Jeudi 8 avril 2021

- Présidence de M. Jean Hingray, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition de M. Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises

M. Jean Hingray, président. - Nous entendons aujourd'hui M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises, qui intervient en visioconférence.

M. Thibaut Guilluy, Haut-Commissaire à l'emploi et à l'engagement des entreprises. - Le Haut-Commissariat à l'emploi et à l'engagement des entreprises est rattaché à la ministre du travail et au ministre de l'économie.

Mon rôle est d'être le bras armé des politiques de l'emploi, et d'abord des politiques inclusives : il s'agit de mobiliser les entreprises pour qu'elles mettent en place des politiques de recrutement ouvertes aux populations fragiles, aux personnes handicapées, pour que chacun ait le plus de chance de développer ses talents sans discrimination ; en plus de cette promotion des politiques inclusives au sens large, pour l'égal accès aux entreprises, mon action vise à conforter les politiques d'accompagnement vers l'entreprise des personnes les plus éloignées de l'emploi.

On sait que les déterminants de l'éloignement sont nombreux : niveau de qualification, secteur de formation, facteurs sociaux, ascendance migratoire, faiblesse du capital social - les études abondent sur ces différents facteurs qui se combinent pour conduire à ce que des jeunes ne franchissent pas les portes de l'entreprise et ne conçoivent parfois pas qu'ils peuvent y parvenir, parce qu'ils n'ouvrent pas le champ des possibles.

La période de crise accentue ces phénomènes structurels d'éviction de l'emploi, en particulier pour les jeunes - pendant le premier confinement, l'insertion des jeunes en emploi a chuté de 80 %, puis il y a eu des actions ciblées, en particulier le plan « 1 jeune, 1 solution », et nous avons retrouvé, à partir du moins d'août, un recrutement des jeunes dans l'épure des années précédentes.

Le plan « 1 jeune, 1 solution » est une action forte, c'est une promesse qui  engage, quand notre pays compte 1,38 million de jeunes « NEET », ni en emploi, ni en études, ni en formation, un niveau bien plus élevé que la moyenne européenne, comme le soulignent régulièrement les organismes internationaux.

Nous mobilisons un grand nombre de mesures dans ce cadre pour encourager l'accès à l'emploi, en emploi durable, avec différentes formes d'alternance et des mesures ciblées sur les collectivités, sur l'emploi social et solidaire, sur les jeunes en situation de handicap, sur les quartiers de la politique de la ville, des mesures qui toutes tendent à corriger les défauts du marché de l'emploi. Ce plan durera au moins jusqu'à la fin de l'année 2021, le Premier ministre l'a annoncé.

L'apprentissage est un outil important d'égalité des chances, pour faciliter l'intégration professionnelle : au niveau CAP, c'est 20 points de plus pour l'accès à l'emploi durable, cette performance tient à ce que l'apprentissage met en lien direct avec l'entreprise, à ce qu'il donne une chance de développer un réseau, en plus des savoirs pratiques. L'apprentissage est également très utile pour lever les freins financiers à l'accès aux études supérieures, grâce à une prise en charge de frais d'études par le contrat d'apprentissage, c'est un outil à consolider.

Nous faisons également un effort sur la qualification, avec 200 000 places supplémentaires de formations qualifiantes, en invitant les régions à flécher les contrats vers certains domaines comme le numérique ou encore le social.

Nous avons aussi un programme ambitieux pour les 16-18 ans, avec 35 000 places ouvertes aux jeunes d'ici la fin de l'année au sein de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

Nous ouvrons également 100 000 places supplémentaires en service civique, c'est important pour la capacité des jeunes concernés à gagner en confiance, à se faire du réseau et à avoir un contact avec le monde du travail, une piste à encourager.

Pour les jeunes NEET, nous mettons en oeuvre le droit à un accompagnement, qui est légal, mais pas encore effectif, et que je souhaite rendre effectif. Nous allons passer de 600 000 à 1 million de jeunes accompagnés, en s'appuyant sur le service public de l'emploi, les missions locales, Pôle emploi, pour proposer un accompagnement intensif, global et adapté aux jeunes. La Garantie jeunes et le Parcours contractualisé d'accompagnement vers l'emploi et l'autonomie (PACEA) seront renforcés.

Nous travaillons sur la Garantie jeunes universelle, pour faire progresser idée d'un accompagnement intensif et contractualisé de tous les jeunes, avec une garantie de ressources financières chaque fois que la situation du jeune le nécessite. C'est ce que nous avons commencé à faire en faisant passer le plafond annuel de l'allocation PACEA de trois à six fois le montant mensuel du RSA, de même que nous avons relevé le barème de rémunération des stagiaires de la formation professionnelle, qui n'avait pas évolué depuis 2002, et qui atteint désormais 500 euros mensuels pour les jeunes de 18 à 25 ans. L'enjeu de la ressource est crucial pour que la précarité financière n'entrave pas la capacité à s'engager dans un projet.

Plus récemment, nous avons lancé un appel à projets pour accompagner la création d'entreprises par les jeunes. Les jeunes de moins de 30 ans ayant moins de capital social et économique, ils sont moins armés pour créer leur entreprise et c'est pourquoi nous les visons. Il s'agit de leur offrir un accompagnement, les études ayant montré qu'un tel accompagnement augmentait de 10 points le taux de réussite dans la création d'entreprise, et de les faire bénéficier d'une dotation en capital de 3 000 euros, qui vient en complément de l'apport personnel et joue comme levier pour l'accès à d'autres financements.

Enfin, le Président de la République a lancé le programme « 1 jeune, 1 mentor », c'est un outil important et puissant pour lutter contre les discriminants sociaux, 30 000 jeunes sont accompagnés dans leur parcours scolaire ou d'insertion professionnelle grâce à la mobilisation de plusieurs associations soutenues par les entreprises. Le mentor est en mesure d'apporter le réseau, le capital social, les conseils en matière d'orientation qui manquent au jeune issu de milieu modeste ou de territoires défavorisés. Nous accompagnons le changement d'échelle du mentorat, pour passer à 100 000 jeunes à la fin de l'année, puis 200 000 jeunes en mentorat d'ici à 2022 : c'est un levier pour leur donner de meilleures chances de réussite scolaire ou professionnelle.

M. Jean Hingray, président. - Le plan mentorat, lancé par le Président de la République il y a un mois, vous semble-t-il suffisant pour amener la jeunesse de France à l'esprit d'entreprise ?

M. Thibaut Guilluy. - Non, une mesure seule ne suffirait pas. Cependant, dans « 1 jeune, 1 solution », l'idée est bien que les jeunes fassent partie de la solution. Dans un moment de fragilisation de l'économie et de la cohésion sociale, il faut investir dans la jeunesse. J'anime un réseau de plusieurs milliers de chefs d'entreprises engagés dans ce programme : je fais passer le message que si l'État aide à l'embauche des jeunes, c'est aussi pour passer la crise et pouvoir organiser la relance. Nous sommes en retard sur la transition numérique, nous avons besoin des jeunes, qui sont plus natifs dans ce domaine, de même pour la transition écologique. L'appel à projets sur la création d'entreprise accompagnera quelque 40 000 créateurs d'entreprises en deux ans ; je crois qu'il faut aller encore plus loin, car les jeunes ont l'envie de créer des entreprises. Les comparaisons internationales sont sur ce point à l'avantage de la jeunesse française. Il faut simplement lui donner les moyens de passer du projet à la réalisation et de crée les conditions de meilleurs taux de réussite ; c'est pourquoi nous les soutenons directement avec un apport en capital.

Le mentorat donne de la confiance, et c'est cette confiance qui ouvre les possibles. Pour avoir créé une vingtaine d'entreprises, je sais par mon expérience combien cet enjeu de la confiance et de l'accompagnement est important, et je suis convaincu que nous avons des marges de dynamique importantes avec le mentorat et le changement, par des démarches très pragmatiques, de l'écosystème entrepreneurial. J'indique également que Pôle emploi, avec la montée en puissance de son programme Activ'Créa, soutient fortement les demandeurs d'emploi sur la création d'entreprises avec des dispositifs très pragmatiques. Il y a encore énormément de marge sur ce plan.

M. Laurent Burgoa. - Vous avez évoqué la politique de la ville, et peu la ruralité : avez-vous des mesures spécifiques pour les territoires ruraux, ou est-ce le droit commun qui s'applique ?

M. Thibaut Guilluy. - Venant du Pas-de-Calais, je ne me sens guère métropolitain... J'ai parlé des quartiers de la politique de la ville, mais les zones de redynamisation rurale (ZRR) sont également concernées. Je déploie le programme « 1 jeune, 1 solution » avec la Mutualité sociale agricole (MSA), avec la Coopération agricole, avec la filière agroalimentaire, avec la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), dans toutes les zones rurales. Nous déployons aussi des animations, des webinaires, de la communication dans tous les départements et dans bien des communautés de communes.

Avec « 1 jeune, 1 solution », avons mis en ligne une plateforme géolocalisée, www.1jeune1solution.gouv.fr, pour que chaque jeune ait accès aux offres d'emploi et de formation en proximité, nous en sommes à 200 000 offres quotidiennes partout en France. Il faut ensuite que les réseaux locaux se mobilisent, j'organise des partenariats avec les collectivités territoriales, en particulier dans les zones rurales. Grâce à cette plateforme, les jeunes sont rappelés dans les 72 heures pour se voir proposer une formation ou une offre d'emploi. Nous avons une offre symétrique pour les petites entreprises qui peuvent déposer leurs offres sur cette plateforme et nous mobilisons les entreprises à travers 90 clubs départementaux. Je suis particulièrement attentif à cette irrigation dans le territoire, de même que sur le déploiement des tiers lieux, soutenu par le plan de relance.

M. Jean Hingray, président. - Quel est le lien entre les tiers lieux et le monde économique ?

M. Thibaut Guilluy. - Des tiers lieux en milieu rural permettent, par exemple, de déployer des formations, d'accueillir des formations mobiles, nous les soutenons, de même pour la formation à distance. Avec le développement du travail à distance, ces tiers lieux peuvent également accueillir les salariés lorsqu'ils ne sont pas présents dans l'entreprise.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Vous parlez création d'entreprises, je suis plus intéressée par la façon dont on amène les jeunes les plus défavorisés - qui sont souvent très loin de la création d'entreprise - à ouvrir leurs horizons : quels outils avez-vous dans ce sens ? Nous avons entendu ce matin des associations qui font du mentorat, nous avons parlé de bénévoles qui accompagnent les jeunes dans leurs projets, qui développent leur capacité à faire des projets.

M. Thibaut Guilluy. - Il n'y a pas de contradiction, l'enjeu est bien d'accompagner chaque jeune à accomplir son désir le plus fort. J'ai créé des entreprises d'insertion, pour accueillir des jeunes de la protection judiciaire de la jeunesse ou sortant de l'aide sociale à l'enfance, en particulier. Je crois qu'il faut d'abord reconnecter ces jeunes qui ont décroché de l'école et plus largement des circuits d'accompagnement. Nous consacrons des moyens pour accompagner chaque jeune, de façon digne. Je veux dire par là que si l'on a un conseiller d'insertion pour 200 ou 300 jeunes, l'accompagnement ne peut pas fonctionner. C'est pourquoi nous renforçons les équipes d'accompagnateurs des jeunes les plus éloignés de l'emploi, dans le réseau de Pôle emploi, des missions locales, des écoles de la deuxième chance, des EPIDE. Il faut en parallèle agir sur l'offre de solutions. Nous renforçons aussi l'offre d'insertion avec l'objectif de 100 000 places supplémentaires dans l'offre d'insertion par l'économique. Il y a des dispositifs qui ont fait leur preuve auprès des jeunes très éloignés de l'emploi, tels que les préparations opérationnelles à l'emploi collectives (POEC) ou individuelles (POEI). Notre action est très concrète, en direction de jeunes très éloignés de l'emploi, pour les fidéliser et les amener vers une insertion réelle.

Nous le faisons aussi pour les parcours d'insertion dans l'emploi des personnes handicapées, avec les entreprises adaptées et un objectif de passer de 40 000 à 75 000 parcours.

Même chose pour le mentorat. Je suis mentor, je connais ce rôle de manière directe, son utilité propre - et je sais aussi que nous avons besoin de débouchés, c'est ce que nous faisons avec « 1 jeune, 1 solution », en proposant des stages, des formations, et un accès à l'entreprise. Nous avons un grand défi consistant à ouvrir les entreprises à ces jeunes, il faut des immersions en entreprise pour que le contact concret se fasse, c'est ce sur quoi nous travaillons. Les solutions existent, il faut les mettre en oeuvre en renforçant l'offre et en connectant le monde de l'entreprise et celui des accompagnateurs, le mentorat est un bon outil. C'est aussi un très bon moyen de créer des connexions positives entre le monde de l'entreprise et les jeunes.

Mme Monique Lubin, rapporteure. - Nous sommes convaincus de l'efficacité du mentorat, les associations sont satisfaites du plan annoncé, mais elles se posent des questions au-delà de 2022 : que va-t-il se passer ensuite ?

M. Thibaut Guilluy. - Il faut voir loin, effectivement. Le mentorat s'est développé depuis une quinzaine d'années grâce à des associations comme Article 1 ou Télémaque, sans intervention de la puissance publique et parallèlement à d'autres actions comme le parrainage, mis en place de longue date par les missions locales, un tiers des jeunes mentorés s'inscrivant dans ce programme. Les associations de mentorat se sont développées avec le soutien des entreprises, c'est une richesse d'innovation, de proximité, mais aussi une limite, en tout cas en nombre de jeunes bénéficiant d'un mentor : 30 000 jeunes, c'est bien, mais on peut aller plus loin, en tout cas c'est mon rêve, que chaque jeune puisse trouver un mentor s'il en a besoin. C'est pourquoi nous cherchons à renforcer le modèle opérationnel et économique. Avec notre plateforme « 1 jeune, 1 solution », où se rencontrent de très nombreux acteurs, venus de l'éducation, des services de l'État, des entreprises, nous encourageons ces dernières à s'engager dans le mentorat, si elles ne l'ont pas encore fait, ou à renforcer leur implication, en fournissant des mentors et aussi un soutien financier aux associations. Nous avons aussi d'autre part, du financement public - 30 millions d'euros cette année - pour accompagner l'ingénierie et le cofinancement du mentorat, il s'agit de permettre un effet de levier, sans créer cependant de dépendance trop forte au financement public et sans changer le modèle économique, qui repose essentiellement sur la société civile et où pourraient également intervenir, demain, les collectivités. Le modèle fonctionne, le mentorat coûte peu, entre 500 et 1000 euros pour accompagner un jeune sur une année, pour des effets très positifs sur l'accompagnement et la réussite scolaire et professionnelle des jeunes concernés. Le rapport entre le coût investi, les dépenses évitées et le bénéfice socio-économique est tel que je doute que des responsables avisés remettent en cause trop fortement une initiative qui a certes bénéficié du soutien de l'Etat mais qui est essentiellement portée par les associations et les entreprises.

Mme Michelle Meunier. - Le milieu médicosocial subit une crise des vocations, y compris dans les crèches : comment aider le développement de ces métiers du soin ?

M. Thibaut Guilluy. - L'entrepreneuriat n'est qu'une brique, comme mentor j'ai accompagné des jeunes et des adultes qui connaissaient ou qui aspiraient aux métiers du médico-social. Ces métiers ont du sens, c'est un facteur de motivation, mais ils sont mal reconnus, pas seulement sur le plan de la rémunération. Il y a une question de formation : on met en avant les compétences techniques, alors que les compétences humaines sont décisives, il faut faire mieux reconnaître la diversité des compétences utiles. Il faut aussi valoriser les circuits courts, entre les apprentissages et la mise en relation avec le métier lui-même. Des expérimentations sont en cours, et nous accompagnons le mouvement.

Ensuite, il y a la question des rémunérations, ça compte évidemment. Enfin, nous faisons le lien entre les associations intermédiaires et les besoins dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), pour construire des parcours avec des passerelles vers l'emploi. Les possibilités de recrutement ne manquent pas, beaucoup de jeunes aspirent à travailler dans ces métiers, il faut avancer en recrutant par les compétences plutôt que par le curriculum vitae.

Avec cette mission, vous mettez le doigt sur un enjeu très large. Le ministère, comme le Haut-Commissariat, porte une vision inclusive de la société : l'inégalité des chances est un véritable fléau, et nous n'avons pas trouvé la panacée ! J'attends donc avec impatience votre rapport d'information.

Il ne s'agit pas seulement d'aider les individus à se saisir des opportunités, il faut aussi promouvoir une culture d'inclusion au sein des entreprises, dont la culture managériale doit permettre d'accueillir chacun, avec ses singularités et ses fragilités, c'est-à-dire ce qui est consubstantiel à la nature humaine. Pour cela, nous devons remettre en question les normes et standards de productivité que nous ont inculqués les écoles. Il faut que l'écosystème incite aux pratiques inclusives : cela ne pourra qu'accroître notre performance globale, économique et financière, mais aussi humaine et sociale. Les quelques milliers d'entreprises qui nous ont rejoints dans « La France, une chance » s'engagent à progresser en matière d'égalité des chances. Merci pour ces échanges.

M. Jean Hingray, président. - Merci de votre participation.

La réunion est close à 15 h 35.