Mardi 21 juin 2016

- Présidence de Mme Anne Emery-Dumas, présidente, puis de M. Jean-Jacques Filleul.

Audition de M. Stéphane Jugnot, chercheur associé à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES)

La réunion est ouverte à 15 heures.

Mme Anne Emery-Dumas, présidente. - Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Stéphane Jugnot, chercheur associé à l'Institut de recherches économiques et sociales (IRES).

Nous avons souhaité vous entendre afin que vous nous précisiez, sur la base de votre étude « Améliorer la publication mensuelle des statistiques du « chômage » pour faciliter le débat public. Quelques propositions », publiées au nom de l'IRES, le regard que vous portez sur les statistiques des demandeurs d'emploi en fin de mois diffusées par Pôle emploi.

Au-delà des propositions que vous formulez, qui visent à améliorer la présentation de ces chiffres, vous pourrez nous indiquer si leur publication est réellement pertinente et si des alternatives ne pourraient pas être envisagées, telles que l'élaboration par l'INSEE de statistiques mensuelles du chômage au format BIT ou d'autres. Vous n'êtes pas obligé de suivre celles que nous vous indiquons.

Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Stéphane Jugnot prête serment.

Je vous donne maintenant la parole pour un exposé liminaire d'une quinzaine de minutes, à la suite duquel le rapporteur, M. Philippe Dallier, ainsi que les autres membres de la commission vous poseront leurs questions.

Présidence de M. Jean-Jacques Filleul

Ma présentation s'appuie sur le document de travail que j'ai publié à l'IRES en juillet 2015 et qui constituait une contribution externe au groupe de travail mis en place fin 2014, au sein du Conseil National de l'Information Statistique (CNIS) sur la refonte de la publication mensuelle des statistiques sur les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle Emploi. Ce groupe de travail avait été mis en place à l'initiative de la DARES et de Pôle Emploi pour les accompagner dans leurs réflexions destinées à répondre aux demandes de l'Autorité de la statistique publique (ASP).

Plusieurs points seront abordés lors de mon intervention, notamment la définition des trois types de mesures statistiques du « chômage » (BIT, « déclaratif », « administratif »), qui sont utilisés pour trois usages distincts. Je montrerai également que les chiffres des demandeurs d'emploi en fin de mois (DEFM) ne sont pertinents que pour suivre les bénéficiaires d'un service public important que constitue Pôle emploi et que, dans ce cadre, mettre en avant les DEFM de catégorie A n'a pas de sens et entretient la confusion avec l'indicateur BIT. Enfin, je rappellerai, que des efforts rédactionnels restent à faire pour sortir de cette confusion et améliorer la qualité du débat public et peut-être réfléchir à une évolution du rôle de la DARES.

Il y a donc trois types de mesure. Je vais aller assez rapidement sur ces points car vous les connaissez sûrement déjà. Le premier est le chômage au sens du BIT, mesuré par l'INSEE via un questionnement assez long, pour suivre les évolutions conjoncturelles ; ensuite existe le chômage « déclaratif », collecté dans le recensement et les enquêtes auprès des ménages, comme information auxiliaire de caractérisation des personnes, dans des enquêtes non centrées sur l'analyse du marché du travail ; puis enfin, le chômage « administratif » permettant de suivre les demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi.

S'agissant du chômage au sens du BIT, il convient de noter que le BIT  définit un concept avec ses trois critères (sans emploi, recherche d'un emploi, disponibilité pour travailler). Mais le passage du concept à la mesure implique des conventions : que veut dire avoir un emploi ? Rechercher un emploi ? Etre disponible ? Elles se traduisent donc par des questions plus ou moins nombreuses. De ce fait, seule une enquête dédiée permet de mesurer le chômage. Par ailleurs, la comparabilité dans le temps ou entre pays n'est pas garantie dès lors que les questionnaires et les méthodes de collecte évoluent. Ces changements ne sont, toutefois, pas fréquents, ce qui permet sur le court et moyen terme de disposer d'indicateurs de suivi de la conjoncture neutres par rapport à certains chocs que les statistiques de gestion peuvent connaître. De plus, ces changements sont annoncés, expertisés et documentés quant à leurs effets. Ils s'accompagnent d'une rétropolation des séries pour éviter que les analyses des évolutions ne soient faussées, ce qui n'est pas fait pour les DEFM.

S'agissant du chômage « administratif », il n'est pas un indicateur conjoncturel. Il a des atouts utiles « médiatiquement » car il est disponible très rapidement. Il permet, par ailleurs, un détail géographique très fin, qui conduit à des reprises nombreuses dans la presse. Mais les DEFM sont plus ou moins fréquemment impactés par des chocs et des évolutions qui ne résultent pas de modifications de la situation réelle des personnes mais de problèmes techniques dans l'actualisation (grève de la poste hier, bug « SFR » aujourd'hui), de changements de règles administratives ou procédurales, ou d'améliorations du suivi des demandeurs d'emploi comme du système d'information.

Il y a de nombreux exemples que je ne vais pas développer : deux documents de la DARES ont détaillé les effets de changements, qui ont conduit entre 2005 et 2006, à une forte baisse des demandeurs d'emplois à l'ANPE alors que les chiffres du BIT sont restés stables. Ainsi, la mise en place de l'entretien mensuel en octobre 2005 a entrainé une baisse de 25 000 à 30 000 DEFM, fin 2006. Ces chocs et ces évolutions ne semblent pas systématiquement documentés, c'est le cas pour 2006 par exemple. Les améliorations ne sont pas toujours annoncées à l'avance. C'est ainsi le cas pour le changement de gestion en juin 2015 concernant l'appariement de fichiers avec l'Agence de services et de paiement pour basculer plus facilement les demandeurs de catégorie, A, B, C vers les catégories D ou E. De même pour les séries, elles ne sont pas corrigées. Ainsi les chocs, que la DARES peut estimer, ne sont pas ré-impactés sur les séries de longue période pour donner une série neutre, ce qui perturbe l'analyse de l'évolution.

Je vous présente ensuite un graphique (qui est projeté devant la commission) concernant l'évolution du nombre trimestriel moyen des chômeurs BIT et des demandeurs d'emploi de catégorie A et de catégorie A, B ou C. D'après ce graphique, on peut ainsi voir que l'on commet plus d'erreur à estimer que le chômage BIT évolue comme les DEFM de catégorie A que de préférer les DEFM A, B, C aux DEFM A. L'évolution conjoncturelle du chômage BIT n'est pas exactement la même que l'évolution des DEFM.

Sur le graphique suivant, qui présente le taux d'évolution trimestriel, on voit également, une évolution trimestrielle du BIT qui n'est pas strictement proche des DEFM de catégorie A, et pas plus éloignée des DEFM A que des DEFM A, B et C. Il n'y a pas de raison de mettre en avant les DEFM de catégorie A pour suivre la conjoncture.

En 2007, il y a eu une controverse sur les chiffres du chômage à la suite d'une baisse importante du chiffre DEFM sur la période 2005-2006. A l'époque, il y a avait une estimation mensuelle du BIT, qui était calée sur le chiffre DEFM. Le chômage mensuel du BIT baissait donc au même rythme que le chiffre DEFM. Quand on a voulu procéder au « recalage » annuel du chômage BIT sur les nouveaux résultats de l'enquête, on a noté un écart important entre les estimations faites et les résultats de l'enquête emploi, ce qui a conduit l'INSEE à suspendre le « recalage » et surtout à de nombreux travaux de réflexion.

Ces problématiques ont ainsi contribué à la création d'un groupe de travail du CNIS sous la présidence de M. Jean-Baptiste de Foucault. Par ailleurs, une mission d'information de l'Assemblée nationale présidée M. Pierre-Alain Muet et rapportée par M. Hervé Mariton a également abordé ce sujet. Leurs conclusions étaient convergentes : sortir de la confusion entre la mesure BIT, destinée au suivi de la conjoncture et les DEFM destinés à suivre les bénéficiaires du service public de l'emploi, redéfinir les subdivisions à usage statistiques des DEFM (passage des catégories 1, 2, 3, 6, 7, 8 à A, B, C), plutôt qu'à un usage de gestion, car les demandeurs d'emploi eux-mêmes ne s'intéressent pas à ces subdivisions. Les autres recommandations étaient les suivantes : privilégier l'ensemble des inscrits soumis à l'obligation d'actualisation, ce qui était lié à la première conclusion, et faire des efforts de clarté, de lisibilité et de pédagogie dans les publications.

Je passe ensuite sur les extraits des conclusions du groupe de travail « De Foucault » pour ne relever qu'un passage: « il est nécessaire de choisir un ensemble pour lequel davantage d'informations sera fournie (...) Le choix s'est porté sur l'ensemble constitué des catégories 1, 2, 3, 6, 7, 8 qui correspond aux demandeurs d'emploi tenus d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi », c'est-à-dire les catégories A, B et C.

Ces recommandations ont ainsi été mises en oeuvre dans certains travaux et publications. Le premier exemple que l'on peut citer est le tableau de bord de la conjoncture régionale, décliné pour toutes les régions, sur le site internet de l'Insee. Il a de multiples indicateurs (l'emploi, le taux de chômage au sens du BIT etc.) et l'indicateur retenu pour les DEFM, ce sont les DEFM A, B et C et pas seulement les catégories A.

Autre exemple : la publication trimestrielle de la DARES consacrée à l'analyse de la conjoncture de l'emploi et du chômage, qui aborde la situation économique globale, l'évolution de l'emploi, le chômage (au sens du BIT), les politiques d'emploi, donc également, les inscrits à Pôle Emploi. Le champ mis en avant dans l'analyse est naturellement l'ensemble des DEFM de catégorie A, B et C. Elle va mettre en relation l'évolution des DEFM A, B et C avec les flux d'entrées et de sortie et l'ancienneté d'inscription. L'ancienneté d'inscription ne se calcule pas par catégorie. De même, les entrées ou sorties des listes se font à partir de l'ensemble indifférencié ABC. De ce fait, privilégier le total ABC permet de mettre l'évolution du nombre de DEFM en relation avec les flux d'entrées et de sorties et en détaillant par durée d'inscription, ce que fait très bien cette publication trimestrielle, et ce que ne permet pas une publication mensuelle de type DEFM.

Le problème est que la publication mensuelle conduit toujours à mettre en avant les DEFM de catégorie A. Prenons l'exemple de la dernière publication de Pôle emploi qui évoque « le chômage à fin avril 2015 » alors que la recommandation du CNIS était de parler de « demandeurs d'emploi ». De même, cette publication évoque des catégories A au lieu des catégories A, B et C. Ce document indique également des évolutions mensuelles, alors que l'ASP recommande de ne pas le faire. Par ailleurs, le commentaire de l'évolution des catégories A, B et C n'apparaît qu'au troisième paragraphe. Ce qui est un peu tardif pour mettre en avant cet indicateur... Enfin, on ne détaille par sexe et âge que la catégorie A et non les catégories A, B et C, ce qui signifie que Pôle emploi ne caractérise pas l'ensemble des publics qu'il reçoit, qu'il traite et qu'il convoque selon ces deux critères. En revanche, pour les demandeurs d'emploi de longue durée, l'ensemble des catégories A, B et C sont prises en compte puisque seul cet indicateur permet de mesurer la durée d'inscription.

La confusion ne me semble pas résulter de la proximité de la définition de la catégorie A avec le chômage au sens du BIT. En effet, la mise en avant d'un chiffre « tronqué » existe depuis des décennies alors que le choix de l'indicateur a changé dans le temps. Jusqu'en 1995, on mettait en avant les demandeurs d'emploi en fin de mois de catégorie 1, c'est-à-dire ceux cherchant un emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) à temps plein, qui était considéré comme la norme d'emploi. Dans une deuxième période, on a retiré de la catégorie 1 les personnes ayant travaillé au moins 78 heures dans le mois, qui ont été regroupées au sein de la catégorie 6. Depuis 2009, c'est le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois en catégorie A qui est retenu.

Le chiffre mis en avant dans les médias varie donc selon les critères privilégiés, qui peuvent être le type d'emploi recherché : CDI à temps partiel, CDI à temps complet, autre type de contrat ; et le nombre d'heures travaillées dans le mois : aucune, moins de 78 heures, plus de 78 heures. Au total, on n'a jamais compté tout le monde, mais on n'a pas toujours compté les mêmes personnes. 

L'écart entre l'évolution de l'indicateur pertinent, c'est-à-dire de l'ensemble des demandeurs d'emploi en fin de mois des catégories A, B et C et celle des indicateurs « tronqués » mis en avant chaque mois a fortement augmenté dans les années 1990 avant de se stabiliser à un niveau élevé depuis. Le creusement de cet écart résulte notamment de la flexibilisation du marché du travail et du développement de l'activité réduite, c'est-à-dire principalement des CDD et de l'intérim. Plusieurs études montrent que l'activité réduite correspond essentiellement à des CDD plus courts que ceux qui ne sont pas inscrits, des missions d'intérim plus courtes que ceux qui ne sont pas inscrits ou des CDI à temps très partiel. Cette évolution a accompagné l'idée selon laquelle il est préférable de travailler à temps très partiel tout en continuant à chercher un emploi pour ne pas s'éloigner du marché du travail et rester employable. La progression de l'activité réduite constitue donc un indicateur intéressant, qui ne doit pas être occulté. En effet, elle traduit une évolution du marché du travail. L'oublier revient à s'empêcher de se demander si Pôle emploi peut continuer à fonctionner de la même façon dans un système faisant appel à davantage de flexibilité, d'emplois courts et où il existe un nombre important de personnes enchaînant des emplois courts et qui ne sont peut-être plus dans la même logique d'un CDI à temps plein.

Ce que j'appelle le calcul du taux d'occultation des définitions « officielles » ne signifie pas qu'il existe une définition officielle, mais qu'il existe un chiffre mis en avant dans la communication, repris par les médias et sur lequel se focalise le débat public. Cela ne signifie pas non plus qu'il existe des chiffres « cachés », mais que certains sont mis en avant tandis que les autres ne le sont pas.

Les enjeux du choix du bon indicateur sont d'abord symboliques. Cela soulève différentes questions : existe-t-il des « faux demandeurs d'emploi » qui ne méritent pas de figurer dans la statistique mise en avant ? Considère-t-on que la norme d'emploi a évolué, passant du CDI à temps plein à un travail d'au moins une heure par mois ?

Le deuxième enjeu est celui de la qualité et de l'intérêt de l'analyse statistique. Il me semble plus intéressant de mettre en relation la variation du stock de demandeurs d'emploi avec celle des sorties et des entrées et de s'intéresser au chômage de longue durée. Ces études ne peuvent être fondées que sur l'analyse des catégories A, B et C. Les ordres de grandeurs retenus influent en outre sur la qualité du débat public. Par exemple, lorsque l'on rapporte les moyens de Pôle emploi en effectifs, en budget au nombre de demandeurs d'emploi, il faut prendre comme dénominateur l'ensemble des cinq millions de demandeurs d'emploi. De la même manière, lorsque l'on rapporte le nombre de demandeurs d'emploi indemnisés au nombre de personnes inscrites à Pôle emploi, il faut prendre en compte l'ensemble des inscrits, soit cinq millions de personnes. Or on ignore souvent qu'un demandeur d'emploi sur deux n'est pas indemnisé.

J'en viens maintenant aux suggestions pour l'avenir. L'analyse du nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois doit permettre de suivre le service public de Pôle emploi, qui coûte cher et qui concerne de nombreuses personnes. C'est pourquoi il me semble indispensable de privilégier les études de l'ensemble de demandeurs des catégories A, B et C dans les publications mensuelles nationales et locales. Il me semble en outre indispensable de « désacraliser » cette publication. La question du transfert intégral de la responsabilité de la publication à Pôle emploi peut également être posée. Cela permettrait de libérer des moyens de la Dares ou des services déconcentrés qui pourraient être employés à la réalisation d'analyses sur d'autres sujets qui ne sont pas assez approfondis tels que l'analyse des trajectoires des demandeurs d'emploi à partir des fichiers historiques dont dispose Pôle emploi, ainsi que sur l'activité de l'opérateur. Il pourrait par exemple être intéressant de se demander quelles prestations sont offertes par Pôle emploi, à quel public, selon quelles caractéristiques, quelle est la proportion de retours à Pôle emploi dans le mois suivant le passage en formation, dans quelle proportion les retours à l'emploi sont dus à une mise en relation effectuée par Pôle emploi, quels volumes d'activité réduite sont effectués par les demandeurs d'emploi en cours d'année, ou encore combien de demandeurs d'emploi en fin de droits restent inscrits.

Il me semble que l'on manque de bilan annuel sur ces sujets structurels alors que les données sont disponibles. À mettre trop de moyens sur une publication mensuelle, dont l'intérêt est en réalité inférieur à celui qu'on lui porte, on néglige l'analyse structurelle du marché de l'emploi et il en résulte un déficit d'information.

Pour répondre à la question de la présidente sur la publication d'un chiffre du chômage au format BIT tous les mois, il me semble qu'un tel indicateur permettrait de gagner en réactivité. Par ailleurs, dans la mesure où l'enquête emploi fait actuellement l'objet d'une publication trimestrielle, des recadrages seraient possibles et les risques d'une dérive importante comme en 2006 sont moins graves. En revanche, tant qu'il restera une publication mensuelle des demandeurs d'emploi en fin de mois très détaillée et copilotée par la statistique publique, y ajouter le un chiffre mensuel du chômage au format BIT n'aura pas une grande efficacité : le débat continuera de se concentrer sur le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois, qui permet d'affiner l'analyse par sexe, âge, au niveau régional et au niveau local.

S'agissant de la pertinence d'un suivi mensuel, il me semble que les politiques publiques prennent du temps à être décidées et mises en oeuvre. Or ce temps n'est pas le temps mensuel. Pour mener une action publique efficace, il n'est pas forcément nécessaire d'avoir d'une publication mensuelle, surexposée, qui peut conduire à des surréactions et à des décisions qui n'ont pas le temps d'être mises en oeuvre avant une nouvelle surréaction liée à une évolution du chiffre mensuel.

M. Jean-Jacques Filleul, président en remplacement de
Mme Anne Emery-Dumas, présidente
. - Je vous remercie d'avoir éclairé notre commission d'enquête sur la question du rapport entre les chiffres du BIT et ceux de Pôle emploi. Vous avez apporté beaucoup de détails techniques qui seront utiles à notre rapporteur.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je vous remercie de cette rétrospective qui montre bien que, malgré la publication de tous ces rapports, dont certains sont anciens, la situation n'a pas beaucoup évolué. La publication des chiffres a certes été complétée par des pages d'analyse - une douzaine aujourd'hui - mais le chiffre qui reste commenté chaque mois comme représentatif de la situation de l'emploi est celui du nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois en catégorie A. Or on essaie de faire dire à ce chiffre ce qu'il ne peut pas dire. C'est pourquoi la publication d'une statistique mensuelle du chômage au format BIT nous semble souhaitable. Le passage d'une enquête trimestrielle à une enquête mensuelle aurait certes un coût, mais avec les outils modernes, notamment internet, celui-ci pourrait être diminué sans dégrader la qualité des statistiques produites. Au-delà de la question du coût, pour parvenir à « désacraliser » la publication mensuelle du nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois de catégorie A comme vous le suggérez, ne faudrait-il pas se donner les moyens de réaliser une enquête fiable ? Sans quoi, on ne peut espérer aucune évolution. Améliorer encore les commentaires sur le nombre de demandeurs d'emploi inscrits en catégorie A, que tout le monde continuera de prendre pour argent comptant, ne semble pas suffisant. Ne faudrait-il pas pousser la logique jusqu'au bout en produisant des statistiques mensuelles au format BIT ? Les États-Unis parviennent à produire un chiffre hebdomadaire.

Par ailleurs, le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois ne dit rien sur les passages entre catégories. Or il s'agit d'un indicateur intéressant pour suivre les parcours des demandeurs d'emploi. Pôle emploi nous a indiqué que ces chiffres existaient. Serait-il, selon vous, intéressant de les publier ? Pourquoi ne le sont-ils pas actuellement ?

Enfin, l'opinion publique et la plupart des commentateurs pensent que les chiffres publiés chaque mois par Pôle emploi et la Dares sont des chiffres bruts. En réalité, ces chiffres font l'objet de corrections des variations saisonnières et des jours ouvrés. En outre, ces corrections ont lieu chaque mois et pas seulement quelques mois dans l'année. J'aurais aimé entendre votre avis sur ces corrections.

M. Stéphane Jugnot. - Sur les corrections des variations saisonnières et les jours ouvrés, on ne peut pas se contenter de corriger quelques mois seulement. Il faut soit corriger tous les mois soit ne rien corriger du tout. Il me semble surtout plus important que les courbes publiées soient à la fois celles des chiffres bruts et celles corrigées des variations saisonnières, afin de montrer la saisonnalité du marché du travail et son impact concret sur l'activité de Pôle emploi. Sur des évolutions annuelles, il est inutile de faire des corrections saisonnières et on peut utiliser les chiffres bruts.

Sur les passages de la catégorie A à une autre catégorie, y compris la E, il existe un fichier historique des demandeurs d'emploi qui permet de suivre les évolutions de catégories et d'indemnisation et aussi, le nombre d'heures travaillées, les activités réduites, les sorties durables. C'est bien ce type de données qui devrait faire l'objet d'analyses fines par la Dares, à un rythme trimestriel ou annuel. Elles seraient bien plus intéressantes que les commentaires qui accompagnent la publication mensuelle. Mais le problème est que ces données issues du fichier historique ne sont pas publiées immédiatement mais avec du recul et que la presse préfère des données fraîches tous les mois.

En ce qui concerne le choix entre les chiffres BIT et les chiffres des DEFM, il me semble que la première action devrait porter sur la refonte des communiqués de presse actuels et de la première page de la communication mensuelle de la Dares. D'abord pour qu'ils mentionnent en priorité les statistiques concernant les trois catégories A, B et C au lieu de se focaliser sur la catégorie A. On devrait d'ailleurs remplacer la terminologie technocratique de catégorie et parler plus concrètement de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi dont ceux ayant eu une activité réduite. Enfin, les communiqués de presse de la Dares ne devraient plus proposer le taux d'évolution mensuel dans les tableaux et les commentaires, ce chiffre restant à disposition des analystes sur demande, mais mettre en avant un taux trimestriel glissant ou annuel. Ces modifications d'ordre rédactionnel rejoignent les demandes émises par le rapport de Foucauld du CNIS, le rapport Mariton Muet et les recommandations de l'ASP.

La publication de statistiques mensuelles au format BIT poserait sans doute un problème de coût. Augmenter la taille du panel de l'enquête emploi permettrait d'avoir plus de données et des analyses plus fines géographiquement. Mais je reste méfiant sur les moyens réels qui seraient donnés à l'INSEE. À la suite des anomalies relevées, en 2006-2007, les rapports avaient recommandé un doublement de l'échantillon de l'enquête emploi et finalement il n'y a eu qu'une augmentation de 25 %. En outre, le chiffre produit pourra l'être au niveau national mais il ne permettra pas une analyse locale, comme actuellement avec les DEFM.

Je pense que plutôt que de créer une enquête emploi mensuelle, il faudrait s'orienter vers des estimations temporaires entre deux enquêtes trimestrielles en s'inspirant des méthodes d'avant 2006. Mais l'essentiel reste de retravailler les publications actuelles pour mettre en avant les bons indicateurs, retirer les évolutions dont on juge qu'elles n'ont pas de sens ou ne sont pas pertinentes et peut-être faire de ces documents une publication de gestion de Pôle emploi plutôt qu'une publication de la statistique publique.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Le chiffre BIT, pour les commentateurs et les politiques à l'avantage de permettre d'établir des comparaisons. Or au niveau européen, les comparaisons ne veulent pas dire grand-chose. Certains pays en Europe sont capables de sortir chaque mois des chiffres au format BIT, parfois ils sont retravaillés par Eurostat. Ce n'est pas le cas en France et dans le débat public, qu'il s'agisse du grand public, des journalistes ou des politiques, on utilise le chiffre de Pôle emploi qui n'est pas valable.

En ce qui concerne les chiffres BIT, ils doivent être complétés par une mesure du halo du chômage, c'est-à-dire de la précarité. Pensez-vous possible de définir une comptabilisation de cette précarité, par un indice synthétique ou une autre méthode ?

M. Stéphane Jugnot. - Eurostat publie, je crois, un tableau mensuel du chômage même pour les pays qui fournissent des chiffres BIT trimestriels. On pourrait simplement s'y référer et le mettre en avant ! Encore une fois, si on veut mettre en avant les chiffres du BIT, je pense que la question est moins celle des moyens que celle de la communication. Sur le halo, il existe des éléments dans l'enquête emploi qui pourraient être mieux exploités et faire l'objet d'estimations mensuelles.

M. Jean-Jacques Filleul. - Est-il pertinent de comparer un demandeur d'emploi à temps complet, classé en catégorie C, qui peut être dans une forme de précarité, avec quelqu'un qui est réellement sans emploi et qui est en catégorie A ?

M. Michel Raison. - Comment définissez-vous un faux demandeur d'emploi ? Cette notion n'apporte-t-elle pas une complexité supplémentaire ?

Mme Éliane Giraud. - Plus on avance dans les auditions, plus on se pose de questions. Si je me réfère aux propos tenus par les anciens ministres que nous avons auditionnés, j'ai le sentiment que l'on court après les chiffres les plus justes au risque d'oublier l'aspect humain.

La vraie question est sans doute au niveau territorial. Il faudrait parvenir à une analyse régionalisée de la composition du chômage. Il n'est pas identique partout et une analyse proche du terrain nous ferait sans doute gagner en efficacité dans l'affectation des budgets des politiques publiques.

Je suis d'accord sur l'intérêt d'une mesure de la précarité car ce qui compte pour les gens c'est d'abord les sorties du chômage.

M. Stéphane Jugnot. -Je n'ai jamais pensé comparer la situation des personnes en catégorie A et C. Il s'agit simplement d'affirmer que pour suivre la gestion de Pôle emploi, l'indicateur pertinent est bien le total des demandeurs des catégories A à C, ce qui n'empêche pas ensuite de distinguer ceux qui ont eu une activité réduite ou sont inscrits depuis plus d'un an. Je signale d'ailleurs une amélioration possible qui consisterait à demander au moment de l'actualisation si la personne a travaillé en CDD ou en CDI de façon à ne pas se contenter d'un volume d'heures. Je ne dis pas qu'il y a de vrais et de faux demandeurs d'emploi, mais juste que quand on met en avant une sous-catégorie parmi les inscrits à Pôle emploi, hier la catégorie 1 des demandeurs d'emploi à la recherche d'un CDI à temps complet et actuellement la catégorie A, cela revient à dire que les autres comptent moins et sont peut-être moins demandeurs d'emploi.

Il faut, je le répète, que la Dares libère des moyens qu'elle consacre aujourd'hui à la publication de ces chiffres mensuels de demandeurs d'emploi, et de ce point de vue je ne partage pas l'avis exprimé dans le rapport de labellisation de l'ASP qui souhaite des séries supplémentaires. Il faudrait qu'elle les affecte à des analyses approfondies sur la base du fichier historique, déclinées par territoire. Cela permettrait notamment de repérer les territoires où l'on peut voir des réussites en termes de sorties durables.

M. Jean-Jacques Filleul. - Je vous remercie pour votre présentation et vos suggestions qui vont nourrir notre rapport.

M. Philippe Dallier, rapporteur. - Je vous remercie, votre audition clôturant l'étude du volet « statistiques » de notre commission.

Audition de Mmes Hermione Gough, ministre conseiller, et Élise Graham, attachée aux affaires économiques et sociales à l'ambassade de Grande-Bretagne en France (réunion à huis clos)

Cette réunion n'a pas donné lieu à un compte rendu.

La réunion est levée à 17 heures.