COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Mardi 23 mars 2021

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président -

La réunion est ouverte à 12 h 15

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe se réunit au Sénat le mardi 23 mars 2021.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, de Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente, de Mme Françoise Dumont, sénatrice, rapporteur pour le Sénat, et de Mme Justine Benin, députée, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Nous sommes réunis pour examiner les dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.

Mme Justine Benin, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - La proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe est placée sous le signe du consensus et de la complémentarité entre nos deux assemblées, et ce dès sa rédaction : elle avait été déposée conjointement par notre collègue Dominique Théophile au Sénat et par mes soins à l'Assemblée nationale. Je remercie d'ailleurs mon groupe politique de l'avoir inscrite à son ordre du jour réservé de l'Assemblée nationale. Cette oeuvre collective a été utilement travaillée et enrichie par les deux chambres, avec le même souci d'apporter une réponse concrète aux dysfonctionnements des services publics de l'eau potable et de l'assainissement en Guadeloupe.

Ce bon travail, réalisé de surcroît dans la célérité, était cependant nécessaire. Nous devions ce travail sérieux et objectif à l'ensemble des Guadeloupéens, qui subissent depuis des années une situation inique aux lourdes conséquences sociales, économiques, environnementales et sanitaires - nous le leur devons toujours, d'ailleurs.

Je formule donc le voeu que le consensus persiste au sein de cette commission mixte paritaire afin que le texte puisse être adopté rapidement. Si j'en juge par l'engagement remarquable de mon homologue rapporteur pour le Sénat, les dernières étapes de la procédure parlementaire ne seront pas un obstacle.

Conscientes de notre responsabilité, Françoise Dumont et moi avons en effet travaillé dans ce même esprit constructif pour élaborer une proposition commune. Je dois admettre que ce fut très facile puisque nos assemblées avaient déjà fortement convergé. En particulier, le compromis trouvé avec le Gouvernement à l'Assemblée nationale sur la question des dettes a été conservé par le Sénat. Les sénateurs ont apporté une souplesse utile au fonctionnement du comité syndical, complété la composition de la commission de surveillance et renforcé les prérogatives de celle-ci. Je suis bien évidemment favorable à l'ensemble de ces dispositions, notamment à la dernière, car la nécessité d'associer les usagers à la nouvelle gouvernance est impérieuse : c'est la condition sine qua non pour apaiser la défiance et la rancoeur nourries par des années de défaillances de gestion.

Permettez-moi de réitérer ma reconnaissance particulière à mon homologue Françoise Dumont. Je tiens à vous remercier, chère collègue, d'avoir soutenu ce texte si important pour la Guadeloupe. Vous avez compris les enjeux du territoire, et il est juste de vous en remercier au nom de nos concitoyens guadeloupéens.

Je veux saluer avec respect les élus de Guadeloupe qui, tous, sont conscients du caractère exceptionnel de la problématique que nous allons résoudre. Cela vaut tant pour les élus nationaux - je pense à mon collègue Olivier Serva, ici présent et que je remercie -, qui ont su prendre leurs responsabilités pour ne pas politiser un sujet qui nous dépasse tous, que - et surtout, oserais-je le dire - pour les élus locaux.

Ce n'est pas une loi de dépossession, c'est une loi de justice et d'efficacité : pour reconnaître le rôle du département et de la région, qui investissent massivement depuis des années, et asseoir le rôle des intercommunalités, lesquelles pourront désormais compter sur une gouvernance efficace au service des citoyens. Tout cela ne se fera pas sans l'accompagnement de l'État, le Gouvernement en est conscient, et nous saurons le lui rappeler en séance publique.

Au nom de la Guadeloupe, je vous remercie d'avance pour votre soutien.

Mme Françoise Dumont, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - En premier lieu, je tiens à remercier Justine Bénin, signataire et rapporteure du texte, ainsi que mon collègue Dominique Théophile pour l'ensemble du travail qu'ils ont réalisé sur ce sujet ô combien important pour le quotidien des Guadeloupéens.

Nos deux assemblées partagent aujourd'hui un objectif commun : celui d'apporter une solution que nous espérons pragmatique et efficace au problème persistant de l'accès de nos concitoyens guadeloupéens à l'eau potable.

Le Sénat ne pouvait ainsi qu'accueillir favorablement ce texte, déposé par ma collègue rapporteure de l'Assemblée nationale. Les difficultés en la matière sont connues de longue date, et il n'était pas acceptable de laisser perdurer un statu quo laissant nos compatriotes dans une telle situation. La proposition de loi que nous examinons ce matin pose, je le crois, un premier jalon en ce sens, en unifiant la gouvernance de la gestion des services publics d'eau et d'assainissement en Guadeloupe.

Je voudrais à présent vous présenter en quelques mots les modifications que le Sénat a apportées au texte afin d'en améliorer l'opérationnalité.

Sur l'article 1er, qui concerne la création du syndicat mixte et son fonctionnement, le Sénat a souhaité enrichir le texte d'assouplissements auxquels je suis particulièrement attachée. Ainsi, il me semble important de permettre à de nouveaux membres qui souhaiteraient bénéficier à l'avenir des apports d'une telle mutualisation des coûts d'intégrer le syndicat mixte par une procédure plus souple qu'une modification législative. Bien encadrée dans la rédaction adoptée par le Sénat, cette souplesse me semble de bon sens et à même de recueillir un large consensus.

Nous avons également prévu la possibilité pour le comité syndical de décider, à l'unanimité des membres, de déroger à la clé de répartition des contributions financières. Cette modification permettra d'assouplir une disposition qui aurait pu conduire à rendre inutilement complexe le fonctionnement de la future structure et à bloquer des investissements nécessaires à la remise en état du réseau.

Par ailleurs, le Sénat a adopté, sur l'initiative de nos collègues Victoire Jasmin et Victorin Lurel, un amendement permettant au syndicat mixte nouvellement créé d'étudier la faisabilité d'une tarification sociale de l'eau. Cette possibilité pourrait ouvrir une réflexion intéressante pour les Guadeloupéens, compte tenu des réalités économiques et sociales locales.

Sur l'article 2, qui vise à instaurer une commission de surveillance, le Sénat a souhaité en parfaire la composition et en fluidifier le fonctionnement. Ainsi, nous nous sommes attachés à y assurer une meilleure représentation des élus locaux. Le Sénat a souhaité renforcer les prérogatives de cette commission et de son président en prévoyant, en particulier, l'obligation d'une audition annuelle du président du comité syndical. Le Sénat a également adopté un amendement de nos collègues socialistes qui complète utilement les obligations du comité syndical vis-à-vis de la commission de surveillance.

Ces mesures contribuent à clarifier les compétences de chacun dans la gouvernance du futur syndicat mixte et à simplifier les procédures.

Vous le voyez, mes chers collègues, le Sénat a inscrit ses travaux dans un esprit de dialogue comme de concertation. Le texte que notre commission mixte paritaire examine aujourd'hui, enrichi des apports du Sénat, est équilibré et introduit des souplesses bienvenues. Il me semble de nature à recueillir un large consensus. Pour conclure, je forme donc le voeu que nous aboutissions aisément à un accord sur ce sujet crucial pour le quotidien de nos concitoyens guadeloupéens.

M. Olivier Serva, député. - Je me félicite de cette belle avancée et du consensus auquel nous sommes parvenus.

Permettez-moi de porter à votre attention une remarque émanant du conseil départemental et du conseil régional de Guadeloupe. L'article 3 prévoyait que l'État compense les charges liées à la gestion d'eau potable et d'assainissement, à hauteur de 25 % pour le département et 25 % pour la région. Même si ce n'est pas le lieu d'en débattre, je veux dire ici que le ministre s'est engagé à ne pas alourdir le budget des collectivités territoriales du fait de ces dépenses nouvelles.

M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur. - Je félicite les rapporteurs de leur travail sur ce texte très important pour nos compatriotes guadeloupéens, qui permettra, je l'espère, d'aboutir à une rédaction commune. Cependant, j'en appelle à la vigilance : la solution retenue par la présente proposition de loi n'est qu'une première étape, certains territoires rencontrant d'énormes problèmes alors, pourtant, que la gouvernance de l'eau et de l'assainissement y est unifiée. Plus largement, nous devons nous tenir en alerte sur le sujet de l'accès à l'eau car, selon les estimations des spécialistes, à l'horizon de 2050, les ressources en eau auront diminué à hauteur de 25 %. Les territoires ultramarins, qui seront parmi les premières victimes de ce phénomène de raréfaction de la ressource, auront grand besoin de la solidarité nationale et européenne en la matière.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Monsieur Serva, pour répondre à votre préoccupation, la suppression de l'article 3 à l'Assemblée nationale a répondu à la nécessité de lever le gage financier, qui conditionnait la recevabilité du texte, associé à la création du syndicat mixte ouvert par l'initiative parlementaire.

Indépendamment de la présente proposition de loi, la participation financière de l'État sera toujours possible, dès lors que le Gouvernement y consent.

M. Olivier Serva, député. - Je vous remercie de votre réponse. Je souhaite donc que le Gouvernement tienne ses engagements à l'occasion du prochain projet de loi de finances.

Article 1er

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Titre

Le titre de la proposition de loi est adopté dans la rédaction du Sénat.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi rénovant la gouvernance des services publics d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe.

La réunion est close à 12 heures 30.

La réunion est ouverte à 12 h 45

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention se réunit au Sénat le mardi 23 mars 2021.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son bureau, constitué de M. François-Noël Buffet, sénateur, président, de Mme Yaël Braun-Pivet, députée, vice-présidente, de M. Christophe-André Frassa, sénateur, rapporteur pour le Sénat, et de Mme Caroline Abadie, députée, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Caroline Abadie, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je remercie le Sénat de son accueil et je veux immédiatement inscrire mon propos introductif dans l'esprit de concorde et de responsabilité qui a depuis le départ prévalu dans l'examen de cette proposition de loi. Cet état d'esprit se traduit notamment par une convergence de vues entre mon homologue du Sénat et moi-même. Cela devrait, je l'espère, nous permettre de parvenir facilement à un accord au cours de cette réunion.

Les députés se sont penchés sur le texte adopté par le Sénat et nous nous sommes inscrits dans la continuité de son travail. D'ailleurs, nous avons, au cours de nos débats, confirmé les choix effectués avant nous par les sénateurs.

Respectant le dispositif envisagé, nous avons adopté quelques modifications au cours de l'examen en séance publique. Au-delà des amendements d'ordre rédactionnel, nous avons entériné cinq changements qu'il me semble important de vous présenter aujourd'hui.

Tout d'abord, si nous avons bien sûr conservé l'ergonomie générale de la procédure en trois étapes, nous avons fait le choix de clarifier le début du texte pour mieux distinguer l'étape de la recevabilité de la requête, puis celle du travail du juge sur le bien-fondé de ladite requête.

Nous avons également ajouté des précisions quant aux critères de recevabilité des nouvelles requêtes qui seraient formulées par un même détenu. Le texte précise dorénavant qu'à peine d'irrecevabilité aucune demande ne peut être formée tant qu'il n'a pas été statué par le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le juge de l'application des peines (JAP) sur une précédente demande ou, si le juge a déjà statué sur cette dernière en la jugeant infondée, tant qu'un élément nouveau ne caractérise pas les conditions de détention mises en cause par la personne détenue. Cet élément de précision me paraît important pour éviter d'engorger nos juridictions avec des demandes en doublon.

Par ailleurs, afin d'améliorer la lisibilité du dispositif proposé, nous avons choisi d'insérer les délais au sein même des étapes qui sont précisément décrites par l'article unique de cette proposition de loi. Il m'était en effet apparu, au cours de mes auditions, que les délais n'étaient pas suffisamment compris par mes interlocuteurs et, s'agissant d'une voie de recours pour des situations graves et devant être traitées rapidement, il me semble particulièrement important d'apporter davantage de clarté à la temporalité du déroulement de cette procédure.

Les députés ont également choisi de préciser que l'administration pénitentiaire, lorsqu'elle prend des mesures dans le délai imparti pour améliorer les conditions de détention, doit également informer le juge des mesures prises. Il s'agit là de garantir la fluidité de l'information et, ainsi, de favoriser la rapidité du traitement des situations.

Un dernier point enfin, et non des moindres, nous avons précisé les délais applicables à l'ensemble des appels possibles. En effet, si le texte initial précisait que le juge doit statuer en appel dans un délai de quinze jours dans le cas où un appel émanant du ministère public est déposé dans les vingt-quatre heures suivant la décision du juge, rien n'était dit sur les autres types d'appels. Or, l'appel est, à mes yeux, une partie importante du dispositif prévu, car il constitue un élément essentiel du caractère effectif de cette nouvelle voie de recours.

Il nous a donc semblé nécessaire que les autres délais d'appel soient également prévus de manière explicite dans ce texte, d'autant plus qu'il implique deux juges d'appel - la chambre de l'instruction et la chambre de l'application des peines -, qui ne sont pas tout à fait soumis aux mêmes règles de droit commun. Le texte prévoit ainsi dorénavant que l'appel est interjeté dans les dix jours suivant la décision du juge et que l'affaire doit être examinée dans un délai d'un mois.

Voilà, mes chers collègues, le résultat des travaux de l'Assemblée nationale sur cette proposition de loi. Ils s'inscrivent, je le répète, dans la droite ligne des votes du Sénat, et je n'ai aucun doute sur le fait que les quelques corrections et précisions que nous devrions entériner aujourd'hui nous permettront d'adopter unanimement un texte commun.

Pour conclure, je voudrais dire que je suis convaincue de la portée et de l'effectivité de la nouvelle voie de recours que nous créons par cette proposition de loi. C'est un texte court, mais d'importance, qui vient marquer une nouvelle étape dans l'amélioration des conditions de détention.

M. Christophe-André Frassa, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Déposée le 11 février dernier, la proposition de loi de François-Noël Buffet tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a bénéficié d'un calendrier d'examen particulièrement rapide : adoptée par le Sénat le 8 mars, elle a été examinée par l'Assemblée nationale le vendredi 19 mars et la commission mixte paritaire se tient quatre jours plus tard.

Sur ce texte qui touche aux droits fondamentaux, il convenait en effet d'aller vite. Le Conseil constitutionnel nous avait donné jusqu'au 1er mars pour introduire dans notre législation un recours effectif permettant aux détenus de faire constater leurs conditions indignes de détention afin qu'il y soit mis fin. Cette date-butoir ne pourra être tenue, mais l'initiative du président Buffet nous aura au moins permis de répondre à cette exigence constitutionnelle dans un délai aussi rapproché que possible.

Ce texte est le fruit d'un travail réalisé en bonne intelligence avec la Chancellerie et l'Assemblée nationale. Les modifications apportées au texte à l'initiative de la rapporteure Caroline Abadie, avec laquelle j'ai eu le plaisir d'échanger, ont permis d'en améliorer la rédaction et d'apporter plusieurs précisions utiles.

Je note en particulier la disposition selon laquelle seraient déclarées irrecevables des requêtes successives présentées par un même détenu, en l'absence d'élément nouveau. Cette précision devrait contribuer à éviter un usage abusif de cette procédure qui aurait pu dégrader les conditions d'activité des juges des libertés et de la détention et des juges de l'application des peines.

Il est également intéressant d'avoir enserré l'appel dans des délais, cette mesure étant cohérente avec la manière dont ont été conçues les autres étapes de la procédure : lorsqu'un détenu souffre de conditions indignes de détention, il convient qu'une décision soit rendue rapidement par l'autorité judiciaire, en première instance comme en appel.

L'Assemblée nationale a préservé les grands équilibres du texte, qui ouvre une nouvelle voie de recours, sans créer un droit automatique à la remise en liberté, ce à quoi nous étions attachés. Différentes mesures pourront être étudiées par l'administration pénitentiaire, puis par le juge, à commencer par le transfèrement dans un établissement moins occupé.

Dans ces conditions, je crois que nous pouvons sans difficulté nous rallier au texte issu des travaux de l'Assemblée nationale, sous réserve de quelques modifications rédactionnelles mineures.

Il appartiendra ensuite aux magistrats et à l'administration pénitentiaire de faire vivre cette nouvelle procédure, qui ne suffira pas à elle seule, bien évidemment, à résoudre le problème des conditions de détention. Il nous faudra continuer pendant encore plusieurs années, je crois que nous en sommes tous convaincus, à investir dans la rénovation et dans l'agrandissement de notre parc pénitentiaire et continuer à recruter des surveillants et des conseillers d'insertion et de probation afin de changer les conditions concrètes de détention.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Je constate que les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale se sont mis d'accord sur une rédaction commune. Nous sommes toutefois saisis par Jean-Pierre Sueur de trois propositions de rédaction.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - Aujourd'hui encore, 800 détenus dorment sur des matelas à même le sol dans des cellules où s'entassent trois ou quatre personnes. Par conséquent, il est très important que nous examinions cette proposition de loi, mais il est aussi très important que ce texte soit efficace. Je souhaite comme vous, madame la rapporteure, que nous obtenions l'unanimité, mais je crains que nous n'y arrivions pas.

En effet, il me paraît profondément étrange que les propositions faites par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté n'aient été prises en compte ni au Sénat ni à l'Assemblée nationale. Je ne le comprends pas parce que cette institution est évidemment l'instance la plus compétente pour s'exprimer sur de tels sujets.

C'est pour cette raison que j'ai déposé trois propositions de rédaction. Leur adoption pourrait conduire le groupe Socialiste, écologiste et républicain du Sénat, même s'il s'agit d'une position a minima, à approuver la proposition de loi.

À notre sens, il conviendrait d'abord de dénoncer la carence du Gouvernement. C'est cette carence qui a conduit François-Noël Buffet à déposer cette proposition de loi. Le Conseil constitutionnel avait donné un temps largement suffisant au Gouvernement pour réagir. Or celui-ci n'a rien fait, si ce n'est déposer un amendement à l'occasion de l'examen du projet de loi sur le Parquet européen et la justice pénale spécialisée, qui n'avait aucune chance d'aboutir en raison des règles de la procédure parlementaire, ce que le Gouvernement savait fort bien.

Ensuite, la rédaction qui nous est proposée place l'administration pénitentiaire dans une position où elle est, dans un premier temps, juge et partie, le juge n'intervenant qu'ensuite.

Alors que le texte ne donne pas de précisions en la matière, le transfèrement pourrait devenir la solution de facilité. En effet, si un détenu qui dort sur un matelas est transféré à 500 kilomètres, il est évident qu'un autre détenu sera sur le même matelas peu de temps après... Telle est malheureusement la réalité !

Cette proposition de loi ne permet pas de répondre à la question de la surpopulation carcérale, alors que la Cour européenne des droits de l'homme a justement condamné la France sur ce point. Nous avions déposé des amendements à ce sujet, que je ne reprends pas ici. Notre rapporteur, Christophe-André Frassa, nous avait répondu qu'il fallait construire de nouvelles prisons, mais le problème n'est pas là, même si je n'y suis pas opposé, car malheureusement plus on construit de prisons, plus elles sont surpeuplées ! Il faut plutôt rénover les prisons existantes, en particulier celles où les conditions de détention sont indignes, et surtout développer les alternatives à la détention. Pendant le premier confinement, le nombre de détenus a baissé de plusieurs milliers - l'un des rares effets positifs de cette crise... -, ce qui n'a pas empêché la société de fonctionner.

Enfin, à entendre certaines interventions, je vois déjà poindre une crainte, celle que la loi s'applique trop et que les détenus fassent usage de ce droit. Ne commençons pas par avoir peur d'un droit, lorsque nous le créons ! Un tel droit doit pouvoir s'exercer pleinement.

Pour conclure, je répète qu'il est incompréhensible de ne pas inclure dans ce texte les préconisations de l'Observatoire international des prisons et de la Contrôleure générale des lieux de privations de liberté.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Je vous invite à nous présenter vos trois propositions de rédaction.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - La proposition de rédaction n° 1 permet d'acter le fait qu'il ne peut pas y avoir de transfèrement avant qu'un juge ne prenne une décision. Encore une fois, le transfèrement ne doit pas être une solution de facilité.

Mme Cécile Untermaier, députée. - Cette proposition de loi crée un nouveau droit, mais il faut que celui-ci soit effectif et cela ne peut pas se faire si le juge judiciaire est en quelque sorte effacé au profit de l'administration pénitentiaire.

L'administration pénitentiaire n'a pas à trancher un litige qui oppose un détenu à l'État au titre de la dignité des conditions de détention. Je suis donc très favorable à cet amendement, même si, en tant que suppléante, je n'ai pas le droit de vote dans cette commission.

Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale avait déposé des amendements qui allaient dans le même sens, non pas pour nous opposer au texte, mais pour en améliorer le dispositif. Le plus important est de faire en sorte que ce nouveau droit ne soit pas dévoyé : il ne faut pas que la menace du transfèrement détourne les détenus de l'exercice de ce droit. C'est notre principal sujet de préoccupation. Si nous pouvions trouver un accord pour lever le doute sur le transfèrement, ce serait une belle avancée. Certes, le garde des sceaux a indiqué lors des débats que le transfèrement ne serait pas prioritaire, mais il faudrait que nous inscrivions plus clairement cet aspect des choses dans le texte.

La proposition de rédaction n° 1 n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - La proposition de rédaction n° 2 prévoit qu'en cas de transfèrement l'administration pénitentiaire apporte toute garantie utile que les conditions nouvelles de détention du requérant sont conformes au respect de sa dignité.

Cette proposition reprend au mot près un amendement déposé par Mme Yaël Braun-Pivet, présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale et vice-présidente de notre commission mixte paritaire, dont tout le monde connaît la sagesse et l'influence. Je ne doute donc pas que cette proposition de rédaction sera adoptée...

La proposition de rédaction n° 2 n'est pas adoptée.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - Le transfèrement constitue l'une des mesures possibles pour répondre à des conditions de détention indignes. Nous n'y sommes évidemment pas opposés, mais ce n'est en aucun cas un remède miracle.

La proposition de rédaction n° 3 prévoit qu'en cas de transfèrement sont prises en compte des considérations concrètes pour le requérant, et pas seulement la vie privée et familiale, comme inscrit à ce stade dans le texte : il s'agit des droits à la réinsertion, à la santé et à la défense.

Mme Cécile Untermaier, députée. - Je soutiens fermement cette proposition. Durant les débats, il a été dit qu'il serait tenu compte de la vie privée et familiale et que l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales serait, bien évidemment, appliqué. Je ne me fais malheureusement pas d'illusion sur le sort qui sera réservé à cette proposition de rédaction, mais il est extrêmement important que les débats parlementaires reflètent l'importance que le législateur accorde au respect du droit à la vie privée et familiale dans le cadre de la procédure que cette proposition de loi met en place.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Je partage cet objectif et je rappelle que le texte sur lequel nous allons voter évoque bien « une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée et de la vie familiale » du requérant, « eu égard au lieu de résidence de sa famille ». Aucun magistrat ne prendrait de décision qui serait contraire à une telle disposition.

M. Christophe-André Frassa, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Je reconnais à M. Sueur une certaine constance et le souci de se concentrer sur l'essentiel, puisque nous sommes passés de vingt-six amendements déposés en commission à dix-sept en séance publique, puis à trois aujourd'hui.

Je souhaiterais que M. Sueur reconnaisse, de son côté, la constance de la commission des lois du Sénat : nous estimons nous aussi que le transfèrement est l'une des voies possibles de la nouvelle procédure que met en place cette proposition de loi, mais il ne doit pas devenir une solution de facilité. Nous avons toujours défendu la même position et il est évident que les magistrats pourront s'appuyer sur nos débats pour mettre en application ces dispositions.

Mme Caroline Abadie, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je vais dans le même sens : le transfèrement ne constitue aucunement une solution de facilité. D'ailleurs, lorsque vous visitez une prison et que vous discutez avec les agents de l'administration pénitentiaire, ils vous disent combien l'organisation d'un transfèrement prend du temps - c'est souvent deux ou trois mois, en temps normal ! Ce texte leur laisse un mois pour le faire ; ce ne sera donc pas nécessairement la solution privilégiée... L'ensemble des retours que nous avons eus lors des auditions ou des visites de terrain l'a clairement montré. Vous le voyez, nous partageons votre objectif, monsieur Sueur.

J'ajoute que les conditions indignes de détention vont au-delà de la question de la cellule. Il peut aussi s'agir des conditions d'accès au parloir, à la bibliothèque, aux douches, à la promenade, etc.

En outre, les crédits consacrés par le ministère de la justice à la rénovation des prisons sont en forte augmentation ; le Gouvernement n'est pas du tout inactif en la matière. Il ne l'est pas non plus pour la construction de nouvelles prisons ou le développement des alternatives à la détention qui sont essentielles. Je le redis, le transfèrement constitue l'une des réponses possibles, mais il ne sera évidemment pas systématique.

En ce qui concerne votre proposition de rédaction n° 3, je précise que le transfèrement a été positionné en premier au paragraphe II de cet article, uniquement parce que cette solution est commune aux prévenus et aux condamnés. Comme de coutume, nous sommes partis du cas général pour distinguer ensuite les cas particuliers.

Mme Laurence Vichnievsky, députée. - Je voudrais rappeler, en tant que praticienne, qu'il existe une répartition des compétences entre l'institution judiciaire et l'administration pénitentiaire. Le juge n'est pas maître de l'affectation d'un prévenu ou d'un détenu ; c'est l'administration qui décide. De la même manière, et sauf exception, c'est l'administration pénitentiaire qui décide d'un transfèrement - c'est elle qui connaît le mieux son parc. Le principe est donc bien que l'administration pénitentiaire gère l'exécution de la peine de ce point de vue. Cette proposition de loi constitue donc déjà une avancée.

Je le redis, il est logique que le juge intervienne en deuxième ligne sur ce type de question ; c'est conforme aux prérogatives des uns et des autres. C'est pourquoi il était logique de ne pas adopter la proposition de rédaction n° 1 de M. Sueur.

En ce qui concerne la proposition de rédaction n° 2, il n'était pas nécessaire de l'écrire dans le texte parce que cela va évidemment de soi.

La proposition de rédaction n° 3 n'est pas adoptée.

M. François-Noël Buffet, sénateur, président. - Nous allons passer au vote sur l'ensemble.

M. Jean-Pierre Sueur, sénateur. - Nous nous abstenons au nom de mon groupe.

La commission mixte paritaire adopte l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.

La réunion est close à 13 h 10.