bicéphale n'a-t-elle pas occasionné des blocages graves ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Il y a eu des périodes difficiles, mais nous arrivons aujourd'hui à des résultats surprenants. J'ai organisé en dehors des cas où elles sont de droit - budget, avis - des réunions avec la CPD, qui montent en puissance. Mais le bicéphalisme a occasionné des frictions, c'est vrai.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Des blocages ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Pas totalement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Des freins, donc.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Nous avons demandé l'accès à des données qui étaient considérées comme une chasse gardée. En matière budgétaire, la CPD voulait réduire le fonds de roulement à zéro.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Y a-t-il un obstacle à se passer de cette bicéphalie ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Les sanctions et les données personnelles sont des domaines extrêmement sensibles. Cela nécessite un système informatique protégé et séparé des autres missions de la Hadopi. Je dois saluer l'expertise de la direction de la protection des droits, qui dépend de la CPD. Ce n'est pas une boîte noire, mais il est arrivé que l'étanchéité soit telle que l'on ne savait pas ce qui s'y passait. Les rapports se sont bien améliorés.

Mme Agnès Canayer. - Je vous pose la question comme parlementaire intéressée par le rôle de protection des droits des AAI et comme la mère de deux adolescents qui sont bien au fait de ces questions... De quels moyens disposez-vous pour anticiper ? Quel est la part du temps que la Hadopi consacre à chacune de ses deux missions, répression et sensibilisation ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Nous avons des chercheurs en informatique - je n'en fais pas partie... Ce sont des équipes très jeunes qui réalisent des études sur la manière de répondre aux nouvelles technologies, non pour éradiquer mais au moins pour faire diminuer le téléchargement illégal. La pédagogie est essentielle : dans un des ateliers que nous organisons, à l'un de ses camarades qui copiait sur lui, un gamin a dit : « tu me voles mon droit d'auteur ! » C'est déjà bien ! Le droit d'auteur est très délicat à comprendre. J'ai quarante ans de carrière derrière moi, durant lesquelles j'ai beaucoup travaillé sur cette question, mais certains magistrats n'en maîtrisent pas les tenants et les aboutissants. L'observation est très importante pour construire un discours adéquat pour les jeunes. Nous avons lancé une campagne de communication autour de la phrase : « la création de demain se défend aujourd'hui. » Mais cela coûte cher et nous n'avons pas pu la renouveler. Nous ne pouvons tout résoudre en quelques années : si c'était si facile, ce serait déjà fait. Une précision : nous consacrons 60 % de notre budget à la réponse graduée, 25 % à l'observation et 15 % à l'encouragement de l'offre légale.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je me souviens du débat préalable à la création de l'Hadopi : certains voulaient sévir tandis que les autres ne voulaient pas toucher à un Internet d'essence divine. Mon impression, c'est que la configuration de la Haute Autorité, avec son budget faible, son organisation bicéphale, ses contraintes procédurales fortes, a été précisément le moyen trouvé pour ne pas choisir, de s'en tenir à une mesure intermédiaire. Suis-je très éloigné de la réalité ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Mon impression est un peu différente : un équilibre a été recherché qui tient parfois du grand écart ! Penser qu'Internet est le lieu de la liberté absolue est dépassé, mais les utilisateurs veulent un accès aux créations bon marché - voire gratuit. Dans le même temps, il faut alimenter la création. Nous avons défriché, tenté des actions, certaines ont fonctionné, d'autres non. Mais nous avons fait avancer la conscience que la création de demain se protège aujourd'hui - sauf chez les geeks invétérés, bien sûr.

M. Pierre-Yves Collombat. - Je ne critique pas votre travail ; c'est un constat que je fais pour les AAI en général : elles peuvent être un bon moyen de ne pas réellement décider.

Mme Marie-Françoise Marais. - La création d'une AAI se justifiait dans ce cas, où nous avançions à l'aveugle. Tout était tellement nouveau. Il fallait inventer de nouveaux moyens de répression et de sensibilisation, car nous n'avions à notre disposition, dans l'arsenal existant, que la contrefaçon, or je n'ai jamais vu de juge prononcer trois ans fermes pour un téléchargement indélicat. Nous devions comprendre le mécanisme. La loi ne peut pas changer tous les trois mois...

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais si !

Mme Marie-Françoise Marais. - Oui, vous avez raison. C'est ma pratique à la Cour de cassation qui m'induit en erreur. La loi Hadopi ménage une réelle souplesse, autorise d'autres actions que la répression.

M. Michel Canevet. - Votre budget a diminué et vous avez réalisé des économies. Vos moyens de départ étaient-ils surdimensionnés ? Proposez-vous des améliorations à la riposte graduée ? À quels audits internes ou externes avez-vous procédé ?

Mme Marie-Françoise Marais. - Des investissements étaient nécessaires au démarrage, notamment pour notre système d'information. Nous ferons un bilan de la riposte graduée dans notre prochain rapport annuel. Vous remarquez que nous continuons à vivre avec beaucoup moins : c'est que nous avons réduit nos actions. Nous avons fait le maximum avec moins ; nous aurions pu faire mieux avec plus. Le budget de départ n'était pas surdimensionné.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - La commission de la culture a présenté ce matin un rapport sur l'Hadopi, dénonçant un taux d'encadrement trop élevé, des parachutages, des recrutements trop politisés, un défaut de management qui explique un turn-over important. Les organisations représentant les auteurs telles que le Bureau de liaison de l'industrie cinématographique (Blic), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc), la société civile des auteurs-réalisateurs-producteurs (ARP) ou l'Union des producteurs de films (UPF) dénoncent, dans une lettre à la ministre, le travail de la Haute Autorité. Quoique circonspect à l'égard de la presse, surtout parisienne, je lis que « le cinéma réclame la peau d'Éric Walter ». Cela peut s'expliquer par la nature même de votre travail ; mais cela mérite une réponse.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous parlons du rapport présenté par nos collègues Corinne Bouchoux et Loïc Hervé.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Le secrétaire général de l'Hadopi ne parlerait plus de téléchargement, mais de partage, considérant presque qu'il faudrait promouvoir cette pratique.

Mme Marie-Françoise Marais. - Notre encadrement est surdimensionné parce que nous ne sommes pas assez nombreux : nous lui demandons donc beaucoup. Quant à la lettre dont vous parlez, je suis indépendante : que je sois mal aimée, que mon action déplaise à certains, je le comprends très bien. Les articles de presse, on les lit ; on en tient compte ou non avant de prendre des décisions. Mes décisions déplaisent toujours à quelqu'un : je sers donc de punching ball. Sur le taux d'encadrement, il y a peut-être une disproportion entre les directeurs et les autres agents ; mais nous devons faire beaucoup avec peu. Je ne comprends pas l'accusation de recrutements politisés : nous travaillons avec des gens de tous horizons et je m'inscris en faux contre cette affirmation.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Vous avez indiqué que votre indemnisation était de 3 000 euros par mois. C'est peu, sachant que ce n'est pas un emploi fictif ! Vous êtes aussi magistrat à la Cour de cassation. C'est le cas de nombre de vos collègues. Nous voyons de tout, parmi les présidents d'AAI : de forts revenus, mais aussi des faibles. Considérez-vous votre indemnité comme normale ? Que ce serait-il passé si vous n'aviez pas été haut magistrat ? C'est un réel problème. Au train où l'on multiplie les AAI, il va bientôt falloir doubler ou tripler les effectifs de la Cour de cassation et du Conseil d'État !

Mme Marie-Françoise Marais. - Je suis aujourd'hui à la retraite, mais mener les deux fonctions de front a parfois été difficile. Mes 3 000 euros - bruts - vous effraient ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. - C'est peu, au regard de vos responsabilités.

Mme Marie-Françoise Marais. - Vous me posez une question un peu personnelle.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Si pour être président d'AAI, il faut être conseiller d'État, magistrat de la Cour des comptes ou à la Cour de cassation, c'est un problème.

Mme Marie-Françoise Marais. - Je le reconnais.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Même les membres du collège seront difficiles à trouver, même si ces fonctions sont honorifiques.

Mme Marie-Françoise Marais. - En effet.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Votre silence est éloquent.

Mme Marie-Françoise Marais. - Au demeurant, j'ai été très heureuse de ces fonctions. J'ai essuyé les plâtres, défriché le terrain. La suite ne m'appartient pas.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous remercie.

Audition de Mme Monique Liebert-Champagne, présidente de la Commission des Infractions fiscales

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Monique Liebert-Champagne, présidente de la Commission des infractions fiscales. Vous êtes Conseiller d'État et membre de la Commission des infractions fiscales depuis 2012 en tant que suppléante, puis titulaire depuis 2014 et vous en êtes devenue présidente depuis le 1er avril 2015.

La commission des infractions fiscales a été créée par la loi du 29 décembre 1977 accordant des garanties de procédure aux contribuables en matière fiscale et douanière et elle a été qualifiée d'autorité administrative indépendante (AAI) par l'étude du Conseil d'État de 2001.

La composition de cette commission a été largement revue par l'article 13 de la loi du 6 décembre 2013 relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et vous nous exposerez dans quel sens.

La CIF constitue une garantie de procédure au bénéfice du contribuable puisqu'elle examine les affaires qui lui sont soumises par l'administration fiscale en vue de porter plainte pour fraude fiscale devant l'autorité judiciaire. L'avis rendu par la CIF lie le ministre  car elle l'autorise ou non à porter plainte et il n'est pas motivé - pour ne pas influencer la procédure pénale ultérieure.

Vous nous exposerez dans un propos liminaire les missions de la commission et les procédures suivies.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Monique Liebert-Champagne prête serment.

Mme Monique Liebert-Champagne, Présidente de la Commission des infractions fiscales. - Les manquements aux obligations fiscales sont sanctionnés par des amendes administratives, qui peuvent aller jusqu'à 80 % des droits. Ils peuvent aussi relever de la juridiction pénale et l'article 1741 du Code général des impôts (CGI) autorise les poursuites pénales, dès lors que le contribuable a fraudé sur plus du dixième des droits ou plus de 153 euros. Mais il faut qu'il y ait fraude et l'article vise les contribuables qui se sont « frauduleusement » soustraits aux déclarations ou à l'impôt. Certains comportements sont particulièrement visés, avec des peines maximums plus lourdes : comptes ou contrats à l'étranger, interposition de personnes ou d'organismes établis à l'étranger ; usage d'une fausse identité ou de faux documents, domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l'étranger ou tout autre acte fictif.

C'est à l'administration fiscale qu'il appartient de décider si l'affaire de fraude doit être portée au pénal. Elle peut le faire à tout moment de la procédure, qu'il s'agisse de la procédure de vérification en cours ou bien de la procédure devant le juge de l'impôt. Ni l'administration fiscale, ni le juge pénal n'ont à attendre la décision de la juridiction saisie sur le bien-fondé de l'impôt. Il n'y a qu'une restriction, l'avis favorable de la Commission des infractions fiscales (CIF), prescrit par l'article L. 228 du livre des procédures fiscales (LPF).

Qu'est-ce que la CIF ? C'est une commission administrative, qui comprend huit conseillers d'État, huit conseillers maîtres à la Cour des comptes, huit conseillers honoraires à la Cour de cassation, et quatre personnalités désignées par le Sénat et l'Assemblée nationale. Elle siège en 4 formations de 8 membres, et peut siéger en plénière avec tous les membres. Elle examine de 1 000 à 1 100 affaires par an et son taux d'approbation est de l'ordre de 90 à 95 %. Entre 5 et 10 % des dossiers font ultérieurement l'objet d'une relaxe par le juge pénal.

La CIF est une commission administrative composée de magistrats ou d'anciens magistrats ; la plupart d'entre eux ayant exercé des fonctions dans le domaine fiscal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation l'a qualifiée d'AAI dès 1991. La CIF est une AAI très différente des autres, c'est une toute petite commission administrative, comparée notamment aux autorités de régulation.

La CIF est saisie à la suite d'une vérification de comptabilité ou d'un examen approfondi de la situation fiscale des entreprises le plus souvent, mais aussi, depuis 2010, en matière de ce qu'on appelle la « police fiscale ». En cas de présomptions caractérisées d'infraction fiscale, et sans attendre la fin d'un contrôle, l'administration peut saisir la CIF sur la base de ces présomptions caractérisées, et s'il existe un risque de dépérissement des preuves.

Il y a un certain nombre de cas dans lesquels la CIF n'est pas saisie : il s'agit de tous les délits susceptibles d'être poursuivis devant les tribunaux sans plainte de l'administration fiscale comme l'escroquerie en matière de TVA ou la fraude aux contributions indirectes et douanières, car la rédaction de l'article L. 228 du LPF ne mentionne pas ces impôts. La CIF n'est pas non plus saisie en matière de délit de blanchiment puisque l'infraction principale est le blanchiment, c'est-à-dire l'obtention d'argent illicite, et le fiscal n'est en l'espèce qu'une conséquence. Enfin, le faux et l'usage de faux ne sont pas concernés car les fonctionnaires les dénoncent par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale (CPP).

Quelle procédure suit la CIF ? D'abord, il faut noter que la CIF est saisie d'une fraude, c'est-à-dire des faits qui lui sont soumis. C'est ce qu'on appelle la saisine « in rem ». Elle ne statue pas expressément sur les personnes mentionnées au dossier et le juge d'instruction peut mettre en cause toute autre personne liée à l'affaire. La saisine est communiquée au contribuable sauf en matière de « police fiscale », qui produit ses observations dans un délai de trente jours, et c'est le cas dans à peu près une affaire sur deux. La procédure est contrôlée par le juge judiciaire, la saisine de la CIF étant indissociable de la procédure pénale.

Quel est le rôle de la CIF et pourquoi son existence a-t-elle pu être remise en cause ? Dans tous les pays, c'est un magistrat qui met en mouvement l'action pénale - dans la plupart des cas, il s'agit du parquet, dans des cas plus rares d'un juge d'instruction, saisi par les parties civiles. En matière fiscale, l'administration fiscale ne fait que saisir le juge pénal, c'est au parquet ensuite de décider de l'opportunité des poursuites. En l'occurrence, il y a au préalable une commission composée de magistrats ou d'anciens magistrats, qui sert de filtre. C'est ce qui a fait dire à certains que la commission pourrait disparaitre car ils estiment que le juge pénal peut décider seul.

En fait, je pense que c'est une garantie pour le contribuable, mais aussi une garantie pour le juge pénal. Pour le contribuable, c'est l'assurance que l'administration ne saisit pas le juge pour tout fait de fraude puisque l'article 1741 du CGI prévoit qu'il faut que le contribuable se soit « frauduleusement soustrait » à ses obligations fiscales. Mais c'est aussi une garantie pour le juge pénal, qui ne doit être saisi que des affaires importantes, car la justice pénale est très encombrée et coûte cher. La CIF s'efforce donc de cerner par sa jurisprudence ce que sont les affaires de fraude méritant le pénal. Enfin, très rarement, le dossier peut être refusé par la CIF dans des cas qui s'avèrent prescrits ou dans le cas de personnes désignées par erreur, en général les enfants d'un contribuable qui, lui, a commis la fraude. C'est une garantie pour l'administration fiscale, pour éviter de présenter au juge pénal des dossiers qui seraient voués à l'échec. De toute façon, le débat sur l'existence ou non de la CIF a été clos par le législateur en 2013, qui a maintenu cette commission en élargissant sa composition.

La jurisprudence de la CIF demeure confidentielle, car nous estimons qu'elle ne doit pas être communiquée aux éventuels fraudeurs. Par ailleurs, la CIF demande d'abord un montant minimal de fraude, fixé aujourd'hui à 100 000 euros de droits poursuivis. Pour les sociétés, le respect des obligations comptables est prédominant, mais la CIF examine aussi l'attitude du contribuable, l'opposition au contrôle fiscal étant particulièrement soulignée. Les dossiers d'opposition au contrôle fiscal sont d'ailleurs nombreux parmi les dossiers qui nous sont soumis. L'utilisation de moyens de fraude fiscale est également soulignée par la commission, par exemple avec l'acquisition de logiciels de fraude fiscale qui effacent les opérations en espèces.

Les « montages », c'est-à-dire l'interposition de sociétés, sont bien sûr considérés comme des éléments forts de fraude fiscale, a fortiori si les sociétés ou les comptes sont à l'étranger, et bien sûr dans des paradis fiscaux. On voit d'ailleurs de plus en plus de dossiers de ce type, sans doute selon les prescriptions des assemblées parlementaires - je pense à la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Je dois enfin souligner que la jurisprudence pourrait évoluer concernant le cumul d'une sanction administrative et d'une sanction pénale, à raison des mêmes faits, se soustraire à l'impôt, de la même incrimination, la fraude fiscale. C'est ce qu'on appelle le principe « non bis in idem ». Longtemps le Conseil constitutionnel a accepté ce cumul à condition que la sanction prononcée ne dépasse pas la peine la plus lourde d'une des deux sanctions et que les procédures ne soient pas poursuivies devant la même juridiction. Mais le Conseil constitutionnel a évolué dans une décision récente du 18 mars dernier, en en ce qui concerne le délit d'initié. Et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) risque d'être beaucoup plus sévère dans le cumul des deux sanctions. C'est pourquoi, le rôle de la CIF, qui cantonne la saisine du juge pénal est important. Elle ne résout nullement le problème juridique du cumul des sanctions, qui reste entier, mais elle permettra au moins à la France de justifier du « sérieux » des plaintes de fraude fiscale.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Vous ne disposez ni d'un budget propre, ni de personnels spécifiques puisque vous utilisez ceux de la direction générale des finances publiques (DGFiP). En évoquant ces points, je ne remets nullement en cause la qualité de vos travaux ni la nécessité d'une instance chargée d'une mission comme la vôtre. Mais faut-il pour autant disposer d'une autorité administrative indépendante pour ce faire ? À cet égard, vous considérez-vous comme une AAI au sens qu'en donne le Conseil d'État dans son rapport de 2001 ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - La Chambre criminelle de la Cour de cassation l'avait évoqué dès 1991. Les personnels et le budget ne font pas partie des critères permettant d'identifier une autorité administrative indépendante. Ainsi, des autorités administratives indépendantes, qui sont d'ailleurs des autorités de régulation, peuvent voir leur budget arrêté par des ministères, à l'instar de la Commission de régulation de l'énergie, dont j'assure d'ailleurs la présidence du comité des sanctions et dont le budget est fixé par le ministère de l'énergie. Il n'y a donc pas de lien entre le budget et l'indépendance. C'est plutôt la qualité et l'autonomie des membres qui fournissent des gages d'indépendance, comme l'atteste la présence de magistrats, en activité ou en retraite. Par ailleurs, celle-ci est également assurée par l'impossibilité pour l'administration de modifier les décisions que ces autorités rendent. Il est ainsi impossible à l'administration fiscale de déroger à l'avis que donne notre commission.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Certes, mais une telle décision ne pourrait-elle pas émaner directement de la DGFiP ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - Si la DGFiP conduisait cette démarche, elle serait à la fois juge et partie.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je ne le pense pas, car une telle démarche n'enlèverait rien aux suites judiciaires auxquelles elle pourrait donner lieu. D'ailleurs, votre commission n'est-elle pas elle-même contournée par le parquet qui a la possibilité d'instruire un dossier de blanchiment, voire de fraude fiscale ? N'est-elle pas, à cet égard, contournée dans le cadre de certaines affaires ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - La loi le prévoit dans le cas du blanchiment et la dimension fiscale tend à être considérée, dans ce cadre, comme accessoire. À mon sens, dans un grand nombre de dossiers pénaux, il devrait y avoir un volet fiscal. Quand on pense à la lutte contre le trafic de stupéfiants et aux sommes considérables qu'il génère, tout dossier dans ce domaine devrait comporter un volet fiscal systématique.

Dans tous les autres dossiers qui comportent une affaire juridictionnelle en cours, nous sommes saisis du volet fiscal. Le blanchiment représente ainsi une exception, qui est du reste prévue par le législateur. Les infractions douanières n'ont pas été prévues par la loi, laquelle s'avère relativement ancienne, mais elles peuvent avoir d'importantes incidences, comme en matière de terrorisme. En effet, on sait aujourd'hui que les auteurs des attentats terroristes de janvier dernier se finançaient par le trafic de contrefaçons. La douane est ainsi au premier rang des instances concernées par la perpétration de crimes d'une très haute gravité.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Les 42 autorités administratives indépendantes auxquelles nous nous intéressons composent une véritable mosaïque et s'avèrent très différentes les unes des autres. Les trois mots qui vous désignent sont importants : êtes-vous vraiment une autorité ? Êtes-vous aussi administrative ? Je n'en suis pas certaine non plus ! La nature de votre pouvoir n'est pas réglementaire et ce dernier consiste à transmettre un dossier. Votre pouvoir n'est pas, à proprement parler, conféré par le Gouvernement.

Notre commission considère qu'il s'agit là d'un démembrement de l'État qui échappe au Parlement et a abouti à cette myriade d'autorités administratives indépendantes au fonctionnement hétéroclite. Aussi, il nous importe d'introduire de la clarté dans ce dispositif, quitte à préconiser la fusion des autorités aux compétences connexes, voire similaires. Néanmoins, notre démarche ne remet nullement en cause la qualité des travaux qui sont réalisés par ces autorités ! Un tel statut d'autorité administrative indépendante vous apporte-t-il, en définitive, quelque chose ? Je n'en suis nullement certaine ! Certes, mon propos peut vous paraître quelque peu provocateur, mais je me permets d'insister sur cette question.

Mme Monique Liebert-Champagne. - Comme vous l'évoquez, Madame la présidente, l'ensemble des autorités administratives indépendantes a été créé pour ne pas être sous les ordres du Gouvernement.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Il arrive cependant que le Gouvernement cherche à se défausser sur tel ou tel sujet qui ne relève d'ailleurs pas nécessairement du domaine qui est le vôtre ! Je pense plutôt au domaine des communications où une AAI a été créée afin de donner une impression d'indépendance...

Mme Monique Liebert-Champagne. - Je ne suis pas compétente pour évoquer le secteur de l'audiovisuel. Une autorité administrative indépendante n'a pas à se conformer à l'avis d'un ministre et c'est là que réside son principal pouvoir.

Le panorama de ces autorités a beaucoup évolué au fil des années et cette évolution me semble loin d'être terminée. Aujourd'hui, les pouvoirs de sanction sont soit entre les mains d'un ministre, d'une autorité administrative indépendante et des juges. Je pense en l'occurrence au retrait d'agrément susceptible d'être infligé aux taxis. Ainsi ceux-ci peuvent se voir retirer leur licence par le ministère, ils peuvent être sanctionnés administrativement ou déférés au pénal, c'est-à-dire être soumis à trois registres de sanction. Certains estiment que le contrôle d'une profession, exercé aujourd'hui par un ministre, devrait être délégué à une autorité administrative indépendante qui s'apparente à une sorte de pré-juridiction et véhicule l'idée qu'un Gouvernement peut être arbitraire. Une telle conception a notamment présidé à l'instauration de la Commission des infractions fiscales en 1977. D'ailleurs, la création des autorités de régulation, impliquant des ouvertures des marchés à l'instar du secteur du transport ferroviaire ou encore de l'énergie, a permis de mettre en oeuvre des ouvertures à la concurrence indépendamment des opérateurs historiques en échappant, d'une certaine manière, à l'autorité du Gouvernement. Dans les domaines qui m'incombent, notamment comme présidente du comité des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, notre indépendance ne fait aucun doute et je ne pense pas que la situation de mes autres collègues, qui président des instances analogues, diffère. Toute tentative d'interférence avec leur travail ne manquerait d'ailleurs pas de susciter leur courroux !

M. Pierre-Yves Collombat- Je suis quelque peu surpris. Votre raisonnement semble en effet imparable. Mais le statut de magistrat est-il réellement un facteur d'indépendance, comme vous l'évoquez ? Quelle est, selon vous, l'origine de cette vertu d'indépendance et de son enracinement dans le statut de magistrat ? Ce dernier peut suivre des motivations spécifiques susceptibles de relativiser son indépendance, comme peuvent parfois l'indiquer les conditions qu'on pourrait qualifier de romanesques et qui caractérisent parfois les carrières dans la magistrature. C'est pourquoi la question des conditions matérielles dans lesquelles vous assumez vos missions demeure essentielle. L'indépendance est un combat de tous les jours et implique de réfléchir à la façon dont cette dernière est respectée au quotidien. Et la nomination de magistrats relève également d'un choix bien spécifique qui n'obéit pas nécessairement au principe d'indépendance que vous évoquez !

Mme Monique Liebert-Champagne. - J'imagine que vous n'évoquez pas, dans votre propos, les magistrats du siège, dont l'indépendance est assurée par la Constitution.

M. Pierre-Yves Collombat. - En tant que magistrats du siège certes, mais sans doute guère dans l'exercice au quotidien de leurs pouvoirs de juge !

Mme Monique Liebert-Champagne. - Si la Constitution garantit l'indépendance des magistrats du siège, tous les magistrats du parquet que j'ai pu rencontrer durant ma carrière ont toujours été des personnes indépendantes. Car l'indépendance de la magistrature est aussi une question de culture et la caractéristique d'un magistrat, recruté par concours et les règles très strictes de nomination impliquent des changements d'affectation strictement encadrés par la loi. Au-delà, une culture d'indépendance demeure, dans les juridictions tant administratives que judiciaires, fût-ce même lorsque les magistrats sont en retraite. Certes, il peut y avoir des déviances liées à des personnalités. Néanmoins, je dois indiquer que cette qualité d'indépendance anime l'ensemble des magistrats que je connais personnellement.

M. Pierre-Yves Collombat- Ce n'est nullement un problème de personnes, mais c'est une culture, comme vous l'évoquiez, c'est-à-dire un certain point de vue sur les choses de la vie. Et ce qui nous frappe, c'est que cette culture relie ces différentes personnes que vous évoquez et qui ne peuvent par conséquent s'en abstraire !

Mme Monique Liebert-Champagne. - Mais personne n'est indépendant de sa culture !

M. Pierre-Yves Collombat. - Tout à fait, mais recruter des personnes ayant en partage la même culture revient à exclure d'autres points de vue ! L'homogénéité du recrutement des membres des AAI me paraît ainsi devoir être questionnée !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mon interrogation, quant à elle, porte sur la structure elle-même : faut-il une AAI ? Pouvez-vous nous préciser les incidences de la nouvelle composition de la commission ? Cette dernière, avec quatre sections, doit-elle changer ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - Cette nouvelle composition amène deux changements : d'abord, nous accueillons huit nouveaux membres (honoraires) issus de la Cour de cassation ; en outre, nous rejoignent quatre personnalités issues de la société civile, deux nommées par le Sénat et deux par l'Assemblée nationale. Cette modification a été souhaitée par le Parlement en novembre 2013. Je pense que la Commission aujourd'hui est quelque peu pléthorique, mais les personnalités désignées par le Parlement sont de grande qualité et connaissent tous le droit fiscal. Du fait de la faiblesse des indemnités versées aux commissaires, cette extension des effectifs n'a d'ailleurs engendré qu'un coût marginal infime.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Madame la Présidente, je me doute que la question fondamentale du statut de votre commission vous a été posée. Je me souviens du contexte qui avait présidé à sa création. À l'époque, je plaidais des dossiers de fraudes fiscales pour l'un des deux cabinets d'avocats retenus par le ministère des finances. Il y régnait alors une suspicion, selon laquelle le ministère des finances triait les dossiers et déposait certaines plaintes, mais pas d'autres. Une fois votre commission créée, les arbitrages qu'elle a rendu n'ont suscité que peu de débats, soulignant l'assentiment de l'opinion et des professionnels. Certes, nous n'avons pas vocation à passer pour des pourfendeurs du système, mais la composition de votre commission, comme il vous a certainement été rappelé, suscite un certain nombre de questions, du fait notamment de l'homogénéité de son recrutement. Ce qui est important dans votre fonctionnement, c'est que là où vous décidez qu'il n'y a pas matière à poursuite, l'administration est tenue d'obtempérer.

Mme Monique Liebert-Champagne. - C'est en cela que nous sommes une autorité indépendante.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certes, mais faut-il disposer du statut pour atteindre ce résultat ? Cela n'est nullement évident ! Qu'il y ait une commission spécifique, comme il avait été décidé en 1977, me paraît amplement suffisant ! Je ne vois pas en quoi l'attribution du statut d'autorité administrative indépendante a modifié votre mode de fonctionnement !

Mme Monique Liebert-Champagne. - La notion d'autorité administrative indépendante a, en fait, deux significations. D'une part, elle désigne une sorte d'administration susceptible de disposer d'un pouvoir réglementaire important, comme c'est le cas pour les autorités de régulation. D'autre part, elle qualifie une structure qui fonctionne épisodiquement, quand bien même celle-ci ne serait pas, à proprement parler, une administration. C'est pourquoi cette notion d'autorité administrative indépendante recoupe deux réalités totalement différentes, à la fois des « administrations » dotées de pouvoirs, à l'instar de l'Autorité de la concurrence ou de la Commission de régulation de l'énergie, qui peuvent aller jusqu'à la structuration d'un marché ou de véritables pouvoirs réglementaires. Mais c'est aussi une sorte de « label » : en ce qui concerne la CIF, ce « label » est lié à l'avis conforme qui lie le ministre. Tant qu'il existera, nous serons qualifiés, par la jurisprudence et la doctrine, d'autorité administrative indépendante. Nous sommes en fait une commission indépendante dont le ministre ne peut passer outre l'avis et il se trouve que la doctrine juridique qualifie cela d'autorité administrative indépendante. Nous ne sommes pas une autorité au sens organique du terme, il s'agit plutôt un label !

M. Jacques Mézard, rapporteur- L'indépendance de cette commission, depuis sa création, ne souffre aucune objection, la qualité de ses avis est reconnue et je n'ai, personnellement, jamais douté de l'indépendance de vos décisions. En revanche, avec un secrétariat dirigé par un fonctionnaire nommé par le président parmi les fonctionnaires de la DGFiP qui met à disposition quatre agents dont elle assure la rémunération, et des locaux mis à disposition par le ministère des finances, votre commission est-elle réellement indépendante de ce dernier ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - Comme je l'ai souligné précédemment, le budget n'a jamais fait partie des critères d'indépendance, et nombre d'autorités de régulation dépendent d'un budget fourni par un ministère.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il s'agit des critères du Conseil d'État !

Mme Monique Liebert-Champagne. - Ce sont là des critères généralement admis. J'ai d'ailleurs cité le budget de la Commission de la régulation de l'énergie dont le budget dépend du ministère de l'environnement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Certes, mais votre commission a fonctionné bien avant que n'existe la notion d'autorité administrative indépendante, et ce, de manière indépendante, avec des agents et dans des locaux du ministère des finances. Je veux bien que ce soit une question d'image, mais ce n'est parce que vous êtes reconnue comme une AAI, qu'il s'agit bel et bien d'un label !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - C'est un label qu'il faut décerner avec discernement et il ne faut surtout pas qu'il y ait une inflation d'AAI. Telle est notre idée ! Les exemples étrangers laissent apparaître une moindre profusion. En outre, cette myriade constatée en France échappe au contrôle du Parlement. À ce sujet, votre commission n'échappe pas à cette règle !

Mme Monique Liebert-Champagne. - Le Parlement nous a reconduits.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - En 2013, il est vrai. Mais le Parlement n'a jamais eu de vision globale de ces AAI qui ont pris une place importante dans notre paysage administratif et politique. Or, ces structures sont hors de la tutelle du Gouvernement pas plus qu'elles ne sont soumises au contrôle du Parlement qui ne s'en est jusqu'à présent pas vraiment préoccupé. Il faut regarder avec discernement ce que fait chaque AAI et, je tiens à souligner que cette démarche ne remet nullement en cause la qualité du travail que ces autorités accomplissent dans des secteurs extrêmement différents.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout à fait ! Et ce d'autant plus, lorsqu'on connaît les rémunérations qui sont celles de vos membres ! Trouver des personnes compétentes et exerçant par ailleurs des fonctions pour une rémunération de l'ordre de 98 euros par séance ...

Mme Monique Liebert-Champagne. - Et il s'agit du montant brut !

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout à fait ! J'espère que vous n'oubliez pas de déclarer de telles rémunérations ! Je vais vous livrer mon avis personnel : je considère que la commission est utile, mais que son statut d'autorité administrative indépendante ne me paraît pas pertinent, si ce n'est peut-être une certaine reconnaissance, mais de la part de quelle instance ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - Cela m'apporte beaucoup de travail supplémentaire.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Votre interlocuteur naturel demeure le ministère des finances, et nullement les fraudeurs. D'ailleurs, vos décisions font-elles l'objet de recours ?

Mme Monique Liebert-Champagne. - Tout d'abord, un contribuable sur deux fournit des observations à la commission.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce qui n'était pas le cas lors de la création de la commission.

Mme Monique Liebert-Champagne. - Ces observations portent sur le fond des dossiers et ceux des contribuables qui ne produisent aucune observation sont examinés avec plus de sévérité. Mais la procédure suivie par la suite par la commission relève du dossier pénal et si la commission n'était pas saisie ou venait à délibérer en violation de certaines règles, la procédure pénale pourrait être invalidée.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Donc il n'y a pas de recours contre vos avis !

Mme Monique Liebert-Champagne. - En effet.

M. Michel Canevet- L'avis est à transmettre à la juridiction pénale, de toute manière !

Mme Monique Liebert-Champagne. - Tout à fait.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - La juridiction pénale est saisie par une plainte du ministère s'il y a un avis favorable de la commission des infractions fiscales.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mes chers collègues, je pense que nous sommes désormais assez éclairés sur le fonctionnement de cette commission et nous vous remercions, Madame la Présidente, d'avoir répondu à nos questions.

Audition de Mme Marie-Eve Aubin, présidente de la commission des sondages

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Marie-Ève Aubin, présidente de la commission des sondages.

La commission des sondages a été créée par la loi du 19 juillet 1977 pour faire respecter le cadre fixé par cette loi en matière de sondages, tant sur les conditions d'élaboration, que de publication ou de diffusion des sondages électoraux.

La commission des sondages n'est pas consacrée par la loi comme une autorité administrative indépendante mais elle est considérée comme telle à la suite du rapport public du Conseil d'État de 2001.

La commission des sondages est composée de onze membres désignés par décret :

- trois membres du Conseil d'État, dont au moins un président de section ou conseiller d'État, président de la commission ;

- trois membres de la Cour de cassation, dont au moins un président de chambre ou conseiller ;

- trois membres de la Cour des comptes, dont au moins un président de chambre ou conseiller maître ;

- deux personnalités qualifiées en matière de sondages et ce depuis 2002.

La commission des sondages exerce un rôle de régulation, dispose d'un pouvoir de vérification et enfin elle peut obliger à des publications. Vous nous détaillerez vos compétences.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Marie-Eve Aubin prête serment.

Mme Marie-Ève Aubin, présidente de la commission des sondages. - On peut, de prime abord, s'interroger sur les motifs de l'existence d'une commission chargée des sondages. Comme vous l'avez précédemment indiqué, celle-ci a été créée en 1977 à une époque où l'on craignait que les sondages électoraux, alors fort peu nombreux, n'influent sur la sincérité des scrutins. On le pense d'ailleurs toujours, sans savoir comment s'exerce cette influence car il est impossible d'avoir une élection avec sondage et de la refaire ultérieurement sans sondage, afin d'évaluer les éventuelles différences entre elles. On ne mesure d'ailleurs pas l'influence des sondages sur l'opinion et les électeurs : en effet, ces derniers suivent-ils l'opinion de la majorité des sondés ou, au contraire, se portent-ils au secours des candidats défavorisés par les sondages ? Personne ne le sait ! La prévention des manipulations a ainsi présidé à l'instauration de cette commission laquelle n'était pas, au moment de sa création, une autorité administrative indépendante. Certes, elle en était peut-être une, à l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, mais sa date de création est antérieure à l'émergence de la notion d'autorité administrative indépendance dans le paysage juridique français.

On peut s'interroger encore aujourd'hui sur la nécessité de cette commission qui n'a pas, à ce jour, été remise en cause. À cet égard, une proposition de loi d'initiative sénatoriale, qui n'a pas été votée par l'Assemblée nationale, visait à lui conférer davantage d'importance et de compétences et à accroître son coût pour la République.

Vous pourriez penser que je demeure sceptique sur l'utilité de la commission des sondages et ce, bien que je la préside depuis deux mandats et que je viens d'être nommée pour un troisième, soit au total pour une durée de neuf années. Cette commission a joué un rôle très important pour réguler l'activité des instituts de sondage qui sont en faible nombre. En outre, les sondages électoraux et politiques ne constituent, au final, qu'une petite partie des activités de ces entreprises. On constate également une grande volatilité des responsables de ces instituts qui passent d'un institut à un autre et sont clairement identifiés par notre commission. D'ailleurs, les problèmes que rencontre la commission proviennent moins des instituts de sondage que de ceux qui achètent les sondages et de leur interprétation.

Je rappelle que le champ de compétence de la commission est limité et concerne les sondages électoraux, c'est-à-dire ceux qui ont un lien direct ou indirect avec une élection, référendums compris, qui scande la vie politique de notre pays. Nous donnons un sens de plus en plus étendu aux liens indirects et surtout, plus l'élection approche, plus la commission considère qu'un sondage a un lien avec ladite élection. Nous avons ainsi pris l'habitude de contrôler les sondages qui précèdent les élections primaires des partis politiques.

Le nombre de sondages a augmenté de manière significative depuis la création de la commission en 1977. L'élection présidentielle donne lieu, bien évidemment, au nombre le plus conséquent de sondages. Ainsi, l'élection présidentielle de 2002 donna lieu à un peu moins de 200 sondages, tandis que celle de 2012 en a suscité plus de 400, soit plus d'un sondage par jour pendant la période qui a précédé le scrutin. D'autres élections, comme celles européennes, donnent lieu à peu de sondages, tandis que d'autres, comme celles régionales, tendent à générer un flux de sondages de plus en plus important, comme vous avez pu le constater dans la presse.

Le rôle de la commission est de faire respecter un certain nombre de règles par les instituts de sondage qui doivent d'abord se déclarer à la commission. Outre les grands instituts de sondage, d'autres sociétés, de taille plus modeste il est vrai et à l'occasion d'élections plus locales, peuvent être créées. Celles-ci doivent aussi déclarer leur existence à la commission.

S'agissant de la conception des sondages électoraux, notre commission contrôle la qualité des échantillons retenus en appréciant, au niveau sociogéographique leur représentativité : répartition par sexe, par âge, par profession et en fonction du lieu de résidence. Surtout, nous veillons à la représentativité politique des échantillons, qui s'avère une question extrêmement délicate. Les instituts de sondage interrogent leur public sur leur souvenir de votes et ils procèdent à ce que l'on nomme des redressements, c'est-à-dire qu'ils pondèrent les réponses obtenues afin d'affiner la représentativité de leur échantillon. Cette démarche demeure très technique et fournit l'un des objets sur lesquels notre commission exerce son contrôle. Elle veille également à ce que le libellé des questions n'influe pas les réponses qui y sont apportées et que les instituts n'occultent pas les limites de leurs sondages, s'agissant notamment des marges d'erreur. J'ai d'ailleurs été étonnée par un sondage qui a récemment eu lieu en Grèce, et qui a depuis lors été démenti par les résultats du référendum. En effet, celui-ci atteignait un niveau de prévision totalement impossible à obtenir ! Ainsi, les marges d'erreur sont d'autant plus grandes que les scores sont rapprochés.

Quels sont les moyens dont dispose notre commission ? Comme vous l'avez indiqué dans votre intervention liminaire, Madame la Présidente, notre commission compte trois membres titulaires et trois suppléants issus de chacune des hautes juridictions. Son secrétariat général est assuré par l'un de mes collègues du Conseil d'État. En outre, nous disposons d'un secrétariat permanent, assuré par un attaché du ministère de la justice. Hiérarchiquement, nous dépendons - encore faut-il relativiser cette expression puisque nous sommes une autorité administrative indépendante - du ministère de la justice puisque sa nomination procède d'une décision du garde des Sceaux. En outre, trois experts statisticiens assurent l'expertise de chaque sondage. Ainsi, lorsqu'un institut réalise un sondage, il doit adresser préalablement à la commission une notice technique précisant les modalités de sa démarche.

Quelles sont nos méthodes de travail ? Chaque fois qu'un sondage est publié ou sur le point de l'être, nos experts l'analysent afin d'examiner sa conformité avec la doctrine qui est la nôtre. S'il apparaît que le sondage n'est pas conforme, par exemple parce que l'échantillon est trop peu nombreux, ou parce que les questions n'ont pas été posées dans un ordre convenable, ou encore parce que les redressements politiques ne sont pas conformes, notre arme suprême consiste en une mise au point. Nous convoquons l'institut de sondages pour lui demander de s'expliquer et si ses explications ne convainquent pas la commission, nous publions une mise au point, qui est notre arme atomique en quelque sorte. Cette possibilité fait très peur aux instituts de sondages - les organes de presse n'aiment pas cette mise au point non plus, car ils doivent publier un communiqué indiquant que la commission des sondages a estimé que le sondage n'est pas représentatif, pas fiable.

Si la commission rencontre peu de difficultés avec les instituts de sondage, la situation est plus difficile avec les commanditaires, et notamment avec la presse. Après l'effet de choc recherché par un sondage, la commission des sondages se réunit dans l'urgence - les membres sont généralement convoqués le matin pour l'après-midi - mais la mise au point est publiée dans un petit coin du journal... Mais je vous le répète, les instituts de sondage n'aiment pas ça.

Néanmoins, nous faisons très peu de mises au point, nous procédons beaucoup par recommandations, admonestations, lettres de réprimande. Nous disposons de méthodes assez pacifiques de régulation.

Nous ne pesons pas beaucoup sur le budget de la République : le président et le secrétaire général perçoivent une petite rémunération et les experts sont payés à la vacation. Les membres perçoivent également une indemnité lorsque la commission se réunit, dont le montant a été fixé en 1977. Ces sommes sont prélevées sur le budget du Conseil d'État, je ne sais pas pourquoi.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne dirais pas que tout cela est insondable... Ce ne sont pas les quelque dizaines d'euros d'indemnités qui doivent attirer les candidatures à la nomination.

Mme Marie-Ève Aubin. - Encore que ! C'est une commission qui est assez recherchée en raison de l'exotisme de sa mission par rapport au travail habituel des membres des juridictions.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je suis heureux de l'entendre ! La composition de la commission est fixée par décret, on y retrouve des membres du Conseil d'État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation. Heureusement qu'il y a des conseillers à la retraite : s'ils doivent assurer le travail de toutes les autorités administratives indépendantes, il va falloir les multiplier ! La question qui se pose n'est pas celle de l'utilité de la commission, car on sent bien qu'avec l'évolution du métier des sondeurs et de ceux qui commandent les sondages, il est utile qu'il y ait quelque chose.

Mme Marie-Ève Aubin. - Un gendarme.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Oui car il s'agit quand même de la sincérité du débat politique.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Mais faut-il pour autant que ce soit une autorité administrative indépendante ?

Deux de vos décisions ont fait l'objet d'un recours, examiné par le Conseil d'État. Il y a de quoi saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) : le Conseil d'État examine les recours contre vos décisions, la commission est logée dans les locaux du Conseil d'État, une partie des membres est issue du Conseil d'État !

Mme Marie-Ève Aubin. - L'Europe accepte tout à fait le double rôle du Conseil d'État, qui est à la fois conseiller du Gouvernement et juge de l'État.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Mais la commission des sondages est-elle indépendante du Conseil d'État ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Je ne mets pas en doute l'indépendance des conseillers d'État !

Mme Marie-Ève Aubin. - Je comprends bien : il s'agit d'apparence d'indépendance.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Tout à fait. Pour le justiciable qui fait un recours, je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure solution. L'indépendance vis-à-vis du Conseil d'État n'apparaît pas du tout évidente. D'autant qu'il y a peu de fonctions support pour votre commission mais celles qui existent sont partagées avec les services du Conseil d'État.

Mme Marie-Ève Aubin. - Il est vrai que nous occupons deux bureaux qui sont mis à notre disposition par le Conseil d'État, mais nous avons notre propre site Internet, nos propres abonnements à la presse - ces postes représentent la majeure partie de nos dépenses.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Oui, ce ne sont pas les frais de déplacements qui vous étouffent !

Mme Marie-Ève Aubin. - En effet, un de nos membres est un professeur d'université venant d'Aix-en-Provence ; ses frais de déplacement lui sont remboursés.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Et vos frais de communication sont réduits au maximum puisqu'ils évoluent entre 889 euros et 3 200 euros par an, alors qu'il y a parfois des communications sur le fonctionnement de certains sondages qui mériteraient une communication plus ample.

Ma question est la suivante : en quoi est-il justifié que votre commission soit une autorité administrative indépendante (AAI) ?

Mme Marie-Ève Aubin. - Vous voulez dire qu'elle devrait être moins indépendante ?

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Non, c'est le statut ! C'est à la suite d'un rapport public du Conseil d'État de 2001 que la commission des sondages a été qualifiée d'AAI. Entre 1977 et 2001, vous n'avez pas bénéficié de ce statut et je ne pense pas que cela ait empêché la commission de travailler.

Mme Marie-Ève Aubin. - Non pas du tout, d'ailleurs c'est un statut de pur fait, ce n'est pas juridique.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - En fait, ce statut ne vous apporte rien ? Vous pourriez fonctionner autrement.

Mme Marie-Ève Aubin. - Honnêtement d'ailleurs, j'ai présidé une autre commission qualifiée d'AAI par la loi : en dehors de compliquer la vie des gens, je ne vois pas bien le changement.

M. Jacques Mézard, rapporteur. - Il y a quand même un aspect très important, c'est que vous avez dû envoyer une déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Mme Marie-Ève Aubin. - Et j'ai dans un tiroir les déclarations de mes collègues membres de la commission.

M. Pierre-Yves Collombat. - Vu votre fonction, on aurait pu s'attendre à davantage de techniciens des sondages, de politologues au sein de la commission plutôt qu'exclusivement des juristes. Désormais, commenter la différence entre ce qui est prévu par le sondage et ce qui est arrivé est devenu une figure imposée.

Mme Marie-Ève Aubin. - C'est une mauvaise interprétation du sondage : il n'entend pas être prédictif.

M. Pierre-Yves Collombat. - Tout à fait mais c'est devenu un élément de communication. Par exemple, lors des dernières élections départementales, le Gouvernement s'est félicité de prendre une « raclée électorale » moins importante que ce qu'annonçaient les sondages. Le principal problème est le suivant : le sondage est-il fabriqué selon les règles élémentaires de la statistique et avec des redressements corrects par rapport à la vie politique ?

Mme Marie-Ève Aubin. - La commission de sondages a une composition classique qui était celle des commissions administratives d'un certain niveau à une certaine époque. La proposition de loi que j'évoquais précédemment envisageait plus de techniciens en son sein. Je reconnais que les membres actuels n'ont aucune compétence mathématique ou statistique ; ils s'en remettent à nos experts.

M. Pierre-Yves Collombat. - L'aspect technique de la commission l'emporte sur l'aspect juridique.

M. Michel Canevet. - Il faudra toiletter le règlement intérieur de la commission pour le mettre en phase avec votre pratique.

Mme Marie-Ève Aubin. - À ma honte, j'ai redécouvert le règlement intérieur. Mon expérience au sein de plusieurs commissions est que le règlement intérieur qu'il est demandé de prévoir n'est pas forcément utile.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Pour résumer, la commission des sondages nous apparait utile pour assurer la sincérité du débat politique. Toutefois, son statut d'AAI est-il nécessaire ? Je n'en suis pas convaincue. Qu'un acte règlementaire et non la loi fixe la composition, la durée du mandat des membres est gênant. Autre question : faut-il diversifier sa composition ? Il faut se la poser. Vos liens étroits avec le Conseil d'État ont été soulignés par le rapporteur.

Mme Marie-Ève Aubin. - C'est la tradition.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Faut-il doter la commission de sondages d'un pouvoir de sanction ? Je n'en suis pas convaincu.

Mme Marie-Ève Aubin. - Nous pouvons toujours saisir le parquet. À ses débuts, la commission des sondages a effectué des transmissions au parquet, notamment pour des sondages rendus publics durant le délai avant le scrutin au cours duquel les sondages étaient proscrits qui était, avant une condamnation de la Cour européenne des droits de l'Homme, de 8 jours avant d'être ramené à vingt-quatre heures. La saisine du juge pénal n'a pas réellement de sens.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Toute personne peut saisir le Procureur de la République dès qu'elle a connaissance d'un délit.

M. Pierre-Yves Collombat. - Un sondage « bidonné » est-il sanctionnable ?

Mme Marie-Ève Aubin. - Par une mise au point de la commission, oui. Récemment, un candidat aux élections locales s'était autoproclamé sondeur en allant interroger les gens sur les marchés puis publiait ses sondages. Nous l'avons convoqué et avons procédé à une mise au point pour indiquer que ses sondages ne valaient rien, ce qui, d'ailleurs, ne l'a pas dérangé outre-mesure.

J'ajoute, à propos des deux recours contre les décisions de la commission des sondages, que l'un avait été introduit par M. Jean-Luc Mélenchon qui, après le rejet du Conseil d'État, avait annoncé vouloir saisir les instances européennes. J'ignore s'il l'a fait. Le second recours était introduit par M. Raymond Avrillier, ancien conseiller régional de Rhône-Alpes, requérant d'habitude, que nous avons eu plaisir à retrouver à la commission des sondages.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente. - Je vous remercie.

La réunion est levée à 19 heures.