Mercredi 15 février 2017

- Présidence de M. Henri Cabanel, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mme Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l'action publique

M. Henri Cabanel, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions de notre mission d'information en accueillant Mme Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l'action publique (SGMAP).

Le SGMAP a remplacé la direction générale de la modernisation de l'État (DGME) en octobre 2012. Service interministériel rattaché au Premier ministre, il exerce plusieurs missions présentant un lien direct avec nos travaux : la modernisation de l'action publique, notamment pour améliorer le fonctionnement des services déconcentrés de l'État et le service rendu aux usagers, ainsi que la promotion de la participation des citoyens à l'action publique.

Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique a par exemple proposé, en 2015, une série de 45 mesures opérationnelles élaborées de manière participative, articulées autour de huit axes d'action prioritaire : améliorer et simplifier les prestations rendues aux usagers ; trouver un nouvel équilibre entre les fonctions de contrôle et de conseil aux collectivités territoriales ; améliorer les missions de contrôle des entreprises par les services de l'État ; renforcer les dispositifs de prévention et de gestion des risques et de la sécurité ; renforcer la cohésion sociale ; soutenir les projets des entreprises, des collectivités territoriales et des associations ; conforter le rôle et les missions de l'État en matière d'économie et d'emploi ; enfin, soutenir la culture dans les territoires.

Le SGMAP a également organisé plusieurs ateliers citoyens en partenariat avec la Commission nationale du débat public (CNDP), dont l'audition est prévue la semaine prochaine. Il encourage, en outre, les ministères à développer des outils numériques pour recueillir l'avis des citoyens.

Plus globalement, le SGMAP s'interroge sur les meilleures pratiques et procédures permettant d'améliorer l'efficacité de l'action publique, ce qui constitue le coeur de notre mission d'information.

Je vous indique que cette audition est ouverte au public et à la presse. Elle fera également l'objet d'un compte rendu écrit.

Madame Laure de la Bretèche, je vous propose d'intervenir à titre liminaire pendant quelques minutes. Je donnerai ensuite la parole à mes collègues pour une série de questions-réponses.

Mme Laure de la Bretèche, secrétaire générale pour la modernisation de l'action publique. - Le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) est l'héritier d'une longue tradition de réforme de l'État.

Il est né de la volonté, en octobre 2012, d'accroître le nombre de leviers activables, en regroupant au sein d'une même entité la mission Etalab, créée en 2011 et dédiée au développement du numérique, la direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication (DINSIC), créée elle aussi en 2011, le service d'évaluation des politiques publiques, ainsi qu'une structure proche d'un cabinet de consulting interne ayant pour rôle d'accompagner les transformations qui constituait l'axe principal de la DGME.

L'ambition était d'apporter à l'ensemble des acteurs publics, et non aux seules administrations d'État, des leviers d'innovation et de transformation, dans un contexte budgétaire contraint, tout en intégrant les enjeux liés à la gestion des ressources humaines.

J'ajoute que le programme de simplification du SGMAP a été renforcé en 2015 : il concerne aujourd'hui les entreprises, les particuliers et les collectivités territoriales et comprend plus de 700 mesures dans différents domaines, toutes ayant pour point commun de faciliter l'activité et les démarches des citoyens.

Nous avons aussi souhaité rapprocher les branches « systèmes d'information » et « développement du numérique », la convergence de ces deux approches constituant l'un des leviers importants de transformation, dans le secteur privé comme dans le secteur public.

La problématique de la prise en compte de l'avis des citoyens s'inscrit au coeur de toutes nos missions. Nous observons, en effet, une crise de confiance qui s'exprime à plusieurs niveaux. Aujourd'hui, selon les chiffres publiés par le cabinet de conseil Res publica en 2017 dans son Baromètre de la concertation et de la décision publique, 90 % des Français sont favorables à la démocratie participative. Dans le même temps, 60 % d'entre eux pensent que la démocratie participative est utilisée comme une opération de communication, les décisions étant déjà prises au préalable. Enfin, environ 30 % des citoyens estiment qu'ils n'ont « rien à dire ».

Dans ce contexte, plusieurs enjeux émergent : rendre les procédures de démocratie participative plus attractives, associer plus largement les citoyens aux décisions, en veillant notamment à intégrer les personnes les plus éloignées du dispositif politique, animer le débat public, mieux informer les citoyens, stimuler l'innovation et renforcer la pertinence des politiques publiques.

Les choses ont déjà beaucoup évolué. Les consultations sont bien plus fréquentes que par le passé. Le besoin de proximité est aussi fortement mis en avant par les citoyens, 96 % d'entre eux jugeant que les élus devraient être davantage issus de la société civile. Ils sont aussi 91 % à souhaiter que leur avis soit plus fréquemment recueilli au moyen de référendums et de consultations. Le nombre de consultations, notamment numériques, a d'ailleurs significativement augmenté ces dernières années, le site vie-publique.fr recensant 14 consultations en cours, 342 terminées, dont 249 ayant fait l'objet d'une synthèse.

On peut notamment relever le succès de la consultation sur le numérique à l'école, organisée en ligne, qui a reçu 50 000 réponses et a donné lieu à 150 événements organisés dans les académies.

En 2015, une consultation sur l'ambition numérique a également été organisée en amont du projet de loi pour une République numérique, dans le souci de recueillir des propositions émanant directement de la société civile. Plus en aval, une consultation a été organisée préalablement aux réunions interministérielles d'arbitrage, qui déterminent réellement le contenu du projet : au terme d'une large mobilisation - 20 000 participants, 8 000 contributions, 150 000 votes -, cinq nouveaux articles ont été insérés dans le texte et quatre-vingt-dix modifications y ont été apportées.

Les parlementaires peuvent également consulter les citoyens via la plateforme « Parlement et citoyens ». Des consultations ont notamment été organisées en matière de biodiversité, à l'initiative du sénateur Joël Labbé. De même, le Gouvernement a créé une plateforme de consultation à l'occasion du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté, porté par Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Pour certaines de ces consultations, le SGMAP a bien évidemment joué un rôle d'accompagnement.

Différentes démarches de « co-construction » sont possibles : ateliers de design, au cours desquels les citoyens formulent diverses propositions d'amélioration d'un service public, mais aussi hackathons, qui voient des citoyens, des chercheurs et des praticiens réfléchir, le temps d'un week-end, aux grandes questions que peut poser l'exploitation d'une base de données. En 2015, un hackathon a ainsi été organisé sur l'ouverture des données de la base SNIIRAM de l'assurance maladie. Il s'agit d'une méthode assez efficace pour mettre en lumière de nouvelles problématiques, à partir desquelles l'administration va ensuite pouvoir construire ou affiner des politiques publiques.

Il est possible d'aller encore plus loin, jusqu'à la codécision en matière de politiques publiques. Avec l'appui de la Commission nationale du débat public (CNDP), nous avons ainsi lancé les « ateliers citoyens », qui consistent, pour des panels restreints de citoyens représentatifs, à produire un avis éclairé sur une problématique donnée, étant précisé qu'un corpus d'expertises leur est fourni pour éclairer leur réflexion. En 2016, le ministère des affaires sociales et de la santé a ainsi réuni, durant deux week-ends consécutifs, un groupe de quinze citoyens sur la question sensible de l'ouverture des données de santé, parallèlement au travail d'un groupe d'experts.

Sur des questions spécifiques, nous pouvons donc aller assez loin dans la sollicitation du citoyen.

Je souligne que cette démarche d'ateliers citoyens ne vient pas interrompre un processus décisionnel déjà engagé. On sollicite l'éclairage des citoyens sur une question qui ne fait pas encore l'objet d'une position politique très tranchée. Pour organiser dans de bonnes conditions ces ateliers, il nous faut un minimum de quatre mois, notamment pour le choix du panel et l'organisation de la consultation.

Je veux aussi évoquer le « partenariat pour un gouvernement ouvert » - Open Government Partnership -, une initiative internationale originale réunissant 77 pays et qui pourrait profondément changer le rapport entre le politique, l'administration et les citoyens. La France copréside actuellement ce partenariat avec l'organisation non gouvernementale World Resources Institute. Nous ne sommes donc pas les seuls à réfléchir à une meilleure association des citoyens à la décision publique. Dans le cadre de ce partenariat, nous avons élaboré un plan national d'action comprenant un certain nombre d'engagements des administrations sur la transparence, la participation et la collaboration des citoyens dans l'action publique. Six mois ont été nécessaires pour ce plan, en utilisant une démarche très ouverte de co-construction rassemblant des citoyens, des associations et d'autres acteurs de la société civile.

Quels sont les bénéfices de ces différentes démarches de participation des citoyens à la décision publique?

Le fait que les administrations s'engagent dans des démarches d'ouverture et de dialogue avec la société civile constitue l'une des conditions de la modernisation. Dans le plan national 2015-2017 pour une action publique transparente et collaborative, plus de dix ministères s'engagent dans des actions très concrètes, de même que la Cour des comptes et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Le mode contributif, par ailleurs très exigeant, permet aussi de synchroniser l'expression des opinions d'une très grande diversité d'acteurs et d'éviter ensuite les prises de parole dissonantes. En effet, plus que les divergences d'opinions sur le fond, ce sont les postures qui exacerbent les antagonismes.

Ces démarches participatives permettent également de sensibiliser les administrations publiques aux enjeux de la transformation numérique.

Le rôle du SGMAP est d'ailleurs aussi de développer un certain nombre de ressources numériques, outils, plateformes et infrastructures de données.

Nous animons ainsi le site data.gouv.fr, qui, aujourd'hui, réunit des jeux de données pouvant être réutilisés par les entreprises, les associations, les chercheurs et les particuliers, avec la seule obligation pour eux de reverser ensuite leurs résultats sur le même site. Nous animons également le site faire-simple.gouv.fr, qui permet d'interroger les particuliers et les entreprises sur leurs besoins en termes de simplification administrative.

Nous oeuvrons à la constitution d'infrastructures collaboratives de données, en associant des ressources externes et internes à l'administration. C'est le cas, par exemple, de la base d'adresses nationale, développée en partenariat avec l'association OpenStreetMap, l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et La Poste. Les erreurs d'adresse dans les échanges postaux et les envois de colis représentent en effet une perte se chiffrant en dizaines de millions d'euros pour les entreprises...

Nous hébergeons également le site beta.gouv.fr, un incubateur de services numériques, qui développe des outils innovants en s'appuyant sur l'expérience d'une communauté d'utilisateurs.

Par exemple, pour lutter contre le problème crucial du non-recours aux aides sociales, nous avons créé un outil très simple, mes-aides.gouv.fr, qui permet de connaître en moins de deux minutes, à partir de votre situation, les droits auxquels vous pouvez prétendre.

Nous avons également développé la « Boussole des droits » pour les jeunes, qui vise à leur offrir un meilleur accès aux dispositifs conçus pour eux dans les domaines du logement, de la santé et de l'emploi-formation. Cet outil a été construit après une « immersion totale » à Reims, qui nous a permis de rencontrer les jeunes directement sur leurs lieux de vie.

Toutes ces nouvelles démarches participatives sont très intéressantes, mais nous devons aussi les regarder avec lucidité. C'est pourquoi le secrétariat général pour la modernisation de l'action publique (SGMAP) a lancé une évaluation, inédite en France, sur l'effectivité, l'efficacité, l'efficience, la pertinence et l'impact de ces différentes démarches, à partir de questions simples qui rejoignent d'ailleurs celles de votre mission d'information. Comment associer le citoyen ? Comment recueillir la parole citoyenne et éviter qu'elle ne soit déformée ou confisquée ?

Il s'agit ainsi de permettre la prise de bonnes décisions, avec un travail à chaque étape de leur construction.

Les citoyens attendent aussi que les décisions se traduisent en actes. Ils attendent que les textes aient un impact direct dans leur vie quotidienne. Nous avons donc créé, en 2015 au sein du SGMAP, « CAPGouv », une petite cellule d'accélération des projets du Gouvernement qui vise à identifier, une fois l'arbitrage interministériel réalisé, tout ce qui risque de freiner leur mise en oeuvre. Les administrations n'osent pas toujours exprimer les difficultés qu'elles rencontrent dans l'application d'une décision ; dès lors, elles n'identifient pas toujours les petits grains de sable qui peuvent gripper la machine. En la matière, nous avons enregistré un certain nombre de succès, par définition peu visibles, car une décision qui aboutit fait toujours moins parler d'elle qu'une décision qui n'aboutit pas. Ce dispositif, placé directement auprès du Premier ministre et de son cabinet, peut venir utilement en soutien d'un certain nombre de projets prioritaires et complexes, pour lesquels le risque d'enlisement est plus important.

M. Henri Cabanel, président. - Je vous remercie de ces précisions. Les dispositifs participatifs que vous avez évoqués peuvent-ils se déployer dans tous les domaines de l'action publique ? Est-il possible de les concevoir aussi bien au niveau national que local ?

Les démarches d'ateliers citoyens et de hackathons me semblent très intéressantes. Mais comment choisir les panels et les participants ? Quel bilan coût-avantages tirez-vous de ces dispositifs ?

Mme Laure de la Bretèche. - Je n'ai pas le recul suffisant pour savoir si les démarches participatives peuvent fonctionner de la même manière dans tous les secteurs et à tous les niveaux.

Ce qui importe surtout, à mes yeux, c'est la volonté déterminée de tenir compte de cette démarche participative, qui ne saurait être un simple « pas de côté » alors qu'une trajectoire de décision a déjà été arrêtée. D'où l'intérêt, notamment pour les ateliers citoyens, d'une consultation intervenant relativement en amont.

M. Henri Cabanel, président. - Comment articuler le temps nécessaire à la consultation et le temps compté des élus, déterminé par la durée de leur mandat ?

Mme Laure de la Bretèche. - Comme je l'ai indiqué, il faut compter un délai incompressible de quatre mois pour mener à bien un atelier citoyen, depuis son lancement jusqu'au recueil de la parole citoyenne par l'administration.

Nous avons évalué le premier atelier citoyen sur l'ouverture des données de santé, et il en ressort que les participants sont surtout préoccupés par la réception qui sera faite de l'avis qu'ils ont émis. Ils ne s'imposent pas nécessairement comme un élément déterminant de la décision finale, mais ils veulent être certains d'avoir été entendus et qu'on leur explique pourquoi tel point a été retenu et tel autre écarté.

Certaines situations d'urgence ou de crise ne se prêtent pas à l'examen serein d'une problématique par un panel de citoyens, notamment lorsqu'existe un risque trop élevé d'instrumentalisation.

En revanche, il me semble qu'une démarche de ce type peut s'envisager aussi bien au niveau national qu'au niveau local.

La Ville de Paris a ainsi pris l'initiative intéressante d'instaurer un budget participatif pour construire une partie de son budget d'investissement à partir des souhaits exprimés par les citoyens. D'autres villes font de même.

Surtout, au niveau local comme au niveau national, il est nécessaire de recueillir l'avis des citoyens à toutes les étapes du processus de décision, pour vérifier que l'on ne s'éloigne pas de leurs besoins. Ces derniers peuvent en effet varier selon les circonstances. Par exemple, un citoyen sera plutôt heureux de déclarer plusieurs fois son premier enfant auprès de différentes administrations, mais il jugera cette répétition insupportable pour un décès, y voyant la preuve de la froide indifférence de « l'État Léviathan ».

Il faut noter que le Partenariat pour un gouvernement ouvert, que j'ai évoqué tout à l'heure, constitue la forme la plus aboutie de cette démarche participative.

Le SGMAP s'occupe également de coordonner les évaluations de politiques publiques ; il en a réalisé quatre-vingt à ce jour. Il apparaît que nous devons encore renforcer la participation des citoyens dans la définition des questions évaluatives et la préparation du diagnostic, ce qui permet ensuite au ministre de mieux reprendre la main et de définir un plan d'action. Nous pensons aussi qu'il faut prévoir un temps de débat public à l'issue du diagnostic évaluatif, c'est-à-dire avant l'élaboration des scénarii.

Vous m'avez également interrogée sur la constitution du panel d'un atelier citoyen. À partir d'une base de citoyens, nous travaillons, selon une démarche scientifique et avec l'aide éventuelle d'un cabinet de conseil, à l'obtention d'un panel de quinze personnes, en croisant plusieurs critères. Il faut des personnes qui ont une relative ignorance du sujet, mais qui sont aussi directement concernés par le problème posé, des personnes d'âge différent, des urbains et des ruraux, etc. Un comité de pilotage de la démarche se réunit régulièrement ; il comprend des experts, des chercheurs et l'administration demandeuse. Cette phase de constitution du panel est la plus longue.

Le coût de ces consultations est limité, entre 15 000 et 25 000 euros pour deux week-ends de travail à Paris.

Il serait prétentieux de ma part d'affirmer que les résultats sont excellents, mais nous avons par exemple été frappés de la qualité de l'avis rendu par le panel de citoyens ayant examiné l'ouverture des données de santé, sachant que ni le SGMAP ni la CNDP n'ont participé à sa rédaction. L'avis de quinze pages remis madame Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, très mesuré, proposait d'ouvrir les données dans le seul intérêt de la recherche et des soins. Il était d'ailleurs assez convergent avec l'avis des experts scientifiques.

Mme Sylvie Robert. - Avec le recul, y a-t-il eu, durant ce quinquennat, une modernisation des ministères, qu'ils soient de grande ou de petite taille ? Ont-ils joué le jeu ? Les nombreux comités interministériels pour la modernisation de l'action publique (CIMAP) qui se sont tenus ont-ils porté leurs fruits ?

Nous avons également voté, au cours des cinq dernières années, des lois qui ont considérablement bouleversé notre organisation territoriale. La fusion des régions, notamment, a posé des questions d'ordre administratif. Avez-vous accompagné des régions mais également d'autres collectivités comme celles ayant transféré des compétences aux métropoles, ou encore les communes qui ont fusionné ? Si oui, avez-vous pu tirer de ces expériences des enseignements généraux permettant d'aider les administrations à être plus efficientes ?

Je participe depuis longtemps aux travaux de l'organisme « La 27e Région » et j'avais été frappée par une expérimentation conduite au Danemark, où, en travaillant notamment sur la traçabilité, les pouvoirs publics avaient réduit à un mois le délai d'obtention par les entreprises du code « activité principale exercée » (APE), ce qui constituait une avancée majeure. Menez-vous aussi ce type d'expériences ? Plus globalement, la France vous semble-t-elle plutôt en avance ou en retard sur ces questions ?

Enfin, siégeant à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), je souhaitais vous demander si nous allions enfin passer à la vitesse supérieure sur la question des données, notamment des données personnelles. Le traitement des données sensibles suscitent en effet de nombreuses questions, et pas seulement en matière de santé.

M. Henri Cabanel, président. - En complément de la première question de ma collègue Sylvie Robert, je me demande si, au-delà des ministères, la toute puissante administration joue véritablement le jeu. Qu'avez-vous entrepris pour qu'elle change ses habitudes de fonctionnement et adhère à cette démarche ?

Mme Laure de la Bretèche. - Sur les quatre-vingt évaluations de politiques publiques réalisées, nous avons connu de vraies réussites en termes de transformation.

Ainsi, en nous appuyant sur l'évaluation menée avec le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la lutte contre le décrochage scolaire, nous avons réussi à construire un plan d'action, qui reste encore très suivi aujourd'hui par un comité associant des représentants des rectorats, des collectivités locales, des lycéens et des associations de parents. L'objectif qui consistait à réduire de 50 % le taux de décrochage scolaire n'a pas été complètement atteint, mais la diminution est tout de même de 30 % environ. Nous avons aussi engagé avec le ministère de l'éducation nationale un travail très significatif de redéfinition des zones d'éducation prioritaire (ZEP).

Nous sommes très attachés à ce que nos travaux d'évaluation soient rendus publics, conformément aux engagements pris par les ministres. Tout est publié sur le site du SGMAP, y compris les lettres de cadrage signées par le Premier ministre. On le sait, nombre de travaux des inspections ministérielles dorment dans des tiroirs. Le politique, qui a pourtant l'onction du suffrage universel et une légitimité que personne ne peut lui retirer, redoute parfois d'affirmer que telle proposition formulée par les experts dans le rapport d'évaluation ne lui convient pas. Or c'est parfaitement son droit, et même son rôle.

Publier des évaluations de politiques publiques est donc un geste assez courageux pour un ministère, celles-ci pouvant aussi déboucher sur une critique de son action. Cet exercice de transparence présente pourtant un double avantage : il incite ceux qui réalisent l'évaluation à se montrer responsables, et ceux à qui elle est destinée à en faire quelque chose, quitte à n'en reprendre qu'une partie tout en expliquant pourquoi.

Si les ministres et les administrations jouent le jeu, c'est aussi que l'évaluation constitue un matériau qui peut les appuyer leur désir de réforme et de transformation des politiques publiques, à charge pour les évaluateurs de proposer plusieurs alternatives réalistes.

Je précise que certaines évaluations n'ont pas pu aboutir en raison d'une absence de données. C'est le cas de celle sur l'insertion des personnes sorties de prison : pour des raisons de protection de la vie privée, on ne dispose pas d'éléments statistiques permettant de suivre des cohortes d'anciens prisonniers.

Tous les secteurs de la vie publique ou presque sont concernés par les quatre-vingt évaluations que nous avons lancées. Quelques-unes concernent les collectivités territoriales, notamment sur la gestion des déchets et le bloc de compétences communal. Ces évaluations sont plus difficiles à réaliser, car elles doivent être « co-élaborées » avec les représentants des collectivités territoriales.

M. Henri Cabanel, président. - Dans le cas de la fusion des régions prévue par la loi du 16 janvier 2015, on ne peut pas vraiment dire que la décision ait été précédée, en amont, d'une consultation suffisante pour susciter l'adhésion...

Mme Laure de la Bretèche. - Dans ce processus de fusion, nous nous sommes plus occupés des administrations de l'État que des régions en accompagnant, dès 2015, la phase de préfiguration de la fusion des services territoriaux de l'État.

Les régions Bourgogne et Franche-Comté ont toutefois demandé le soutien du SGMAP pour préparer leur fusion.

Comment assurer la diffusion des bonnes pratiques ? Nos moyens restent limités : nous ne sommes que 200 au SGMAP. Nous avons lancé un appel à projets en 2016 pour que les régions créent des laboratoires d'innovation au niveau territorial, que l'État finance dans le cadre du programme d'investissements d'avenir. Sur les dix-sept candidatures reçues, onze ont été retenues, notamment le « Lab Zéro » à Marseille. Nous disposons aussi de laboratoires spécialisés dans les ressources humaines. Notre volonté est de créer et d'animer des réseaux actifs sur des projets d'innovation.

Nous partageons votre préoccupation concernant le transfert de compétences entre collectivités territoriales. Avec le commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), nous avons élaboré un guide sur la manière de diffuser l'innovation, très apprécié dans les territoires.

Parmi les simplifications ayant un impact mesurable, nous avons aussi développé le dispositif « marché public simplifié », partant du constat que les petites et moyennes entreprises ont des difficultés pour répondre aux marchés publics, faute d'équipes dédiées. Les entreprises peuvent ainsi répondre aux marchés publics en communiquant seulement leur numéro SIRET et gagneraient deux heures avec cette procédure simplifiée.

La situation de la France est plutôt bonne en matière de transformation numérique : nous sommes dans le peloton de tête en ce qui concerne le e-gouvernement et la e-administration.

La démarche de simplification que nous avons adoptée a été reprise par l'Allemagne, qui nous a même rendu hommage publiquement. Notre méthode pour la simplification est, elle aussi, basée sur la co-construction, avec la constitution d'ateliers regroupant des représentants des administrations et des chefs d'entreprise, ateliers qui sont de plus en plus souvent pilotés, non plus par le SGMAP, mais directement par les administrations concernées.

S'agissant des données publiques, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique prévoit un dispositif d'appui aux collectivités territoriales en matière d'open data. Un administrateur général des données est en poste depuis 2014 au sein du SGMAP, avec notamment pour mission de coordonner les différents administrateurs de données qui commencent à émerger dans les ministères.

Une stratégie sur les données se développe donc progressivement au sein des administrations. La loi du 28 décembre 2015 relative à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (dite « loi Valter ») a également été déterminante, en posant le principe d'un échange gratuit de données entre administrations. Ce texte a bouleversé les modèles économiques de certains grands opérateurs de l'État comme l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

M. Henri Cabanel, président. - Cette participation des citoyens via des dispositifs numériques ne crée-t-elle pas une nouvelle fracture entre les citoyens parfaitement connectés et ceux qui sont plus éloignés des outils informatiques, notamment en milieu rural ?

Enfin, pouvez-vous nous préciser le coût d'un hackathon ? Les participants sont-ils rémunérés ?

Mme Laure de la Bretèche. - J'ai évoqué tout à l'heure le coût des ateliers citoyens et la constitution des panels. S'agissant des hackathons, les participants sont des volontaires qui souhaitent apporter leur contribution. En 2016, nous avons par exemple organisé un hackathon sur l'ouverture par l'administration fiscale du code source de son calculateur d'impôts.

Quant au coût des hackathons, la question ne s'est jamais vraiment posée. Il faut certes réaliser un travail en amont sur les bases de données, mais cela relève des administrations concernées. C'est davantage la question des suites à donner aux hackathons qui se pose, alors qu'ils permettent de faire émerger des questions inédites et d'esquisser des réponses potentielles en matière d'utilisation des données.

Nous nous attachons aussi à travailler sur la relation à l'usager. Nous venons à cet égard de publier un guide interministériel de la relation attentionnée à l'usager à l'ère du numérique. Certains outils pouvant donner le sentiment d'une mise à distance de l'usager, nous devons réorienter les moyens vers les publics les plus en difficulté et veiller à ce que l'accès au service public reste multicanal, avec une réponse physique, téléphonique et numérique.

On voit aussi que certaines expériences de « tout numérique », comme celle de l'Estonie, ne sont pas forcément des succès. Il ne faut pas pour autant renoncer au numérique, mais l'accompagner, sachant que les besoins varient en fonction des territoires et de l'âge moyen de la population.

Lorsque la prime d'activité a été instaurée, un accompagnement a été proposé dans chaque caisse d'allocations familiales (CAF) pour aider l'usager à se familiariser avec l'outil. C'est un bon exemple de médiation numérique assurée par des agents.

L'éloignement est d'ailleurs une notion polysémique : l'éloignement géographique incite à approfondir le développement des outils numériques pour réduire les temps de trajet, mais il faut aussi répondre à l'éloignement d'une partie de la population des outils numériques par un accompagnement humain ou des solutions alternatives.

M. Henri Cabanel, président. - Je vous remercie d'avoir alimenté notre réflexion, madame de la Bretèche. On comprend finalement que la simplification n'est pas si simple !

La réunion est close à 18 h 55.