Mercredi 24 novembre 2021

- Présidence de Mme Monique de Marco, présidente d'âge -

La réunion est ouverte à 16 h 50.

Réunion constitutive

Mme Monique de Marco, présidente. - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à saluer le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, en particulier David Assouline, pour avoir pris l'initiative de cette commission d'enquête.

En ma qualité de présidente d'âge, il me revient de présider la réunion constitutive de notre commission d'enquête chargée de « mettre en lumière les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France, et d'évaluer l'impact de cette concentration sur la démocratie ».

Mon rôle sera de courte durée, puisque je céderai cette place au président de la commission sitôt celui-ci élu.

Je vous rappelle que cette commission a été créée en application du droit de tirage des groupes politiques, prévu par l'article 6 bis du Règlement du Sénat. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain en a formulé la demande lors de la Conférence des présidents du 2 novembre dernier.

Les 21 membres de la mission ont été nommés, sur proposition des groupes, lors de la séance publique du 18 novembre dernier.

Nous devons tout d'abord désigner le président de la commission. J'ai reçu la candidature de notre collègue Laurent Lafon.

La commission d'enquête procède à la désignation de son président, M. Laurent Lafon.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je vous remercie de la confiance que vous m'accordez au travers de cette élection. Il ne vous aura pas échappé que nos travaux seront observés et attendus, par les médias notamment.

Je m'attacherai à ce que notre commission travaille dans la sérénité et réalise un travail de fond, avec le sérieux qui caractérise notre assemblée. Je veillerai évidemment à ce que nos débats se déroulent dans le respect mutuel.

Je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, particulièrement David Assouline, d'avoir proposé cette commission d'enquête. Celle-ci nous donne les moyens d'analyser une évolution importante, qui n'est pas nouvelle, mais qui, semble-t-il, s'amplifie et s'accélère, celle du rachat d'entreprises dans le secteur des médias, avec un phénomène de renforcement de la concentration autour de quelques grands groupes.

Il nous appartiendra, bien sûr, dans le cadre de cette commission d'enquête, de replacer ce mouvement dans un environnement mondial, d'en comprendre les ressorts, notamment sur le plan économique, et d'en mesurer les conséquences sur l'organisation du secteur, mais également les incidences éventuelles sur le fonctionnement de notre démocratie et singulièrement sur le respect du pluralisme.

De mon point de vue, cette commission n'a pas vocation à dénoncer le comportement ou la stratégie de tel ou tel acteur, mais à comprendre le nouveau paysage qui se dessine.

Il s'agira, bien sûr, d'interroger la pertinence de notre cadre législatif, qui date de 1986 et dont beaucoup d'accordent à dire qu'il est aujourd'hui obsolète, compte tenu des évolutions sur le plan tant des acteurs et des technologies que sur celui des pratiques. Nous verrons à l'issue de nos travaux si nous sommes en mesure de formuler des propositions pour le réformer. Ce sera, bien sûr, l'un des objectifs de notre commission d'enquête.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, permettez-moi de vous rappeler brièvement les règles spécifiques qui s'appliquent au fonctionnement des commissions d'enquête. Nous sommes tout d'abord tenus à un délai impératif de six mois pour rendre nos travaux. La prise d'effet de la création de la commission d'enquête étant fixée le mardi 2 novembre, elle prendra fin le 2 mai au plus tard.

Nous disposons de pouvoirs de contrôle renforcés, tel que celui d'auditionner toute personne dont nous souhaiterions recueillir le témoignage ou d'obtenir la communication de tout document que nous jugerions utile.

Les auditions sont en général publiques, sauf si nous en décidons autrement. En revanche, tous les travaux non publics de la commission d'enquête, autres que les auditions publiques et la composition du Bureau de la commission, sont soumis à la règle du secret pour une durée maximale de trente ans. J'appelle donc chacun d'entre nous à la plus grande discrétion sur ceux de nos travaux qui ne seront pas rendus publics.

Le non-respect du secret est puni des peines prévues à l'article 226-13 du code pénal, soit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. En outre, le Règlement du Sénat prévoit que tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas les dispositions du IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête peut être exclu de la commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu et que cette exclusion entraîne, pour le sénateur qui est l'objet d'une telle décision l'incapacité de faire partie, pour la durée de son mandat, de toute commission d'enquête.

Je vous propose à présent de désigner le rapporteur. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, à l'origine de la commission d'enquête, a proposé le nom de notre collègue David Assouline.

La commission procède à la désignation de son rapporteur, M. David Assouline.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous propose ensuite de désigner les membres du bureau, composé de 10 vice-présidents, désignés par les groupes. J'ai reçu les candidatures suivantes : M. Jean-Raymond Hugonet, M. Max Brisson et Mme Else Joseph pour le groupe Les Républicains ; M. Michel Laugier pour le groupe Union Centriste ; Mme Sylvie Robert pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, M. Julien Bargeton pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants ; M. Bernard Fialaire pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen ; Mme Monique de Marco pour le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires ; M. Pierre-Jean Verzelen pour le groupe Les Indépendants - République et Territoires ; M. Pierre Laurent pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

La commission procède à la désignation des autres membres de son bureau : M. Jean-Raymond Hugonet, M. Max Brisson, Mme Else Joseph, M. Michel Laugier, Mme Sylvie Robert, M. Julien Bargeton, M. Bernard Fialaire, Mme Monique de Marco, M. Pierre-Jean Verzelen et M. Pierre Laurent.

M. Laurent Lafon, président. - M. le rapporteur et moi-même proposons que le Bureau se réunisse à la fin de cette réunion.

M. David Assouline, rapporteur. - Mes chers collègues, je vous remercie de m'avoir confié la fonction de rapporteur de cette commission d'enquête.

Je souhaite vous dire quelques mots de l'esprit qui a animé mon groupe, qui m'anime et qui a justifié la constitution de notre commission d'enquête.

Nous vivons une période inédite de crise de confiance et de crise de la démocratie. Nous ne pouvons bien sûr nous résoudre à cet affaissement. Dans ce contexte, la question des médias est fondamentale. Par « médias », j'entends tous les canaux qui permettent au pluralisme et à la diversité des opinions de s'exprimer : télévision, radio, presse écrite, etc.

Nous assistons depuis plusieurs années à des mouvements de concentration capitalistique très puissants. Ceux qui les effectuent les justifient généralement de deux manières : d'un côté, en particulier pour la presse écrite, par la fragilité économique des titres, en particulier de presse écrite - je rappelle, au passage, que leur crise est essentiellement provoquée par la captation du marché publicitaire par les géants de l'internet, sujet que le Sénat, à mon initiative, a essayé de traiter avec la loi sur les droits voisins -, et, de l'autre, par la volonté de constituer des groupes de taille mondiale, à même, disent-ils, de lutter contre les géants de l'internet et des médias d'autres pays. Telle est par exemple l'explication avancée pour le projet de fusion TF1-M6.

D'autres observateurs s'interrogent sur les motivations réelles de ces mouvements, qui pourraient également permettre d'influencer les pouvoirs publics, de protéger certains intérêts financiers ou encore de faire prévaloir telle ou telle orientation idéologique.

Je ne me lancerai pas dans une liste exhaustive des mouvements de concentration de ces dernières années. L'un des objets de nos travaux sera précisément d'en établir une cartographie précise. Cependant, j'évoquerai, par exemple, l'expansion des groupes Vivendi - Canal+, CNEWS, Prisma Presse, Europe 1... - et Altice - BFM, RMC... -, ainsi que les investissements dans la presse de Xavier Niel, propriétaire de l'opérateur Free - participation dans Le Monde, Nice Matin, France Antilles... - ou l'arrivée dans le secteur du milliardaire tchèque Daniel Køetínský.

Que doit-on penser de ces mouvements, de cet appétit pour les médias ? Quelle est sa logique ? Quelles sont ses motivations ? Jusqu'où peut-il aller ?

Je vois pour ma part trois sujets d'inquiétude, que je veux vous faire partager.

Le premier est que ce sujet si essentiel n'a jamais été débattu sur la place publique. Il s'est produit littéralement « à bas bruit » et demeure très largement inconnu du grand public, au-delà de quelques exemples particulièrement médiatiques ou de quelques cercles d'initiés. Je crois - et c'est le premier axe de travail - qu'il est primordial, par nos travaux, de permettre à nos concitoyens d'y voir enfin clair sur les propriétaires de médias. Je vous propose donc de mener un travail poussé d'analyse pour mesurer la réalité des concentrations dans le secteur des médias.

Deuxième sujet d'inquiétude : quelles sont les conséquences économiques de ces rapprochements pour la chaîne de valeur du secteur ? L'Autorité de la concurrence est actuellement saisie de l'épineux dossier de la fusion TF1-M6 et doit en particulier se prononcer sur son impact sur le marché publicitaire, mais également sur la production ou les droits sportifs. Ce ne sont là que les conséquences les plus visibles. Ce sujet d'actualité concerne d'autres groupes et d'autres médias - de façon accélérée depuis au moins quinze ans.

Troisième et dernier sujet : les conséquences de ces fusions sur la vitalité et la diversité de nos débats démocratiques. Les journalistes qui composent les rédactions disposent de garanties d'indépendance, mais sont-elles suffisamment efficaces face à des actionnaires qui pourraient avoir la tentation d'intervenir ? Je suis ici sans préjugés - une presse d'opinion a toujours existé en France et y a toute sa place -, mais je note que, récemment, certaines inflexions très nettes dans la ligne éditoriale de certains médias ont suivi de très près l'évolution de l'actionnariat... De tout cela, nous devons avoir conscience, et faire partager nos analyses à nos concitoyens.

Telles sont mes trois interrogations majeures.

La loi du 30 septembre 1986 offre un cadre légal aux opérations de concentration, mais force est de constater que ce texte, vieux maintenant de près de 35 ans et modifié plus de cent fois depuis, est en partie obsolète, d'autant que le paysage global de l'information a été révolutionné et ne répond plus vraiment aux défis de l'époque. Ce constat fait largement consensus, même si tout le monde n'est pas d'accord sur ce qui est obsolète et sur ce qui ne l'est pas.

La question est donc : comment cette loi s'applique-t-elle en 2021 ? Est-elle suffisante, adaptée ? A-t-elle permis de préserver ce qui était son objectif premier, le pluralisme et le développement nécessaire du débat démocratique ?

J'aborde ces sujets en m'obligeant à la plus grande objectivité, avec pour seule boussole partisane la passion de la liberté d'expression, du pluralisme, de l'indépendance et de la liberté des médias, sanctifiés par l'article 34 de notre Constitution. Je souhaite que chacun et chacune d'entre nous, quelles que soient ses attaches partisanes, ne soit guidé dans nos travaux que par cet impératif commun, qui honore notre fonction de parlementaire.

Avec le président Laurent Lafon, je serai naturellement très attentif à vos remarques, vos questions et suggestions, aujourd'hui et durant tous nos travaux, qui promettent d'être aussi intenses que passionnants.

M. Pierre Laurent. - Je veux à mon tour me féliciter de l'installation de cette commission. Je porte un vif intérêt à cette question importante.

Sur ce sujet extrêmement sensible pour la démocratie, il est essentiel que nous puissions travailler dans la sérénité. Nous ne devrons pas avoir la main qui tremble sur cette matière chaude. Il faudra aller au bout des objectifs que nous nous fixons.

Dans la période récente, nous avons assisté à des phénomènes de concentration importants et à un changement assez profond de la propriété capitalistique des médias. Le paysage est totalement inédit, et nous le connaissons mal. Il serait important que la commission puisse au moins parvenir à dresser un tableau de ces changements. La grande pluralité de titres et de rédactions peut parfois faire illusion par rapport au niveau de concentration extrêmement élevé, et assez méconnu, car non directement visible. Nous devrons regarder cela d'assez près et essayer de décrire la réalité telle qu'elle est. C'est un sujet d'intérêt public, car les citoyens ne savent pas toujours ce qu'il en est.

Nous devrons trancher la question du périmètre. Les médias sont très divers aujourd'hui : au-delà des radios, de la télévision, de la presse écrite - nationale, régionale, magazine... -, se pose la question du numérique. Au reste, la concentration du marché publicitaire est absolument décisive sur le plan économique.

Il me paraît également très important d'essayer de comprendre ce qu'est aujourd'hui une rédaction et en quoi consiste le métier de journaliste. On assiste aujourd'hui à une accélération assez fantastique de la circulation de l'information. Or l'information, dans son immense majorité, circule sans être vérifiée. Par exemple, pour des raisons économiques, les rédactions de nombreux médias n'ont pas de correspondants à l'étranger, alors même que l'actualité internationale est omniprésente.

Qu'est-ce que bien faire son travail dans une rédaction aujourd'hui ? Quelles sont les conséquences des réalités économiques du secteur de la presse et de la concentration sur l'exercice du métier et la qualité de l'information ? Du fait de mes responsabilités politiques, mais aussi des fonctions professionnelles que j'ai pu exercer, je pense qu'existe une grande souffrance dans ce métier. Il serait intéressant que nous en cernions les raisons, notamment au travers de ce prisme de la concentration et des conditions dans lesquelles l'information est produite aujourd'hui.

Ces sujets sont très importants. Chemin faisant, il faudra que nous précisions le périmètre des travaux que nous voulons conduire dans les délais impartis, à partir des trois objectifs fixés par David Assouline, qui me conviennent parfaitement.

M. David Assouline, rapporteur. - Le périmètre est assez clairement défini dans la résolution qui a conduit à créer la commission : il couvre l'ensemble de la presse, sous tous ses supports - cela s'étend bien entendu au numérique.

Le travail sera peut-être moins approfondi sur les plateformes, mais il faudra disposer d'éléments d'appréciation et d'information sur les influences existant en France dans différents domaines.

Nous allons nous attacher à l'information journalistique, mais les médias produisent aussi de la culture, de l'opinion, des programmes qui véhiculent énormément de choses très importantes pour les Français.

On le voit, le périmètre est large. Je propose que nous ne nous interdisions rien. Ce sont les délais qui vont nous limiter !

On voit bien que nous pourrions solliciter énormément d'acteurs. Je vous propose une grande liberté dans les propositions d'auditions et les champs investigués, à la condition que nous puissions effectuer un travail approfondi ; tâchons de ne pas nous appesantir sur ce que nous ne pourrions traiter que de manière superficielle.

Le Bureau proposera un programme de travail. Toutes les idées seront les bienvenues.

Pour ce qui concerne les auditions, nous entendrons bien évidemment les propriétaires des groupes, les directions, mais aussi, monsieur Laurent, les personnels en souffrance, les journalistes, les rédactions. Il serait judicieux que nous auditionnions également les experts et journalistes ayant enquêté sur le sujet - ils sont nombreux -, afin de bénéficier de leurs éclairages, qui ne vont pas tous dans le même sens.

M. Laurent Lafon, président. - Je pense que nous nous retrouvons assez largement dans les propositions du rapporteur.

Si la question du périmètre s'entend de manière horizontale, se pose aussi la question de la concentration verticale, de l'éditeur au producteur. C'est un point qu'il faudra analyser.

Effectivement, monsieur le rapporteur, il faudra peut-être, au fur et à mesure, circonscrire le champ de nos travaux, parce que le sujet est vaste et les contraintes de temps réelles. Toutefois, ne nous interdisons rien au départ.

Pour ne pas perdre de temps, nous allons commencer les auditions assez rapidement.

La prochaine réunion aura lieu mardi 30 novembre à 15 heures. Elle prendra la forme d'une table ronde réunissant plusieurs experts, qui pourraient être Mme Nathalie Sonnac, professeur des universités à Panthéon-Assas, ancien membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel ; M. Olivier Bomsel, professeur à Mines-Paris Tech, directeur de la chaire de l'économie des médias et des marques ; et Mme Julia Cagé, assistante-professeur en économie à Sciences Po Paris. Cela nous permettra d'avoir de premiers éclaircissements.

La réunion est close à 17 h 20.