Mardi 6 décembre 2016

- Présidence de M. Jean-Claude Lenoir, président -

La réunion est ouverte à 21 h 05.

Hommage à Louis Pinton

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Notre collègue Louis Pinton est brutalement décédé le jeudi 17 novembre à quelques pas du Sénat, avant la séance des questions au gouvernement. Son décès nous a affligés. Son éloge funèbre sera prononcé en séance publique par Gérard Larcher, dont il était proche, mais je voulais lui rendre un bref hommage au début de la réunion de notre commission spéciale, car il en a été un membre apprécié et assidu, en particulier lors des réunions d'élaboration du texte début septembre, où nous souhaitions une forte participation.

Louis Pinton était une figure politique du département de l'Indre, dont il a présidé le conseil général de 1998 à 2016. Il était né dans un village creusois très voisin de l'Indre, et a accompli sa carrière dans le canton de Neuvy-Saint-Sépulchre, et dans la jolie commune d'Orsennes dont il fut maire. Vétérinaire de métier - comme le président Larcher - il était membre de la commission des affaires sociales, non par hasard mais parce qu'il l'avait demandé. C'était un humaniste engagé, qui a beaucoup travaillé sur des textes d'intérêt social. Il est remplacé par Frédérique Gerbaud, fille de notre ancien collègue François Gerbaud, qui s'est fait connaître à la télévision, puis à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Je vous propose d'observer quelques instants de recueillement.

(Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence)

Il est parfois cruel de présider une commission : j'ai rendu un hommage similaire à Michel Houel devant la commission des affaires économiques aujourd'hui même.

Projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté - Examen du rapport et du texte de la commission spéciale

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Nous examinons à présent le projet de loi « Égalité et citoyenneté » en nouvelle lecture. L'horaire inconfortable s'explique par le bouleversement de l'ordre du jour à la suite de la fin rapide du débat sur le projet de loi de finances : la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques ont dû se réunir cet après-midi pour examiner le projet de loi montagne, et également la proposition de loi relative au délit d'entrave à l'IVG en ce qui concerne la commission des affaires sociales, deux textes qui viennent plus tôt que prévu en séance publique.

Nos deux rapporteurs vont nous dire dans un instant leur avis sur le projet de loi Égalité et citoyenneté tel qu'il ressort de la nouvelle lecture de l'Assemblée. L'échec de la commission mixte paritaire ne laissait pas entendre que les députés jugeaient possible un compromis sur les sujets importants, ce que la majorité sénatoriale a vivement regretté. Le projet qui nous revient de l'Assemblée comporte encore 146 articles en discussion. L'Assemblée n'a adopté que 39 articles dans la rédaction du Sénat. Elle a néanmoins maintenu 23 suppressions que nous avions effectuées, preuve que nous avons fait oeuvre utile en dénonçant de nombreux articles additionnels aberrants ou sans lien avec le projet de loi.

Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Louis Pinton avait siégé à la commission des affaires sociales la veille, ou le matin même, de son décès. J'avais eu un échange avec lui sur le projet de loi « Égalité et citoyenneté », et il m'avait ensuite fait parvenir un petit mot citant De la démocratie en Amérique, de Tocqueville.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Un auteur de la Manche !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Je méditerai longtemps, sans doute, cet extrait.

Lors de la réunion de la commission mixte paritaire du 25 octobre, les désaccords entre l'Assemblée et le Sénat se sont révélés trop forts pour s'entendre sur un texte commun. J'avais été assez choquée par les propos du rapporteur général Razzy Hammadi qui a regretté « le temps perdu pour un résultat dont nous connaissions l'issue dès les premières heures du débat » et qui a pris prétexte de l'échec de la commission mixte paritaire pour exprimer la nécessité « d'envisager une réforme de la procédure parlementaire ». À mon avis, si réforme il devait y avoir, il faudrait d'abord supprimer la procédure accélérée utilisée si souvent par le Gouvernement - et encore sur le délit d'entrave à l'IVG -, qui empêche un examen approfondi des projets de loi et fait obstacle à la recherche d'un accord.

Il conviendrait aussi que la majorité gouvernementale ait l'honnêteté de reconnaître que, dès le départ, ce texte n'avait pas vocation à rechercher des solutions pérennes dans un esprit de consensus, mais à permettre à une gauche désarticulée et atomisée d'esquisser un signe de ralliement à quelques mois des élections présidentielles. Nous ne pouvons que regretter cette situation, alors que chacun d'entre nous partage l'objectif initial : refaire société dans un contexte, indiscutablement, de délitement du lien social.

Les apports du Sénat ont souvent été rayés d'un trait de plume, sur des arguments de principe qui nous semblent parfois bien éloignés du pragmatisme qui nous est cher. Dans ce contexte où la volonté de consensus est peu manifeste, il ne nous paraît pas utile de poursuivre le dialogue et nous proposerons sans doute l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable.

Je vais toutefois, par acquit de conscience, vous présenter le texte adopté en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale, en commençant par les aspects positifs.

D'abord, malgré le Sénat-bashing caractéristique d'une certaine bien-pensance, le Sénat, au moins, débarrasse les projets de loi des nombreuses dispositions non législatives, des rapports plus ou moins utiles ou encore des mesures irréalistes votées dans le feu de l'enthousiasme par nos collègues du palais Bourbon mais qui complexifient et dégradent la loi.

Ainsi, l'Assemblée a suivi le Sénat en confirmant la suppression des articles instaurant une « ardente obligation pour la Nation d'offrir des missions de service civique », d'un rapport sur la faisabilité et l'opportunité d'un développement contraignant des offres de service civique dans les collectivités territoriales, d'un autre sur la possibilité de créer une allocation d'études et de formation pour l'autonomie des jeunes ou encore sur l'expérimentation du service civique obligatoire. Les députés ont également renoncé à instaurer un quota d'oeuvres en langues régionales parmi les oeuvres musicales diffusées par les stations de radio, qui venait bouleverser tout l'édifice de la récente loi sur la création. Il en va de même de l'instauration de quotas fondés sur l'âge dans la composition de chaque conseil économique, social et environnemental régional (CESER) ou de la réduction du seuil de mise en place des conseils de développement fixé récemment par la loi NOTRe. De même, l'Assemblée a renoncé à instaurer la portabilité du lundi de Pentecôte, qui n'avait plus de sens depuis l'adoption de la dernière loi « travail ».

Je regrette néanmoins que tous les articles de ce type - irréalistes, incongrus ou invraisemblables - n'aient pas disparu. La réserve et le service civiques faisaient dès le départ l'objet d'un relatif consensus entre nos deux assemblées et plusieurs dispositions adoptées par le Sénat ont été intégrées par l'Assemblée nationale, telles que l'obligation de formation des tuteurs ou le principe de non-substituabilité de la réserve civique à un emploi ou à un stage, auquel nous étions très attachés. Comme quoi, il arrive que l'Assemblée nationale soit sage...

Trois derniers points de satisfaction : l'accord auquel nous avions abouti avec le Gouvernement lors de la séance publique pour avancer sur la question importante de la mobilité internationale des apprentis ; le maintien de l'essentiel de la rédaction simplifiée de l'article 43 adoptée par le Sénat, qui instaure le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes ; enfin l'Assemblée s'est finalement rangée à l'avis du Gouvernement - et au nôtre - pour supprimer les disposition sur les langues régionales dans la formation professionnelle.

En revanche, il existe des points de sérieuse divergence.

L'Assemblée nationale a rétabli de nombreux articles introduits en première lecture et qui n'ont aucun lien, même indirect, avec le projet de loi initial. Il en est ainsi des dispositions qui reprennent celles de la proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation et dont les conséquences pour les collectivités territoriales seront lourdes.

En nouvelle lecture, des dispositions ont également été adoptées au mépris de la règle de l'entonnoir, par exemple aux articles 15 undecies - mise à disposition d'une permanence aux parlementaires par les communes -, 19 septies A - épargne pour le permis de conduire - et 56 ter - extension des dispositifs de délivrance des titres de séjour en cas de violences familiales - sur lequel le Gouvernement partageait la position du Sénat. Le rapport de notre commission détaillera nos doutes quant à constitutionnalité de certains de ces articles.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale n'a pas tenu compte des craintes réelles et fondées émises par le Sénat sur la remise en cause souterraine de l'âge de la majorité légale à 18 ans, sous prétexte de donner de nouveaux droits - non essentiels à la cohésion sociale, pas plus qu'à l'intégration des jeunes - aux mineurs de 16 ans voire moins, avec pour conséquence la suppression de dispositifs essentiels à la protection des mineurs. Ainsi, a été rétabli l'article autorisant un mineur de seize ans à être nommé directeur de publication d'un journal ou d'un support en ligne de communication, avec pour effet gravissime de rendre les jeunes mineurs pénalement et civilement responsables de propos tenus dans la publication, même s'ils ne les ont pas écrits eux-mêmes.

Je regrette également que l'Assemblée nationale ait rétabli la possibilité, pour des associations de jeunes financées quasi exclusivement par des fonds publics, de rémunérer pendant une durée qui peut atteindre six ans leurs dirigeants âgés de moins de trente ans au moment de leur élection. Il s'agit d'un vrai dévoiement de l'engagement associatif.

L'article 15 undecies va créer de nouvelles contraintes pour les communes, qui devront mettre à la disposition des parlementaires, à titre gratuit, « les moyens matériels leur permettant de rencontrer les citoyens ». Chers collègues, rien ne vous empêchera demain de demander à toute commune de votre circonscription de vous prêter un véhicule communal pour aller rencontrer vos électeurs. C'est tendre le bâton pour se faire battre, alors même que la démocratie représentative est de plus en plus contestée !

M. Alain Vasselle. - Ce n'est pas sérieux !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. - Quand on parle de moyens matériels sans les définir, cela peut viser un véhicule, mais aussi un ordinateur ou que sais-je encore...

Concernant la fonction publique, nous avons certains points d'accord avec l'Assemblée nationale mais il y a deux divergences majeures. D'abord, l'article 36 bis B organise un fichage des candidats aux concours administratifs et donc un nouveau méga-fichier, qui recensera les origines socioprofessionnelles, familiales et même géographiques. Il sera difficile d'expliquer aux maires que nous allégeons les normes tout en ajoutant des novations à l'intérêt discutable, y compris sur le plan des libertés... Puis, l'article 36 bis C impose aux collectivités territoriales de recruter au moins 20 % de leurs agents de catégorie C au travers des contrats de parcours d'accès aux carrières territoriales, hospitalières et d'État (Pacte). L'État fixe ainsi une injonction aux collectivités, contraire au principe de libre administration. Quid si les communes ne peuvent pas s'y plier ?

Concernant les dispositions qui modifient la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, chacun se souvient des cris d'orfraie que le Sénat a suscités par ses propositions pertinentes. Quoi qu'il en soit, l'Assemblée n'a pas estimé nécessaire d'analyser les modifications apportées par le Sénat, dont certaines étaient pourtant acceptées par le Gouvernement. Je suis choquée par le fait que la position du Sénat soit caricaturée comme liberticide sur la question : c'est bien le Gouvernement qui est responsable des plus profonds bouleversements apportées à la loi du 29 juillet 1881 et c'est bien l'Assemblée nationale qui les a acceptées, sans tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Il est savoureux de constater que, quelques semaines après avoir accusé le Sénat de s'attaquer à la liberté d'expression, au sujet d'un amendement de M. Pillet, cosigné avec M. Richard d'après un rapport qu'il avait rédigé avec M. Mohamed Soilihi, c'est l'Assemblée nationale qui semble désormais vouloir la restreindre avec la proposition de loi que nous examinerons demain sur le délit d'entrave numérique à l'IVG, et en dehors du cadre de la loi de 1881. Quelle ironie !

S'agissant de la lutte contre les discriminations, l'Assemblée nationale souhaite déjà revenir sur la loi sur la Justice du XXIème siècle, qui a été promulguée il y a moins d'un mois. Un fonds de soutien à l'action de groupe est par exemple créé, alors que le Sénat s'y est toujours opposé, même sous la précédente majorité.

Outre qu'elle a multiplié de manière désordonnée le nombre de critères de discrimination, l'Assemblée a rétabli des circonstances aggravantes générales, des délits, qui portent notamment une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et qui sont contraires aux principes constitutionnels de légalité des délits et des peines, et de nécessité des peines.

L'Assemblée nationale a rétabli le rôle de chef de file de la région en matière de politique de la jeunesse ainsi que de coordination des politiques d'information. C'est revenir sur la loi NOTRe, tant vantée.

Sur l'éducation, nous avions construit un texte sécurisé, qui instaurait un contrôle annuel obligatoire, afin d'éviter les dérives possibles de la liberté d'enseignement. L'Assemblée n'a conservé de notre travail que quelques modifications d'ordre rédactionnel. Outre les dispositions sans portée normative ou de nature manifestement réglementaire qu'elle a rétablies, trois sujets majeurs de divergence demeurent : sur l'article 14 bis, relatif au contrôle de l'instruction en famille, les députés ne nous ont pas suivis. Sur l'article 14 decies, relatif aux conditions d'ouverture des établissements privés d'enseignement scolaire, je rappelle que le ministère de l'éducation nationale souhaitait pouvoir procéder par ordonnance et instaurer un régime d'autorisation. Nous avions proposé un dispositif sécurisé de déclaration préalable. Je maintiens les réserves que j'avais exprimées quant au bien-fondé et à l'efficacité d'un régime d'autorisation - sans parler de sa conformité à la Constitution. Enfin, les députés ont réintroduit un droit d'accès à la restauration scolaire pour les élèves du premier degré, alors que la décentralisation est à la mode.

Sur ce dernier point, je regrette que la position du Sénat ait été violemment caricaturée par le Gouvernement et sa majorité à l'Assemblée. En décembre 2015 comme en octobre dernier, le Sénat ne s'est pas opposé à ce que la restauration scolaire revête un caractère obligatoire, comme dans le second degré ; bien au contraire, j'ai invité le Gouvernement à le proposer au lieu de transférer aux communes de nouvelles charges financières. De toute évidence, la crispation des députés et du Gouvernement sur ce sujet, comme sur l'ensemble de ce projet de loi, traduit leur préférence, poussée au fétichisme, pour les mesures d'affichage, au détriment de véritables solutions.

Bref, la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale confirme le rejet, par les députés, de ce que nous avons tenté de mettre en oeuvre : un dialogue constructif entre assemblées pour rapprocher nos positions. Nous en prenons acte, avec regret et incompréhension, au vu de l'objectif initial de ce texte, que nous partageons, et qui est de construire une République dans la cohésion sociale.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - S'agissant du volet logement et gens du voyage, sans surprise, les députés ont rayé d'un trait de plume les principales modifications que nous avions apportées au projet de loi et rétabli leur texte, qu'ils s'agissent des dispositions relatives aux attributions de logements sociaux pour favoriser la mixité sociale, des modifications apportées à la loi SRU ou encore des dispositions relatives aux gens du voyage.

En matière d'attributions de logement et d'obligations de construction de logements, à l'article 20, le Sénat avait proposé plusieurs modifications afin d'instaurer un dispositif de contractualisation entre les collectivités locales concernées et le préfet pour définir les obligations de mixité sociale, de revenir au projet de loi initial en ne prévoyant pas de substitution automatique du préfet en cas de méconnaissance des obligations par les collectivités locales, les bailleurs et les réservataires. Nous avions supprimé la pré-commission d'attribution dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et exclu les personnes menacées d'expulsion sans relogement de la liste des personnes prioritaires. Nous avions également choisi de maintenir les délégations de contingent préfectoral aux maires.

Sans surprise, les députés sont revenus sur l'ensemble de ces modifications. Ils ont en outre étendu les obligations de mixité sociale aux attributions de logements non réservés ou pour lesquelles l'attribution à un candidat présenté par le réservataire a échoué. Ils ont précisé que les délégations de contingent préfectoral aux communes carencées seraient résiliées de plein droit. Ils ont intégré au sein de cet article 20 les dispositions de l'article 33 bis C qui avaient été supprimées par le Sénat et qui prévoyait qu'en Ile-de-France toutes les questions de relogement relatives aux ménages bénéficiaires du DALO à reloger seraient traitées par le préfet de région.

De même, le Sénat avait souhaité à l'article 22 maintenir certaines prérogatives aux maires : possibilité de créer une commission d'attribution avec voix prépondérante au maire dans les commissions d'attribution. Ici aussi, les députés ont rétabli le projet de loi initial qui retirait aux maires ces prérogatives. En outre, les députés n'ont pas suivi le Sénat qui avait souhaité sur ma proposition et celle du groupe socialiste pérenniser les commissions d'attribution dématérialisées. Après avoir supprimé cette disposition en commission, les députés ont finalement décidé en séance de prolonger l'expérimentation de trois années supplémentaires.

S'ils ont conservé à l'article 24 la possibilité de choisir le champ d'application du dispositif de location voulue conformément à la rédaction du Sénat, ils ont en revanche rétabli la mesure de publicité des logements vacants des organismes HLM avant le 1er janvier 2020.

À l'article 25, ils ont rétabli la collecte du numéro INSEE par les bailleurs sociaux, alors même que le Sénat l'avait supprimée en raison des réserves exprimées par la CNIL.

Les députés ont également rétabli l'article 28 quinquies, supprimé sur ma proposition, qui oblige les associations locales de locataires à s'affilier à une organisation nationale.

S'agissant des modifications de la loi SRU, le Sénat avait souhaité instaurer un contrat d'objectifs et de moyens conclu entre le maire et le préfet et compléter la liste des logements pouvant être décomptés au titre de l'article 55 de la loi SRU afin de prendre en compte les aires permanentes d'accueil des gens du voyage, les places des résidences universitaires des CROUS, et plusieurs dispositifs en faveur de l'accession sociale à la propriété (art. 29). Le Sénat avait voulu supprimer, dans un contexte de baisse des dotations budgétaires, l'aggravation des sanctions financières prononcées à l'encontre des communes carencées en logements sociaux (art. 31 à 31 bis). Les députés sont revenus sur l'ensemble de ces propositions. En outre, à l'article 29, ils ont complété la liste des logements décomptés afin d'y insérer les logements du parc privé objet d'un dispositif d'intermédiation locative et ils ont précisé qu'en cas de fusion de communes, les dispositions de la loi SRU continueront de s'appliquer sur le territoire de la commune qui était déjà soumise à ces règles dans l'attente de l'inventaire des logements sociaux sur le territoire de la commune nouvelle.

À l'article 30, ils ont précisé que la contribution financière obligatoire de la commune au financement d'opérations de construction de logements sociaux et aux dispositifs d'intermédiation locative ne pourrait être déduite du prélèvement lorsque la commune ne s'est pas acquittée volontairement de ces sommes.

Aux articles 30 et 31, estimant que le texte ne serait pas promulgué au 1er janvier 2017, les députés ont adopté une disposition permettant d'appliquer rétroactivement, dès le 1er janvier, les nouvelles dispositions qui prévoient notamment le transfert des droits de réservation aux préfets, ou encore les nouvelles sanctions comme l'augmentation du potentiel fiscal ou encore les nouvelles règles d'exonération pour les communes bénéficiant de la DSU.

Les députés ont rétabli l'article 31 bis qui supprime la DSU pour les communes carencées, contre l'avis du Gouvernement qui considérait que cet article méconnaissait le principe constitutionnel de libre administration des collectivités et le principe d'égalité de traitement des communes devant la loi.

Un point positif : les dispositions relatives à l'habitat indigne ont été adoptées conformes ou avec quelques modifications rédactionnelles ou de coordination.

Le Sénat avait supprimé à l'article 33 la majorité des demandes d'habilitations à légiférer par ordonnances afin de modifier directement le droit en vigueur. Les députés ont poursuivi ce travail en modifiant le droit en vigueur relatif aux ascenseurs et aux plans locaux d'urbanisme. Cependant, je note qu'une partie des dispositions autres que les attributions et la loi SRU, pourtant moins clivantes, n'ont pas été adoptées conformes. En effet, les députés ont complété plusieurs articles avec des dispositions nouvelles dont le lien avec les dispositions restant en discussion n'est pas avéré et qui me semblent contraires au dispositif constitutionnel de l'entonnoir. Je vous donnerai quatre exemples. Ainsi, ils ont adopté dans l'article 33 bis AC relatif à la caution de la personne morale en matière de bail, une disposition relative aux logements en colocation. Deuxième exemple : à l'article 33 bis AD relatif à la procédure du mandat ad hoc et de l'administration provisoire applicables aux copropriétés en difficulté, ils ont adopté des dispositions relatives aux honoraires du syndic pour la réalisation de certaines prestations relatives aux frais de recouvrement des charges de copropriété, disposition que nous avions déclarée irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution. Ensuite, à l'article 33 bis C relatif aux pouvoirs du préfet en matière de DALO, ils ont indiqué que le financement des diagnostics sociaux serait assuré par le Fonds national d'accompagnement vers et dans le logement (FNAVDL). Dernier exemple : l'insertion à l'article 33 septdecies de la réforme des procédures de surendettement, alors que le Sénat avait rejeté un amendement identique en première lecture.

De même, les règles relatives à la définition de l'intérêt communautaire des EPCI ont été réintroduites alors qu'elles ne présentent aucun lien, même indirect, avec le texte.

Enfin, les députés ont clairement marqué leur désaccord soit en réécrivant entièrement certains articles - tel est le cas de l'article 33 bis AF relatif au contrôle des activités de transaction et de gestion immobilières -, soit en rétablissant des articles que nous avions supprimés comme l'article 33 bis D relatif à la publicité de certaines informations du registre des syndicats de copropriétaires, soit en supprimant des articles que nous avions introduits comme l'article 28 quater BCA relatif aux modalités de compensation de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) en faveur des logements sociaux, ou encore l'article 28 quater A relatif à la conclusion d'une convention en contrepartie de l'abattement de TFPB, qui avait pourtant été adopté conforme par le Sénat. Cet article a en effet été rouvert par les députés initialement pour assurer une coordination avec la Constitution - procédure assez peu courante mais qui pouvait s'entendre en l'espèce - avant d'être tout simplement supprimé par un amendement de séance du Gouvernement qui souhaitait aménager ces dispositions dans le cadre des projets de loi de finances !

En matière d'urbanisme, l'Assemblée a repris certaines dispositions introduites par le Sénat. La modification directe de la législation sur les schémas de cohérence territoriale, en lieu et place de la demande d'habilitation qui figurait initialement au 11° de l'article 33, a ainsi été confirmée par les députés. De même les députés ont repris, et même étendu, les assouplissements que je vous avais proposés à l'article 33 bis E concernant divers délais d'évolution des plans locaux d'urbanisme. Les POS et PLU infracommunautaires maintenus en vigueur sur les territoires des EPCI engagés dans une démarche de PLU intercommunal pourront ainsi continuer à produire leurs effets, et même à évoluer, jusqu'au 31 décembre 2019. Les députés ont même très opportunément fait disparaître la notion de « grenellisation des PLU », très insécurisante pour les collectivités territoriales concernées.

En revanche, les députés ont pris une position très éloignée de celle du Sénat sur plusieurs enjeux urbanistiques majeurs. Ils ont remplacé la demande d'habilitation sur la législation des PLU, qui figurait au 10° de l'article 33, par des dispositions « en dur » qui suppriment tout droit d'opposition des communes au transfert de la compétence PLU en cas de fusion mixte. Le Sénat souhaitait l'introduction d'un droit d'opposition pérenne, à l'image du mécanisme de minorité de blocage figurant à l'article 136 de la loi ALUR. La demande d'habilitation se contentait d'introduire un droit d'opposition transitoire permettant d'écarter le transfert de la compétence pour cinq ans. Le texte voté par les députés acte pour sa part le transfert automatique et définitif de la compétence PLU en cas de fusion mixte, accompagné d'un régime transitoire permettant de maintenir, modifier et même réviser les PLU intracommunautaires pendant cinq ans. C'est donc la position la plus éloignée de celle défendue par le Sénat qui prévaut.

Sur la question des EPCI de grande taille et sur la possibilité d'y autoriser la mise en place de plusieurs PLU intercommunaux, les députés ont également écrit des dispositions plus contraignantes que celles que souhaitait le Sénat. Cette faculté n'est en effet ouverte qu'aux EPCI de plus de 100 communes, là où le projet d'habilitation visait un mécanisme relativement souple permettant, en fonction des particularités des territoires, d'autoriser plusieurs PLU à partir d'un seuil plus bas, voire même laissé à l'appréciation du préfet.

Les députés ont enfin supprimé la disposition qui permettait de maintenir en vigueur jusqu'à la fin de l'année 2017 les POS en cours de révision, à condition que le débat sur le PADD du futur PLU ait lieu avant le 24 mars 2017.

La réforme du régime applicable aux gens du voyage que nous avions proposée n'a manifestement pas été examinée par les députés, qui ont souhaité réintroduire en bloc le texte qu'ils avaient voté en première lecture. Notre rédaction permettait pourtant de répondre à des difficultés concrètes rencontrées par les élus locaux et visait à clarifier la loi Besson du 5 juillet 2000. Dommage que les députés n'aient pas écouté les retours du terrain.

Enfin, je souhaite réitérer mes doutes sur la constitutionnalité du dispositif de consignation des fonds des collectivités territoriales.

En conclusion, nos divergences avec l'Assemblée sur le titre II sont profondes. Au regard du texte voté par les députés en nouvelle lecture, il est certain que la dernière lecture ne permettra pas de trouver de nouveaux points d'accord. Dès lors, je vous propose de ne pas poursuivre le dialogue et c'est pourquoi je vous propose l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Merci beaucoup pour votre travail.

M. Jacques-Bernard Magner. - Nous avons entendu ce soir deux rapporteurs véhéments contre l'Assemblée nationale. Elles contestent la volonté de parvenir à un consensus de la part de l'Assemblée mais, elles non plus, n'en ont pas beaucoup manifesté. Je les renvoie dos à dos. La commission mixte paritaire qui s'est tenue dans cette salle a révélé ces divergences. L'Assemblée a fait son travail en reprenant son texte, dont des articles rejetés par le Sénat, parfois sans débat au titre de l'article 45 de la Constitution.

La question préalable interdit, une fois de plus, tout débat. Cela devient une coutume ! Nous n'avons pas pu débattre du projet de loi de finances, ni du projet de loi de financement de la sécurité sociale, dont la situation, pourtant, s'améliore.

Mme Sophie Primas. - De bons petits soldats !

M. Jacques-Bernard Magner. - Le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté est un beau projet. Malheureusement, la question préalable devient un mode de fonctionnement au Sénat ; je le regrette. L'affaiblissement de la Haute assemblée est perceptible et provoque l'incompréhension de nos concitoyens qui se demandent pourquoi elle ne se saisit plus des questions importantes. Elle en fera les frais - je sais que la droite envisage de réduire le nombre de sièges... Mesdames et messieurs de la majorité, vous faites de la politique politicienne et cherchez à gommer les divergences de votre primaire en rejetant en bloc l'action du Gouvernement. Que fait-on ici au Sénat, ce soir ? Le groupe socialiste ne prolongera pas plus longtemps un débat que la question préalable tranchera rapidement.

M. Jean-Pierre Sueur. - J'ai entendu les plaidoyers des deux rapporteurs. Notre situation est banale, fréquente. J'ai longtemps siégé à l'Assemblée nationale, puis au Sénat. Chacune des deux assemblées doit faire son travail. La Constitution dispose qu'en cas d'échec de la commission mixte paritaire, une nouvelle lecture a lieu à l'Assemblée nationale. Le Sénat l'examine ensuite. En dernière lecture, l'Assemblée nationale peut reprendre son texte, ou certains articles adoptés par le Sénat. En adoptant une question préalable - ce qui devient une coutume - le Sénat décide, pour cette partie du travail parlementaire, de ne pas assumer la tâche que lui assigne la Constitution. J'entends certains dire que cela ne sert à rien. Personne n'est obligé de devenir parlementaire !

Pourquoi, en outre, considérer qu'il n'y a pas lieu de débattre de ce texte en nouvelle lecture, et ne pas l'avoir décidé en première lecture ?

Mme Primas a dit tout à l'heure que le groupe socialiste était constitué de soldats. On ne doit pas être traité ainsi.

Le projet de loi a été modifié, heureusement, par le Sénat en première lecture. Puisque la Constitution prévoit une nouvelle lecture, il revient au Sénat de dire ce qu'il pense du texte de l'Assemblée, à moins d'abdiquer du rôle que lui attribue la Constitution.

La question préalable a scandaleusement été adoptée sur le projet de loi de finances. Nous recevons beaucoup de propositions d'amendements de citoyens et de groupes et sommes contraints de leur répondre qu'il n'est pas possible de les prendre en compte - bien que certains de la majorité suggèrent, de façon absurde, de les déposer à l'occasion du projet de loi de finances rectificative.

Pourquoi une question préalable sur le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté ? Ce choix politique est contraire aux intérêts du Sénat.

J'ai déposé sur ce texte deux amendements. Le premier a été rejeté en première lecture au motif ridicule qu'il n'avait pas de lien direct avec le sujet, alors que d'autres bien plus éloignés ont été acceptés. Il s'agissait de répondre à la demande unanime des associations de victimes d'attentats. Le deuxième porte sur la générosité publique. L'Assemblée nationale a adopté une position meilleure que celle du Gouvernement, mais moins bonne que celle du Sénat. Il faut adopter à nouveau la nôtre. Si nous en débattions, l'Assemblée nationale aurait la possibilité de choisir notre rédaction.

Réfléchissez, chers collègues, au rôle constitutionnel du Sénat.

Mme Agnès Canayer. - Je ne comprends pas les arguments juridiques opposés à la question préalable. Une coutume est une répétition dans le temps. Il ne s'agit là que d'une procédure qui a été utilisée à trois reprises, dans des conditions d'ailleurs très différentes. Le Sénat y a recours en raison d'un blocage politique et du rejet de ses positions constructives. C'est le seul moyen de se faire entendre.

Si la Constitution défend le bicaméralisme, elle ne détermine pas la procédure législative. Le recours à la question préalable est justifié par la défense du Sénat, qui joue parfaitement son rôle. Le Sénat a proposé des avancées sur des sujets essentiels, qui n'ont pas été prises en compte.

M. Jean-Pierre Sueur. - Ce pourrait être le cas pour tous les textes !

Mme Évelyne Yonnet. - L'Assemblée nationale et le Sénat ont un désaccord de fond. Leurs majorités différentes ont des visions opposées. Nul besoin d'épiloguer.

Les questions préalables ne me choquent pas. Néanmoins, je suis étonnée d'en compter trois - sur le projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté - en quinze jours. Le Sénat n'en était pas coutumier, et avait réussi, jusqu'à présent, à travailler avec l'Assemblée nationale sur les textes importants.

Mme Sophie Primas. - Ne nous offusquons pas de la situation. Les divergences sur ce texte sont manifestes et les positions si éloignées qu'elles ne sont pas conciliables.

Le dépôt d'une question préalable découle aussi du comportement, au Sénat en commission mixte paritaire, du rapporteur général de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, qui a traité le travail sénatorial avec beaucoup de mépris, contrairement aux usages.

M. Jean-Claude Lenoir, président. - Je m'associe complètement aux propos de Sophie Primas. J'ai été particulièrement choqué par le comportement de certains collègues députés en commission mixte paritaire, en plus des propos qu'ils ont tenus. Nos deux rapporteurs ont exposé avec précision les raisons de nos choix. Nous n'avons pas échangé d'arguments de fond, mais subi des postures méprisantes à l'égard de la Haute assemblée. Nous avons perdu notre temps. Dont acte. Que les députés profitent de celui qui leur reste. Quant à nous, nous garderons notre lucidité.

Nos rapporteurs considèrent que, faute de volonté de compromis de la part de l'Assemblée nationale, il n'y a pas lieu de poursuivre le dialogue sur ce texte et proposent en conséquence l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable. Elle sera ainsi rédigée : « En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'égalité et à la citoyenneté ».

La commission adopte la motion présentée par Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, rapporteurs, tendant à opposer la question préalable au projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté.

Cette motion sera déposée par nos rapporteurs au nom de la commission spéciale. Elle sera discutée et votée dès après la discussion générale, lundi 19 décembre après-midi. L'adoption de cette motion par le Sénat entraînerait la fin du débat en séance publique.

En revanche, il n'en va pas de même en commission : en application du 1er alinéa de l'article 42 de la Constitution, il nous faut nous prononcer sur l'ensemble du texte. Compte tenu de la motion que nous venons d'adopter, il n'y a pas lieu d'examiner les articles dans le détail. Par cohérence avec la proposition de nos rapporteurs, je vous propose de rejeter le projet de loi.

Les amendements n°s COM-2, 6, 3, 4, 5 et 1 ne sont pas adoptés.

Le projet de loi n'est pas adopté.

Le débat portera donc en séance sur la version du texte adoptée par l'Assemblée, et c'est à cette version que nous proposons d'opposer la question préalable.

La réunion est close à 22 h 10.