Mercredi 11 mai 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de M. Grégory Dorcel, président du groupe Dorcel, et Maître Matthieu Cordelier, avocat intervenu de manière indépendante dans l'élaboration d'une charte déontologique

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous poursuivons aujourd'hui, avec mes collègues co-rapporteures Laurence Rossignol, Laurence Cohen et Alexandra Borchio Fontimp, nos travaux sur le thème de la pornographie. Au cours de nos auditions, nous nous intéressons, depuis quatre mois, au fonctionnement et aux pratiques de l'industrie pornographique, aux conditions de tournage, aux représentations des femmes et des sexualités véhiculées, ainsi qu'à l'accès des mineurs à ces contenus et à la façon de les protéger.

Pour notre première audition de l'après-midi, nous accueillons Grégory Dorcel, président de Dorcel, présenté comme un « groupe de divertissement pour adultes » et Maître Matthieu Cordelier, avocat associé, dont je précise qu'il n'est pas le conseil du groupe Dorcel. Me Cordelier est intervenu de manière indépendante sur un projet de charte déontologique. Il intervient également aux côtés de femmes victimes d'abus d'exploitation de leur image et aux côtés de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open).

La production, la diffusion et la consommation de contenus pornographiques ont connu des évolutions considérables depuis l'époque de la loi Giscard de 1974, qui avait introduit la classification des films pornographiques. Le secteur a été bouleversé depuis 2006-2007 par l'avènement des tubes, ces plateformes proposant des dizaines de milliers de vidéos pornographiques, gratuitement et en un simple clic.

Nous souhaitons savoir quel regard les sociétés françaises de production de films pornographiques portent sur ces évolutions, sur leur impact sur les acteurs plus traditionnels, mais aussi sur les conséquences qu'elles ont eues sur les pratiques de tournage comme sur les contenus proposés.

Quel est aujourd'hui le modèle économique de ces entreprises ? Repose-t-il essentiellement sur un accès gratuit avec vente d'espaces publicitaires ?

Les graves dérives dont la presse s'est fait l'écho récemment nous interrogent sur les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages. Nous nous intéressons en particulier aux chartes déontologiques mises en place, à la nature et aux contenus des contrats signés avec les personnes filmées et à tout dispositif encadrant les pratiques et protégeant les personnes.

Avec la massification de la pornographie en ligne, les contenus produits semblent de plus en plus extrêmes, violents et dégradants. Que pouvez-vous nous dire sur le profil de vos utilisateurs et sur le type de vidéos et mots clés les plus recherchés ?

Nous souhaitons également vous interroger sur les conditions de diffusion et de retrait des vidéos. Comment le groupe Dorcel traite-t-il les demandes pouvant émaner d'anciennes actrices ne souhaitant plus voir leurs vidéos diffusées ?

Quels sont les liens du groupe Dorcel avec les plateformes de type Pornhub et YouPorn ? Parvenez-vous à obtenir le retrait de vidéos qui auraient été piratées ou que vous ne souhaiteriez plus voir diffusées ?

Enfin, nous désirons vous entendre sur l'accès des mineurs aux contenus pornographiques : 80 % d'entre eux ont déjà vu des contenus de ce type et, à 12 ans, près d'un enfant sur trois y a déjà été exposé, alors même que, aux termes de l'article 227-24 du code pénal, renforcé par la loi du 30 juillet 2020, il est interdit de diffuser des contenus pornographiques susceptibles d'être vus par des mineurs et les sites ne peuvent plus se contenter de la simple question rhétorique : « Avez-vous plus de 18 ans ? » Quels dispositifs avez-vous mis en place pour respecter la législation en vigueur ?

M. Grégory Dorcel, président du groupe Dorcel. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité et, surtout, de prendre le soin d'entendre l'ensemble des parties prenantes de notre industrie. Permettez-moi de me présenter rapidement et de présenter le groupe Dorcel. Je suis Grégory Dorcel ; je dirige depuis vingt ans le groupe Dorcel. Dorcel est un groupe français qui a plus de quarante-cinq ans d'existence et qui est considéré comme un leader de l'industrie pornographique.

Notre groupe compte aujourd'hui une centaine de collaborateurs, dont 60 % de collaboratrices. Nos activités sont réparties entre le média et le retail : son activité historique est l'activité « média », qui regroupe l'achat et la production de programmes et l'édition de cinq chaînes de télévision diffusées auprès de 300 opérateurs tels que Orange, Free, SFR..., dans plus de 75 pays. Nous gérons également les offres télé et VOD adultes de dizaines d'opérateurs TV, qui nous font confiance pour notre sérieux et notre professionnalisme.

L'activité retail représente près de la moitié de notre chiffre d'affaires. Elle regroupe la fabrication et la distribution de produits et accessoires destinés au plaisir sexuel - lingerie, parapharmacie, sex toys - que nous distribuons dans nos réseaux de magasins, en ligne et chez des distributeurs classiques comme La Redoute, Veepee, Vente Privée, etc.

Cette présentation faite, je voudrais profiter de la parole qui m'est donnée pour condamner sans détour et avec la plus grande fermeté les actes odieux d'un certain milieu amateur, qui font l'objet d'enquêtes pénales en cours. À titre très personnel, je ne peux les accepter : ils sont à l'opposé des engagements et des valeurs de notre société. Nous tenons à soutenir les victimes dans cette épreuve, leur parole doit être crue et entendue. Ces affaires dramatiques ont toutefois le mérite de faire réagir notre industrie, qui connaît - nous le verrons - des avancées significatives quant aux conditions de tournage.

Chez Dorcel, nous menons un combat très important pour protéger les mineurs contre la diffusion d'images sauvages pornographiques. Notre position est claire et connue publiquement : nous sommes pleinement engagés pour le droit de jouir, entre adultes consentants, d'une sexualité libérée, mais toujours respectueuse de chacun et des lois.

À l'évidence, la pornographie reste un sujet tabou en France. Bien que consommée par 72 % des adultes, elle n'est que trop peu traitée sérieusement et en détail pour dépasser les clichés convenus. Cette ghettoïsation et le malaise persistant qui empêche de traiter rationnellement et publiquement les sujets liés à la sexualité peuvent malheureusement conduire à un manque d'information, mais aussi à un manque de régulation et de contrôle. Ils ouvrent la porte à des dérives, voire à des comportements criminels.

Pour notre part, nous nous prononçons résolument pour une reconnaissance claire et une réglementation forte de notre industrie. Cela nécessite des discussions transparentes permettant d'exposer franchement les problèmes et de définir des solutions concrètes.

Depuis sept à huit ans, des sites sauvages, notamment les tubes, diffusent des contenus pornographiques sans aucune restriction d'accès, pour des raisons purement commerciales, et au mépris de toutes les conséquences que cela peut avoir sur les enfants. Parallèlement, ces acteurs causent aussi un tort considérable à notre industrie. Avec eux, c'est la double peine : non seulement ils diffusent des contenus pornographiques à n'importe qui - y compris les enfants - mais ils diffusent également n'importe quoi : images extrêmes, avilissantes, etc. Ce nouveau système marketing a permis à quelques sociétés, qui animent ces sites, de réaliser près de 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur un marché du X mondial d'environ 8 milliards d'euros.

Dans ce contexte, j'en viens aux actions du groupe Dorcel en matière de protection des mineurs.

Premièrement, tous les sites Dorcel protègent strictement les mineurs.

Deuxièmement, nous avons signé le « protocole d'engagement pour la prévention de l'exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne » en tant que membre du Geste et nous avons activement participé au comité de suivi de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), sous l'égide d'Adrien Taquet, secrétaire d'État responsable de la protection de l'enfance, et de Cédric O, secrétaire d'État chargé du numérique. Nous avons également participé au financement du site d'information jeprotegemonenfant.gouv.fr, créé à cette occasion.

Troisièmement, depuis 2015, suite à des discussions avec des associations de protection de l'enfance - dont vous en avez auditionné certaines, et que je remercie pour leur travail acharné - nous avons élaboré avec elles des solutions permettant de contraindre les sites sauvages à respecter le code pénal français, alors même qu'ils sont pour la plupart hébergés à l'étranger, dans des paradis fiscaux.

Le groupe Dorcel s'est donc engagé pour la mise en place d'une réglementation adaptée, forte et efficace.

Dès 2016, nous avons ainsi échangé avec les équipes du cabinet de Mme Rossignol, au ministère des familles, de l'enfance et des droits des femmes, qui ont, les premières, commencé à travailler concrètement sur le sujet. Nous avons, depuis, rencontré les représentants de nombreux ministères, administrations, professionnels de l'enfance, juristes et associations. Nous avons été auditionnés à l'Assemblée nationale par Mme la députée Bérangère Couillard, qui a produit un rapport exceptionnel de pertinence et d'exactitude. Enfin, nous avons été auditionnés ici même au Sénat, par Mme la sénatrice Marie Mercier, qui a fait adopter l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 permettant de bloquer les sites Internet violant la protection des mineurs imposée par le code pénal.

Cette loi a été votée. Nous attendons désormais avec impatience sa mise en application par l'Arcom et par la justice, qui doit rendre sous peu ses premières décisions exécutoires. Nous espérons que cette loi sera appliquée avec volonté et force. La France, si elle l'applique, deviendrait alors le pays occidental le plus en avance en matière de protection des mineurs sur le web et pourrait servir d'exemple aux autres pays.

J'en viens aux actions que nous avons menées pour mieux encadrer les conditions de tournage, notamment par l'élaboration et la mise en oeuvre de chartes.

J'insiste d'abord sur le fait que le groupe Dorcel n'a jamais fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire, ni aujourd'hui ni par le passé, ni au sujet des affaires en cours ou d'aucune autre. Les affaires criminelles récentes sont effroyables et ne sont pas assimilables aux activités régulières de notre industrie ni aux milliers de professionnels qui exercent chaque jour leur métier de façon responsable. La justice suit son cours pour déterminer les responsables et les condamner, mais l'industrie que je défends n'abuse pas des novices dans des mises en scène glauques. L'industrie que je défends est celle des stars du X, des fictions pour adultes diffusées par tous les groupes audiovisuels du monde occidental, celle des réalisatrices et réalisateurs engagés, parmi lesquels des féministes, celle des artistes aux millions de fans et des clients qui achètent ces contenus pour les consommer, dans 50 % des cas, en couple. En un mot, ce n'est pas l'industrie pornocriminelle que les abolitionnistes fustigent en boucle.

J'entends que certains voudraient interdire la pornographie. Nous serions donc le seul pays occidental à le faire, alors que les rares pays interdisant aujourd'hui la pornographie ne me semblent pas être des modèles de société très enviables. Il y a donc ceux qui veulent imposer à tous un changement des moeurs et ceux, comme vous je l'espère, qui veulent trouver des solutions concrètes et efficaces pour mieux protéger nos concitoyens.

En tant que leaders du secteur, animés par la volonté de construire une industrie toujours plus responsable, nous avons fait deux constats, qui ont dicté nos actions. Premièrement, il n'existait pas de standards de production établis et reconnus. Ainsi, les modèles amateurs et amatrices n'avaient aucun moyen de savoir ce qui les attendait ni de distinguer ce qui était normal ou exigible de ce qui ne l'était pas. Nous avons donc souhaité l'élaboration d'une charte qui puisse être rendue publique et servir de référence, de standard, afin qu'aucun novice non professionnel ne se puisse être piégé par manque d'informations.

En parallèle, nous nous sommes nous-mêmes remis en question et avons voulu vérifier si nos bonnes pratiques usuelles étaient suffisantes. Il ne s'agissait plus d'avoir l'impression de bien faire ; toute notre production devait être garantie par des procédures strictes, vérifiables et transparentes.

Nous avons donc lancé et financé un groupe de travail indépendant, dont la mission a consisté à auditionner de nombreux professionnels, à identifier les problèmes rencontrés et à analyser les attentes, afin d'élaborer une charte qui y réponde véritablement. Vous avez déjà entendu Liza Del Sierra à ce sujet et Me Cordelier vous apportera plus de précisions dans un instant. Chez Dorcel, nous avons immédiatement adopté cette charte, en allant parfois plus loin, par exemple en matière de rémunération ou de détection des maladies sexuellement transmissibles (MST).

Nous pensons néanmoins que d'autres actions s'imposent. En effet, les pratiques criminelles évoquées se sont développées principalement autour de contenus pornographiques d'amateurs et d'indépendants diffusés principalement sur le web, sans aucune régulation. À l'inverse, les producteurs traditionnels ont toujours travaillé en répondant à un cadre légal et sociétal, mais aussi aux chartes éditoriales des différents diffuseurs. En tant que diffuseurs, nous appliquons nous-mêmes depuis longtemps des chartes éditoriales strictes qui bannissent les contenus violents, dégradants ou humiliants. Nous avons décidé d'aller plus loin et commencé à imposer ces chartes de production aux cent vingt producteurs internationaux dont nous diffusons les films. Nous nous donnons ainsi trois à cinq ans pour que 100 % des contenus que nous diffusons y répondent.

Nous pensons que les diffuseurs ont un grand rôle à jouer pour imposer ces standards et il semble que d'autres grands diffuseurs français rejoignent cette idée. Si nous souhaitons généraliser ces pratiques, tout ne peut être réglé par les seuls diffuseurs. Tant que la pornographie ne sera pas prise en considération, tant qu'elle restera un tabou pour les différentes instances, que sa légalité et les statuts mêmes des professionnels qui y travaillent quotidiennement seront remis en cause, les dérives et les comportements criminels seront, selon nous, favorisés.

La France est le seul pays où les acteurs et les actrices ne sont pas épaulés par des agents et où leur statut légal reste encore incertain... Alors que les productions pornographiques sont consommées régulièrement par plus de la moitié des adultes Français, nous continuons à faire comme si elles n'existaient pas, comme si elles n'étaient ni usuelles ni légales. Les acteurs et actrices de cette industrie doivent tous savoir qu'ils exercent un vrai métier, qui doit être reconnu, encadré, et qui doit obéir à des règles et protections comme tout autre métier. Faire du porno, ce n'est pas faire une petite vidéo entre amis...

Par ailleurs, les agences d'artistes doivent pouvoir exister, à l'instar du cinéma traditionnel ou du mannequinat. Les artistes ont besoin de ces agences pour être représentés, accompagnés et défendus.

Sur le plan législatif, enfin, l'article 227-24 du code pénal est le seul à régir la pornographie. Depuis sa création en 1994, la notion d'« atteinte à la dignité de la personne humaine » s'est vue limitée aux seuls contenus susceptibles d'être accessibles aux mineurs. Or selon nous, l'atteinte à la dignité humaine doit s'appliquer à l'ensemble des contenus, y compris aux contenus pour adultes. Autrefois, une unité de police nommée « outrage aux bonnes moeurs » traquait les contenus violents ou dégradants et surveillait ainsi le milieu de la production X française. Nous pensons qu'il faut rétablir cette notion par la voie législative.

En conclusion, même si elle n'est pas du goût de tous, la pornographie fait clairement partie du quotidien des Françaises et des Français. Comme toutes les autres industries, elle peut être éthique et responsable. Elle a besoin d'évolutions, de régulation et de contrôle, et nous sommes à votre entière disposition pour étudier ensemble comment avancer sur ces propositions. Dans cette démarche, nous solliciterons le prochain ministre chargé de l'égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l'égalité des chances, afin d'élaborer conjointement une charte d'engagement.

Maître Matthieu Cordelier, avocat intervenu de manière indépendante dans l'élaboration d'une charte déontologique. - Je suis avocat en droit de la propriété intellectuelle et en droit des médias.

Je suis intervenu à plusieurs reprises pour des particuliers mineurs ou majeurs en situation difficile à la suite de cyber harcèlement ou de revenge porn. C'est par ce biais que je suis entré en relation avec M. Thomas Rohmer, président de l'association Open, et que j'ai été amené à livrer des consultations pro bono à des parents d'élèves en situation de cyber harcèlement, qui m'étaient envoyés par cette association.

J'en suis arrivé à maîtriser les sujets des droits de propriété intellectuelle, des droits à l'image et du droit de la presse et à défendre des actrices pornographiques.

J'ai discuté de ces sujets avec l'association Open et avec les différents membres des gouvernements qui se sont succédé. L'association Open a mené un très long travail pour obtenir la modification de l'article 227-24 du code pénal, avec l'ajout d'un troisième alinéa. J'espère que force d'exécution sera donnée à ce texte. L'Arcom s'est mobilisé sur ce sujet.

C'est via l'association Open que j'ai rencontré M. Dorcel, dont la position m'a paru tout à fait originale, dans la mesure où il souhaite une plus grande réglementation, pour éviter les dérives.

En la matière, éloignons-nous des concepts moraux et considérons l'individu sous l'angle de la protection des droits relatifs à la liberté individuelle. On protège le salarié qui accepte un contrat de travail déséquilibré ; on protège le consommateur contre des contrats de consommation biaisés. Pourquoi ne pas protéger l'actrice pornographique ? En ce domaine, le contexte juridique est incomplet.

La plupart des jeunes femmes que j'ai rencontrées dans mon cabinet étaient en situation difficile. Il y a un profil type, sous forme de triptyque, de l'actrice, souvent très jeune, qui sera abusée par les petites productions : elle a des problèmes psychologiques ou familiaux, des problèmes financiers et se trouve souvent isolée. En outre, lorsque je les rencontre, je constate qu'elles sont frappées de stupeur, exactement comme une victime de viol peut l'être. Par conséquent, je ne suis pas étonné que certaines productions fassent aujourd'hui l'objet de poursuites pénales. En effet, je sais que la façon dont se déroulent certains tournages n'est absolument pas normale.

Une telle situation ne se rencontre pas uniquement dans le porno. Les mannequins sont également concernés. J'ai en tête l'exemple d'une jeune femme qui avait fait des photos pour le magazine Lui et avait accepté de ne signer aucun contrat de cession de droit à l'image, dans l'espoir de faire décoller sa carrière. C'est, bien sûr, à mes yeux, une ineptie.

Qu'il s'agisse d'une actrice porno, d'un mannequin ou d'une femme ayant posé nue devant son conjoint et qui retrouve son image sur Internet, la stupeur est la même. Elles ont le sentiment d'avoir été violées dans leur intimité. Il faut en effet comprendre que, lorsque vous donnez votre image à quelqu'un, vous donnez une prolongation de votre être. Une photo est une donnée biométrique permettant de vous reconnaître, donc une donnée sensible.

Je suis intervenu aux côtés de l'association Open pour effacer des contenus. Progressivement, des actrices du porno, ou plutôt des victimes d'une profession remplie d'amateurs, m'ont demandé de les aider.

Dans le secteur de la pornographie, il existe deux catégories d'acteurs économiques. On trouve tout d'abord les acteurs institutionnels, qui ont un Kbis, c'est-à-dire un numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, et dont la démarche est respectable, comme la société Dorcel ou les portails Pornhub et YouPorn, qui appartiennent d'ailleurs au même groupe. Lorsque j'envoie une mise en demeure à ces portails, ils sont plutôt respectueux, les contenus étant retirés quasiment du premier coup, parfois même à la suite d'un simple courriel. Parce qu'ils ont une activité économique qu'ils veulent durable, ils sont respectueux des droits. Le problème, c'est que ces plateformes d'hébergement n'effectuent aucun contrôle a priori.

Les plateformes sont alimentées par des productions d'amateurs qui se veulent des professionnels parce qu'ils gagnent de l'argent avec cette activité. Toutefois, j'insiste sur ce terme, ce sont des amateurs. Il s'agit soit de petits pirates informatiques qui récupèrent du contenu chez d'autres éditeurs, soit de petits producteurs, qui sont à la fois acteurs, réalisateurs et producteurs. Ils postent des contenus pornographiques sur leurs propres chaînes, pour les monétiser, grâce à la publicité.

YouPorn, Pornhub, TikTok et Instagram rémunèrent les titulaires de ces comptes, qui sont parfois de jeunes femmes, parfois des pirates, parfois des sociétés. Pour une rémunération oscillant entre 200 euros et 500 euros par jour, une demi-douzaine ou une dizaine de vidéos sera diffusée, de manière très large, soit en tant que teaser, soit en tant que contenu.

Parfois, les petits auto-producteurs montent leur site Internet. Il n'y a là rien de compliqué ! Il suffit d'acheter un nom de domaine et de mettre en ligne. Avec un nom de société et un Kbis, vous respectez la loi.

Le plus souvent, avec des productions d'amateurs, soit il n'y a pas de contrat, soit il y a un contrat de cession de droit à l'image sur un territoire et une durée illimités, pour une rémunération de 300 euros. Ce contrat ne précise pas ce que vous allez tourner ni avec combien d'individus.

Lorsque je demande à mes clientes pourquoi elles ont accepté de se retrouver dans un véritable gang bang, face à cinq hommes, elles me répondent que la situation s'est présentée ainsi et qu'elles se sont senties bêtes. Elles n'ont pas su dire non. Elles ont le sentiment d'avoir été violées, dans la mesure où elles ont été prises au dépourvu, n'ayant été informées de rien. Elles ont signé un vague bout de papier valant cession de droit à l'image pour l'éternité et sur tous les territoires du monde. Pour 300 euros, elles se retrouvent à faire des choses qu'elles n'auraient a priori pas faites.

L'absence de contrat me donne des armes pour demander le retrait des contenus. En revanche, cela coûte très cher à la victime en honoraires d'avocat. Ne serait-ce qu'en frais postaux, il y en a souvent pour plus cher que la rémunération perçue pour faire une vidéo.

Ces jeunes femmes sont coincées. À 24 ou 27 ans, elles souhaitent entrer dans la vie professionnelle, mais il y a toujours quelqu'un qui les aura vues dans un film. C'est un véritable préjudice. D'où l'intérêt de protéger ces individus contre eux-mêmes, exactement comme on le fait pour un salarié ou un consommateur.

M. Dorcel m'a demandé, parce qu'il savait que j'étais indépendant, d'intervenir en toute autonomie sur la rédaction d'une charte, aux côtés de Liza Del Sierra et du sociologue Alexandre Duclos. Tous deux ont fait un travail de recueil d'informations auprès des différents acteurs du secteur économique, afin de connaître les doléances et les suggestions des uns et des autres. Pour ma part, j'ai remis en forme leur projet de charte, afin de lui donner une structure juridique.

La difficulté qui est apparue, c'est qu'un certain nombre d'acteurs du porno ne souhaitent pas forcément devenir des salariés. Ils ne veulent pas relever de ce qui devrait être, à mes yeux, le statut roi, à savoir le contrat de travail d'artiste-interprète, qui prévoit une rémunération pour le temps du tournage et une rémunération pour l'utilisation de l'interprétation. Dans la pornographie, certaines actrices ont une renommée particulière et font vendre davantage de films, ce qui explique l'importance de leur cachet. J'insiste sur cette comparaison avec le cinéma traditionnel.

La charte traite notamment de la sécurité au travail, du respect de l'hygiène, notamment de l'utilisation du préservatif, et du respect de l'intimité. En effet, alors que, sur un tournage pornographique, on est la plupart du temps dénudé, il y a des moments où l'on peut avoir envie de se couvrir, de se reposer, d'être au chaud ou de prendre une douche. Il convient de prendre en compte ces aspects, liés à la spécificité de ce métier.

Puisqu'il n'existe pas de convention collective à proprement parler ni de règles juridiques adaptées, nous avons voulu inventer de nouvelles règles se fondant sur les doléances des acteurs et des actrices.

Le point d'orgue de cette construction juridique est l'obligation précontractuelle d'information des acteurs et des actrices, même si la réalité du tournage peut être légèrement différente, à la suite d'absences inopinées. Quoi qu'il en soit, il s'agit de faire en sorte que l'acteur, qui tourne dans sa plus simple intimité, sache qui sera présent sur le tournage, avec qui ou quel type de partenaires il tournera, avec combien de partenaires et pour faire quoi.

C'est exactement ainsi que cela se passe dans le cinéma classique : le cachet d'une actrice est fonction de l'étendue de peau qu'elle montrera à la caméra. C'est vrai pour les contrats hollywoodiens et français.

J'en viens à la difficulté de retirer des contenus. En cas de plainte pour absence de consentement à la diffusion de l'image, qui entre dans le cadre d'une infraction pénale, les procureurs de la République considèrent que, dans la mesure où la jeune femme regarde la caméra, elle est consentante. Vous connaissez comme moi la manière d'interpréter les dispositions du code pénal : la conjonction « ou » n'est pas cumulative. Certains procureurs, pour se débarrasser du sujet, partent du principe que si vous avez donné votre consentement pour la prise de vue, vous avez donné votre consentement pour la diffusion. Tel n'est pas le cas, et c'est tout le problème !

Si j'accepte de faire un tournage porno, cela signifie-t-il que j'accepte que le film soit diffusé gratuitement sur tous les portails du monde ? Ou bien avais-je dans l'idée que le film serait diffusé sur un portail payant, dont l'accès serait limité ? La question du type de diffusion est importante. Cette question ne se pose pas avec des producteurs comme M. Dorcel, qui respecte les droits voisins et le droit à l'information précontractuelle. Mais l'industrie de la petite pornographie amateur s'en moque complètement. Ils font simplement signer un contrat de droit à l'image, pour être sûr de ne pas tomber sous le coup de l'article 226-1 du code pénal. On continue donc d'avoir des productions pour lesquelles l'actrice n'a été informée de rien.

Par ailleurs, les juridictions refusent également de poursuivre au civil. Voilà de nombreuses années, la Cour de cassation s'est prononcée sur la manière de céder un droit à l'image. Certains de mes confrères avaient développé l'argument selon lequel le droit à l'image constitue un attribut patrimonial de la personnalité. Dès lors, pourquoi ne se céderait-il pas de la même manière qu'un droit de propriété intellectuelle, avec une limite de temps et de territoire et une proportionnalité de la rémunération ?

La Cour de cassation a rejeté cette interprétation car la propriété intellectuelle est un droit spécial, qui fonctionne selon une procédure spéciale et un code spécial. Dans ce cadre ne sont prévus que le droit d'auteur, les droits voisins, le droit sui generis des bases de données, le droit des marques, le droit des dessins et modèles et le droit des brevets.

À l'heure actuelle, le droit à l'image n'est protégé que par l'article 9 du code civil, en matière de protection de la vie privée. Par conséquent, il n'existe aujourd'hui aucune disposition légale permettant d'encadrer la manière dont on cède son image. Ma proposition vise tout simplement à aller dans le sens d'une limitation géographique, temporelle et financière pour ce qui concerne le droit à l'image.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie de vos interventions.

Nous avons noté l'évolution de la législation concernant le droit à l'image que vous défendez.

Vous avez dénoncé, Monsieur Dorcel, la multiplication et le fonctionnement des tubes. Dès lors, comment expliquez-vous que certaines de vos productions s'y retrouvent ? Quels liens financiers avez-vous avec ces plateformes ?

Vous avez, Maître, identifié les profils types des actrices. Ce profil est-il identique dans le porno amateur et dans le porno professionnel ?

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je vous remercie, Messieurs, de vos propos. Nous essayons effectivement d'auditionner toutes les parties, sans a priori, afin de pouvoir formuler les recommandations les plus pertinentes.

Monsieur Dorcel, vous avez fait une différence entre l'industrie pornocriminelle et les groupes industriels de la pornographie, qui auraient une éthique. J'aimerais avoir un peu plus d'éclaircissements sur ce point car je ne suis pas du tout convaincue que le clivage se situe entre les groupes professionnels et les groupes amateurs. Il me semble que la situation est un peu plus complexe.

Ensuite, vous avez le souci, que je partage, de protéger les actrices et les acteurs, grâce à des contrats et à une charte déontologique. Le problème du consentement me paraît un peu plus complexe dans l'industrie pornographique que dans une autre industrie, entre un salarié et son patron. Nous l'avons entendu au cours de certaines auditions, certains consentements sont utilisés pour aller beaucoup plus loin et, de fait, piéger la personne.

Enfin, concernant l'accès aux productions pornographiques par les mineurs, avez-vous le sentiment que vos recommandations seraient de nature à interdire cet accès ?

Mme Alexandra Borchio Fontimp, co-rapporteure. - Je vous remercie de vos interventions, qui contribuent à éclairer nos travaux.

Dans un entretien datant de juillet 2021, l'une des « égéries » du groupe Dorcel, Cléa Gaultier, raconte son pire souvenir de tournage. Si elle avoue ne pas s'être renseignée avant d'accepter le contrat, elle dit avoir dû tourner une scène dite « solo », au cours de laquelle elle a dû avoir des relations sexuelles avec des « gros poulpes ». Elle ajoute : « C'était horrible, j'ai pris sur moi. Le sex toy avec les tentacules me faisait très mal. J'ai très mal vécu cette journée-là. » Cet exemple, parmi tant d'autres, illustre une forme certaine de violence et de déviance imprégnant le milieu de la production pornographique et répondant probablement à une demande des consommateurs.

Quel regard portez-vous sur l'évolution des contenus ? En tant que producteur, fixez-vous des limites à vos équipes, afin de « canaliser » la propension aux scènes violentes ou dégradantes ? Dans vos réponses au questionnaire envoyé par la délégation, vous dites que ces pratiques n'existent pas dans le monde de la pornographie payante de qualité, comme celle de votre groupe. Elles seraient réservées à la pornographie gratuite trash, qui n'a pas de charte éthique. Pourtant, Mme Gaultier appartient au monde du porno luxueux et attractif.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Je vous remercie pour vos propos, et plus particulièrement pour votre analyse juridique et de la présentation, Monsieur Dorcel, de votre activité.

Monsieur Dorcel, vous avez dit vous réjouir des actions judiciaires en cours et soutenir les victimes. Toutefois, avant ces actions judiciaires, vous ignoriez ce qui se passait dans les productions de Pascal Op, vous n'avez jamais travaillé avec lui et vous n'avez jamais eu l'idée de porter des actions judiciaires pour défendre les femmes avec lesquelles votre société avait l'habitude de travailler ?

Ensuite, vous avez évoqué votre souhait de proscrire toute pratique qui porterait atteinte à la dignité humaine. Je suis allée sur votre site. J'ai pu y accéder sans grande difficulté en affirmant que j'avais plus de 18 ans, sans renseigner de carte bancaire, avec quelques images floutées - mais ce n'est pas ma question. J'ai noté que l'une des rubriques s'intitulait « interracial » et présentait le synopsis d'un film d'après lequel - je cite : Gina, Chloé et Céline vont vous montrer comment s'occuper d'une grosse bite black. Cette référence claire à l'imagerie selon laquelle les hommes noirs seraient dotés par la nature d'attributs avantageux ne véhicule-t-elle pas une représentation raciste ?

Enfin, vous dites, Maître, que la charte et l'information précontractuelle prévoient la description de la pratique à laquelle l'actrice s'engage, afin qu'elle n'ait pas de surprise, ce qui est tout à fait louable. Toutefois, en termes contractuels, que se passe-t-il si l'actrice, au milieu de la production, ne veut pas poursuivre le tournage car elle estime que les pratiques ou le partenaire ne lui conviennent plus ?

M. Bruno Belin. - Je vous remercie, Monsieur Dorcel, Maître Cordelier, de vos présentations.

Je fais partie de ces élus qui ne croient pas du tout à la prohibition de la pornographie : elle n'aurait aucune chance d'aboutir à l'heure des smartphones et d'Internet. Il faut donc trouver les moyens d'un bordage juridique. À cet égard, le contrat me paraît indispensable. La charte semble constituer un élément trop léger dans un cadre juridique.

Comment exiger le contrat ? Doit-il y avoir une autorité de contrôle des contenus, en amont de leur tournage ? La remarque formulée par Mme Rossignol est très juste : je comprends que des acteurs puissent se poser des questions à un moment donné. Pour les protéger, que pensez-vous l'un et l'autre de la présence d'une personne de confiance, qui permettrait de garantir une protection physique, à tout moment, des personnes concernées ?

M. Grégory Dorcel. - Vous nous interrogez sur nos liens avec les chaînes tube. Depuis sept ans, nous nous battons pour que les tubes respectent le code pénal français et les copyrights, c'est-à-dire qu'ils arrêtent de pirater nos contenus. Pour vous donner une idée de l'ampleur de ce travail, je rappelle que depuis sept ans, nous avons demandé 15 millions de suppressions de vidéos auprès de ces plateformes et auprès de Google, qui les référence systématiquement, ce qui nous pose problème car ce sont autant de mises en avant de ces contenus et de ces plateformes pirates.

Il existe 200 à 250 plateformes de partage de vidéos qui ne disparaîtront pas. Notre enjeu est de réussir à collaborer, de façon professionnelle, encadrée et respectueuse des lois et des copyrights, avec certaines d'entre elles qui, comme Maître Cordelier l'a rappelé, ont plutôt tendance à aller dans le droit chemin. Nous travaillons avec les plateformes qui sont prêtes, dès que la loi leur imposera, à protéger les mineurs - ce qui est, encore une fois, notre combat - et nous collaborons aussi avec celles qui sont respectueuses des copyrights. Pour le moment, nous ne travaillons sérieusement qu'avec quatre plateformes, quatre sur 250 !

Maître Matthieu Cordelier. - Vous nous avez interrogés sur cette dichotomie, qui ne serait pas claire pour vous, entre l'industrie professionnelle et ceux que j'appelle les « professionnels amateurs ». La différence est gigantesque, notamment pour ce qui concerne la formalisation du contrat avec les acteurs et les actrices et l'information précontractuelle.

Par ailleurs, les amateurs professionnels produisent de façon tout à fait artisanale, sans scénario ni structure. La mode de ces films amateurs est venue des États-Unis. Le consommateur voit immédiatement la différence. Les acteurs remplissent une simple feuille de papier A4 et cèdent leur droit à l'image pour l'éternité et dans le monde entier. Cet amateurisme, qui se distingue très aisément, fait malheureusement des ravages.

Vous disiez, Madame la Rapporteure, que la situation était plus compliquée qu'une simple relation entre employeurs et salariés. C'est vrai, dans la mesure où le contexte est celui de l'intimité. Par ailleurs, le rapport de force économique est important, mais existe aussi dans d'autres situations - c'est d'ailleurs pour limiter les abus que le droit du travail existe. Or dans l'industrie pornographique, les limitations sont peu nombreuses, et c'est bien le problème.

Vous avez émis un doute, Monsieur le Sénateur, sur la charte. Or celle-ci stipule un droit au contrat pour les acteurs et les actrices. Ce contrat doit être compris au sens de processus consensuel, renforcé par le droit à l'information précontractuelle. Il s'agit d'avoir le temps de prendre connaissance des stipulations du contrat pour ce qui concerne la rémunération, les droits, la durée, le type de tournage et le type de scènes demandés.

La question de la formalisation du contrat est liée à la présence d'un tiers de confiance, qui est également prévue dans la charte. À cet égard, Mme Rossignol a évoqué une situation où l'actrice se ravise à mi-tournage. Ce tiers de confiance serait présent en permanence sur le plateau, pour chaque tournage. Il serait choisi par l'acteur et pourrait être proposé par la production. Il jouerait le rôle d'une sorte de syndicaliste, en faisant l'interface entre les acteurs et la production, dans n'importe quelle situation d'inconfort. Il pourrait suspendre la production et faire modifier le scénario.

M. Grégory Dorcel. - Nos contrats, dont nous vous avons transmis copie, prennent en compte tous les éléments de la charte, c'est-à-dire qu'ils comprennent les éléments d'information précontractuelle. Communiqués aux acteurs et actrices deux semaines à l'avance, ils détaillent les implications de leur participation : diffusion qui ne s'arrête pas, exposition de son image, potentielles conséquences professionnelles ou familiales. Il s'agit d'obtenir des participants un consentement éclairé aux prestations demandées lors des tournages. Ce qui est refusé par l'acteur ou l'actrice signataire est clairement mentionné.

Nos contrats l'explicitent très clairement et, plus largement, notre code de la production, publié sur nos sites, peut être consulté par tous.

Quant au droit de retrait, il est permanent pour toute prestation de nature sexuelle. En effet, nous n'envisageons pas que, sur nos productions, un acte sexuel, ou même de la nudité, soit réalisé sans envie ou à regret.

Ainsi le contrat rejoint-il la charte, et inversement.

Maître Matthieu Cordelier. - Il doit être stipulé que la rupture du contrat pour raison d'inconvenance est sans conséquence financière pour l'actrice. Ce principe n'a pas été autant détaillé dans la charte que je l'avais suggéré, mais je sais que M. Dorcel l'applique.

Là aussi, la différence est manifeste avec l'industrie amatrice, qui rançonne la personne se retirant du tournage ou demandant le retrait d'un contenu en lui demandant des indemnités - j'ai vu de petits producteurs demander 5 000 euros, pour un contrat de droits à l'image payé 300 euros...

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Pour finir, Monsieur Dorcel, pouvez-vous répondre aux deux questions de Mme Rossignol sur Pascal Op et les stéréotypes racistes ?

M. Grégory Dorcel. - Je peux vous affirmer ici que nous n'avons jamais diffusé sur nos plateformes les productions de M. Pascal Op pour une raison éditoriale : elles ne correspondent pas à nos types de contenus et à la pornographie que nous diffusons.

Par ailleurs, avions-nous connaissance de comportements criminels ? Très franchement, dans le milieu de mon industrie, non. De ces comportements criminels que nous avons pu lire dans la presse, avec des actes non consentis, etc., nous avons découvert avec stupeur les conditions de réalisation qui ont été révélées.

Enfin, si la pornographie véhiculait une apologie du racisme, j'en serais le premier étonné. L'ensemble des chaînes de télévision, des groupes audiovisuels et médias, français et étrangers, ne le pensent pas. Nos programmes sont autant contrôlés que tous les autres. Je ne remets pas en cause votre appréciation mais je ne la partage pas. Cette question constitue, par ailleurs, un de nos points de vigilance. Tout contenu diffusé sur nos plateformes est intégralement visionné par des comités éditoriaux - des individus et non des algorithmes - qui vérifient scrupuleusement le respect de nos chartes éditoriales.

C'est pourquoi, Madame la Sénatrice, sans remettre en cause votre appréciation, je ne la partage pas. Sinon, je ne laisserais évidemment pas faire.

Au demeurant, il est possible que les appréciations divergent d'un côté et de l'autre de l'Atlantique - c'est le cas aussi pour les productions traditionnelles.

Permettez-moi de revenir, en quelques mots, sur la protection des mineurs. Grâce à votre collègue Marie Mercier, des dispositions excellentes ont été prises : dès lors qu'un site diffuse des contenus pornographiques sans protéger les mineurs, donc en enfreignant le code pénal - la plupart du temps ces sites sont basés à l'étranger, souvent dans des paradis fiscaux - quel est le seul moyen de bloquer ce site ? Le meilleur moyen n'est pas de le fermer, les juridictions françaises ne peuvent pas le faire, donc la loi prévoit qu'il soit bloqué par la justice sur saisine de l'Arcom, s'il ne s'est pas conformé au droit français après mise en demeure. Si ce site ne se met en pas régularité, à ce moment-là, le dossier est transmis au tribunal de grande instance qui donne injonction aux fournisseurs d'accès à Internet de bloquer l'accès à ces sites, le temps qu'ils se mettent en régularité.

Sur le plan légal comme professionnel, ce dispositif nous paraît parfait. Je ne vois pas, s'il est appliqué, ce qui pourrait ne pas fonctionner. Nous attendons beaucoup de l'application de ce texte.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je salue à mon tour le travail de notre collègue Marie Mercier pour protéger les mineurs de contenus qui, aujourd'hui, leur sont accessibles.

Par ailleurs, il existe bien des images pornographiques qui font l'apologie du racisme, de la pédocriminalité ou de l'inceste. On ne peut pas le nier.

Monsieur Dorcel, pourriez-vous nous indiquer sur combien de sites vos productions sont réalisées ?

M. Grégory Dorcel. - Nous tournons trente-cinq productions par an : peu ou prou vingt-cinq en France, cinq aux États-Unis, cinq en Hongrie et peut-être deux ou trois en Espagne.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Pouvez-vous garantir que ces trente-cinq films annuels sont réalisés dans les conditions éthiques dont vous avez parlé - contrats, personnes de confiance, possibilité de retrait - et que, en cas d'inspection inopinée, vous seriez en conformité ?

M. Grégory Dorcel. - C'est tout le travail que nous avons mené sur la base de la charte. Nos coordinatrices d'intimité - métier qui existe aussi dans le cinéma traditionnel, dès lors qu'il y a nudité - ont pour mission pleine et entière de veiller à la stricte application de la charte, ainsi que de notre code de production.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie pour ces précisions. Je voulais savoir jusqu'où allait le « minimum » dont a parlé Me Cordelier.

Un de vos tournages a-t-il un jour été contrôlé par une administration ?

M. Grégory Dorcel. - Nous n'avons jamais été contrôlés. Nous réfléchissons à mener nous-mêmes des contrôles sur les productions que nous achetons. Nous demandons aux producteurs avec qui nous travaillons de respecter les mêmes chartes que celles de nos propres productions. Ceci doit s'accompagner de moyens de contrôle que nous allons nous-mêmes mettre en place dans la mesure où ils ne relèvent, à ce jour, d'aucune institution ou association.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Vincent Gey, responsable des opérations du groupe Ares, détenteur de la marque Jacquie & Michel, et de Maître Charlotte Galichet, avocate du groupe Ares

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous poursuivons nos auditions sur la pornographie et entendons M. Vincent Gey, responsable des opérations du groupe Ares, détenteur de « Jacquie & Michel », et Maître Charlotte Galichet, avocate du groupe Ares.

Cette audition fait l'objet d'un enregistrement vidéo.

Monsieur Gey, Maître Galichet, vous nous direz quel regard vous portez sur les évolutions récentes de l'industrie pornographique, leurs effets sur les acteurs traditionnels du secteur et leurs conséquences sur les pratiques de tournage et les contenus.

Vous nous exposerez le modèle économique du groupe Ares et des entreprises du secteur. Repose-t-il essentiellement sur un accès gratuit avec vente d'espaces publicitaires ?

S'agissant des tournages, les graves dérives dont la presse s'est récemment fait l'écho, nous amènent à nous interroger sur les conditions dans lesquelles ils se déroulent. Une enquête préliminaire a été ouverte par la police judiciaire et des procédures judiciaires sont en cours, couvertes par le secret de l'instruction. Quelles mesures votre groupe a-t-il prises pour encadrer les tournages et protéger les personnes filmées ?

Avec la massification de la pornographie en ligne, les contenus produits semblent de plus en plus extrêmes, violents et dégradants. Quel est le profil de vos utilisateurs et quels sont les vidéos et mots clés les plus recherchés ?

Nous souhaitons vous entendre également sur la diffusion et le retrait des vidéos. Comment traitez-vous les demandes de retrait d'anciennes actrices ? Quels sont vos liens avec les plateformes de type Pornhub et YouPorn ? Parvenez-vous à obtenir le retrait de vidéos qui auraient été piratées ou que vous ne souhaiteriez plus voir diffusées ?

Enfin, quels dispositifs avez-vous mis en place pour respecter la législation interdisant l'accès des mineurs aux contenus pornographiques ?

M. Vincent Gey, responsable des opérations du groupe Ares, détenteur de la marque Jacquie & Michel. - Je vous remercie d'avoir invité la société Ares à participer à vos travaux.

Permettez-moi, en préambule, de préciser la nature de nos activités. Nous distribuons des contenus faits par des adultes pour divertir des adultes souhaitant en pleine conscience les consommer. Ce principe conditionne l'existence de sociétés qui travaillent depuis vingt, trente ou quarante ans sur ce sujet de la meilleure façon possible. Nous travaillons avec l'ensemble des opérateurs télécoms français, des groupes médias comme Canal+ et des grands groupes étrangers comme Deutsche Telekom ou Proximus. Si ces sociétés nous font confiance depuis aussi longtemps, c'est parce que nos marques sont garantes de bonnes pratiques.

Dès lors, il est assez compliqué pour les collaborateurs du groupe de se trouver systématiquement attaqués par des personnes qui usent de tous les raccourcis et amalgames pour nuire à l'ensemble de la profession. Celle-ci ne compte qu'une part infime de personnels inattentifs au bien-être de celles et ceux qui fabriquent les contenus. Or au cours de certaines auditions précédentes de votre mission d'information, certaines positions et commentaires ont été énoncés qui sont parfaitement hostiles à notre marché, voire favorables à une interdiction totale de ces contenus. Nous souhaitons avoir avec vous une discussion ouverte et constructive, tout en restant dans le domaine réglementaire.

Le marché est spécifiquement organisé pour répondre aux attentes des clients et assurer la sérénité et la sécurité les plus grandes à l'ensemble des intervenants. L'apparition de sites distribuant gratuitement des milliers de contenus a eu un effet dévastateur sur l'organisation de ce marché. Elle a permis la diffusion massive de contenus plus extrêmes, jamais diffusés par nos sociétés, malheureusement sans moyens de contrôle. Toutefois, les contenus les plus recherchés restent les vidéos françaises mettant en scène des couples hétérosexuels ou lesbiens.

Nous avons mis en place une charte éthique et déontologique sur les conditions de tournage. Il est bon que les personnes qui ont eu ou auraient eu affaire à des producteurs malveillants n'hésitent pas à les dénoncer. Les incidents, voire crimes ou délits potentiels qui ont largement été relayés par les médias, sont vivement condamnés par Ares. Ils nous ont conduits à formaliser les grands principes de ce que nous considérons comme les prérequis d'un tournage.

Dans ce cadre, nous avons interviewé de nombreux modèles. Une charte a ensuite été élaborée avec le concours d'un cabinet d'avocats indépendant et de producteurs partenaires. Ce document établit notamment les bonnes pratiques et règles en matière de comportements sur les tournages : vérification du casier judiciaire, tests médicaux, recueil des consentements, pratiques acceptées ou refusées, devoir absolu de respecter les principes arrêtés en amont. Les producteurs désireux de collaborer avec Ares doivent, au préalable, signer cette charte.

Par ailleurs, nos équipes procèdent à de nombreux contrôles inopinés sur le tournage des contenus que nous distribuons. Elles interrogent les intervenants pour s'assurer que la charte est respectée en tout point. Si le moindre manquement était constaté, il serait immédiatement mis fin à la collaboration. Ces contrôles permettent d'identifier en amont d'éventuelles situations problématiques, qu'il s'agisse d'individus au comportement inapproprié ou de personnes en possible détresse psychologique. Nos équipes n'ont jamais relevé d'incident majeur sur les tournages opérés par nos partenaires. L'immense majorité des intervenants a accueilli cette initiative de façon très positive.

Le groupe Ares est tout à fait favorable à une protection renforcée des modèles par un nouveau cadre légal. Nous saluons les initiatives qui vont en ce sens, dont les travaux de votre mission d'information. En effet, le respect de la personne est l'une des valeurs de notre groupe. D'autre part, le bien-être des modèles est gage de qualité des contenus.

J'attire votre attention sur les risques de généralisation et d'amalgame : nous ne contestons pas que, comme dans d'autres secteurs, des dérives aient pu avoir lieu, mais comme l'ont expliqué les actrices que vous avez auditionnées, il est important de ne pas généraliser, car la quasi-totalité des tournages se passent bien et l'immense majorité des modèles sont satisfaites de leur activité.

S'agissant des mesures prises pour interdire l'accès des mineurs à des contenus adultes, notre groupe avait indiqué devant la commission travaillant sur la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que même si nous ne comprenions pas bien pourquoi l'accès à la pornographie était inclus dans ce texte, nous serions force de proposition. En quelques mois, nous avons développé et déployé sur l'ensemble de nos plateformes la solution My18Pass : tous les contenus adultes sont bloqués tant que l'utilisateur n'a pas fourni la preuve de sa majorité, au moyen d'une pièce d'identité ou d'un micropaiement. Nous passons par des tiers de confiance pour chaque méthode, de sorte que nous ne stockons aucune donnée sensible. Contrairement à la quasi-totalité des plateformes adultes sur Internet, Ares a su mettre en oeuvre rapidement des solutions pour se conformer à la nouvelle réglementation. Le plus important, pour nous, est qu'un mineur ne puisse pas tomber sur des contenus pornographiques de façon fortuite. Il est également primordial que les entreprises françaises ne soient pas désavantagées par rapport à des sociétés étrangères.

Le groupe Ares participe activement à toutes les initiatives visant à protéger les intervenants de notre marché, ainsi que le public qui n'est pas autorisé à y accéder ou ne souhaite pas être en contact avec ce type de contenus. Le déferlement d'attaques contre notre profession et notre groupe, par le biais de fausses informations énoncées par des associations radicales, voire abolitionnistes, et relayées sans vérification par la presse, pourrait, à terme, mettre en danger les seules entités capables de proposer des contenus adultes réalisés dans un cadre sécurisé et transparent. Un équilibre doit donc être trouvé. Vous pouvez compter sur l'implication du groupe Ares.

Maître Charlotte Galichet, avocate du groupe Ares. - Avocate en droit de la propriété intellectuelle, droit du numérique et droit des données personnelles, je collabore avec le groupe Ares sur les questions liées au droit d'auteur et au règlement général sur la protection des données (RGPD).

Ares n'est pas producteur de contenus, mais seulement diffuseur. Il impose sa charte aux producteurs dont il distribue les contenus et en contrôle la bonne application lors des tournages.

Deux types de contenus sont diffusés : les uns, professionnels, réalisés par des actrices dont c'est la principale source de rémunération ; les autres, amateurs ou pro-amateurs, mettant en scène des intervenants ponctuels. D'après notre charte, ces derniers doivent eux aussi signer un contrat, même s'il ne s'agit pas d'un contrat de travail.

Les producteurs avec lesquels Ares travaille font signer aux intervenants un document classique de cession de droit à l'image, précisant le territoire, les moyens et la durée de la diffusion, ainsi que la rémunération. S'agissant d'Internet, le territoire de diffusion et le consentement ont vocation à être mondiaux. Certains producteurs étrangers, dont Ares, peuvent distribuer les contenus utilisent d'autres documents, conformes à leur législation nationale. Dans ce cadre, les intervenants sont rémunérés pour l'exploitation de leur image sur des durées de dix à trente ans. Le groupe travaille avec les producteurs indépendants pour plafonner cette durée à dix ans non renouvelables pour une scène réalisée par des amateurs, et quinze ans non renouvelables pour un long-métrage.

La charte dont nous parlons est, pour l'instant, une exception française. Le groupe Dorcel dispose également d'un tel document. En revanche, les sociétés basées à l'étranger n'en ont pas, les tubes non plus. En d'autres termes, le secteur s'autocontraint pour que les contenus soient les plus corrects possible.

La nouvelle disposition du code pénal interdisant l'accès des mineurs aux contenus pornographiques a été prise très au sérieux. Ares a eu des échanges nombreux avec l'Arcom pour présenter les mesures prises. Ares procède à la vérification de la majorité au moyen de la solution My18Pass, étant entendu que, à ce stade, aucun décret ni aucune instance n'a explicité la mesure technique attendue. Les contraintes sont nombreuses, liées au respect de la vie privée et à la sécurité des données, et nous ne pensons même pas qu'une solution nous sera un jour dictée. Plusieurs sociétés ont été assignées en référé ; Ares n'en fait pas partie, ce qui démontre la bonne prise en compte de la protection des mineurs au sein du groupe.

Quant aux demandes de retrait de vidéos, elles sont traitées au cas par cas, avec humanité. Ares a déjà retiré des contenus dans ce cadre. Reste que, en droit, aucune contrainte légale n'oblige à retirer une vidéo récente, le consentement du contrat devant prévaloir. Si la personne à l'origine de la demande indique que la vidéo a été piratée ou se trouve sur des plateformes de type YouPorn ou Pornhub, une équipe interne formule une demande de retrait. En l'absence d'obligation légale, il s'agit, là aussi, d'une bonne pratique du groupe. Les plateformes retirent les vidéos lorsque le groupe Ares en fait la demande, mais ce n'est pas le cas des sites sauvages, le plus souvent spécialisés dans le piratage. Pour ces derniers, le retrait est quasiment impossible à obtenir.

L'industrie française du porno ne pèse pas 15 milliards d'euros, comme on peut le lire dans la presse. Elle ne consiste qu'en quelques PME. Peu de tournages ont lieu en France.

En France, la pornographie est légale et relève de la liberté d'expression, ce qui n'empêche pas que le secteur soit régulé. Votre initiative est saluée, de ce point de vue, et Ares collaborera pour améliorer les conditions de travail de chacun et chacune.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Trouvez-vous normal que chaque société se constitue ses propres règles, sa propre charte, ou faudrait-il une réglementation d'application générale ? D'autre part, quelle est l'utilité d'une charte ne s'appliquant pas aux contenus étrangers ?

Maître Charlotte Galichet. - Les producteurs avec lesquels Ares travaille sont obligatoirement soumis à la charte : ils doivent ne fournir que des vidéos qui en respectent les termes. Tous les contenus diffusés par Ares respectent donc la charte.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Combien de vidéos par an diffusez-vous, et combien de personnes sont chargées de contrôler le respect de la charte ?

M. Vincent Gey. - Nous diffusons plusieurs centaines de vidéos par an. Une personne est chargée des vérifications, et nous pouvons monter à deux ou trois personnes pour des vérifications à l'étranger, qui peuvent se faire à distance par l'interview de participants.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je ne suis pas persuadée de l'efficacité de tels contrôles à distance...

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Vos propos liminaires se veulent rassurants. Pourtant, des enquêtes sont en cours pour viol et proxénétisme... Nous devons nous en préoccuper ensemble.

Combien y a-t-il de sociétés derrière Ares ou plutôt Jacquie & Michel, nom sous lequel vous êtes connu ?

Par ailleurs, le système de contrôle que vous semblez soutenir me paraît tout à fait insignifiant : un seul contrôleur pour un très grand nombre de productions et éventuellement des contrôles par visio... On touche là à l'intime, à des victimes soumises aux violences du système pornocriminel. Celles-ci font partie des violences faites aux femmes, contre lesquelles nous devrions être tous et toutes mobilisés.

Maître Galichet, vous avez parlé du consentement lié au contrat. Je pense, avec d'autres, que le consentement ne s'achète pas avec un contrat. Tout acte sexuel commis sous la contrainte, par la violence, sous la menace ou par surprise est constitutif du crime de viol. Le consentement peut être donné avant la production, après quoi l'actrice ou l'acteur, à la suite d'un événement ou devant un partenaire ou plusieurs, peut refuser une action prévue dans le contrat. Il me paraît donc très superficiel de répondre simplement : il y a contrat, il y a consentement.

En tant que parlementaires, nous n'entendons pas interdire la pornographie. Notre intervention n'est pas de nature morale. Quant aux associations féministes qui se sont constituées, elles défendent des femmes victimes qui se sont adressées à elles. Ne caricaturons donc pas.

M. Vincent Gey. - Notre charte a été mise en place en 2020. Le processus est en constante évolution et nous essayons de l'améliorer autant que possible, en y consacrant des moyens croissants.

Par ailleurs, nous connaissons nos partenaires et avons à leur égard une certaine confiance - ce qui n'exclut pas les contrôles.

À ce jour, les contrôles ont été réalisés surtout auprès de nos partenaires français. Ils sont amenés à se développer, comme la charte est appelée à s'améliorer à travers nos discussions, y compris avec vous. Rien n'est figé.

Une charte commune, pourquoi pas ? C'est une piste à creuser, même s'il n'y a pas eu, jusqu'ici, de cohésion entre les entreprises de ce marché.

Maître Charlotte Galichet. - Sur le consentement, Madame Cohen, je suis bien d'accord avec vous. Je parlais du consentement à la diffusion, dans le cadre du droit à l'image, qui est un prérequis.

Peut-être faudrait-il un deuxième consentement. Peut-être les producteurs considèrent-ils aujourd'hui que, lorsqu'on explique à des jeunes femmes ce qui va se passer et qu'elles opinent du chef, cela suffit.

La situation s'est déjà améliorée grâce à la charte : désormais, les producteurs sont tenus d'expliquer plus précisément ce qui va se passer et de permettre seulement les pratiques acceptées. Si, lors d'un tournage, une femme ne consent plus à une pratique, la charte prévoit que le producteur s'interdit de poursuivre le tournage.

Du point de vue de la diffusion, si des directives ou des textes nouveaux sont adoptés pour renforcer l'encadrement, nous ferons en sorte qu'ils soient appliqués.

M. Vincent Gey. - Nous avons redoublé d'attention en matière d'acquisitions, avec des critères encore plus drastiques.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Vous avez parlé d'un déferlement d'attaques contre votre profession, en mettant en cause également la presse. Pour ma part, j'observe surtout un déferlement de plaintes et de mises en examen. Dénoncer des attaques, c'est réduire ces plaintes à des calomnies.

J'imagine que, avant l'article du Monde, comme tout le reste de la profession, vous n'étiez pas au courant et n'imaginiez même pas que de telles choses puissent se passer ? L'industrie pornographique est tout de même extrêmement discrète : avant que la presse ne relaie les plaintes, personne n'avait jamais entendu parler de rien... C'est la première fois que je rencontre une industrie où l'on s'intéresse aussi peu à la concurrence ! Permettez-moi de partager avec vous mon étonnement.

S'agissant des mineurs, vous avez expliqué vous être conformé à la « loi Mercier ». Mais où commence l'exposition des mineurs à des images pornographiques ? Faut-il, par exemple, que les images soient animées ? Quand j'ouvre le site de Jacquie & Michel, après avoir simplement cliqué sur « Je suis majeur », je tombe sur quantité d'images pornographiques. Les mineurs sont donc exposés, simplement par le fait d'ouvrir votre page d'accueil, à des images pornographiques. Pourquoi donc considérez-vous que vous êtes en conformité avec la loi ?

M. Vincent Gey. - Que vous ayez pu accéder à des images pornographiques, même non animées, alors que My18Pass est déployé m'étonne beaucoup. Nous avons créé cet outil précisément pour l'éviter. Peut-être un dysfonctionnement technique s'est-il produit. La nature même de My18Pass est d'éviter ces situations, et cet outil s'applique sur l'ensemble de nos sites.

Maître Charlotte Galichet. - Peut-être aussi faudrait-il préciser la définition de la pornographie. À l'époque du cinéma, on distinguait la pornographie de l'érotisme, qui ne comportait pas de pénétration. Ainsi, des images de femmes nues ne relèvent pas de la pornographie.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Les images auxquelles je fais référence comportent bien des pénétrations.

Maître Charlotte Galichet. - Je soulignais simplement que la définition doit être prise en compte pour la suppression de ces contenus.

En ce qui concerne les plaintes, le groupe Ares ne les prend nullement à la légère. L'ensemble du secteur a fait évoluer ses pratiques.

Dans ce milieu, en effet, la concurrence ne se rencontre pas ; il n'y a pas de syndicat, pas d'échanges d'informations et nous n'avons pas connaissance des chiffres réalisés par les autres acteurs - certainement parce que, à l'origine, la pornographie était taboue. Aujourd'hui encore, la discrétion est grande.

M. Vincent Gey. - Nous avions d'autant moins connaissance des faits révélés dans le cadre de l'affaire Pascal Op que nous n'avons jamais considéré celui-ci comme un concurrent. Nous n'avons jamais eu aucun contact avec lui.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Laurence Cohen vous a interrogé sur le nombre de sociétés au sein de votre groupe. Décrivez-nous celui-ci.

M. Vincent Gey. - Le groupe Ares regroupe plusieurs marques sur le marché adulte, dont Jacquie & Michel, Colmax et Hot Vidéo. La vidéo représente environ 15 % du chiffre d'affaires du groupe, de l'ordre de 20 millions d'euros pour une cinquantaine de collaborateurs. Pour le reste, nous opérons dans le retail, les réseaux sociaux, les sites de rencontres. Ne travaillant pas sur l'ensemble des activités du groupe, je ne saurais pas vous dire exactement le nombre d'entreprises.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Vous avez dit distribuer plusieurs centaines de films. Plusieurs centaines seulement ?

M. Vincent Gey. - Peut-être un millier.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Une seule personne est donc chargée de contrôler un millier de films ?

M. Vincent Gey. - Une personne est chargée du contrôle de nos partenaires français. Plusieurs autres personnes s'occupent de l'étranger. Nous prévoyons d'aller plus loin.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Les rapports du Sénat sont extrêmement étayés et nous souhaitons formuler des recommandations pour encadrer votre industrie. De ce point de vue, je trouve que vous nous avez communiqué des éléments assez approximatifs. En tant que co-rapporteure, je trouverais utile que vous nous transmettiez par écrit des réponses beaucoup plus fournies.

Par ailleurs, je m'étonne que vous ne paraissiez pas mesurer la gravité de la situation - c'est, du moins, l'impression que vous avez donnée lors de cette audition. Vous dites avoir découvert les choses et pris le problème en main, mais vos réponses restent, je le répète, très approximatives. Un complément écrit donnerait à vos propos plus de poids et, peut-être, de sérieux.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Vous avez travaillé avec le producteur Mat Hadix, puis avez cessé, est-ce bien cela ?

M. Vincent Gey. - Absolument.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - À quel moment avez-vous cessé cette collaboration ?

M. Vincent Gey. - Dès 2020, je pense. Par précaution, nous avons arrêté de travailler avec les personnes qui semblaient impliquées dans ces affaires.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Pendant tout le temps de votre collaboration, vous n'avez jamais eu connaissance des raisons pour lesquelles ce producteur est aujourd'hui mis en cause ? Vous avez découvert dans le journal que les conditions de tournage n'étaient pas respectueuses de la dignité humaine ?

M. Vincent Gey. - Il me semble que ce ne sont pas les conditions de tournage des productions gérées par Mat Hadix qui sont en causes, mais les productions de M. Pascal Op.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous souhaitons que vous répondiez de manière précise au questionnaire qui vous a été transmis. En particulier, nous aimerions connaître l'architecture précise de votre groupe.

En entendant vos réponses, je pense aux victimes que nous avons auditionnées. Pour elles, je souhaite que vous nous fournissiez des réponses extrêmement précises.

Comme diffuseur, vous êtes responsable des contenus diffusés. La charte paraît tout à fait dérisoire au regard des témoignages que nous avons entendus : des vies ont été détruites, des actes de barbarie commis. De grâce, pour les victimes, répondez-nous avec précision.