Lundi 22 juin 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La téléconférence est ouverte à 15 heures

Table ronde des universités (en téléconférence)

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos auditions avec une table ronde consacrée aux Universités. Il nous semblait également important de convier M. Benjamin Marteau, directeur de la société PIX, certification dont nous avons beaucoup entendu parler lors de nos auditions. Je tiens d'ailleurs à remercier Mme Nominé pour cette suggestion.

Mesdames, Messieurs, lors de nos auditions, il nous a été indiqué que les jeunes pouvaient avoir des difficultés à utiliser des outils numériques dans un cadre autre que récréatif. Constatez-vous de telles difficultés, par exemple pour des démarches administratives ? Vos universités respectives ont-elles pris des mesures pour accompagner les étudiants en souffrance numérique ? Proposent-elles des formations ou ateliers pour aider les étudiants à améliorer leurs compétences numériques pour une meilleure insertion professionnelle ? Qu'a durablement changé la crise du Covid-19 ? Il est notamment évoqué une hypothèse de rentrée hybride, avec une partie des cours se poursuivant en distanciel. Avez-vous prévu un accompagnement des élèves pour vous assurer qu'aucun ne décrochera en raison de ce nouveau mode d'enseignement ?

Monsieur Marteau, nous avons beaucoup entendu parler de PIX. Pouvez-vous nous en dire plus de cette simplification ? Quelles sont les compétences certifiées par PIX ? Est-elle aujourd'hui opérationnelle ? Comment obtenir la certification ? En quoi ce projet diffère-t-il des certifications précédentes ? Je vous propose de prendre la parole en premier.

M. Benjamin Marteau, directeur du groupement d'intérêt public PIX. -Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, un grand merci pour votre invitation. Le projet, lancé en 2016, est parti d'un triple constat. D'abord, le numérique est toujours plus indispensable dans les grandes activités de la vie de tout un chacun, qu'elle soit personnelle, familiale, citoyenne, associative ou professionnelle. Ensuite, le numérique peut à la fois être un remède et un poison. Ainsi, il peut aussi bien être utile au renforcement du lien social et à l'inclusion sociale que se faire source de fragmentation de la société. Trois inégalités à haut risque sont identifiées de ce point de vue : l'accès au réseau, l'accès aux équipements et la question des compétences. Ce point concerne plus directement PIX. Enfin, le numérique est en évolution permanente. Il s'agit d'un défi, lorsque l'objectif est d'accompagner l'effort de formation. En l'occurrence, nous avons besoin de repères partagés et évolutifs entre l'enseignement scolaire, l'enseignement supérieur, la médiation numérique et le monde professionnel.

Une mission a ainsi été confiée à PIX, consistant à cultiver les compétences numériques et aider les Français à le faire en leur fournissant des repères, pour eux-mêmes ou pour les personnes qu'ils accompagnent. Je vous invite à mettre le site internet pix.fr à l'épreuve.

PIX remplit trois fonctions : l'évaluation, la certification et la contribution au développement des compétences numériques. PIX est une plateforme en ligne, développée en logiciel libre. Elle s'adresse à tout un chacun. Le service a été initié mi-2016, dans le cadre du dispositif de start-up d'État, porté par la Direction interministérielle du numérique (Dinum), qui s'est constituée en groupement d'intérêt public depuis 2017 à l'initiative des ministères éducatifs avec la participation active du Centre national d'enseignement à distance (Cned), de l'Université ouverte des Humanités et du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

S'agissant de la fonction de mesure des compétences numériques, un compte gratuit sur PIX permet de se soumettre à des épreuves testant savoir-faire, connaissances et capacité à identifier les enjeux du numérique, dans une logique ludique de résolution de problèmes et de défis. Dans la mesure où cette mission est universelle, un algorithme de test adaptatif, lui-même en logiciel libre, a été développé. Quel que soit le niveau de l'utilisateur, il est en situation de réussir deux épreuves sur trois. Les compétences évaluées sont adossées à un cadre français, le cadre de référence des compétences numériques, porté par des arrêtés publiés le 30 août 2019, avec pour source le cadre de référence des compétences digitales européennes.

Le référentiel de compétences comporte cinq grands domaines : informations et données, compétences en matière de communication et de collaboration, compétences en matière de création de contenu (dont la bureautique), protection/sécurité et environnement numérique. Les questions posées peuvent être les suivantes : quelle est l'année de naissance de l'archéologue Ernst Curtius ? A quelle date, quelle heure et avec quel modèle d'appareil photo a été prise cette photo ?

Le deuxième service rendu par PIX concerne le développement de compétences. Celui-ci repose sur trois leviers : apprentissage de nouvelles techniques, recommandations ciblées de formation (tutoriels, fabriqués par des universités ou d'autres acteurs), PIX Orga, une application à destination des équipes pédagogiques, dont le but est de lancer des campagnes d'évaluation ciblées pour faciliter le travail des enseignants.

Enfin, la valorisation des compétences numériques passe par la certification. PIX délivre ainsi un certificat officiel qui remplace le B2I, le C2I et le passeport Internet et multimédia dans le secteur de la médiation numérique.

Depuis mi-juin 2016, une version beta a été réalisée et publiée en novembre 2016. Aujourd'hui, près d'un million de comptes ont été créés et plus de 82 millions d'épreuves unitaires ont été passées. Plus de 79 000 certifications ont été délivrées. Plus de 50 universités utilisent PIX, pour des campagnes d'évaluation non certifiantes ou pour des certifications. Dans l'enseignement scolaire, nous sommes en cours de généralisation de la partie certifiante. Cette généralisation trouvera son terme à la fin de l'année prochaine. Une certification PIX sera proposée obligatoirement pour tous les élèves de 3e et de terminale, de CAP, de BTS et de classes préparatoires aux grandes écoles. Pendant le confinement, nous avons observé une accélération des usages. En effet, PIX est utile pour l'acquisition des compétences numériques nécessaires à l'enseignement à distance. Nous avons gagné 137 000 élèves depuis le 11 mars. 50 % des collèges et lycées français disposent aujourd'hui d'un compte PIX Orga. En lien avec le ministère, nous avons un chantier très important en cours sur l'accompagnement des publics enseignants. Nous travaillons par ailleurs étroitement avec le ministère du travail, dans le cadre du plan d'investissement dans les compétences au bénéfice des demandeurs d'emploi, ainsi qu'avec l'Agence nationale de sécurité et des systèmes d'information (ANSSI) ou encore l'Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), la ville de Paris, la Gendarmerie nationale, etc., pour lesquels nous déployons des tests.

Mme Brigitte Nominé, présidente de l'association VP NUM et vice-présidente Stratégie numérique de l'Université de Lorraine. - Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, merci de cette invitation. L'Université de Lorraine est répartie sur deux métropoles, Metz et Nancy, et présente sur 10 villes du territoire lorrain. Nous avons 60 000 étudiants, répartis dans 11 écoles d'ingénieurs et 24 facultés. La problématique de la formation aux dispositifs numériques et à la culture numérique est bien entendu appréhendée par l'université, qui propose un module de compétences transversales par lequel l'étudiant est formé au soutien numérique, à travers 30 à 40 heures de cours. En troisième année, il est invité à passer les certifications proposées par PIX. La stabilisation et la généralisation de cette plateforme, ainsi que sa reconnaissance par les entreprises, constituent dès lors de véritables enjeux. Cette certification aura plus encore de valeur lorsque les entreprises demanderont un certain niveau de certification.

En ce qui concerne la fracture numérique, l'Université a basculé, à la veille du confinement, dans un format distanciel, avec la préoccupation de ne pas laisser une partie de ses étudiants dans l'incapacité de suivre les cours ou passer les examens. Un recensement a dès lors été effectué, et 3 % des étudiants se sont trouvés en difficulté numérique, soit parce qu'ils ne possèdent pas d'ordinateur, soit parce qu'ils disposent d'une connexion de mauvaise qualité, voire pas du tout. Nous avons tenté de remédier à la difficulté matérielle en accordant des prêts et en organisant 500 dons d'ordinateurs mis à la disposition des étudiants. 600 forfaits internet ont en outre été achetés et transmis aux étudiants pour leur permettre de suivre les cours de façon satisfaisante. Cette situation a pour nous été inédite ; habituellement, l'Université apporte l'accès internet à travers sa connexion wifi, sans difficulté, ou via des salles informatiques. Nous avons ainsi dû faire face à une situation imprévue, et l'identification de ces étudiants puis la livraison des ordinateurs se sont avérées être des tâches complexes.

Une enquête a en outre été diffusée auprès des universités. 42 y ont répondu. Globalement, 3 à 4 % d'étudiants se sont dits en difficulté. La qualité de la connexion internet est en tête des facteurs. Certains doivent utiliser leur forfait smartphone pour accéder à internet. La question des connexions de médiocre qualité relève de l'aménagement du territoire, via le déploiement de la fibre. S'agissant du forfait internet, l'objectif est d'inviter les opérateurs à offrir aux étudiants en difficulté un forfait à très bas coût proposant des connexions satisfaisantes. Sur notre territoire, la couverture est plus ou moins dense, et nous ne pouvons privilégier un opérateur. Tous doivent donc être en mesure de proposer cette offre de service.

Mme Isabelle Olivier, vice-présidente Numérique et Innovations pédagogiques de l'Université de Grenoble-Alpes. - Je suis vice-présidente numérique de l'Université Grenoble-Alpes, un établissement public expérimental créé en janvier 2020. L'UGA est composé de 60 000 étudiants et 7 500 personnels, dont 550 enseignants et chercheurs et 2 000 personnels administratifs. A Grenoble, nous avons identifié plusieurs types d'inclusions : pour le numérique et par le numérique. Cette notion fait écho à celle d'accessibilité numérique. Nous avons mené des actions d'inclusion pour accéder aux formations au numérique. Ces actions désignatives sont menées en particulier pour inciter les lycéennes à suivre des études dans le domaine du numérique, dans l'objectif de féminiser ces métiers. Nous avons également mené des actions pour permettre à tous d'accéder à l'usage du numérique, en déployant notamment PIX, qui a été généralisé à la rentrée scolaire 2019 et qui permet, en sus de l'acquisition de compétences numériques, le développement de compétences liées à l'usage et la maîtrise de l'information acquise via le numérique. L'an dernier, 150 sessions PIX ont été organisées, qui ont donné lieu à 700 certifications environ.

Concernant la question de l'inclusion de personnes grâce au numérique, des actions ont été menées en direction d'étudiants et de personnels en situation de handicap, sportifs et actifs de haut niveau et à distance, notamment dans les territoires éloignés de notre académie. Dans le domaine de la fracture numérique, lorsque nos étudiants sont sur nos campus, la fracture numérique, qui est une de nos priorités depuis de nombreuses années, est relativement bien maîtrisée. Nous avons ainsi une centaine de salles d'accès libre, proposant environ 1 500 postes informatiques à disposition des étudiants sans équipement informatique. La connexion wifi couvre quant à elle l'ensemble de nos campus. Ces deux dernières années, nous avons travaillé sur une extension du service Eduroam dans la ville. Ce projet a abouti en décembre 2019.

Pendant le confinement, nos étudiants ont été confrontés à une nouvelle forme de fracture numérique : celle de notre territoire académique, puisque plus de 50 % d'entre eux sont retournés se confiner chez leurs parents. En sus des outils numériques ou de la connexion, nous avons dû faire face aux zones blanches. Nous sommes en difficulté pour trouver des solutions vis-à-vis de ces aspects. Nous avons néanmoins mené un certain nombre d'actions afin d'équiper les étudiants en leur envoyant des clés 4G pour pallier cette rupture de connexion. Nous avons également développé un partenariat avec un cluster, Digital League, qui est composé de 500 PME dans le domaine du numérique. Ce partenariat perdurera par la suite.

Enfin, en ce qui concerne l'hybridation des formations, nous proposons depuis plusieurs années des programmes d'enseignement hybrides. La dématérialisation des formations, si elle est souhaitée par les équipes pédagogiques, peut donc être conduite via des plateformes numériques déjà en place et l'accompagnement des enseignants, qui le relaient vers les étudiants.

M. Younès Bennani, vice-président Transformation numérique de l'Université Sorbonne Paris Nord. - Nous vivons aujourd'hui une révolution de compétences qui représente une réelle opportunité, en particulier pour un département comme la Seine-Saint-Denis, où se situe l'Université Sorbonne Paris Nord. Dans ce département, plus de 7 jeunes sur 10 voient leur avenir dans le numérique, 10 % de plus que la moyenne nationale. Durant la crise sanitaire, nous avons souvent parlé de la fracture numérique, qui touche toutes les populations mais ne se limite pas au matériel, à la connexion ou à l'alimentation en électricité. Elle touche aussi les compétences nécessaires pour utiliser le numérique.

Dans ce contexte, notre université a pour objectif de doter son territoire, qui dispose d'atouts majeurs, d'une grande infrastructure scientifique autour du numérique. Il s'agit d'un pôle d'excellence dédié au numérique, combinant recherche, formation et innovation. Cette approche s'est concrétisée par plusieurs actions, dont la création, en 2016, de la première maison des sciences numériques (MSN). Il s'agit d'un tiers lieu d'innovation qui a pour mission de développer une vision interdisciplinaire du numérique dans un espace mixte entre apprenants, enseignants-chercheurs et entreprise. Ce type de structure doit faciliter le passage de l'innovation au marché. La MSN est structurée autour d'équipes projets thématiques (santé et numérique, art numérique, intelligence artificielle, cybersécurité, science des données, pédagogie et numérique). La MSN propose des services de deux types : formation et conseil. Les formations visent à répondre à des besoins spécifiques en sciences numériques. Elles sont courtes et non diplômantes. Il s'agit en outre d'accompagner les entreprises de toute taille dans leurs projets d'innovation en sciences numériques et développer ainsi une ingénierie de connaissances.

La crise sanitaire s'est révélé être le meilleur accélérateur de la transformation numérique. Elle a révélé les limites techniques et fonctionnelles de l'Université, pour l'enseignement massif et son évaluation à distance. Elle a démontré la nécessité de la transformation numérique et nous a conduits à repenser et changer nos pratiques. Malheureusement, les enseignants n'étaient pas tous préparés pour ce passage brutal. Un cours en distanciel, en effet, pose des problèmes pédagogiques, au-delà des problèmes technologiques. La fracture numérique touche donc les enseignants. Une des équipes de la MSN, spécialisée en pédagogie, a planifié en urgence une cinquantaine de sessions de formation pour accompagner les enseignants-chercheurs dans la transformation de leurs cours présentiels en cours distanciels, à travers des cours à distance. En parallèle de ces formations, nous avons proposé un accompagnement par téléphone ou email à l'ensemble du personnel de l'Université et avons mis à sa disposition des manuels, fiches de synthèse et courtes vidéos d'initiation aux outils numériques, dès la veille du confinement. Depuis le début de la crise, nous avons remarqué une forte demande de formation. Nous avons ainsi reçu plus de 600 demandes en quelques jours. Malheureusement, par manque de moyens, nous n'avons pu répondre à leur totalité. Des sessions de formation restent ainsi programmées jusqu'à décembre.

Du côté des étudiants, nous avons identifié une fracture numérique d'ordre matériel et connectique. Plus de 10 % de nos étudiants éprouvaient ainsi des difficultés. L'Université a donc prêté environ 500 ordinateurs à ses étudiants. La problématique de la connexion n'a pas encore été résolue à ce jour.

Pour renforcer l'ouverture de notre université sur son territoire, depuis trois ans, nous programmons des formations de quatre jours d'initiation aux outils numériques, en collaboration avec un partenaire privé. Ces formations sont ouvertes à tous, y compris au grand public. Leur objectif est d'aider les jeunes à multiplier leurs opportunités professionnelles et enrichir leur CV de compétences clés pour l'avenir. Ce type d'événement a remporté un vif succès, avec plus de 350 participants à chaque étudiant. 57 % sont des femmes, 70 % des employés de TPE et PME et 30 % sont des étudiants ou chercheurs d'emploi. Nous proposons également plusieurs formations aux étudiants, notamment pour la préparation au PIX. Celle-ci est en cours.

La fracture numérique recouvre donc plusieurs dimensions et dépend fortement de chaque territoire, du niveau d'études et du revenu. Pour la traiter, nous devons tenir compte de cette multidimensionnalité.

M. Nicolas Postec, vice-président délégué chargé du Développement numérique de Le Mans Université. - Je vous remercie d'avoir invité une université de taille moyenne, qui compte 12 000 étudiants. Nous sommes situés sur deux départements, la Sartre et la Mayenne. 45 % de nos étudiants sont dans l'enseignement supérieur (contre 52 % au plan national). Au niveau du département, la moyenne d'ouvriers est supérieure à la moyenne française, et la proportion de cadres est inférieure. L'Université a vocation à développer l'accès aux savoirs, à la culture, à l'autonomie et à l'emploi, mais compte tenu des particularités de notre territoire, nous avons aussi la lourde tâche de veiller à n'oublier personne et de promouvoir une différenciation sociale positive pour accompagner tous nos étudiants, y compris les plus démunis.

Dans ce contexte, notre établissement a entamé une grande transition numérique. Nous déployons de nombreux services dématérialisés. Depuis de nombreuses années, nous proposons des formations à distance, qui concernent aujourd'hui 10 % de nos étudiants, répartis en France métropolitaine et dans le monde. Ce mouvement s'accélère à travers les différentes lois, notamment la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiantes, qui vise à développer des formations plus flexibles, qui s'adaptent aux parcours des étudiants, ainsi que des propositions de remédiations et des parcours éventuellement accélérés pour les étudiants qui le souhaitent. Les universités proposaient déjà avant la crise ces formations hybrides. Nous maîtrisons donc ce process, bien que tous les enseignants ne soient pas encore formés ou n'aient pas encore d'expérience en la matière. Dans notre établissement, environ 50 % d'enseignants ont cette aptitude à développer des cours numériques, qui ne se limite pas à la mise en ligne de ressources. S'agissant des étudiants, comme de nombreuses universités, nous avions déjà instauré une formation obligatoire pour tous les étudiants au C2I dès 2006. Cette formation est aujourd'hui incluse dans toutes les formations de première année, sous la forme d'un modèle de 25 heures.

Avec la crise, outre la nécessité de renforcer toutes nos infrastructures numériques sur des budgets parfois inadaptés, nous avons lancé une vaste enquête pour identifier les difficultés rencontrées par les étudiants. Compte-tenu du public que nous accueillons, nous leur avons proposé de déclarer toutes les difficultés qu'ils pouvaient rencontrer, qu'elles soient d'ordre social, médical, psychologique ou pour leurs études. Au total, nous avons reçu près de 10 000 réponses. 1 600 étudiants ont déclaré des difficultés pendant le confinement, et 950 une difficulté d'ordre numérique (soit environ 10 %). Leur répartition variait en fonction des domaines d'études. Les difficultés étaient en majorité liées à la connexion. 2 % des étudiants n'avaient accès ni à une box internet familiale ni à un téléphone équipé de data. 1 % des étudiants n'avaient aucun support matériel pour travailler. Or pendant le confinement, tous les cours avaient lieu en ligne, sur les plateformes pédagogiques. Nous avons donc pris conscience de l'ampleur du problème, proposé d'acheter des forfaits 4G et d'offrir une aide financière forfaitaire de 60 euros. Sur le territoire, tous les opérateurs ne sont pas représentés. Les étudiants ont donc préféré bénéficier de cette aide pour augmenter leur forfait data en choisissant l'opérateur le plus adapté. Nous avons ainsi distribué environ 200 aides. S'agissant des ordinateurs, nous avons dépourvu certaines salles informatiques afin de distribuer 150 ordinateurs aux étudiants.

La situation numérique des étudiants a certainement été aggravée par le retour à leur domicile. Nous avons pris conscience du fait que la connexion wifi proposée sur le campus et l'accès libre à des salles étaient cruciaux pour limiter la fracture numérique dans l'enseignement supérieur. Privés de ces ressources, 10 % ont été en difficulté. Par ailleurs, nous avons constaté qu'environ un tiers des étudiants rencontrant des problèmes numériques faisaient également face à une problématique sociale ou médicale. Nous nous sommes donc attachés à les soutenir.

Pour la rentrée prochaine, nous souhaitons déployer une véritable offre d'assistance numérique, en cours de formalisation, et dont l'objectif est d'identifier les étudiants en difficulté dès la rentrée. Lors de son inscription à l'Université, l'étudiant devra ainsi remplir un questionnaire sur son environnement numérique. Nous leur proposerons en outre une offre de prêt matériel, temporaire ou de long terme, et les accompagnerons dans la recherche de solutions de connexion. Le travail que peut accomplir le ministère avec les opérateurs télécom est de ce point de vue très important. Enfin, il s'agit de développer les compétences numériques. Tous nos étudiants de première année se voient proposer une formation de 25 heures au développement de compétences numériques. Nous la proposons également aux personnels.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Merci de vos interventions. Je passe la parole à notre rapporteur, Monsieur Raymond Vall.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Bonjour à tous. Je vous remercie pour vos interventions fort instructives. Lorsque nous avons procédé à l'audition des services du ministère de l'Education nationale, ses représentants ont évoqué l'idée de s'appuyer sur le PIX pour certifier les compétences numériques des professeurs. Lors de l'exposé, vous avez annoncé un chiffre de 50 %. Quel projet pourrait faire du PIX un organe qui comblerait un retard important dans la formation des enseignants en matière numérique ? Quel est votre budget, et comment peut-il être adapté à ce challenge ?

M. Nicolas Postec. - J'évoquais la formation à la pédagogie, et non aux compétences numériques de base. Il s'agit en effet de savoir comment un enseignant peut revoir sa pratique pédagogique à travers l'instrumentation par le numérique. Dans nos établissements, des services d'appui à la pédagogie assurés par des ingénieurs pédagogiques aident ainsi des enseignants à réfléchir à la façon dont le numérique transforme l'acte d'apprentissage.

Pour répondre à votre question, le PIX ne répond pas tout à fait à ces enjeux, même s'il est nécessaire. Certains de nos collègues, en effet, ne sont pas habitués à l'usage du numérique. Celui-ci constitue une première étape, la seconde, consistant à accompagner la transformation des pratiques pédagogiques, étant beaucoup plus profonde.

M. Younès Bennani. - Je m'associe aux propos de mon collègue Monsieur Postec. Les enseignants manquent en effet de la fonction pédagogique, plus que de l'aspect technologique. En effet, un cours en distanciel est très différent d'un cours en présentiel. Les enseignants doivent acquérir cette pédagogie basée sur d'autres notions, comme la scénarisation du cours. Tous ne sont néanmoins pas motivés par cette démarche. Nous cherchons donc à accompagner les enseignants motivés par l'apprentissage de cette transformation, qui demande beaucoup de temps.

Mme Isabelle Olivier. - À Grenoble, lorsque nous avons transformé les PACES et STAPS, l'objectif était de permettre aux étudiants d'acquérir le contenu de formation et les compétences. La dématérialisation des amphithéâtres a été réalisée très rapidement, puisque nous avons sonorisé les fichiers Powerpoint. Par la suite, le scénario pédagogique a été déterminant. La première semaine, les étudiants inscrivent dans leur planning une heure de cours magistrale, qu'ils suivent depuis la plateforme numérique, sur laquelle ils peuvent poser des questions. La semaine suivante, des régulations moyen groupe sont mises en place. L'enseignant répond aux questions posées sur la plateforme, vérifie la bonne compréhension, réexplique le cas échéant et pose à son tour des questions, auxquelles les étudiants répondent immédiatement grâce à leurs outils. La troisième semaine, les TD permettent une mise en application des connaissances acquises. Grâce à ce cycle, nous avons pu répondre, en particulier en première année, aux demandes des étudiants en termes de suivi. Ce système nous a permis d'élever la proportion d'étudiants passant de première en deuxième année de 39 % à 52 % en deux ans. Nous comptions en outre 23 % de décrochages ; ce chiffre s'est abaissé à 12 %. Nous avons donc utilisé le scénario pédagogique pour permettre à nos étudiants de réussir. La dématérialisation des cours d'amphithéâtre a été déterminante, en s'inscrivant dans ce processus de scénario.

Mme Angèle Préville. - Ma première question s'adresse à Monsieur Marteau. Quelle est la proportion des enseignants qui ont déjà eu recours à votre plateforme dans les collèges et lycées ? S'agissant des étudiants en difficulté, comment l'enseignement faisait-il appel à l'outil numérique avant le confinement ? Vous avez fait référence à des filières très spécifiques. Concernant l'enseignement à distance, les cours magistraux sont-ils écrits, enregistrés ou interactifs ? Est-il prévu de généraliser ces pratiques pour toutes les formations étudiantes ?

M. Benjamin Marteau. - En lien avec le ministère de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, nous travaillons sur un projet visant à développer les compétences numériques des enseignants. Celles-ci recouvrent les compétences utiles à tout un chacun dans la vie quotidienne. Pour ce qui concerne les compétences transverses, les quelques tests que nous réalisons nous laissent penser que l'autoformation ne sera pas suffisante pour l'accompagnement des enseignants dans la montée en compétences. PIX a l'avantage de permettre d'en savoir davantage sur le niveau des uns et des autres. Un certain nombre d'éléments ont par exemple trait aux données personnelles, qui recouvrent un enjeu important. Le niveau d'exigence est dès lors relativement élevé.

Par ailleurs, nous travaillons sur un bloc de compétences pédagogiques enseignantes. Les ministères nous ont soumis une demande afin d'intégrer dans PIX des modules complémentaires. Nous pourrons le faire en partie, bien que d'autres éléments relèvent d'une évaluation personnelle et humaine.

En termes de volumes, je ne pourrais vous dire exactement combien d'enseignants utilisent la plateforme, en dehors de ceux qui la prescrivent aux élèves. En effet, ils s'inscrivent en tant que citoyens. Dans le cadre de nos travaux avec le ministère, en revanche, nous conduirons une politique plus concertée avec les académies, et connaîtrons précisément le nombre d'enseignants qui bénéficieront de ces tests. Le service que nous rendons a pour valeur ajoutée de permettre de connaître son propre positionnement pour se voir proposer des formations adaptées. La formation continue suppose cependant des moyens suffisants.

M. Nicolas Postec. - Il existe un véritable enjeu à former nos enseignants du supérieur aux pratiques pédagogiques et au numérique. Une réforme de 2017 oblige désormais les maîtres de conférences à avoir suivi un parcours de formation initiale pour être titularisés. A titre d'exemple, nous proposons un parcours de 40 heures. La première étape consiste à découvrir les fonctionnalités pédagogiques de nos outils. Une phase de cinq heures permet ensuite d'évaluer les acquis de l'apprentissage. Une session porte spécifiquement sur l'animation d'une classe virtuelle à distance. Les enseignants sont en outre invités à suivre un MOOC multi-établissements, « Se former pour enseigner dans le supérieur », représentant environ 20 heures de travail. Enfin, nous organisons pour ces jeunes maîtres de conférences des déjeuners thématiques pour discuter des problématiques pédagogiques et numériques. Ce dispositif obligatoire est très intéressant pour accompagner une émergence de nouveaux collègues qui ont pu recevoir un accompagnement à l'usage du numérique pour la pédagogie. Il ne s'adresse cependant qu'aux nouveaux maîtres de conférences. Or les établissements ont une population d'enseignants qui ont longtemps enseigné de façon magistrale, sans le numérique. Nous devons être en mesure de les accompagner, mais cette démarche leur demande beaucoup de temps, et doit donc reposer sur le volontariat. Elle ne représente pas une priorité pour eux, tant qu'elle ne sera pas incluse dans la valorisation de leur carrière. Le fait d'être évalué à la fois sur leurs pratiques de recherche et leurs pratiques d'enseignement constitue une revendication assez forte.

Les moyens sont quant à eux relativement restreints. Dans un établissement de notre taille, les efforts sur les outils numériques ont été évalués à environ 150 000 euros. Ce budget en ampute d'autres, et devra être reconduit chaque année. De même, pour accompagner nos enseignants vers de nouvelles pratiques pédagogiques, nous avons besoins de ressources en ingénierie pédagogique. Là encore, nous souffrons d'un manque de moyens pour recruter ce type de personnel.

Mme Isabelle Olivier. - À l'époque du certificat informatique et internet (C2I), sur nos trois universités, une dizaine d'enseignants par an, sur 1 500, suivaient la formation. Concernant la question de l'hybridation des formations, il ne s'agit pas d'un objectif en soi. En revanche, la réussite des étudiants en est un. Notre enjeu est d'inciter les enseignants à l'usage du numérique.

M. Younès Bennani. - L'hybridation doit tenir compte de chaque discipline et de chaque niveau de formation. Certaines formations ne sont pas adaptées à l'hybridation, et certaines nécessitent plus de présentiel que de distanciel, en particulier en première année de licence.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Pouvez-vous revenir sur la première MSN ? A qui s'adresse-t-elle ? Quels sont ses partenaires ?

M. Younès Bennani. - Elle est ouverte sur le territoire et offre des formations grand public qui ne sont généralement pas proposées par les universités, pour initier les personnes aux outils numériques et à la culture numérique. Des équipes projets y interviennent, qui sont formées par des enseignants-chercheurs et des professionnels. Il s'agit donc d'équipes mixtes, du secteur privé et du secteur public. Ces équipes assurent deux types d'activité : conseil et formation. À l'heure actuelle, la MSN est financée à travers des projets passés avec des entreprises. Celles-ci se présentent à la MSN avec une problématique, et l'Université cherche à créer une équipe projet pour les accompagner dans la résolution du problème. Ces activités peuvent durer d'un à trois ans. L'Université peut mettre à la disposition des entreprises des experts dans le domaine recherché. Nous déposons actuellement un dépôt dans le cadre du PA3 pour transformer la MSN en société universitaire et de recherche (SUR). Cette nouvelle structure impliquera le secteur privé et le secteur publique dans une société appartenant majoritairement à l'Université et dont certaines entreprises seront actionnaires.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Je vous félicite pour cette initiative.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Pouvez-vous nous faire partager des exemples de bonnes pratiques et d'expériences au sein de l'association VP NUM ?

Mme Isabelle Olivier. - L'association a été créée en 2016 et compte plus de 50 membres. Pendant la période du confinement, nous avons particulièrement interagi. Nous pouvons nous envoyer des questions via une adresse générique, afin d'obtenir des réponses d'autres vice-présidents. Pendant le confinement, nous avons réactivé un outil de discussion sur des sujets spécifiques. Jeudi dernier, nous avons organisé un boot camp en visioconférence, qui portait sur une enquête conduite auprès de 48 universités au sujet du confinement, des difficultés rencontrées et des perspectives. S'agissant de l'hybridité, jusqu'à présent, une partie de l'enseignement était conduite à distance et une autre en présentiel. A priori, nous devrions faire face, à la rentrée, à une nouvelle forme d'hybridité, avec un tiers d'étudiants en présentiel et deux tiers à distance. À ce jour, nous ne sommes pas outillés à cette fin.

Mme Martine Berthet. - Il a été question du manque d'outils numériques pour certains étudiants. Est-il envisagé, dans certaines universités, de faire appel aux dons pour collecter des ordinateurs ? Certaines entreprises pourraient par exemple fournir leur ancien matériel lors de renouvellements.

Mme Isabelle Olivier. - Via notre fondation, nous avons lancé une action, « Un ordinateur pour Bibi », pendant le confinement. Nous avons fait appel aux entreprises qui disposaient d'ordinateurs dont ils entendaient se séparer. Une start-up les a reconditionnés, et nous les avons distribués à nos étudiants. Nous organisons actuellement une seconde phase. Nous visons 1 000 ordinateurs pour le mois de décembre. Nous allons activer le cluster Digital League que j'évoquais plus tôt et compterons également sur des dons monétaires.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je vous remercie pour votre disponibilité et la qualité des échanges.

La téléconférence est close à 16 h 25.

Mardi 23 juin 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La réunion est ouverte à 15 heures.

Audition de M. Philippe Wahl, président-directeur général du Groupe La Poste (en téléconférence)

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous accueillons aujourd'hui Monsieur Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste.

La Poste, service public de proximité par excellence, a lancé en mai 2019 un dispositif national en faveur de l'inclusion sociale numérique et bancaire de ses clients. Ce dispositif détecte les clients en précarité numérique puis les oriente vers des associations partenaires. Pour ce faire, 15 000 questionnaires ont été adressés ; mais combien de personnes en situation d'illectronisme ont-elles été détectées ? Vous nous direz, Monsieur Wahl, si La Poste a déployé des efforts particuliers durant le confinement pour renforcer l'inclusion numérique.

Lors de votre dernier entretien avec le journal Le Monde, le 29 mai dernier, vous n'avez pas évoqué ce sujet. Or n'est-il pas devenu prioritaire avec l'accélération de la numérisation ?

La Poste a signé un partenariat avec une association financée par le chèque #Aptic : un pass numérique qui donne droit à une somme de formation. Combien de formations effectives ont-elles été effectuées et de quelle durée par bénéficiaire ?

La Poste propose par ailleurs une tablette numérique simplifiée, « Ardoiz », dont le coût, avec l'offre promotionnelle pour la fête des pères, est 309 euros la première année. Ce coût inclut la tablette, la station d'accueil et le forfait de prise en main. Il faut ensuite ajouter 120 euros annuels pour accéder à la 4G avec un forfait de 4Go de données mobiles. Il s'agit donc d'un coût élevé pour des personnes aux retraites modestes.

Après votre intervention, notre collègue Raymond Vall, rapporteur de la mission d'information, reprendra certains points du questionnaire qui vous a été adressé et les sénateurs pourront vous poser des questions.

M. Philippe Wahl, président-directeur général du groupe La Poste. - Merci pour votre invitation. Je suis venu le 8 avril dernier devant les commissions des affaires économiques et de l'aménagement du territoire au Sénat, et cette fois encore, il me paraît essentiel d'échanger avec vous à ce sujet.

La crise a révélé deux enjeux majeurs :

- d'une part, nous avons constaté un recours massif à l'internet et au numérique, dans tous les secteurs,

- d'autre part, la crise a conforté l'importance de la proximité physique. Durant ces derniers mois, notre groupe a fait face à un plus fort absentéisme du personnel. La proximité que nous offrons d'habitude a été réduite et c'est pour cette raison que nous avons été critiqués.

La proximité humaine est indispensable, car la conversion numérique fait ressortir les sujets d'exclusion numérique. De ce point de vue, il nous a toujours paru essentiel d'importer le numérique dans nos usages. Nous avons d'ailleurs participé à l'élaboration de la stratégie nationale pour un numérique inclusif lancé par Cédric O, secrétaire d'État en charge du numérique.

Il nous paraît essentiel de numériser les procédures mais aussi de favoriser l'appropriation des usages numériques par le plus grand nombre. Il existe une vraie rupture numérique à laquelle nous devons répondre, car nous sommes une entreprise de proximité humaine.

Dans cette crise, nous avons utilisé en permanence l'outil numérique, notamment avec le dispositif « Devoirs à la maison ». Il s'agit d'un ensemble de services que nous avons bâti à la demande du ministère de l'éducation nationale, à partir du constat suivant : durant la crise, une partie des enfants n'avait aucun appareil numérique à domicile. Le lien avec les professeurs et l'enseignement était rompu. Nous avons alors créé dans un premier temps une plateforme d'échanges numériques. Nous avons ensuite rematérialisé les supports des devoirs et nous nous sommes servis des facteurs pour les distribuer et les reprendre. 25 000 jeunes ont eu recours à notre solution. Cette situation souligne donc l'exclusion numérique, y compris des plus jeunes, mais elle souligne également la possibilité pour La Poste d'apporter des solutions.

Par ailleurs, nous avons été alertés par les élus sur l'importance de l'activité numérique pour les territoires. Dans notre travail en 2019 pour préparer la signature de la convention triennale avec l'Association des maires de France et présidents d'intercommunalité (AMF) et l'État, le numérique est ressorti comme le premier point d'intérêt. Dès lors, comment aider l'ensemble des Français à se servir du numérique ? Le fait que la Caisse des dépôts et des consignations soit devenue notre premier actionnaire, alors même que sa finalité est de lutter contre les fractures sociales et territoriales, montre bien que nous avons construit des solutions pour lutter contre cette fracture numérique.

Lors de ce travail participatif pour une convention triennale, les élus ont identifié plusieurs priorités.

Premièrement, il s'agit de voir comment La Poste, par le biais de ses facteurs, peut aider à identifier les publics en difficulté. Il s'agit ensuite pour La Poste et ses partenaires d'engager une action d'inclusion numérique. Notre but est de construire des partenariats avec les opérateurs de service sur le territoire, le monde associatif, les collectivités locales et les entreprises.

La deuxième priorité porte sur l'accès aux outils : comment diffuser plus largement les usages numériques et l'appropriation de ces usages ? Prenons l'exemple de l'appel d'offres de la région Île-de-France pour les tablettes des lycées, que La Poste a gagné avec ses partenaires. Nous avons distribué 160 000 tablettes numériques dans l'ensemble des lycées d'Île-de-France, et nous avons organisé tout le flux logistique pour la maintenance. L'accès aux outils est donc un élément clé. C'est aussi le cas pour Ardoiz : l'outil peut être cher à l'achat, mais il est idéal pour une meilleure appropriation des usages numériques. Il est spécialement configuré pour les seniors. Il présente moins de fonctionnalités et de complexité, et le taux d'utilisation des fonctions est bien plus élevé que sur d'autres tablettes classiques. Nous avons déployé plus de 60 000 exemplaires d'Ardoiz. Le conseil départemental du Nord en a même commandé plusieurs centaines pour des EHPAD : cela conforte l'idée que la solution est particulièrement utile pour diffuser le numérique auprès du public senior.

Enfin, la dernière priorité porte sur l'accompagnement - en présentiel ou à distance - des personnes en situation d'exclusion numérique. La Poste a engagé depuis avril 2019 un programme d'inclusion numérique et sociale dans plus de 300 bureaux de poste. Nous avons doté ces bureaux de médiateurs avec des tablettes et nous avons fait des tests pour identifier qui avait ou n'avait pas la capacité de se servir de l'outil numérique. 42 000 clients ont accepté de faire le test, ce qui représenterait plusieurs centaines de milliers si nous étendions ce dispositif à la totalité des 4 500 bureaux de poste les plus importants. 20 % d'entre eux se sont révélés très éloignés du numérique. Dans la mesure où les personnes qui ont accepté cet acte de volontariat n'étaient certainement pas les plus éloignées du numérique, cela signifie que la proportion réelle de personnes éloignées du numérique est plutôt de 25 %. 37 % des volontaires identifiés comme éloignés du numérique nous ont dit être intéressés par une formation. Nous pouvons donc bâtir tout un écosystème qui pourrait trouver son plein exercice en apportant des solutions à ces constats.

La Poste a déjà mis en place beaucoup de solutions autour du numérique, et l'inclusion numérique est un sujet prioritaire dans nos missions à venir. Doit-elle prendre la forme d'une nouvelle mission de service public ? Des arguments existent dans les deux sens. Quelle que soit la qualification de cette action, nous devons aller plus loin. Repérage et identification des personnes éloignées du numérique ; solutions d'inclusion, par nous-mêmes ou par nos partenaires ; fourniture d'outils pour permettre de franchir l'étape supérieure : il s'agit selon nous de la stratégie à déployer. Notons que le fonds de péréquation a fourni plus de 9 millions d'euros pour financer l'ensemble de cette démarche coûteuse d'accompagnement des usages.

Nous sommes très fortement engagés dans ce dispositif et nous sommes convaincus que La Poste, grâce à son rayonnement, peut être au service de millions de personnes. Durant la crise, nous avons démontré à deux reprises - en avril et en mai - que nous étions capables d'accueillir plus d'un million et demi de personnes pour réussir la distribution des prestations sociales, même dans un contexte extrêmement délicat. L'inclusion numérique est donc clairement l'un des objectifs de notre plan La Poste 2030. Nous avons pris l'engagement d'associer à notre réflexion sur ce plan, l'Association des Maires de France mais aussi le Parlement, compte tenu de l'urgence et du degré de priorité que vous avez donné à ce travail sur l'inclusion. Nous sommes candidats à jouer ce rôle de partenaire essentiel pour cette mission partout sur le réseau. Ce test sur les savoir-faire numériques pourrait être généralisé en appui avec le monde associatif.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Bonjour à tous. Nous sommes comme toujours sous le charme de Monsieur Wahl lorsqu'il parle de La Poste avec autant de passion. Je vous félicite pour avoir engagé La Poste dans de nombreuses actions et de nombreux services, particulièrement appréciés dans le monde rural dont je fais partie.

Dans le rapport que nous devrons remettre assez rapidement, comment pourrions-nous matérialiser ce que vous avez évoqué ? Comment La Poste pourrait-elle accompagner ces populations qui sont aujourd'hui dans l'impossibilité d'utiliser le numérique - entre 13 et 14 millions de Français - pour avoir accès aux services de l'État ? Monsieur Jacques Toubon, lors de son audition, a confirmé qu'il est indispensable de se préoccuper de l'accès au numérique pour ces populations qui n'ont, pour certaines, aucun autre accès physique aux différents services publics.

Par ailleurs, comment inclure les collectivités territoriales et les opérateurs dans un partenariat ? La Poste étant le premier partenaire des territoires, elle dispose d'une position privilégiée pour réfléchir à une convention permettant de créer cette accessibilité au numérique.

M. Philippe Wahl. - Nous pouvons envisager deux actions du groupe La Poste : l'identification des besoins et la création de solutions pour répondre à ces besoins. C'est ainsi que notre groupe peut agir ; dans un cadre fixé par l'autorité publique bien sûr, et dans un cadre partenarial. Nous sommes une grande maison, souvent le premier employeur dans les territoires. Certains pourraient penser que notre démarche n'est pas assez ouverte, mais au contraire, nous sommes entièrement dans une logique partenariale. Nous avons cette année signé un cinquième contrat tripartite de présence postale ; cette logique du contrat est au coeur de notre fonctionnement.

Pour l'étape de l'identification, la vigilance passe d'abord par la visite régulière du facteur. Nous pourrions en plus demander aux facteurs de diffuser un test d'aptitude numérique. Cette mission permettrait d'utiliser le savoir-faire essentiel pour mener ces actions dans une atmosphère de confiance : tout le monde a confiance en son facteur.

Cette même question de vigilance se pose aussi dans le cadre du Ségur de la santé. En Occitanie, nous avons lancé avec le Professeur Bruno Vellas, gérontologue à Toulouse, un système de visites auprès des personnes âgées afin de vérifier régulièrement leur situation et signaler les cas difficiles. Cela pourrait également s'appliquer dans le cadre de l'inclusion numérique, ou même à d'autres domaines tels que la rénovation thermique pour adapter les logements au grand âge. Si nous allons vers un « cinquième risque », le domicile jouera un rôle clé dans le déroulement des dernières étapes de la vie. Si nous choisissons de mettre en place une mission de vigilance, elle pourrait être généralisée et être ainsi moins coûteuse.

Une fois les besoins identifiés, nous pouvons ensuite apporter des solutions à cet illectronisme. Pour les personnes qui sont le moins loin, nous pourrions les doter d'un outil, comme nous l'avons fait avec le conseil départemental des Landes à travers le projet « XLandes et Village d'Alzheimer », qui dote les personnes âgées d'un outil numérique.

Nous pourrions dans un deuxième temps être un acteur de l'intermédiation entre ces personnes à domicile et les services de l'État. Considérons la situation des banques. La Banque Centrale Européenne et la Banque de France exigent une connaissance précise de leurs clients pour lutter contre le blanchiment d'argent et le terrorisme. Or les banques peinent à récupérer des informations sur leur client (pièces d'identité, certificats, etc.) sous forme numérique, soit parce que les gens ne savent pas transmettre ces documents sous forme numérique, soit parce qu'ils oublient. Les facteurs peuvent jouer le rôle d'intermédiaire en allant voir les gens, en leur indiquant les documents dont leur banque a besoin, et en proposant de récupérer ces documents lors de leur passage la semaine suivante. Avec une telle démarche, les taux de réponse sont considérables. Les facteurs peuvent vraiment aider les gens à domicile à accéder aux services publics de l'État. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre Président de la République a beaucoup plaidé la cause des « France Services mobiles ». Ces services supposent que les facteurs aient l'outil nécessaire pour offrir aux gens une interface numérique par proximité humaine, pour les aider dans les démarches administratives. Ce qui vaut pour les services de l'État vaut pour tous les services des autres opérateurs de service public, d'intérêt général ou les services essentiels.

Enfin, nous pourrions également intervenir dans le domaine de la formation, si nous nous appuyons sur le constat que je vous ai présenté un peu plus tôt : sur les 42 000 clients qui ont fait nos tests dans 300 bureaux de poste, 20 % ont été identifiés comme éloignés du numérique, et 37 % de ces 20 % sont intéressés pour bénéficier d'une formation. Les postiers pourraient ensuite délivrer nos propres services à cette occasion-là : des services d'autonomie, d'alerte, etc.

La Poste pourrait donc intervenir sur les deux volets d'identification et d'intermédiation pour apporter des solutions directes.

Nous avons été impressionnés par ce que nous avons constaté, à notre échelle, pendant la pandémie. Le site laposte.fr est passé de 15 millions à 35 millions de visiteurs uniques sur un mois. À titre de comparaison, Google est à 55 millions et chacun va sur Google plusieurs fois par jour. L'explosion du numérique a donc procuré beaucoup d'utilité aux gens, et votre préoccupation de l'exclusion du numérique prend d'autant plus de sens compte tenu de cette puissance du numérique.

Mme Angèle Préville. - Je salue votre volontarisme sur cette question, Monsieur Wahl. Je reviens sur les 14 millions de Français concernés par l'exclusion numérique. Vous avez détaillé certaines initiatives, que je considère comme des prémices à ce que nous pourrions mettre en oeuvre. Elles sont certes vertueuses, mais leur portée est limitée. Je ne voudrais pas que nous laissions penser que nous avons choisi de résoudre le problème de la fracture numérique de cette façon. Nous avons besoin d'une mission de service public plus ambitieuse. Peut-être faudrait-il obtenir des subventions de l'État ? Il s'agit d'un problème d'égalité de tous les citoyens face à la dématérialisation des démarches administratives. Vos actions sont louables mais ne résolvent le problème que très localement. S'il y avait une commande massive de tablettes Ardoiz, par exemple, peut-être les prix seraient-ils plus bas ? Comment faire en sorte que sur tout le territoire, il y ait une égalité d'accès à ces services administratifs indispensables ?

M. Philippe Wahl. - La crise a montré une accélération de la dématérialisation. Nous en souffrons au niveau du courrier : chaque année, nous perdons 600 millions d'euros de chiffre d'affaires. La perte s'évalue à plus d'un milliard d'euros de chiffre d'affaires pour cette année. Qui dit accélération dit aggravation potentielle de l'exclusion numérique, mais dit aussi diffusion plus importante du numérique. Je constate de vrais signes d'espoir. Reprenons le cas des 42 000 tests que nous avons diffusés dans 300 bureaux de poste. Si nous étendions la démarche à 600 bureaux de poste, nous pourrions toucher près d'un million de participants. La puissance de notre proximité, notamment la circulation régulière de nos facteurs, nous permet d'accéder à une multitude de personnes.

Le fond du problème vient de l'identification des personnes éloignées du numérique. Nous pouvons soit mettre en place une identification a priori, plus coûteuse mais plus efficace ; soit attendre que le problème se présente pour l'identifier. Il en est de même pour le domaine de la santé : il est possible soit de procéder à des enquêtes préalables sur l'état de santé des personnes, soit d'attendre que le SAMU soit appelé pour identifier le problème. Il pourrait y avoir une mission d'identification, de vigilance et de visite, et pas simplement dans le domaine de l'exclusion numérique. Nous avons lancé le dispositif « Veillez sur mes parents », qui pourrait devenir un service public et dont la lutte contre l'exclusion numérique serait l'une des finalités, mais pas la seule. Cela diminuerait le coût de l'objet qui est le vôtre, dans la mesure où la visite systématique du facteur serait partagée avec d'autres missions.

Concernant nos tablettes Ardoiz, nous sommes prêts à les diffuser à moindre coût, mais il faudrait que d'autres collectivités publiques fassent appel à nous. Notre volonté est bien d'être au service des politiques publiques. Nous avons montré ce que nous étions capables de faire, notamment en accueillant chaque mois 1,5 million de personnes dans nos bureaux pour la distribution des prestations sociales ; il s'agit d'une partie fragile de la société. C'est le coeur de notre mission, celle que nous avons maintenue et défendue comme notre priorité au cours de la crise précédente. Je note aujourd'hui une accélération de la dématérialisation par l'État et par les opérateurs ; nous sommes prêts, de notre côté, à travailler avec vous pour trouver une solution à la fracture numérique que cela engendre.

Mme Angèle Préville. - Est-ce qu'au moment où ces personnes viennent chercher leurs prestations sociales en argent liquide, il serait possible de leur indiquer qu'ils peuvent s'adresser à vous pour ce problème d'exclusion numérique ?

M. Philippe Wahl. - Nous pourrions en effet distribuer un feuillet explicatif, pour présenter les solutions ou propositions possibles. Nous pourrions également laisser un feuillet sur lequel les gens pourraient s'inscrire pour venir passer un test. En revanche, nous ne pouvons pas tester chaque client de La Poste. Nous recevons des milliers de personnes, chaque moment compte ; les files d'attentes augmenteraient drastiquement, nous ne pourrions plus recevoir convenablement chaque personne.

Notons que, durant la crise, nous avons réussi à maintenir un lien avec chacun des 400 quartiers prioritaires dans lesquels nous sommes implantés. Cela a été plus difficile avec les milieux ruraux, car il y en a beaucoup plus.

M. Éric Gold. - Les maisons de services au public, notamment celles portées par La Poste, sont des lieux de repérage de carences numériques des usagers, mais aussi des lieux de solutions numériques pour les plus éloignés. Pour mieux évaluer la pérennité de ces maisons, pouvez-vous nous préciser quelle est la fréquentation de ces structures, la fragilité des usagers, quelles sont les missions et la formation des agents en termes de médiation ? Quel rôle leur donnez-vous - un rôle « d'aider à faire » ou de « faire à la place de » ? Pourrions-nous envisager un partenariat avec les collectivités ou les EPCI pour des médiateurs numériques de La Poste au plus près des usagers ?

M. Philippe Wahl. - Les MSAP sont dans une situation transitoire : certaines vont être transformées en Maisons France Services. Nous participons à cette transition pour nos propres MSAP. Cependant, nous ne savons pas encore ce que deviendront ces MSAP quand l'ensemble du mouvement des France Services sera terminé. Celles qui n'auront pas été transformées en France Services persisteront-elles d'une autre manière ou bien commandera-t-on leur disparition ? En tout état de cause, nous garderons notre bureau de poste.

J'insiste sur le fait que notre stratégie se base sur la création de partenariats. Récemment, de nombreuses MSAP et collectivités locales ont été transformées en France Services, y compris des MSAP postales dans une moindre mesure. Un problème se posera dans les milieux ruraux, où il n'y aura pas de localisation autonome possible. Si par exemple coexistent une structure France Services dans une petite commune et un bureau de poste, les deux risquent de disparaître par baisse de fréquentation. Faisons un parallèle avec le e-commerce. Nous sommes le leader de la logistique du e-commerce en France et le numéro deux en Europe. Nous avons aujourd'hui de grands clients, notamment dans l'industrie du textile, qui ont décidé de fermer des milliers de magasins physiques en Europe. La fréquentation physique des magasins classiques, quels qu'ils soient, va baisser. Revenons maintenant à l'exemple de la structure France Services et du bureau de poste en milieu rural. Si les deux souhaitent exister indépendamment, ils courront le risque de disparaître, alors que s'ils sont mutualisés, ils perdureront. Dès lors, je suis entièrement engagé pour travailler en partenariat. Si, dans une petite ville, le choix du maire a été de conforter une MSAP en la transformant en structure France Services, je souhaite mettre le bureau de poste dans cette maison France Services pour m'engager à ne pas fermer le bureau de poste. Ensemble, nous tiendrons mieux dans la durée.

Comme je le dis souvent, connaissez-vous le bureau de poste qui sera encore ouvert dans un siècle en France ? C'est celui situé dans les locaux de l'office du tourisme du Mont Saint-Michel. Le maire du Mont Saint-Michel et le directeur de La Poste se sont rapprochés et ont mutualisé leurs structures. Le bureau de poste fonctionne toute la semaine et il est tenu le dimanche par les employés de l'office du tourisme pour les responsabilités postales. Nous sommes candidats de tous les partenariats possibles.

Au sujet de la formation de nos employés, notons que la fréquentation des MSAP a connu une forte croissance en début d'année - croissance que le confinement a entravée. Il nous a été reproché de ne pas former assez nos équipes qui interviennent dans ces structures. Entre 2015 et 2017, nous avons ouvert 500 structures très rapidement ; nous avons donc accumulé un retard de formation. Cependant, nous le comblons actuellement. La formation est commune aux agents de toutes les MSAP. Elle est assurée par un centre national de formation territoriale.

Concernant la médiation au sein de ces MSAP, elle dépend de l'utilisateur final. Dans certains cas, il est plus judicieux de les aider à faire eux-mêmes, dans d'autres cas il est plus pertinent de faire à leur place. C'est un peu comme sur les automates de La Poste. Aujourd'hui, sauf exception, nous ne distribuons plus d'argent directement aux usagers, nous leur indiquons comment faire. Mais s'il s'agit d'une vieille personne qui peine réellement à utiliser l'automate, nos équipes lui servent l'argent directement. Je fais confiance aux postiers pour évaluer ces situations.

Enfin, concernant la médiation numérique, j'aimerais vous donner un exemple. Il y a trois semaines, je me suis rendu dans l'Oise, dans l'agence postale communale portée par le centre social du Coudray Saint-Germer. Ce centre social regroupe un centre de santé, un centre d'informations, un centre administratif et une Agence Postale Communale (APC). Grâce à cette présence de l'APC, nous pouvons faire de la formation numérique pour tout le secteur. Nous sommes donc prêts soit à prendre en charge l'aspect formation, soit à jouer les médiateurs pour ces formations. C'est déjà le cas pour déjà des centaines d'endroits. Si dans 3 ans, nous recensons 2 000 maisons France Services avec un bureau de poste dans chacune, j'en serai très satisfait. L'inverse est également possible : nous pouvons accueillir de tels services sociaux dans le bureau de poste. Quoi qu'il en soit, si les deux structures sont maintenues, elles seront menacées sur le long terme. Je vous parle à la lumière de mes sept ans d'expérience dans le groupe et de mes nombreuses visites sur le territoire. Je crois donc plus que tout à la mutualisation et aux partenariats compte tenu de l'évolution des comportements des Français.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Vous avez évoqué les priorités numériques retenues en partenariat avec l'AMF, notamment le besoin d'identification des personnes touchées par l'illectronisme et les actions à mettre en oeuvre pour contrer ce problème. Certaines de ces actions sont mises en place par La Poste elle-même. Pouvez-vous nous détailler ces actions : quelle est leur durée moyenne, qui est le personnel qui se charge de former les personnes repérées ?

M. Philippe Wahl. - La Poste se charge de l'identification des personnes en difficulté avec le numérique, à travers l'administration de tests, l'esprit d'observation, la discussion avec le client à domicile ou au bureau de poste. Le facteur se charge également de distribuer les Ardoiz : il livre le produit, l'ouvre, en explique le fonctionnement. Au niveau de la formation, nous sommes des amorceurs et nous organisons des rendez-vous, mais nous ne faisons pas la formation nous-mêmes.

Nous sommes donc en mesure soit de tout faire si l'ensemble de la démarche est relativement simple, soit, s'il s'agit de former plusieurs personnes sur un sujet donné, de donner accès à cette formation par notre intermédiaire.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Nous ne pouvons pas continuer à accepter qu'il y ait sur les territoires fragiles à la fois des désertifications médicales, des fractures numériques, des problèmes de mobilité, de travail... Ce cumul est dangereux. Il faut en effet trouver des partenariats qui permettraient de sauver des postes existantes dans les territoires. De plus, nous devons nous concentrer sur l'accessibilité des services publics numériques. Nous pourrions imaginer que dans les bureaux de poste, des outils mutualisés soient installés pour faciliter l'accès au numérique. Nous avons par le passé connu un fonctionnement similaire pour les cabines téléphoniques : au début, nous recevions un appel formulé par un agent. Ensuite, les cabines ont été dotées d'appareils automatisées, où nous pouvions nous-mêmes composer le numéro. Aujourd'hui, il en est de même pour les services numériques : pour résorber la fracture numérique, nous devrons simplifier l'accès aux services. Le bureau de poste a la double qualité de fournir à la fois une présence physique qui peut accompagner, et de pouvoir mettre à disposition des appareils qui permettent au public de devenir plus autonomes sur l'accès aux services numériques.

M. Philippe Wahl. - Cette mission de lutte contre l'illectronisme est en effet une nouvelle déclinaison de la mission d'aménagement du territoire et j'insiste sur le fait que nous avons bien l'intention de rester sur les territoires. Il nous faudra bien sûr des moyens financiers complémentaires. Il existe une bonne structure pour obtenir ces moyens : la dépense fiscale liée à la cotisation de valeur ajoutée sur les entreprises.

Nous sommes déjà allés loin dans l'équipement de nos structures en outils numériques. Nous pouvons aller plus loin encore si votre mission le préconise. Aujourd'hui, sur nos 7 000 agences postales, 4 500 sont équipées de tablettes. 650 bureaux sont équipés d'îlots numériques où les gens peuvent accéder à différents services. Par ailleurs, les facteurs n'ont plus qu'un seul outil de travail : le smartphone Facteo. Enfin, pour vous donner un dernier exemple, nous avons, avec le Puy-de-Dôme, un co-financement pour l'accès au wifi dans nos points de contacts. Notre accord permet de faire du bureau de poste un lieu de wifi de grande qualité dans une zone géographique où la connexion n'est pas optimale. Nous pourrions envisager de le faire ailleurs.

Nous avons des moyens budgétaires avec le fonds de péréquation, qui a financé 42 000 tests pour 9 millions d'euros ; nous pourrions aller encore plus loin. Cependant, il ne suffit pas d'équiper les 17 000 points de contacts physiques postaux. Il faut relancer l'idée de projet de France Services mobiles avec des tablettes pour les facteurs, sur lesquelles il y aurait à la fois les procédures administratives publiques mais aussi plusieurs opérateurs. Ce projet est aujourd'hui en panne et il serait nécessaire de le relancer pour compléter les services que nous proposons.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Nous devrons certes accompagner financièrement la lutte contre la fracture numérique. Autant faire bénéficier de ce financement un acteur essentiel d'aménagement du territoire comme La Poste en le confortant dans cette nouvelle mission. Nous devrons aussi travailler sur les questions de formation, mais la priorité actuelle est de répondre à l'urgence de l'accès aux services pour des personnes qui utilisent ponctuellement ces services et qui n'ont pas nécessairement besoin, pour le moment, qu'on les dote de matériel personnel.

M. Philippe Wahl. - L'Observatoire national de la présence postale territoriale ainsi que la Commission supérieure du numérique et des postes se sont interrogées sur une cinquième mission de service public pour La Poste : cette mission de visite, de vigilance. Nous y sommes favorables. Cependant, pour faire adopter une mission de service public par Bruxelles, il faut compter trois ou quatre ans, le temps de démontrer l'utilité de la mission, de prouver qu'il existe une carence de marché, que nous sommes le seul opérateur à pouvoir le faire, etc. Nous pouvons le faire, mais si vous voulez aller plus vite, il faut en parallèle élargir une mission de service public déjà existante. Nous pouvons élargir la mission d'aménagement du territoire en créant un compartiment de lutte contre l'exclusion du numérique et le doter de moyens financiers supplémentaires. En tout état de cause, notre service universel du courrier est désormais très fortement déficitaire, il faudra le réorganiser quoi qu'il en soit. La mission d'aménagement du territoire, en prévoyant un volet numérique, pourrait être un bon soutien pour les idées que vous avez. Elle permettrait à la fois une lutte contre la fracture territoriale et une lutte contre la fracture numérique, qui contribue à la fracture territoriale. C'est la meilleure solution, à condition que nous disposions de moyens importants pour nous accompagner dans cette démarche coûteuse. En effet, si nous choisissons de passer du temps avec les gens, ce temps humain est plus cher qu'une simple distribution sur automate.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Nous devrons rendre un rapport autour du 15 juillet avec des propositions concrètes. Cette solution semble être la plus efficace pour répondre à la fracture numérique. Notons que, selon l'INSEE, 42 % de la population est touchée par cette fracture numérique à des degrés différents. Encore une fois, la crise a révélé l'urgence de trouver des solutions dans les territoires pour l'usage du numérique.

M. Philippe Wahl. - Nous ne pourrons élargir notre mission de service public liée à l'aménagement du territoire que si l'AMF est à nos côtés, car il faut que cette mission soit vécue comme nécessaire aussi par les maires.

Mme Angèle Préville. - C'est une excellente idée de passer par le biais de la mission d'aménagement du territoire, cela nous permettra d'agir plus rapidement.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Nous sommes d'accord sur l'importance du partenariat avec l'AMF. Nous devrons aussi nous demander comment faire participer les opérateurs dans cette démarche.

M. Philippe Wahl. - Je suis prêt à regarder toutes les solutions. Nous avons deux réseaux particulièrement puissants : un réseau inégalé de 17 100 points de contact, et un réseau de 1 000 « carrés pro » dans les implantations courriers et colis de notre groupe. Nous avons également nos facteurs, qui constituent notre grande puissance pour le contact humain et pour avoir un rôle d'intermédiaire pour les services publics.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Merci encore Monsieur le Président.

M. Philippe Wahl. - Merci à vous. Nous tenons de vraies solutions pour résoudre ce problème.

La séance est levée à 16 heures 15.

Jeudi 25 juin 2020

- Présidence de M. Jean-Marie Mizzon, président -

La téléconférence est ouverte à 10 heures.

Audition de la Caisse des Dépôts et Consignations et de la Banque des Territoires (en téléconférence)

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Mes chers collègues, nous devions recevoir aujourd'hui le numéro 2 de la Caisse des Dépôts qui a, dans ses fonctions précédentes, réussi l'exploit de faire infliger à Google une amende historique de près de 2,5 milliards d'euros pour violation des règles de concurrence par la Commission Européenne. Si cette somme était consacrée par l'Union européenne au financement des actions d'inclusion numérique, notre mission d'information s'en trouverait facilitée. Malheureusement, Monsieur Sichel ne peut assister à cette visioconférence. Nous remercions les personnes qui l'accompagnent, toujours présentes parmi nous : Monsieur Nicolas Turcat, responsable de service Éducation, inclusion et services au public à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires ; Monsieur Christophe Genter, directeur du département Cohésion sociale et territoriale à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires et Monsieur Philippe Blanchot, directeur des relations institutionnelles, internationales et européennes.

La crise sanitaire l'a amplement souligné, l'inclusion numérique est désormais décisive pour l'employabilité, les relations sociales et l'exercice de nos droits. Pourtant, au fur et à mesure de nos auditions, il apparaît que la formation numérique est le parent pauvre de l'inclusion numérique au regard des investissements considérables en faveur des infrastructures.

La Caisse des Dépôts a lancé le programme « Hubs territoriaux pour un numérique inclusif » afin d'encourager la coordination des projets d'inclusion numérique dans les territoires ; cependant, à l'heure actuelle, le programme est loin de couvrir toute la France puisque seuls 11 hubs (couvrant 50 départements) sont concernés.

Tout le monde s'accorde sur le constat d'une formation nécessaire des Français au numérique, et en premier lieu des salariés. Toutefois, les efforts réalisés sont-ils vraiment à la hauteur des enjeux ?

Pour le hub Occitanie, nous avons entendu La Mêlée, partenaire de cette formation au numérique ; tous les départements de la région ne sont cependant pas concernés. Le public visé est estimé à environ 430 000 personnes. Or, la subvention totale prévue est de 450 000 euros TTC. Qu'allez-vous concrètement proposer avec 1 euro par personne ? Je sais qu'il s'agit de fonds d'amorçage, mais peut-être en attendez-vous un effet levier trop fort.

Après votre présentation liminaire, mon collègue, le rapporteur Raymond Vall et mes autres collègues vous poseront des questions complémentaires.

M. Christophe Genter, directeur du département cohésion sociale et territoriale, à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires. - Je profite de ce mot introductif pour vous remercier de cette audition et vous réaffirmer, malgré l'absence d'Olivier Sichel, que les sujets d'inclusion numérique sont au coeur de la stratégie d'intervention de la banque des territoires. Cette activité autour des usages et de l'inclusion numérique est logée dans le département « Cohésion sociale et territoriale » que j'ai le plaisir de diriger. Elle est suivie plus particulièrement dans le service de Nicolas Turcat qui s'exprimera dans quelques instants.

Le département Cohésion sociale et territoriale est tourné vers des activités à impact social ainsi que d'inclusion, au sens large du terme et pas seulement numérique. Nous y retrouvons globalement tous les sujets en lien avec l'économie sociale et solidaire, l'ESS. À titre d'exemple, nous accompagnons et investissons dans des projets liés à la transition alimentaire, avec les tiers lieux, l'insertion par l'activité économique (l'IAE), l'économie circulaire, l'hébergement et les services pour les populations fragiles dont les personnes en situation de handicap et la petite enfance, l'accès au soin, le vieillissement avec la problématique du maintien à domicile des personnes âgées, la formation professionnelle et l'éducation.

Ce matin, nous nous focaliserons sur l'inclusion numérique, dans le contexte particulier de post-crise sanitaire. Nous sommes très intéressés de pouvoir échanger avec vous sur les leçons à tirer du confinement. Nous estimons qu'il a été un révélateur des difficultés rencontrées par un grand nombre de citoyens. Nous connaissions déjà ces problématiques, mais cette crise les a mises en exergue. Les citoyens sont souvent cités, mais nous pouvons également évoquer les entreprises. Elles ont rencontré des difficultés et ont parfois eu du mal à poursuivre leur activité à distance faute d'outils et de compétences numériques. Dans cette dimension « inclusion numérique », je pense que nous devons aussi inclure les TPE, parfois mal à l'aise avec le numérique, au-delà des 13 millions de Français dont nous allons discuter.

Cette période de crise nous a confortés dans l'idée que nous devions intensifier, voire compléter, nos actions en matière d'accompagnement de nos concitoyens sur les usages du numérique et sur la lutte contre l'illectronisme. Les programmes dont nous sommes déjà partenaires historiques sont concernés : les « Hubs territoriaux », le dispositif France Services, que nous nous apprêtons à enrichir autour de la médiation numérique et pas seulement administrative, et le Pass numérique, une société collaborative qui distribue les chèques numériques pour la formation des citoyens.

Je laisse à présent la parole à Nicolas Turcat. Il reviendra en détail sur ces différents programmes et initiatives qui ont vu le jour pendant le confinement, à l'image de Solidarité Numérique, une plateforme téléphonique sur laquelle Nicolas a travaillé en pro bono avec son équipe.

M. Nicolas Turcat, responsable de service Éducation, inclusion et services au public à la direction de l'investissement de la Banque des Territoires. - Notre action se décline en trois blocs. Le premier porte sur les lieux et logiques de lieux, car l'inclusion numérique est très présentielle, avec des travailleurs sociaux (ou des agents de collectivités territoriales dans des petites communes) qui opèrent des activités de médiations. Le second concerne l'intelligence territoriale : comment accompagnons-nous les projets dans un certain nombre de territoires ? Enfin, le troisième aborde la logique de la mécanique : comment pouvons-nous créer les canaux de diffusion et d'information pour être capables d'aider des Français dans des procédures administratives ou autres ? Cette action peut aussi passer par le téléphone.

La première logique - de lieu - est principalement centrée autour du dispositif France Services, dont nous sommes partenaires aux côtés de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Nous dédions 30 millions d'euros à cette politique publique, dont 10 millions pour l'animation du réseau. Il est inédit qu'autant de ressources soient dédiées à une animation, à un appui territorial.

Nous comptons 533 lieux France Services, 2 100 médiateurs numériques, probablement 3 000 avec les services civiques et les stagiaires. Ce personnel doit être accompagné, formé, outillé et de bénéficier d'une écoute en cas d'interrogation. Nous avons mis en place une équipe, bientôt huit personnes, qui aident au pilotage et à la mise en place de la formation. Elle réalise des supports pour les agents, répond à des questions via une plateforme. Cette équipe effectue de l'extraction et de la donnée de pilotage. Nous sommes ainsi capables de savoir très précisément ce qui se passe dans ces maisons, de manière beaucoup plus fine qu'à l'époque de MSAP. Des personnes développent des produits informatiques ; certaines travaillent sur la qualité de service et d'autres réalisent de l'éditorialisation de contenu, à travers des newsletters par exemple Le métier de médiateur numérique dans une micro-commune se pratique très souvent seul, ou en tout cas à peu d'effectif, en effectif roulant. L'objectif est donc de les accompagner.

La communauté France Services se construit petit à petit. Actuellement, 10 millions sont dédiés à sa construction, 3 millions complémentaires sont consacrés à des dispositifs mobiles France Services, tels que des camping-cars, des bus... Nous effectuons la sélection sur la base des services disponibles dans ces véhicules et non pas sur le type de véhicule, car selon le territoire ou l'élu, les projets et modèles d'intervention diffèrent. Certains font de la médiation, postés dans des mairies, d'autres regroupent les services dans un camping-car, comme dans les Hauts-de-France. Aujourd'hui, nous avons financé 18 camping-cars en France.

Une subvention d'amorçage à hauteur de 30 000 euros par projet a été mise en place, sachant que 30 000 euros abondent annuellement de l'ANCT pendant trois ans pour faire les opérations au titre de France Services. Ce dispositif est donc bien financé et convient parfaitement aux zones rurales. Nous avons récemment ouvert, à la demande du Ministère, ces interventions mobiles dans les QRR, les quartiers de reconquête républicaine.

La deuxième logique de France Services est une logique de partenariat avec le groupe La Poste. Nos activités sont assez proches. La Poste dispose d'un réseau ; elle a été un grand partenaire de la politique publique, notamment sur la partie politique publique de MSAP.

Aujourd'hui, nous remettons à niveau le réseau France Services. Certaines choses ont été prescrites dans le cadre de rapports de la Cour des comptes, notamment la formation des agents, l'animation du réseau... Nous en sommes très conscients et nous y travaillons actuellement ; 17 millions seront consacrés à un projet stratégique en cours de définition.

Nous voulons travailler dans deux directions, respectivement vers les zones très rurales autour des agences postales, et dans les bureaux de poste des quartiers politiques de la ville. La Poste est l'un des derniers services publics dans ces quartiers. Ces zones urbaines sont très denses, mais situées dans un désert administratif ; ces territoires sont très fragiles en la matière. Les arbitrages n'ont pas encore été rendus, des préfigurations arriveront dans des bureaux de poste labellisés France Services à l'automne 2020.

Une autre de nos actions porte sur les hubs territoriaux. J'entends votre remarque relative à la somme d'un euro par personne. Toutefois, il faut bien comprendre qu'il ne s'agit pas d'action directe, mais d'ingénierie territoriale, d'accompagnement. Le projet est issu d'un constat réalisé dans un rapport de la Stratégie nationale pour le numérique inclusif rendu en 2018 (pour lequel la Caisse des Dépôts a été impliquée).

Aujourd'hui, une multitude de lieux (entre 5 000 et 6 000) existe en France, plus ou moins formels ; des personnes font de la médiation numérique informelle. Je cite souvent l'exemple d'un homme, écrivain public au McDonald's de la porte de Bagnolet. Toute la journée, de 9 heures à 18 heures, cet homme accueille des personnes envoyées par Pôle Emploi. Il n'a aucune habilitation. Ce phénomène, que nous avions repéré dans la Stratégie nationale pour un numérique inclusif, se traduit par l'explosion des acteurs, et donc des projets territoriaux.

Ainsi, les schémas directeurs d'accessibilité au service public sont un vrai sujet. Ils ne repèrent aujourd'hui que les structures labellisées et s'intéressent en priorité au réseau des MSAP déjà en vigueur, en lien avec les services déconcentrés. Ces schémas ignorent les réseaux de tiers lieux, qui ne sont pas dans les périmètres directs des compétences territoriales. Ils oublient parfois les réseaux de médiathèques, pourtant très actives en matière d'éducation populaire par exemple. Pour les médiathèques, la situation est très disparate. Par exemple, une médiathèque peut ne pas vouloir réaliser d'inclusion numérique alors que sa voisine en fait de facto car elle a des ordinateurs en accès libre. Nous devons identifier concrètement les capacités sur un territoire, puis accompagner et mutualiser les projets. Le rôle essentiel d'un hub n'est pas tant l'accueil du public, mais le repérage des médiateurs. Ils effectuent du B to B, en appui aux collectivités territoriales, pour fédérer les écosystèmes et accompagner ces projets.

Beaucoup d'acteurs, avec de bonnes idées, sont seuls et n'ont pas forcément ni les ressources, ni les capacités pour rechercher des fonds. Les financements du type Action coeur de ville, fonds européen de développement régional (FEDER), fonds social européen (FSE), sont des financements très compatibles avec les sujets d'inclusion numérique. Nous savons que les financements FSE ou FEDER sont aujourd'hui sous-consommés dans certaines régions.

Nous devons aussi présenter des projets plus ambitieux, plus lourds administrativement ; il en va du rôle des hubs d'accompagner les projets, de mutualiser les efforts. Il s'agit presque d'un cabinet de conseil, qui doit repérer des capacités et accompagner des projets auprès des collectivités. Nous accentuerons cette inflexion dans les prochains mois. Pour l'heure, la mission des hubs a été de recenser des lieux. La Mêlée en est l'archétype. En mai 2020, 332 lieux ont été repérés dans la zone géographique en question pour une population de 478 000 personnes à cibler. Le prochain objectif est ensuite de rencontrer les collectivités pour réaliser des effets de réseaux.

Comme vous l'avez rappelé, il s'agit pour l'instant d'une subvention d'amorçage ; l'idée est la pérennisation du financement. La Caisse des Dépôts a accordé 5 millions d'euros pour onze hubs et 5 millions d'euros ont été apportés en parallèle par les collectivités territoriales ou associations (et entreprises dans de très rares cas). L'objectif est d'obtenir un budget à 50/50 pour avoir des effets leviers peut-être encore plus forts, notamment grâce aux financements européens.

Les hubs qui fonctionnent le mieux aujourd'hui sont ceux qui adoptent une logique de mutualisation de l'ingénierie territoriale. Je pense à l'Auvergne-Rhône-Alpes ou aux Hauts-de-France notamment, capables de trouver jusqu'à 3 ou 4 millions d'euros supplémentaires de financements. Dans les Hauts-de-France, ils ont obtenu un prêt du FEDER de 287 000 euros, permettant un effet levier en embarquant l'ensemble des centres communaux d'action sociale (CCAS) des Hauts-de-France. Nous observons alors un début de structuration.

Enfin, la dernière logique est celle de l'attraction : comment pouvons-nous être certains que les Français viennent dans ces lieux ? Personne ne sait que dans une médiathèque, il y a un ordinateur avec une personne formée et capable de vous accueillir. Personne ne sait qu'il existe une France Services à tel ou tel endroit. Nous manquons de communication, nous avons besoin d'une communication territoriale et nationale massive. Comment nous assurons-nous que les gens vont dans le lieu et repartent en ayant effectué leur formation ?

Nous devons être certains qu'un accompagnement de qualité existe dans ces lieux. Ces derniers doivent être labellisés. Or, encore trop de lieux aujourd'hui ne disposent pas d'un accompagnement de qualité. Dans le recensement que nous avons fait, nous nous sommes aperçus qu'un certain nombre de personnes, des anciens du service informatique, avaient monté un dispositif de médiation numérique en bord de bourg, mais qui n'était pas attractif. France Services était très marqué socialement et constituait un vrai repoussoir. La question de gérer ces repoussoirs est cruciale. Parmi les 13 millions de Français dont nous parlons sans cesse, la moitié n'a pas de connexion internet, mais l'autre moitié a renoncé car elle se sent honteuse. Ces Français n'ont pas envie d'aller demander à n'importe quelle personne installée en bord de route, sauf dans certains cas, comme par exemple pour les cartes grises. Ce service privé fonctionne très bien pour ceux qui peuvent y recourir car il coûte une trentaine d'euros.

Lorsqu'il s'agit de donner des compétences de formation au numérique, la situation est bien plus complexe. Le Pass numérique a été pensé pour cette raison. Il a été mis en place par deux appels à projets. Nous avons fait le choix, comme l'a rappelé Christophe Genter, d'être dans une direction de l'investissement. Nous avons investi dans la société APTIC, opératrice du Pass numérique aujourd'hui. Nous avons investi en fonds propres et quasi-fonds propres pour soutenir le développement de la structure afin d'opérationnaliser le Pass numérique. Nous sommes en plein déploiement des Pass numériques, mais des points restent à simplifier. Ce soir encore, j'ai une réunion pour en discuter, car il nous reste beaucoup à faire pour simplifier le Pass numérique. Nous pourrons en rediscuter.

Voilà un tour d'horizon du panel inclusion numérique, France Services. Je pense avoir répondu à une partie de vos questions sur le financement. Sur les chiffres de France Services, je vous laisserai bien sûr prendre contact avec l'ANCT et la directrice du programme Sophie Duval-Huwart, qui vous confirmera ce tableau et le rôle central des préfets dans le cadre des labellisations France Services. Depuis le 1er janvier 2020, 533 France Services ont été mises en place, 900 à la fin de l'année. Actuellement, 25 % des cantons sont couverts et nous sommes dans la cible de l'objectif. À la vitesse où nous nous déployons pour l'instant, nous respecterons la promesse présidentielle qui est que chaque Français soit à moins de trente minutes d'une maison France Services.

Grâce à notre outil de mesure de l'activité des maisons France Services, nous avons pu observer deux faits marquants pendant le confinement. Ainsi, entre le 1er janvier 2020 et fin mai, quasiment 450 000 actes métiers ont été accompagnés, soit 100 000 visiteurs uniques (nous divisons le premier chiffre par quatre car beaucoup de Français reviennent, ayant trouvé un accompagnement). Nous observons par ailleurs un effet de cannibalisation ; en effet, les médiateurs, souvent des travailleurs sociaux, sont très enclins à prendre du temps pour répondre aux questions.

Beaucoup de territoires, je pense notamment à la Bretagne, ont mis un point d'honneur à la former des médiateurs, à gérer la crise sociale dans certains cas. Aujourd'hui, Pôle Emploi se retrouve en difficulté car le public se rend désormais à la maison France Services et non plus dans les locaux de Pôle Emploi. Le public est prêt à parcourir plus de kilomètres pour venir à la Maison France Services afin d'avoir des réponses à ses questions, et exposer ses dossiers pendant 45 minutes, durée moyenne d'un acte France Services. Cela témoigne d'un accompagnement de qualité.

Le deuxième point notable est que la moitié des 445 000 actes réalisés dans les France Services concerne les neuf opérateurs nationaux. Sur ces neuf opérateurs, l'immense majorité concerne Pôle Emploi et la Caisse d'allocations familiales (CAF) ; le reste est marginal (avec une part de croissance très forte sur la préfecture : permis, carte grise...).

L'autre moitié des actes, et c'est une découverte avec France Services, concerne des actes relevant des acteurs locaux (actes d'urbanisme, bourses pour le collège...) témoignant du caractère polyvalent des agents dont certains maîtrisent plus de dix-huit procédures Pôle Emploi, une quinzaine de procédures CAF, celles de la commune comme les cantines etc. Cela surprend beaucoup l'ANCT. Aujourd'hui, nous concevons la décentralisation de l'accompagnement de manière plus forte en embarquant nos directions régionales et nos directions territoriales de manière plus proactive.

Nous dénombrons aujourd'hui 11 hubs qui couvrent 51 départements. Pour couvrir la France, nous aurions besoin d'une vingtaine de hubs. Lors de la première vague, un jury sélectionnait les dossiers sur la maturité et la dimension hybride du projet : êtes-vous capables d'embarquer les associations, d'avoir cet équilibre que nous recherchons avec les collectivités ? Pour la deuxième vague, nous y réfléchissons actuellement, l'idée est de construire avec les territoires les propositions de hubs. Cela sera probablement un appel à manifestation d'intérêt (AMI) au fil de l'eau.

Enfin, nous essaierons surtout de financer des programmes d'action encore plus précis. Nous nous sommes aperçus que le déploiement du Pass numérique est un sujet assez embarqué par l'appel à projets, ce n'est peut-être pas la peine d'insister. Nous devrions peut-être concentrer les hubs sur la fédération d'écosystèmes, le recensement des capacités, la mise en place des cartographies. Il s'agit de la mission que nous essaierons d'accélérer.

L'autre point évoqué est l'inclusion numérique des entreprises. Dans le cadre de Solidarité Numérique que nous avons accompagnée pro bono, avec le secrétariat d'État au numérique, nous avons fait la promesse de faire perdurer et développer les dispositifs qui fonctionnent.

L'année dernière, avec Olivier Sichel, nous avons réalisé une visite de terrain au Canada, le point d'exemple qui a permis au Président de la République de penser France Services. Service Canada fonctionne sur trois niveaux de services. Ce ne sont pas les lieux, car la géographie canadienne est évidemment radicalement différente de la nôtre, mais la logique de transformation dans laquelle ce pays est engagé est très intéressante. Le premier niveau est le site web extrêmement clair et simplifié mis en place ; nous pourrons en rediscuter. La plateforme téléphonique intervient en second niveau d'accès. Cette plateforme est elle-même répartie sur trois niveaux d'accueil, avec des appels sortants, ce qui est extrêmement rare dans l'administration. Une fois que vous avez passé tous ces caps, quelqu'un vous redirige vers les lieux (même si bien sûr, vous pouvez vous diriger seul vers les lieux). Ce canal téléphonique, aujourd'hui, nous intéresse énormément et nous aimerions y travailler. Nous expérimenterons à la rentrée quelque chose autour de la médiation téléphonique. Cela a fonctionné sur la base du volontariat avec Solidarité Numérique mais devra perdurer de manière plus professionnelle.

L'inclusion numérique couvre aussi les TPE, PME, les commerçants et les artisans. Lorsque vous êtes restaurateur par exemple, que votre expert-comptable effectue toutes vos procédures depuis toujours parce que vous êtes concentré sur votre activité en tant que telle, vous n'avez peut-être pas les compétences numériques nécessaires pour les démarches administratives. Aujourd'hui, nous avons un vrai sujet avec les procédures d'obtention des Kbis, le téléchargement des pièces pour les prêts garantis par l'État (PGE), les dispositifs de mesures de la Banque publique d'investissement (BPI), des régions, etc. Beaucoup de personnes ne savent pas le faire et se sont adressées à France Services à la réouverture des locaux. Aujourd'hui, ces personnes se voient opposer des refus, car elles se retrouvent face à un travailleur social qui ne veut pas effectuer les procédures économiques ou financières à la place du demandeur, qu'il redirige alors vers la chambre de commerce et d'industrie (CCI). Cependant, les CCI sont peu nombreuses et toutes situées dans les grandes villes. Il s'agit d'un vrai sujet, porteur, sur lequel nous devons travailler, car la transformation numérique des TPE/PME permettrait assurément d'accélérer l'attractivité de certains territoires.

Enfin, vous m'avez interrogé sur l'employabilité et les compétences numériques. Nous sommes actionnaires de la société Simplon, et partenaires historiques de la Grande École du Numérique, un grand appel à projets qui labellise des lieux et des compétences numériques. Depuis trois ans maintenant, 10 000 personnes ont été formées au niveau bac et infra-bac, avec une double vocation d'attractivité et de compétence numérique pour les entreprises. De grands groupes (la Société Générale, Capgemini...) recrutent des gens de ce niveau-là. Vous n'avez pas besoin d'avoir un bac+5 pour disposer de compétences numériques. Le numérique est l'une des grandes et dernières voies d'ascension sociale de ce pays. Il y a de très belles histoires, je ne vais pas vous citer l'École 42, de la French tech... Des personnes infra-bac connaissent aujourd'hui une vraie réussite et perçoivent de bons salaires. Nous investissons dans la société ESUS-Simplon, aujourd'hui le plus grand réseau de fabriques en France, avec 72 fabriques (dont 54 en France), formant 2 000 personnes par an.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Je souhaite demander à Monsieur Turcat s'il ne voudrait pas se mettre à notre place ; il pourrait ainsi nous aider rapidement à développer sa vision pour une meilleure organisation, une stratégie afin de lutter efficacement contre l'illectronisme.

Je remercie infiniment l'ensemble des intervenants. Il est intéressant de relier votre propos à l'audition du Président de La Poste. Quand vous nous décrivez les relations avec l'ANCT, nous avons l'impression que se dessine la nécessité d'aller à l'encontre de la situation éclatée, dispersée, non coordonnée en matière de lutte contre l'illectronisme. Vous suggérez, à travers votre intervention, que l'ANCT, la CDC et la Poste peuvent constituer les fondations d'une politique et d'une stratégie qui permettrait de réunir tous ces moyens, toutes ces compétences afin d'être plus efficaces rapidement.

Vous l'avez démontré, vous réunissez un maillage, une capacité de personnel de terrain, une forme de facilitation d'accès au service public incomparables. Vous avez exposé votre participation à l'aménagement du territoire, les moyens, la connaissance des dispositifs qui visent à réduire les fractures quelles qu'elles soient, et la nécessité d'un investissement. Nous avons ainsi une ébauche des sujets à travailler ensemble afin de proposer une première définition de la nouvelle politique devant être mise en place pour lutter contre ce fléau national.

Mme Angèle Préville. - J'ai un questionnement par rapport à notre souci de prendre en compte tous les citoyens français dans une situation d'illectronisme, répartis sur l'ensemble du territoire national. Vous avez indiqué comment sont résolus les problèmes sur certains territoires. Vous avez notamment parlé d'appel à projets, ce qui me touche car j'ai travaillé sur une proposition de résolution européenne à ce sujet. Évidemment, certains territoires pourront répondre à des appels à projets, auront des fonds redistribués car d'autres territoires ne les demandent pas. C'est bien toute la problématique de l'accès et de la couverture intégrale du territoire qui est en jeu.

Ne serait-il pas plus adapté de partir des territoires (des zones rurales et très rurales, des quartiers de politique de la ville) qui rencontrent visiblement des problèmes d'accès au numérique ? Peut-être faudrait-il partir des territoires les plus en difficulté, car personne ne demandera d'aide dans ces territoires-là. Cela me questionne car toute la complexité et la difficulté viennent des inégalités de territoires. Nous devons résoudre le problème sur l'ensemble du territoire national. Vous avez évoqué l'appel à manifestation d'intérêt, mais quelqu'un sur un territoire donné doit être en mesure d'y répondre. Comment ces territoires opèrent-ils ?

M. Nicolas Turcat. - Je partage avec vous le constat sur l'accompagnement concret de beaucoup d'appels à projets. Comment pouvons-nous les accompagner et les structurer ? J'aurais un point d'inflexion au constat que vous avez exposé. Au-delà de l'égalité sur territoire, la question de la priorisation des actions dans certains territoires se pose. Lorsque nous déployions des appels à projets ou des appels à manifestation d'intérêt, un des soucis des « Hubs territoriaux pour un numérique inclusif » était à l'époque de prioriser certains territoires. Par exemple, le territoire francilien, extrêmement dense, avec beaucoup de Quartiers Politiques de la Ville sur la première couronne, a été fondamental dans la manière de traiter le sujet. Les Normands ont aujourd'hui une structure de réseau beaucoup plus aboutie et mature en matière d'inclusion numérique, ils ont des structures de mutualisation, des réseaux (Point Info 14, Manche numérique...) qui appuient beaucoup de lieux et apportent une vraie réponse à leur territoire sur l'inclusion numérique, c'est exceptionnel. De même, les Landes sont le très bon élève sur le sujet du numérique éducatif. Effectivement, nous préférons prioriser. C'est un parti pris. Nous n'avons pas une action similaire partout et tout le temps.

Pour prioriser, il faut construire une trajectoire pour couvrir le territoire. Normalement, les hubs sont censés récupérer les appels à projets dans une région, rencontrer les acteurs de terrain et les motiver pour y répondre. Leur travail est de répondre concrètement sur des fonds européens, à la fabrique des territoires de l'ANCT, etc. Il existe une multiplicité d'acteurs, de programmes, d'appels à projets. Action Coeur de ville est une attractivité pour les commerces par exemple, mais couvre aussi le sujet de l'inclusion numérique des acteurs ; peu de personnes sont au courant. La banque des territoires doit appuyer les différents hubs entre eux. Avec l'ANCT, nous leur fournissons un webinaire tous les mois, nous leur expliquons les différents projets, les critères de candidatures. Nous tentons d'être pédagogues, sinon les acteurs ne comprennent pas et renoncent.

Mme Martine Berthet. - Vous avez cité le Pass numérique tout à l'heure, pouvez-vous développer ce sujet ? Intervenez-vous sur ce dossier ? Si oui, de quelle manière ? Comment est-il développé actuellement ? Sa répartition géographique est-elle la même sur l'ensemble du territoire ? N'est-ce pas précisément les territoires les plus dynamiques, donc ceux qui en ont le moins besoin, qui se dirigent vers ce type d'action ?

M. Nicolas Turcat. - Sur le Pass numérique, nous sommes actionnaires (aux côtés de l'État et de la MAIF notamment) en fonds propres et en quasi-fonds propres de la société APTIC, opératrice du Pass numérique. Une levée de 2 millions d'euros a servi à construire les capacités, recruter des gens dans cette société d'intérêt collectif, dans laquelle la Caisse et l'État sont très présents. Ce n'est pas une société publique, mais elle revêt un caractère d'intérêt général très fort. Le statut de société coopérative aussi est très intéressant car il permet d'associer les collectivités territoriales à la gouvernance. Je signale qu'il s'agit d'un des rares cas de participation de collectivités à des sociétés économiques dans un modèle économique d'investisseur. Cela permet de casser cette logique de prescripteur, acheteur/acheté et de construire autrement un dispositif.

Jusqu'alors, 10 millions d'euros ont été injectés en 2019, et 15 millions d'euros ont été annoncés avec le cofinancement « 1 euro pour 1 euro » entre l'État et les collectivités. Les collectivités engagées sont souvent les plus matures. Du fait de leur implication dans la stratégie nationale, elles savent ce qu'est le Pass numérique et savent quasiment le distribuer : la Nouvelle Aquitaine, la Drôme ou la Normandie sont des exemples pertinents, des territoires très structurés.

Un dispositif de hubs consiste à aller chercher les territoires les plus reculés. Depuis le début de l'année, nous avons organisé trois webinaires avec des territoires qui n'étaient pas concernés initialement par le Pass numérique, afin de leur expliquer les dispositifs mis en place, notamment pour les diffuser auprès du public. Cela représente une trentaine de départements.

Nous pouvons également évoquer les territoires d'expérimentation, les « TANI », un dispositif de bonnes pratiques et de partage au niveau de l'ANCT. Il s'agit d'une communauté animée via du numérique (pour l'instant), y compris avec le secrétaire d'État, en partage d'expérience, partage des charges etc.

Effectivement, le Pass numérique concerne pour l'instant les territoires les plus matures car il faut pouvoir identifier les lieux dans lesquels il serait bénéfique. Beaucoup de collectivités ont cette maturité car des schémas directeurs au niveau départemental ont été mis en place, y compris avec les préfets.

La seconde problématique vient de la manière dont vous le diffusez, cette question est plus complexe. Une fois les Pass numériques achetés, il faut identifier les bons citoyens à qui les donner. Cette identification est extrêmement compliquée car aujourd'hui seules les personnes en interface directe avec nos concitoyens se rendent compte des difficultés. Nous devons fournir une mini-formation pour expliquer les critères d'éligibilité au Pass numérique. Nous devons être vigilants car dans une France Services ou dans une mairie, vous pourriez très bien donner un Pass numérique à une personne de manière non ciblée. Or, nous savons que le ciblage est la clef de la réussite.

Je citerai deux exemples. D'abord en Saône-et-Loire, où j'ai vu des Pass numériques être donnés suite à la numérisation du Chèque emploi service universel (Cesu). Le Cesu est très basique mais du jour au lendemain, il est passé en numérique et il est devenu compliqué de commander des chèques Cesu. Cette difficulté n'a pas du tout été repérée par l'administration et s'est révélée très importante l'hiver dernier. La majorité de la médiation s'est concentrée sur cette question. Le Cesu n'étant pris en charge par personne, des ateliers Pass numériques ont été organisés pour répondre à ce problème.

Le second exemple, c'est le décrochage scolaire. À Dijon, le rectorat a identifié les parents des décrocheurs scolaires dans les collèges. Assez vite, la corrélation a été faite entre le décrochage de l'enfant et le fait que les parents n'utilisaient jamais les outils numériques : Pronote, l'ENT... Le CPE identifiait l'élève et donnait un Pass numérique aux parents concernés, car beaucoup de parents ne savaient pas faire et n'osaient pas demander, par honte. Cela a bien fonctionné car cela était très ciblé, pour un moment donné. Nous devons donc avoir une vision stratégique autour des lieux, de la façon dont on va les diffuser, en même temps que sur les préoccupations réelles.

Je finirai sur les cartes grises, un cas très particulier. Aujourd'hui, des préfets ont autorisé des opérateurs privés à facturer 29 euros pour cette procédure, alors que des préfectures ont fermé et que des France Services font cette même procédure gratuitement. C'est un vrai sujet que nous devrons aborder. Nous avons reçu la société Feu Vert dans le cadre de la Stratégie nationale pour un numérique inclusif. Elle nous a expliqué que finalement, dans le panier moyen de la réparation d'une automobile, les consommateurs paient 29 euros pour s'épargner une procédure administrative. Cela ne pourrait-il pas être pris en charge par le Pass numérique ? Nous aimerions que les élus territoriaux y réfléchissent.

M. Raymond Vall, rapporteur. - Je voudrais revenir sur cette question. Je vois une confirmation de l'abandon des territoires. Une inégalité territoriale se crée dans ce que vous dites sur les cartes grises, ou dans la disparition de l'accès physique aux services publics. Nous devons lutter contre cette inégalité. Parfois, il en va de même dans ces territoires pour les infrastructures, avec dans certains cas, des disparités scandaleuses de l'offre.

Retrouver une égalité territoriale est l'une de nos missions. Les différents cas que vous avez évoqués sont tout à fait scandaleux. Nous devons défendre la nécessité absolue de garder un accès physique à ces services indispensables à la population. Ne parlons même pas de ce qui peut concerner la santé. Tout cela se croise avec une situation politique de fracture, extrêmement dangereuse.

Par conséquent, j'en reviens à la nécessité de faire prendre conscience, à travers le rapport que nous allons remettre, du fait que l'État se doit de définir et prendre ses responsabilités en matière de lutte contre l'illectronisme. Il existe énormément d'initiatives formidables, efficaces, mais elles se sont développées sans cohésion.

L'Institut national de la statistique et des études économique (INSEE) précise que plus de 40 % de la population, à différents niveaux, souffre de l'illectronisme. Nous savons pertinemment que ces territoires qui souffrent déjà d'un handicap seront laissés sur le bord de la route car ils n'auront pas les infrastructures, les lieux ou les maillages nécessaires.

De bonnes initiatives existent. Nous devons essayer de les rassembler, mais nous ne pouvons accepter la réponse d'un manque de dispositif dans des domaines qui sont des compétences régaliennes de l'État. Nous ne pouvons accepter que la formation des enseignants ne soit pas obligatoire en matière de numérique, ou que certains territoires ne puissent avoir accès à l'acte médical numérisé.

Aujourd'hui, un certain nombre de départements sollicitent les opérateurs traditionnels, mais les débits ne sont pas compatibles avec certaines utilisations du numérique, dont le télétravail, la santé...

C'est un hymne à la ruralité, car nous avons l'impression que ce sont toujours les mêmes territoires qui sont sacrifiés. Ces territoires aujourd'hui paient le prix fort d'avoir accès à 30 mégabits. Un département de 200 000 habitants dispose d'un budget de 90 millions d'euros, dont 50 % est affecté aux territoires. Pour quelle contrepartie ? Nous n'avons aucune mesure d'accompagnement, aucune capacité en engineering pour imaginer une politique territoriale numérique.

J'ai bien noté que l'ANCT doit ajouter la lutte contre les inégalités face au développement numérique dans sa mission. Lorsque nous avons discuté avec le Président de La Poste, nous avons ouvert la brèche pour savoir si nous pouvions compléter sa mission d'aménagement du territoire par avenant, associés à la Caisse des Dépôts. La situation est grave. Pourtant, lorsque nous vous écoutons, nous avons l'impression que nous sommes dans une dynamique, que tous les problèmes se régleront. Ce n'est pas le cas. Nous devons déclencher une véritable décision, une volonté politique à travers cette mission.

Mme Angèle Préville. - Je souhaite aller dans le même sens que Monsieur le rapporteur, je suis entièrement d'accord avec lui. Je ne peux me résoudre à ce que l'accès à la carte grise coûte maintenant a minima 29 euros alors qu'avant, ce service était gratuit. Je ne comprends pas le glissement vers de telles pratiques.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je poserai trois questions. La première concerne l'attractivité des hubs. Nous l'avons déjà entendu dans d'autres auditions et vous nous l'avez rappelé aujourd'hui : nous constatons un manque de communication, un manque de promotion. Ce qui est fait n'est pas su. Envisagez-vous un effort particulier en direction de cette communication pour que les efforts effectués soient accompagnés par une recrudescence du public ?

Ma deuxième question concerne les hubs présents sur le territoire. Vous avez rappelé que vous couvriez près de 50 % du territoire français, et qu'une vingtaine de hubs serait nécessaire pour couvrir l'ensemble du territoire. Pour ce faire, vous envisagez de vous appuyer sur le traditionnel appel à manifestation d'intérêt, « au fil de l'eau » avez-vous rajouté. Mais si vous considérez que cette mise en place est importante, pourquoi utilisez-vous cette procédure (si ce n'est faute de moyens pour mettre en place les 20 hubs dont nous aurions besoin) ?

Enfin, je ne comprends pas une telle disparité entre les territoires. Comment certains peuvent-ils bénéficier d'aides du FEDER ou du FSE, alors que d'autres n'ont rien ? La stratégie nationale numérique n'aurait-elle pas été plus pertinente si elle avait consisté à demander des fonds à l'Europe par une cellule nationale, quitte à redistribuer ensuite sur le territoire les résultats de cette demande ?

M. Philippe Blanchot. - Je peux peut-être répondre sur la question européenne, même si ce ne sont pas mes attributions propres. Nous observons une difficulté de la régionalisation des fonds structurels, même si cette difficulté se traduit souvent par une sous-consommation.

À l'occasion de la mise en place du prochain cadre financier pluriannuel, il devrait exister un financement un peu plus nationalisé, de ce qu'il restera de ces fonds structurels. Cependant, nous sommes loin de revenir vers la gestion nationale et centralisée que vous évoquiez, Monsieur le président.

Notre apport doit se faire en ingénierie pour que les collectivités puissent utiliser ces fonds, et les utilisent. Nous le faisons en partenariat avec les ANCT, sur le FEDER notamment. Toutefois, là aussi, la Caisse n'est pas gestionnaire de ces comptes, elle ne peut qu'apporter un soutien en ingénierie.

M. Nicolas Turcat. - Quant à la régionalisation, je ne dispose pas d'information, il s'agit simplement de la question des programmes opérationnels. Les Hauts-de-France disposent de l'ingénierie pour rédiger des programmes et chercher les financements. Ces situations illustrent la diversité des territoires.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Je demandais s'il n'était pas plus pertinent de faire un dossier pour onze bénéficiaires, plutôt que onze dossiers pour onze bénéficiaires.

M. Philippe Blanchot. - Ce que vous évoquez, Monsieur le président, est une renationalisation des fonds structurels, auquel cas il s'agit de la compétence du législateur et non plus de la nôtre. Nous ne pouvons que constater et regretter, comme vous le faites, que les fonds structurels sont trop souvent sous-utilisés.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Le législateur n'a jamais interdit les conventions entre partenaires, nous pourrions imaginer des combinaisons.

M. Philippe Blanchot. - À ce moment-là, il faudrait plutôt imaginer un dispositif au niveau de Régions de France. En revanche, si nous souhaitions revenir à une gestion nationale des fonds structurels, l'action relèverait du législateur. Je ne suis pas certain qu'elle soit souhaitée par les élus locaux. Nous sommes dans un sujet complexe. Par exemple, lorsque nous évoquons avec les régions la possibilité d'utiliser ce qui reste de fonds structurels non utilisés, elles n'y sont pas favorables. Les régions y voient une renationalisation. Ce sujet est très compliqué dans le dialogue avec les régions.

M. Jean-Marie Mizzon, président. - Nous allons clore ce chapitre, les régions ne perdront jamais autant d'argent qu'en a perdu l'État. Il me semble que vous conduisez une politique nationale déclinée au plan régional et qu'en ce sens-là, il n'est pas idiot d'avoir une approche nationale pour limiter le nombre de dossiers.

M. Nicolas Turcat. - Concernant la présence des hubs, pourquoi parlais-je d'un AMI « au fil de l'eau » ? Nous pourrions imaginer un système avec une date butoir : par exemple, au 30 septembre tout le monde nous rendrait les dossiers et nous les financerions en un seul bloc. Cependant, en adoptant cette politique, les projets ne seraient pas matures. Nous pouvons leur faire prendre de l'envergure, en les accompagnant et en organisant trois ou quatre réunions avec les collectivités territoriales.

J'ai l'exemple très concret d'un cycle de réunions que nous menons depuis quelques semaines avec une région, pourtant très mature, que j'ai citée plus tôt. Cette région aura son hub, mais nous l'aidons à compléter son dispositif, à prioriser les problématiques. Cet accompagnement prend du temps, « le temps de la maturité ». Nous organisons une réunion toutes les trois semaines avec les départements et les structures de mutualisation, partenaires dans ce consortium. L'objectif est de développer une réflexion en matière de portage. Quel est le portage optimal ? Est-ce seulement un consortium entre plusieurs départements ? Est-ce une association comme en Auvergne-Rhône-Alpes ? Est-ce une société coopérative comme dans les Hauts-de-France ? Ce sont des décisions de nature politique.

Aujourd'hui, nous faisons le retour d'expérience de ces douze premiers mois de hubs ; nous préférons prendre quelques semaines de plus pour peaufiner l'accompagnement plutôt qu'imposer une date butoir, aboutissant à un projet financé bon an mal an. Par exemple, le Grand-Est est composé de deux blocs. Le bloc Ouest est moins structuré que le bloc Est. Les Alsaciens sont très structurés. De l'Aube jusqu'à la Belgique, le territoire est beaucoup moins peuplé. Nous essayons de convaincre la partie Est d'intervenir sur la partie Ouest. Je comprends aussi leurs réticences puisqu'ils ne connaissent pas les réseaux dans cette région. Les Ardennais sont structurés et n'ont pas envie de se faire embarquer de cette manière. Nous sommes au coeur des particularités des territoires.

En revanche, il ne s'agit pas d'une question de moyens. Dans les années 2000, nous avons assisté à la création des « centres de ressources pour l'inclusion et la médiation numérique », pour l'ingénierie territoriale et régionale. Ces centres étaient financés à hauteur de 45 000 euros pour deux ans, soit 90 000 euros, à l'échelle d'une région. Ici, nous parlons d'une enveloppe de 450 000 euros pour 18 mois. Ce financement est donc bien plus ample.

Pour la communication, à la Caisse des Dépôts sur la Banque des Territoires, nous travaillons à l'échelle du territoire. Une maison France Services a une zone d'attraction de douze kilomètres autour d'elle. Nous devons l'augmenter, a minima la doubler. Deux questions m'apparaissent comme cruciales. La première est la communication nationale massive (dans un journal télévisé par exemple) ; elle est du ressort de l'État. L'autre question est l'animation territoriale, que nous soutenons. Ainsi, nous fournissons des kits et des formations à l'ensemble des agents France Services.

La téléconférence est close à 11 h 20.