Mercredi 3 avril 2019

- Présidence de MM. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées -

La réunion est ouverte à 14 h 35.

Impacts du Brexit sur le secteur financier : audition de Mme Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la Banque de France

M. Jean Bizet, président. - Madame la Ministre, mes chers collègues, nous nous réunissons aujourd'hui pour évoquer les conséquences du Brexit sur le secteur financier avec Mme Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la Banque de France, que je remercie pour sa présence. Si l'incertitude flotte encore autour du Brexit, elle ne doit pas nous empêcher d'envisager la suite, notamment pour le secteur financier qui est le plus directement concerné.

C'est d'ailleurs ce que nous venons de faire lors du colloque sur l'impact du Brexit, intitulé « le jour d'après », colloque que notre groupe de suivi a organisé au Sénat le 20 mars dernier. Certains intervenants étaient très optimistes sur les opportunités ouvertes par le Brexit : Thierry Drilhon, Président de la Chambre de Commerce et d'Industrie franco-britannique, relevait que 269 établissements financiers et banques avaient choisi de quitter le Royaume-Uni pour s'installer dans d'autres pays européens, dont 41 à Paris. Arnaud de Bresson, Délégué général de Paris Europlace, relevait qu'en l'espace de trois ans, Paris avait pris la tête des annonces de relocalisation d'activités, notamment dans le domaine de la Banque de financement et d'investissement.

En effet, la perspective du retrait du Royaume-Uni modifie considérablement la configuration des marchés financiers européens. En dépit des relocalisations déjà amorcées, pensez-vous que la place financière de Londres maintiendra durablement son importance ? Comment la place de Paris peut-elle faire face à la concurrence des autres places financières européennes ?

Faute d'une relocalisation au sein de l'Union, condition indispensable au passeport européen, les acteurs financiers implantés seulement au Royaume-Uni verront leur accès aux pays de l'Union conditionné à des accords d'équivalence. Dans ce contexte, la gestion des relations avec les pays tiers et la surveillance des éventuels recours excessifs à des délégations d'activité ou des accords d'externalisation revêtent une importance stratégique pour l'Union européenne.

Or, sur ce point, les compromis récemment trouvés à Bruxelles sur la réforme du système européen de surveillance financière et celle du cadre d'activité des entreprises d'investissement ne sont pas rassurants. Comment empêcher un contournement des exigences européennes, d'autant que le fonctionnement de la surveillance financière semble devoir rester intergouvernemental? La commission des affaires européennes s'en inquiète et vient d'adopter un avis politique destiné à le faire savoir à la Commission européenne. Nous sommes très intéressés de connaître votre opinion sur ces différents points.

M. Christian Cambon, président. - Nos réunions vont moins vite que l'actualité ! L'incertitude prédomine et demeure une mauvaise conseillère pour les investissements et la stabilité économique. Le Brexit représente déjà une perte de mille milliards de Livres Sterling pour la City. L'attitude même du Parlement britannique est surprenante ! Le paysage financier européen va être bouleversé, comme l'a rappelé Jean Bizet. Notre commission, qui suit surtout les impacts du Brexit sur la défense et la sécurité de l'Europe, s'intéresse aussi aux futurs équilibres entre places financières européennes et aux risques éventuels d'instabilité. Nous sommes très heureux que vous puissiez nous éclairer sur ces sujets.

Mme Sylvie Goulard, sous-gouverneure de la Banque de France.- L'ancienne parlementaire que je suis ne peut que rendre hommage au travail effectué par les assemblées, et notamment à celui accompli par votre groupe de suivi du Brexit.

Le calendrier est bouleversé, en raison du délai supplémentaire accordé aux autorités britanniques. D'ailleurs, cette audition devait initialement se dérouler après le Brexit !

En effet, l'incertitude n'est bonne ni pour les personnes, ni pour les peuples, ni pour les entreprises. Le calendrier est lui-même incertain, puisqu'il n'était pas au départ prévu que l'arrivée à échéance de l'article 50 coïncide avec les élections européennes.

La position des 27 est inchangée. Elle vise à favoriser le règlement ordonné de cette séparation et à éviter les interruptions brutales de contrats, comme en disposait la combinaison de l'accord de retrait et de la déclaration sur la relation future.

La Banque de France n'étant pas en charge des questions politiques, je vais consacrer mon propos aux conséquences de l'accord sur les services financiers.

Si l'accord entrait en vigueur le 12 avril prochain, nous éviterions une interruption brutale. Les Britanniques perdraient alors le bénéfice du passeport européen et seraient considérés comme ressortissants d'un pays tiers à l'instar des États-Unis, qui ont passé des accords bilatéraux avec l'Union. La difficulté est de se garder de tout catastrophisme et d'identifier les réels enjeux. À titre très provisoire, le régime antérieur serait prolongé. En outre, sur la base de la déclaration future, dont le contenu demeure très vague, des échanges entre superviseurs devraient être organisés. Tel est le scénario le plus simple.

Si le scénario du « No Deal », qui incombe, en dernier ressort, aux Britanniques, venait à se confirmer, certaines décisions relatives au marché unique des services financiers relèveraient de la Commission européenne. Celle-ci, à la fin de l'année, a d'ailleurs indiqué qu'elle prendrait ses responsabilités, notamment sur le secteur des chambres de compensation qui gèrent des centaines de milliards de contrats dérivés. Sur la base du règlement « European Market Infrastructure Regulation » (EMIR), une équivalence d'une durée d'un an serait délivrée. Celle-ci, à l'inverse du passeport, relève d'une décision unilatérale de la Commission européenne qui peut toujours la retirer. Le jour où le Royaume-Uni sortira, il sera en mesure de modifier les règles financières qui s'appliquent sur son territoire.

Il faut également distinguer entre les dérivés compensés de manière centralisée et ceux, compensés de gré à gré, pour lesquels la Commission ne dispose pas des mêmes pouvoirs. Alors que la Banque centrale d'Angleterre considère le devenir de ceux-ci comme périlleux, il faut faire preuve de prudence, faute d'une attitude prévisible des marchés qui sont jusqu'à présent demeurés dans un déni de réalité. Les éventuelles turbulences ne sont pas encore prises en compte dans les prix de ces contrats.

Les analyses conduites par les autres banques centrales laissent entendre que le type de contrat concerné ne devrait pas poser de problème systémique. En outre, la Banque centrale européenne et la Banque d'Angleterre sont convenues de coopérer, en cas de manque de liquidités. Les analyses conduites au niveau de la City peuvent néanmoins présenter certaines divergences, pour des motifs parfois techniques qu'il convient de garder à l'esprit.

Pour les dépositaires, l'équivalence a été accordée pour une durée de deux ans. On observe une montée en puissance des entités situées dans la zone euro. Pour le moment, la compensation sur les produits dérivés se fait massivement à Londres. Cependant, certaines chambres de compensation, comme l'EUREX basée à Francfort, montent actuellement en puissance et semblent en mesure de prendre le relais de leurs homologues britanniques.

Outre la législation européenne, d'autres dispositifs ont été mis en place au niveau national, que ce soit par ordonnance sur le secteur des assurances, ou encore, via le « Minimum Requirement for own funds and Eligible Liabilities » (MREL), pour les liquidités prévues dans le bilan des banques en cas de faillite ordonnée. L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a rendu des décisions d'agréments relatives aux établissements qui se sont déplacés. La Banque de France a d'ailleurs vérifié si, au-delà de l'installation d'une société sur le territoire national, les équipes et le capital commençaient à arriver. Dans l'incertitude actuelle, de nombreuses sociétés se sont réservé des options. Cependant, on observe que certaines entités, britanniques ou installées à Londres, ont déjà débuté le transfert de capital. Parmi toutes ces entreprises, certaines ont également engagé des sommes considérables pour leur délocalisation. Les chiffres, établis notamment par le cabinet Ernst & Young, démontrent que Dublin, Francfort et enfin Paris et Luxembourg bénéficient de ces délocalisations. Il est certain que la présence antérieure de certaines activités, comme le « Money-Market Fund », ainsi que la proximité linguistique et culturelle avec les États-Unis et le Royaume-Uni ont joué en faveur de la capitale irlandaise.

Il faut distinguer entre les risques systémiques - en cas de problème affectant les chambres de compensation - et les questions qui concernent les consommateurs, comme les contrats d'assurance, et ne mettent pas en péril le système économique. La Banque de France n'a pas vocation à interférer avec les entreprises ou les consommateurs. Il ne faut pas non plus confondre les atteintes à la stabilité et les surcoûts éventuels, comme ont pu le faire certains industriels implantés à Londres, dans la perspective d'une éventuelle négociation. 

Il ne faut pas sous-estimer le rôle de la City, dont la taille était l'un des atouts de l'Union européenne, et les conséquences du choc qu'elle subit.

A ce stade, le marché ne croit pas à l'hypothèse d'une sortie sèche du Royaume-Uni. Mario Draghi et François Villeroy de Galhau ont d'ailleurs publiquement alerté l'opinion, sans pour autant effrayer en vain, sur les risques qu'elle induirait. Nous sommes quelque peu dans les prolongations d'un match de football où la tension monte sans que le résultat définitif ne soit connu. Peut-être que le Brexit ne se produira pas, pensent certains ! Dans l'histoire européenne pourtant, l'opinion publique a parfois sous-estimé la possibilité de certaines catastrophes qui se sont bel et bien produites en définitive. Il faut donc être vigilant.

La Banque d'Angleterre estime que le produit intérieur brut britannique devrait connaître une perte allant de 3 à 8 % d'ici à 2023. Cette baisse serait plus importante encore que celle occasionnée par la crise financière de 2008, sans parler des retombées sur l'économie des autres États-membres limitrophes, comme la France, la Belgique et l'Irlande !

Attention à ne pas mélanger le flux et le stock des contrats, puisque le jour du Brexit, certains contrats seront en cours d'application ! La remise en cause de la facilité du passeport induira l'absence de nouveaux contrats. Assez rapidement toutefois, le stock de contrats devrait décroître. Il faudra donc alerter les consommateurs sur ce point.

Le devenir des données des systèmes financiers est lui aussi incertain. Si la Banque de France n'est pas, au premier chef, concernée, l'utilisation de ces données relève de l'application du règlement général sur la protection des données (RGPD) et entre dans le champ de compétences de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Jusqu'à présent, toutes les données du marché intérieur figuraient parmi les Big Data, sans que ne soit introduite de différence selon les nationalités.

Sur la situation des citoyens et des salariés, qu'une sortie sèche affecterait, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de maintenir les contrats en cours pour les ressortissants britanniques.

Pour les sociétés dites « boîtes aux lettres », l'ACPR veille à la réalité de l'exploitation derrière l'immatriculation. Des contrôles se feront progressivement.

En conclusion, il ne faut pas jouer avec la déconstruction des institutions. L'Union européenne, prévue pour être sans cesse plus étroite, a séduit les investisseurs notamment extra-communautaires qui croyaient à la stabilité assurée par les traités. L'incertitude est toujours nuisible à la croissance. Il n'y a pas là de quoi se réjouir ! Aucun de nos pays, ni la France, ni l'Allemagne, ne recréera la City de Londres, qui représente un biotope très particulier, héritage d'une histoire politique et économique, d'une tradition juridique et d'un savoir-faire spécifiques. Il ne faut pas pour autant le déplorer ; des éléments de stabilité demeurent. Mettre fin à la concentration extrême de certains métiers peut conduire à rééquilibrer le système financier.

La stratégie qu'entend suivre la Banque de France vise à défendre, avec ses partenaires, le cadre à l'intérieur duquel le business peut s'effectuer. Il faut ainsi bien distinguer le rôle des institutions de celui des acteurs de la concurrence légitime que sont les entreprises. Enfin, les Britanniques savent ce qu'ils veulent. Jean Monnet, dans ses Mémoires, relevait déjà le souhait des Britanniques de partager une aventure transnationale, sans pour autant être liés par cette dimension transnationale. Historiquement, un anglophile comme Jean Monnet, tout comme le Général de Gaulle, en janvier 1963, avait déjà anticipé cette position britannique. Pour leur part, les 27, qui défendent un marché unique, avec une cour de justice, c'est-à-dire des institutions régies par le droit, entendent préserver le socle d'une prospérité partagée patiemment construit durant des décennies. Ce projet s'inscrit d'ailleurs à l'inverse de ce que promouvait, dans l'hémicycle même du Parlement européen, M. Nigel Farage, dont la situation actuelle ne peut guère impressionner.

Les solutions trouvées doivent permettre d'amortir un choc, si celui-ci devait survenir. Il faut trouver des solutions idoines, sans remettre en cause les principes de la construction européenne. L'intérêt de la France est de veiller au bon fonctionnement du système européen.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. - Le niveau d'incertitude du Brexit me rappelle celui qui prévalait dans la perspective du Bug de l'An 2000. J'aurai plusieurs questions. D'une part, pensez-vous que les entreprises du secteur financier sont prêtes ? Et leurs clients ? D'autre part, Paris serait en troisième position comme place de relocalisation. Sur la compétition entre les différentes places, j'ai rencontré, dans le cadre des travaux de la commission des finances, différents acteurs et fait plusieurs propositions. Ainsi, nous avons supprimé la dernière tranche sur les salaires qui pesait, à 90 %, sur l'industrie financière. Ces avancées nous ont rapprochés de la place de Francfort. Néanmoins, au-delà de motifs linguistiques et culturels, l'instabilité fiscale et le niveau de charges plus élevé sur les plus hauts salaires ont-ils dissuadé un certain nombre d'acteurs de se relocaliser en France qui dispose pourtant d'un régulateur unique et où la qualité de la vie est reconnue dans le monde entier, malgré la dégradation de l'image de Paris depuis la crise des gilets jaunes ? D'ailleurs, les récents atermoiements sur la baisse de l'impôt sur les sociétés et les modifications incessantes de la législation fiscale, notamment pour l'immobilier, où chaque ministre entend pousser sa propre réforme, alimentent l'appréhension que suscite la France auprès des investisseurs internationaux. Comment, selon vous, renforcer l'attractivité de la place de Paris ?

M. Pascal Allizard. - Disposez-vous d'estimations quant aux conséquences de la baisse attendue du PIB britannique sur le PIB national ? Par ailleurs, le Baillage de Jersey bénéficiait d'une certaine protection du Royaume-Uni pour sa place financière. Quelles seront les relations entre ce territoire, où de très importants volumes financiers sont traités, et l'Union européenne ?

M. Olivier Cadic. - Jean Monnet, dans ses Mémoires, évoquait déjà le pessimisme de l'Ambassadeur du Royaume-Uni à Paris lors des négociations portant sur la Communauté européenne du charbon et de l'acier, analogue aux pronostics ultérieurs de ses successeurs sur la viabilité de l'euro. En tant qu'entrepreneur implanté au Royaume-Uni, il me semble difficile de me préparer au Brexit. En effet, comment se préparer à ce qu'on ne peut définir ? On peut toujours se préparer au pire, mais le Brexit représente un grand saut vers l'inconnu. Le cercle d'Outre-Manche a conduit un sondage auprès des entrepreneurs français au Royaume-Uni. Depuis le référendum, 42 % de ces derniers constatent un net ralentissement de leurs activités et sont prêts à délocaliser leurs activités, tandis que 38 % ont diminué leurs investissements au Royaume-Uni. L'an dernier, les investissements directs étrangers au Royaume-Uni ont d'ailleurs été les plus bas depuis dix ans. Il faut ainsi imaginer l'inimaginable. Quelle devrait être l'évolution du niveau de la Livre Sterling ? Va-t-elle baisser en-deçà d'un euro, ce qui aurait alors des répercussions catastrophiques pour nos exportations ? Quelles analyses sur cette question la Banque de France a-t-elle conduites ?

M. Christian Cambon, président. - En creux de cette malheureuse affaire, les États européens ont fait preuve de solidarité. Le ressentez-vous, au gré de vos relations auprès des institutions économiques et financières ? Cette solidarité vous paraît-elle de nature à durer ? On se souvient, juste après le référendum, des réticences des Pays-Bas à faire bloc avec les autres États-membres. La négociation à laquelle le Brexit a donné lieu a-t-elle, en définitive, resserré les liens économiques et monétaires au sein de l'Union européenne ? Alors que le Gouverneur de la Banque de France vient d'appeler au renforcement de l'euro, quel sentiment avez-vous quant à la pérennité de cette solidarité européenne ?

M. Jean Bizet, président. - L'avis politique de la commission des affaires européennes mettait l'accent sur le devenir des accords d'externalisation que pouvait mettre en oeuvre la Grande-Bretagne dans le cadre de la réforme du système européen de surveillance. Les Britanniques ne risquent-ils pas de contourner les clés de sécurité, comme le passeport financier ?

Mme Sylvie Goulard. - Il est effectivement difficile de savoir à quelle échéance se préparer. Les entreprises du secteur financier, avec lesquelles la Banque de France est en contact, tendent à prendre des précautions, en disposant notamment d'un agrément et en créant des entités dans lesquelles elles se réservent la liberté d'envoyer du personnel, en fonction des réactions de leurs clients. A l'inverse du secteur des biens, la finance est immatérielle et il est aisé de transférer, par informatique, des opérations d'une place à une autre. Sur les dérivés, qui impliquent des entreprises réelles, la chambre de compensation EUREX est passée de 3 % à 13 % de part de marché sur les swaps de taux eurodollars en deux ans. Jusqu'à présent, les clients, comme Air France, traitaient à Londres, puisque le marché dérivé pour l'achat du kérosène s'y trouvait. Une telle situation est distincte de celle d'autres entreprises industrielles, comme Airbus qui doit se procurer des pièces détachées. Il faudrait ainsi interroger directement les entreprises de l'économie réelle sur leur préparation au Brexit.

Sur la place de Paris, le dernier rapport trimestriel intitulé Financial services Brexit Tracker publié par le cabinet Ernst & Young indique que 63 % des banques universelles, d'investissement et courtiers déclarent avoir déjà relocalisé ou considérer relocaliser des opérations ; ce ratio s'élevant à 75 % s'agissant des très gros établissements. 23 entreprises financières ont également annoncé avoir transféré des actifs pour 1 200 milliards d'euros et 7 000 personnels avec leur famille, appartenant à 39 entreprises, devraient être relocalisés, soit 30 % d'établissements supplémentaires par rapport au trimestre précédent. Dublin concentre près de 28 % des relocalisations totales, suivie de Francfort 21 %, Luxembourg 19 % et Paris 18 %. D'après une autre étude, qui étudie les conséquences du Brexit par matières, les gestionnaires d'actifs financiers (Assets managers) tendent à se relocaliser à Dublin, principalement pour des raisons fiscales, même si Paris accueille également des établissements de cette nature. Les banques universelles et les banques d'investissement se relocalisent essentiellement à Francfort, à hauteur de 46 %, suivie par Paris, à hauteur de 19 %, et Dublin, pour 17 % d'entre elles. Les compagnies d'assurances se relocalisent quant à elles essentiellement à Dublin, à hauteur de 41%, suivies par Luxembourg et Paris, pour 12%. Dans les relocalisations, certaines entreprises installent un hub, destiné à devenir le centre de leur positionnement, et des relocalisations à l'intérieur de la zone euro. Dès lors, si Francfort est en tête pour l'installation de ces hubs, Paris peut très bien en accueillir les équipes, en raison de l'existence du grand marché intérieur. Comme quoi, la bonne échelle de raisonnement sur ces relocalisations reste la zone euro et le marché intérieur ; des activités en Allemagne peuvent générer des activités secondaires en France, du fait de leur dématérialisation.

Cependant, l'impact des images des gilets jaunes est regrettable. Le monde entier a vu les Champs-Élysées et l'Arc de triomphe vandalisés ! En outre, la France n'a pas la réputation d'un pays traditionnellement favorable à la finance.

Lorsqu'on veut créer les conditions de l'attractivité, il faut se garder de gestes spectaculaires ! La complexité du droit du travail rend malaisée l'installation de nouvelles sociétés. Il est paradoxal qu'après avoir critiqué la dérégulation au Royaume-Uni, certains de nos compatriotes préconisent de s'y adonner sans retenue. Restons nous-mêmes et soyons conscients que l'attractivité d'un territoire relève d'un ensemble de facteurs qui ne sont pas toujours rationnels !

Chaque pays tente de valoriser ses atouts. En Allemagne, la structure fédérale peut aussi être tenue comme un obstacle ; pour preuve, l'échec du projet de fusion entre la Deutsche Boerse et le London Stock Exchange, en juin 2016, du fait de sa gestion par le Land de Hesse.

Sur l'impact du Brexit sur la croissance, les calculs de la Banque d'Angleterre, qui font état d'une baisse de 3 à 8 % du PIB, doivent être relativisés, à l'instar de l'impact estimé du référendum, finalement démenti par l'évolution de l'économie britannique, si l'on met à part la baisse momentanée de 15 % de la Livre Sterling. Désormais, la situation me semble plus grave, du fait du changement de situation imminent que le référendum ne faisait que préjuger. Chiffrer les conséquences, pour la France, sur la base d'une fourchette aussi large d'anticipations me paraît une démarche hasardeuse, d'autant plus que des décisions d'entreprises induiront, elles aussi, des conséquences. Ainsi, Airbus, qui fabrique toutes ses ailes au Royaume-Uni, avait laissé entendre une possible relocalisation. Il est, en revanche, certain que le Brexit aura un impact négatif sur nos exportations, même si celui-ci dépendra directement de la décision britannique d'imposer, ou non, un tarif douanier. Il faut donc demeurer prudent sur cette question de l'impact.

Concernant Jersey, les députés européens britanniques veillaient à la défense des intérêts des pays tiers et de leurs fonds. Lors de l'examen de la directive sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs (AIFMD), les fonds des pays tiers, souvent des anciens dominions britanniques ou des îles anglo-normandes, avaient déployé un lobbying virulent que relayaient les députés du Royaume-Uni.

Il est également hasardeux de proposer des scénarios sur l'évolution de la Livre Sterling. La perte de valeur, suite au référendum, a été réelle pour les particuliers. L'instabilité monétaire n'est pas bonne et, même si un décrochage peut donner un avantage de compétitivité à court terme, seuls les changements structurels renforcent durablement la compétitivité des économies,toute baisse de la valeur de la monnaie nationale induisant des difficultés beaucoup plus profondes.

La solidarité des 27 a été une réalité. Le travail, en ce sens, accompli par Michel Barnier et ses équipes a été reconnu dans toute l'Union européenne. Il s'agissait de défendre ce que nous avions en commun et qui est le socle de notre prospérité : cet ordre juridique avec la Cour à son sommet, ce marché intérieur régulé, ces institutions fonctionnant dans l'intérêt général et assurant la cohésion d'un ensemble d'États-membres hétérogènes. C'est tout le mérite des négociateurs. D'ailleurs, Theresa May n'évoque pas la remise en cause de l'accord de retrait, mais plutôt un rapprochement avec M. Jeremy Corbyn, pour esquisser les bases de la future relation de son pays avec l'Union européenne ; ce qui tend à démontrer la solidarité sans faille des États-membres. Cependant, celle-ci pourrait être mise à l'épreuve lors des derniers moments de la négociation qui s'annoncent éprouvants.

S'agissant des Pays-Bas, la journaliste Caroline de Gruyter, a noté un changement de mentalités dans son pays depuis le Brexit : alors que ce pays considérait l'éloignement du Royaume-Uni comme une perte pour son propre camp, son opinion publique semble avoir évolué en faveur de la cohésion européenne. Sans doute, le rôle du Port de Rotterdam, comme l'une des principales portes d'entrée des importations du nord de l'Europe, a motivé cette évolution en faveur de la défense du marché intérieur. Ce revirement est probablement déchirant, étant donné l'intensité des liens de la Hollande avec le Royaume-Uni.

Il serait ainsi temps de se projeter vers la relation future avec ce pays et de trouver des solutions communes.

Au sujet du contournement du passeport, tout superviseur est confronté à la créativité des agents économiques. Il faudra être vigilant. La Commission européenne est très consciente de son rôle et la Banque centrale européenne dispose du verrou de la liquidité. In fine, sur les marchés financiers, il faut s'assurer de l'existence d'un prêteur de dernier ressort. Il faut avoir raisonnablement confiance dans le marché intérieur et la zone euro que nous avons construits, tout en demeurant vigilants quant aux éventuelles tentatives de contournement. Néanmoins, il me semble qu'un certain nombre d'acteurs économiques, que j'ai pu directement sonder, sont en train de tourner la page. La logique des acteurs financiers n'est donc pas uniquement celle du contournement depuis Londres.

M. Jean Bizet, président. - Merci de la qualité et de l'exhaustivité de vos réponses. Au-delà de l'unité des 27, l'Union européenne semble avoir pris conscience de sa puissance. L'Europe sort de sa naïveté, comme en témoigne le filtrage des investissements directs étrangers. Le Groupe de suivi que nous présidons avec Christian Cambon va, lui aussi, tenter de dépasser l'épisode du Brexit, qui dure depuis trois ans, pour travailler sur la refondation de l'Union européenne.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions diverses

M. Jean Bizet, président. - Enfin, nous avons établi le compte rendu du colloque organisé par le groupe Brexit le mercredi 20 mars 2019. Je vous propose d'en publier les actes sous forme d'un rapport d'information.

Le groupe de suivi autorise, à l'unanimité, la publication de ce rapport d'information.

La réunion est close à 15 h 30.