Mercredi 30 juin 2021

- Présidence de Mme Marie-Pierre Monier, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Bonjour à toutes et tous, Madame la rapporteure, mes chers collègues, je vous prie d'excuser le président de la mission, Jean-Marc Boyer, qui a été retenu.

Nous accueillons aujourd'hui le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, M. Julien Denormandie.

Je vous rappelle que cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée.

Notre mission d'information sur l'enseignement agricole, constituée de 23 membres issus de tous les groupes politiques du Sénat, a procédé depuis le mois de mars à une vingtaine d'auditions et de tables rondes. Elle a aussi effectué quatre déplacements sur le terrain. Plusieurs de nos collègues se sont également rendus dans les établissements de leur département.

L'enseignement agricole obtient des résultats remarquables. Nous sommes tous convaincus qu'il constitue une chance pour de nombreux jeunes et un outil indispensable pour l'avenir de nos filières agricoles et alimentaires. Dans leur diversité, les filières agricoles et alimentaires doivent répondre aux nouvelles attentes de la société et des consommateurs, tout en restant compétitives. L'enseignement agricole, tant technique que supérieur, en lien avec la recherche, a un rôle essentiel à jouer pour relever le défi du renouvellement des générations et former les futurs agriculteurs et agricultrices aux enjeux de notre époque. Mais l'enseignement agricole ne forme pas seulement des agriculteurs, il apporte aussi plus largement une contribution majeure au développement des territoires ruraux.

Monsieur le ministre, avant que vous nous fassiez part de votre vision, notre rapporteure vous présentera quelques lignes de force qui émergent de nos travaux, en mettant notamment en évidence nos interrogations. Je précise que la mission conclura ses travaux au mois de septembre.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Effectivement, notre mission arrive bientôt à son terme et je vais esquisser les quelques enjeux qui en sont ressortis et sur lesquels nous souhaiterions vous entendre.

Monsieur le ministre, après avoir lancé en avril la campagne de communication #CestFaitPourMoi, vous présenterez tout à l'heure avec la ministre de la mer, Annick Girardin, une nouvelle campagne de communication sur les métiers et formations de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de la forêt, des paysages, de la pêche et de l'aquaculture. Nous nous en félicitons et nous espérons qu'elle aura plus d'impact sur le grand public que le camion « L'aventure du vivant », qui s'est trouvé bloqué du fait de la pandémie de covid-19, car le premier défi qui ressort de nos travaux est celui de l'orientation et de la connaissance ou de la reconnaissance de l'enseignement agricole. Cela vaut d'ailleurs tant pour l'enseignement technique que pour l'enseignement supérieur agricole.

L'agribashing et les conditions de travail et de rémunération dans les filières agricoles et alimentaires sont une toile de fond que nous ne pouvons pas ignorer. Ils n'expliquent toutefois pas tout. Il y a clairement un enjeu de lisibilité de l'enseignement agricole. Lisibilité des 163 formations dont les intitulés sont parfois particulièrement abscons. Lisibilité de l'appellation « enseignement agricole » en tant que telle. Nous avons été frappés d'entendre des directeurs d'établissement nous dire comment ils essayaient de moderniser le nom de leur établissement pour attirer davantage et pour mieux rendre compte de la diversité des formations proposées par l'enseignement agricole. Il est bien plus, en réalité, un enseignement des sciences du vivant et des territoires. Nous proposerons d'ailleurs de revoir cette appellation dans notre rapport.

Nous constatons également, et nous le déplorons, que l'enseignement agricole est trop souvent choisi par défaut, faute d'un accompagnement à l'orientation satisfaisant au sein des établissements de l'Éducation nationale qui souhaitent garder pour eux les meilleurs élèves. Certes, une circulaire conjointe des deux ministères a été adoptée le 12 avril 2019 pour renforcer les coopérations entre l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Vous venez également d'annoncer, le 19 mai dernier, une nouvelle feuille de route « Éducation nationale et Enseignement agricole » 2021-2022. En dépit des efforts déployés au niveau national et régional, la dynamique ne se diffuse pas réellement sur le terrain. Il faut certainement mettre en place à l'échelon départemental un référent enseignement agricole pour faire pendant au directeur académique des services de l'Éducation nationale (Dasen). Il faut que les personnels de l'Éducation nationale changent de regard sur l'enseignement agricole et que nous réfléchissions à des informations sur l'orientation dès la 5e, car l'enseignement agricole recrute dès la classe de 4e.

La feuille de route avec le ministère de l'éducation nationale semble témoigner de relations fluides entre les deux ministères. Pourtant, à l'issue de ce cycle d'auditions et de rencontres, nous sentons le ministère de l'agriculture dans une situation de fragilité institutionnelle, car il semble avoir subi les dernières réformes, comme celle du baccalauréat, sans réellement avoir pu peser dans les décisions prises, de même qu'il a été perçu comme suiviste lors de la crise de la covid-19. Je vous le dis avec franchise, car c'est le sentiment des personnels tel qu'il nous a été exprimé.

Fragilité institutionnelle, quand le syndicat majoritaire des enseignants de l'enseignement public considère que le ministère n'assume plus correctement la tutelle de l'enseignement agricole et qu'il prône le rattachement à un grand ministère unique d'éducation et de formation couvrant l'ensemble des structures d'enseignement. Au sein de la mission, nous ne partageons pas cette revendication, mais elle a été clairement exprimée.

Fragilité encore quand, parallèlement, le président du Conseil national de l'enseignement agricole privé (CNEAP) regrette devant nous que vous ne l'ayez pas reçu, ce qui pourrait laisser penser que le ministère aurait un problème avec l'enseignement agricole privé.

Fragilité sur le plan budgétaire, quand la direction du Budget souligne l'érosion des apprenants et la hausse des coûts, quand on observe un hiatus entre les ambitions de croissance des effectifs et les difficultés rencontrées sur le terrain pour ouvrir des formations, ou même tout simplement maintenir des dédoublements.

Fragilité quand on constate sur le terrain les difficultés financières de certains établissements, notamment en milieu rural, et les regroupements à l'oeuvre. Cela interroge sur la pérennité du maillage territorial de l'enseignement agricole, qui nous paraît essentiel et soulève des questions de régulation de l'offre de formation, y compris des ouvertures de classes d'enseignement général dans le cadre d'un dialogue constructif avec l'Éducation nationale et les régions.

Monsieur le ministre, vous avez commencé votre parcours ministériel au ministère de la cohésion des territoires, auprès de Jacques Mézard qui a laissé trace, ici, au Sénat. Vous connaissez les territoires ruraux, leurs besoins, leurs handicaps aussi. Une approche strictement budgétaire et comptable ne peut pas être la seule qui vaille, et encore moins aujourd'hui.

Oui, la cohésion des territoires a un coût et nous devons l'assumer collectivement. L'enseignement agricole contribue pleinement à cette cohésion et à une forme d'égalité des chances.

Demain, avec de nombreux collègues membres de la mission d'information, mais aussi bien au-delà, je défendrai un amendement refusant l'annulation des crédits proposés dans le cadre du projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2021. J'espère que vous nous apporterez votre soutien, tant les enjeux qui apparaissent sont grands. Je ne dis pas qu'aucun effort ne doit être réalisé ni que des rationalisations sont impossibles. Madame Baduel, que je salue, a souligné que l'un des enjeux prioritaires de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) de votre ministère est le renforcement de la robustesse et de l'efficacité des systèmes d'information métiers et supports qui sont indispensables à la maîtrise de toutes les missions de l'enseignement agricole. Des mutualisations et des passerelles sont parfois possibles avec l'Éducation nationale, et nous en avons d'ailleurs vu des exemples réussis sur le terrain. Néanmoins, je me méfie des mutualisations ou rationalisations budgétaires qui se feraient in fine au détriment de l'enseignement agricole, et en particulier des établissements situés en milieu rural. Nous avons été particulièrement interpelés par l'audition de la 7e sous-direction de Bercy.

Je souhaite également évoquer la formation professionnelle et les conséquences de la « loi Pénicaud » pour vous signaler une inquiétude de certains établissements. Ils sont engagés d'ici la fin de l'année dans un des processus de certification pour pouvoir continuer à bénéficier des financements. Les centres doivent se conformer aux référentiels Qualiopi pour obtenir leurs financements, alors que le ministère de l'agriculture leur demande par ailleurs de se conformer au référentiel QualiFormAgri. Quelle est la logique de ce double référentiel ? Des souplesses sont-elles à l'étude en cas de difficulté ?

Monsieur le ministre, face à ces défis, pour prendre une image sportive en ces temps de Tour de France, vous devez « mouiller le maillot » et le faire savoir. Vous le devez aux apprenants qui trouvent dans l'enseignement agricole une voie d'excellence. Vous le devez aux personnels dont votre ministère assure la tutelle et qui doivent être pleinement considérés dans le public, comme dans le privé, toutes familles confondues. À chacun de nos déplacements, nous avons rencontré des apprenants et des personnels dont la motivation était sincèrement remarquable, mais qui se sentaient parfois bien seuls. Cet engagement personnel que nous vous demandons ce soir, vous le devez enfin à nos agriculteurs, car sans un enseignement agricole fort, sans un enseignement agricole marqué par une bonne circulation de connaissances et de compétences entre la recherche, incarnée en particulier par l'Inrae, l'enseignement supérieur et l'enseignement technique, notre agriculture et nos filières agroalimentaires ne pourront pas relever les défis auxquels elles sont confrontées, en particulier le défi du renouvellement des générations.

Ne commettons pas l'erreur stratégique dont a souffert et souffre toujours notre système de formation vétérinaire. En raison d'une politique malthusienne mal calibrée et d'investissements insuffisants mettant en péril certaines écoles, 52 % des nouveaux inscrits au tableau de l'ordre sont aujourd'hui formés à l'étranger. Il faut se ressaisir et donner à l'enseignement agricole dans son ensemble les moyens de fonctionner. La France ne peut pas rater l'enjeu du renouvellement des générations d'agriculteurs. Elle ne peut pas délaisser les territoires ruraux.

Voici quelques messages de synthèse et quelques questions qui nous ont été posées lors de nos auditions et de nos rencontres. Monsieur le ministre, je vous remercie d'y apporter vos réponses et de nous faire part de votre analyse et de votre ambition pour l'enseignement agricole que je sais, grande.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. - Madame la présidente, Madame la rapporteure, Mesdames et Messieurs les sénateurs, permettez-moi de remercier la mission d'information. Pour faire miens les mots de la présidente, oui, l'enseignement agricole est une chance pour notre pays. C'est une chance pour nos jeunes, c'est une opportunité pour nos filières et c'est également une chance pour beaucoup de nos concitoyens dans le cadre de la formation professionnelle, puisque l'enseignement agricole intègre les écoliers, les étudiants, les apprentis, les techniciens, les ingénieurs, ainsi que la formation professionnelle. Je crois qu'il faut le voir dans sa complétude, d'autant plus que les établissements accueillent la plupart du temps sur le même site l'ensemble de ces publics.

Je voudrais commencer par vous dire que je crois profondément dans notre enseignement agricole. J'en suis moi-même issu, étant diplômé d'une école d'ingénieurs agronomes. Je sais tout ce que cet enseignement m'a apporté et j'en serai ainsi un fervent défenseur.

Au-delà des remerciements qui vous sont adressés, je voudrais également saluer tous ceux qui travaillent dans l'enseignement agricole, qui ont fait preuve d'une implication remarquable dans le cadre de la crise de la covid-19. Permettez-moi aussi d'adresser mes remerciements à mes équipes, notamment à Madame la directrice de la DGER dont les équipes jouent un rôle essentiel d'accompagnement du terrain.

J'y crois profondément, car cet enseignement agricole est plus qu'un sujet purement agricole : il s'agit d'un sujet de souveraineté pour notre pays. Il n'y a en effet pas de pays fort sans agriculture forte, la première des souverainetés étant, à l'évidence la capacité d'un pays à nourrir son propre peuple. L'enseignement agricole, c'est-à-dire le fait de pouvoir former le mieux possible tous ceux qui exerceront des fonctions tout au long de la chaîne agroalimentaire constitue, dans ce cadre, la première pierre de l'édifice.

C'est un sujet de souveraineté qui fait face à des défis. Le premier défi, qui est majeur, est le renouvellement des générations, principalement dans le domaine agricole. Vous l'avez bien en tête, nous estimons à environ 50 % la part d'agriculteurs qui devraient partir à la retraite dans les cinq à dix prochaines années. Nous sommes, à cet égard, en train de faire le recensement décennal qui permettra d'obtenir une cartographie territoire par territoire.

En réponse à vos questions, je pense que l'enseignement agricole est une spécificité française qu'il faut absolument préserver. Cette spécificité est issue du travail des ministres Pisani et Rocard, Edgard Pisani ayant tout de suite compris l'importance de cet enjeu, pour des raisons de souveraineté alimentaire et même nutritionnelle. Cette chance que constitue pour la France cet enseignement agricole est d'ailleurs souvent mise en évidence par mes interlocuteurs à Bruxelles. Je ne vous cache ainsi pas mon étonnement à la suite de vos propos sur une éventuelle volonté du Gouvernement de fusionner cet enseignement avec l'Éducation nationale.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - J'ai simplement indiqué que le syndicat majoritaire des enseignants de l'enseignement agricole public en faisait état dans son programme. La 7e sous-direction de Bercy nous en a également parlé.

M. Julien Denormandie, ministre. - Le Gouvernement y est, sachez-le, opposé. Ceci ne veut pas dire que nous n'avons pas des défis à affronter. Néanmoins, la spécificité d'un enseignement agricole dédié doit être préservée et consolidée. Ce positionnement est en tout point partagé par le ministre de l'éducation nationale. En témoigne cette feuille de route commune arrêtée en mai dernier ou encore la récente réunion des directeurs régionaux de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (Draaf) et des recteurs pour mettre en avant la vision partagée et la fluidité nécessaire sur les territoires des liens unissant l'Éducation nationale et l'enseignement agricole. Aucun transfert n'est donc prévu.

Comment faire alors pour opérer la consolidation ambitionnée ?

La première des consolidations a trait à la dynamique au sein de notre enseignement agricole, c'est-à-dire au nombre d'apprenants. Ces dernières années, ce nombre est en diminution. Je suis très content de pouvoir vous informer aujourd'hui de l'augmentation constatée cette année. Nous avons en effet battu un record avec des effectifs qui sont passés de 193 000 à 197 000 entre 2020 et 2021 pour l'enseignement technique agricole, en y incluant les apprentis.

Cette dynamique doit néanmoins encore se consolider. Pour cela, une approche pragmatique doit être adoptée. Le premier axe est de convaincre les plus jeunes de faire le choix de cet enseignement. Sur ce point, un rôle accru de l'enseignement agricole, en lien avec l'Éducation nationale, est nécessaire dans le cadre du processus d'orientation. La feuille de route de mai vise justement à renforcer l'accompagnement sur l'orientation des jeunes entre recteurs et Draaf.

Le deuxième axe consiste à informer les parents sur la réalité de l'enseignement agricole, puisque dans de nombreux cas, ce n'est pas l'élève, seul, qui choisit. Nous allons ainsi lancer dès demain matin une grande campagne de communication sur les métiers du vivant pour en montrer toute la pertinence.

Le troisième volet a trait à la perception de l'enseignement agricole. Nous avons lancé une étude il y a quelques mois sur ce sujet, étude que je tiens à votre disposition. Si la qualité de cet enseignement est bien perçue, il y a une méconnaissance des métiers pouvant être exercés. L'enseignement agricole compte plus de 150 formations différentes. Aujourd'hui, dans les établissements, de nombreux élèves souhaitent faire du machinisme agricole, mais il y en a aussi de plus en plus qui veulent devenir vétérinaire, paysagiste ou se tourner vers la biologie ou encore les métiers de l'agroalimentaire. Y compris dans la dénomination même de l'enseignement agricole, les parents et les élèves ne perçoivent pas que le champ est beaucoup plus large et intègre l'ensemble des métiers du vivant et de la Terre. D'ailleurs, beaucoup de lycées et d'écoles ont dans leur dénomination ce terme du « vivant ». Cette réflexion est légitime, sans pour autant que la spécificité de l'enseignement agricole, qui est d'être un enseignement agricole spécifique non inclus dans l'Éducation nationale, n'en soit fragilisée. Il faut, pour cela, consolider le nombre d'apprenants, en soulignant que les formations dispensées dans ces enseignements embrassent les métiers du vivant et de la Terre.

Consolider l'enseignement agricole, c'est également consolider les forces de cet enseignement. Parmi ces forces, au-delà de sa spécificité, certains aspects restent méconnus. Je tenais en premier lieu à souligner l'incroyable innovation de ce secteur. Je pense que ce point doit être mis en avant, dans un contexte où notre jeunesse est très intéressée par l'innovation. Les métiers auxquels cet enseignement forme font sens - nourrir nos concitoyens, protéger notre environnement -, tout en étant particulièrement innovants. Une étude de 2017 montrait par exemple que la moitié des drones utilisés à des fins professionnelles ou économiques l'était par le monde agricole. Notre objectif est bien sûr, au sein de la DGER, de continuer à renforcer ce volet.

C'est, par ailleurs, un enseignement qui porte des valeurs de citoyenneté. Je souhaiterais, à cet égard, saluer le corps professoral et l'ensemble des directions pour leurs réactions suite à l'atroce attentat contre Samuel Paty. L'enseignement agricole a fait de la citoyenneté un élément majeur de son système éducatif.

Le troisième élément est le volet international. C'est un enseignement qui s'internationalise.

Enfin, ce sont les passerelles. Ces passerelles sont de plus en plus nombreuses entre l'enseignement technique et l'enseignement supérieur, avec dans plusieurs établissements des classes préparatoires. Je pense que ces passerelles sont très pertinentes, et la situation ne cesse d'évoluer, comme au sein de l'enseignement vétérinaire où nous avons ouvert il y a quelques semaines par décret les possibilités de candidatures.

La troisième consolidation, après celle du modèle et de la dynamisation des apprenants, est notre relation avec l'Éducation nationale. Il faut renforcer cette relation très importante, tout en conservant notre autonomie. La renforcer, ceci implique de nouer des relations de confiance avec l'Éducation nationale. C'est ce que nous faisons avec Jean-Michel Blanquer. Encore une fois, je voudrais le remercier personnellement, ainsi que toutes ses équipes. Cette relation passe par la feuille de route signée le 19 mai dernier, qui est totalement inédite en termes de relations institutionnelles et inclut de nombreux sujets, dont celui de l'orientation au sein de l'éducation généraliste. Lorsqu'on fait un test auprès des élèves de 4ème, 3ème voire plus tôt, au sein de l'enseignement général, et quand on évoque l'enseignement agricole, on se rend compte qu'ils n'ont pas toutes les informations nécessaires. Les recteurs et les Draaf doivent travailler main dans la main. Nous les avons réunis pour qu'ils nous présentent, territoire par territoire, les coopérations qu'ils avaient nouées. Si les efforts doivent être poursuivis, la dynamique au niveau des ministères et des administrations est en tout cas réelle. Je suis également totalement favorable à la mise en place de référents territoriaux. C'est d'ailleurs un sujet que nous avions abordé avec le ministre de l'éducation nationale.

La consolidation a enfin trait au maillage territorial. Je connais tout l'attachement du Sénat à cet aspect. C'est l'une des forces de l'enseignement agricole. Nous avons ainsi délocalisé un certain nombre de décisions au niveau des Draaf, notamment l'ouverture des différentes spécialités, pour nous adapter au plus près des territoires. Dans certains établissements, nous ne comptons pas assez d'apprenants, alors que l'Éducation nationale a parfois des classes surchargées. J'ajoute que, contrairement à ce qu'indiquait le président du Cneap, le président et ses équipes sont en lien constant avec mes équipes, mais je prends bonne note de la demande qu'il vous a formulée. J'ai déjà eu l'occasion à plusieurs reprises de m'exprimer sur l'enseignement public et l'enseignement privé, que ce soit dans l'enseignement agricole ou vétérinaire.

Enfin, s'agissant du volet budgétaire, j'ai bien conscience des défis en termes de schéma d'emplois. Nous avons des échanges sur le schéma d'emplois, en ce moment même, dans le cadre de la préparation de la loi de finances initiale (LFI) pour 2022. Concernant l'amendement évoqué, cette fois au projet de loi de finances rectificative pour 2021, les crédits annulés sont de 4,4 millions d'euros sur la réserve de précaution, c'est-à-dire que ce sont des crédits qui n'auraient de toute façon pas été utilisés, et qui, pour la plupart, étaient fléchés vers des dépenses non réalisées. Nous avions par exemple une surévaluation sur les tests de détection de covid-19. Concernant la gestion de la pandémie de covid-19, nous nous sommes effectivement beaucoup appuyés sur l'Éducation nationale - personne n'aurait compris l'inverse -, tout en tenant compte des spécificités de l'enseignement agricole, notamment de la présence de nombreux internats. Nous ne savions pas, il y a un an, comment la covid-19 allait se diffuser dans les internats. Des précautions spécifiques avaient été mises en place. En réalité, il y a eu moins de cas, du fait sans doute d'un moindre mélange de populations, notamment lors des soirées étudiantes.

Le même PLFR inclut pour plus de 350 millions d'euros de financement des mesures face aux crises agricoles. Au cours de l'année, nous avons octroyé 10,2 millions d'euros pour l'enseignement agricole sur la partie « exploitations agricoles », qui est l'une des spécificités de notre modèle. Beaucoup de ces établissements agricoles ont, en effet, vu leur modèle agricole mis à mal par la crise de la covid-19 du fait de l'impact sur les ventes directes.

Quant au budget 2022, il est en cours de discussion avec mon collègue de Bercy, Olivier Dussopt, afin de faire en sorte de répondre aux objectifs.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci. J'entends bien vos éléments sur les exploitations agricoles et sur la surévaluation du budget de tests. Néanmoins, certains établissements nous ont rapporté que, du fait du manque de moyens, les groupes étaient très importants et que certains enseignements n'avaient pas lieu pour des raisons de sécurité, notamment auprès de grands animaux.

S'il y a eu une baisse d'effectifs, cela fait trois années de suite que le budget est rogné. Je suis heureuse d'entendre qu'il y a une hausse du nombre d'apprenants cette année car cela vous donne des arguments auprès de Bercy. En tout cas, j'ai déposé un amendement pour remettre des crédits au sein du budget de l'enseignement agricole, dans le cadre de l'examen du PLFR. Vous avez compris à quel point nous serons vigilants sur ce point. Au sein de nos auditions, nous avons en effet eu le retour de nombreux enseignants confrontés à des difficultés pour assurer la qualité de l'enseignement agricole. S'ils arrivent parfois à réconcilier certains jeunes avec l'école, ceci est également possible grâce à de bonnes conditions de travail, avec notamment la mise en place de groupes restreints.

Dans le cadre de la crise de la covid-19, des établissements agricoles qui étaient au bord de la faillite ont été mis dans la catégorie « P1 » et ont bénéficié d'une enveloppe financière supplémentaire. Madame Baduel, auditionnée en mars, nous avait indiqué qu'un point de la situation effective à date de tous les établissements devait être effectué pour identifier les besoins et établir un nouveau plan d'actions. Pouvez-vous nous apporter des précisions ?

Vous avez évoqué la feuille de route signée avec l'Éducation nationale. Je suis ravie de la volonté d'autonomie et de renforcement des liens. Nous avons toutefois rencontré des élèves sur le terrain qui nous ont indiqué qu'ils auraient suivi cet enseignement plus tôt s'ils en avaient eu connaissance. L'orientation constitue ainsi un point essentiel. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur les rencontres entre les Draaf et les recteurs ? Une visite systématique des établissements ne pourrait-elle pas être prévue pour les collèges ? Un travail est-il mené auprès des professeurs principaux ?

M. Julien Denormandie, ministre. - Sur le premier point, et je répondrai ainsi à votre question sur le lien avec la recherche que j'ai omise, je pense qu'il est extrêmement important de pouvoir renforcer ce lien avec la recherche, notamment avec des établissements comme l'Inrae. L'enseignement agricole doit, en effet, avoir un « coup d'avance ». Si nous avons récemment décidé d'élaborer un module de formation « Savoir produire autrement », c'est bien dans cette optique. La révolution du numérique et du machinisme a déjà eu lieu et nous savons qu'une nouvelle révolution est en cours, celle de la donnée et de l'intelligence artificielle.

Concernant le volet budgétaire, je dissocie l'amendement que vous avez déposé dans le cadre de l'examen du PLFR - ce sont des crédits non utilisés - de la question du projet de loi de finances pour 2022. S'agissant des financements déployés au cours de cette année, il y a la question de ces 10,2 millions d'euros pour venir en aide aux établissements. Ce montant était destiné aux établissements dits « en péril ». À date, il n'y a plus d'établissement dans cette catégorie. Une nouvelle évaluation est toutefois en cours, en vue d'un éventuel ajustement dans le cadre du prochain PLFR.

La feuille de route du 19 mai vise de manière précise à donner les orientations aux recteurs et aux Draaf quant aux coopérations à mener dans le cadre de l'orientation. Elle ne dit pas par territoire, ce qu'il faut faire, mais fixe sur 4 pages des orientations politiques. Au-delà du moment de l'orientation et de l'accompagnement, notamment vis-à-vis des parents, il y a également la question de la prise de conscience du vivant et de la nature au sein même de l'enseignement général. C'est un sujet que nous abordons souvent avec le ministère de l'éducation nationale. Je pense, à cet égard, que nous sommes face à un important défi de réappropriation de nombreuses évidences par les plus jeunes d'entre nous. J'ai en effet le sentiment que je fais partie d'une des dernières générations à qui la saisonnalité des produits a été enseignée. Si l'on développe les formations sur ces sujets ou des sujets tels que la forêt, nous créerons demain des vocations.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Merci, Monsieur le ministre, pour ces précisions.

Nous évoquions l'orientation. Encore aujourd'hui, lorsque nous visitons ces établissements, ils nous expliquent ne pas avoir pu présenter l'enseignement agricole, car le collège ou le lycée a refusé. Lorsqu'ils se sont présentés, les enfants étaient déjà « triés », et ils ne pouvaient s'adresser qu'à ceux que l'Éducation nationale ne souhaitait pas garder. Même si les parents sont très prescripteurs, les mentalités et les pratiques doivent évoluer au sein de l'Education nationale.

Pouvez-vous nous présenter votre vision de la réforme du baccalauréat et de la problématique des options ? Êtes-vous favorable à ce que ces options puissent se faire par visio afin qu'une plus grande diversité puisse être offerte ?

Concernant le schéma d'emplois, il y a un véritable problème de recrutement des enseignants, compte tenu de salaires relativement bas.

Vous ne m'avez pas répondu non plus sur les problématiques de référentiels de qualité des formations.

Pouvez-vous par ailleurs apporter des précisions sur la revalorisation des CUFE (coûts unitaires de formation par élève) et la prise en charge des exploitations agricoles ? Les exploitations agricoles sont une véritable chance pour apprendre avec des matériels performants et novateurs, qui nécessitent d'importants crédits, mais qui pourraient être une vitrine pour des déplacements de classe ou des colonies d'été. Lorsque nous avons visité dans le Nord des écuries actives, nous avons pris la mesure de cet investissement, mais également de leur caractère indispensable pour cet enseignement et pour attirer les jeunes. Les établissements estiment que ce coût n'est pas pris en compte, alors que ces équipements sont essentiels.

Mme Céline Brulin. - Lors de l'examen du projet de loi de finances pour2021, le sujet du nombre d'élèves avait été évoqué. Je me réjouis que vous releviez aujourd'hui une augmentation. Nous l'avions déjà observée, en particulier dans l'enseignement public, ce qui exige un regard particulier en termes de moyens. J'ai l'impression que vous faites d'un éventuel réexamen des schémas d'emplois le préalable d'une augmentation des effectifs. Or, pour rendre cet enseignement attractif, il y a des initiatives à prendre, y compris d'ordre budgétaire. Aujourd'hui, ce n'est pas seulement l'attractivité qui est en jeu, mais la possibilité même de mettre en oeuvre la réforme du lycée et du baccalauréat. Nous avons évoqué les seuils de dédoublement. Vous avez fait référence au caractère innovant de cet enseignement. Pour cela, des moyens sont nécessaires.

Dans ce contexte, si la non-consommation de certains crédits peut, en partie, s'entendre, il y a des problèmes concrets qui se posent, comme la question des exploitations, mais également celle des personnels dans les centres de formation d'apprentis (CFA) qui n'ont pas pu bénéficier du soutien à l'activité partielle.

Vous avez évoqué ceux qui travaillent dans l'enseignement agricole. Je voudrais à cet égard souligner la situation des accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH) et des assistants d'éducation, qui sont moins bien lotis que leurs homologues de l'Éducation nationale. Au-delà de l'injustice, ceci participe de la dévalorisation de l'enseignement agricole. Comment justifier, alors que c'est le même métier, que certains soient moins bien rémunérés que d'autres ?

Enfin, beaucoup d'acteurs de l'enseignement souhaiteraient connaître votre avis sur le projet Hectar, qui témoigne d'une offensive du privé et porte un modèle agricole et alimentaire qui pose question.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure. - Nous avons invité les représentants d'Hectar à venir s'exprimer devant la mission d'information. Audrey Bourolleau n'a pas donné suite à ce stade.

Mme Nadia Sollogoub. - Concernant l'orientation, nous évoquons le maillage territorial de l'enseignement agricole. Cette question renvoie également à la question du maillage territorial de l'Éducation nationale. Nous avons en effet l'impression que certains collèges conservent leurs élèves par crainte d'une fermeture de classe.

Concernant la crise des vocations, je suis élue de la Nièvre. Dans certaines familles d'éleveurs depuis plusieurs générations, les parents désincitent désormais leurs enfants à suivre leur voie au regard des conditions de rémunération du métier.

Dans mon département, nous voyons par ailleurs l'arrivée de nouveaux publics qui aspirent à une reconversion professionnelle. La chambre d'agriculture a souligné le besoin d'accompagnement. Des moyens supplémentaires seraient, à cet égard, nécessaires. Il s'agit en tout cas d'une opportunité dans le cadre du défi du renouvellement des générations.

M. Joël Labbé. - Monsieur le ministre, j'ai besoin de vous interpeller.

S'agissant d'Hectar, il y a effectivement de véritables questionnements, d'autant plus que ce projet est porté par Xavier Niel, aux côtés d'Audrey Bourolleau.

Concernant les moyens de l'enseignement agricole public, le plan de diminution de postes sera-t-il arrêté ?

Dans un contexte où la profession est confrontée au défi de renouvellement de 50 % des générations, comment peut-on quantifier les besoins ? Allons-nous diminuer le nombre d'équivalents temps-plein (ETP) ? Ce nombre doit-il être stable ? Ou faut-il l'augmenter comme le met en évidence un spécialiste tel que Marc Dufumier ?

Que vous le souhaitiez ou non, il y a deux modèles. L'agriculture ultramoderne et l'intelligence artificielle embarquée signifient des investissements extrêmement lourds pour les exploitations, tandis que ceux qui prônent l'agriculture paysanne tendent vers l'autonomie de fermes, plus petites, liées aux territoires et oeuvrant pour la relocalisation des consommations. Nous devons travailler sur ces sujets. Même si certains étudiants sont plus intéressés par les aspects matériels, d'autres se concentreront sur le sens du travail agricole, sur le lien direct au sol, sur l'agronomie et la polyculture-élevage. Vous avez évoqué la saisonnalité. Ces exploitations l'appliquent, avec en corollaire une nécessité d'emplois paysans beaucoup plus importants.

Quant à la recherche, les crédits diminuent, alors qu'il y aurait besoin de moyens. Vous avez évoqué le rôle possible de l'Inrae. Je voudrais vous reparler de l'Institut technique de l'agriculture biologique (Itab) qui devrait avoir le vent en poupe, alors qu'il est aujourd'hui le laissé pour compte des budgets.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - J'ajoute que les établissements scolaires rencontrent, visiblement, des difficultés pour maintenir la matière agronomique.

M. Pierre Louault. - Il y a l'enseignement public et l'enseignement privé ; tous deux ont leur spécificité et leur qualité. Je partage l'analyse de Joël Labbé sur l'enseignement de l'agriculture biologique. Un vrai enseignement est nécessaire ; trop nombreux encore sont ceux qui croient que cela pousse tout seul.

Chaque modèle agricole a sa place. L'enseignement agricole doit sans doute évoluer mais la formation des enseignants le doit également, car ceux-ci ont peut-être fait une conversion idéologique à l'agriculture biologique, et non technique.

Il est en tout cas inacceptable qu'à un même niveau de qualification, des professeurs ou encadrants soient moins bien rémunérés dans l'enseignement agricole.

Nous avons en outre un véritable problème de culture dans les collèges où l'agriculture et l'apprentissage sont encore très souvent considérés comme destinés aux moins bons.

M. Julien Denormandie, ministre. - Concernant l'orientation et l'impact de la feuille de route du 19 mai, nous devons évidemment mener un travail de longue haleine, même si cette feuille de route se veut très concrète, en évoquant par exemple l'idée d'associer les métiers de l'agriculture aux campus de formations et de métiers, qui sont des événements présentés aux jeunes en amont de leur orientation. De la même façon, la grande campagne de communication lancée à partir de demain porte sur les entrepreneurs du vivant, et non sur les seuls agriculteurs. Ceci permettra de changer la donne. En 2015, une enquête montrait qu'environ 5 Français sur 10 avaient une image positive de notre agriculture. Une récente enquête montrait que ce niveau était passé à 7 sur 10. Aujourd'hui, il y a en tout cas une politique affirmée, main dans la main avec l'Éducation nationale - ce qui ne fut pas toujours le cas -, pour faire en sorte de mener un travail territoire par territoire afin que les métiers et formations du vivant et de la Terre soient présentés et mis en avant auprès de nos jeunes.

S'agissant de la rémunération du corps enseignant, nous sommes partie intégrante au Grenelle, en vue d'une mise en oeuvre dans l'enseignement agricole.

Concernant la prise en charge des exploitations agricoles, ces exploitations agricoles au sein des établissements sont indispensables. Dans le plan de financement des établissements, elles sont également des sources de revenus propres. L'enveloppe particulière de 10,2 millions d'euros a été mise en place en réponse aux récentes difficultés rencontrées. Inversement, certains secteurs n'ont pas été pris en compte dans le cadre du soutien à l'activité partielle. C'est précisément parce que nos établissements n'y étaient pas éligibles que nous avons mis en place cette enveloppe particulière. Une revue sera effectuée à l'automne en vue de la prochaine loi de finances rectificative.

S'agissant de QualiFormAgri, qui est le référentiel correspondant aux spécificités de l'enseignement agricole, il répond aux demandes des établissements eux-mêmes. Il n'y a quasiment pas de surcoût, mais je prends note de vos remarques.

Une approche budgétaire ne peut pas simplement être conditionnée au nombre d'étudiants. Néanmoins, ceci ne signifie pas que certains ajustements ne soient pas nécessaires. Ce n'est pas le budget qui doit guider la politique, mais la politique qui doit guider le budget. Dès lors toutefois qu'une dynamique des apprenants est observée, ceci devient une absolue nécessité de conforter le nombre de professeurs, d'établissements et les crédits alloués. La chronique de schémas d'emplois annoncée au début du quinquennat met, il est vrai, à contribution de façon assez forte l'enseignement agricole. Cette chronique est toutefois en cours de renégociation, notamment pour l'année 2022.

Concernant les AESH, ce point est en cours de discussion dans le cadre du Grenelle. Je note toutefois que nous avons consenti d'importants efforts. Au 1er mai 2020, nous comptions en effet 3 114 élèves en situation de handicap bénéficiant d'un AESH, contre 2 300 en 2019. Le budget est passé de 5 millions d'euros en 2015 à 15 millions d'euros en 2020.

S'agissant d'Hectar, je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur cette initiative privée. Vous connaissez, en tout cas, l'attachement d'Audrey Bourolleau, sa directrice générale, à une agriculture reposant sur des valeurs, à une vision territoriale et à des modes de production que vous partagez. J'entends dire que cette école viserait à former des personnes opposées à l'élevage. Or, si les informations dont je dispose sont exactes, elle comprendrait elle-même un élevage laitier. J'ajoute que cette initiative ne met pas à mal l'enseignement agricole du ministère, qui est extrêmement fort. Il n'est pas fragile. Ma préoccupation est, en tout cas, de consolider l'enseignement dont j'ai la charge, avec des établissements sous la tutelle de l'État et des établissements conventionnés, ce qui n'est pas le cas de cette école.

Madame la sénatrice Sollogoub, vous avez raison, la passion des agriculteurs ne doit pas se substituer à une rémunération correcte. C'est tout l'enjeu de la loi Egalim 2, que j'ai portée avec Grégory Besson-Moreau et qui a été votée à l'unanimité. Ce texte est ambitieux et audacieux, en revenant sur la loi dite « LME » (loi de modernisation de l'économie) de 2008 qui a dérégulé la chaîne de création de valeur et de négociation. Nous aurons l'occasion d'échanger sur ce texte courant septembre.

La reconversion professionnelle est, par ailleurs, un axe fort qui se développe de plus en plus dans l'enseignement agricole, avec l'appui des chambres d'agriculture.

Monsieur le sénateur Labbé, s'agissant ETP, le schéma d'emplois est en cours de discussion. Je pense que vous avez en tout cas compris ce que je défendrai. Je connais bien Marc Dufumier, qui a été mon professeur. Je ne crois pas à cette dichotomie entre deux modèles, un modèle de circuits courts et un modèle d'export. Je pense que la France est une multitude de modèles. D'ailleurs, je défends ardemment une agriculture de production qualitative, car la force de notre modèle est une compétitivité-hors-coût, une compétitivité-qualité. Dans le cadre de la compétitivité-coût, nous serons confrontés à des économies d'échelle, avec le gigantisme des exploitations de l'Asie ou des États-Unis. Nous faisons croire en France que nous aurions fait le même choix du gigantisme. Ceci est faux. Si ceci ne signifie pas qu'il n'y a pas une augmentation de la taille des exploitations agricoles, elle était, il y a dix ans, de 53 hectares, elle est aujourd'hui de 62 hectares. La compétitivité est nécessaire, en s'appuyant sur le plan de relance ou les arbitrages que j'ai rendus sur la PAC, mais je crois beaucoup à l'agriculture des circuits courts. Je suis ainsi très fier que nous soyons passés de 6 millions d'euros sur quatre ans pour les projets alimentaires territoriaux (PAT) à 80 millions d'euros sur deux ans. Je suis très fier que nous ayons lancé l'initiative « Frais et local ». Je suis très fier que nous ayons concentré nos efforts sur les cantines de proximité dans le cadre du plan de relance. Notre pays est le pays des agricultures.

Je ne suis en revanche pas du tout d'accord avec vos propos opposant le sens et la modernité. Ce n'est pas parce que vous donnerez au monde agricole la possibilité d'utiliser le numérique et la donnée, notamment pour l'irrigation, que cela est contraire avec une agriculture qui fait sens.

Je crois pour conclure que l'enseignement agricole apprend avant tout l'humilité et la complexité face au vivant. Le vivant ne se dompte pas ; il faut s'adapter. Si l'expertise des anciens est essentielle, les outils d'aujourd'hui permettent également de mieux protéger l'environnement et d'améliorer les conditions de travail. La confrontation avec le vivant est en tout cas passionnante.

Mme Marie-Pierre Monier, présidente. - Merci à vous d'avoir pris le temps d'échanger avec la mission d'information ; merci à tous.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 5.