Mercredi 22 février 2017

- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président -

La réunion est ouverte à 18 h 05.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST. - À l'exception de la réunion de demain matin relative au compteur Linky, nous commençons une série de réunions de l'Office qui permettront d'examiner cinq rapports qui marqueront la fin de nos travaux au cours de cette XIVlégislature et portent sur les sujets suivants : la stratégie nationale de recherche, le volet énergie de cette stratégie, le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs, l'intelligence artificielle, les nouveaux développements des biotechnologies.

Notre ordre du jour comporte trois points : l'examen du projet de rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Bruno Sido, sénateur, sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 » ; l'examen d'une communication de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie » ; l'approbation des conclusions de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 ».

Deux mots préalables pour rendre compte succinctement de notre réunion de bureau du 11 janvier, qui nous a permis d'apporter certaines précisions sur nos procédures budgétaires concernant les « évaluations en vertu de la loi » et les « programmes d'études », de décider la publication de nos travaux conjoints avec le Conseil scientifique sur l'intégrité scientifique lors des deux réunions des 9 juillet 2014 et 29 novembre 2016, puis de fixer le calendrier de cette fin de législature très chargée pour l'OPECST.

À ce propos, je demande un report d'au moins quinze jours de la présentation du rapport sur les derniers développements des biotechnologies, car le rapport sur la stratégie nationale de recherche que je vais vous présenter dans un instant m'a occupé intensément, et je n'ai pas pu m'avancer sur cet autre travail... En êtes-vous d'accord, sachant que je conviendrais avec Mme Catherine Procaccia d'une nouvelle date, dont je vous informerai ? (Assentiment général). Je vous en remercie.

Je propose maintenant que nous commencions par le troisième point de l'ordre du jour.

Approbation du compte rendu de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 »

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST. - Le texte des conclusions de l'audition publique sur « L'apport de l'innovation et de l'évaluation scientifique et technologique à la mise en oeuvre des décisions de la COP21 » devait être transmis aux membres pour observation, après une tentative de présentation lors de la réunion du 13 décembre 2016.

Le texte a été transmis aux membres députés le 21 décembre, assorti d'une demande de retour avant le 13 janvier. Il n'a pas suscité de réaction.

A-t-il été soumis aux membres sénateurs et peut-on considérer qu'il est approuvé par l'OPECST, ce qui permettra de l'adjoindre au compte-rendu de cette réunion, et d'assurer la publication des actes de cette audition publique ?

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'OPECST. - Les sénateurs ont pu en prendre connaissance et j'ai justement une remarque concernant le chiffre de cent milliards d'euros qui est mentionné dans ce document, et qui correspondrait au montant des subventions aujourd'hui accordées en Europe aux énergies fossiles. Je suis surpris par son ampleur, et je souhaiterais qu'on en vérifie la source. Il me semble qu'il correspond plutôt aux subventions accordées au niveau mondial, peut-être en considérant comme subvention une taxation moindre par rapport à un niveau de référence.

M. Gérard Bapt, député. - Je m'interroge également sur le montant de cent milliard d'euros.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Ce chiffre a été avancé au cours de l'audition publique par le commissaire européen Carlos Moedas. Nous pouvons reprendre contact avec les services de la commission européenne pour en obtenir confirmation, corriger au besoin en apportant les explications en note de bas de page, et publier les documents liés à cet échange en annexe du rapport. Sous cette réserve, peut-on considérer que l'OPECST donne son accord pour cette publication ? (Assentiment général)

Examen du projet de rapport présenté par M. Jean-Yves Le Déaut, député, et M. Bruno Sido, sénateur, sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 »

Notre premier point de l'ordre du jour concerne la présentation par Bruno Sido et moi d'un rapport sur « L'évaluation de la stratégie nationale de recherche 2015-2020 ». Ce document a fait l'objet d'une possibilité de consultation dans les 48 heures précédant son examen, comme c'est maintenant la règle pour toutes nos études ou évaluations.

Nous allons faire une présentation à deux voix, en essayant de rester synthétiques.

Ce rapport correspond à la première évaluation par l'OPECST, telle que prévue par l'article 15 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieure et à la recherche, de la première stratégie nationale de recherche, sous-titrée « France Europe 2020 », qui est destinée à couvrir la période 2015-2020.

Ce même article 15 évoque une évaluation biennale. La présentation de cette évaluation pourrait paraître dès lors quelque peu anticipée au regard de la démarche qui a rendu officiellement publique la stratégie nationale de recherche, à savoir la Conférence « Recherche : défis et aventures », qui s'est tenue le 14 décembre 2015 au Musée du quai Branly, en présence du Premier ministre, Manuel Valls.

Néanmoins, la consultation publique sur les propositions déjà structurées en « défis » avait pris fin en mai 2014, et les travaux d'élaboration de la stratégie nationale de recherche étaient, dès l'été 2014, suffisamment avancés pour que, en fait, deux années budgétaires, celles de 2015 et 2016, portent déjà de facto l'empreinte de la stratégie nationale de recherche.

En outre, dans la mesure où l'OPECST a contribué, au début de la législature, à l'institutionnalisation de la stratégie nationale de recherche, il apparaissait important que nous puissions l'évaluer avant la fin de la législature.

L'OPECST a en effet été très étroitement associé au processus des « Assises de l'enseignement supérieur et de la recherche », qui ont fait émerger durant l'automne 2012, parmi les nombreuses propositions de réforme, celle d'une institutionnalisation du rôle de l'État stratège à travers l'élaboration d'une stratégie de l'enseignement supérieur et d'une stratégie de la recherche.

Nous avons en effet organisé à l'Assemblée nationale, le 4 décembre 2012, sous la présidence de Bruno Sido, une audition publique qui visait à permettre un échange entre les membres du Parlement et les protagonistes des Assises pour mieux faire ressortir les conclusions législatives et règlementaires pouvant être tirées des 121 propositions des Assises.

Ensuite, j'ai été personnellement nommé parlementaire en mission pour préparer la traduction législative de ces mêmes propositions. J'ai remis ces propositions au Premier ministre le 15 janvier 2013. Dans ce rapport, intitulé « Refonder l'université, dynamiser la recherche, mieux coopérer pour réussir » et publié à la Documentation française, j'ai clairement abordé la nécessité de refonder le pilotage stratégique de la recherche, en y associant l'OPECST.

Par la nature même de ses activités, l'OPECST se trouve en interaction constante avec le monde de la recherche et de la technologie, et se trouve donc bien placé pour nourrir ses analyses sur le pilotage de la recherche de l'expérience acquise à travers ses contacts multiples avec les acteurs de la recherche à tous les niveaux.

Cependant, je rappelle que trois auditions publiques ont été plus spécifiquement organisées en 2016 pour éclairer certains aspects importants de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche. On pourra en consulter les comptes rendus en annexe du rapport.

La première, le 30 juin 2016, à laquelle ont participé le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, M. Thierry Mandon, et le Commissaire général aux investissements, M. Louis Schweitzer, s'est concentrée sur les outils et moyens dévolus à la valorisation des résultats de la recherche.

La deuxième, le 6 octobre 2016, a analysé les conditions de formation des scientifiques et des ingénieurs. Il s'agissait en particulier de vérifier l'adéquation de ces formations aux besoins futurs identifiés par la SNR.

La troisième, le 8 décembre 2016, s'est consacrée plus spécifiquement aux conditions d'élaboration et de mise en oeuvre de la stratégie nationale de la recherche, et a permis notamment de mesurer les progrès de méthode réalisés depuis la précédente stratégie nationale de recherche et d'innovation sur la période 2009-2013, d'apprécier la dimension interministérielle de la démarche et de préciser les efforts en cours ou à réaliser pour permettre à terme une évaluation quantifiée sinon quantitative de l'efficacité de la stratégie nationale de recherche en termes de politique publique.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'OPECST. - Pour aller plus vite, je vais commenter directement une première partie de nos recommandations concernant l'organisation générale de la recherche.

Premièrement, la stratégie nationale de recherche doit, pour s'imposer, bénéficier d'un soutien fort de l'État. Aussi, une de nos principales recommandations concerne le rétablissement définitif d'un ministère de plein exercice en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Nous proposons deuxièmement que le Conseil stratégique de la recherche devienne un conseil stratégique plus restreint, qu'il se réunisse régulièrement sous la présidence effective du Premier ministre, en présence des ministres concernés, du Commissaire général aux investissements, des présidents de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES).

La stratégie nationale de recherche doit conduire à une réorganisation progressive des efforts autour des défis sociétaux et des programmes d'action pluridisciplinaires. La durée de cinq années de la stratégie, et son renouvellement tous les cinq ans, doit laisser le temps d'une réorganisation par étape. De ce point de vue, elle est un prolongement des Alliances qui organisent la coordination interne de cinq grands domaines de recherche depuis 2009. Elle crée un cadre pour la coordination entre les Alliances et pour la coordination entre les Alliances et d'autres domaines de recherche, comme l'espace, dont les forces scientifiques sont coordonnées par le CNES.

Cette réorganisation progressive va s'appuyer sur les contrats pluriannuels conclus par l'État avec les établissements d'enseignement supérieur et avec les organismes publics de recherche. Elle s'appuie encore sur la programmation des agences de financement public de la recherche et de l'innovation, dont l'Agence nationale de la recherche, le Commissariat général à l'investissement et Bpifrance.

Toutefois, d'après les informations recueillies par l'OPECST lors de la quatrième table ronde de l'audition publique du 8 décembre 2016, les évaluations a posteriori de la stratégie, s'agissant des impacts scientifiques, économiques, sociétaux, ne pourront produire des données qu'à une échéance longue, de quinze à vingt ans. En conséquence, il conviendra de gérer les exercices de révision avec une certaine prudence.

Nous recommandons ainsi, troisièmement, qu'à l'échéance des cinq ans de mise en oeuvre de la SNR, les aménagements et compléments apportés à celle-ci aient soin d'éviter la remise à plat totale de la stratégie scientifique : la recherche, pour se déployer, a besoin de temps long.

À l'inverse, nous soutenons, quatrièmement, l'idée d'Alain Fuchs, formulée devant l'OPECST le 8 décembre dernier, d'une analyse historique des causes profondes du succès remarquable de la France en matière de récompenses internationales au cours de la décennie écoulée (huit prix Nobel, quatre médailles Fields et un prix Turing) afin qu'il en soit tiré les conséquences lors des prochaines révisions de la stratégie nationale de recherche.

En tout état de cause, la réalisation de l'évaluation quantifiée a posteriori des impacts constituera en soi un projet à part entière. M. Mohamed Harfi, expert référent pour l'enseignement supérieur et la recherche à France Stratégie, a donné une définition de ce qu'il faut essayer d'apprécier quantitativement ou, à défaut, qualitativement : « L'évaluation a pour but de mettre en évidence ce qui ne se serait pas passé en l'absence d'action publique ».

Une réflexion a déjà été conduite au sein du Conseil stratégique de la recherche par un groupe de travail piloté par Mme Marion Guillou, et des indicateurs des trois niveaux d'impact sont déjà en cours d'élaboration, avec le concours de certains membres de l'Académie des technologies et d'experts de la Direction générale de la recherche et de l'innovation (DGRI), de l'Observatoire des sciences et des techniques (OST), de l'Institut pour la recherche et l'innovation dans la société (IFRIS), et de l'Association nationale pour la recherche et la technologie (ANRT).

Nous souhaitons ainsi, cinquièmement, que des moyens spécifiques soient dédiés à ces efforts de mesure d'impact, car il est essentiel de disposer d'un retour d'information pour piloter les révisions quinquennales de la stratégie nationale de recherche.

S'agissant de la prochaine stratégie nationale de recherche, nous considérons, sixièmement, qu'il faut qu'elle soit élaborée sur la base d'une consultation plus ouverte à la communauté universitaire et scientifique, aux partenaires sociaux et économiques, aux collectivités territoriales, en particulier aux régions, ainsi qu'au monde associatif et à la société civile.

Enfin, l'existence d'un cadre programmatique, validé au plus haut niveau de l'État, a l'avantage de permettre à toute la communauté de recherche de disposer d'un référentiel commun permettant à chaque équipe de recherche de se situer par rapport aux objectifs définis par la collectivité nationale. C'est un élément de valorisation de la recherche.

Il est donc très important, septièmement, de profiter de la publication du Livre blanc de l'Enseignement supérieur et de la recherche, qui est un excellent document didactique, pour faire mieux connaître dans la communauté scientifique les objectifs de la stratégie nationale de recherche.

M. Jean-Yves Le Déaut. - La stratégie nationale de recherche identifie, d'une part, dix « défis sociétaux » déclinés, chacun, en orientations de recherche, et d'autre part, quatorze « programmes d'action », dont cinq considérés comme prioritaires, correspondant à la fois à une « urgence particulière » et à un besoin de mobilisation pluridisciplinaire. La demande de la loi du 22 juillet 2013 d'élaborer une stratégie qui « vise à répondre aux défis scientifiques, technologiques, environnementaux et sociétaux » se trouve manifestement satisfaite.

L'importance des dix « défis » identifiés apparaît ainsi peu contestable, même si certains d'entre eux auraient dû, à notre avis, être groupés pour éviter la critique souvent entendue indiquant que les priorités n'avaient pas été suffisamment ciblées. S'agissant des « programmes d'action », on ne peut que se féliciter du pragmatisme qui a conduit à leur création à partir du constat de la transversalité de certains domaines de recherche.

Cependant certains secteurs n'ont pas été considérés à hauteur de leur importance. En tant que discipline transversale, nécessitant une mobilisation d'urgence et une gestion dans un cadre pluridisciplinaire, les biotechnologies méritent d'être rendues visibles au niveau des programmes d'action prioritaire. Par ailleurs, la science des matériaux, qu'elle relève de la chimie, de la physique ou de l'ingénierie, apparaît de manière éparse dans la déclinaison explicative de plusieurs défis ou programmes d'action. Ainsi, l'analyse du contenu de la stratégie conduit, selon nous, à recommander l'ajout de deux programmes d'action prioritaires relatifs, d'une part, aux biotechnologies, à travers une référence plus large à la convergence NBIC, « nano-bio-info-cogno » et, d'autre part, à la science des matériaux.

Mais, même si l'on valide la pertinence des défis et des programmes d'action, il reste qu'il faut s'interroger sur l'environnement de l'enseignement supérieur et de la recherche qui conditionne la mise en oeuvre de cette stratégie. À quoi, en effet, servirait-il de définir des priorités si l'on ne se préoccupe pas de l'environnement de la recherche ?

Si l'on se réfère au dictionnaire de la langue française informatisé, le mot « stratégie » correspond à la définition suivante : « Ensemble d'actions coordonnées, d'opérations habiles, de manoeuvres en vue d'atteindre un but précis », ou encore, dans le champ économique, « Ensemble des choix d'objectifs et de moyens qui orientent à moyen et long termes les activités d'une organisation, d'un groupe ».

Telle qu'elle a été formulée originellement, dans le cadre des Assises, puis par mon rapport au Premier ministre de janvier 2015, où j'avais évoqué un « agenda stratégique », la stratégie nationale devait avoir une couverture plus large que l'établissement de la liste des thèmes prioritaires de recherche. Nous avons ainsi identifié au moins six freins à la mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche. Cela concerne :

- l'équilibre mal ajusté entre financement récurrent et financement sur projets, qui conduit à faire dépendre une part de la recherche fondamentale d'appels à projets successifs ;

- le statut des femmes et des hommes de l'enseignement supérieur et de la recherche, qui se caractérise par une attractivité insuffisante des carrières et le maintien dans la précarité d'un certain nombre de jeunes chercheurs, qui sont piégés sur des contrats à durée déterminée successifs ;

- la faiblesse persistante de notre système de soutien à l'innovation, qui ne permet pas à suffisamment de projets d'éclore sur notre territoire pour y créer des emplois ;

- la rigidité encore trop grande de notre système de formation, par insuffisance des passerelles permettant aux jeunes de trouver leur voie ;

- la difficulté à constituer des pôles universitaires forts dans le cadre de fusions, d'associations ou de regroupements dans des COMUE, du fait d'un déficit de management permettant d'aller vers plus d'intégration tout en respectant les identités et les caractères des établissements membres ;

- le manque de reconnaissance sociale des docteurs dans notre pays, résultant notamment de la résistance des administrations publiques à leur accorder une voie de recrutement et de valorisation comme cadres de catégorie A.

Quatre de ces freins sont l'effet d'une pénurie financière qui s'est aggravée. C'est pourquoi nous considérons indispensable qu'une loi de programmation de l'enseignement supérieur et de la recherche fixe les perspectives de développement à cinq ans et les moyens qui y seront consacrés, à hauteur de 1,2 à 1,5 milliard supplémentaire par an jusqu'en 2022. Cette programmation budgétaire doit notamment permettre la sanctuarisation du financement de la recherche fondamentale, la revalorisation des carrières des personnels, chercheurs, enseignants-chercheurs, ingénieurs et agents des bibliothèques, ainsi que celles des administratifs, des techniciens de services et de santé. Elle doit financer un dispositif spécifique de résorption de la précarité.

L'effort que nous préconisons est supérieur à celui mentionné dans le récent Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche, car il inclut notamment un complément de financement affecté au soutien à la politique de site.

S'agissant justement de la politique de site, qui est indispensable pour maintenir le niveau de la recherche française, celle-ci passe par une plus forte implication de l'État dans l'accompagnement de la constitution des regroupements, associations ou fusions d'universités et d'établissements, en lien fort avec les régions. Les petites universités peuvent être très performantes en se spécialisant, comme me l'ont montré, à travers mes visites sur place, les exemples de La Rochelle dans le domaine de l'efficacité énergétique des bâtiments, ou de Mulhouse pour la science des matériaux.

L'université de Paris-Saclay, dont l'OPECST suit particulièrement l'évolution, doit bénéficier d'une nouvelle dynamique pour assurer le succès de sa candidature IDEX à la fin de 2017. Nous préconisons à cette fin la constitution d'un comité de candidature à la manière de ceux qui portent les candidatures de Paris aux Jeux olympiques ou à l'Exposition universelle, qui aurait pour rôle d'accélérer et améliorer le dossier et de coordonner les multiples dispositifs, de jouer l'interface entre le Gouvernement, les collectivités territoriales et les acteurs. Il faut que l'université Paris-Saclay, et elle seule, ait la faculté de délivrer des doctorats, y compris pour les nouvelles Écoles universitaires de recherche créées dans le cadre du Programme d'investissements d'avenir (PIA3), et que la démocratie s'y exerce par une consultation de toutes les composantes sociales, économiques et des collectivités territoriales.

S'agissant des besoins d'adaptation de l'enseignement supérieur pour la bonne mise en oeuvre de la stratégie nationale de recherche, nous attirons l'attention sur le besoin de disposer des ressources humaines suffisantes, dans la recherche publique comme dans la recherche privée, qu'il s'agisse des scientifiques, des ingénieurs ou des techniciens qui les assistent, en nombre et en performance. Rien que dans le domaine du numérique, la Commission européenne indique que 900 000 emplois risquent de rester vacants en Europe d'ici 2020.

L'adaptation à ce besoin de travail qualifié passe par une féminisation des étudiants dans les disciplines scientifiques, par la constitution au lycée d'une filière permettant réellement d'acquérir des bases scientifiques, puisque la terminale S ne remplit plus cette fonction, par le renforcement et la meilleure coordination des services d'accueil des étudiants étrangers, par une sensibilisation de la population à la culture scientifique, technique et industrielle, dès l'école. Mme Dominique Gillot, en tant que présidente du CNCSTI (Conseil national de la culture scientifique, technique et industrielle), va bientôt rendre un Livre blanc permettant de faire le point de la situation dans ce domaine.

À cette même fin, nous appelons les établissements d'enseignement supérieur à davantage adapter leur offre de formation à destination de publics professionnels en formation tout au long de la vie.

S'agissant des faiblesses récurrentes du soutien à l'innovation, l'OPECST suit attentivement les conditions de l'innovation dans notre pays, en particulier depuis l'étude de Claude Birraux et Jean-Yves Le Déaut publiée en janvier 2012 relative à « L'innovation face aux peurs et aux risques ». En juin 2014, l'OPECST a organisé une audition publique sur « Le principe d'innovation » concernant la mise en application du principe constitutionnel de précaution dans les cas où un processus d'innovation est en jeu, et les membres de l'OPECST ont fait plusieurs tentatives pour introduire ce principe dans la loi, obtenant des votes favorables contrecarrés en fin de processus législatif (loi « Macron » et loi « Sapin II »).

Nous souhaitons que le Gouvernement encourage les grandes entreprises, en contrepartie de l'ensemble des aides publiques dont elles bénéficient à travers le crédit d'impôt recherche et les autres dispositifs, à jouer auprès des PME innovantes de leur filière un rôle de co-investisseur en capital confortant les aides de la Bpifrance et des autres acteurs financiers, afin qu'elles puissent atteindre leur taille critique.

Nous invitons le Gouvernement à soutenir tout programme européen en faveur des entreprises en décollage industriel fonctionnant sur le modèle du Commissariat général à l'investissement, comme celui des « Stratégies de spécialisation intelligentes » prenant appui sur les Fonds européens de développement régional (FEDER).

Nous encourageons aussi le Gouvernement à négocier avec nos partenaires européens la création de dispositifs nationaux de type « Small Business Act » pour dépasser l'interdiction actuelle due aux directives européennes en matière de libre échange et de concurrence. Il s'agit de réserver une part des marchés publics aux entreprises innovantes.

Nous souhaitons qu'une partie de l'enveloppe du PIA3 soit dédiée aux régions pour des co-investissements en soutien à l'innovation dans les PME-PMI.

S'agissant de la reconnaissance de la place des docteurs, nous ne soutenons pas l'objectif de former vingt mille docteurs par an, tant que le dispositif d'insertion professionnelle des docteurs ne se sera pas amélioré.

Le diplôme de doctorat doit d'abord être reconnu par les conventions collectives signées avec les branches professionnelles, et pas seulement par celles couvrant la chimie. Dans la fonction publique, les mesures concernant l'emploi des docteurs prévues par la loi du 22 juillet 2013 ne sont pas respectées, en dépit d'un avis du Conseil d'État qui a confirmé la possibilité d'aménager des processus pour leur intégration. Parmi les corps et cadres d'emploi d'accueil potentiels, il existe néanmoins quelques rares bons élèves, dont le pôle judiciaire de la gendarmerie nationale, auquel l'OPECST a rendu visite le 26 novembre 2016.

Mais les corps des Mines, des Ponts, et de l'Armement en sont restés à des recrutements homéopathiques. La Cour des comptes, le Conseil d'État et l'Inspection des finances ont carrément opposé une fin de non-recevoir, alors qu'ils recrutent des docteurs contractuels pour assurer les missions qui leur sont confiées.

Un exemple récent illustre la mise à l'écart du doctorat : celui du décret du 26 février 2016 fixant les conditions d'accès et les modalités d'organisation des concours pour le recrutement des ingénieurs territoriaux. Ce décret prévoit un concours pour les seuls titulaires d'un diplôme d'ingénieur ou d'un diplôme d'architecte, mais ne mentionne pas le diplôme du doctorat.

Ainsi, malgré la forte implication du secrétaire d'État Thierry Mandon, les réticences font que, quatre ans après le vote de la loi, pratiquement rien n'a changé en ce qui concerne la reconnaissance de la place des docteurs, certaines administrations jouant manifestement la politique de l'édredon.

Voici donc, rapidement énoncés, quelques points essentiels de notre rapport. Il comporte une analyse des axes identifiés par la stratégie nationale de recherche, mais fait plus largement le point sur tout le dispositif de mise en oeuvre de la politique de la recherche, tel qu'il devrait fonctionner en application de la loi.

M. Bruno Sido. - Je voudrais ajouter à cette présentation quelques chiffres fournis par le ministère de la recherche qu'il est utile que nous gardions en tête : six chercheurs sur dix travaillent dans les entreprises privées ; la recherche en entreprise représentait, en 2015, 31,1 milliards d'euros, contre 16,8 milliards d'euros pour la recherche publique, soit 64,9 % du total. Or, notre évaluation concerne la recherche publique, et non la recherche privée.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Elle concerne aussi la recherche privée dans la mesure où elle prend en compte les subventions aux entreprises via, notamment, le crédit impôt recherche ou les contrats CIFRE (Conventions industrielles de formation par la recherche).

M. Bruno Sido. - Je tenais simplement à rappeler qu'une partie importante de la recherche s'effectue au sein des entreprises.

Mme Dominique Gillot, sénatrice. - De la même façon, l'adaptation de l'enseignement supérieur ne concerne pas seulement le secteur public, mais aussi le secteur privé. La dimension interministérielle de la stratégie me paraît, de ce point de vue, essentielle. C'est la raison pour laquelle j'approuve l'idée d'un Conseil stratégique de la recherche plus restreint, plus représentatif et plus proche du ministre en charge de la recherche et du Premier ministre. Enfin, il faudra prévoir l'évolution de la stratégie, car les sciences évoluent elles-mêmes très vite. Le cas de l'intelligence artificielle est emblématique à cet égard : c'était un domaine quasiment ignoré il y a trois ans, qui occupe maintenant le devant de la scène.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je propose de retenir cette nécessité du caractère plus représentatif du Conseil stratégique de la recherche, et de modifier en conséquence notre huitième recommandation. Quant à l'idée d'une révision régulière de la stratégie nationale de recherche, elle est déjà prévue tous les cinq ans, et l'OPECST est chargé de la préparer par ses évaluations biennales.

Mme Dominique Gillot. - Concernant l'enseignement de la science dans les lycées, la filière SI (Sciences de l'ingénieur) est fondée sur l'apprentissage de la science par la méthode scientifique, c'est-à-dire, notamment, par la manipulation et le bricolage. J'en ai découvert l'existence récemment au cours d'une visite, et cela fonctionne apparemment très bien, notamment pour sensibiliser les jeunes filles à l'intérêt des activités scientifiques.

M. Bruno Sido. - Comment explique-t-on que les femmes ne soient pas plus motivées, en général, par les sciences ?

Mme Dominique Gillot. - C'est affaire de culture. Moi-même, pourtant avertie et même militante sur ce sujet, je me surprends à avoir le réflexe de me retourner plutôt vers mes petits-fils que vers mes petites-filles lorsque je propose une activité de travaux pratiques un peu technique, comme le démontage de vieux transistors.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente. - Quand on parle de recherche, on parle fondamentalement d'inconnu et d'avenir. Aussi, vaudrait-il mieux que les responsables de la recherche n'aient pas l'impression de pouvoir tout prédire à l'avance. La France subit déjà les conséquences d'une stratégie conçue en dépit du bon sens dans le domaine de l'industrie, dont les responsables ont jugé bon, dans les années quatre-vingt-dix et deux mille, de nous dessaisir à bas prix de toutes nos ressources minières, ainsi que de nos groupes métallurgiques de l'aluminium ou de l'acier. Nous avons ainsi revendu des mines dont nous étions propriétaires en Amérique latine, en Asie, en Afrique ; ce mouvement, certes, n'a pas concerné les mines d'uranium, mais il a englobé l'exploitation des terres rares. La haute administration, celle des cadres « A plus », expliquait à l'époque que l'industrie minière appartenait au passé, que les temps étaient à la « nouvelle économie » dématérialisée, qui est devenue bientôt l'économie de l'Internet, avant de se transformer aujourd'hui en « uberisation » proliférante. On s'est tellement projeté vingt ans plus tard qu'on en a perdu contact avec la réalité, et avec la vraie nature des besoins futurs. On voyait les mines comme une ressource facilement substituable, semblable au pétrole. Or, toute l'industrie des semi-conducteurs, abandonnée également par la France, s'appuie sur une industrie minière performante. Entretemps, la science et, en particulier, la physique fondamentale, a progressé, mettant à jour des possibilités technologiques, notamment dans les nouveaux matériaux, qui vont rendre stratégique la maîtrise des filières métallurgiques.

Il faudrait rappeler quelque part que la science, ça ne se décrète pas. L'invention, ça ne se décrète pas.

En tant que géologue, j'ai été particulièrement affectée par l'abandon des mines. Mais le fait qu'on ait laissé ensuite s'installer des micro-barrages dans les endroits où il y avait des mines, provoquant une pollution des zones inondées, certains jardins à proximité devenant inutilisables, montre qu'il n'y a eu aucune gestion des impacts, car cela n'était pas dans l'air du temps. Or les scientifiques ne sont jamais dans l'air du temps ; ils sont soit en retard, pour les plus les mauvais, soit en avance, pour les meilleurs d'entre eux.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Il est évident que la recherche fondamentale ne se décrète pas. Mais la stratégie nationale reflète l'appréciation du plus grand nombre sur l'avenir de la recherche.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - En fait, on a décrété, voici une vingtaine d'années, qu'il fallait distinguer la recherche fondamentale de la recherche appliquée, parce que cela permettait de légitimer l'existence d'organismes de recherche appliquée. Mais, pour ma part, je pense qu'il n'y a qu'une seule recherche, bonne ou mauvaise. Par ailleurs, il existe des applications de la recherche, et cette distinction entre recherche et applications est d'une toute autre nature, car elle refuse la séparation entre, d'un côté, les « professeurs Tournesol » perdus dans leurs nuages, et de l'autre, les chercheurs qui créeraient de la valeur. Cette séparation malencontreuse cloisonne les personnes tout au long des quarante ans de leur carrière, et leur interdit d'être inventives car elles se retrouvent cantonnées soit à une recherche pure, soit à une ingénierie d'application. Au contraire, la distinction entre recherche et applications encourage l'inventivité.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Le rapport intégrera ces précisions. S'il n'y a pas d'autres remarques, je propose que nous passions au vote sur l'autorisation de publier ce rapport. Je constate qu'il y a unanimité. Merci pour votre confiance.

Examen d'une communication de Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie »

M. Jean-Yves Le Déaut. - Il nous reste à entendre la communication de Mme Anne-Yvonne Le Dain sur « L'évaluation de la stratégie de recherche en énergie ».

Je rappelle que, lorsque nous avons nommé Anne-Yvonne Le Dain comme rapporteur pour cette évaluation, le 28 juin 2016, la stratégie de recherche en énergie n'était pas encore disponible. Il était donc prévu qu'elle présenterait son travail d'analyse des projets de l'administration en charge de l'énergie, travail d'analyse qui ne pouvait pas être une évaluation proprement dite, sous la forme d'une simple communication. La situation était encore celle-ci lors de notre dernière réunion du 13 décembre 2016.

Mais, depuis, la stratégie nationale de recherche en énergie a été publiée en tout début d'année 2017 et nous sommes donc maintenant dans une situation permettant de considérer qu'une évaluation peut être effectuée. C'est pourquoi je propose que nous nous placions dans le cas de l'examen d'un rapport de l'OPECST.

Je constate qu'il n'y a pas d'objection, et je donne donc la parole à Anne-Yvonne Le Dain pour la présentation de son rapport.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Avant d'en venir au volet énergie de la stratégie, je voudrais féliciter Jean-Yves Le Déaut et Bruno Sido pour la qualité de leur rapport, dont je partage pleinement les conclusions et recommandations. Elles rejoignent d'ailleurs assez largement les préoccupations exprimées par les interlocuteurs que j'ai pu rencontrer au cours de mon étude, sur une durée extrêmement courte, puisque le document à évaluer a été mis en ligne seulement en début d'année.

Je souhaiterais y ajouter une ultime recommandation, de portée très générale, qui me tient à coeur : il faut laisser aux chercheurs la liberté d'explorer et, parfois, d'échouer, car il ne peut y avoir d'injonction à inventer ou à trouver. Il faut fluidifier la recherche et donner à l'intelligence des scientifiques l'opportunité de s'exprimer, sans téléguider en permanence ce sur quoi ils doivent travailler.

Le processus créatif ne se limite pas à une recombinaison, cumulative et interactive, de connaissances existantes. Bien entendu, certaines découvertes sont de nature incrémentale et résultent du perfectionnement de concepts ou de technologies qui existaient déjà, ou de l'approfondissement de voies de recherche consolidées auparavant, un moment abandonnées et reprises plus tard. Mais les plus décisives impliquent d'explorer de nouvelles approches scientifiques plus incertaines, voire hasardeuses. J'utilise ce mot à dessein car parfois les idées sont le fruit du hasard. Il ne faut jamais oublier que la recherche n'est pas déterministe.

Les découvertes de rupture nécessitent, bien sûr, avant tout, de la chance et du génie. Les images d'Archimède dans sa baignoire ou de Newton sous son pommier viennent tout naturellement à l'esprit. Mais la chance et le génie ne suffisent pas, si le chercheur n'a pas cette liberté d'explorer. Bien sûr, dans les laboratoires, grands ou petits, des contraintes existent, par exemple d'accès à des matériels toujours plus puissants et performants. Néanmoins, les chercheurs doivent pouvoir conserver une part d'inventivité et de liberté.

Aussi, faut-il privilégier les financements à long terme, qui conduisent à sélectionner les meilleurs chercheurs, au travers de l'évaluation par les pairs, plutôt que de travailler uniquement, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, dans une logique de projet, avec des finalités prédéterminées. Il faut leur donner la possibilité d'adopter, le cas échéant, de nouvelles approches, lorsque celles initialement choisies s'avèrent infructueuses. Il faut, enfin, une hiérarchie capable de les accompagner, en assurant un suivi de qualité de leurs recherches, ainsi qu'un soutien intellectuel, quasiment moral, et financier de leur inventivité.

Un dernier point d'ordre général que je voudrais aborder concerne la distinction qu'il y aurait entre recherche fondamentale et appliquée. Elle me semble non seulement artificielle, mais dommageable pour le développement de la science, et même pour l'impact de la science sur notre propre économie, car l'histoire comporte de multiples exemples de recherches dirigées vers un objectif déterminé qui ont conduit à des découvertes théoriques majeures, l'inverse étant tout aussi vrai.

Il me semble important, pour libérer de nouvelles voies de progrès, que nos organismes de recherche, nos écoles et nos universités transcendent cette dichotomie entre science fondamentale et science appliquée qui s'est progressivement installée dans le vocabulaire courant. Il n'y a que de la bonne recherche et de la mauvaise recherche, ainsi que des applications de la recherche. C'est particulièrement vrai pour cet enjeu majeur qu'est la lutte contre le changement climatique.

J'en reviens donc à la Stratégie nationale de recherche en énergie (SNRE) qui est corrélée à ce dernier sujet. Pourquoi adjoindre à la Stratégie nationale de recherche un volet consacré à l'énergie ? Au moins trois raisons le justifient.

En premier lieu, la France s'est engagée en 2015, avec les autres pays signataires de l'accord de Paris, dans une course de vitesse contre le changement climatique. Celle-ci nous impose de modifier profondément, et dans un temps très court, notre façon de produire et de consommer l'énergie. C'est pourquoi, dans le cadre de la Mission innovation, avec vingt-et-un autres pays et l'Union européenne, la France a décidé de multiplier par deux, sur la période 2015-2020 - nous y sommes - le montant des investissements publics dans la recherche et le développement pour les énergies durables. Cet engagement budgétaire reste d'ailleurs à concrétiser en France, alors qu'il a déjà pris effet dans d'autres pays, notamment aux États-Unis.

En deuxième lieu, l'énergie est au coeur de toute activité économique. Sans elle, il serait impossible de labourer les champs, de construire des bâtiments, de faire tourner des usines, de transporter les marchandises, d'éclairer les rues, de chauffer les habitations et les entreprises, etc. C'est le monde réel et concret. Sans l'énergie, nous serions démunis de tout le confort moderne. Lorsqu'elle vient à manquer, c'est tout un pays qui s'arrête de produire et quand son prix devient excessif, les plus fragiles parmi les populations et les entreprises souffrent en premier.

Dans le passé, la France a pris en compte cet enjeu de l'indépendance énergétique et de la puissance, en se dotant d'une industrie du pétrole, puis d'une industrie nucléaire, également fortes. Cet effort d'indépendance doit être poursuivi, mais pas seulement dans le domaine de la production de l'énergie. Il y a d'autres éléments à considérer : la façon dont l'énergie est consommée, distribuée, facturée, et dont ses différents schémas s'insèrent dans l'économie européenne et mondiale. Beaucoup a été fait : par exemple les réseaux sont interconnectés en Europe. C'est d'ailleurs l'un des seuls continents où ces interconnexions sont efficaces.

En troisième lieu, malgré les récentes difficultés, le secteur de l'énergie reste l'un des derniers, sans doute avec l'aéronautique, l'armement et l'agro-alimentaire, dans lesquels la France apparaît comme une nation industrielle puissante au plan international. Cette position repose, en bonne part, sur la capacité de nos chercheurs et de nos ingénieurs à innover. La concurrence internationale dans ce secteur se renforce, avec l'arrivée de nouveaux concurrents, notamment la Chine et l'Inde, cette dernière étant trop souvent oubliée. Plus que jamais, la recherche apparaît comme une condition nécessaire au maintien de nos industries et de nos emplois dans l'énergie, sur le territoire national ou à l'export, au bénéfice d'entreprises nationales.

Il est donc incontestable que le législateur a su se montrer clairvoyant, en ajoutant à la Stratégie nationale de recherche, au travers de la loi pour la transition énergétique, un volet énergie.

Je voudrais souligner que la France a un immense avantage, c'est que son territoire s'étend sur tous les continents, toutes les latitudes et toutes les températures. Nous avons donc matière à fabriquer et à explorer toutes les formes d'énergie, pas seulement le pétrole et le nucléaire.

Mais nous n'avons pas, dans notre pays, contrairement à nos voisins d'Outre-Rhin, une vision partagée de l'avenir du système énergétique du pays, ce qui ne permet ni d'emporter l'adhésion des Français - alors que les Allemands acceptent sans protester de payer leur électricité au double du prix de leurs voisins pour subventionner les énergies renouvelables ni de donner une direction claire à la recherche en énergie.

Il me semble pourtant qu'une grande majorité de nos concitoyens s'accorderaient sur l'idée simple que, face au péril climatique, la priorité est bien de réduire notre dépendance aux combustibles fossiles, émetteurs de gaz carbonique, soit en diminuant notre consommation, soit en y substituant une énergie décarbonée, tout en préservant l'accessibilité de l'énergie à un prix raisonnable - la péréquation tarifaire est une particularité française et une force, garantissant la sécurité d'approvisionnement sur tout le territoire.

Nos concitoyens, nos administrations, nos entreprises et les élus partageraient ainsi une vision d'un système énergétique équilibré, comportant, d'un côté, des énergies renouvelables décentralisées (éolien, solaire, bois...), destinées à satisfaire des besoins locaux, et, de l'autre, des centrales puissantes et pilotables, nécessaires à la sécurité d'approvisionnement des usines et des bureaux, ainsi que du réseau, avec entre ces deux pôles, la gestion intelligente des réseaux et de l'effacement de la priorité de consommation, ainsi que des moyens de stockage, notamment le système hydraulique avec les barrages et les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qu'il convient de développer.

Faute d'une telle vision, la loi demande à la Stratégie nationale de recherche en énergie d'intégrer, à la fois, onze objectifs de recherche, les objectifs généraux de politique énergétique, les orientations de la stratégie nationale bas carbone (SNBC) et de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), ainsi que les cinq orientations stratégiques « pour une énergie propre, sûre et efficace » proposées dans le deuxième défi de la Stratégie nationale de recherche.

Les auteurs de la SNRE ont ainsi été placés dans la situation délicate de devoir prendre en compte une multiplicité d'objectifs et d'orientations, sans possibilité d'établir entre eux, ni un ordre de priorité, ni une certaine forme de lisibilité.

C'est dommage, car contrairement à la précédente stratégie de 2007, la nouvelle SNRE est effectivement le fruit d'un travail collectif, associant les deux ministères de la recherche et de l'environnement, mais aussi ceux de l'agriculture et de l'industrie, les alliances de recherche - au premier chef l'ANCRE pour l'énergie, les organismes publics de recherche, notamment le CEA et le CNRS, des entreprises, et d'autres organisations (fédérations professionnelles, organisations syndicales, associations, collectivités territoriales et élus).

Il s'agit d'un progrès significatif, même s'il faudra, à l'avenir, donner une place plus importante dans le pilotage de la SNRE et sa mise en oeuvre, d'une part, aux scientifiques eux-mêmes et, d'autre part, au monde de l'entreprise, y compris les PME-PMI et ETI. À cet égard, la création d'une commission nationale chargée d'évaluer l'avancement des recherches en énergie, proposée dans le cadre de l'évaluation de la précédente stratégie, apparaît toujours aussi pertinente.

Je tiens, nonobstant ces ajustements souhaitables, à saluer cette démarche collective, ainsi que le travail très important qui a été réalisé par l'ensemble des participants. Le document d'une cinquantaine de pages qu'ils ont produit constitue, en effet, une base de travail solide.

Il explicite convenablement le contexte et les nombreuses contraintes à respecter. Il identifie quatre orientations stratégiques pertinentes, centrées sur les technologies, l'organisation de la recherche et de l'innovation, le développement des connaissances et des compétences, et, enfin, la gouvernance de la stratégie elle-même. Il recense de façon assez complète les différentes voies de recherche ainsi que les verrous scientifiques et technologiques à lever, en omettant, inévitablement, parfois de manière inopinée, parfois de manière déterminée, certaines pistes, par exemple les recherches sur les transmissions à longue distance et le courant continu ou sur l'organisation des marchés. Il insiste sur la nécessité de la multidisciplinarité qui devient quelque chose de banal. Il propose, enfin, quinze actions stratégiques pertinentes.

Pour autant, il ne répond pas, faute d'avoir identifié au préalable des priorités, à ce qui est attendu d'une véritable stratégie de recherche.

Tout comme pour la présente évaluation, le travail engagé doit donc être poursuivi, afin de concrétiser la mise en oeuvre des actions structurantes identifiées, de définir - comme le proposait déjà l'OPECST dans son rapport de 2009 - des filières nationales compétitives au plan international en établissant, peut-être, une échelle de priorités, basée sur des critères économiques et scientifiques, et des feuilles de route portant notamment sur les verrous à lever, et, enfin, d'identifier et de lever à l'avance les freins d'ordre réglementaire au déploiement des innovations dans le domaine de l'énergie, par exemple dans le domaine de la performance énergétique des bâtiments. Mais cela ne veut pas dire que les chercheurs doivent aller jusqu'au produit quasi fini.

En conclusion, j'estime que l'OPECST doit lui aussi s'engager à prolonger, dans le courant de la prochaine législature, cette évaluation réalisée quelques semaines après la publication de la SNRE, par une seconde étude destinée à mesurer, conformément à la loi, les conditions de mise en oeuvre de la nouvelle stratégie, ainsi que la prise en compte des présentes recommandations.

Il y a cinquante ans, la France a fait des choix, en abandonnant certaines pistes, comme celle de l'hydrogène et de la pile à combustible, qui sont reprises aujourd'hui. Il nous faut à nouveau, aujourd'hui, faire des choix, avec subtilité et intelligence, et avoir de l'ambition.

Mme Dominique Gillot. - L'évocation du soutien aux énergies renouvelables en Allemagne m'a fait penser à la façon dont le prix de l'eau est calculé chez nous, en intégrant le coût du traitement des eaux usées. Un système équivalent pourrait peut-être être mis en place de façon institutionnelle pour ces énergies.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Des travaux de recherche en économie pourraient effectivement être menés sur ce sujet.

Mme Dominique Gillot. - Concernant la gestion intelligente de la consommation d'énergie, des algorithmes permettent aujourd'hui de la réaliser très finement. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) le mettent en place pour leurs centres de données - datacenter, en anglais. Ils les installent dans des lieux ou la récupération d'énergie est possible et contrôlent ainsi leur consommation d'énergie, l'objectif étant d'atteindre une consommation zéro en 2020.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - C'est effectivement cela qu'il faut développer. Des sociétés françaises le font également aujourd'hui.

Mme Dominique Gillot. - Je sais que certains de nos chercheurs travaillent déjà sur ces sujets, mais il faudrait donner l'impulsion politique qui permettra de ne pas être distancés, d'autant que cette technologie peut être utilisée chez les particuliers. Celle-ci pourrait éviter à la Secrétaire d'État à l'écologie d'avoir à subir les railleries des sénateurs, comme c'est arrivé à l'occasion d'une réponse à une question sur la pointe de consommation, dans laquelle, tout en se voulant rassurante, elle indiquait que chacun pouvait faire preuve de responsabilité, en évitant de mettre en route ses appareils ménagers à l'heure où tout le monde fait appel à l'électricité.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Je partage totalement cet avis, d'autant que les outils technologiques et les entreprises capables de les mettre en oeuvre existent. J'ai évoqué la question de l'effacement. Lors du débat sur la loi relative à la transition énergétique, j'ai essayé d'introduire des amendements pour optimiser l'effacement et permettre à de nouvelles entreprises d'accéder aux données individuelles de consommation anonymisées. Les amendements ont été rejetés, parce que cet accès est réservé aux grands groupes industriels.

M. Bruno Sido. - Pour revenir à l'incident en séance publique au Sénat évoqué par Mme Dominique Gillot, ce que la secrétaire d'État à l'écologie a oublié de dire, c'est que, pour la première fois en 2016, la France a été importatrice net d'électricité. Cela aurait pu être grave car si, comme deux députés allemands me l'ont indiqué dernièrement, nos voisins arrêtent leurs centrales au charbon et au lignite, leur système deviendra très fragile. Actuellement, nous bénéficions du surplus de puissance de ces centrales. Ce ne sera plus possible demain. L'Autorité de sûreté nucléaire doit prendre cet aspect en compte dans ses décisions.

Le deuxième point que je voulais évoquer concerne un rapport sur la gestion de la pointe de consommation électrique, que j'ai publié en 2009, en tant que président d'une mission commune d'information, à la demande de la commission des affaires économiques du Sénat. Dans ce rapport, qui m'a passionné, nous concluions à la nécessité de réfléchir à une autorité européenne de régulation de l'électricité et de multiplier les interconnexions. Je crois qu'avec la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, c'est devenu encore plus nécessaire.

Après les prochaines élections, je pense qu'il faudrait que l'Office demande à une commission de l'Assemblée ou du Sénat d'actualiser ce rapport, à l'aune des lois votées. Comme je le disais à l'occasion de l'audition de M. Jean-François Carenco, nouveau président de la Commission de régulation de l'énergie, ce que nos concitoyens attendent, avant même le coût de l'électricité, c'est la sécurité d'approvisionnement. Beaucoup de choses restent à faire sur le plan scientifique pour assurer cette dernière, notamment sur la gestion de la pointe.

Le principal intérêt du compteur Linky n'est pas de supprimer les emplois de ceux qui relèvent les compteurs mais de permettre la gestion de la pointe, en arrêtant automatiquement les chauffe-eaux et autres appareils ménagers. Sinon, cette pointe de consommation réclame des centrales à gaz coûteuses, fonctionnant seulement cinq-cents heures par an, donc non rentables. La recherche doit donc également porter sur la gestion de la pointe et l'équilibrage des réseaux entre l'est et l'ouest de l'Europe.

Mme Anne-Yvonne Le Dain. - Il s'agit effectivement de la question de l'effacement, pour laquelle je me suis heurtée à un mur, certains prétendant qu'elle est réglée, alors même qu'un énorme travail reste à faire, notamment sur l'accès aux données, les modalités de leur captation et de leur traitement - sujets relevant du droit et de l'organisation du marché. Ce pourrait être une question de recherche en économie. Sur le plan technique, le pilotage des réseaux peut se faire à la nanoseconde, tout comme celui de l'effacement, pas seulement dans les entreprises mais aussi dans les foyers. Cet axe n'est pas suffisamment mis en valeur dans la stratégie nationale de recherche en énergie.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je voudrais apporter deux compléments, ainsi que des propositions de rajouts dans les recommandations. Tout d'abord, une stratégie est un ensemble de choix d'objectifs et de moyens qui orientent, à moyen et long termes, l'ensemble des activités d'une organisation. Si on veut faire une stratégie de recherche en énergie, c'est pour être capable de répondre à nos besoins pendant trente ans.

Un certain nombre de scénarios ont été élaborés, dont le scénario à 100 % d'énergies renouvelables à l'horizon 2050, publié par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, qui a été contesté par plusieurs spécialistes lors de l'audition publique du 9 février 2017. Pour orienter la recherche sur des voies permettant de répondre à nos objectifs, il convient d'abord de déterminer quel est le scénario le plus probable : énergies renouvelables seules, ou avec en complément des énergies nucléaire ou fossiles ? L'énergie hydraulique fait également partie des énergies renouvelables, mais on n'augmentera pas énormément sa production, même en faisant des investissements.

La première question que la Stratégie nationale de recherche en énergie doit régler, est celle de la façon dont la baisse de la production nucléaire, au moment où les centrales actuelles vont commencer à fermer les unes après les autres, pourra être compensée, tout en maintenant l'équilibre avec les énergies intermittentes. Existera-t-il d'autres solutions que les énergies fossiles ? En termes de recherches, devons-nous travailler sur des projets de réacteurs de quatrième génération, comme ASTRID. Est-ce que le projet ITER (en anglais : International Thermonuclear Experimental Reactor, en français : réacteur thermonucléaire expérimental international) pourra apporter une solution énergétique ?

M. Bruno Sido. - La position de M. Sébastien Balibar, directeur de recherches au CNRS, qui a déclaré, lors de l'audition publique du 9 février 2017, que la fusion nucléaire ne marcherait jamais, m'a choqué.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Est-ce que l'Office ne devrait pas proposer qu'un certain nombre de recherches soient poursuivies sur la filière nucléaire, notamment le réacteur ASTRID ? Cela doit apparaître en conclusion du rapport d'évaluation.

Il en va de même pour certaines des conclusions du rapport relatif à l'apport de l'évaluation scientifique et technologique à l'innovation et au changement climatique, adressé en novembre 2015 aux négociateurs de la COP21.

Il convient de réaffirmer que les problèmes énergétiques de demain et ceux de la lutte contre le réchauffement climatique ne pourront être résolus sans l'apport de l'innovation. Il faut donc soutenir les innovations dans ce domaine, par exemple sur l'effacement - cela a été très bien dit, sur le pilotage des réseaux et sur le stockage de l'énergie, qui sont des conditions du développement des énergies renouvelables. Aussi, toutes les recherches sur les matériaux permettant de stocker l'énergie doivent-elles être fortement soutenues. Je souhaiterais que cela soit précisé dans les recommandations.

Par ailleurs, les pressions sur l'usage des énergies fossiles vont se faire de plus en plus fortes, au niveau international. Les Allemands y sont déjà soumis, mais elles se généraliseront. Aussi, souhaiterais-je que cette recommandation soit reprise dans les conclusions : « Maintenir un éventail large de pistes de recherche pour les techniques visant à réduire les émissions de CO2, en vue d'explorer toutes les options technologiques possibles et ainsi augmenter la probabilité de faire émerger de nouvelles solutions », de même que la suivante, relative à la méthanation : « Développer les programmes publics de recherche destinés à l'exploration des techniques de conversion du CO2, comme la méthanation ou d'autres technologies de transformation du CO2. »

Je souhaiterais également que deux pistes de recherche soient bien précisées dans le domaine des transports, d'une part sur la filière hydrogène, qui a fait l'objet d'un rapport en 2013, et sur l'objectif de consommation des moteurs de 2L/100kms, qui a fait l'objet de recommandations dans ce même rapport et dans celui sur les nouvelles mobilités : « Accorder une priorité au soutien à la recherche et l'innovation pour atteindre rapidement l'objectif du véhicule consommant moins de 2L/100kms. »

Enfin, je souhaiterais que soit ajoutée l'une des recommandations du rapport sur la performance énergétique des bâtiments, qui constate qu'aujourd'hui la physique des bâtiments est une discipline subsidiaires de la physique, alors que la visite du Laboratoire des sciences de l'ingénieur pour l'environnement (LASIE), au sein de l'université de La Rochelle, a montré la grande qualité de ce qui peut être fait dans ce domaine, tout comme c'est le cas à l'INES, à Chambéry, et au CETII, à Lyon. Quelques lieux existent ainsi en France où l'on travaille sur ce sujet, mais il convient de donner une priorité à la physique des bâtiments pour améliorer l'efficacité énergétique dans ce secteur.

De façon plus générale, il serait souhaitable de reprendre certains éléments des précédents rapports de l'Office sur l'énergie, pour donner une cohérence aux travaux, en les citant dans le texte du rapport.

L'OPECST a alors adopté à l'unanimité ce rapport et ses propositions.

La séance est levée à 19 h 30.

Jeudi 23 février 2017

- Présidence de M. Jean-Yves Le Déaut, député, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Présentation, ouverte à la presse, du rapport technique de l'ANFr sur « Les niveaux de champs électromagnétiques créés par les compteurs Linky » et du rapport d'expertise collective de l'ANSES sur l'« Exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les compteurs communicants », en présence de représentants d'ENEDIS, du Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants (CRIIREM) et de l'Académie des technologies

M. Jean-Yves Le Déaut, député, président. - L'OPECST se réunit aujourd'hui pour étudier les rapports techniques sur l'effet des ondes électromagnétiques créées par le compteur Linky. Les commissions ont déjà travaillé sur ce sujet et ont produit plusieurs rapports. Laurence Dumont, vice-présidente de l'OPECST, a demandé par courrier à l'OPECST de se pencher sur divers aspects de cette question. L'OPECST a accepté de répondre à cette sollicitation en restant dans son domaine, celui de l'évaluation scientifique.

Deux rapports ont été réalisés : un rapport technique, en septembre 2016, par l'Agence nationale des fréquences (ANFr) et un rapport d'expertise collective, en décembre 2016, par l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). L'OPECST travaille de manière régulière avec ces deux agences.

Nous avons demandé à ENEDIS d'introduire les interventions en nous présentant son produit Linky, mais c'est bien l'aspect sanitaire, évoqué dans ces deux rapports, qui nous intéresse aujourd'hui.

Notre démarche s'inscrit en complémentarité du travail déjà effectué par la mission d'information commune présidée par Jean-Paul Chanteguet, dont les rapporteurs étaient Marie-Noëlle Battistel, Sabine Buis et Julien Aubert, sur l'application de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Dans ce cadre, une audition a été organisée le 11 mai 2016 pour entendre la première version du rapport de l'ANFr sur le même sujet.

Notre idée est de prolonger cette démarche en donnant l'occasion à l'ANFr de présenter, devant le Parlement, la version définitive de son rapport, et à l'ANSES son propre travail.

Deux personnalités compétentes techniquement vont nous faire profiter de leurs regards critiques : Pierre Le Ruz, président du Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants (CRIIREM) et André Aurengo, membre de l'Académie des technologies. Par souci de transparence, je précise tout de suite que M. André Aurengo préside, depuis quinze ans, le Conseil médical d'EDF, dont il a été administrateur de 1989 à 2000, et qu'il a créé le Comité d'Éthique du Conseil d'Administration d'EDF.

À l'OPECST, nous souhaitons que l'expertise soit collective, c'est-à-dire que chacun puisse donner son avis. Souvent nous constatons que le savoir s'appuie sur des opinions et que finalement la science devient une opinion comme une autre. La décision publique doit s'appuyer sur le savoir scientifique. Nous souhaitons que la science soit, autant que possible, à la base des décisions politiques.

Dans le cadre de nos auditions publiques, qui sont collectives et contradictoires, nous recherchons la vérité à travers la confrontation des points de vue. Aujourd'hui, nous sommes dans un exercice différent : il s'agit d'une présentation de rapports devant l'OPECST ; mais si des divergences doivent s'exprimer, notre réunion n'en sera que plus fructueuse.

En tant qu'élu, j'indique que les concitoyens nous interpellent en permanence au sujet du compteur Linky. Qui a accès aux informations ? Y a-t-il des risques de piratage ? Peut-on savoir qu'une maison est fermée parce que les compteurs ne tournent pas ? Quel est l'intérêt pour le consommateur ? Certains pensent que l'intérêt est plus pour EDF. Il faut répondre à toutes ces questions.

Enfin, dans un monde où les objets connectés deviennent de plus en plus présents, on doit aussi se demander dans quelle mesure les conditions de vie de nos concitoyens sont amenées à changer.

Je salue Frédérique Massat, présidente de la commission des affaires économiques à l'Assemblée nationale, qui va co-présider cette séance.

Mme Frédérique Massat, députée, présidente de la commission des affaires économiques. - Je vous remercie de votre présence. Ce sujet est important. Nous l'avons évoqué sous d'autres angles au sein de la commission des affaires économiques, qui a notamment en compétence le domaine de l'énergie ; parmi ses travaux, je mentionnerai en particulier une mission d'information sur les objets connectés menée par deux parlementaires et une mission d'information sur la transition énergétique, à laquelle ont participé beaucoup de députés de la commission des affaires économiques. La restitution de celles-ci a eu lieu de façon conjointe, il y a quelques mois, au sein des deux commissions du Développement durable et des Affaires économiques.

Le compteur Linky a également fait l'objet de plusieurs auditions, avec ERDF devenu ENEDIS, avec le médiateur national de l'énergie, ainsi qu'avec des associations de consommateurs. Elles ont permis d'avoir des échanges avec les parlementaires.

Comme l'a souligné le président Le Déaut, nos concitoyens nous interrogent, et même parfois s'opposent à ce que le compteur soit installé à leur domicile. Or le texte sur la transition énergétique a marqué l'obligation de déployer les compteurs communicants sur l'ensemble du territoire en respectant un calendrier.

Les inquiétudes doivent s'exprimer. Nous sommes dans notre rôle de parlementaires lorsque nous les prenons en compte. J'espère que ces travaux d'audition permettront d'éclairer les débats, car nous voyons un certain nombre de municipalités qui prennent des délibérations pour s'opposer à l'installation, sur leur territoire, de ces compteurs.

Je remercie l'OPECST de m'avoir associée à cette réunion. Ces travaux vont permettre de compléter les travaux de la commission des affaires économiques sur la problématique sanitaire, bien que celle-ci ne constitue qu'une partie des enjeux plus globaux du sujet.

Nous allons entendre en toute transparence ces rendus d'avis. L'un a déjà été présenté dans le cadre des travaux de la mission d'information sur l'application de la loi relative à la transition énergétique.

Plus que jamais, nous devons aujourd'hui avoir des échanges sur ces sujets qui préoccupent nos concitoyens, sachant, je le confirme, que notre mission d'information sur les objets connectés a fait également apparaître une attente croissante de la population. Parfois, certains comportements sont difficilement compréhensibles, partagés entre la volonté de disposer de plus en plus de technologies nouvelles et performantes et une crainte très forte de la part d'un certain nombre de nos concitoyens.

M. Jean-Yves Le Déaut. - La parole est à ENEDIS pour une rapide présentation d'ensemble du produit Linky, afin de rappeler son objet, ce qu'il apporte concrètement aux particuliers et à la collectivité.

M. Bernard Lassus, directeur du programme Linky chez ENEDIS. - J'ai apporté un compteur Linky pour que chacun puisse le voir. Cet appareil est souvent relié à un concentrateur, dont j'ai également apporté un exemplaire.

En réalité, le système Linky est bien plus qu'un compteur, c'est une infrastructure que l'on met en place, incluant des systèmes d'information du distributeur jusqu'au client. Ce système communique de manière bidirectionnelle par un protocole CPL (Courant porteur en ligne) qui consiste à envoyer des informations sous forme de signal électrique dans les câbles du réseau du distributeur.

Le remplacement des compteurs d'électricité par des compteurs communicants Linky constitue un programme d'avenir, porteur d'une forte dimension industrielle et d'un enjeu économique certain pour notre pays.

Les compteurs communicants sont une réalité dans le monde. On estime qu'environ 700 millions de compteurs communicants sont déjà installés dans le monde. En 2021, ce nombre atteindra à peu près 1,3 milliard. La France participe à ce mouvement international au travers d'un projet unique par sa dimension industrielle, le but étant de changer 35 millions de compteurs sur 6 ans, ce qui représente un investissement compris entre 4,5 et 5 milliards d'euros. 

En Italie, environ 31 millions de compteurs communicants ont été déployés depuis 2000 avec ce même protocole CPL, et en Espagne, à peu près 20 millions. La Chine va développer, à partir de 2018, près de 500 millions de compteurs communicants. Nous espérons qu'ils utiliseront notre protocole de communication.

En France, la dimension industrielle dépasse le seul cadre d'ENEDIS. Beaucoup d'acteurs territoriaux sont concernés. Environ 10 000 emplois sont associés à la mise en place de ce programme, à la fois dans le monde de l'énergie et du numérique : 5 000 emplois pour la fabrication, avec six usines installées ou rénovées dans des petites villes françaises, et 5 000 emplois qui seront associés à la pose. Actuellement, déjà plus de 2 000 personnes travaillent sur le terrain.

À l'international, ce programme va permettre à la France et à ses entreprises d'acquérir une compétence. Par exemple, le groupe Cahors a déjà été choisi, suite à Linky, pour mettre en place des concentrateurs du même type que Linky en Belgique.

Où en est le programme en France ? Début février 2017, 3 millions de compteurs ont été posés. Nous sommes présents dans près de 1 800 communes. En moyenne, nos 2 000 techniciens posent 17 000 compteurs par jour.

Une chaîne communicante a été mise en place pour fournir des services et cette chaîne fonctionne. À titre d'exemple, 95 % des télé-opérations se font du premier coup, c'est-à-dire que des actions à distance, un changement de puissance ou une mise en service par exemple, se font désormais sans déranger le client chez lui. Les taux de collecte, c'est-à-dire la capacité de faire remonter les informations de consommation, sont de 98 %. Cela démontre que nous sommes performants, puisque la commission de régulation nous avait fixé un objectif de 92 %.

La durée de vie d'un compteur Linky est de 20 ans. La partie métrologie est pratiquement identique à celle des anciens compteurs. Par contre, le téléchargement à distance rend cette technologie très évolutive. En matière de cybersécurité, il est possible de faire évoluer ce compteur en fonction de la créativité des hackers.

Ce compteur respecte les normes en vigueur en termes sanitaires ou de sécurité. Nous travaillons avec l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI). En moyenne tous les six mois, nous homologuons nos dispositifs en lien avec le ministère de tutelle et l'ANSSI, pour nous assurer qu'ils sont conformes aux niveaux de sécurité requis.

M. Jean-Yves Le Déau. - Avez-vous subi des attaques ?

M. Bernard Lassus. - Non, pour l'instant nous n'avons pas repéré d'attaque sur ce dispositif. Par contre, sachez qu'on s'y prépare tous les jours, grâce à cette capacité de télécharger des logiciels, à la fois à l'intérieur du compteur et à l'intérieur du concentrateur. Ce compteur est évolutif.

Ces bons résultats ne doivent pas cacher le fait que nous sommes en situation d'amélioration. N'oublions pas notre objectif : à terme, nous devons poser 35 millions de compteurs en France.

Les avantages pour les clients sont simples : des relevés de consommation sans dérangement, une facturation à la consommation réelle, des interventions et dépannages plus rapides, le suivi de la consommation sur internet.

Actuellement, nous n'avons pas de capteurs sur le réseau basse tension. La mise en place de 35 millions de capteurs va permettre de détecter très rapidement les pannes et donc d'intervenir plus vite. Que ce soit au niveau des tempêtes ou des problématiques de réseau, nous avons déjà des exemples concrets de rapidité d'intervention.

Concernant le suivi de la consommation, nous déployons actuellement un système sécurisé semblable à celui des banques. Chaque personne peut ouvrir un espace personnel sur internet pour suivre sa consommation de manière journalière, et en accord avec la Cnil, si elle émet un consentement, de manière horaire.

Ce compteur bidirectionnel permet de raccorder facilement des énergies renouvelables. Il présente aussi une protection vis-à-vis des incidents réseau. Nous avons eu des preuves de son efficacité sur ce dernier aspect.

En tant qu'entreprise de service public, tout ce que nous faisons est destiné à améliorer le service public. À ce titre, ce compteur améliore la capacité de gestion du réseau. Quand un client appelle un centre de dépannage, grâce à Linky, nous pouvons entrer en contact direct avec son compteur et faire un diagnostic en direct afin de déterminer si la panne provient du réseau ou du compteur lui-même.

Le système Linky bidirectionnel compte à la fois en consommation et en production, ce qui évite l'installation d'un second compteur et réduit le coût d'installation des panneaux photovoltaïques. Le gain pour la mise en place de l'autoproduction est en moyenne de 500 euros.

Linky est aussi au service des collectivités territoriales, car c'est un outil local qui permet d'agréger les données à une maille correspondant à une collectivité territoriale ou à un quartier. Nous travaillons avec beaucoup de métropoles, de communautés urbaines ou de collectivités locales, soit pour les accompagner là où l'on a installé Linky, soit dans le cadre de démonstrateurs pour accompagner des politiques de maîtrise de l'énergie, ou ne serait-ce que pour diminuer les investissements en cas de dépannage. Par exemple à Marseille, grâce aux alertes envoyées par Linky, nous avons pu détecter de manière très précise où se passait un incident, alors qu'auparavant le traitement d'un incident durait plus longtemps, nécessitant des tranchées, des changements de compteurs, etc.

Dans le cadre de la transition énergétique, ce compteur facilite non seulement la mise en place des énergies renouvelables, mais aussi la recharge de véhicules électriques et le stockage. Dans les années qui viennent, le réseau électrique sera totalement différent. Actuellement, sur le réseau de distribution, nous avons plus de 300 000 producteurs d'électricité d'énergies renouvelables. Dans quelques années, ils seront plus d'un million. Le pilotage du réseau va évoluer de l'analyse de valeurs analogiques vers la collecte de données.

Pour intégrer les énergies intermittentes, nous devons repenser les modalités de pilotage. Linky va y contribuer.

J'espère avoir esquissé les aspects positifs de la mise en place de ces 35 millions de compteurs.

M. Jean-Yves Le Déaut. - J'invite l'ANFr à présenter son rapport, en présence de Gilles Brégant, directeur général, Jean-Pierre Luguern, directeur de la stratégie, Emanuelle Conil, experte.

M. Gilles Brégant, directeur général de l'ANFr. - Le rapport de l'ANFr est disponible aujourd'hui sous la forme de trois fascicules. Je vais les présenter brièvement. Ils inaugurent un rapport qui continuera, puisque Linky comporte plusieurs composantes que l'on mesure au fur et à mesure de leur disponibilité.

L'Agence des fréquences est un établissement public administratif en charge de la gestion du spectre électromagnétique en France. Elle assure, pour le compte de l'État, la bonne gestion de ce spectre, le contrôle des brouillages qui s'y produisent et l'affectation de ce spectre aux grands usagers (CSA, ARCEP, départements ministériels de la Défense ou des Transports).

L'Agence est un endroit où chaque grand émetteur doit s'être préalablement enregistré. Toutes les antennes-relais, les émetteurs de télévision, de radio ou de sécurité civile, sont déclarés à l'Agence. Cette sorte de cadastre concerne tous les émetteurs de plus de 5 Watts de puissance apparente, ce qui dépasse largement un téléphone ou une box, a fortiori un compteur Linky. Grâce à cette obligation règlementaire, nous avons une visibilité complète sur tous les émetteurs puissants, y compris les émetteurs de la Défense ; nous avons également pour mission de vérifier le niveau d'exposition du public.

Dans ce cadre, l'ANFr n'a pas de compétence sanitaire. C'est l'ANSES qui détient la compétence sanitaire. Le Gouvernement s'appuie sur les avis de l'ANSES pour proposer des valeurs limites. Ces niveaux de champ à ne pas dépasser par gamme de fréquence sont définis par décret. L'ANFr s'appuie sur ce décret. Ce décret peut évoluer sur la base des avis de l'ANSES. Pour résumer de façon imagée, l'ANFr n'est pas en charge de définir les limites de vitesse, mais de vérifier que les gens ne les dépassent pas.

Pour ce faire, nous avons la possibilité de nous appuyer sur des experts et des moyens de mesures sophistiqués. L'Agence détient une compétence en matière de métrologie des ondes pour veiller au respect des valeurs limites. L'Agence doit tenir à jour un protocole de mesure. Ce point est important. La mesure des niveaux de champ est un peu comme la mesure des températures. Les conditions de mesure doivent être réalistes, c'est-à-dire reproductibles. Elles servent de base à une accréditation réalisée par le Comité français d'accréditation (Cofrac) qui permet à des sociétés privées, accréditées, de faire des mesures de champs comparables. Ce protocole nous permet de mesurer le champ entre 100 kilohertz et 6 gigahertz. L'Agence s'astreint également à faire homologuer son propre protocole, afin de vérifier qu'il est parfaitement utilisable et efficace.

L'Agence a également une capacité de contrôle des terminaux. Nos prérogatives s'apparentent à celles de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans le domaine des appareils rayonnants. Nous mesurons le DAS (Débit d'absorption spécifique) des terminaux mobiles ou émetteurs individuels, et le cas échéant, nous saisissons le juge pour des sanctions pénales.

Dans ce cadre, nous essayons de maintenir une veille sur l'internet des objets, puisque beaucoup d'émetteurs apparaissent dans l'environnement de nos concitoyens (bracelets connectés, compteurs intelligents, appareils domestiques, box, etc.).

L'Agence a découvert le dispositif Linky au début de l'année 2016. Indépendamment de ses fonctions, ce dispositif se présente sous la forme de deux boîtes, et peut-être même d'une troisième boîte. En l'occurrence, il y a la boîte verte qui est le compteur Linky lui-même, un compteur intelligent connecté en CPL ; il y a la boîte blanche qui est le concentrateur se situant dans des enceintes ENEDIS distinctes des habitations ; et puis il y a un troisième composant, totalement optionnel, qui est l'émetteur radio Linky. Cet émetteur radio ne dépend pas d'ENEDIS, il peut se brancher sur le compteur Linky. Des distributeurs d'électricité, concurrents d'ENEDIS, pourront l'enficher à terme, afin d'interagir avec les appareils du domicile. À ce stade, cet émetteur radio est en cours de développement chez différents acteurs.

Ces trois composants du dispositif Linky font l'objet de rapports, de mesures. Pour l'instant, nous avons mesuré le Linky lui-même, c'est-à-dire l'appareil vert, sans son module. À l'avenir, nous ferons un rapport sur le concentrateur.

En ce qui concerne les émissions électromagnétiques, le concentrateur et le module optionnel sont les deux composants qui intéressent le plus l'Agence, car ce sont des émetteurs radio assumés. Le concentrateur va interagir avec les appareils d'ENEDIS un peu comme un téléphone portable, le module optionnel va interagir avec les appareils de la maison.

Le compteur Linky en tant que tel n'est pas un émetteur radio, c'est un émetteur CPL qui envoie des signaux sur l'installation électrique domestique. Ces signaux sont transportés par les fils de cuivre sur l'installation domestique et ils vont avoir un effet électromagnétique de proximité, le rayonnement se produisant autour des fils électriques et autour du compteur Linky, de même que lorsqu'on utilise un appareil électrique sur son réseau domestique.

L'Agence a effectué des mesures répertoriées dans les trois fascicules. En mai 2016, dans le premier fascicule, nous avons mesuré le niveau de champ du compteur Linky de première génération (G1) en laboratoire, en émulant la production de signaux par le compteur, puisque dans les conditions d'utilisation habituelles, c'est un appareil qui émet peu, entre 35 et 90 kilohertz, c'est-à-dire en dessous du protocole de l'Agence qui commence à 100 kilohertz. Ensuite, dans le deuxième fascicule, nous avons mesuré en laboratoire avec une sonde plus précise. Nous avons également mesuré le compteur Linky de deuxième génération (G3). Enfin, nous avons fait des mesures in situ, dans des habitations, pour mieux rendre compte de l'interaction entre le compteur Linky et le réseau électrique et avoir des éléments d'appréciation du niveau de champ dans des pièces de vie (garage, palier,...).

Le bilan de ces mesures montre d'abord que le compteur Linky est un dispositif qui émet très peu. Dans les gammes de fréquence concernées, il faut mesurer les niveaux de champ électrique et de champ magnétique. Le niveau de champ électrique varie entre 0,25 et 2 volts par mètre à 20 centimètres du compteur. Ce sont des niveaux vraiment bas. Le niveau de champ décroît très rapidement avec la distance. Dans ces gammes de fréquence, le seuil fixé par décret est à 87 volts par mètres. Il n'y a donc pas de risque sanitaire. Le niveau de champ magnétique est compris entre 0,1 et 0,06 microtesla à une distance de 20 centimètres. Le seuil fixé par décret est de 6,25 microteslas. Les niveaux de champ magnétique sont donc entre 100 à 600 fois plus bas que les niveaux d'attention fixés par décret.

Le compteur Linky en tant que tel n'est donc pas un contributeur important à l'exposition électromagnétique des habitations. De plus, dans le protocole que nous avons mis en place pour la mesure de champ, on doit moyenner l'exposition sur 6 minutes. Or les émissions du Linky ont un caractère sporadique. Le temps d'émission dure moins d'une minute pour l'envoi d'une consommation journalière. Le niveau de champ est donc très faible sur 6 minutes.

Le compteur Linky, lorsqu'il est analysé comme un émetteur radioélectrique, émet donc très faiblement. Selon nous, il se situe très loin des seuils, et donc il n'est pas un élément d'exposition significative du public dans son environnement domestique.

Le premier fascicule essaie aussi de mettre en perspective les niveaux d'exposition électromagnétique d'une personne dans son habitation. Ces niveaux sont du même ordre que ceux dus aux petits appareils électriques ou électroniques de l'environnement quotidien, comparables à un chargeur de PC, une perceuse électrique sans fil ou un ancien compteur électrique. C'est inférieur à une lampe fluocompacte qui est de l'ordre de 15 volts par mètre à cette distance. C'est très inférieur à une plaque à induction qui fait plusieurs dizaines de volts par mètre à une distance habituelle dans une cuisine.

Dans les foyers, la contribution du compteur Linky à l'exposition électromagnétique est très faible. Nous continuerons à mesurer tous les dispositifs Linky. Nous allons probablement trouver des éléments électromagnétiques plus tangibles quand nous allons examiner le concentrateur. Les niveaux d'exposition seront comparables à ceux d'un téléphone portable, puisque j'imagine que cet appareil contient une carte SIM pour communiquer avec le réseau. En l'occurrence, cet appareil est très loin des individus, dans les bâtis d'ENEDIS.

Nous examinerons aussi l'émetteur radio Linky optionnel. Celui-ci communiquera sans doute via un protocole de type Wifi ou Bluetooth avec des appareils domestiques, un peu comme une box. Il est susceptible de produire un niveau de champ qui sera plus facilement mesurable.

À ce stade, ces trois premiers rapports concluent que le niveau de champ de Linky dans l'environnement domestique ne doit pas constituer un sujet d'inquiétude.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Ce sont des conclusions qui ont le mérite de la clarté. Nous allons entendre maintenant M. Olivier Merckel, responsable de l'unité d'évaluation des risques liés aux agents physiques à l'ANSES. Je salue au passage Mme Alima Marie, notre contact régulier à l'ANSES, où elle est directrice de l'information, de la communication et du dialogue avec la société. L'OPECST a contribué à la création de cette agence dans les années 2000. Aujourd'hui elle est reconnue au niveau national pour ses expertises. Elle a été saisie sur ce sujet. Je vous demande de faire le point sur les études que vous avez menées.

M. Olivier Merckel, ANSES. - L'Agence est indépendante. Ses missions consistent en particulier à évaluer les risques pour la santé humaine, mais aussi pour la santé et le bien-être des animaux, la santé des végétaux. Son expertise collective fait appel à des collectifs d'experts indépendants.

En ce qui concerne les compteurs communicants, c'est la Direction générale de la santé qui nous a fait une demande initiale à la fin 2015, nous demandant une synthèse des différentes caractéristiques techniques des compteurs communicants concernant l'eau, le gaz et l'électricité. Je me contenterai aujourd'hui de présenter les compteurs d'électricité, en particulier le compteur Linky.

On nous a également demandé une synthèse des données disponibles concernant l'exposition de la population aux champs électromagnétiques pouvant être émis par l'utilisation de ces différents compteurs.

Enfin, on nous a demandé une évaluation des effets sanitaires éventuellement associés, puis de proposer des axes de recherche ou de surveillance. La mission de l'ANSES est d'appuyer les pouvoirs publics dans les processus de décision ou de modification des réglementations.

La méthodologie de cette expertise est classique. Nous avons créé un groupe de travail composé de sept experts dans différents domaines, des épidémiologistes, des physiciens, mais aussi des sociologues, l'aspect sociétal de la controverse étant extrêmement important sur ce sujet. Nous avons réalisé un certain nombre d'entretiens avec les différents acteurs de ce sujet pour intégrer le plus d'informations possible. De même, nous avons réalisé une consultation internationale pour étudier le développement de ce type de compteur à l'étranger. Enfin, partant du principe que nous n'avions pas toutes les données disponibles, en particulier concernant l'exposition au compteur Linky, nous avons établi une convention avec le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) pour faire réaliser des mesures de l'exposition des personnes, notamment au domicile.

Je dois faire un point sur la controverse. On pouvait difficilement comprendre l'environnement et les questions qui touchent à l'exposition au compteur communicant sans faire ce travail de sociologie. Je vous livre quelques éléments qui ressortent de l'analyse disponible dans le rapport d'expertise de l'Agence.

L'origine de la controverse se situe en Amérique du Nord, au Canada et dans certains États des États-Unis, là où se sont réalisés les premiers développements. L'aspect sanitaire est central dans cette controverse, mais il est environné par beaucoup d'autres problématiques que vous avez évoquées, à savoir la sécurité des données, le respect de la vie privée, les risques économiques et écologiques que ces déploiements peuvent faire courir.

En France, s'ajoute un élément important : la territorialisation de la controverse, qui est peut-être liée au mode de déploiement des compteurs Linky « en taches de léopard » pour reprendre l'expression d'ENEDIS. L'implantation est un peu disséminée sur le territoire, et du coup, certains maires peuvent intervenir pour refuser l'implantation.

La question de la propriété des compteurs et de la responsabilité associée a pu alimenter cette controverse. Qui est finalement propriétaire ? Les maires ? Y a-t-il une délégation au syndicat d'énergie ? Etc.

Que l'on considère cette question comme nationale ou locale, on voit que l'opposition publique se recompose assez rapidement. Elle est liée à un déficit de confiance portée sur divers acteurs, peut-être dû à une absence de consultation et à un manque d'information au moment du déploiement des compteurs.

Notre analyse soulève un autre aspect très important : la dimension intrusive, qui peut être perçue par les usagers. Cet objet est, finalement, considéré comme imposé par les pouvoirs publics dans leur espace privé.

Il faut vraiment distinguer les compteurs d'électricité des autres compteurs. Dans les compteurs d'électricité, la communication est filaire. Les informations circulent sur le réseau électrique, et c'est par ce biais de la circulation du courant électrique qu'un champ électromagnétique est émis. Dans le cas des compteurs communicants radio (gaz et eau), les communications par ondes hertziennes soulèvent une problématique différente.

Nous avons eu beaucoup d'informations sur les compteurs radio, qui sont ni plus ni moins des sortes de téléphones mobiles ou d'émetteurs radioélectriques, et que l'on connaît relativement bien. En revanche, nous avons eu plus de mal à obtenir des informations sur le protocole Linky, son fonctionnement, le nombre de communications quotidiennes, etc.

Les schémas sont souvent mieux perceptibles que des mots. L'une des missions de cette expertise était de rassembler l'ensemble des données disponibles concernant l'exposition aux compteurs CPL. En décembre 2016, date de publication de ce rapport, nous n'avions pas encore les résultats des mesures réalisées par le CSTB.

Nous avons présenté différentes valeurs de champ électrique qui ont pu être mesurées par différents acteurs lors de campagnes de mesures. On y retrouve les mesures réalisées par l'ANFr en 2016, à la fois sur les compteurs G1 et G3, ainsi que les mesures réalisées par EDF.

Le tableau récapitulatif des données d'exposition aux compteurs CPL présente les valeurs de champ électrique et les valeurs de champ magnétique.

Concernant les valeurs de champ électrique, les résultats des mesures réalisées en laboratoire, à 20 cm des compteurs, dans des situations relativement normalisées, présentent une assez bonne homogénéité. À contrario, les mesures réalisées in situ dans les habitations sur des compteurs G1 présentent des différences de valeur. À cette fréquence-là, il faut savoir que la mesure du champ électrique est extrêmement compliquée, les appareils de mesure étant plus ou moins proches des compteurs. À noter que la mesure la plus élevée a été réalisée en Finlande sur un compteur CPL, qui n'est pas un compteur Linky.

Concernant les valeurs de champ magnétique, là aussi, nous observons une certaine disparité des résultats des mesures. Cela s'explique en particulier par les différentes distances des appareils de mesure. Plus on s'éloigne des compteurs ou des câbles dans lesquels circulent les communications Linky, moins le champ est important. À noter que ces mesures ont été réalisées à la fois en laboratoire et in situ dans les habitations pour les compteurs G1, et uniquement en laboratoire pour les compteurs G3. Ceux-ci seront déployés en 2017 et nous n'avons donc pas pu réaliser de mesures sur site.

Les niveaux de champ électrique ou magnétique du compteur Linky sont comparables à ceux d'autres équipements domestiques (perceuse électrique, chargeur PC, écran TV, ancien compteur...). Ceux-ci sont très faibles au regard des valeurs limites d'exposition. Reste à déterminer à quel rythme sont émises les communications Linky pour obtenir les données d'exposition globale des personnes.

Concernant les effets sanitaires des compteurs communicants, nous ne disposons pratiquement d'aucune littérature scientifique spécifique. Ce type de compteur étant extrêmement récent, c'est un sujet émergent.

Les expositions liées aux émissions de champ électromagnétique du compteur peuvent se rapprocher des courants transitoires à haute fréquence qui sont en fait générés par tout un tas d'appareils électriques ou électroniques branchés sur le réseau, ou simplement par le fait d'appuyer sur un interrupteur électrique. De ce côté-là, nous n'avons pas trouvé de données qui suggéraient l'existence d'effets sur la santé.

Néanmoins, le rapport de l'AFSSET de 2009 (ancienne Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, fusionnée au sein de l'ANSES) avait publié des données sur les effets sanitaires dans la bande de fréquences du compteur Linky qu'on appelait « les fréquences intermédiaires », entre 9 kilohertz et 10 mégahertz. Ce rapport déclare que l'analyse des études disponibles ne permettait pas de conclure définitivement quant à l'existence ou non d'effets sur la santé liés à des expositions à ce type de radiofréquences.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Avez-vous modifié ou complété votre avis depuis ?

M. Olivier Merckel. - Non, aujourd'hui il n'y a pas de données supplémentaires qui nous invitent à modifier cette conclusion.

En conclusion générale, nous rappelons notamment que le risque résulte du produit du danger intrinsèque d'un agent par son exposition. Si un danger est extrêmement fort, mais qu'on n'y est pas exposé, le risque est finalement très faible. Inversement, si l'on est beaucoup exposé à un danger très faible, alors le risque peut être élevé.

En l'occurrence, les niveaux d'exposition liés à ces compteurs communicants sont extrêmement faibles. Nous n'avons pas de données qui nous permettent aujourd'hui de dire que des effets sanitaires liés à l'exposition à ces champs électromagnétiques sont avérés.

Les conclusions, concernant les compteurs CPL, les compteurs Linky, sont qu'à court terme, aucun effet sanitaire n'est attendu. Dans la mesure où l'on ne peut jamais prouver qu'il n'y a pas de risque, les conclusions de l'Agence à long terme sont que les effets sanitaires sont peu probables.

Je rappellerais aussi que dans le domaine des compteurs communicants, il faut bien distinguer d'une part les compteurs radio (gaz et eau) des compteurs Linky, pour lesquels nos connaissances étaient limitées au moment de la publication de ce rapport, en particulier sur le protocole et les expositions associées.

Nous avons obtenu le rapport du CSTB sur les mesures réalisées notamment dans l'environnement domestique. Elles vont nous apporter un certain nombre d'informations complémentaires. Nous publierons une version révisée de l'avis publié en décembre 2016. Les conclusions sur les effets sanitaires ne seront pas fondamentalement modifiées, mais nous apporterons des conclusions très intéressantes sur le mode de fonctionnement et les expositions au compteur Linky.

L'ensemble des données que nous avons pu répertorier mettent en évidence des niveaux d'exposition très faibles, et donc une probabilité très faible que l'exposition à ce type de champ électromagnétique puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.

Nous avons formulé des recommandations en matière de caractérisation de l'exposition. Nous recommandons de poursuivre la réalisation de ces mesures. Cela a été fait à travers les travaux du CSTB que nous rendrons publics.

Nous avons signalé l'idée d'évaluer les niveaux d'exposition dans le cas d'une implantation multiple : compteurs Linky, gaz et eau. En habitat collectif, cette concentration de compteurs mériterait d'être étudiée.

D'une manière générale, nous avons assez peu de données sur les effets sanitaires de ce type de fréquences. Nous recommandons la poursuite des études les concernant.

Sur l'un des points de la controverse, nous recommandons d'étudier, de caractériser la gêne perçue par certaines personnes chez qui l'on installe ce type de compteur.

En matière d'information, il nous paraît important de fournir une meilleure information au public sur les modalités de fonctionnement actuel et futur de ce type de compteur. C'est certainement l'un des aspects qui a pu nourrir assez fortement la controverse.

Enfin, par rapport à la diffusion rapide des objets connectés, nous recommandons d'anticiper réellement ces évolutions, et surtout de prévoir dès maintenant, dans les protocoles de mesure de l'exposition de la population aux champs électromagnétiques, les conditions et les paramètres techniques qui vont permettre d'accéder rapidement à la maîtrise et à la caractérisation des expositions qui seront associées au développement des objets connectés.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Vous dites que les effets médicaux sont peu probables, qu'il n'y a aucune littérature scientifique spécifique, que des plaques à induction ou des lampes fluocompactes ont des effets supérieurs à Linky... C'est compliqué, parce que vous séparez les gammes de fréquences. Récemment un grand journal mélangeait les gammes de fréquences en indiquant qu'il y avait des risques pour la santé. Il y a un décalage entre ce qu'on lit et le discours des experts.

M. Le Ruz, vous allez présenter le CRIIREM (Centre de recherche et d'information indépendant sur les rayonnements électromagnétiques non ionisants) et nous expliquer ce qu'est un centre de recherche indépendant.

M. Pierre Le Ruz, président du CRIIREM. - Le CRIIREM est un centre de recherche qui travaille avec l'université du Maine au Mans. Organisme reconnu d'intérêt général, le CRIIREM réalise des expertises qui sont prises en compte par les tribunaux. Nous ne sommes pas accrédités par le Comité français d'accréditation (Cofrac) parce que cela pose problème en termes d'indépendance. Nous sommes complètement indépendants parce que nous ne recevons aucune subvention d'aucun autre organisme. D'ailleurs, nous avons subi des contrôles fiscaux qui ont confirmé notre indépendance. Nous sommes non concurrentiels avec les bureaux de contrôle.

Par rapport à tout ce qui a été dit, je ferai des remarques constructives qui pourraient peut-être faire évoluer les choses. La première concerne le signal CPL (Courant porteur en ligne). Nous avons fait des mesures depuis longtemps et l'on remarque toujours la même erreur que l'on a signalée dans bon nombre de réunions. Lorsqu'on mesure ce signal, qui se situe dans la bande des radiofréquences de 10 kilohertz à 10 mégahertz, on mesure certes, d'un côté, le champ électrique en volts par mètre, mais on ne doit pas mesurer le champ d'induction magnétique en microteslas, mais plutôt en ampère par mètre. Selon les physiciens, le microtesla est réservé aux extrêmement basses fréquences, c'est-à-dire le 50 hertz. Nous l'avions déjà fait remarquer lors des mesures contradictoires que nous avions réalisées avec l'ANSES et le CSTB sur les ampoules fluocompactes.

Cela mis à part, nous sommes bien d'accord sur le fait que les niveaux sont faibles. Mais, à force de faire des erreurs et de créer des problèmes de communication, le doute est jeté et cela alimente la controverse.

Concernant les compteurs en eux-mêmes et les câbles, le courant électrique porteur est de type 50 hertz, mais aucune mesure n'a été réalisée. Or, un compteur électrique émet des extrêmement basses fréquences qui se mesurent en volts par mètre pour le champ électrique et en microteslas, dans ce cas, pour le champ d'induction magnétique. Nous l'avions signalé à l'ANFr qui nous avait répondu qu'ils n'avaient pas de compétence dans ce domaine. Le CRIIREM l'a fait. Il faudrait peut-être refaire ces mesures.

Concernant le concentrateur, s'il est positionné à côté du transformateur, il est clair que l'impact du transformateur par rapport à l'émetteur CPL est beaucoup plus important que les transmissions qui sont réalisées.

Il faudrait aussi faire des mesures sur les câbles, avec des pinces ampérométriques spécialisées, afin d'évaluer exactement la différence produite. Il passe tout un tas de choses assez complexes dans un câble.

La compatibilité électromagnétique est un autre problème qui n'a pas du tout été abordé. Certains appareils fonctionnent avec des fréquences en kilohertz très proches de celles du CPL et peuvent dysfonctionner. Dans ce cas, il y a une obligation légale. L'article L.32 (12e) du code des postes et des communications électroniques impose la prise en compte de la sécurité, de la santé et de la compatibilité électromagnétique pour éviter les dysfonctionnements sur le matériel électrique et électronique. C'est intéressant d'utiliser des fréquences, mais celles-ci ne doivent pas entrer en contradiction avec les fréquences utilisées par les appareils électroménagers (lave-vaisselle, frigo, etc.).

Une autre remarque porte sur le G3. Il faudrait faire des mesures sur le G3, en particulier sur son champ magnétique. Dans ces fréquences-là, entre 9 kilohertz et 10 mégahertz, le champ magnétique est parfois beaucoup plus impactant que le champ électrique.

Concernant les émetteurs radio, avant de faire des mesures, nous avons besoin d'en connaître la puissance et le gain pour faire une évaluation calculée. On pourrait peut-être l'obtenir si l'on disposait de renseignements techniques.

Concernant le buzz et la controverse dans ces affaires, nous avons déjà signalé, lors des précédentes auditions à l'Assemblée nationale, diverses maladresses, notamment vis-à-vis des agences régionales de santé (ARS) : ainsi, les documents d'information distribués par ENEDIS comportaient des erreurs monstrueuses ; on a invoqué des erreurs d'impression, mais on pouvait y lire qu'on avait mesuré 0,0001 volt par mètre. Et j'en passe... Du côté de l'ANFr, quand on fait voir à la presse une sonde qui mesure un compteur et qui n'est pas adaptée à ce type de mesure, cela crée un problème. Il y a donc un sérieux problème de communication qui aurait pu être évité.

À mon sens, ce buzz n'a pas lieu d'exister, mais il est entretenu. C'est pourquoi le CRIIREM avait proposé à ENEDIS d'organiser une réunion afin de mettre en place des mesures contradictoires avec un laboratoire indépendant. On nous a dit d'accord, mais cela n'a pas été fait. Je leur ai rappelé qu'à l'époque, nous avions fait des mesures contradictoires avec l'ANSES et le CSTB sur les ampoules fluocompactes, et que le buzz s'était arrêté. La commission de la sécurité des consommateurs avait fait un avis et tout s'était terminé.

Le problème, c'est que ces mesures contradictoires n'ont pas été mises en place. L'ADEME nous a convoqués au mois de mars 2016 pour essayer de régler ces problèmes. Ce sont des problèmes de communication, plutôt que des problèmes d'effets de champ électromagnétique sur le public. Encore faut-il affiner les mesures, l'ANSES l'a bien précisé. Le jour où l'on disposera d'un rapport établi de façon contradictoire, sur la base de protocoles correctement mis en oeuvre, en présence de tous les acteurs, il n'y aura plus de discussion possible.

En conclusion, je dirais que la communication pour les compteurs Gazpar, c'est-à-dire les compteurs de gaz, et pour les compteurs d'eau a été bien plus adroite. Elle s'est appuyée sur un grand nombre de documents. La mise en avant du fait que le moniteur utilisé sur le compteur à gaz était un compteur Atex, c'est-à-dire anti-explosion, a permis de calmer le jeu. Nous avions à notre disposition tous les éléments techniques concernant les puissances et les gains des appareils. Lors des réunions publiques sur ce type d'appareil, il n'y a pas eu de souci particulier. Le CRIIREM avait été convoqué pour donner un avis et nous n'avions pas donné d'avis défavorable, ni pour les uns, ni pour les autres. Notre seule remarque portait sur le constat que, dans les immeubles, on a besoin de répéteurs, mais que si on avait une façon intelligente de disposer les compteurs, cela ne posait pas de problème. Quant aux concentrateurs, ils étaient posés en hauteur, avec certaines dispositions qui réglaient les difficultés. Le seul problème qui subsistait concernait le clocher des églises et les châteaux d'eau.

Le buzz s'est porté entièrement sur Linky. On a compris pourquoi au CRIIREM, quand on a découvert les problèmes de communication. Il y a de gros progrès à faire en matière de communication sur le Linky. C'est l'avis du CRIIREM. Il est clair qu'il existe d'autres appareils qui sont beaucoup plus dangereux. La confusion avec les plaques à induction, les ampoules fluocompactes et tous les autres appareils remet le buzz en route. Il faut être précis dans la communication et donner tous les éléments. C'est possible, puisqu'a priori, il n'y a pas de problème.

Le CRIIREM est reconnu comme indépendant. Lorsqu'on a fait un rapport pour la Ville de Paris en disant qu'il n'y avait pas de souci particulier, on s'est fait vilipender par les associations. Au CRIIREM, quand il y a un problème, on le dit. Quand il n'y a pas de problème, on le dit aussi. On s'est tu pendant un certain temps, car il était inutile de refaire des mesures et de les publier. Cela n'aurait rien apporté.

Un consensus est nécessaire sur le Linky. J'espère qu'à l'occasion de la réunion de l'ADEME, il y aura un consensus pour mettre en place un protocole non discutable, et éventuellement pour demander à la commission de la sécurité des consommateurs de formuler à la fin un avis général, de façon à stopper ce problème. S'agissant des rayonnements électromagnétiques, il existe des problèmes autrement plus importants que celui-là.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Nous engagerons le débat avec nos collègues, mais cette position me paraît très sage. J'ai lu le compte rendu de la table ronde du mercredi 11 mai 2016 où vous aviez déjà déclaré cela. Je me demande pourquoi cela ne s'est pas fait. Le sujet aurait été clos et son irruption nouvelle dans certaines collectivités aurait pu être évitée.

Monsieur le Professeur Aurengo, vous vous êtes souvent exprimé sur ce sujet. Je souhaiterais avoir votre avis.

M. André Aurengo, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie nationale de médecine. - J'ai trouvé que, d'une façon générale, les deux rapports dont on a parlé aujourd'hui étaient d'une extrêmement bonne qualité. Il y a peut-être des détails à corriger, mais dans l'ensemble, la qualité est très bonne pour les raisons suivantes.

Tout d'abord, en ce qui concerne le rapport de l'ANSES, il s'agit d'une expertise collective. Rappelons que l'expertise collective est le degré le plus élevé de preuve que l'on peut avoir sur un sujet médical ou extra-médical. Elle fait suite à une saisine de la Direction générale de la santé qui est très claire, très factuelle. Pour avoir une bonne réponse, il faut une bonne question, et c'est le cas. L'expertise a été organisée d'une manière extrêmement professionnelle en ce qui concerne le choix des experts, les domaines couverts par les différents experts, la méthodologie, l'accord avec les normes existantes quant à la qualité de l'expertise, l'analyse des liens d'intérêt. Le rendu a été clair, sans langue de bois, dans un délai raisonnable, accompagné d'un résumé fidèle d'une quinzaine de pages pouvant être lu rapidement.

Ce rendu se doit d'aborder les aspects techniques. Je voudrais faire une première remarque au sujet des mesures. Nous sommes dans un domaine où les mesures sont extrêmement délicates. Comme il a été rappelé par les intervenants précédents, le champ électromagnétique n'est pas vraiment formé dans cette zone, c'est-à-dire qu'on n'est pas loin de l'émetteur par rapport à la longueur d'ondes utilisée. Il est donc important d'avoir des éléments comparables. Cela, je pense que l'ANFr le fait bien, avec premièrement l'édiction de normes. C'est très important qu'un juge de paix donne des protocoles et qu'il puisse éventuellement les affiner.

L'état des lieux comprend également l'analyse sociologique de la controverse, de sa naissance, de son mode de diffusion et de cristallisation. Il rappelle la situation à l'étranger, en Europe et aux États-Unis, où est née la controverse ainsi que le déploiement de ces compteurs dans le cadre de la loi et des normes en vigueur, en affirmant l'absence d'effets avérés sur la santé.

Les conclusions du rapport de l'ANSES sont très factuelles. L'ANSES ne met pas en évidence d'effets sanitaires avérés et la probabilité qu'on les mette en évidence est faible.

Je voudrais faire une seconde remarque par rapport à la formulation de type « il est peu probable qu'il y ait tel effet », ou « très improbable ». Je rappelle qu'il est impossible de prouver par un raisonnement déductif que quelque chose n'existe pas. Par contre, vous pouvez avoir une probabilité que quelque chose existe. C'est d'ailleurs de cette manière que le Centre international de recherche sur le cancer travaille. Le CIRC a classé des centaines de substances chimiques dans la catégorie « agent cancérogène » ou « agent probablement cancérogène ». La catégorie « agent non cancérogène » n'existe pas dans cette classification. Par contre, il existe une catégorie « probablement non cancérogène ». La clause de prudence l'impose.

Ce rapport s'élargit à une vision multidimensionnelle. Il ne s'est pas focalisé uniquement sur le compteur Linky ou sur les compteurs utilisés pour le gaz et l'électricité. Il aborde également les questions de vie privée, de sécurité et l'aspect intrusif.

Enfin, il propose des pistes très intéressantes quant aux études qu'il faudrait conduire, aux surveillances qu'il faudrait mettre en place, notamment des études dites « de provocation » pour les personnes qui se disent hypersensibles à ces courants porteurs en ligne. Il s'agirait de mettre ces patients face à un dispositif qui émet ou qui n'émet pas, afin de vérifier s'ils sont véritablement hypersensibles. Cela donnerait une assise rationnelle à la prise en charge médicale rigoureuse de ces personnes qui peuvent effectivement être dans un état de souffrance, de handicap.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Merci Messieurs. Vos exposés sont relativement clairs. La question de la communication a été soulevée à la fin. Nous allons ouvrir le débat.

M. Franck Montaugé, sénateur. - Une certaine partie de la population opposée à ce déploiement invoque trop souvent le principe de précaution en vertu d'études qui n'auraient pas conclu de manière absolue. La preuve n'est pas faite que cela ne serait pas nocif. Quelle argumentation peut-on développer face à ce type de remarque ?

M. Pierre Le Ruz. - Le principe de précaution n'est pas adapté à ce type de problématique. Ce principe n'est adapté qu'à l'environnement, non pas à la santé.

En revanche, concernant la gestion des risques, on peut prendre des décisions préventives. Dans ce domaine, le principe de prévention est simple : mettre les compteurs à une certaine distance. Comme pour tout autre appareil électrique ou électronique et tous les anciens compteurs, si l'on est à plus de deux mètres de ce système, le risque est extrêmement faible.

Ce principe de prévention est valable pour tous les circuits et appareils électriques utilisés dans la maison. On doit se tenir à une certaine distance d'un appareil électrique ou électronique. On ne doit pas mettre le nez sur un four à micro-ondes. Nous avons fait beaucoup de mesures à l'aide d'analyseurs de spectre et de sondes adaptés. Dans une maison, c'est du bruit de fond, sauf si l'on est sous une ligne à très haute tension ou qu'il y a un transformateur sous la chambre. Il suffit de savoir où l'on pose les compteurs et comment on les dispose. Dans les immeubles, c'est peut-être plus compliqué. Mais dans un pavillon, il suffit de poser le compteur à 25 mètres.

S'agissant des câbles électriques, il faut savoir qu'ils véhiculent bien d'autres choses que le signal CPL. Un oscillographe relève un sacré brouillard. Et je ne parle pas de ces petits appareils que l'on branche sur la box et sur le courant pour diffuser la Wifi. Tout cela est une question de gestion des risques physiques. À force de tout connecter, on en rajoute. Les porteurs de dispositifs médicaux doivent faire très attention. Dans ce cadre, la directive européenne 2013/35/UE entrée en application au 1er janvier 2017 impose la prise en compte des porteurs de dispositifs médicaux (implants actifs et inactifs). Science & Avenir a bien indiqué que les plaques à induction ne sont pas adaptées à des porteurs de défibrillateur ou de pacemaker. C'est une question d'information. Il faut donner au public tous les éléments d'information, un certain nombre de mesures préventives à mettre en place, et cela fonctionnera. Le public prendra confiance.

Au moment du lancement du compteur Gazpar, on craignait qu'il explose. Les promoteurs du dispositif ont prévenu le public qu'il comportait un moniteur Atex anti-explosion, ont communiqué les puissances et les gains, des mesures contradictoires ont été faites. Il n'y a pas eu de buzz. Les gens ont eu la conviction que l'information était bonne, qu'on leur avait tout expliqué.

Rappelez-vous les lampes fluocompactes. Lorsque le CRIIREM a alerté sur la présence de mercure et d'un champ électrique relativement important, nous nous sommes fait traiter de tous les noms par les associations écologistes. Nous avons fait des mesures contradictoires. Nous avons monté un protocole avec l'ANSES et les fabricants, le CSTB a fait des mesures et il a pu constater qu'il y avait un champ électrique relativement important. Cette même démarche est d'ailleurs aujourd'hui suivie pour les tubes fluorescents. À mon sens, c'est une erreur de communication de dire qu'il n'y a pas de problème, que les précautions sont inutiles et qu'il est inutile d'informer le public.

M. Jean-Luc Laurent, député. - Je voudrais vous remercier d'avoir pris l'initiative de ces présentations. Ces études et éléments d'information sont importants. Au regard de la résolution sur les sciences et le progrès dans la République que l'Assemblée nationale a adoptée il y a deux jours, on voit aujourd'hui toute l'importance de la connaissance et de la diffusion de l'information.

Ma première question s'adresse à ENEDIS. Après tout ce qui a été dit, quels sont les éléments que cela conduit à mettre en oeuvre dans vos process d'installation et de suivi, afin de lever les doutes qui persistent encore ? Quels enseignements tirez-vous de ces échanges de points de vue en termes d'installation de ces compteurs ?

L'ANSES souligne, dans ses recommandations, qu'il y a nécessité d'évaluer le niveau de concentration des compteurs. À quoi pensez-vous plus concrètement ? Le problème diffère évidemment selon que l'on considère un habitat individuel ou un immeuble collectif. En tant qu'élu d'un secteur plus urbain, je dois prendre en compte les inquiétudes des administrés, et je suis interpellé par votre recommandation.

M. Olivier Merckel. - Sur cette question de la concentration des compteurs, je vais faire une analogie avec les antennes-relais. C'est quelque chose que l'on a exprimé depuis longtemps. Il faut faire attention à la concentration des expositions, de la même manière que l'on a préconisé des formes de mutualisation des sites d'antennes-relais pour éviter la concentration de rayonnements à certains endroits.

Il nous semble important d'anticiper, de prévoir et de contrôler l'installation de différents types de compteurs (qu'ils utilisent le CPL ou la radio pour l'eau et le gaz) dans les gaines techniques des immeubles. L'objectif est de ne pas créer des points d'exposition beaucoup plus importants avec plusieurs, voire des dizaines de compteurs au même endroit. Les schémas de déploiement et d'installation des compteurs doivent le prendre en considération.

M. Bernard Lassus. - Lorsqu'on a commencé le déploiement, très vite on a identifié deux types de problème. Un problème d'information et un problème que je qualifierais d'irrationnel. Car il faut faire avec une approche « idéologique » que j'ai retrouvée en rencontrant mes collègues d'Hydro-Québec ou des utilities aux États-Unis. Quelle que soit l'information mise à leur disposition, les personnes concernées ne changeaient pas du tout leur position. Il ne faut pas l'oublier.

Avec ma collègue Gladys Larose, ici présente, nous avons fait des dizaines de réunions sur le terrain. Nous n'avons pas la même connaissance que vous du tissu local, mais je peux vous dire qu'on commence à en avoir une assez bonne vision.

Que faire pour essayer de gérer au mieux la situation ? Nous travaillons en amont, à partir de la carte de déploiement. Généralement, six mois à l'avance, voire un peu plus, nous prenons contact avec les élus locaux pour essayer de bâtir le dispositif de concertation qui leur semble le plus adapté à la situation régionale. Ce dispositif est à chaque fois différent, en ce qui concerne la manière de se concerter, de discuter, de concevoir des systèmes de dialogue et de débat. Il est essentiel qu'il soit adapté à chaque élu, à chaque lieu. On le voit au niveau du déploiement. Il y a des régions entières où la mise en place du compteur ne pose aucun problème.

Le travail qui a été réalisé par l'ANFr et les déclarations faites par les différents experts ont permis de ramener un peu de sérénité dans ce débat, de même que le travail que nous faisons avec l'ANSSI et la CNIL sur la protection des données. Nous essayons de mettre en place des argumentaires qui répondent aux attentes des citoyens, des consommateurs, et leur apportent les éléments d'information les plus rassurants.

Grâce à l'ensemble des informations que l'on fournit dans le cadre de ces concertations, qui sont généralement gérées par l'élu local, la situation s'apaise et le déploiement continue.

Par contre, et j'espère ne pas vous choquer, il y a certaines personnes que nous n'arriverons jamais à convaincre. Je pense même qu'elles font de leur opposition un véritable business. Pourtant, nous leur ouvrons l'accès à tous nos chiffres, toutes nos études. Nous avons pris contact avec certaines d'entre elles pour mettre au point des protocoles. Je pourrais montrer toutes les analyses, tous les protocoles, tout ce que vous voulez.

Nous sommes une entreprise du local. Vous le voyez bien dans la gestion des coupures liées aux tempêtes. Nous essayons de communiquer au mieux. Je vais prendre un exemple. L'ONG Next-up nous a tout de suite attaqués en proférant des contrevérités qui venaient notamment d'Amérique du Nord. Quels que soient les éléments rationnels que vous apportez dans le dialogue, vous êtes confrontés à l'irrationalité pure. C'est une posture très difficile à combattre. C'est aussi l'avis de mes collègues d'Hydro-Québec et d'Amérique du Nord. En Italie, lorsqu'Enel a commencé à déployer des compteurs dans les années 2000, les mêmes difficultés ont surgi. Pourtant, Enel a installé, à ce jour, 31 millions de compteurs et commence à déployer la deuxième génération sans aucun problème.

Je vous assure que nous essayons de prendre les choses le plus en amont possible. Nous avons retravaillé tous nos éléments de communication, en les rendant plus simples, en s'appuyant sur des groupes de consommateurs, de citoyens. Nous avons rencontré les élus et les promoteurs.

M. Jean-Yves Le Déaut. - L'OPECST est chargé d'une évaluation scientifique et technologique. Nous bénéficions ce matin d'expertises d'organismes du service public, l'ANFr et l'ANSES, avec qui nous travaillons de manière régulière. Leurs conclusions vont globalement dans votre sens. Le CRIIREM, une organisation indépendante, dit à peu près la même chose, analyse les causes du débat et propose une solution pour mettre tout le monde d'accord. Le Pr Aurengo, de l'Académie des technologies, dit à peu près la même chose. Finalement, cette évaluation nous paraît simple.

Ce que l'on demande, et qui a déjà été demandé il y a un an, c'est une étude sur un certain nombre de points qui ont été identifiés. Le Pr Aurengo et M. Le Ruz sont à peu près du même avis à ce sujet. Pourquoi ne le fait-on pas ? Cela permettrait à l'OPECST et aux commissions du développement durable et des affaires économiques de donner un avis convergent de manière très forte.

La discussion de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte a confirmé que les compteurs communicants avaient un certain nombre d'avantages, notamment de permettre de gérer l'effacement de consommation électrique qui va aider à régler nos problèmes d'approvisionnement. Anne-Yvonne Le Dain a beaucoup travaillé sur ce sujet. Pour la première fois en 2016, la France a importé de l'électricité. Cela signifie que l'on a intérêt à faire des économies d'énergie. Ces compteurs vont nous y aider, à condition que le citoyen soit rassuré.

Le Pr Aurengo l'a rappelé : en médecine, en science, on est obligé de parler de probabilités, on ne peut pas dire que c'est certain. Le citoyen a du mal à accepter l'idée que ce n'est pas sûr, que le risque zéro n'existe pas ; lui entend le contraire, il traduit que le risque existe. C'est pourquoi on doit à la fois traiter le risque scientifiquement et objectivement, et traiter la perception du risque.

M. Gilles Brégant. - Au sujet des mesures de champ, l'ANFr propose un dispositif qui permet à tout un chacun, sous réserve d'un contreseing par un élu ou une association, de faire faire gratuitement des mesures de champ dans la gamme de fréquences du protocole 100 kilohertz à 6 gigahertz. Cela permet d'avoir une objectivation du champ dans son habitation, ou devant chez soi, sur la voie publique. L'ANFr effectue en moyenne 2 000 à 3 000 mesures par an dans ce cadre. Elles sont toutes répertoriées sur notre site web cartoradio.fr, qui publie l'implantation des antennes-relais, de tous les émetteurs importants, et aussi les mesures constatées. Cela permet aussi de voir quels sont les principaux contributeurs au champ.

L'ANFr souhaite faire évoluer son protocole. Le dispositif Linky travaille dans une bande de fréquences commençant à 35 kilohertz et notre protocole commence à 100 kilohertz. Nous allons faire évoluer notre protocole en dessous de 35 kiloherz pour que l'effet potentiel du compteur Linky soit visible dans ces mesures, que des laboratoires certifiés puissent effectivement faire des mesures à tout endroit, et que n'importe quelle entité puisse commander des mesures. Cela devrait mettre fin aux petites controverses évoquées par M. Le Ruz.

Je voudrais indiquer à M. Le Ruz qu'une mesure en ampère par mètre ou en microteslas ne change rien à la nature de la mesure. Nos instruments de mesure sont étalonnés en ampère par mètre, mais nous convertissons les résultats obtenus en microteslas pour des raisons de lisibilité par rapport aux textes, lesquels disent d'ailleurs que les deux unités sont possibles.

M. Le Ruz a également évoqué une controverse mettant en jeu un étiquetage. Il se trouve qu'une mesure avait été faite à Gap et que le journal local avait pris en photo les appareils de mesure. Comme ces appareils avaient été utilisés peu avant pour des mesures Cofrac, leur étiquette indiquait la limite Cofrac qui commence à 100 kilohertz. Évidemment, la sonde couvrait un spectre commençant beaucoup plus bas et nous avons fourni les documents techniques l'attestant.

M. Pierre Le Ruz. - Je suis désolé de vous contredire. Les sondes destinées à mesurer les champs électriques ne sont pas sphériques, mais iconiques. Et donc cette sonde n'était pas la bonne sonde. On m'a dit que c'était une erreur de journaliste.

M. Gilles Brégant. - Je retiens que pour M. Le Ruz, la communication est importante. Lui aussi a un rôle dans cette communication. À chaque fois qu'il évoque le problème, il crée une controverse qui remet la situation à zéro...

M. Pierre Le Ruz. - Ce n'est pas moi qui ai fait l'erreur ! Si vous ne l'aviez pas faite, il n'y aurait pas eu de buzz sur le net.

M. Gilles Brégant. - Il n'y a pas eu d'erreur. J'observe que nous touchons là à la question très actuelle des rumeurs propagées sur internet : les fake news sont à la mode. Les réseaux sociaux sont extrêmement actifs, ils diffusent beaucoup d'informations. Et ces informations portent en l'occurrence sur un environnement assez méconnu de nos concitoyens. Il n'y a pas de formation initiale qui permette de comprendre ce qu'est une onde électromagnétique. Nous en souffrons à l'ANFr. Les gens ne connaissent pas les ondes électromagnétiques. Ils ont peut-être vu des circuits RLC au lycée (circuits linéaires contenant une résistance électrique R, une bobine L et un condensateur C), mais ils n'ont pas bien compris comment cela fonctionnait. Pour quasiment tous les Français, ce domaine est assez hermétique. C'est un terrain laissé en friche par l'éducation. La formation se fait au coup par coup, par l'irruption de sujets tels que les antennes-relais ou le compteur Linky, et par des poussées de préoccupations concernant l'environnement électromagnétique.

J'invite les parlementaires et tous les gens qui nous écoutent à venir visiter l'ANFr. Dans une de nos démonstrations, nous balayons le spectre à l'aide d'analyseurs de spectre, et nous regardons ce qui crée du champ dans un environnement. C'est parfois contre-intuitif.

Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée, vice-présidente de l'OPECST. - Ces domaines touchent des aspects scientifiques qui utilisent un vocabulaire et des mesures qui ne sont pas toujours faciles à comprendre. Former les Français à la compréhension d'une unité comme l'ampère par mètre est inconcevable. Comment faire en sorte que les gens ne s'inquiètent pas ? Ne pas mentir est la seule solution. On ne doit pas être dans une logique de gourou qui consisterait à dire : « Circulez, y'a rien à voir » ou « Tout est problème, mais on va le résoudre... Je vous assure un service exceptionnel dont vous avez besoin et que vous me demandez ». Ce serait de l'injonction.

Les polémiques concernent des minorités mais nous devons les prendre en compte. Ils concernent des sujets techniques et donc il faut prouver, et le dire, afin que plus personne ne répande des énormités. La simplicité d'un message peut heurter des scientifiques ou des ingénieurs, mais un message simple présente l'avantage de passer. Le monde de la technologie a un vrai travail à faire sur sa présence médiatique pour qu'elle soit intéressante et intelligente.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je suis d'accord. Il n'y a pas que les compteurs qui doivent être intelligents.

Mme Frédérique Massat. - Entre la réalité des choses et leur perception, il y a parfois un gouffre. Parfois ce gouffre s'agrandit. Nous reconnaissons vos efforts importants de communication, y compris sur le terrain avec l'ensemble des élus. Mais vous l'avez dit, celui qui ne veut pas entendre n'entendra pas. Et parce que vous êtes juge et partie dans le déploiement, on vous mettra à charge une communication qui vous arrange.

On ne peut donc pas en rester au mode de communication actuel. Il a été proposé d'essayer de dépassionner le débat par l'objectivation d'une information sur la réalité des choses, par des acteurs indépendants. Je crois que ce serait le meilleur moyen de clore ce débat malsain, prémisse de blocages voire d'interdictions futurs. Vous en payez les pots cassés aujourd'hui.

Il faut aller plus loin dans la communication. J'entends bien que vous posez 17 000 compteurs par jour. L'opposition est marginale. Mais cette résistance à la marge fait beaucoup de bruit, ce qui a pour effet de décrédibiliser à la fois ENEDIS et tous les acteurs, autorités politiques ou organismes, qui sont en capacité de donner des avis éclairés et fiables sur le sujet. Un pas supplémentaire doit être fait en matière de communication, afin de disposer du recul nécessaire et de montrer à nos concitoyens, tous nos concitoyens, y compris ceux qui pourraient être de mauvaise foi, la réalité des choses.

Cette adaptation de la stratégie de communication ne peut pas impliquer seulement ENEDIS. Comment peuvent y être associés l'OPECST ou la commission des affaires économiques au Parlement, pour aller dans cette direction qui sera la seule façon de clore ce chapitre ?

La commission des affaires économiques a voté la loi sur la transition énergétique, elle est donc favorable à l'accompagnement de ce processus.

S'il apparaît d'autres dysfonctionnements au niveau du compteur, ce sera un autre débat. Il ne faut pas tout mélanger. Tout appareil dans une maison peut avoir des dysfonctionnements.

Aujourd'hui, de nombreux titres font la une des journaux : « L'arrivée du compteur inquiète les usagers dans certains départements. », « Les opposants à Linky se rassemblent. », « Linky n'a pas fini d'inquiéter... ». Vous essayez de répondre à ces interrogations et ces attaques. Il faut passer à une autre dimension.

Merci à vous tous. Ces débats permettent à nos concitoyens de remettre les choses à leur juste niveau.

M. Jean-Yves Le Déaut. - Je citerai, en conclusion, une phrase de Bertrand Russell, mathématicien, philosophe, prix Nobel de littérature, qui a dit : « La science n'a jamais tout à fait raison, mais elle a rarement tout à fait tort, et, en général, elle a plus de chance d'avoir raison que les théories non scientifiques. Il est donc rationnel de l'accepter à titre d'hypothèse. »

La séance est levée à 11 h 30