Mardi 16 février 2021

- Présidence de Mme Annie Le Houerou, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Audition de M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Après une première série d'auditions avec les statisticiens et les acteurs associatifs, nous allons consacrer cet après-midi à la stratégie du Gouvernement et des différentes administrations face à la précarisation et à la paupérisation d'une partie des Français.

Nous accueillons tout d'abord M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises. Vous êtes, depuis le mois d'octobre, le premier titulaire de ce haut-commissariat. Aux termes du décret qui a créé cette fonction, vous êtes chargé :

- d'assurer l'engagement des entreprises en faveur du déploiement du plan « 1 jeune, 1 solution » ;

- de veiller à la mobilisation des aides et des accompagnements à l'emploi en faveur des filières créatrices d'emploi ;

- d'accompagner les mesures de soutien à la mobilité dans l'emploi et de veiller à la meilleure valorisation des compétences acquises par le travail ;

- de promouvoir les innovations sociales en faveur de l'emploi portées par les entreprises.

Il s'agit donc de missions qui vous permettent d'apporter un éclairage précieux à notre mission d'information qui est composée de 23 sénateurs, présidée par moi-même et dont le rapporteur est Mme Frédérique Puissat.

Vos fonctions ont évolué entre les mois de mars et d'octobre. Vous nous expliquerez pourquoi vous avez perdu la mission « d'assurer le déploiement de l'engagement national de développement des entreprises adaptées "Cap vers l'entreprise inclusive 2018-2022" » et celle de « proposer des mesures favorisant l'accès à l'emploi des personnes en situation de handicap ». Notre commission est sensible à ces questions. Vous pourrez nous expliquer ces évolutions.

Monsieur Guilluy, je vais vous laisser commencer cette audition par un propos liminaire que vous pourriez centrer sur les objectifs et les mesures de la stratégie pauvreté du Gouvernement en matière d'accompagnement, de formation et d'emploi.

Nous ouvrirons ensuite une phase d'échanges, en commençant par les questions de notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, qui devrait vous permettre d'aborder les différents points du questionnaire que vous avez reçu, et enfin par les questions des sénateurs membres de notre mission d'information.

M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises. - Je suis ravi d'être parmi vous sur un sujet aussi important, d'une acuité toute particulière dans la période que nous traversons et qui anime une bonne partie des objectifs et des motivations du ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion et, de ce fait, de mon haut-commissariat.

Je vais essayer de contribuer à éclairer certaines des questions que vous vous posez dans le cadre de vos travaux. Il faut me considérer comme un bras armé opérationnel auprès des ministres Élisabeth Borne mais aussi Bruno Le Maire. Je travaille à la fois sur les enjeux d'emploi et de mobilisation des entreprises.

J'ai pris mes fonctions au mois de mars en tant que haut-commissaire à l'inclusion dans l'emploi et à l'engagement des entreprises. Nous avons simplifié le titre mais cela ne veut pas dire que l'on enlève la vision inclusive de nos politiques de l'emploi, qui consiste à s'assurer que toute personne, quelles que soient ses capacités, ses compétences, sa situation, puisse accéder à l'autonomie et à la dignité par le travail. Cela passe aussi bien par l'insertion par l'activité économique (IAE) que par la prise en compte des questions de handicap. J'accompagne également le plan « 1 jeune, 1 solution ».

Très concrètement, sans entrer dans le détail de toutes les missions que je porte et en me concentrant sur les sujets qui sont les vôtres, je travaille beaucoup sur l'inclusion dans l'emploi en lien avec la ministre déléguée à l'insertion. Cela intègre toute l'offre d'accompagnement par l'IAE, par les entreprises adaptées, par tous les dispositifs qui vont accompagner les individus. Personnellement, je travaille plutôt sur la demande. Comment stimuler les comportements des entreprises, des collectivités, des organisations pour développer l' « inclusivité » des politiques de l'emploi, à travers par exemple les achats inclusifs ? Si l'on veut augmenter de 140 000 à 240 000 le nombre de personnes en IAE, il faut créer un écosystème pour obtenir un meilleur réflexe d'achat inclusif par la commande publique et privée. Nous travaillons aussi sur la mobilisation des entreprises pour développer leur capacité à recruter, à manager des personnes qui ont connu un parcours plus difficile. Cela concerne tout le champ de l'inclusion dans l'emploi. Il s'agit d'accompagner la réussite du Pacte d'ambition pour l'IAE par ce biais. Nous travaillons avec des entreprises adaptées à développer des filières dans le numérique, le textile, l'automobile, etc., et à créer les conditions pour développer l'offre d'emploi et les passerelles entre les acteurs du secteur du travail protégé et adapté (STPA) et les recruteurs de manière générale.

Je travaille également en collaboration avec le ministère délégué à l'insertion, avec les Start-Up d'État, pour mettre en place la plateforme de l'inclusion en vue de faciliter la mise en relation entre les personnes éloignées de l'emploi sur un territoire et l'offre d'emploi inclusif sur ce même territoire. C'est un succès. La semaine dernière, nous avons traité plus de 10 000 candidatures et plus de 2 000 contrats de travail ont été signés par ce biais-là.

Nous avons lancé au mois de juillet une application qui s'appelle Le marché de l'inclusion afin de connecter les acheteurs publics et privés avec toutes les structures d'insertion par l'activité économique et les structures pour les personnes en situation de handicap. Le développement de ces relations d'affaires inclusives concourt à la concrétisation du Pacte d'ambition pour l'IAE.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » constitue le deuxième champ de mon action. Il évolue de façon agile pour apporter un maximum de solutions vis-à-vis des jeunes qui sont souvent les premières victimes des situations de crise par rapport à l'emploi. Cela concerne les aides à l'emploi, la formation professionnelle avec le plan d'investissement dans les compétences (PIC), le service civique et toutes les aides à l'accompagnement (garantie jeunes, etc.). Ce champ couvre une grande diversité de dispositifs.

Nous facilitons également l'accès à ces opportunités aux jeunes et aux entreprises en développant le site www.1jeune1solution.gouv.fr qui permet à chaque jeune d'identifier les offres d'emploi avec un point d'attention sur les jeunes les plus éloignés de l'emploi. La lutte contre la précarité passe par l'apport aux jeunes d'une solution d'accompagnement avec une garantie de ressources. J'espère que cela contribue à votre réflexion. On sait que la formation professionnelle est un facteur clé du développement des compétences dans des métiers d'avenir pour la déprécarisation des populations sur le long terme.

L'accès à l'emploi est le troisième élément clé de toute politique durable contre la précarisation et la paupérisation. C'est le fil rouge de nos stratégies de lutte contre la pauvreté, qui visent à créer les conditions d'un retour à l'emploi, à l'activité, à l'autonomie de chacun.

Enfin, l'engagement des entreprises constitue le dernier point, qui n'a pas toujours été pris en compte dans la manière dont on conduit les politiques publiques. L'idée est de stimuler l'engagement des entreprises au service des politiques de lutte contre la pauvreté, l'égalité des chances et l'inclusion dans l'emploi. Les entreprises sont un levier important des politiques d'insertion. Nous sommes chargés de développer un réseau d'entreprises engagées et sommes établis dans 90 départements. Nous avons plus de 6 000 entreprises engagées, qui mènent des actions très concrètes dans le recrutement des jeunes, les achats inclusifs et toutes les politiques qui contribuent à la stratégie de lutte contre la pauvreté et d'emploi inclusif.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Je souhaite vous préciser que deux autres missions d'information du Sénat sont en cours, l'une sur la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse, et l'autre sur les conditions de la vie étudiante en France. Cela explique que notre questionnaire ne soit pas spécialement orienté vers les jeunes. Nous avons une approche plus généraliste.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - J'ai déjà eu l'occasion d'apprécier votre pragmatisme et votre dynamisme, et j'en ai retenu l'idée que tout ne relève pas du domaine législatif et que plusieurs acteurs sur le territoire peuvent contribuer à nous soutenir en matière d'insertion.

J'ai trois questions précises à vous soumettre.

Tout d'abord, l'impact de l'IAE en matière de lutte contre la pauvreté et la précarité et d'accès à l'emploi durable a-t-il fait l'objet de travaux ?

Puis, quel est l'impact des emplois aidés en matière de lutte contre la pauvreté et la précarité ? Et à quelles conditions peuvent-ils être efficaces ? Le Gouvernement a-t-il changé de doctrine à leur sujet ?

Quels sont les grands axes du nouveau service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE) ? Quel est le bilan des expérimentations territoriales de cette réforme ? Quel est le calendrier de son déploiement ?

Enfin, j'ai une question d'ordre plus générale, relative au rapport de Frédéric Bierry, président de la commission sociale de l'Assemblée des Départements de France (ADF), président du Conseil départemental d'Alsace. Il a une approche « décoiffante » de l'accompagnement, notamment sur le rôle des départements avec un principe de démocratie d'implication. Il préconise de rendre acteurs les personnes qui sont en demande d'accompagnement, quelle que soit leur situation. Il propose de regrouper les prestations en deux pôles avec une prestation appelée « tremplin vers l'emploi » d'un côté et un contrat d'engagement civique de l'autre. Il implique peut-être davantage le milieu économique et professionnel sur l'accompagnement aux côtés des travailleurs sociaux. Quel est votre sentiment en la matière ? Y-a-t-il des choses à retenir de ce rapport ?

M. Thibaut Guilluy. - Sur l'IAE, les travaux disponibles ont une approche économique. Un rapport de la Cour des comptes de 2019 a confirmé, dans un travail approfondi, que l'IAE était une politique à renforcer et à améliorer. Elle a analysé les coûts de l'IAE par rapport aux impacts en termes de retour à l'emploi durable et donc de lutte contre la précarisation. Le rapport Borello a été la préfiguration de politiques que j'ai mises en oeuvre auprès de Muriel Pénicaud, puis d'Élisabeth Borne. Puis les travaux que l'on a conduits avec le Conseil de l'inclusion dans l'emploi ont abouti au Pacte d'ambition pour l'IAE qui traduit notre analyse de l'IAE en un plan d'action partagé avec l'ensemble des parties prenantes, les réseaux, les associations, les services publics de l'État, les entreprises et les élus locaux. Une bonne articulation de ces acteurs est nécessaire pour que cela fonctionne bien. La conclusion bienveillante de la Cour des comptes sur l'IAE est due en partie au constat qu'il s'agit d'un outil de retour à l'emploi destiné à des demandeurs d'emploi souvent de longue durée, bénéficiaires de minima sociaux, qui disposent de très faibles revenus, et que ce dispositif avait fait ses preuves. Elle avait également souligné, tout en notant que le bilan devait être renforcé, que l'IAE touchait aussi à l'accès à la qualification. Nous investissons beaucoup dans ce domaine avec le Pacte pour l'IAE et les parcours d'insertion permettent de développer des compétences et des qualifications. Ce bagage en termes de qualification, qui fait que les populations restent ou sortent durablement des situations de précarité, doit être amélioré. Nous avons mis, dans le cadre du PIC, 72 millions d'euros par an fléchés sur les personnes en situation d'IAE. Il a aussi fallu renforcer le volet professionnalisant : le décret sur le contrat de professionnalisation-inclusion vient de paraître. Nous avons aussi mis en place un certain nombre de mesures de soutien, notamment pour les groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ) et pour les actions de formation en situation de travail (AFEST). Nous avons enfin accompagné l'accès aux compétences de base et la lutte contre l'illectronisme.

Je vous propose une réponse à trois niveaux sur l'IAE. Par définition, il s'agit d'une amélioration immédiate de la situation des personnes, qui se retrouvent salariées. Il y a également une amélioration de leur situation sociale globale portant sur des questions de santé, de logement, d'accès au droit, etc. qui contribue à leur déprécarisation. Enfin, l'objectif affiché et partagé de l'accès à l'emploi durable est atteint.

Les contrats aidés sont très variés et peuvent relever de logiques différentes. Les parcours emploi-compétence (PEC), dont le nombre a été réduit à environ 90 000, ont été renforcés en s'appuyant sur le triptyque mise en situation de travail/accompagnement/formation. Le PEC répond à cette aspiration de renforcer la qualité des contrats aidés. Dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution », l'objectif est de doubler le nombre de personnes en PEC. Nous avons aussi réactivé les contrats initiative emploi (CIE) avec comme objectif d'en créer 50 000 en 2021. Les taux de retour à l'emploi sur les CIE sont à plus de 70 %. C'est un outil qui a fait ses preuves.

J'interviens enfin en appui au service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE). Aujourd'hui, il n'y a aucun organisme capable de connaître l'exhaustivité des besoins d'accompagnement sur un même territoire. Le département connaît les besoins des personnes de son territoire en matière de RSA, Pôle emploi et les missions locales ceux des demandeurs d'emploi. C'est pourquoi on a inventé le terme d' « invisibles ». L'enjeu avec le SPIE est de s'assurer que l'on connaît toutes les personnes sur un territoire pour conduire une politique d'éradication de la précarité et d'accompagnement des personnes. Cela renvoie à ce que l'on a lancé avec notre plateforme de l'inclusion qui nous permet progressivement d'avoir tous les travailleurs sociaux, toutes les agences Pôle emploi, toutes les missions locales, un certain nombre de centres communaux d'action sociale (CCAS), d'associations caritatives, le service public d'administration pénitentiaire, tous les acteurs qui, de près ou de loin, sont en contact avec des personnes éloignées de l'emploi et qui peuvent orienter les personnes vers la plateforme de l'inclusion. Progressivement, on va réussir à identifier sur un même territoire toutes les personnes qui croisent un travailleur social quelle que soit leur situation, et à leur donner la faculté de s'orienter vers une solution d'emploi inclusif. Quelque 10 000 personnes sont arrivées sur la plateforme en une semaine et ce nombre s'accroit de 7 à 8 % par semaine. L'objectif est de tendre vers l'exhaustivité. Ensuite, il faudra assurer la logique du SPIE, le parcours sans discontinuité. Aujourd'hui, je traite l'emploi mais pas la santé, la santé mais pas le logement, etc. Or, on sait très bien que c'est dans l'accompagnement global que l'on peut avoir une action efficace dans la lutte contre la précarité. Le SPIE doit pouvoir combattre cette discontinuité et y répondre. Nous luttons aussi contre la discontinuité dans les accompagnements avec des diagnostics partagés sur un territoire. Cela renvoie au rapport de Frédéric Bierry sur la question de l'implication. Quelle est la nature de la contractualisation entre la personne et la société ? Nous développons des outils de diagnostics partagés et des contrats d'engagements réciproques qui permettent de déterminer les objectifs de la personne en termes d'insertion, d'accompagnement social, de retour à l'emploi, et comment les atteindre. Tous ces outils sont en accès libre sur beta.gouv.fr pour les 14 territoires expérimentateurs du SPIE. La période de démarrage n'a pas toujours été facile avec la crise sanitaire mais nous avons déjà des retours très intéressants.

Nous accélérons avec un appel à projets lancé en décembre pour 30 territoires d'expérimentation supplémentaires. Il y a beaucoup de demandes. Nous prévoyons déjà d'intégrer 50 autres territoires dans un troisième temps. On accompagne ces territoires pour mettre en oeuvre les principes du SPIE. In fine, nous sommes toujours dans une logique de retour à l'emploi même s'il y a de nombreux freins périphériques, notamment l'apprentissage du français, qu'il faut régler au préalable. Le SPIE passe par la confiance aux acteurs a priori et l'évaluation a posteriori. On se dote des outils d'évaluation pour que, sur un territoire, on puisse bien identifier le parcours des personnes, leurs évolutions, le retour à l'emploi, les conséquences en termes de santé, de logement... A chaque acteur, on propose de mieux piloter l'offre de service sur son territoire.

Il faut donner les moyens aux acteurs des territoires d'accéder à l'ensemble de la cartographie dynamique de l'offre de service. C'est ce que l'on trouve sur inclusion.beta.gouv.fr. Pour l'instant, l'outil fonctionne dans le champ de l'emploi, de l'IAE, des entreprises adaptées et va inclure au fur et à mesure l'ensemble de l'offre de service du territoire en termes de santé et de logement. L'objectif est d'offrir un accès complet, visible, dynamique et concret à l'ensemble de l'offre de service du territoire. Ceux qui pilotent les moyens publics au service de ces politiques doivent pouvoir identifier précisément les territoires où l'offre est insuffisante ou défaillante pour pouvoir prendre des décisions collectives.

Les travaux de Frédéric Bierry ont contribué à cette réflexion sur la notion d'implication, voire de contractualisation. Je suis d'accord avec lui sur ce point même si je ne partage pas toutes ses préconisations. Un parcours d'insertion ne peut fonctionner que s'il est basé sur un respect mutuel dans une dynamique interpersonnelle positive. Chaque personne doit faire le maximum pour atteindre ses objectifs et les chargés d'accompagnement doivent faire le reste. C'est là où l'équilibre est subtil car parfois le niveau d'autonomie est très variable selon les individus. Le niveau d'exigence de l'accompagnement doit être adapté au contexte de la personne et à la situation dans laquelle elle est. C'est un point de vigilance, c'est pourquoi on fait ce travail de diagnostic, de contractualisation et de partage de pratiques au sein du SPIE afin de parvenir à un travail individualisé dans une logique d'exigence réciproque.

Une partie des défaillances de notre système tient au fait que l'on a trop séparé le lien entre le social et l'économique, entre les travailleurs sociaux et l'entreprise, entre le monde du social et le monde de l'emploi, en termes de culture, de gouvernance, de coopération et d'insertion professionnelle. Notre objectif est de reconnecter concrètement ces deux mondes. Dans plus de 50 % des recrutements, les prescripteurs sociaux ne connaissaient pas l'employeur avant d'utiliser la plateforme. Il est difficile pour un travailleur social d'avoir tous les éléments et c'est notre engagement, c'est là où l'on se rejoint avec Frédéric Bierry. Une partie du chemin doit être fait par les personnes et l'autre par les entreprises.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Je vous remercie de ces premières réponses.

Mme Viviane Artigalas. - On voit bien que cette crise sanitaire a entraîné une grande précarisation des Français. La situation s'est particulièrement aggravée dans certains quartiers prioritaires. Le Premier ministre a, lors de son passage à Grigny, dit qu'il y aurait bien des crédits fléchés pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Je voulais savoir si, dans les dispositifs que vous accompagnez, il y a une attention particulière pour les populations de ces quartiers ? Comment peut-on être sûr que les crédits du plan de relance en matière d'insertion arrivent à destination, sachant qu'il est parfois difficile de répondre à des appels à projet ?

M. Thibaut Guilluy. - Nous avons les mêmes problématiques dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurales. L'IAE cible naturellement les populations les plus fragiles. En ce moment, les consignes du ministère sont d'avoir des objectifs maximaux sur ces populations qui sont suivies dans le cadre du dialogue de gestion. Il y a d'autres entités, de type régie de quartier, qui sont des acteurs de l'IAE encore plus impliqués sur ces sujets. Sur le plan « 1 jeune, 1 solution », on a une orientation très forte sur les jeunes des QPV. C'est encore à un stade d'expérimentation. Ce n'est pas encore une réponse complète. Les « emplois francs + » montent en puissance, c'est un dispositif d'aide revalorisée pour l'embauche d'un jeune sans emploi de moins de 26 ans résidant dans un QPV. Il y a un enjeu de simplification des dispositifs. Les emplois francs décollent depuis la fin 2020. Nous sommes passés à 20 000 emplois francs. Notre objectif est de continuer cette montée en puissance en 2021.

Nous allons créer 100 000 PEC supplémentaires. Nous avons mis en place un dispositif de prise en charge particulière dans les QPV (à hauteur de 80 % du salaire, alors que la moyenne est de 55 %). Cela permet d'accompagner les activités des communes ou des associations sportives et culturelles dans les quartiers.

Le service civique joue également un rôle et permet de porter des programmes dans les quartiers.

Il existe toute une batterie d'outils. La priorité donnée aux QPV était une demande expresse du Président de la République et du Premier ministre. Il y a beaucoup d'objectifs fléchés pour les QPV en matière de formation professionnelle, dans le cadre du PIC.

Derrière tous les dispositifs d'accompagnement, on a renforcé les missions locales et Pôle emploi. On vient d'annoncer, pour les 66 QPV, 500 recrutements supplémentaires dans les agences de Pôle emploi pour permettre un accompagnement renforcé et une meilleure capacité à développer l'offre avec un fléchage sur les jeunes.

Les élus font face à de nombreux défis à relever. Il faut donc s'attacher à simplifier tout cet arsenal envers les collectivités. Nous avons commencé à tester le dispositif à Arras, Roubaix, Paris-Sud... Il s'agit de travailler avec les élus pour une meilleure lisibilité de leur écosystème des dispositifs mis à disposition. La plateforme « 1 jeune, 1 solution » facilite l'accès des jeunes et des employeurs. Nous avons un enjeu de communication et d'accompagnement de ces villes.

Nous travaillons également sur l'accompagnement au mentorat, d'autant plus en période de crise, qui entraîne des effets d'éviction. L'égalité de destin n'était déjà pas vraiment assurée pour les jeunes de ces quartiers. Si en plus les opportunités diminuent, l'effet d'éviction est d'autant plus fort. Le mentorat est un outil qui a fait ses preuves et qui permet de développer les réseaux et d'améliorer l'orientation.

Concernant la création d'activité, nous sommes en train de finaliser ce qui était dans le Pacte d'ambition pour l'IAE, notamment le développement d'un soutien massif à la création d'activité économique pour les jeunes issus des QPV.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Vous avez parlé d'une forêt de dispositifs qui s'adresse à des publics différents. Il y a une méconnaissance de l'offre sociale de la part de ces publics, même s'il existe des structures pour les accompagner et les orienter. Bon nombre d'entre eux ne connaissent pas cette offre et sont privés de cet accès au droit. Comment envisagez-vous de porter ce chantier, de décomplexifier à la fois la formation, l'orientation et le repérage de ces publics ? Avez-vous cette même sensation ? Et comment peut-on éviter de superposer tous ces dispositifs là où l'on a besoin d'efficacité et de pragmatisme envers un public qui cumule déjà beaucoup de difficultés et d'obstacles ?

M. Thibaut Guilluy. - Je partage à 100 % votre préoccupation. J'ai passé 20 ans dans l'entrepreneuriat social à développer des structures à vocation sociale. Je connais et côtoie cette adaptation permanente et la première réponse est l'orientation de l'utilisateur. Je ne critique pas la multitude de solutions. Il faut juste « penser utilisateur » par rapport à son besoin. C'est aussi valable en matière de politiques publiques : il faut « penser utilisateur ». Je vous invite à aller sur la plateforme « 1 jeune, 1 solution » : cet outil est là pour vous aider. J'ai deux cibles de préoccupations : comment faire pour qu'il y ait une porte d'entrée unique pour que les jeunes puissent trouver leur chemin plus facilement ? On va demander à tous ceux qui contribuent à apporter des solutions aux jeunes de s'organiser pour apporter la bonne réponse au bon jeune au bon moment. Nous allons intégrer toutes les offres d'emploi pour les jeunes. Nous avons démarré avec 25 000 offres, aujourd'hui, nous sommes à 82 000 offres géolocalisées. Nous allons continuer à faire le travail pour tout l'écosystème avec, par exemple, l'Armée. Un conseiller de mission locale doit pouvoir connaître l'exhaustivité des offres qu'il peut proposer à un jeune et pour le jeune d'aller trouver des solutions. On va également identifier et trouver une formation adéquate. L'Agence du service civique a un moteur de recherche qui va être intégré dans notre plateforme.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - - Comment assurer l'égalité de l'accès au service public ? Comment éviter les ruptures, les lâcher-prises ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Les jeunes des QPV sont en difficultés. Qu'en est-il des 48-60 ans qui ne savent plus à qui s'adresser ? Que comptez-vous mettre en place ? Ce sont parfois des chômeurs de longue durée en situation très complexe. Qu'envisagez-vous pour ces personnes-là ?

M. Jean Sol. - Je salue l'arrivée de ces dispositifs au plan national. Qui coordonne ces dispositifs ? A-t-on pensé en amont à les corréler aux indicateurs en matière de pauvreté et de précarité des territoires ? Sont-ils adaptés aux besoins ? Que voulez-vous dire en parlant de « parcours sans discontinuité » ?

M. Thibaut Guilluy. - Comme il y a l'orientation client, il doit y avoir un souci de l'orientation utilisateur, bénéficiaire. Beaucoup n'utilisent pas les dispositifs, considérés comme trop complexes. En travaillant en direct avec les bénéficiaires, on prend en compte leur retour qui permet un vrai travail de simplification. Le recrutement en apprentissage est encore un parcours du combattant pour une TPE. Il y a des choses que l'on peut encore simplifier.

Concernant les « jeunes seniors » de 48-60 ans, leur taux de chômage est plus faible que celui des jeunes. Ceux qui ont peu de qualification et d'agilité envers l'emploi ont toutefois de vraies difficultés à retrouver un travail. Il faut poursuivre la réorientation de l'effort de formation sur les personnes qui en ont vraiment besoin.

Nous avons paradoxalement inventé la validation des acquis de l'expérience mais on ne l'a pas suffisamment développée. Comment sortir de la culture du diplôme pour passer à une culture du développement de la compétence, de la reconnaissance de l'expérience qui permet à chacun de s'adapter ? Quand on fait, on apprend et on s'adapte. C'est un sujet essentiel. Les jeunes seniors peuvent cumuler des problèmes de confiance, de santé et de précarité. Le deuxième pilier est l'inclusion. Le choix de l'IAE est important en volume et en qualité. Le Pacte d'ambition pour l'IAE a prévu la création d'un « CDI inclusion » pour les personnes de plus de 57 ans. Cela ne répond peut-être pas à tout mais ce sont des axes sur lesquels des progrès ont été engagés.

Enfin, concernant la coordination, je pense que le bon échelon est le territoire, la communauté de communes, le bassin d'emploi au sens large, le service public de l'emploi local. Nous animons aujourd'hui ces SPEL où l'on retrouve un représentant de la région, du service public de l'emploi et des acteurs économiques. La mise en oeuvre stratégique est au niveau des régions. La traduction opérationnelle se fait au niveau des territoires.

Je suis à votre disposition pour mettre en oeuvre le dispositif « 1 jeune, 1 solution » dans votre territoire, nous sommes très motivés à vous accompagner pour faire connaître ces mesures auprès de vos administrés.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Je vous remercie pour cet échange.

Audition de Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux de l'après-midi par l'audition de Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté.

Votre délégation a été créée en octobre 2017, sous l'autorité conjointe du ministre des solidarités et de la santé et du ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion. Elle est chargée d'une triple mission : organiser la concertation, coordonner la préparation de la stratégie pauvreté et suivre sa mise en oeuvre. Vous-même avez été nommée à la tête de cette délégation en mars 2020.

Ces missions se situent donc au coeur des sujets des travaux de notre mission d'information et nous attendons donc beaucoup de votre témoignage et de votre éclairage sur la stratégie du Gouvernement en matière de lutte contre la pauvreté.

Madame Jeantet, je vais vous laisser commencer cette audition par un propos liminaire d'une dizaine de minutes environ. Vous pourriez vous focaliser sur la philosophie et les grandes lignes de la stratégie pauvreté du Gouvernement ainsi que ses principales mesures. Vous nous préciserez en quoi consistent les nouvelles orientations annoncées par le Premier ministre pour 2021 et si les objectifs initiaux restent d'actualité dans le contexte de crise. Quels sont vos objectifs d'ici la fin de l'actuel quinquennat ?

Nous ouvrirons ensuite une phase d'échanges, en commençant par les questions de notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, qui devraient vous permettre d'aborder les différents points du questionnaire que vous avez reçu, et enfin par les questions des sénateurs membres de notre mission d'information.

Mme Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la lutte contre la pauvreté. - J'ai effectivement pris mes fonctions trois jours avant le premier confinement sur cette mission difficile de la lutte contre la précarité. Bien évidemment, ma prise de fonctions a immédiatement été marquée par la gestion de la crise qui nous a tous pris de plein fouet.

Cette crise a touché en particulier les publics précaires, même si pour l'instant, fort heureusement, la précarisation de nos concitoyens n'a pas atteint des niveaux catastrophiques, grâce sans doute aux mesures de chômage partiel qui ont permis de maintenir un grand nombre de personnes en emploi. Nous observons toutefois une augmentation du nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA). En novembre 2020, ce nombre avait progressé de près de 9 %. Nous restons donc très attentifs à ces chiffres qui évoluent régulièrement. Cette augmentation résulte de bénéficiaires qui ne sont pas sortis du RSA plus que de nouveaux entrants. En l'absence des contrats courts, de l'intérim, qui permettent généralement de sortir du RSA, cette population a été plus touchée. Néanmoins, nous voyons arriver aussi des indépendants, des commerçants, de nouveaux profils de personnes pauvres que nous ne connaissions pas auparavant.

Nous ne constatons pas non plus pour l'instant une explosion des impayés de loyers, mais nous savons que ce phénomène devrait survenir. Les expulsions locatives ont été gelées et un stock non négligeable est en cours de constitution, de l'ordre de 30 000 personnes à horizon de la fin de la trêve hivernale. En 2019, 17 000 expulsions locatives avaient été réalisées. Elles étaient un peu moins de 3 000 en 2020. Il faudra gérer ce stock, car il sera difficile de reloger 30 000 personnes d'un coup. Pour l'instant, les conditions d'endettement n'explosent pas. Cependant, une étude du Conseil d'analyse économique parue en octobre montrait que les 10 % les plus pauvres s'étaient endettés alors que les 20 % les plus riches avaient épargné durant cette période de crise.

Nous observons donc des indicateurs de frémissement qui, sans être catastrophiques, sont tout de même inquiétants, notamment sur de nouveaux publics comme les jeunes, les indépendants et commerçants, qui sont assez durement touchés par la crise. Cette crise laissera aussi de douloureuses traces dans certains secteurs d'activité, en particulier l'hôtellerie, la restauration ou l'événementiel.

Les objectifs et les fondamentaux de la stratégie de lutte contre la pauvreté ont été définis en 2018 dans une période de croissance économique. Pour autant, ils restent plus que jamais d'actualité à l'aune de cette crise. En effet, cette stratégie repose sur plusieurs piliers. Il s'agit en premier lieu d'essayer de réduire le creusement des inégalités dès le plus jeune âge. Pendant cette crise, les fractures sociales se sont encore creusées. Il faut plus que jamais s'occuper de l'accueil du jeune enfant, maintenir la continuité éducative. Ces aspects, déjà inscrits dans la stratégie, restent totalement d'actualité, surtout avec la fracture numérique qui a bloqué un certain nombre de familles qui ne pouvaient plus faire suivre l'école à leurs enfants de la même manière que d'autres familles.

Le second pilier de la stratégie portait sur la jeunesse, l'insertion professionnelle, la formation. L'obligation de formation de 16 à 18 ans est entrée en vigueur en septembre 2020. Les jeunes sont durement frappés par la crise, avec un frein à l'accès à des stages et aux premiers pas dans l'emploi. Il est donc très important de continuer d'investir sur cette population pour lui donner les moyens de s'adapter à des chocs économiques et sociaux.

Le troisième grand volet concernait l'insertion par l'activité économique. L'objectif de sortir durablement de la pauvreté par un emploi reste plus que jamais d'actualité. Pour l'instant, le chômage n'augmente pas. Il diminue même. Vous aurez cependant noté les réserves de l'Insee sur les chiffres publiés ce matin. Malheureusement, si le chômage augmente globalement, les personnes en insertion passeront au second plan pour l'accès à l'emploi. Plus que jamais, nous devons mobiliser tous nos dispositifs d'accompagnement, d'insertion et de maintien en activité pour que les personnes soient capables de rebondir dès que l'activité reprendra.

Enfin, le dernier grand pilier de la stratégie reposait sur une action très locale sur les territoires. L'action de lutte contre la pauvreté ne se décide pas de Paris ; elle s'organise en mobilisant et en coordonnant des acteurs locaux. Lors de la gestion de crise, les solidarités ont été nombreuses au niveau du terrain. Nous voulons continuer de les structurer. Nous avons vu à quel point nous avions besoin de coordonner les associations d'aide alimentaire pour éviter les trous, combler les manques. Cette coordination s'est vraiment développée durant la crise. Il apparaît fondamental de développer une animation territoriale sans imposer les choses.

Les orientations de la stratégie restent pertinentes. Nous continuons donc à dérouler nos priorités et nous en avons ajouté d'autres, notamment dans le cadre du Ségur de la Santé. Le volet santé n'était pas très développé jusqu'à présent dans la stratégie, au-delà du 100 % santé et de l'accès à une complémentaire santé. Le Ségur de la Santé comporte une partie dédiée à la réduction des inégalités de santé pour 100 millions d'euros et une partie consacrée à l'accompagnement des populations sur le plan psychologique et psychiatrique. Je travaille actuellement sur ce dernier volet pour essayer de le renforcer encore, compte tenu des besoins qui émergent en la matière.

Nous avons également complété la stratégie par des mesures dans le cadre du plan de relance. Un appel à projets est en cours à hauteur de 100 millions d'euros pour soutenir le secteur associatif. Le plan « 1 jeune, 1 solution » touche tous les jeunes, mais il concerne aussi des jeunes précaires et en besoin d'insertion. De ce point de vue, il représente une réponse d'ampleur, avec le renforcement des dispositifs de garantie jeunes qui permettent de toucher ces jeunes sans emploi et sans formation.

Par ailleurs, le Premier ministre a annoncé fin octobre d'autres mesures, notamment sur le volet des mobilités pour l'accès à l'emploi. 30 millions d'euros seront consacrés à développer les mobilités inclusives. Une grande partie des demandeurs d'emploi refuse certaines offres, faute de pouvoir se rendre sur le lieu de travail. Il apparaît donc très important de proposer des aides au permis de conduire, des micro-crédits pour l'achat de voitures, des véhicules solidaires partagés, etc.

Enfin, la stratégie comportait un volet relatif à l'aide aux très grands précaires pour renforcer l'accueil des femmes sans abri sortant de maternité, les lits-haltes soins santé, les permanences d'accès au soin, l'offre de domiciliation, etc. Nous avons constaté durant le premier confinement qu'il restait encore des « trous dans la raquette » que nous avons essayé de combler.

Notre agenda 2021 est assez chargé. Nous devons continuer le travail de fond. La lutte contre la pauvreté constitue une action de moyen terme ; elle ne peut reposer uniquement sur des réponses d'urgence. Nous devons poursuivre l'investissement sur l'accueil du jeune enfant, les soutiens à la parentalité, afin de travailler sur les générations à venir pour éviter la reproduction de la pauvreté. Nous devons aussi maintenir les personnes le plus possible dans une activité pour éviter que s'installe chez elles un sentiment de déclassement qui les bloquerait durant de nombreuses années.

Nous essayons aussi de trouver des actions très concrètes sur le champ de la santé. La crise a démontré que certains territoires ont eu un accès aux soins plus limité. La population précaire notamment a été plus touchée que les autres par le Covid. Nous devons absolument lutter contre ces inégalités en nous attaquant à l'ensemble des facteurs.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Le Gouvernement a souhaité contractualiser avec un certain nombre de collectivités dans les départements. Certains d'entre nous étaient un peu sceptiques, considérant que si elle pouvait être un plus, cette contractualisation ne constituait pas forcément le rouage qui allait révolutionner les relations entre l'État et les départements. Quel bilan tirez-vous de ce processus ?

Vous disposez d'un réseau de commissaires à la lutte contre la pauvreté. Quel est leur rôle exact ? Comment les animez-vous au niveau national ? Avez-vous des exemples d'actions de lutte contre la pauvreté et la précarisation que nous pourrions reprendre dans le cadre de notre mission d'information ?

Vous avez évoqué tout à l'heure l'accès au droit. Or les services publics à destination des plus fragiles renvoient souvent à des plates-formes. N'avons-nous pas intérêt à retravailler un accompagnement plus humain, plus décloisonné ? Une échelle à la taille des intercommunalités ou des départements ne serait-elle pas plus intéressante qu'une stratégie plus globale ? Je pense notamment au pilotage national de la présence des caisses d'allocations familiales (CAF) ou des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA). Ces services publics très nationaux ne sont peut-être pas suffisamment décentralisés sur les territoires.

Enfin, il me semble que votre mission comprenait des travaux sur le revenu universel d'activité (RUA). Avez-vous avancé sur le sujet ? Quelle est la position du Gouvernement ? Une mesure de la stratégie porte sur la cantine à 1 euro, en particulier dans les communes rurales. Quel est votre retour sur sa mise en oeuvre ? De la même manière, quel est votre retour sur les points conseil budget ?

Mme Marine Jeantet. - J'ai inauguré le poste de commissaire à la lutte contre la pauvreté en Ile-de-France et j'ai travaillé en direct avec les départements sur ce sujet. Je pense que cette logique territoriale et la redynamisation des relations avec les conseils départementaux constituent l'un des apports de cette stratégie. L'État a repris langue avec les départements sur des sujets qu'il avait décentralisés pour demander des éléments de pilotage et assurer une égalité de traitement sur différentes politiques. C'est le cas par exemple de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Il n'y a pas de raison que les jeunes de l'ASE ne soient pas traités de la même manière ou n'aient pas les mêmes capacités d'accompagnement d'un territoire à l'autre.

Nous partions de loin, car cette démarche de contractualisation était très nouvelle. Or, 99 départements sur 100 ont signé. Elle a vraiment permis un dialogue très constructif entre l'État et les départements à un niveau politique avec une logique de co-construction qui a réactivé une dynamique locale. Nous avons mis en place des comités de suivi de ces conventions en mobilisant d'autres acteurs que les départements ne parvenaient pas à toucher (CAF, Pôle emploi, ARS, rectorats, etc.). Les acteurs ont besoin de se connaître et d'appréhender leurs rôles respectifs.

Cette animation territoriale, que j'ai testée en Île-de-France en tant que commissaire à la lutte contre la pauvreté, ne soulève pas une question financière, mais une question de compréhension réciproque. Au niveau régional, j'effectuais de nombreuses comparaisons interdépartementales, sans juger, pour que les départements s'inspirent des meilleures expériences. Cet échange de pratiques n'était pas forcément usité dans les conseils départementaux, mais elle commence à émerger sous la houlette de l'État. S'agissant des jeunes de l'ASE, les financements de l'État ne sont pas très importants par rapport aux investissements des conseils départementaux, mais grâce à cette démarche, nous avons arrêté de ne parler que des mineurs non accompagnés (MNA) pour commencer à travailler sur l'accès au logement, l'accès à l'apprentissage, etc. Ce dialogue a bousculé fortement les pratiques des départements.

Nous avons mis en place des indicateurs. Il faut bien sûr les examiner avec prudence, car cette culture n'était pas très ancrée dans le fonctionnement des conseils départementaux. Nous avons d'ailleurs constaté une grande hétérogénéité dans la manière de renseigner ces indicateurs. Nous avions relevé qu'un tiers de départements n'était pas capable d'identifier le nombre de jeunes de l'ASE qui devenaient majeurs l'année suivante, ce qui témoignait de l'absence de pilotage. De ce point de vue, nous avons bousculé les pratiques. Cette démarche doit s'inscrire dans le moyen terme. Il faudra un peu de temps. Nous avons signé les premières conventions mi-2019 et leur mise en oeuvre démarrait au moment du premier confinement. Cette année, nous allons sans doute négocier les avenants pendant les élections. Le contexte n'est donc pas très propice à un dialogue serein. Pour autant, la démarche a créé un fort engouement.

Nous avons aussi contractualisé avec les métropoles en 2020. Alors que les élections étaient en cours et que nous étions en pleine crise, je pensais qu'elles ne donneraient pas forcément suite. Toutes les métropoles ont signé. Nous avons également signé avec cinq conseils régionaux. Finalement, les acteurs y prennent goût. Il nous revient désormais d'organiser des échanges de pratiques, de capitaliser sur les bonnes expériences. De nombreuses initiatives sont menées au niveau départemental. Je dresse actuellement une cartographie de ces actions que je diffuserai sur l'espace de travail collectif. Les idées foisonnent, ce qui complique l'exercice de bilan national. Je pense que c'est ainsi que nous construirons un dispositif pérenne.

S'agissant de l'accès au droit, je partage votre sentiment. Pour avoir beaucoup travaillé dans les caisses de sécurité sociale, je connais bien le sujet. Il nous a été demandé de dématérialiser toutes nos procédures. Or les populations précaires ont besoin d'être accompagnées sur le sujet. Nous avons l'ambition de développer les démarches d' « aller vers ». En mai-juin, j'ai profité que les centres d'hébergement soient maintenus ouverts avec le prolongement de la trêve hivernale et j'ai demandé aux CAF et aux caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) de se rendre dans ces centres d'hébergement pour réaliser directement les ouvertures de droits. 300 équivalents temps plein (ETP) ont été mobilisés à cet effet. Nous avons ouvert plus de 3 000 droits. Nous devons réaliser un mélange des deux.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Il faut penser aussi à faire appel aux caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT). Certaines personnes arrivant au terme de leur activité professionnelle peuvent tomber dans la pauvreté si elles ne perçoivent pas leur retraite tout de suite.

Mme Marine Jeantet. - Le profil-type de la famille pauvre, aujourd'hui, est représenté par une famille jeune, monoparentale et urbaine. En milieu rural, le taux de pauvreté s'élève en moyenne à 8 %, contre 15 % en milieu urbain.

Dans la contractualisation avec les départements, nous poursuivons aussi un objectif d'accueil inconditionnel à 30 minutes de chez soi. Je ne crois pas qu'il existe un endroit où l'on pourra répondre à toutes vos questions et apporter une solution à tous vos problèmes d'accès au droit. Le système est beaucoup trop complexe pour trouver des personnes qui maîtrisent parfaitement tous les droits. En revanche, nous pouvons assurer un accueil de premier niveau. La moitié du territoire est déjà maillée par ces accueils à moins d'une demi-heure. Les maisons France Services se développent également et nous menons de nombreuses démarches, notamment vis-à-vis des jeunes. Il ne suffit pas d'ouvrir une mission locale. Il faut faire en sorte que les jeunes connaissent l'offre. Pour ce faire, nous envisageons par exemple d'organiser des maraudes numériques et de faire du marketing sur les réseaux sociaux et les sites sur lesquels ils se connectent pour leur expliquer les offres existantes. La démarche d'accès au droit s'accompagne d'une démarche de marketing social, d' « aller vers », qui nécessite un profond changement de mentalité. Cela fait partie des évolutions à introduire dans le plan de formation des travailleurs sociaux. Dans les missions locales et les CAF, les personnels sont très investis, mais encore faut-il que les personnes viennent à eux. D'ailleurs, la démarche lancée dans les centres d'hébergement a énormément plu aux services. Ce mouvement doit se développer.

Les travaux de concertation sur le RUA ont été stoppés par le premier confinement. Le Premier ministre a annoncé en octobre qu'ils allaient reprendre. Il ne s'agit pas de relancer une concertation, mais de capitaliser sur tous les travaux de simulation de différents modèles qui ont été réalisés pour établir un rapport qui sera rendu public à l'automne, avec un chiffrage précis de chaque scénario, sans que ce rapport engage le Gouvernement. Ces sujets se révèlent très complexes. Tout le monde partage l'idée d'équité de traitement et de lisibilité. Pour autant, pour les personnes concernées, une somme de 20 euros peut être absolument fondamentale. Au vu du calendrier parlementaire, je doute que nous ayons le temps d'adopter une loi avant la fin de ce quinquennat. Le sujet n'est pas encore assez mûr. Nous souhaiterions néanmoins élaborer un rapport technique pour présenter des éléments à la réflexion publique en vue du prochain quinquennat. Même si nous l'avions décidé l'été dernier, la mise en oeuvre du RUA n'aurait pas eu lieu, au mieux, avant 2023.

La cantine à 1 euro constitue un sujet fondamental de la stratégie vis-à-vis de la jeunesse. Lors du premier confinement, la fermeture des cantines a eu un impact immédiat et catastrophique pour de nombreuses familles. La mesure ne fonctionne pas pour l'instant, car elle a été sous-calibrée. Depuis le 1er janvier, la subvention a augmenté de 2 à 3 euros et nous élargissons les critères d'éligibilité. Seules 4 000 communes sont éligibles aujourd'hui et toutes n'ont pas de cantines. Nous nous limiterons à des communes de moins de 10 000 habitants. Au-delà, de nombreuses communes ont déjà mis en place une tarification sociale. Il s'agit d'aider à combler le manque sans se substituer complètement aux responsabilités des collectivités. Pour beaucoup de petites communes, il est compliqué de gérer une tarification sociale. Nous devons trouver des outils pour faciliter le travail de ces petites mairies.

Je suis très attentive au sujet des frais bancaires. Des modifications réglementaires sont intervenues en novembre et nous attendons de voir si elles suffisent. Nous avons versé des aides exceptionnelles ; elles ne doivent pas servir uniquement à payer des frais bancaires. Ce serait contraire à la logique du système.

Les points conseil budget (PCB) rencontrent un franc succès. Nous avons accéléré leur déploiement. Nous en avions labellisé 150 en 2019. Nous en avons validé 250 en 2020 et nous avons obtenu 100 points supplémentaires en 2021, ce qui permettra un maillage assez complet. Pour la vague 2020, nous avions plus de 600 candidats. Cet outil doit être actif dès aujourd'hui. Il permet d'accompagner gratuitement et de manière inconditionnelle des personnes qui, pour l'instant, ne le connaissent pas. Nous avons donc lancé une campagne de communication et nous voudrions vraiment activer ces PCB qui offrent une réponse très concrète à nos concitoyens.

Enfin, nous disposons de 13 commissaires en métropole et un dans chaque département/région d'outre-mer. Ces personnes sont placées auprès des préfets de région et jouent un rôle d'animation. Elles assurent le lien entre les administrations régionales (ARS, rectorats, etc.), mettent en réseau les services de l'État qui ont des fonctionnements parfois très différents. Les secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR) coordonnaient déjà les acteurs, mais la pauvreté n'était pas leur priorité. Ces commissaires ont créé un dialogue assez nourri avec les conseils départementaux à un niveau politique et ont noué des liens très forts avec les associations qui ont parfois du mal à se repérer dans la maille de l'administration de l'État. Ils s'appuient sur les équipes des services de l'État, mais jouent un rôle de portage politique auprès du préfet de région pour l'alerter sur certains sujets, d'arbitrage de différends éventuels entre les administrations de l'État.

Les commissaires à la lutte contre la pauvreté apportent une expertise et peuvent lever des interrogations ou des blocages. Finalement, ils jouent un rôle de « super chef de projet ». De ce point de vue, leur positionnement n'est pas très simple, car l'État fonctionne en silo. Contacter tous les services de l'État qui traitent de cette population particulière est indispensable, mais il faut un temps d'acculturation des acteurs à cette logique. Après un an et demi d'existence, ils commencent à être identifiés comme les référents pauvreté dans différents territoires. A la faveur de la crise, ils ont également pris en charge la précarité étudiante qui ne relevait pas de leur champ jusqu'à présent. Seuls sur leur territoire, ils ne peuvent toutefois pas répondre à toutes les sollicitations qu'ils reçoivent aujourd'hui, ce qui démontre aussi qu'il existait un vrai besoin d'animation et de portage politique de ces sujets.

M. Philippe Mouiller. - Vous avez fait le point sur les actions engagées avant la crise par votre prédécesseur, les relations avec les départements, mais aussi sur les mesures d'urgence mises en place face à la crise que nous vivons actuellement. À travers cette première expérience, avez-vous une vision globale des mesures de correction à apporter sur certains champs d'application ?

Nous évoquions tout à l'heure la précarité étudiante. Nous savons aujourd'hui que la réforme des APL a mis en difficulté certains publics. Vous avez fait référence aussi aux intérêts bancaires. Le Gouvernement a refusé un certain nombre de mesures d'annulation des intérêts bancaires pour les situations les plus compliquées. Nous avons relevé par ailleurs quelques sujets concernant le soutien à des associations de lutte contre la pauvreté. Les moyens et crédits alloués à la lutte contre la sortie de la prostitution ont été diminués.

Ces mesures constituent des choix politiques. Les associations nous alertent toutes contre une augmentation de la pauvreté. Ce mouvement, à l'oeuvre avant la crise, a été amplifié par celle-ci. Quels éléments d'évolution du pilotage pourriez-vous préconiser dans les mois à venir ?

Mme Marine Jeantet. - Nous avons déjà réalisé de nombreux ajustements sur une stratégie décidée voilà à peine un an et demi, notamment sur le champ de la santé qui constitue pour moi un élément fondamental. D'autres ajustements ne sont d'ailleurs pas exclus. Je travaille actuellement sur des propositions relatives au volet psychologique. Nous avons beaucoup de retard sur la santé mentale en France, en particulier sur les publics précaires. Il était urgent de compléter ces volets. Nous l'avons fait.

Dès le mois de juin, nous avons lancé une alerte sur le sujet des jeunes. Le plan « 1 jeune, 1 solution » répond en partie à cette alerte. Nous ne sommes pas certains de saturer toutes les offres qui ont été créées, car nous sommes confrontés à la difficulté de l'aller vers. Pour ces jeunes, un appel à projets a été lancé par le ministère du travail sur le plan d'investissement dans les compétences (PIC) « Invisibles ». Nous finançons des actions d'aller vers pour aller chercher ces invisibles. Nous pouvons encore amplifier cette démarche pour améliorer le maillage territorial aujourd'hui imparfait.

Outre les étudiants qui doivent survivre dans ces temps de crise, les jeunes diplômés éprouvent des difficultés à trouver un emploi et commencent à tomber dans la précarité. Une étude de la Fédération française des banques alimentaires le montre. Enfin, nous devons traiter le sujet des jeunes très précaires que nous ne voyons pas du tout, qui ne sont pas soutenus par des associations. Hébergés chez des tiers ou dans des centres d'hébergement, ils cumulent des problèmes d'accès au logement, d'accès à l'insertion professionnelle et très souvent des problèmes de santé mentale et d'addiction. Nous essayons actuellement de dresser un état des lieux des dispositifs. Il faut prendre garde à ne pas créer trop d'outils et, malgré l'urgence, prendre le temps de faire le point. De nombreux dispositifs existent déjà. Sur les jeunes très précaires, par exemple, nous avons mené une étude de terrain avec la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) pour tenter d'identifier tous les dispositifs et chercher à mieux les coordonner. Il ne s'agit pas de créer une offre nouvelle, mais de mieux repérer celle qui existe et de faciliter son appropriation.

Sur l'insertion professionnelle, de nombreuses actions ont été menées. Nous avons validé 100 PCB supplémentaires pour lutter contre le surendettement qui risque d'exploser. Je n'ai pas le pouvoir de décision sur tous les sujets. Je peux jouer un rôle d'aiguillon vis-à-vis des services de l'État. Je peux demander des comptes, formuler des propositions. Pour l'instant, l'offre et les droits sont nombreux. Sans notre système de redistribution sociale, le taux de pauvreté atteindrait 22 % en France, contre 15 % aujourd'hui.

20 % des personnes qui pourraient prétendre au RSA ne le demandent pas. Je pense que l'enjeu principal réside dans l'aller vers. Avant de créer d'autres droits, expliquons à nos concitoyens les droits qui existent, assurons-nous que tous ceux qui peuvent prétendre à certains droits y ont effectivement accès.

Nous avons mené avec les CAF des travaux de Data Mining. L'exercice est cependant limité. Il ne touche que les personnes déjà inscrites dans les bases. Il ne fonctionne pas très bien sur le RSA. Sur la prime d'activité, nous récupérons 10 % d'allocataires. Je souhaitais rendre la Complémentaire santé solidaire automatique. Aujourd'hui, elle est proposée systématiquement lors de la demande de RSA, mais elle ne peut pas être rendue automatique, car elle n'est pas gérée que par l'Assurance maladie. Elle peut en effet être gérée par des organismes complémentaires et le droit de la concurrence nous interdit de l'imposer.

Nous avons déjà créé de nombreux dispositifs. Pour 2021, j'ai pour objectif de les mettre en oeuvre. Nous devons aussi donner de la visibilité. Sans parler de plate-forme, je pense que les outils numériques doivent nous aider à valoriser toutes les offres disponibles. Il n'est pas simple de se retrouver dans tous les dispositifs qui existent. Il s'agirait de créer une sorte de guichet unique, avec un premier niveau d'information et une formation régulière des personnes pour leur permettre de s'approprier les nouveaux dispositifs. Nous pourrions ainsi déjà toucher un grand nombre de personnes.

Il nous faudra ensuite nous ajuster. Nous ne savons pas où nous mène cette crise. Je m'attendais à un hiver plus compliqué. L'été se révélera peut-être beaucoup plus difficile. Il faut rester très humble, car la situation reste extrêmement fragile. Tout dépendra aussi de la façon dont l'activité repart. Durant le premier confinement, nous avons maintenu les droits, mais les personnes ne vivent pas avec le RSA. Or tout le complément informel s'est effondré d'un coup, les files d'aide alimentaire explosant dans le calme. Retrouver une activité qui permette à chacun de gagner sa vie dignement reste la priorité.

Nous pouvons corriger certains points mais je pense que nous disposons déjà d'un arsenal assez maillé sur le sujet et que nous devons nous attacher à mettre en oeuvre les nouvelles mesures mises en place. Créer des centres de santé participatifs dans les quartiers, par exemple, prendra du temps. Il faut trouver le modèle économique, développer un cahier des charges, susciter des actions de terrain. Nous devons bâtir des projets très concrets pour embarquer les personnes, leur donner le sentiment que nous ne les laissons pas sur le bord du chemin. Nous devons en effet prendre garde au sentiment d'abandon.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Vous avez assez peu parlé du logement. Vous indiquez que les personnes ne vivent pas avec le RSA. Nous menons de nombreuses actions très ponctuelles aujourd'hui, mais n'existe-t-il pas un problème de fond lié à la faiblesse de ces revenus de base qui ne suffisent pas à payer le loyer et les factures ?

Mme Marine Jeantet. - Le RSA n'est pas un revenu minimum. Il représente un filet de sécurité. Le revenu universel d'activité de la stratégie pauvreté ne correspond pas au revenu universel de M. Hamon. Il règne une certaine confusion sur le sujet. Dans la stratégie, le RUA visait à harmoniser les aides existantes et les critères d'éligibilité. Le revenu universel de M. Hamon consiste à donner à tous une somme de 800 euros. Ce n'est pas tout à fait la même chose.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Je faisais plutôt référence au niveau du RSA.

Mme Marine Jeantet. - Cela relève d'un choix politique. Le Président s'est montré assez clair sur le sujet : il refuse pour l'instant de revaloriser le montant du RSA, malgré la demande très forte des associations. Dans les faits, il est évident que le RSA ne suffit pas à couvrir tous les besoins essentiels d'une personne. Il constitue un filet de sécurité.

Je n'ai pas la responsabilité de la politique du logement. La ministre déléguée, Emmanuelle Wargon saurait vous répondre beaucoup mieux que moi. La stratégie pauvreté développait la logique du « logement d'abord » que nous accompagnons avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL). Dans le cadre de l'acte II de la stratégie lancée par le Premier ministre fin octobre, nous avons mené différentes actions en faveur de l'hébergement.

Nous avons renforcé les actions en faveur des femmes sortant de maternité sans abri. Nous avons également développé des actions pour accompagner les marginaux avec des chiens ou les grands toxicomanes qui sont souvent refusés dans les centres d'hébergement d'urgence. Durant le premier confinement, nous avons réussi à les mettre à l'abri, dans des structures un peu expérimentales. Nous avons lancé un nouvel appel à projets. Nous pensions financer une dizaine de structures sur la France entière. Nous avons reçu 100 lettres d'intention. Nous avons réussi à obtenir plus de crédits pour en financer une quarantaine. Une fois stabilisées dans un hébergement, ces personnes acceptent des démarches d'insertion ou de sevrage. Il faut seulement les accepter au départ avec toutes leurs contraintes et leurs fragilités.

Nous avons aussi mis en place des équipes mobiles de prévention des expulsions locatives. Nous restons dans une logique de prévention. Pour l'instant, les chiffres n'explosent pas, mais nous savons que certaines familles ne viennent jamais demander de l'aide. Ces équipes mobiles dans les départements repèrent des personnes potentiellement fragiles qui n'ont entrepris aucune démarche auprès des services sociaux pour se rapprocher d'elles avant le premier impayé de loyer afin d'éviter que le cycle infernal se déclenche. Lorsque ces familles se présentent en commission de surendettement, il est souvent déjà trop tard. Nous essayons donc de stimuler des actions pour essayer d'atténuer les difficultés et prévenir les catastrophes. 30 000 personnes sont en attente d'expulsion locative. La mobilité dans le parc social est presque nulle aujourd'hui. Avec l'incertitude, même s'ils auraient les moyens d'en sortir, les gens préfèrent rester dans le parc social, et ne libèrent pas des places pour ceux qui en auraient besoin. De fait, le système se bloque.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Merci pour votre contribution à notre mission.

Audition de Mme Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Nous poursuivons nos travaux de l'après-midi par l'audition de Mme Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale.

Madame Lasserre, je vous remercie de votre participation à nos travaux. Je sais que vos services et vous-même êtes actuellement très sollicités en raison de la crise aiguë que traverse notre pays, dans le contexte épidémique que nous connaissons.

Mais c'est précisément parce que la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) se situe, au ministère des solidarités et de la santé, au coeur de la réponse gouvernementale en matière de lutte contre la pauvreté que votre témoignage est particulièrement important pour notre mission d'information.

Madame Lasserre, je vais vous laisser commencer cette audition par un propos liminaire d'une dizaine de minutes environ, qui pourrait être centré sur un bilan d'étape de la mise en oeuvre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, pour les axes qui concernent vos services.

Nous ouvrirons ensuite une phase d'échanges, en commençant par les questions de notre rapporteur, Mme Frédérique Puissat, qui devrait vous permettre d'aborder les différents points du questionnaire que vous avez reçu, et enfin par les questions des sénateurs membres de notre mission d'information.

Mme Virginie Lasserre, directrice générale de la cohésion sociale. - La DGCS est effectivement très sollicitée actuellement, car elle se trouve en première ligne sur la gestion de la crise épidémique qui, comme vous le savez, se traduit par une crise sociale qui nous mobilise beaucoup pour la mise en place de mesures de réponse en urgence.

Vous avez cité de nombreux axes dans votre questionnaire. Nous travaillons en premier lieu sur l'aide alimentaire. Dès le printemps dernier, nous avons reçu de fortes alertes de l'ensemble des secteurs de l'aide alimentaire, que ce soit les élus, les CCAS, mais aussi les associations que nous avions fait le choix de réunir de façon hebdomadaire depuis fin février. Les acteurs nous ont très rapidement remonté une augmentation considérable des files d'attente devant les distributions d'aide alimentaire. Ce phénomène est révélateur des effets directs de la crise, c'est-à-dire l'urgence sociale qu'il faut prendre en compte de façon majeure. J'aurai l'occasion de vous préciser la manière dont nous avons répondu à cette crise en termes d'ingénierie. L'État est au rendez-vous lorsqu'il arrive à mettre autour de la table les acteurs nécessaires pour aider les associations, y compris au niveau logistique. Pour répondre à l'urgence de la crise, il s'est aussi agi de mettre en place des aides financières exceptionnelles.

Tout cela doit aussi pouvoir se travailler sur le moyen et long terme. L'enjeu pour notre administration consiste à aider nos autorités politiques à travailler sur l'accompagnement de cette crise sociale avec des mesures plus structurelles. Nous rejoignons là ce qui avait été mis en place avant la crise, qu'il s'agisse de la stratégie de lutte contre la pauvreté ou d'autres dispositifs peut-être moins connus comme la stratégie de protection de l'enfance qui accompagne nos concitoyens les plus en difficulté, notamment les enfants de l'ASE. Au-delà des aides d'urgence qui sont absolument nécessaires aujourd'hui, nous devons essayer de structurer davantage ce que nous avions commencé à mettre en place avant la crise afin d'accompagner cette crise sociale en France. Tels sont les grands enjeux pour nous.

Je vous propose, dans la suite de nos échanges, d'approfondir quelques sujets sur la base de votre questionnaire et de préciser les éléments quantitatifs et qualitatifs que nous pouvons recueillir sur les territoires en termes de précarisation de la population et d'évaluation des politiques menées par la DGCS. Je rappelle que la DGCS couvre un champ extrêmement large : les minima sociaux, la précarité, l'aide alimentaire, l'hébergement d'urgence, le pilotage des politiques en faveur des personnes âgées et des personnes handicapées dont certaines sont en voie de précarisation, la protection de l'enfance, et le travail social qui constitue la colonne vertébrale de nos politiques sociales. Or tous ces sujets sont affectés par la crise sociale.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Merci de vous mobiliser dans ce contexte de crise sanitaire et de réorganisation. Vos services se réorganisent au niveau régional et départemental et l'exercice n'est pas toujours simple. J'aimerais donc avoir une petite pensée pour vos agents. La perspective de rapprocher la cohésion sociale des services du ministère de l'emploi, deux secteurs qui fonctionnaient plutôt en silo jusqu'à présent, peut-elle faciliter les rencontres de ces grands champs ?

Sur l'accompagnement, certains de vos collègues et des représentants associatifs ont évoqué l' « aller vers ». De nombreux dispositifs existent et les enjeux d'accompagnement se révèlent fondamentaux. Le nombre et la formation des personnes chargées de cet accompagnement sont-ils satisfaisants ? Sommes-nous bien structurés pour accompagner les personnes concernées par la pauvreté et la précarité ?

Le RSA est aujourd'hui financé par les départements. Avec l'enjeu des plans départementaux d'insertion, le dispositif pose un certain nombre de difficultés. Avez-vous une vision de l'augmentation du nombre d'allocataires du RSA à date ? Qu'en est-il des perspectives de recentralisation ? Quel est votre avis sur le sujet ? Enfin, pourriez-vous faire un point sur les enjeux de non-recours ?

Mme Virginie Lasserre. - Le rapprochement de l'emploi et des politiques sociales part du principe que certains de nos concitoyens qui sont éloignés de l'emploi peuvent s'en rapprocher grâce à différents leviers (IAE, PEC, garantie jeunes, etc.) qui relèvent du ministère du travail plutôt que du ministère des solidarités et de la santé. Au niveau territorial, le rapprochement va être incarné par la fusion des directions régionales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) et des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) et leurs pendants au niveau départemental au 1er avril.

Je pense que l'acculturation des uns et des autres devrait se révéler très intéressante. Nos DRJSCS peuvent parfois se trouver en difficulté, faute des moyens suffisants pour exercer leurs missions. Elles ont tout à gagner à se rapprocher des DIRECCTE, puisqu'elles seront plus proches des grandes entreprises avec lesquelles des actions d'accompagnement social peuvent être menées, notamment dans le cadre de plans de sauvegarde de l'emploi (PSE). Ce rapprochement des cultures professionnelles et des directions constituera un plus au niveau local. Il ne faut néanmoins pas oublier qu'une partie des personnes éloignées de l'emploi ne pourra probablement jamais se rapprocher, du moins, d'un emploi classique.

Au niveau de l'administration centrale, le sujet me semble moins important. Certains dispositifs sont travaillés à l'échelle du ministère des solidarités et de la santé, la délégation interministérielle à la lutte contre la pauvreté, le haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises et le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), comme le service public de l'insertion et de l'emploi (SPIE). Ce dispositif doit nous permettre d'avoir une vision globale des choses et de mettre tous les leviers en place pour accompagner les personnes les plus éloignées de l'emploi vers un emploi.

Nous croyons beaucoup à ce SPIE qui devrait nous aider à avancer ensemble, de même que le travail que nous menons actuellement sur les jeunes de moins de 26 ans qui ne perçoivent pas le RSA, avec l'aide de la DITP et du ministère du travail. Ce groupe de travail a pour objectif d'identifier sur l'ensemble du territoire les jeunes de moins de 26 ans décohabitants et désocialisés en vue de construire des parcours pour que ces jeunes soient accompagnés et disposent quand même d'un minimum pour vivre. Ce travail conjoint ne vise pas forcément à créer de nouveaux dispositifs, mais à organiser au mieux les dispositifs existants pour répondre à ces besoins. Comme Elisabeth Borne l'a indiqué, nous devons relever l'enjeu de la garantie jeunes.

Au niveau central, contrairement à l'échelon territorial, ce rapprochement ne se traduit pas par une fusion de la DGCS et la DGEFP. La question ne s'est pas posée. Pour autant, j'ai instauré des bilatérales mensuelles avec le DGEFP afin de travailler ensemble. Nous devons essayer d'attirer vers l'emploi les plus éloignés de nos concitoyens et prendre en charge tous ceux qui ne pourront pas revenir vers l'emploi.

Comment pouvons-nous moderniser le travail social en France ? J'ai dirigé un CCAS voilà quelques années. A l'époque, les personnels refusaient catégoriquement l'aller vers. Nous avons quand même avancé sur le sujet même s'il reste des marges de progrès. Une question de lisibilité du travail social se pose. Les travailleurs sociaux exercent leur mission dans des lieux extrêmement divers (départements, Pôle emploi, hébergement d'urgence, etc.). Faire progresser le travail social exige tout d'abord de travailler sur les leviers essentiels de la formation initiale et la formation continue. Au sein de la DGCS, nous gérons les 13 diplômes sociaux. Nous mettons actuellement en place un centre de ressources du travail social pour apporter, via des MOOC ou des kits de formation, un flux continu qui puisse contribuer à la modernisation du travail social. Nous devons notamment rappeler aux travailleurs sociaux que l'emploi et l'accès au logement entrent dans leur champ d'intervention et leur donner les moyens de se rapprocher de spécialistes ou de traiter eux-mêmes ces volets essentiels. Nous devons veiller à rendre le plus accessible possible à nos concitoyens l'accès à un travailleur social. Pour ce faire, nous devons rendre nos dispositifs plus lisibles. Nous avons identifié 250 000 travailleurs sociaux agissant en faveur de la lutte contre la pauvreté, tous employeurs confondus (associations, départements, CCAS, organismes de sécurité sociale, etc.).

Sur le RSA, nous disposons d'un certain nombre de chiffres témoignant de l'impact de la crise. Le nombre de bénéficiaires du RSA et les dépenses consacrées à son versement ont augmenté du fait de la crise sanitaire. Selon les dernières estimations de la CNAF, à fin 2020, le nombre de bénéficiaires du RSA s'établissait à 2,08 millions de foyers, contre 1,9 million à fin 2019, soit une augmentation de 8,3 %.

Le nombre de demandes de RSA, selon les estimations de la DGCS de février 2021, a crû de 5 % entre 2019 et 2020. Nous comptons en moyenne 109 demandes de RSA supplémentaires par jour. Selon la CNAF, aux trois premiers trimestres 2020, la hausse du nombre de bénéficiaires a été causée par de moindres sorties du RSA plutôt que par des entrées accrues. Entre mai et décembre 2020, les demandes de RSA ont augmenté de plus de 15 % dans 50 départements par rapport à la même période en 2019. Les plus fortes hausses s'observent à Paris (+ 47 %), devant la Haute-Savoie (+ 43 %) et les Hauts-de-Seine (+ 41 %).

Les départements qui bénéficiaient d'une forte activité économique, notamment touristique ont été les plus touchés. Le nombre de foyers bénéficiaires du RSA semble se stabiliser à un haut niveau depuis le mois d'août.

M. Denis Darnand, sous-directeur adjoint de l'inclusion sociale, de l'insertion et de la lutte contre la pauvreté (DGCS). - Depuis la mise en oeuvre du prélèvement à la source, les administrations fiscales, la CAF et la MSA ont constitué le dispositif « ressources mensuelles », un système informatique permettant de connaître les revenus salariaux en temps réel, ainsi que les revenus de remplacement pour le prélèvement à la source. Nous avons ainsi une idée assez précise des revenus des demandeurs de prestations, notamment lorsque ces ressources sont assez proches du revenu fiscal de référence.

Les travaux sont relativement bien avancés sur la prime d'activité. Nous en menons en parallèle sur le RSA. Je ne peux pas vous préciser le calendrier de mise en oeuvre à ce stade. Il s'agirait de ne plus demander une déclaration chaque trimestre, pour le bénéfice de la prime d'activité ou du RSA. Ce document est source d'erreurs et d'incompréhensions. Or la peur de se voir reprendre la prestation versée constitue un motif de non-recours.

En exploitant au maximum les données dont l'administration a connaissance, nous pouvons faciliter la vie de nos concitoyens, notamment les plus précaires. Nous pouvons alléger leurs démarches tous les trimestres, mais aussi lors de la demande initiale. En termes de simplicité, de lutte contre le non-recours, de limitation des erreurs et des incompréhensions, à défaut d'un big bang sur les prestations qui prendrait du temps à se mettre en place, ces avancées nous paraissent souhaitables.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Quid de la recentralisation du RSA au niveau national ?

M. Denis Darnand. - Le Premier ministre s'est engagé vis-à-vis du département de Seine-Saint-Denis à opérer une recentralisation du financement du RSA. Les travaux techniques ont démarré assez récemment avec la CAF 93, le préfet et le conseil départemental. Nous avons déjà mené cette démarche outre-mer, notamment à La Réunion et nous avons l'expérience technique de ces échanges. Sur l'aspect législatif, il existe aujourd'hui deux options : le projet de loi dit « 4D » dont le calendrier reste assez incertain ou, à défaut, le projet de loi de finances. Ces travaux ne concernent qu'un seul département. Je n'ai pas évoqué les conditions financières. Tout ceci reste à discuter. A ce stade, les discussions ont lieu avec le conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Nous ne menons aucune discussion avec quelque autre département que ce soit et nous ne connaissons pas les départements qui pourraient être demandeurs.

Mme Virginie Lasserre. - La DGCS n'a pas reçu de candidature officielle d'autres départements à ce stade.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Merci pour votre présence et votre présentation. Repenser la manière de travailler sur la pauvreté représente un travail important. De nombreux dispositifs existent. Il s'agit de les faire connaître et d'en assurer l'accès, mais aussi de repenser au fond des dispositifs qui restent parfois très parcellaires afin d'éviter que les personnes tombent dans la précarité.

Dans vos relations avec les associations, quel travail menez-vous ?

Mme Virginie Lasserre. - La question est très large, car nous couvrons un champ extrêmement vaste. La crise a changé la donne de façon extrêmement intéressante en matière de relations entre l'administration centrale et les associations.

Le 27 février, j'ai mobilisé une cellule de crise à la DGCS pour commencer à gérer la crise sanitaire. Début mars, nous avons pris conscience que nous ne parviendrions pas à gérer la situation et passer des consignes claires sans travailler de façon étroite avec le tissu associatif qui oeuvre sur le terrain. Nous avons donc mis en place des audioconférences avec les secteurs de l'aide alimentaire, l'hébergement d'urgence, etc. de façon hebdomadaire pour coconstruire un certain nombre d'actions.

Les associations nous remontaient des problèmes d'approvisionnement, de problèmes de locaux lors des fermetures estivales, etc. Face à la remontée de questions très pratiques, nous avons demandé aux préfets d'organiser des comités départementaux pour éviter le moindre trou dans la raquette. Nous souhaitons vraiment pérenniser ce travail de co-construction qui s'est mis en place durant la crise sanitaire. Aujourd'hui, nous travaillons main dans la main avec le secteur associatif. Dans l'hébergement d'urgence, par exemple, nous confions même des missions de service public aux associations.

La réponse est à géométrie variable selon les secteurs. Sur la grande pauvreté, la proximité avec les associations est extrêmement forte, en particulier avec les quatre grandes associations qui émargent au fonds d'aide européen que nous pilotons au niveau de la DGCS. La crise a encore renforcé nos liens avec ces associations. A la faveur de l'urgence, nous crantons des évolutions à moyen et long terme et nous faisons en sorte de bâtir un système social beaucoup plus robuste. Nous le faisons dans l'hébergement d'urgence. En mars, nous avons demandé aux équipes mobiles sanitaires d'aller dans les hébergements d'urgence pour repérer les personnes « Covid + », mais aussi pour faire en sorte que des médecins se rendent enfin dans ces centres et continuent de le faire sur le long terme. Je fais le pari que les actions que nous menons sur l'aide alimentaire seront aussi consolidées à l'avenir. Nous en aurons bien besoin au vu des chiffres inquiétants qui témoignent de l'augmentation de la pauvreté.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Merci. Nous ne sommes qu'au début de nos travaux. Nous aurons sans doute l'occasion de vous solliciter de nouveau.

Échange de vues sur la suite des travaux de la mission d'information

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Après les auditions des statisticiens, des associations caritatives et de l'administration d'Etat autour des questions de précarité et de pauvreté, nous souhaitions faire un point sur le périmètre et recueillir d'éventuelles propositions de personnes à auditionner. Nous en avons déjà listé un certain nombre. Les rendez-vous seront finalisés la semaine prochaine. Nous avions prévu d'auditionner les services du logement, les collectivités territoriales, le service public de l'emploi, les partenaires sociaux. Nous souhaitions aussi connaître votre point de vue sur les orientations à donner à cette mission. Deux autres missions sont conduites en parallèle sur les jeunes et les étudiants. Nous devons être complémentaires. Notre mission est plus généraliste, mais il est important de bien caler notre périmètre.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Il est effectivement très important de bien définir notre périmètre. Lors des auditions est souvent évoqué le dispositif « 1 jeune, 1 solution ». Or celui-ci dépasse notre cadre.

Je pense que nous devons continuer d'investiguer le champ de la précarisation et de la pauvreté dans sa globalité. Nous devons rencontrer l'ADF et l'Union nationale des CCAS, mais je considère que cette dernière a parfois un parti-pris et il serait bon que nous rencontrions aussi des CCAS.

Nous avons identifié des approches sectorielles : le logement, l'insertion professionnelle, l'accès au droit, qui devrait constituer un vrai enjeu pour notre rapport, l'aide alimentaire évoquée par les associations de grande précarité, la santé, le surendettement. Certains sujets méritent d'être étudiés de manière un peu fine. Nous avons tout dématérialisé, tout éloigné, en investissant des sommes considérables et nous sommes confrontés aujourd'hui à un enjeu d'accompagnement très fort.

Nous avons aussi retenu une approche géographique. Nous devrons mener des auditions sur les outre-mer pour appréhender des précarités bien particulières que nous ne retrouvons pas en métropole. J'ignore en revanche s'il faut examiner le très rural et le très urbain. Catherine Deroche nous a transmis le nom d'une chercheuse qui a réalisé un très beau travail sur la pauvreté en milieu rural. Il me semblerait intéressant de la rencontrer. Nous devons aussi étudier l'enjeu des quartiers politique de la ville.

S'agissant des visites, nous avions évoqué l'Alsace, mais d'autres idées peuvent émerger de vos expériences respectives. Nous entendrons par ailleurs, en audioconférence, nos voisins européens qui ont développé un certain nombre de politiques.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Quelles sont les auditions à venir ?

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Les démarches sont en cours. Nous avions notamment ciblé des économistes.

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Des tables rondes pourraient se révéler intéressantes.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Nous avions envisagé du présentiel les mardi et mercredi et des auditions en visioconférence, peut-être le jeudi matin, pour élargir notre champ d'intervention. Certains intervenants pourraient également être sollicités par d'autres missions du Sénat.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - Au-delà de l'état des lieux, nous devons nous mettre dans la perspective de proposer des réponses structurelles sur les questions de logement, d'emploi, etc. Des expériences intéressantes sont menées dans les quartiers, notamment au travers de l'ANRU, autre interlocuteur que nous avons ciblé.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - Il ne s'agit pas de faire plus ou mieux que le Gouvernement ni de formuler des propositions sur ce qui a déjà été fait, mais d'approcher cet enjeu de précarisation et de pauvreté peut-être différemment. Nous devons nous assurer que le champ est bien couvert et proposer des alternatives qui répondent aux attentes.

Mme Annie Le Houerou, présidente. - La crise est révélatrice de dysfonctionnements. Certaines actions comme les relations avec les associations n'étaient pas évidentes avant la crise. Aujourd'hui, elles sont devenues incontournables. Il faut peut-être tirer des enseignements de cette crise.

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. - La crise nous a effectivement poussés à travailler ensemble.

La réunion est close à 18 h 30.