Mercredi 12 octobre 2022

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Claude Raynal, président. - Nous examinons ce matin la proposition de loi visant à mieux valoriser certaines des externalités positives de la forêt, présentée par notre collègue Vanina Paoli-Gagin.

Je rappelle que s'agissant d'une proposition de loi déposée dans le cadre de l'espace réservé au groupe Les Indépendants - République et territoires (LIRT), au stade de la commission, le « gentleman's agreement » impose que les amendements que la commission pourrait adopter soient acceptés par l'auteur de la proposition de loi.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Cette proposition de loi sera examinée en séance publique la semaine prochaine, le jeudi 20 octobre. Comme vient de le rappeler le président, elle a été déposée dans le cadre de l'ordre du jour réservé au groupe LIRT, elle est examinée dans les conditions du gentleman's agreement, qui suppose que les modifications qui pourraient intervenir en commission doivent recueillir l'accord de l'auteur. Les amendements que je propose ont donc été soumis au préalable à notre collègue Vanina Paoli-Gagin, qui les a acceptés et qui voudra s'en doute s'exprimer après mon rapport. Je tiens d'ailleurs ici à souligner la qualité de nos échanges menés en amont de l'examen du texte. Notre travail a été constructif.

Il se devait de l'être, car la proposition de loi s'inscrit dans un contexte lourd, que nous connaissons tous : l'augmentation de la fréquence des événements climatiques extrêmes et des incendies qui y sont associés ainsi que la crise sanitaire due aux scolytes - ces parasites qui ravagent nos bois depuis 2018 - ne nous rappellent que trop que la forêt doit être bien gérée, et gérée durablement. Si cette gestion durable ne constitue pas la garantie d'une défense absolue contre tous les dangers qui assaillent une forêt, vulnérable par définition, elle permet de les ralentir et de les contenir.

Dans ce cadre, les Assises de la Forêt et du Bois, conclues en mars 2022, ont mis en exergue un besoin de financements complémentaires au profit de la forêt. Les communes sont concernées au premier chef par le sujet puisqu'elles détiennent plus de la moitié des forêts publiques - représentant elles-mêmes 25 % de la forêt française.

Havre de biodiversité et puits de carbone, la forêt constitue un bien qui n'est pas estimé à sa juste valeur par le marché : les articles 1 à 3 visent ainsi à mieux valoriser certaines de ses externalités positives en incitant les particuliers et les entreprises à donner aux communes et syndicats forestiers pour financer certaines des opérations de gestion de leur forêt. L'article 4 prévoit d'intégrer les opérations de restauration des domaines forestiers parmi les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité susceptibles d'être mises en oeuvre sur des sites naturels de compensation.

Avant d'entrer dans l'examen du texte proprement dit, j'aimerais rappeler brièvement comment sont gérées les forêts communales et comment est financée cette gestion.

Les forêts communales représentent près de 2,8 millions d'hectares sur les 31 millions que constitue la forêt française, et sont gérées dans le cadre du régime forestier. Bien que pour 200 000 à 900 000 hectares de forêt communale ce régime ne soit pas appliqué, il est obligatoire. Il définit les grandes règles qui visent à assurer la conservation et la mise en valeur du patrimoine forestier.

Sa mise en oeuvre est confiée par la loi à un opérateur unique, l'Office national des forêts (ONF), qui est chargé de garantir une gestion durable et multifonctionnelle de la forêt : économique par la vente de bois, écologique, notamment par la préservation de la biodiversité, et sociale par l'accueil du public.

Le régime forestier repose sur un financement commun des communes et de l'État.

D'une part, les communes versent à l'ONF 12 %, ou 10 % dans les zones de montagne, du montant des produits de leurs forêts au titre des frais de garderie, ainsi qu'une contribution annuelle de deux euros par hectare de terrain relevant du régime forestier. Oscillant généralement entre 25 et 32 millions d'euros, le montant des frais de garderie s'est élevé à 27 millions d'euros en 2022.

D'autre part, l'État octroie un versement compensateur, qui vise à couvrir la différence entre le coût pour l'ONF du régime forestier et les contributions des communes. Il prend en charge environ 85 % du coût de la mise en oeuvre du régime forestier. Fixé à 140,4 millions d'euros en 2022, il devrait augmenter de 7,5 millions en 2023 pour atteindre 147,9 millions d'euros.

Le surcoût des actions d'aménagement excédant celles prévues par le régime forestier est assumé par les communes sur leurs ressources propres, avec le soutien éventuel d'autres collectivités ou de l'État. Les dépenses du bloc communal pour l'entretien des forêts s'élevaient à environ 110 millions d'euros en 2021.

La situation financière des communes forestières dépend fortement de leur climat et des essences qui y sont présentes. Si certaines parviennent à percevoir des recettes conséquentes, comme celles des Landes, c'est moins le cas des communes situées en Bretagne ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), où les surfaces sont plus petites et les essences moins productrices.

De façon générale, la crise des scolytes, qui a commencé en 2018 dans le Grand Est et s'est progressivement étendue sur tout le territoire, a entraîné une chute des recettes forestières des communes au moment où elles en ont le plus besoin. Si un mécanisme de soutien exceptionnel prenant la forme d'une subvention attribuée par le préfet aux communes en difficulté a été introduit par la loi de finances pour 2022, celui-ci paraît insuffisant au regard des enjeux nouveaux auxquels est confrontée la forêt.

Les Assises de la Forêt et du Bois ont ainsi bien mis en évidence, lors de leur clôture en mars 2022, le besoin de financements supplémentaires de la forêt. Un besoin qui rencontre une demande de la part des habitants désireux de soutenir leur commune.

Le dispositif de réduction d'impôt introduit par les articles 1 et 2 de la proposition de loi arrive ainsi à point nommé. Ces articles visent à appliquer la réduction d'impôt au titre du mécénat des particuliers et des entreprises aux dons versés aux communes et syndicats intercommunaux de gestion forestière, et destinés à l'entretien, à la restauration et l'acquisition de domaines forestiers bénéficiant de certificats pour leur gestion durable.

Certes, ce dispositif paraît en partie satisfait, dans la mesure où la réduction s'applique aux dons versés à des organismes d'intérêt général concourant à la défense de l'environnement naturel. Lorsque les opérations de gestion forestière des communes ne sont pas lucratives, au sens de l'administration fiscale, et qu'elles ne sont pas réservées à un cercle restreint de personnes, la gestion des collectivités étant présumée désintéressée, les dons qui pourraient financer ces opérations bénéficieraient de la réduction d'impôt.

Toutefois, ce dispositif est peu utilisé. Il est peu ou pas connu des particuliers et des entreprises, qui préfèrent donner à des fonds de dotation bénéficiant d'une meilleure visibilité comme « Agir pour la forêt » ou « Plantons pour l'avenir ». De même, les communes forestières qui disposent de peu de moyens juridiques ne sont probablement pas en état de saisir que les opérations de gestion forestière qu'elles mènent sont susceptibles d'être financées par des dons éligibles à une réduction d'impôt.

La mise sur pied d'un système de financement pouvant s'appuyer sur ces dons serait d'ailleurs lourde et incertaine. Supposant le recours au rescrit fiscal, elle dépendrait alors de l'interprétation casuistique de l'administration fiscale.

De ce point de vue, les articles 1 et 2 présentent une réelle utilité, dans la mesure où ils viennent clarifier l'intention du législateur sur un enjeu majeur. Leur portée gagnerait toutefois à être renforcée. Je vous proposerai donc des amendements qui prévoient d'étendre la réduction d'impôt aux dons versés aux syndicats mixtes et groupements syndicaux forestiers, qui respectivement peuvent comprendre une commune ou avoir été constitués avec l'accord d'une commune ; de préciser que la « restauration » s'entend des opérations de reconstitution et de renouvellement des bois et forêts ; s'agissant des forêts pour lesquelles le financement d'opérations de gestion de forestière donne lieu à réduction d'impôt, de s'assurer non pas qu'elles soient certifiées par des organismes privés, mais qu'elles présentent des garanties de gestion durable définies par le code forestier ; et enfin d'inclure dans le périmètre l'acquisition de forêts gérées non durablement, mais qui ont vocation à le devenir.

Enfin, dans leur rédaction, ces articles n'empêchent pas les dons éligibles à la réduction d'impôt de financer une activité lucrative, voire de profiter à un cercle restreint de personnes. Tenant particulièrement à la philosophie du mécénat, je vous proposerai dans ce cadre d'exclure du périmètre de la réduction d'impôt les dons finançant les activités lucratives.

J'en viens aux articles 3 et 4, pour lesquels - encore une fois avec l'accord de l'auteur - je vous proposerai des amendements de suppression.

Afin de récompenser les entreprises vertueuses qui donnent suffisamment aux communes pour la gestion de leur forêt, l'article 3 prévoit la création d'un label. En introduire un nouveau, en plus de ceux qui existent déjà dans le secteur forêt-bois, semble apporter plus de confusion que de visibilité. Au demeurant, le label prévu par l'article 3 se positionne sur un créneau proche de celui du label bas-carbone, avec lequel il risque d'entrer en concurrence, ce qui pourrait entraver son plein déploiement au moment où les acteurs commencent à se l'approprier. Enfin, un tel label ne paraît pas indispensable pour mettre en avant l'action d'une entreprise au service de sa commune. D'autres canaux sont possibles sans qu'il soit besoin d'un label : qu'on pense à l'affichage des entreprises donatrices dans le cadre certaines opérations de restauration des bâtiments. Je vous proposerai donc de le supprimer.

L'article 4 vise à intégrer les opérations de restauration des domaines forestiers dans le périmètre des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité susceptibles d'être mises en oeuvre dans le cadre de la compensation par l'offre.

Partant d'une intention qu'il faut saluer, cette mesure est satisfaite : les milieux forestiers peuvent déjà faire l'objet de mesures compensatoires de cette nature. Rien n'exclut, par exemple, qu'un défrichement soit compensé par des opérations de boisement et de reboisement, et de façon anticipée et mutualisée sur un site naturel de compensation.

En outre, la disposition envisagée met en avant la restauration des milieux forestiers au détriment d'autres mesures de compensation tout aussi légitimes. Elle pourrait même faire croire, selon une certaine lecture, et à défaut de citer les autres milieux éligibles, que les sites naturels de compensation se limitent aux milieux forestiers.

Compte tenu de ces risques et de l'utilité contestable d'une redite dans le droit, je vous proposerai de supprimer cet article.

Une fois ces modifications apportées, je vous proposerai d'adopter ce texte. Ses deux premiers articles, peut-être modestes, apportent une pierre nécessaire à l'édifice et vont, de toute évidence, dans le bon sens. Si l'on peut ainsi pousser les particuliers et les entreprises à réaffirmer par le mécénat le lien qu'ils entretiennent avec leur commune et avec leur forêt, on aura fait oeuvre utile.

Mme Vanina Paoli-Gagin, auteur de la proposition de loi. - La forêt rend de nombreux services écosystémiques, qui ne sont pas pris en compte dans les modèles économiques : captation du carbone, stabilisation des sols, épuration de l'eau, etc. De même que l'on évalue les externalités négatives des entreprises par le biais du principe pollueur-payeur, nous devons valoriser les externalités positives de la forêt. En outre, cette dernière s'inscrit dans le temps long qui dépasse le temps humain : nous devons donc avoir une vision à long terme.

En discutant avec les experts, il est apparu que la fiscalité était l'approche la plus pertinente pour amorcer la réflexion. Nous devons aussi envisager autrement la logique éviter-réduire-compenser ; à cet égard, il conviendrait de commencer plutôt par la compensation.

Cette proposition de loi vise à faire appel aux entreprises et aux particuliers pour qu'ils s'engagent en faveur de la forêt. La forêt touche au coeur de nos concitoyens. Chacun en effet a une forêt de prédilection, là où il habite ou là où il va en vacances. Les incendies que nous avons connus cet été ont accéléré la prise de conscience qu'il était urgent de mieux entretenir nos forêts.

Le dispositif que nous vous soumettons est orienté vers les forêts communales, qui demeurent le parent pauvre des dispositifs fiscaux de mobilisation des dons privés. Je suis présidente des Communes forestières de l'Aube, et cette proposition est très bien accueillie par les élus, car les communes forestières voient leurs finances mises à mal par de nombreux facteurs conjoncturels, tels que la crise des scolytes par exemple. Les incendies ont montré qu'il fallait développer l'accessibilité des massifs pour les pompiers, y compris dans des régions, comme le Grand Est, qui étaient préservées des feux jusque-là.

J'accepte les amendements présentés par le rapporteur. La création d'un label était source de confusion, mais je poursuivrai la réflexion sur ce sujet, sans doute au niveau européen. J'espère que vous partagerez notre enthousiasme pour protéger nos forêts et nos communes forestières.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je salue le travail réalisé en collaboration entre le rapporteur et l'auteure de la proposition de loi. Il témoigne qu'il est possible de concilier les enjeux liés à l'équilibre des finances publiques et les enjeux écologiques, de concevoir des mesures fiscales permettant de soutenir les engagements des uns et des autres au service de la nature, tout en contribuant aussi au progrès social et sociétal, sans nuire pour autant au développement économique. Je rappelle aussi que la forêt n'a cessé de progresser ces dernières années, contrairement aux cris d'orfraie entendus ici ou là.

M. Marc Laménie. - La forêt est un bien précieux. Le texte vise les forêts communales, mais il ne faudrait pas oublier les petits propriétaires de forêts privées et les forêts domaniales qui ont aussi été affectés par les incendies cet été. Enfin, quel sera le lien avec l'ONF ?

M. Thierry Cozic. - Le thème de cette proposition de loi est bienvenu ; elle fait écho à une actualité récente. Elle tire les conséquences du changement climatique sur la gestion de la forêt. On ne peut que noter une volonté de faire bouger les lignes.

Toutefois, le ciblage me semble imparfait par rapport aux ambitions affichées. La proposition de loi ne concerne en effet que les dons effectués en faveur de la gestion durable des forêts au profit des communes et certains établissements publics de coopération intercommunales. Elle vise, par un accroissement des dons, à mieux financer l'entretien de la forêt publique, qui  ne représente qu'un quart de la forêt française. De plus, faire appel au mécénat pour financer des actions publiques soulève la question d'une privatisation rampante d'un bien public aussi essentiel que nos forêts. Je souligne aussi que, par définition, la réduction fiscale ne profitera qu'à ceux qui paient déjà l'impôt et générera donc des inégalités.

Pour conclure, si l'intention présidant à cette proposition de loi semble bonne, elle ne vise ainsi qu'une petite partie de la forêt française et n'a pour seul mécanisme qu'une réduction fiscale. Cela s'inscrit dans un contexte où le Gouvernement organise l'attrition des finances publiques. Le désarmement fiscal ne saurait être une réponse satisfaisante aux problèmes de financement des politiques publiques.

M. Jérôme Bascher. - La forêt devrait être l'un de nos grands actifs, mais il est très mal exploité. La multiplicité des propriétaires empêche de mener une action commune. Il conviendrait de préciser la part de la forêt qui relève du domaine privé de la commune et celle qui relève du domaine public. Les forêts publiques sont gérées par l'ONF : est-ce le meilleur moyen de gérer cet actif ? La forêt constitue aussi un lieu de chasse, de promenade, une réserve de biodiversité, etc. Quant à la filière bois, on se plaint régulièrement que nos grumes soient non pas transformées en France, mais envoyées en Chine. Par ailleurs, les sociétés d'assurance sont friandes de cet actif vert. Au-delà de cette proposition de loi bienvenue, il convient donc de s'interroger en profondeur sur la manière dont on veut gérer notre actif bois en France. Notre forêt est trop morcelée pour être bien valorisée ; certaines sociétés comme la Société Forestière le font pourtant très bien.

M. Emmanuel Capus. - À l'heure où le réchauffement climatique se fait sentir, on a plus que jamais besoin de la forêt, qui permet de capter le carbone, de protéger notre ressource en eau et la biodiversité, tout en constituant une ressource en bois, etc. Les incendies ont frappé des territoires dans toute la France, y compris au nord de la Loire. Plus de 2 000 hectares ont ainsi brûlé cet été en Maine-et-Loire, dont 1 700 à Baugé. Les Français sont prêts à soutenir les collectivités pour qu'elles entretiennent et restaurent leurs forêts ; chacun comprend qu'il s'agit d'une urgence.

M. Pascal Savoldelli. - La préoccupation écologique est certainement sincère, mais l'approche économique du texte est libérale. L'auteure de la proposition de loi le reconnaît, elle souhaite appréhender la forêt sous l'angle de sa valeur. Les amendements du rapporteur vont dans le même sens. Je déplore toutefois que l'on passe sous silence les relations entre l'État et les communes forestières : 63 % d'entre elles ont vu leur DGF baisser, de 23,4 % en moyenne entre 2013 et 2017, puis de 5,7 % entre 2017 et 2021 ! Le rôle du Sénat et de notre commission doit à mes yeux être de redonner des moyens aux communes.

La vision sous-jacente au texte est que toute atteinte à la biodiversité par le secteur privé doit donner lieu à compensation. Pour ma part, j'estime que la biodiversité est un élément vivant. On ne peut la protéger en recourant seulement au mécénat. À cette approche d'écologie libérale, je préfère donc une autre approche.

M. Victorin Lurel. - Ce texte est bienvenu, mais je suis gêné par la philosophie sous-jacente. Je m'interroge. Quelle est la définition d'une forêt communale ? Qu'est-ce que le régime forestier et quels sont ses critères d'application? Pourquoi ne s'applique-t-il pas dans 900 000 hectares de forêt communale ? Pourra-t-on valoriser les externalités en recourant uniquement aux dons et au mécénat ? Je crains qu'il ne s'agisse d'une forme de privatisation.

Je souscris à ce qui a été dit sur la situation financière des communes forestières.

La forêt guyanaise constitue un vrai puits de carbone, mais elle appartient à l'État. Cette proposition de loi s'appliquera-t-elle à l'outre-mer ? Ce texte pose aussi la question de l'avenir de l'ONF. J'ai cru comprendre enfin qu'il ne concernerait que le quart de la forêt française.

M. Claude Raynal, président. - Il est vrai que la situation des communes forestières est diverse. Merci d'avoir rappelé l'importance de la forêt guyanaise.

M. Bernard Delcros. - La réduction d'impôt visera les dons effectués au profit de communes forestières ou de syndicats intercommunaux de gestion forestière. Dans certaines régions, les forêts gérées par les communes et soumises au régime forestier sont la propriété de sections de commune, notamment dans les zones de montagne. Ces portions sont-elles visées par la loi ?

M. Georges Patient. - Je suis surpris qu'il ne soit pas fait mention des forêts ultramarines. La forêt de Guyane, d'une superficie de 8 millions d'hectares, constitue le principal havre de biodiversité et puits de carbone français, mais celle-ci ne compte pas de forêts communales ! Il s'agit aussi d'une forêt amazonienne, soumise aux brûlis et aux incendies, comme au Brésil. Il ne faudrait pas l'oublier.

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Ce texte vise à apporter de nouveaux financements à la forêt communale. Certaines communes tirent profit de leur forêt, notamment lorsque le bois est exploité, tandis que d'autres communes forestières sont pauvres. Les forêts ont besoin d'être entretenues, mais les communes n'en ont pas toujours les moyens - si l'entretien avait été mieux assuré, les incendies que l'on a connus cet été auraient d'ailleurs sans doute été moins violents. L'enjeu est de trouver un moyen de financement pour les aider, ainsi que tous ceux qui veulent protéger leur forêt de proximité. L'auteur du texte a estimé que la meilleure manière de procéder était de recourir aux dons des particuliers ou des entreprises. Il ne s'agit absolument pas d'une privatisation. Au contraire, mes amendements visent à étendre le périmètre de la réduction d'impôt aux dons finançant l'acquisition des bois voisins, y compris lorsqu'ils ne présentent pas de garanties de gestion durable. Rien ne sert en effet de traiter une parcelle contre les scolytes si la parcelle voisine n'est pas traitée.

Les forêts domaniales, quant à elles, relèvent de l'État et nous discutons de leur financement lors de l'examen du projet de loi de finances. Le plan France 2030 contient ainsi un volet sur la gestion de la forêt, sur sa restructuration avec des essences susceptibles de supporter le réchauffement climatique. En revanche, cela est étranger au texte que nous examinons.

Je souscris à vos remarques sur l'ONF. Toutefois, l'ONF n'a pas pour seule mission d'exploiter le bois,...

M. Jérôme Bascher. - Cela se voit !

M. Vincent Segouin, rapporteur. - ... bien qu'il existe une marge de progression, car seuls 60 % de la biomasse produite chaque année sont exploités. L'ONF a un coût de fonctionnement relativement élevé, mais il mène aussi un effort pour diversifier les essences, développer la « forêt mosaïque » pour réussir l'adaptation au changement climatique. Cet effort a un coût et ne peut pas être totalement rentabilisé. Il est vrai que l'ONF a besoin du financement par les communes forestières. Il convient de l'aider en lui donnant de la visibilité à long terme. Le sujet est complexe ; des pistes d'amélioration existent. Nous devrons être vigilants dans le projet de loi de finances.

M. Victorin Lurel. - Quelle est la définition d'une forêt communale ? Comment bénéficier du régime forestier ? Pourquoi exclure les outre-mer de ce texte ? Quels sont les critères d'éligibilité à ce texte ?

M. Vincent Segouin, rapporteur. - Une forêt communale est une forêt possédée par la commune.

Le régime forestier vise à gérer durablement la forêt. Des documents d'aménagement sur 20 ans prévoient un programme de coupes et de travaux. Cette proposition de loi pourrait inciter les communes à se doter de tels documents de gestion pour appliquer la loi, en ce qu'elle ciblerait, si mes amendements étaient adoptés, les bois et forêts présentant des garanties de gestion durable - ce qui suppose d'avoir ces documents. Certaines communes en effet, dont la surface boisée représenterait au total entre 200 000 et 900 000 hectares, n'appliquent pas le régime forestier pour ne pas avoir à acquitter à l'ONF une cotisation de 12 % du montant des produits de leurs forêts au titre des frais de garderie, ainsi qu'une contribution annuelle de deux euros par hectare de terrain relevant du régime forestier.

Le texte vise à créer une réduction d'impôt sur les dons versés aux communes et syndicats intercommunaux de gestion forestière pour certaines opérations de gestion de leurs forêts. Je proposerai des amendements pour inclure les syndicats mixtes de gestion forestière et les groupements syndicaux forestiers, car des communes qui possèdent de petites parcelles de forêts se sont regroupées en syndicats pour se doter d'un plan de gestion sur 10 ou 20 ans. L'ONF y est favorable. Il est plus facile de gérer de grandes surfaces que des surfaces morcelées. C'est pourquoi nous avons voulu étendre le périmètre du texte, qui peut inclure les sections de communes dans la mesure où elles seraient membres d'un syndicat mixte de gestion forestière.

M. Claude Raynal, président. - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, le rapporteur vous propose de considérer que le périmètre de la proposition de loi comprend toutes les dispositions relatives aux réductions d'impôt sur le revenu et sur les sociétés susceptibles d'être utilisées pour encourager les dons en faveur de la gestion durable des forêts ; toutes les dispositions relatives à l'octroi d'un label aux entreprises à raison des dons versés en faveur d'opérations de gestion durable de la forêt ; toutes les dispositions relatives au périmètre des opérations susceptibles d'être considérées comme des mesures de compensation écologique.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 2

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article 3

L'amendement de suppression COM-3 est adopté.

L'article 3 est supprimé.

Article 4

L'amendement de suppression COM-4 est adopté.

L'article 4 est supprimé.

Article 5

L'article 5 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La réunion est close à 9 h 50.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Article 1er

Auteur

Sort de l'amendement

M. SEGOUIN, rapporteur

1

Adopté

Article 2

Auteur

Sort de l'amendement

M. SEGOUIN, rapporteur

2

Adopté

Article 3

Auteur

Sort de l'amendement

M. SEGOUIN, rapporteur

3

Adopté

Article 4

Auteur

Sort de l'amendement

M. SEGOUIN, rapporteur

4

Adopté

La réunion est ouverte à 10 heures.

Scénarios de financement des collectivités territoriales - Audition de M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes

M. Claude Raynal, président. - Nous procédons à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes réalisée à la demande de notre commission, en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), sur les scénarios de financement des collectivités territoriales.

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, accompagné de M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour, et de plusieurs magistrats qui ont préparé cette enquête.

Ces dernières années ont vu de profondes modifications des ressources des collectivités locales, caractérisées par une stabilité des transferts financiers de l'État, une diminution de la fiscalité locale et un renforcement de la péréquation. L'autonomie fiscale se réduit fortement, et de nouvelles propositions sont formulées, dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques, sur l'encadrement des dépenses des collectivités locales. Une réflexion doit donc être engagée sur la réalité de leurs charges de fonctionnement, mais aussi d'investissement, qui détermineront leurs besoins de financement et sur le panier de ressources dont elles pourraient bénéficier pour répondre aux évolutions prévisionnelles de leurs charges.

Compte tenu de l'ampleur de ces questions, nous avons, avec le rapporteur général et mon collègue Charles Guené, corapporteur spécial avec moi de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », choisi de confier à la Cour des comptes une mission de réflexion approfondie sur ce sujet. Je remercie les magistrats de la Cour pour les échanges nombreux que nous avons eus tout au long de la préparation de leur rapport.

M. Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. - Conformément à la mission constitutionnelle d'assistance de la Cour des comptes au Parlement, vous nous avez demandé, au mois de janvier 2022, de réaliser cette enquête sur les scénarios d'évolution du financement des collectivités territoriales. Sa publication intervient à un moment opportun de la discussion parlementaire sur la loi de finances et sur la loi de programmation des finances publiques. J'espère que ce rapport contribuera à éclairer le débat budgétaire. Au terme d'une instruction menée avec diligence et qui a associé à trois reprises certains membres éminents de votre commission, je suis heureux de pouvoir vous présenter nos conclusions.

Ce rapport a été délibéré par une formation interjuridictions, associant des chambres de la Cour et des chambres régionales des comptes. C'était indispensable pour bénéficier d'un double éclairage, à la fois national et territorial.

Il intervient, à la demande du Sénat, dans un contexte particulier pour les finances publiques locales. La suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et la baisse des impôts de production ont profondément modifié le panier de recettes de tous les niveaux de collectivités depuis 2021, avec notamment une part croissante des impôts nationaux partagés avec l'État. Il en a résulté, pour les exécutifs locaux, une certaine maîtrise de leur financement.

De même, la loi de programmation des finances publiques qui s'achève avait prévu un mécanisme de contractualisation entre l'État et les grandes collectivités territoriales visant à encadrer l'évolution de leurs dépenses. Ce mécanisme, connu sous le nom de « contrats de Cahors », a été suspendu avec la crise sanitaire, mais le projet d'une nouvelle loi de programmation des finances publiques (LPFP) prévoit un mécanisme d'inspiration comparable pour faire participer les collectivités territoriales au redressement des finances publiques. Enfin, le retour de l'inflation crée une tension et une inquiétude nouvelles sur les budgets des collectivités.

Ce rapport n'a pas vocation à traiter de ces deux derniers sujets, mais, dans la perspective de définition d'une trajectoire soutenable des finances publiques, il vise à examiner les évolutions possibles des modalités de financement des collectivités territoriales - les régions, les départements, les communes et leurs groupements.

Tout d'abord, il met en évidence la nécessité de réformer le système de financement des collectivités territoriales. Ensuite, il présente plusieurs options possibles, dont il vous appartiendra de débattre et à partir desquelles la Cour, pour répondre à une demande explicite de votre commission, dresse un scénario de réforme possible. Enfin, il identifie plusieurs conditions - le dialogue, le partage de données, la simplification, l'anticipation - nécessaires pour bâtir une nouvelle gouvernance des finances publiques locales, qui soit la base d'un pacte de confiance renouvelé entre l'État, les élus et les citoyens.

Comme nous l'avions déjà souligné dans notre rapport sur les finances publiques locales, la Cour observe qu'après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, les collectivités territoriales ont vu leur situation financière s'améliorer en 2021. La reprise de l'activité et les crédits consacrés aux mesures de soutien par l'État, en 2020 et 2021, à hauteur de 2,6 milliards d'euros, leur ont permis d'atteindre un niveau d'épargne supérieur à celui d'avant crise, soit 41,4 milliards d'euros. Leur situation financière est favorable, avec un excédent de 4,7 milliards d'euros fin 2021.

Le contexte du retour de l'inflation, qui pèse sur les achats des collectivités, et la hausse du point d'indice des fonctionnaires décidée pour maintenir leur pouvoir d'achat, vont probablement modifier cette situation favorable en 2022 et 2023, même si les ressources fiscales des collectivités, notamment les taxes foncières s'agissant du bloc communal, sont dynamiques.

Le manque de lisibilité d'une part, et l'évolution profonde des sources de financement d'autre part, appellent désormais une réflexion d'ensemble sur les finances locales. Des ressources issues d'une sédimentation historique, sans révision d'ensemble, rendent aujourd'hui ce financement peu compréhensible tant pour les responsables locaux que pour les contribuables, avec des inégalités qui se creusent entre les territoires.

La structure de financement des collectivités a connu des réformes nombreuses, affectant les trois principales ressources - fiscalité locale, fiscalité nationale et dotations. Ces réformes n'ont pas toujours été accompagnées d'une réflexion sur le modèle de financement des collectivités. L'augmentation de la part des impôts nationaux partagés avec l'État, avec le transfert de parts de TVA décidé depuis 2017, a en partie brouillé la distinction entre impôts locaux et nationaux. La suppression de la part régionale de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises à partir de 2021 conduit également à ce que les régions ne disposent plus de ressources directement rattachées à l'activité économique sur leur territoire. Quant aux départements, ils ont perdu l'essentiel de leur pouvoir de taux avec le transfert des taxes foncières aux communes. Enfin, avec la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales, la fiscalité du bloc communal repose désormais principalement sur le propriétaire du foncier et non plus sur l'habitant.

Ce système de financement est assez unanimement critiqué. Les principes fondateurs des finances locales ont en effet perdu de leur pertinence. En raison de la part croissante de la fiscalité nationale au sein de leurs ressources propres, l'autonomie financière des collectivités, telle que mesurée par les ratios définis en 2004, progresse, mais ne rend pas compte de la perception par les élus locaux d'une perte de maîtrise de leurs ressources. La péréquation des ressources entre collectivités souffre d'un manque d'objectifs clairement définis et évalués, et la solidarité horizontale reste trop peu développée au sein de chaque niveau de collectivités. Les modalités de compensation des transferts de compétences ont conduit à émietter les transferts de fiscalité au prix de la lisibilité d'ensemble. Enfin, le système de répartition des dotations et subventions apparaît complexe et peu prévisible, sans corriger non plus suffisamment les écarts de ressources.

Au total, alors que les élus ont plus que jamais besoin de pouvoir se projeter et anticiper, à mesure que leur rôle d'investisseur public prend de l'ampleur, le système de financement est devenu peu lisible, faiblement maîtrisé, et ne garantit pas l'équilibre des budgets locaux. Une réflexion globale sur l'adéquation entre les missions et les ressources est aujourd'hui nécessaire.

Pour cela, nous avons souhaité présenter trois options « polaires » selon chaque type de financement et qui reposent sur plusieurs critères d'appréciation. À partir de cette grille d'analyse, la Cour présente un scénario de réforme possible pour rendre le financement des collectivités territoriales plus lisible et résilient.

Nous nous sommes inspirés de modèles retenus à l'étranger et, après échange avec les associations d'élus locaux, nous avons identifié trois critères d'évaluation de la réforme du financement des collectivités. Premièrement, l'équilibre pour renforcer la lisibilité et la prévisibilité des financements, garantir la soutenabilité des finances locales et la maîtrise des ressources ; deuxièmement, la territorialisation des ressources pour renforcer le lien entre territoire et contribuable et la capacité d'agir des collectivités ; troisièmement, la solidarité pour réduire les inégalités entre collectivités, par une répartition équitable à la base des ressources jusqu'à des mécanismes correcteurs de péréquation.

Pour susciter la réflexion, la Cour a examiné trois options polaires, en portant à son maximum la part du financement des collectivités territoriales résultant d'un des trois types de ressources : soit un financement essentiellement par des ressources locales - impôts locaux ou redevances - dans l'objectif d'une véritable territorialisation des ressources ; soit un financement accru par des impôts nationaux partagés, par lequel les collectivités gagneraient en prévisibilité et en dynamisme des recettes ; soit un financement renforcé par des dotations de l'État dans le respect du principe d'autonomie financière des collectivités.

Ces scénarios polaires sont volontairement théoriques et permettent, d'une part, d'identifier le bon curseur d'une réforme du modèle de financement - quel type de ressource pour quel niveau de collectivités - et , d'autre part, de définir les principes fondamentaux de cette réforme.

Au terme de son analyse, la Cour constate que les marges de progression des ressources locales dans le financement des collectivités territoriales sont désormais limitées - sauf à recréer un impôt résidentiel touchant le plus grand nombre, ce qui relève d'un choix politique lourd. Par ailleurs, la Cour estime que ces marges seraient essentiellement mobilisables pour le bloc communal.

L'augmentation du partage des impôts nationaux est une option possible, en mobilisant sans doute d'autres impôts nationaux que ceux aujourd'hui partagés. Ainsi, si la part de la TVA partagée peut sans doute être encore un peu augmentée - comme l'a annoncé le Gouvernement pour compenser la suppression progressive de la CVAE -, il serait dangereux de priver l'État d'une ressource dynamique. D'autres impôts nationaux pourraient être sollicités comme l'impôt sur le revenu ou l'impôt sur les sociétés, à l'image de ce que font certains de nos voisins. À l'inverse, la Cour estime qu'il serait préférable de concentrer sur l'État les impôts liés à l'énergie ou à la voiture, afin de pouvoir mobiliser plus facilement cette fiscalité dans le cadre de la transition écologique.

Enfin, tout en notant que certains pays y ont largement recours et que ce type de financement paraît adapté pour certaines dépenses décentralisées, la Cour constate que l'augmentation de la part des dotations dans le financement des collectivités locales resterait contrainte par les ratios d'autonomie financière prévus par la loi et qu'elle ne remporterait pas l'adhésion des associations d'élus.

À partir de ces scénarios polaires, la Cour tire des principes qui devraient éclairer une réforme du cadre de financement des collectivités territoriales. Le premier principe d'une réforme serait de contribuer à la libre administration des collectivités territoriales avec un système de financement renforçant la lisibilité et facilitant l'exercice des responsabilités.

Ensuite, afin de renforcer le lien entre le contribuable et le territoire, il convient de recentrer la fiscalité locale restante sur le bloc communal, échelon de proximité et seul doté d'une compétence générale, et de supprimer autant que possible les multi-affectations d'impôts locaux. Pour tous les échelons, il est prioritaire de mettre les ressources en adéquation avec les missions exercées. Par exemple, les missions sociales des départements exigent plus de stabilité et de solidarité nationale dans leur financement, par contraste avec la situation actuelle marquée par des fluctuations importantes des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) dans le temps et selon les territoires. Par ailleurs, les régions, dont le rôle dans le développement économique est croissant, devraient pouvoir bénéficier de ressources en lien avec l'activité économique.

Enfin, les critères de répartition des ressources entre collectivités ne devraient plus être liés à des situations héritées du passé, avec le risque de consolider les inégalités, mais doivent se fonder sur les besoins des territoires, évalués à partir de critères socio-économiques.

À partir de ces options polaires et en prenant en compte leurs limites, la Cour a élaboré un scénario possible, équilibré, par niveau de collectivité et pour l'État. Une réforme pragmatique du financement des collectivités locales devrait viser à combiner les différentes ressources en conciliant les objectifs d'autonomie et de solidarité et en priorisant différemment ces enjeux selon les niveaux de collectivités et leurs missions.

Le scénario présenté à titre illustratif par la Cour conduirait à recentrer la fiscalité locale sur le bloc communal pour plus d'autonomie et de responsabilité, à mettre en place un système plus solidaire de financement des départements pour leur permettre de faire face à leurs dépenses sociales et de renforcer le financement des régions par la fiscalité nationale économique.

S'agissant des communes tout d'abord, le scénario intègre la suppression de la CVAE et vise à recentrer toute la fiscalité locale restant sur le bloc communal : les taxes foncières, la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, mais également les impositions forfaitaires des entreprises de réseaux (IFER) dont bénéficient aujourd'hui les départements et les régions. Ces recettes seraient complétées par une dotation de fonctionnement. Le bloc communal verrait son ratio d'autonomie progresser de 70 % à 76 %. Les DMTO, impôt local aujourd'hui partagé, seraient transformés en impôt national et affectés au bloc communal avec des critères de répartition permettant une affectation plus équilibrée en fonction des caractéristiques socio-économiques et non plus en fonction du lieu des transactions immobilières. Pour les départements, le scénario proposé conduit à affecter un panier d'impôts nationaux - TVA, taxe spéciale sur les conventions d'assurances, ainsi qu'une fraction d'impôt sur le revenu - et à créer une dotation d'action sociale pour sécuriser et garantir le financement des dépenses sociales des départements. Enfin, les régions pourraient être financées par deux impôts nationaux partagés à dominante économique, la TVA et l'impôt sur les sociétés.

Dans cette réforme, le partage de la fiscalité nationale augmenterait, mais sa répartition reposerait progressivement sur des critères reflétant les caractéristiques sociales et économiques des territoires et non sur la recette collectée localement ou les ressources historiques remplacées.

Ce scénario est en effet fondé sur une part croissante de TVA - 24 % au lieu de 20 % - et inclut également un partage d'une fraction de 12 % d'impôt sur les sociétés (IS) pour les régions et 10 % d'impôt sur le revenu (IR) pour les départements. Le partage de l'IS et de l'IR permet d'associer les collectivités à la dynamique d'impôts nationaux cohérents avec leurs missions, en lissant les évolutions par la diversification du panier de recettes.

Dernier point, les dotations de l'État seraient rationalisées selon trois finalités : assurer la transition vers le nouveau modèle de financement pour les régions, financer l'action sociale pour les départements et assurer l'équilibre financier du bloc communal. Par ailleurs, le scénario devrait viser également une simplification en supprimant notamment les compensations de fiscalité ancienne.

Ainsi, ce scénario illustratif répond aux trois objectifs d'équilibre financier, de territorialisation des ressources pour le bloc communal et de solidarité, en fonction de la rationalisation des dotations et de la clef de répartition des impôts nationaux.

Ce scénario a été présenté aux différentes associations d'élus. Nous avons senti un point de sensibilité particulier concernant la proposition de transformer les DMTO en impôt national partagé. L'association des départements de France a notamment critiqué cette orientation considérant qu'elle conduirait à supprimer le dernier impôt territorialisé des départements.

Trois raisons ont justifié cette orientation proposée par la Cour et par d'autres. Tout d'abord, les DMTO sont une ressource très instable : ils sont en forte croissance en 2020 et 2021, mais ils avaient vu leur produit s'effondrer de 40 % après la crise financière de 2008-2009 et les perspectives ne sont pas favorables pour les prochains mois. Ensuite, c'est un impôt qui crée de fortes inégalités, car l'assiette territoriale est très inégalement répartie : malgré les dispositifs de péréquation horizontale, l'écart de recettes par habitant varie de 1 à 7 selon les départements. Enfin, si l'assiette est territorialisée, le taux est aujourd'hui largement uniforme : aucune modulation n'est possible pour les communes et la quasi-totalité des départements ont adopté le taux plafond.

Mais, je le répète, le scénario présenté par la Cour est illustratif, donc non exclusif d'autres options possibles d'évolution. Il vise surtout à dégager quelques principes pour nourrir votre réflexion. Pour la Cour, il doit être vu comme un cadre de référence en vue d'un ajustement progressif des règles de financement : rien de plus et rien de moins.

Sur la méthode, au-delà de ce scénario proposé, la Cour propose dans son rapport de renouveler la gouvernance des finances publiques locales et identifie les conditions d'une réforme.

En effet, une réforme du financement des collectivités territoriales ne sera possible que par le rétablissement du dialogue entre l'État et les représentants de celles-ci dans la préparation des textes financiers nationaux et une concertation mieux structurée et fondée sur un plus fort partage des données sur les finances locales, avec une implication forte du Parlement.

Dans son rapport sur la gouvernance des finances publiques de novembre 2020, la Cour avait proposé la création d'une instance pérenne de dialogue entre l'État et les autres administrations publiques - sécurité sociale et collectivités locales - pour examiner les grands textes financiers en amont de leur présentation au Parlement.

En complément, la Cour souligne dans ce rapport la nécessité d'une instance pérenne spécifique consacrée aux finances locales, à laquelle seraient présentés non seulement les textes financiers intéressant les collectivités locales, mais aussi les modalités de compensation des suppressions d'impôts ou des transferts de compétences, et les règles d'évolution ou de partage des impôts et des dotations. Cette instance pourrait être soit le comité des finances locales, profondément rénové, soit une autorité indépendante nouvelle dotée de moyens d'expertise renforcés.

Une réforme du financement des collectivités territoriales devrait également reposer sur quelques principes forts : la simplification, pour plus de lisibilité et de responsabilité, la prévisibilité et l'équilibre financier. Quel que soit le scénario de réforme choisi, il sera nécessaire de rationaliser l'affectation de la fiscalité, pour éviter les multi-affectataires, et de procéder à la révision de dispositifs trop anciens qui complexifient le financement des collectivités et, partant, nuisent à la démocratie locale. Par ailleurs, l'équilibre dans la durée entre la dynamique des recettes et des dépenses de chaque niveau de collectivités devra être recherché, avec des clauses de rendez-vous au niveau national et une refonte progressive des critères de répartition pour mieux tenir compte des charges à partir d'indicateurs socio-économiques des territoires.

Même si chacun sait ici que le projet de loi de programmation n'a pas encore été voté, je persiste à dire que nous avons besoin de cette vision pluriannuelle, notamment pour gagner en transparence et en prévisibilité. Une bonne loi de programmation des finances publiques devrait contenir des engagements réciproques entre l'État et les collectivités, à la fois pour renforcer la prévisibilité des ressources locales et pour définir, après une concertation approfondie avec les représentants des collectivités, les modalités de participation des collectivités locales au redressement des finances publiques.

Dernier point non négligeable, l'analyse des données et le partage de l'information sont à renforcer. Un dialogue plus équilibré entre l'État et les collectivités locales exige des outils partagés et des données de qualité, facilement accessibles sur les recettes et les dépenses. Il nécessite de développer des capacités d'analyse, au niveau national comme local.

Ainsi en définitive, le rapport de la Cour tire de ces analyses sept recommandations essentielles. La première vise à renouveler la gouvernance des finances locales en créant une autorité indépendante ou en réformant en profondeur le comité des finances locales. Les six autres recommandations reprennent les améliorations évoquées pour rendre le système de financement des collectivités plus lisible et résilient, notamment clarifier la responsabilité sur les impôts locaux, simplifier le partage des impôts nationaux et mieux tenir compte de la réalité socio-économique dans la répartition des impôts nationaux.

Pour conclure, s'il fallait retenir deux choses de ce rapport, je soulignerais tout d'abord le fait que le système de financement des collectivités territoriales a montré ses limites alors que des évolutions fiscales majeures restructurent la distribution des recettes. Nous avons proposé des critères objectifs, méthodologiques et transparents, pour guider le débat qu'il vous appartient désormais de mener.

Ensuite, et c'est une des conclusions essentielles de notre rapport, ce nouveau modèle doit précisément faire l'objet d'une concertation structurée autour d'objectifs communs, pour garantir la lisibilité pour les citoyens, la prévisibilité pour les collectivités et la soutenabilité pour les finances publiques.

J'insiste sur la notion de durabilité. La construction de ce nouveau modèle doit aussi permettre de construire une trajectoire des finances locales. Comme j'ai eu l'occasion de le dire en présentant, en juillet dernier, le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, toutes les administrations doivent prendre part à la réduction du déficit et l'effort de chacun doit être posé clairement au début de chaque cycle budgétaire.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions pour cette présentation du rapport de la Cour des comptes, ce d'autant plus que plus le sujet est complexe, plus sa synthèse est difficile.

Cette audition est traditionnelle en ce qu'elle répond à une demande d'enquête que nous vous avons adressée conformément à l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Elle ne l'est pas toutefois pas complètement dans la mesure où les représentants d'associations d'élus n'y assistent pas. Nous avons décidé, après cet échange avec vous, d'ouvrir dans un deuxième temps le débat avec eux. Puis, avec Jean-François Husson et Charles Guené, mes co-rapporteurs, nous publierons un rapport sur le sujet.

Ce sujet est particulier en ce qu'il touche au financement des collectivités territoriales et non aux missions de l'État. Il s'agit - il faut le dire - d'un sujet impossible, et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous vous l'avons confié...

Tout le monde reconnaît que le système arrive à son terme et qu'on n'a fait ces dernières années que le rafistoler à coups d'amendements de dernière minute. Un autre constat largement partagé porte sur le refus global de tout changement. D'où la difficulté du débat, et mes remerciement aux équipes de la Cour qui ont bien voulu se livrer à cet exercice.

Une partie du dossier reste « classique », présentant des comparaisons internationales et un état des lieux. Toutefois, la Cour des comptes est allée plus loin en avançant des scénarios dits « polaires » et en se risquant à formuler une proposition. Celle-ci suscitera indubitablement des réactions, mais il était important de suggérer ce premier cadre de référence pour nos débats futurs, même s'il est destiné à évoluer.

Il est également nécessaire de redonner toute sa place au Parlement dans cette réflexion. En effet, celui-ci s'est trop souvent retrouvé saisi d'une proposition émanant d'une concertation directe entre l'exécutif et les associations d'élus. C'est pourtant le rôle du Parlement de se saisir de ces sujets et de formuler des interrogations. Le président du Sénat l'a d'ailleurs récemment rappelé à l'occasion de la mise en place d'une groupe de travail chargé de dresser le bilan de la décentralisation et formuler des propositions pour la renforcer, dans la cadre duquel la question financière a été clairement identifiée, notre rapporteur général ayant à ce titre été désigné corapporteur.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Je m'associe aux remerciements exprimés par le président Raynal. Ce rapport n'a pas vocation à être exclusif, mais à aborder la question de l'évolution du financement des collectivités territoriales le plus sereinement possible et dans un cadre bien déterminé. Ce financement est devenu bien compliqué au fil des ans et vous avez mentionné à juste titre la nécessité d'une plus grande lisibilité.

La présentation de trois scénarios polaires permet de donner un cadre à la discussion.

De mon point de vue, le scénario intermédiaire proposé par la Cour a quant à lui le mérite d'ouvrir et de nourrir le débat. La proposition qui est faite de concentration de la fiscalité locale sur le bloc communal serait en réalité assez modeste dans ses effets puisqu'elle se limiterait au transfert des IFER départementales et régionales, représentant 1 milliard d'euros.

Vous avez à juste titre mentionné l'opposition probable des départements à la mesure qui porte sur les DMTO : ils se verraient en effet privés de leur dernier impôt local, ce qui n'irait par ailleurs pas sans poser certaines difficultés compte tenu de l'importance de cet impôt dans leur système de péréquation.

Je partage votre souci affiché de rationaliser la fiscalité locale et de supprimer les multi-affectations tout en simplifiant le dispositif.

Les éléments du débat sont posés. À nous de nous saisir de ce rapport, car c'est là notre rôle. Dialogue, échange et partage, telles sont les valeurs cardinales pour construire un chemin. Le dialogue est à l'honneur, parfois de manière sans doute surprenante, comme par exemple avec les « dialogues de Bercy », où on ne peut manquer pas de relever une certaine contradiction dans le format choisi mais je préfère toutefois y voir un motif d'optimisme. Toute réforme qui consiste à modifier les paradigmes implique d'abandonner les postures hostiles au changement. La période est difficile pour les finances publiques. Il faudra également concilier notre réflexion avec l'effort collectif de redressement des finances publiques dont personne ne doit s'exonérer.

M. Charles Guené, rapporteur spécial. - Je fais mienne l'analyse du président Raynal : ce travail doit être transpartisan.

Je souhaite m'attarder sur certains éléments qui manquent dans ce rapport, au demeurant excellent et à la méthodologie remarquable - il devrait faire date. Les scénarios proposés sont audacieux et vont au-delà des consensus.

J'aurais toutefois aimé que le constat d'obsolescence du système actuel soit plus prononcé. Il faut développer la pédagogie sur ce sujet.

Vous avez beaucoup travaillé sur le panier de ressources des collectivités, mais au risque d'une confusion entre les dotations et la fiscalité. En effet, la fiscalité, lorsqu'elle est nationale et partagée selon des critères territorialisés définis par la loi, s'assimile à des dotations. Une telle réflexion aurait dû vous inciter à aller plus loin, en travaillant plus finement les critères de répartition de ces nouvelles ressources. Je suis en effet convaincu de la nécessité de revoir le système de la répartition des ressources en ce sens. Lorsque les ressources dépendaient principalement de la fiscalité locale, un effort de péréquation important était nécessaire pour corriger les inégalités de richesse entre les territoires. Dans un système fondé sur des ressources nationales, il est en revanche indispensable de faire reposer leur répartition sur les charges réelles supportées par les collectivités territoriales.

La définition de tels critères ne va pas sans poser de nombreuses difficultés. D'autres ont refusé l'obstacle, dont les parlementaires eux-mêmes et les associations d'élus. Faudrait-il un deuxième rapport pour creuser le sujet ?

En revanche, je salue votre recommandation, précise et concrète, de refonder la gouvernance des finances locales. La mise en place d'une nouvelle gouvernance systémique, fondée sur le dialogue entre les parties prenantes et le partage de l'information, est pour moi le corollaire indispensable du système vers lequel nous nous dirigeons, qui repose de plus en plus sur la répartition de ressources nationales.

M. Claude Raynal, président. - Encore une fois, nous n'en sommes qu'au début de la réflexion et nous aurons aussi l'occasion de débattre avec les associations d'élus ainsi qu'entre nous.

M. Michel Canévet. - À la page 42 de votre excellent rapport vous évoquez la progression des ratios d'autonomie financière entre 2003 et 2020. Mon sentiment est pourtant qu'ils ont plutôt tendance à diminuer, car le pouvoir des assemblées délibérantes s'atténue et le lien fiscal entre le citoyen et son territoire se délite.

La suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) n'a pas encore été actée. Est-ce une mesure opportune ? Est-il judicieux de la remplacer par une fraction de TVA ? Avez-vous d'autres pistes à suggérer ?

M. Thierry Cozic. - Je vous remercie d'avoir proposé ces premières pistes d'évolution. Le système est à bout de souffle, chacun en convient.

Le Gouvernement a la volonté d'entrer dans une relation transactionnelle avec les collectivités territoriales et de personnaliser les relations qu'elles entretiennent avec l'État, accélérant une forme de mise sous tutelle budgétaire. Dans le prochain projet de loi de programmation des finances publiques, il fait une distinction entre les collectivités qu'il considère comme bien gérées et celles qui ne le seraient pas, perdant à ce titre la possibilité de bénéficier des dotations d'investissement de l'État.

Certaines évolutions prévues dans les scénarios que vous présentez sont pertinentes. Toutefois, compte tenu de ce contexte que j'ai évoqué, n'y aurait-il pas un scénario alternatif plus global et innovant ? Ne faudrait-il pas engager une réflexion plus générale sur le financement des collectivités territoriales ?

Mme Isabelle Briquet. - Je m'associe aux remerciements adressés par mes collègues. Ma question porte sur la quatrième recommandation du rapport : refondre progressivement les critères de répartition des impôts nationaux partagés pour mieux tenir compte des charges des collectivités évaluées sur la base de critères socio-économiques.

Est-ce à dire qu'il faudra estimer les charges d'une collectivité territoriale pour lui attribuer le niveau de ressources dont elle aurait besoin pour les assumer ?

Cela me semble toutefois remettre en cause le principe de libre administration des collectivités territoriales en limitant leurs perspectives de développement et en figeant leurs possibilités financières. Pourriez-vous clarifier ce point ?

M. Antoine Lefèvre. - L'objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols, introduit dans la loi Climat et résilience, a pour conséquence de freiner l'implantation de zones d'activité et d'équipements publics, de sorte que le panier de recettes fiscales perçues par les communes en sera modifié et qu'il faudra revoir complètement la fiscalité locale.

Sans la CVAE et la taxe d'habitation et s'il n'y a pas de perspective de développement économique des territoires, comment faire perdurer le lien entre les collectivités territoriales et les contribuables ? Comment éviter que les collectivités ne deviennent dépendantes de l'État ? Comment leur assurer de meilleures recettes pour les accompagner dans ce schéma prévisionnel ?

M. Jean-François Rapin. - À la lecture de votre rapport, on pourrait considérer que la France est un paradis fiscal en matière de fiscalité locale. Il semble en effet que la recette fiscale locale ne soit pas à la hauteur des exigences des collectivités territoriales. Je me ferais lyncher si je disais cela dans une assemblée d'élus locaux. Toutefois, les pistes du scénario que vous proposez sont sans aucun doute associées à cette réflexion.

Concernant la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, pour avoir eu en gestion une commune du littoral pendant de nombreuses années, elle n'aura d'efficacité pour les collectivités territoriales que si on délie la fixation de son taux de celui de la taxe foncière. Il est nécessaire de redonner un peu de marges fiscales aux élus à cet égard. Je porte là la voix de nombreux élus.

La spécialisation de l'impôt semble être une grossièreté au sein du comité des finances locales, dont j'ai été membre par le passé. Pourtant cela permettrait de donner une visibilité plus forte pour nos finances publiques.

M. Didier Rambaud. - Je partage le propos de Claude Raynal quant à la complexité du débat.

Toutefois, ne le prend-on pas à l'envers ? Ne faudrait-il pas commencer par définir le type de collectivités territoriales que nous souhaitons avoir ?

Durant la campagne présidentielle, le président a fait, en matière de décentralisation, une proposition concrète, celle de la création du conseiller territorial, qui permettrait de décanter la situation. Il reste à définir son mode d'élection, au niveau départemental ou régional. La répartition de l'impôt entre les collectivités territoriales serait plus facile dans un tel contexte.

Parmi les scénarios que vous nous avez proposés, quel serait le plus efficace pour tenir la trajectoire de rétablissement des finances publiques ?

M. Stéphane Sautarel. - Je vous remercie pour les éclairages que vous nous livrez.

Les scénarios que vous suggérez pour faire face aux difficultés nous conduisent à souhaiter une réforme systémique et un nouveau modèle. Vous rappelez l'objectif de l'autonomie financière, premier principe de la libre administration des collectivités territoriales.

La territorialisation est essentielle tout comme le système de péréquation qui va de pair. La prise en compte de la réalité des charges est une autre piste à travailler, comme l'a rappelé Charles Guené.

Vous avez bien montré la relative faiblesse de la dépense publique locale dans notre pays, sur laquelle on pourrait s'interroger.

Quant au pacte de confiance, il doit être partagé et non imposé, et s'inscrire dans le respect de la libre administration de chaque collectivité territoriale. C'est un sujet essentiel dans une réforme difficile à mener, pour donner des garanties de lisibilité à nos concitoyens et aux collectivités territoriales.

M. Hervé Maurey. - À mon sens, il faut rester prudent sur la situation financière des collectivités territoriales. La catégorie est très hétérogène et recouvre une diversité de situations considérable. En ce moment, l'apparente bonne santé des collectivités territoriales sert d'argument à l'État pour ne pas faire les efforts nécessaires face à la montée de l'inflation.

Selon vous, les financements des impôts nationaux sont plus prévisibles. Pourriez-vous clarifier ce point ? Idem sur la possibilité de renforcer les dotations tout en respectant le principe d'autonomie.

Je nourris également une certaine insatisfaction quant aux critères envisagés pour répartir les impôts nationaux. J'imagine qu'il s'agit des dépenses sociales pour les départements. Qu'en est-il pour les régions et pour les communes ?

Enfin, je regrette que la question de la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le calcul reste très opaque, n'ait pas été abordée. Il est important que nous puissions également avancer sur ce sujet.

M. Christian Bilhac. - Vous avez dit vouloir cesser les rafistolages de dernière minute. Effectivement, il faut soigner le malade autrement qu'avec du sparadrap, de manière plus pérenne.

La bonne santé des collectivités territoriales est réelle si l'on considère les 4,7 milliards d'euros d'excédent réalisés en 2021.

Vous avez rappelé les principes d'équilibre du bloc communal. L'essentiel de ses ressources provient de l'impôt local. Comment concilier territorialisation de l'impôt et solidarité, sachant qu'il y a de grandes inégalités entre les communes ? La péréquation pourra-t-elle se faire par le biais de la dotation de solidarité rurale (DSR), de la dotation de solidarité urbaine (DSU) ou du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) ?

Charles Guené a mentionné la question des charges réelles. Je souhaiterais ajouter que cette notion est trop souvent confondue avec celle de charges constatées, alors que ces dernières dépendent en réalité avant tout du niveau de richesse d'une collectivité, et non pas nécessairement de ses besoins.

Même si l'impôt local reste essentiel, je regrette la disparition de l'impôt universel qu'était la taxe d'habitation. En effet, je reste convaincu que c'est l'universalité de l'impôt qui fait sa valeur.

Quant à la suppression de la CVAE, envisagera-t-on quand même une taxe sur les nuisances ? L'activité économique est souvent source de nuisances. Sans contrepartie, les élus locaux et la population tendent à la rejeter.

M. Vincent Delahaye. - Le sujet est compliqué et il faut chercher la clarté et l'efficacité plutôt que le consensus, si l'on veut avancer.

La suppression des taxes locales au cours des dernières années a eu des conséquences néfastes : elle a coupé les citoyens de la dépense et de la vie locales et a rendu les collectivités territoriales plus dépendantes de l'État.

Il faudrait réussir à inverser ces tendances. S'agissant plus spécifiquement de la dépendance vis-à-vis de l'État, je regrette, comme Hervé Maurey, que la Cour n'ait pas davantage creusé la question de la rationalisation des dotations. À force de changer les références des dotations, le système finit par devenir incompréhensible au niveau local. Êtes-vous partisan d'une réforme de ces dotations ?

M. Éric Bocquet. - J'ai toujours souligné la qualité des rapports de la Cour des comptes, malgré parfois quelques irritants. Celui-ci est particulièrement intéressant et tombe à point nommé alors que les élus s'interrogent pour savoir comment boucler l'année.

Je partage l'interrogation d'Hervé Maurey : selon vous les impôts nationaux donneraient plus de visibilité aux élus locaux. Or les collectivités ne les maîtrisent pas et ils sont sujets à variation. En quoi sont-ils le gage d'une plus grande visibilité ?

Je trouve également judicieux d'avoir fait figurer à la page 27 du rapport le tableau comparatif de six pays de l'Union européenne. La France n'est pas celui qui dépense le plus en euros par habitant pour ses collectivités. Il est bon de le rappeler pour mettre fin à la petite musique des « collectivités obèses et dispendieuses ».

Enfin, je suggère d'envoyer ce rapport au ministre des comptes publics, Gabriel Attal, pour éclairer sa réflexion. Dans une interview accordée à la presse, il disait récemment - je cite - « il faut qu'il y ait un cadre qui s'installe pour que, si jamais les collectivités et les strates ne font pas l'effort de maîtrise de la hausse de leurs dépenses de fonctionnement, il puisse y avoir une incitation. La première année, ce sera l'absence d'accès à toute dotation de l'État - dotation de soutien à l'investissement local, dotation d'équipement des territoires ruraux, fonds vert - pour les collectivités n'ayant pas respecté l'objectif au sein d'une catégorie qui ne l'a pas atteint non plus. Ensuite, si manifestement il n'y a pas de volonté de s'inscrire dans cet trajectoire alors que les autres collectivités le font, il pourrait y avoir des reprises mais je ne me place pas dans cette optique là ». Tout cela est dit dans un langage typique de « Bercy », mais constitue une forme de mise sous tutelle des collectivités territoriales.

Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je n'ai pas vu que le rapport faisait mention du FPIC. Considérez-vous qu'il faille réévaluer les clés de répartition du dispositif ? Dans mon département, 80 % des flux vont à la métropole, ce qui ne manque pas d'interroger sur la justice fiscale de cette répartition.

Vous préconisez un retour de la fiscalité de l'énergie à l'État. Cela concerne-t-il l'IFER? L'accélération des projets d'énergie non renouvelables (ENR) rend la chose difficile, notamment en cas d'absence de retour financier de ces projets, qui génèrent par ailleurs des externalités négatives pour les habitants des territoires concernés.

En matière de gouvernance, n'a-t-on pas d'autres remèdes dans notre pays que de créer de nouvelles structures, notamment une autorité administrative indépendante, sans supprimer les organismes existants ?

M. Victorin Lurel. - Je félicite notre commission d'avoir commandé ce rapport, ainsi bien sûr que la Cour des comptes pour son travail.

Le président a évoqué la situation favorable des collectivités territoriales. N'oublions pas qu'il existe des strates différentes de collectivités et des situations très diverses parmi les communes.

Je regrette que rien ne figure dans le rapport sur la Corse et l'outre-mer. Peut-être faudrait-il un rapport spécifique sur le sujet ?

Je ne comprends pas bien le premier scénario. S'agit-il de préserver un équilibre entre la territorialisation de l'impôt et la solidarité ? Pouvez-vous clarifier ce point ?

Le second scénario qui aurait la préférence de la Cour prévoit une rationalisation de la fiscalité partagée. Y a-t-il d'autres possibilités que la suppression de la CVAE, par exemple celle de la C3S comme le suggère l'Association des maires de France ? On préserverait ainsi mieux les communes.

Dans le troisième scénario, intégrez-vous la DGF ? Pourquoi limiter à 63 % de leurs dépenses la dotation d'action sociale pour les départements ? Est-ce une raison mathématique ou statistique qui justifie ce ratio ?

Enfin, sur la gouvernance, certains ont évoqué une possible loi de financement des collectivités territoriales. Vous proposez de créer une autorité indépendante ou de renforcer le comité des finances locales. Serait-il inefficace de prévoir une nouvelle loi de financement ouvrant une possibilité de dialogue entre les échelons central et local ?

M. Jean-Baptiste Blanc. - Je salue à mon tour la qualité de ce travail. Le rapport évoque le financement de la transition écologique, et, en creux, la question de la fiscalité liée à l'objectif zéro artificialisation nette (ZAN). Le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) consacré à ce sujet, que notre commission a demandé, est attendu avec impatience.

M. Bernard Delcros. - Depuis la fin de la crise sanitaire, les collectivités enregistrent un excédent de 4,7 milliards d'euros. Derrière cette moyenne se cachent toutefois des disparités très importantes. Les plus petites collectivités territoriales connaissent des difficultés, notamment pour faire face à l'inflation actuelle.

Ma question porte sur le thème de la solidarité. Vous avez indiqué que la péréquation manquait d'objectifs clairs. Selon vous, la péréquation horizontale est largement insuffisante. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Aujourd'hui, seule la TVA sert à financer les recettes de ces collectivités. Vous estimez qu'il convient de diversifier le panier de recettes des échelons départementaux et régionaux en faisant appel à plusieurs impôts nationaux - l'impôt sur les sociétés (IS) pour les départements et l'impôt sur le revenu (IR) pour les régions. Je souhaite comprendre l'intérêt de cette démarche. À titre personnel, je ne suis pas opposé par principe au partage d'impôts nationaux. Toutefois, à l'instar de plusieurs collègues, je m'interroge : pourquoi la prévisibilité d'un impôt national serait-elle meilleure que celle d'un impôt local ?

M. Marc Laménie. - Je remercie la Cour pour ce travail, ainsi que nos rapporteurs. Les communes restent l'échelon de base du bloc intercommunal. De nombreuses compétences ont toutefois été transférées aux intercommunalités.

Concernant les dotations, l'État reste le premier partenaire financier des collectivités territoriales. L'investissement des conseils départementaux, qui font face à des dépenses sociales importantes, diffère selon les territoires.

Le rapport évoque la création d'une autorité indépendante. Est-elle réellement nécessaire ?

Nous devons faire en sorte que les collectivités territoriales soient en capacité d'investir. Vous n'avez pas non plus évoqué le plan France Relance, qui a également concouru au financement des collectivités.

M. Pierre Moscovici. - J'ai écouté avec attention l'ensemble des questions, qui constituent également l'amorce d'un débat entre vous sur la base du rapport de la Cour. Certaines trouvent leur réponse dans le rapport et sur d'autres, je ne souhaiterai pas improviser, mais nous restons disponibles pour de futurs travaux.

Vous avez dit, Monsieur le Président, que c'est un sujet impossible. Il l'est ! Parce que c'est un sujet complexe, un sujet qui divise. Dès que vous envisagez de réformer l'un de ses éléments, des forces contraires se mettent immédiatement en mouvement. Ce rapport est une modeste contribution visant à éclairer votre débat.

Monsieur le rapporteur général, je souscris à votre analyse : le dialogue et les échanges sont fondamentaux. Les propositions de la Cour sur la gouvernance sont essentielles. Sur un tel sujet la méthode et le fond sont si étroitement imbriqués qu'on ne peut avancer sur l'un sans avoir progressé sur l'autre.

Plusieurs d'entre vous ont souligné que le rapport insistait sur la bonne santé financière des collectivités. Or vous estimez que cette analyse est trop générale. Cela ne fait aucun doute. La Cour publiera son rapport sur la situation financière des collectivités en 2022 à la fin du mois d'octobre. Le retour de l'inflation et la hausse du point d'indice des fonctionnaires pèsent sur les finances des collectivités. Leurs ressources fiscales sont toutefois dynamiques. En outre, le Gouvernement a adapté ses mesures de soutien dans le projet de loi de finances rectificative pour 2022.

Nul doute que le contexte de l'année 2022 sera différent de celui de 2021. Soyons attentifs au contexte macroéconomique et aux situations individuelles. L'épargne brute des collectivités atteint toutefois un niveau inédit en 2021 : 41,4 milliards d'euros en 2021, contre 39 milliards d'euros en 2019, année du précédent record. Je ne nie pas l'hétérogénéité de la situation des collectivités territoriales. Nous pouvons néanmoins être confiants quant à la situation globale, sans nier l'hétérogénéité des situations individuelles.

J'ai senti dans les propos du rapporteur général une interrogation sur la position de la Cour des comptes quant aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Pourquoi nationaliser le seul levier fiscal des conseils départementaux ? Trois raisons justifient cette orientation. Premièrement, cette ressource est très volatile et difficile à prévoir. Deuxièmement, son assiette est inégalement répartie entre les territoires. Troisièmement, elle ne confère pas un réel pouvoir de levier aux conseils départementaux : si son assiette est territorialisée, son taux est déjà quasiment uniforme. En lui affectant les DMTO, toute la fiscalité liée au foncier serait affectée au bloc communal, en cohérence avec les compétences de cet échelon. Leur répartition en fonction des critères socio-économiques des territoires réduirait les inégalités à la base et renforcerait la solidarité. Certes, une recette mal répartie, volatile et incertaine est retirée aux conseils départementaux. En échange, ceux-ci récupèreraient une imposition dynamique. La dotation d'action sociale couvrirait au moins 63 % des dépenses sociales constatées dans chaque département. Bien sûr, nous ne privilégions pas une strate de collectivité par rapport à une autre.

Bien sûr, des choses manquent dans ce rapport. Sur la refonte des critères de répartition, une mission conduite par la députée Christine Pires Beaune avait formulé plusieurs propositions qui, malheureusement, n'ont pas abouti. Notre système actuel est dépassé, voire, dans certains cas, source d'inégalités. Cette réforme est indispensable. Il convient de définir précisément les critères présidant à l'attribution de près de 30 milliards d'euros aux collectivités territoriales. De telles décisions doivent être prises par le Gouvernement et le Parlement. La Cour pourrait creuser ce sujet dans un prochain rapport, mais ce sujet découle du système de financement retenu, il ne le précède pas.

Vous m'avez interrogé sur les missions de l'autorité indépendante proposée et sur ce qui la distingue du comité des finances locales (CFL). Toute réforme du financement des collectivités exige de rétablir la confiance, qui se fonde sur des analyses objectives et un partage des informations. La création d'une autorité indépendante ne serait pas un haut conseil d'experts ni un clone de la Cour des comptes. Celle-ci devrait disposer d'une présidence indépendante. Plusieurs missions lui seraient confiées : un rôle de garant des principes de financement des collectivités locales, d'avis sur les textes financiers, ainsi que de production d'études et des analyses. À défaut de création d'une autorité administrative indépendante (AAI), le rapport préconise une réforme des missions et de la composition du CFL, en vue de renforcer son indépendance, sa représentativité, et ses moyens d'analyse.

Dans ce rapport, la Cour a travaillé à cadre de compétences inchangé. Une réflexion globale doit néanmoins s'engager sur le processus de décentralisation. C'est pourquoi j'ai souhaité que la Cour consacre son prochain rapport public annuel au bilan de la décentralisation. Je sais que le Sénat a relancé un groupe de travail consacré à cette question.

Vous m'avez interrogé sur la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Je ne sais pas ce que le Gouvernement décidera. Sa suppression progressive s'inscrit dans une volonté de réduire les impôts de production. Je n'ai pas à me prononcer sur ce choix politique. Je peux en revanche affirmer que la situation de nos finances publiques ne permet pas de poursuivre les baisses d'impôt sans contrepartie, par l'augmentation d'un autre impôt ou la baisse d'une dépense. Le pays ne peut pas se le permettre. Personne ne peut s'exonérer de sa juste part d'effort. La compensation par la TVA est sans doute la solution la plus simple. Toutefois, cet impôt est partagé à plus de 50 % avec la Sécurité sociale et les collectivités territoriales. Les marges de manoeuvre sont donc limitées.

La prévisibilité de l'impôt national n'est pas parfaite, mais elle est meilleure que celle des dotations. Les évolutions de la TVA et l'IR sont globalement stables. C'est moins le cas, j'en conviens, de l'IS. L'État préfère supprimer les impôts des autres plutôt que les siens propres. En contrepartie, il compense cette suppression par des impôts partagés.

Les dotations de péréquation sont insuffisamment sélectives. Nous ne les avons toutefois pas étudiées dans le détail.

La réattribution de la fiscalité énergétique à l'État ne concerne pas l'IFER, qui serait transféré au bloc communal.

Nous n'avons pas examiné les ressources spécifiques de l'outre-mer et de la Corse.

Les conséquences de la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) sont moins importantes, car celle-ci est très concentrée.

La Cour souscrit à l'objectif de disposer d'une vision plus globale des finances locales, constatant que le Parlement ne dispose pas de document unique synthétisant l'ensemble des moyens alloués aux collectivités. Nous avons raisonné à cadre constitutionnnel constant, ce qui ne permet pas d'envisager une loi de financement des collectivités territoriales. Nous préconisons cependant de rassembler dans une mission budgétaire unique les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales » avec les subventions des ministères, les prêts d'avance sur recettes et la fiscalité partagée. La loi organique du 28 décembre 2021 n'a pas retenu cette proposition. Toutefois, un rapport sur les finances locales sera annexé au projet de loi de finances.

J'en viens aux conséquences de la transition écologique. Dans notre scénario, nous avons proposé de transférer à l'État la fiscalité écologique aujourd'hui affectée aux collectivités, notamment la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ou la taxe sur les certificats d'immatriculation. La Cour estime que l'État doit être en mesure de mener une politique globale sur cette question primordiale.

Le conseil des prélèvements obligatoires présentera prochainement un diagnostic et des pistes de réforme sur l'objectif ZAN.

Monsieur Bocquet, je tiens à vous préciser que le ministre chargé des comptes publics recevra bien sûr ce rapport. Ses services en ont d'ores et déjà pris connaissance.

M. Christian Charpy, président de la première chambre de la Cour des comptes. - Concernant la dotation d'action sociale des départements, le taux de 63 % a été retenu afin de respecter le seuil d'autonomie financière prévu par la loi organique.

Nous considérons qu'il convient de maintenir un certain encadrement de l'évolution de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, afin d'éviter une trop grande inégalité par rapport au reste de la fiscalité locale. Mais ce sujet pourra être étudié.

Nous émettons des critiques sur la péréquation : le montant de la péréquation verticale s'élève à 8,5 milliards d'euros, essentiellement via la dotation globale de fonctionnement (DGF), et la péréquation horizontale représente un montant de 4 milliards d'euros. Nous pensons que nous pouvons faire mieux. La dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR) ne sont pas suffisamment sélectives : le nombre de bénéficiaires de ces dotations est trop important.

Je tiens à préciser l'esprit de la recommandation n° 4 du rapport. Bien sûr, nous ne remettons pas en cause la libre administration. Nous préconisons de recourir à des critères socio-économiques objectifs pour répartir ces impôts partagés le plus efficacement possible. Il appartient ensuite aux collectivités d'allouer leurs ressources comme elles l'entendent.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe au rapport d'information de MM. Charles Guené, Jean-François Husson et Claude Raynal, rapporteurs.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Contrôle budgétaire - Organisation et moyens de la douane face au trafic de stupéfiants - Communication

M. Claude Raynal, président. - Albéric de Montgolfier et Claude Nougein, rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques » vont maintenant nous présenter les conclusions de leur contrôle budgétaire sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - C'est au début de l'année 2021 que nous avons décidé, avec Albéric de Montgolfier, de mener un travail de contrôle sur l'organisation et les moyens de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) face au trafic de stupéfiants. Trois constats nous avaient conduits à faire ce choix.

Tout d'abord, l'impression que les missions de la douane sont encore trop méconnues. On a beaucoup parlé de son action depuis le Brexit ; elle joue aussi un rôle fondamental dans la lutte contre les trafics de marchandises illicites, dont les stupéfiants.

Ensuite, nous avions eu l'écho, pendant nos auditions budgétaires, d'une certaine lassitude des services douaniers face à l'ampleur de la menace. Pour reprendre une expression entendue en audition, les services ont parfois l'impression de devoir « vider la mer à la petite cuillère », avec des méthodes encore très artisanales.

Enfin, l'ampleur de la menace : le trafic de stupéfiants ne cesse de croître. Je crois que, pendant longtemps, les pouvoirs publics n'ont pas entièrement pris conscience de ce que représente le trafic de stupéfiants en matière de flux et de produits financiers.

Il va sans dire qu'il s'agit aussi d'un sujet qui touche aux politiques pénales et à celles de santé publique. En tant que rapporteurs spéciaux de la commission des finances, nous avons toutefois centré notre propos sur la douane, une administration en première ligne face au trafic de stupéfiants.

Lors de ce contrôle, nous avons entendu la quasi-totalité des acteurs douaniers et quelques acteurs du ministère de l'intérieur, avec qui la douane est amenée à coopérer. Nous nous sommes également déplacés à l'aéroport d'Orly et au port du Havre, où nous avons pu prendre connaissance du quotidien des brigades de surveillance. Les équipements dont ils disposent sont encore sommaires alors qu'ils doivent surveiller et contrôler les flux de milliers de conteneurs ou de millions de colis qui arrivent chaque jour.

Le positionnement de la douane explique le rôle aussi important qu'elle joue dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Administration de la marchandise et de la frontière, elle se situe au coeur de la surveillance de l'ensemble des vecteurs d'entrée des produits sur le territoire. La frontière est aujourd'hui multidimensionnelle : elle est terrestre, maritime, numérique, aérienne, nationale et européenne. Elle voit transiter des flux de marchandises, de personnes, mais aussi de données. C'est sur l'ensemble de ces vecteurs que la douane doit déployer sa « stratégie du bouclier » pour servir de « premier rideau » et empêcher une partie des produits stupéfiants de pénétrer le territoire national. Pour y parvenir, elle utilise ses prérogatives spécifiques, telles que la saisie, la fouille ou l'interception de marchandises.

Cette stratégie semble pour partie porter ses fruits. La douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants en 2021, soit 32 % de plus qu'en 2020, année marquée par les confinements et les restrictions de déplacement. C'est aussi près de 15 % de plus qu'en 2019, ce qui illustre le dynamisme du trafic. Les produits les plus saisis sont le cannabis, le khat et la cocaïne.

Pourtant, il est difficile de savoir si les saisies de la douane augmentent parce que ses services sont de plus en plus efficaces ou parce que les flux augmentent. Toutes les personnes que nous avons interrogées nous ont répondu que la vérité se situait sans doute entre les deux.

Les services douaniers sont à l'origine de la grande majorité des saisies de stupéfiants sur le territoire national. La douane a ainsi réalisé 67 % des saisies de cannabis en 2021, 70 % des saisies de cocaïne, 80 % des saisies d'amphétamines et 74 % des saisies d'ecstasy. Cette prépondérance s'explique une nouvelle fois par son positionnement au coeur des flux de trafic, tandis que la police et la gendarmerie interviennent davantage sur les enquêtes et auprès des consommateurs.

La douane participe ainsi pleinement au plan interministériel de lutte contre le trafic de stupéfiants, qui comprend 55 mesures. Elle en pilote trois, dédiées notamment à la lutte contre le trafic par voie maritime, par voie terrestre et par fret express et postal. Elle joue également un rôle crucial dans l'interception des passeurs de drogue par voie aérienne, et notamment dans la lutte contre le phénomène dit des mules, ces passeurs de cocaïne en provenance de Guyane. Ils transportent la drogue dans leurs bagages, à corps ou in corpore, c'est-à-dire après l'ingestion des produits illicites.

Nous avons pu observer à Orly une inspection approfondie d'un vol en provenance de Cayenne, avec un contrôle systématique des bagages et le ciblage de certains passagers. Les douaniers avaient à cette occasion saisi deux kilos de cocaïne transportés assez simplement dans deux enveloppes placées dans un sac à dos.

Les services douaniers nous indiquent qu'ils sont aujourd'hui dans l'incapacité de lutter contre le phénomène des passeurs, alors que les organisations criminelles saturent les vols : ils acceptent de sacrifier les premiers pris, en sachant très bien que les services douaniers ne pourront pas arrêter tout le monde. S'ils agissaient ainsi, cela provoquerait d'importants retards et surtout une embolie de toute la chaîne administrative et judiciaire.

Pour remédier à ces difficultés et au regard des frictions que nous avons pu constater, nous formulons deux propositions.

Première proposition : nous estimons primordial d'installer, à proximité des aéroports d'Orly et de Cayenne - voire à l'intérieur même des aéroports - des unités médicalisées permettant de traiter les personnes ayant ingéré de la drogue. En cas de suspicion, les personnes interceptées doivent aujourd'hui être transportées depuis Orly ou Roissy vers l'Hôtel-Dieu. Elles peuvent alors soit donner leur accord pour une échographie soit être placées en observation. Pour une personne interceptée, ce sont trois à quatre douaniers bloqués pendant une demi-journée. À titre de comparaison, à Amsterdam, faire passer une échographie prend une demi-heure, des équipements ayant été installés dans l'enceinte de l'aéroport. À court terme, le ministère de la santé doit proposer des solutions pour que des hôpitaux plus proches des aéroports soient utilisés.

Deuxième proposition : il faut revoir les modalités de répartition des transferts et des remises judiciaires des personnes retenues par la douane. En cas de transport de plus de deux kilogrammes de stupéfiants, les personnes doivent être remises à l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Or l'antenne supposée être en place à Orly relève davantage d'une structure fantôme. Les officiers de l'Ofast n'acceptent plus de remise après 17 ou 18 heures et ne sont même plus présents pour les vols du soir ! Par conséquent, il revient aux douaniers de mobiliser des effectifs pour surveiller les personnes retenues, alors qu'ils ne disposent que de six cellules à Orly. De nouvelles infrastructures doivent être créées si nous voulons contrôler la totalité des passagers d'un vol, à l'image de l'action menée aux Pays-Bas depuis plusieurs années.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Si nous nous sommes intéressés à l'ensemble des produits stupéfiants, force est de constater que les flux de cocaïne inquiètent tout particulièrement. Cette déferlante blanche touche particulièrement les pays d'Europe du Nord, notamment la Belgique et les Pays-Bas, décrits dans un récent rapport d'Europol comme les points d'entrée de la cocaïne en Europe.

Nous avons identifié plusieurs axes d'action en vue d'accroître l'efficacité de la douane.

L'un des principaux points d'amélioration, si ce n'est le plus important, réside en l'acquisition de moyens plus modernes. La douane ne dispose que d'un seul scanner fixe pour les conteneurs transitant par le port du Havre : seule une infime partie des camions en transit sont inspectés. Il convient en parallèle d'achever la sécurisation des ports. La vidéosurveillance est quasiment inexistante pour des raisons sociales - les personnels n'en veulent pas.

La douane ne dispose en complément du scanner fixe du Havre que de trois scanners mobiles, qui doivent couvrir à la fois les ports et les grands axes routiers. C'est le seul moyen efficace et rapide pour contrôler un poids lourd de 44 tonnes.

Les aéroports d'Orly, de Roissy et de Cayenne ne disposent pas des équipements nécessaires pour scanner systématiquement tous les bagages. La direction régionale des douanes de Guyane a dû batailler pour obtenir des scanners à ondes millimétriques pour les passagers. Ces matériels avaient bien été acquis, mais la direction générale de l'aviation civile (DGAC) n'a donné son autorisation pour les utiliser afin de repérer la drogue à corps qu'après de longs mois. Pendant longtemps, ces équipements sont restés inutilisés.

De même, alors que le fret postal et express est de plus en plus utilisé par les trafiquants, les scanners en service sont peu performants et ne permettent par exemple pas de disposer d'une image en 3D. À Orly, nous avons assisté au contrôle des colis et des bagages non accompagnés : la procédure demeure très artisanale, avec beaucoup de « faux positifs », du fait d'une qualité d'image loin d'être optimale. Ce travail ingrat suscite le découragement des personnels. Il entraîne également une perte de temps pour les brigades. Au seul centre de tri d'Orly, ce sont près de 74 tonnes de fret qui arrivent chaque année. Nous savons que le fret express et postal est un vecteur privilégié de la fraude fiscale et du transport de marchandises illicites. Les douaniers nous ont même expliqué que de plus en plus d'organisations situées en Belgique et aux Pays-Bas se rendaient en France pour envoyer des colis contenant de la drogue, en profitant de notre réseau postal.

En résumé, la douane manque d'équipements performants. Améliorer le ciblage des colis et des bagages est évidemment crucial, mais pas suffisant. La douane construit ainsi une banque de données des images de colis « positifs », afin que soient ensuite développés des algorithmes capables de reconnaître des formes similaires lors des passages au scanner - encore faut-il disposer des équipements pour.

Je précise que, pour nos recommandations, nous avons souhaité nous inscrire dans le contrat d'objectifs et de moyens de la douane pour la période 2022-2025 et donc tenir compte d'un contexte de dépenses publiques contraint.

Le contrat d'objectifs et de moyens de la douane vise à stabiliser le schéma d'emploi et à diminuer légèrement les crédits. Nous avons toutefois relevé un effort supplémentaire de 148 millions d'euros en vue de l'acquisition de nouveaux équipements ou de la modernisation des systèmes d'information. Nos propositions concernant la réorganisation des effectifs et l'acquisition d'équipements se placent dans cette trajectoire. La douane bénéficie par ailleurs de crédits du fonds pour la transformation de l'action publique et de cofinancements de fonds européens.

Concernant les effectifs, nous savons que la dématérialisation croissante des procédures douanières ainsi que la poursuite du transfert des missions fiscales de la DGDDI à la direction générale des finances publiques (DGFiP) devraient se traduire par la suppression d'équivalents temps plein (ETP). Ces emplois doivent être réorientés vers la branche « surveillance », vers les brigades en charge du fret express et postal ainsi que vers les directions spécialisées.

Concernant les crédits, nous souhaitons que les crédits non consommés soient reportés d'une année sur l'autre et affectés exclusivement à l'acquisition d'équipements récents et à la modernisation des systèmes d'information. Nous estimons également qu'il existe des marges d'amélioration quant à l'efficacité de la dépense. Les ventes de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) sont en forte augmentation. Une partie de ses recettes pourrait être affectée à l'achat de nouveaux matériels, c'est en tout cas une réflexion qui pourrait être menée.

Nous proposons également une rationalisation des emprises immobilières de la douane et la simplification de sa politique de logement. La DGDDI dispose encore d'un parc immobilier de logement. Celui-ci est désormais peu adapté aux besoins des agents. Il est souvent vétuste et les taux de vacances sont jusqu'à trois fois plus élevés que dans le secteur du logement social locatif.

Un autre exemple de rationalisation de la dépense concerne l'acquisition des moyens aéromaritimes par la douane, tels que les vedettes, les hélicoptères ou les navires. Ces moyens sont absolument essentiels, notamment dans les Antilles : ils permettent de repérer des mouvements suspects en mer, de procéder à des saisies en haute mer et de lutter contre le troc consistant à échanger de la résine de cannabis contre de la cocaïne. Pourtant, l'acquisition de ces moyens n'a pas toujours été optimale : des retards de livraison, des dysfonctionnements ou des malfaçons ont souvent été constatés. La douane devrait donc davantage recourir à la mutualisation, en particulier avec les ministères des armées et de l'intérieur. Si celle-ci est impossible en raison de besoins et de champs d'action trop différents, la douane peut au moins bénéficier de l'expertise de ces ministères et mutualiser la formation ou l'entretien des appareils.

Nous ne sommes pas sûrs que le choix de recourir à la location soit le plus judicieux pour les hélicoptères de la douane : les appareils ne seront pas considérés comme des aéronefs d'État et seront donc soumis aux règles de l'aviation civile, ce qui pose plusieurs difficultés opérationnelles. Certes, il faut agir en urgence, puisque certains appareils sont parfois âgés de plus de 30 ans, mais en retenant la solution la plus efficace. Là encore, il s'agit d'un défaut d'anticipation dans le renouvellement des équipements opérationnels.

Il est enfin difficile d'évaluer l'action de la douane en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants : nous ne savons pas combien d'effectifs sont dédiés, à titre principal ou exclusif, à cette mission. Nous connaissons seulement le nombre d'agents rattachés à la DGDDI - environ 16 000 personnes -, avec des compétences spécialisées et une répartition par branche, entre la surveillance et les opérations commerciales. Le même problème se pose pour les crédits.

J'en viens à une autre difficulté dans l'évaluation du rôle de la douane : eu égard au caractère illicite des marchandises, nous ne pouvons pas savoir quel est le ratio d'efficacité des services douaniers. Nous savons juste, selon plusieurs observateurs, que la demande de produits stupéfiants est en hausse sur le marché européen et que les réseaux sont de plus en plus compétitifs et efficaces pour trouver des points d'entrée en Europe. La cocaïne fait des ravages dans tous les milieux sociaux et dans toutes les régions de France. La hausse des saisies traduit-elle une augmentation de la consommation ou une plus grande efficacité des douanes ? La réponse se situe sans doute un peu entre les deux. Nous recommandons donc que la douane produise des analyses d'efficience. Celles-ci recenseraient les quantités saisies par rapport aux coûts de toute nature encourus par la DGDDI pour accomplir cette mission. Elles nous permettraient aussi de mieux apprécier le rôle de la douane dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Les douaniers sont découragés : ils assurent le meilleur travail possible, en faisant preuve de la meilleure volonté possible, mais avec des moyens inadaptés. En saturant les voies aériennes et maritimes, les trafiquants l'ont bien compris.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avons l'impression que les douaniers courent après la délinquance. Certes, des moyens supplémentaires seraient utiles, mais il est également nécessaire de renforcer la coopération opérationnelle entre les différents services de l'État. La Douane n'est pas la seule administration de l'État impliquée dans les plans interministériels de lutte contre le trafic de stupéfiants.

M. Marc Laménie. - Élu d'un département frontalier, je constate que le rôle de la douane est méconnu. Elle joue pourtant un rôle très important dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Ses moyens sont insuffisants. Quelles sont les pistes que vous envisagez en matière de réorganisation des effectifs ?

M. Rémi Féraud. - Votre rapport montre que la guerre contre la drogue reste un slogan et que les trafiquants ont une longueur d'avance. Vos propositions permettraient de gagner en efficacité dans ce combat.

J'estime que l'État fait montre de fatalisme en Guyane. Pourtant, le crime organisé fait peser des menaces importantes sur notre pays. Des magistrats nantais luttant contre ces trafics ont dû être placés sous protection policière.

Vous soulignez qu'il est difficile d'évaluer l'efficacité de la douane par rapport à ses coûts. Je pense que les recettes issues de ses missions pourraient être bien plus importantes.

La dépénalisation du cannabis permettrait-elle de concentrer l'action de la douane dans la lutte contre le trafic de cocaïne ?

M. Georges Patient. - La Guyane a d'abord été considérée comme le pays du bagne ; elle est devenue aujourd'hui le pays de la cocaïne. Elle ne produit pourtant pas un gramme de cocaïne, mais elle est devenue un point de passage privilégié du trafic. Toutefois, l'État n'a pas pris les mesures nécessaires pour le limiter, contrairement au Surinam : les moyens sont insuffisants à l'aéroport de Cayenne. Le transport de drogue est une activité facile et lucrative, puisqu'un seul passage peut rapporter entre 5 000 et 10 000 euros. Environ 30 % des femmes détenues à la maison d'arrêt de Fresnes seraient d'origine guyanaise.

Je regrette de ne pas avoir disposé de vos recommandations avant le déplacement de Gabriel Attal en Guyane, qui a eu lieu récemment. J'espère que l'arrivée d'un nouveau scanner bagages à l'aéroport de Cayenne ne restera pas une vaine promesse.

Mme Sylvie Vermeillet. - À l'occasion des travaux de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, à laquelle j'ai participé, nous avions organisé un déplacement au parquet national financier. Depuis sa création, ce dernier a permis à l'État de récupérer 11 milliards d'euros. Serait-il possible de disposer des mêmes informations concernant les saisies effectuées par les services des douanes ? Certes, les médias évoquent les prises d'ampleur, mais nous ne disposons pas de bilan annuel.

Selon vous, un pays se distingue-t-il par la qualité des moyens affectés à la lutte contre le trafic de drogue ?

M. Jérôme Bascher. - Je suis surpris par les informations que viennent de nous communiquer nos rapporteurs et Georges Patient. Comme le dirait le Président de la République, j'ai l'impression que nous sommes cul par-dessus tête ! Il est incroyable de constater que des équipements neufs ne sont pas utilisés faute d'autorisation. Il en va de même pour les hélicoptères loués qui ne sont pas autorisés à voler en permanence...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Ils peuvent voler, mais uniquement dans certaines conditions, à certaines heures...

M. Jérôme Bascher. - Bercy préfère la location. Ne s'agit-il pas d'un moyen de réaliser des économies de bouts de chandelle ?

M. Victorin Lurel. - J'accueille avec faveur ce rapport.

Voilà une dizaine d'années, je m'étonnais déjà, en tant que président de région, de l'absence de scanner à l'aéroport de Pointe-à-Pitre et du manque de surveillance au port. Or nous recevions des régimes de bananes venant de Colombie. Dix ans après, rien n'a changé ! En plus, les effectifs de la douane diminuent. Cette prétendue « rationalisation » nous prive des moyens de notre politique.

On dessaisit la douane de compétences qu'elle exerçait depuis longtemps. La Poste commence à exercer des missions autrefois dévolues à la douane. Elle prélève par exemple des taxes sur de petits colis, avec des tarifs que nul ne comprend, qui sont payées en liquide, parfois sans reçu...

Le rapport préconise non pas une hausse des moyens, mais une amélioration des mesures de gestion et un plan d'économie : le postulat est que la douane disposerait de suffisamment de moyens et qu'il suffirait de mieux les utiliser. Je suis sceptique. Il faut donner à la douane les moyens d'assurer ses missions.

M. Claude Raynal, président. - On ne peut pas reprocher à nos rapporteurs de manquer de cohérence : ils souhaitent une baisse de la dépense publique et ils proposent des pistes. On peut en revanche ne pas être d'accord.

M. Jean-Marie Mizzon. - Quelle serait la situation si la lutte contre la drogue n'était pas une priorité ? On peut s'interroger.

Je regrette que le Gouvernement n'ait pas utilisé le plan de relance pour acheter des scanners. La drogue participe aux désordres que l'on connaît dans les banlieues. Si l'on a une ambition pour la jeunesse, on doit faire preuve d'ambition dans la lutte contre le trafic de drogue.

M. Claude Raynal, président. - Je ne sais pas si c'est dans les banlieues que l'on consomme le plus de cocaïne. Celle-ci est plutôt développée dans les beaux quartiers.

M. Victorin Lurel. - Le procureur de la République de Cayenne a instauré une politique pénale expérimentale consistant à classer sans suite les affaires dans lesquelles la mule interpellée est porteuse de moins d'1,5 kilogramme de cocaïne. Il s'agirait aussi d'améliorer la chaîne pénale.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. - Si l'on a pu connaître des guerres entre services de police, une vision plus interministérielle se développe avec l'Ofast, mais certains problèmes demeurent et on a parfois l'impression que les services travaillent chacun dans leur coin. Des améliorations restent possibles.

En ce qui concerne les effectifs, certains postes doivent être supprimés, car les missions des douanes évoluent. Le recouvrement de certains impôts et de certaines taxes est transféré à la DGFiP. Mieux vaudrait conserver ces postes et les réaffecter.

M. Féraud a raison, il faudrait changer de logiciel. Certes, les saisies de drogue augmentent, mais c'est aussi le signe que le trafic augmente. Une piste serait de faciliter les saisies des avoirs financiers criminels. Les magistrats n'ont pas toujours ce réflexe, en dépit du travail de l'Agrasc.

Nous nous sommes intéressés à la cocaïne. Le cannabis fait l'objet d'une approche différenciée en Europe. Le crack pose des problèmes de santé publique majeurs, car ses effets sur les consommateurs sont dévastateurs. Certes on peut gagner facilement plusieurs milliers d'euros en transportant du crack, mais, au-delà des peines encourues, on met sa vie en danger avec le risque d'ingérer des boulettes de drogue. Les trafiquants embauchent maintenant des mineurs comme mules.

Les Pays-Bas ne sont pas plus liberticides que la France, mais ils ont trouvé les solutions juridiques et techniques qui leur permettent de pratiquer des contrôles systématiques au départ, alors que l'on n'y parvient pas en France. Pourtant, il n'est pas besoin de médecin pour réaliser une radiographie, mais simplement d'un assistant médical. Si on pouvait pratiquer des contrôles systématiques au départ, les difficultés seraient aplanies. Elles sont d'ordre divers - manque de coopération de l'agence régionale de santé, absence d'unité médicale à l'aéroport, aéronefs qui ne peuvent pas pleinement être utilisés... - mais l'on peut se poser la question, au-delà de l'affichage, de la volonté réelle de les résoudre.

Nous l'avons dit, la location d'aéronefs ne nous semble pas être forcément la voie à privilégier, car elle induit des conséquences particulières pour l'utilisation des appareils. Peut-être que les douanes gagneraient à mutualiser certains moyens pour la formation des pilotes ou la maintenance.

Quant au plan de relance, le ministère de l'intérieur a réussi à y intégrer ses dépenses pour acquérir de nouveaux véhicules de police, alors que le ministère en charge des douanes a échoué à y faire figurer ses dépenses pour des aéronefs.

Le métier de douanier est sans doute décourageant dans certains de ses aspects.

M. Claude Nougein, rapporteur spécial. - Je ne crois pas que l'augmentation des effectifs puisse résoudre quoi que ce soit. Il faut surtout des moyens techniques. Nous l'avons constaté en nous rendant dans les aéroports, que des fonctionnaires de qualité, mais pas forcément plus nombreux, suffisent à assurer un service public efficace.

La coopération avec les autres ministères existe. Toutefois, si l'on ne peut pas faire d'échographie sur place à Cayenne ou ailleurs, c'est par manque d'une unité médicale et de personnel médical. Il faudrait donc que le ministère de la santé accepte de fournir un radiologue, à Orly, ce qui éviterait d'avoir à emmener les personnes suspectées jusqu'à l'Hôtel-Dieu, à Paris. Le problème est d'organisation plus que d'effectifs.

Pour ce qui est du rapport entre le coût et le gain, en 2021, la douane a saisi 115 tonnes de produits stupéfiants, pour une valeur calculée sur une base théorique, et non à partir du prix de production ou d'achat, de plus d'un milliard d'euros.

Autoriser le cannabis ne réglera pas le problème, car le trafic se reportera sur la cocaïne. Si on libère les drogues douces, d'autres arriveront sur le marché, qui seront de plus en plus dures. Le cannabis est par ailleurs utilisé dans le cadre de troc « résine contre cocaïne » dans les Antilles par exemple. Le risque est donc aussi d'alimenter ces échanges.

La Douane a changé d'avis sur l'acquisition et la location des hélicoptères, pour choisir à court terme la deuxième option. L'un des arguments évoqués est celui du coût de l'entretien. Il faudrait que les douanes mutualisent ces coûts avec les services des ministères des armées et de l'intérieur.

Plus récemment, la Douane a vu être remis en cause son droit de « visite » des marchandises, des moyens de transport et des personnes, les dispositions ayant été jugées non conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Des douaniers avaient saisi 47 000 euros d'argent liquide au péage de Vierzon, dans une voiture, mais la justice a estimé qu'ils n'avaient pas le droit d'intervenir. Il faut donc modifier la loi pour résoudre ce problème.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur spécial. - Il faudrait également envisager de confier à l'Agrasc les saisies douanières, y compris celles d'avoirs et d'argent liquides, à la suite d'un contrôle opéré dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants. Il conviendrait aussi d'affecter une partie des produits saisis au financement d'investissements ou d'équipements de la douane.

La quantité d'avoirs saisis augmente, mais les Douanes n'en reçoivent qu'une infime partie. Ce serait là une solution pour financer les équipements.

M. Claude Raynal, président. - Il s'agit de la recommandation n° 12 que vous ajoutez donc à la liste de vos recommandations.

M. Victorin Lurel. - Je suis d'accord en ce qui concerne les effectifs, même si nous n'avons pas évalué le transfert qui se ferait en dessaisissant la douane de ses anciennes compétences. En revanche, il faut absolument dégager des moyens pour les équipements et cette recommandation y contribuera.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie.

La commission adopte les recommandations des rapporteurs spéciaux et autorise la publication de leur communication sous la forme d'un rapport d'information.

La réunion est close à 12 h 50.