Mercredi 23 novembre 2022

- Présidence de M. Christian Cambon, président -

La réunion est ouverte à 10 h 00.

M. Christian Cambon, président. - En préambule de notre réunion, je félicite notre collègue Mme Garriaud-Maylam, qui, le week-end dernier à Madrid, a été élue présidente de l'assemblée parlementaire de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (Otan). La France n'avait pas exercé ces responsabilités depuis vingt ans !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je tiens à souligner la solidarité et la loyauté de nos collègues et en particulier du président Cambon et de Gilbert Roger.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » - Programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons aujourd'hui quatre rapports concernant la mission « Défense ». Nous commençons par le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense ».

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - En 2023, les crédits du programme 144 atteindront près de 2 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de plus de 7 % par rapport à 2022. En matière d'innovation, pour la deuxième année consécutive, l'enveloppe consacrée aux études en amont atteindra 1 milliard d'euros, ce qui est conforme aux engagements pris ; nous en prenons acte.

Ces crédits importants permettront notamment le financement des études relatives au Main Ground Combat System (MGCS) - le char remplaçant du Leclerc - et au système de combat aérien du futur (Scaf), ainsi que la poursuite des études sur des thématiques telles que la lutte anti-drones, l'hyper-vélocité, le quantique et l'énergie.

Si les priorités retenues par le ministère et les moyens inscrits dans le projet de loi de finances (PLF) nous semblent aller dans le bon sens, nous constatons cependant que l'Agence de l'innovation de défense (AID) n'a plus de directeur de plein exercice depuis près de six mois. Le message envoyé n'est pas le bon, alors que le rôle de cette agence est absolument fondamental.

Concernant le Scaf, nous regrettons que le Gouvernement ne soit pas plus transparent. L'accord sur le démarrage de la phase 1B annoncée par le gouvernement allemand nous semble bienvenu, mais mérite d'être suivi avec vigilance.

Au-delà de la question des moyens consacrés à l'innovation, plusieurs défis doivent être relevés par l'AID et la direction générale de l'armement (DGA). Le premier défi concerne l'accélération de la montée en maturité des technologies. Au-delà des initiatives déjà prises par l'AID en la matière et qui commencent à porter leurs fruits, nous proposons que le rôle crucial des démonstrateurs soit renforcé avec la réalisation d'un prototype ou démonstrateur à un stade assez précoce, afin de permettre aux opérationnels de confirmer le cas d'usage et de proposer les incréments nécessaires.

Par ailleurs, les personnes entendues ont insisté sur la nécessité de retrouver de la masse et de prendre en compte cette exigence dès le stade des études en amont, par exemple en envisageant deux versions d'une même technologie ; une première version de haute technologie, permettant l'entrée en premier, et une seconde version, moins sophistiquée, mais produite en plus grande quantité, permettant un volume d'attrition plus important et, le cas échéant, une exportation plus aisée.

J'en viens à la question du financement de la base industrielle et technologique de défense (BITD), à laquelle nous attachons une attention particulière. Le passage à une économie de guerre nous semble nécessiter, aujourd'hui plus encore qu'hier, de garantir l'accès aux sources de financement des entreprises du secteur de la défense. Les discours tenus autour de cette question sont contradictoires. Les entreprises nous font part de difficultés d'accès au financement ; les banques, quant à elles, considèrent qu'il n'y a pas de sujet ; et les administrations, selon qu'il s'agisse de Bercy ou de la DGA, sont divisées.

À l'issue des auditions réalisées, nous considérons qu'il existe bien des cas de refus de financement, du fait de l'appartenance au secteur de la défense. Par ailleurs, les projets de taxonomie ou encore la montée en puissance des normes environnementales, sociales ou de gouvernance constituent autant de risques pour nos entreprises. Nos alertes répétées ont permis de sensibiliser jusqu'au sommet de l'État sur cette problématique, ce dont nous nous félicitons. Pour autant, nous formulons plusieurs recommandations dans le rapport afin de lever les blocages rencontrés par les entreprises de la défense, en particulier la mise en place rapide de « référents défense », sortes de médiateurs, au sein des banques.

Sous bénéfice de ces observations et de celles qui vont vous être présentées par Yannick Vaugrenard, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 144.

M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Je fais la même observation que Pascal Allizard sur la concordance globale des crédits du programme 144 avec la ligne tracée par la loi de programmation militaire (LPM) ; c'est vrai en ce qui concerne l'innovation et les études amont. Sur ce sujet, et sous réserve que soit confirmée l'évolution favorable du dossier sur le Scaf, les problèmes à résoudre en priorité sont d'ordre extrabudgétaire ; je pense au financement de la BITD, ainsi qu'à la souveraineté industrielle, le vrai sujet de l'économie de guerre. Dans mon département de Loire-Atlantique par exemple, la préparation de la construction du futur porte-avion de nouvelle génération et la mobilisation de tout l'écosystème autour des chantiers de l'Atlantique à Saint-Nazaire commencent dès aujourd'hui, alors que la livraison n'est prévue qu'en 2038.

Au sujet du renseignement intéressant la sécurité de la France, l'année 2023 correspondra, pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD), à une montée en puissance de projets structurants dans la cyberdéfense et la modernisation immobilière de leurs sièges respectifs. Je rappelle que la DGSE va engager une opération de grande ampleur de déménagement à Vincennes afin de regrouper plus de 6 000 postes de travail, dont la direction technique. Depuis le 1er novembre dernier, elle conduit une importante réforme de son organisation, avec la fusion des fonctions de recherche et d'opération au sein d'une même direction, ainsi que le maintien de la direction technique dans son périmètre de compétence.

La DRSD conduit également une vaste reconfiguration de son siège au fort de Vanves afin de construire et de regrouper dans un nouveau bâtiment ses systèmes d'information du renseignement de contre-ingérence de la défense (Sircid), de traitement de big data et d'automatisation du traitement des demandes d'enquêtes administratives.

Dans ce contexte de transformation, la hausse des CP portera le budget global - celui, cumulé, de la DGSE et de la DRSD, hors les dépenses de personnels - à 476,8 millions d'euros, soit 16,5 % de plus par rapport à 2022.

Cependant, trois sujets posent question et devront être surveillés tout au long de l'exécution de ce budget 2023. Il y a d'abord la question du recrutement. La priorité donnée à l'embauche de cybercombattants continue de se heurter aux réalités du marché civil de l'emploi, mais aussi au déficit de sous-officiers s'agissant de la voie militaire. On note une plus grande communication auprès du grand public et aussi un soutien à certains organismes de formation ; c'est une politique novatrice qu'il convient d'encourager.

Autre sujet à surveiller en 2023 : la question du chiffrage de l'impact budgétaire de la guerre en Ukraine. Nécessairement, et sans entrer dans le détail, la DGSE comme la DRSD opèrent un redéploiement opérationnel sur le flanc Est de l'Otan. Le rôle de la DRSD est précisément de sécuriser les éléments français de l'opération Aigle en Roumanie. Je rappelle que 350 soldats français sont actuellement sur le terrain en Roumanie et que, dans les prochaines semaines, seront livrés une douzaine de véhicules blindés et une douzaine de chars Leclerc.

Enfin, nos services vont devoir, dès 2023, s'investir dans le champ de la guerre informationnelle et de l'influence, afin de mettre en oeuvre ce que le Président de la République a désigné comme une nouvelle « fonction stratégique » lors de son discours du 9 novembre dernier à Toulon.

Avec la guerre en Ukraine, il s'agit bien là de nouvelles priorités qui n'étaient pas prévues dans la LPM actuelle et qu'il faudra prendre en compte dans la future LPM sur la période 2024-2030. En conséquence, sous bénéfice des observations précédemment formulées, je propose un avis favorable sur les crédits du programme 144.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » - Programme 146 « Équipement des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ».

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Les crédits du programme 146 s'élèvent à 15,4 milliards d'euros pour 2023 ; ils augmentent de 6 %, ce qui représente 900 millions d'euros de crédits supplémentaires. Ce budget est conforme à la loi de programmation militaire (LPM). Les crédits des programmes à effets majeurs et ceux de la dissuasion augmentent de 6 %. Un effort particulier est réalisé sur les infrastructures, avec une hausse de 35 % pour l'accueil des programmes Scorpion, MRTT et Rafale qui vont monter en puissance.

Il apparaît désormais que la LPM, en raison du nouveau contexte économique et géostratégique, est insuffisante. Concernant le contexte économique, la crise du covid puis celle en Ukraine ont été absorbées à LPM constante. L'effet de l'inflation sur le programme 146 est évalué à 460 millions d'euros en 2023. Cet effet doit être couvert par des retards exogènes sur certains programmes et par le mécanisme du report de charge, dont je rappelle qu'il est, pour une large part, un tour de passe-passe afin de boucler le budget. On assiste au retour de la « bosse budgétaire », au détriment des créanciers du ministère. C'est pourquoi la prochaine LPM devra prévoir un mécanisme d'indexation pour pallier les effets de l'inflation.

La dégradation du contexte géostratégique entraîne, par ailleurs, des surcoûts très élevés : 600 millions d'euros pour le renforcement du flanc oriental de l'Otan ; et 400 millions d'euros pour les opérations extérieures (Opex) de la France et les missions intérieures (Missint) - ce qui porte le budget, en cumulé, à 2,2 milliards d'euros. Ces surcoûts sont financés par des ouvertures nettes de crédits qui n'en couvrent toutefois pas la totalité. Un reliquat de l'ordre de 400 millions d'euros reste à la charge du ministère.

La provision des Opex prévue dans la LPM n'est désormais plus adaptée ; elle devra être revue, aussi bien dans son format que dans son montant.

Dans le cadre du programme 146, 200 millions d'euros sont ouverts pour le fonds spécial de soutien à l'Ukraine et 29 millions d'euros pour l'acquisition de munitions par la direction générale de l'armement (DGA) ; mais 321 millions d'euros sont, par ailleurs, annulés sur des crédits mis en réserve. Au sujet des munitions, des industriels auditionnés nous ont informés qu'il n'y avait encore eu aucune commande.

M. Christian Cambon, président. - Il faudra poser la question au Délégué général pour l'armement qui sera auditionné la semaine prochaine.

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Nous n'y manquerons pas...

La guerre en Ukraine impose une LPM de renouveau. Nous aurons déjà au moins un an de retard lorsqu'elle sera promulguée, alors que nombre de nos partenaires ont annoncé un effort conséquent dès l'après-24 février. Notre modèle d'armée reste structuré autour de la dissuasion nucléaire et de forces expéditionnaires. Ce modèle doit être complété pour tenir compte de la possibilité, désormais avérée, d'une guerre de haute intensité en Europe.

D'éventuels arbitrages défavorables sur de grands programmes, dont la presse se fait écho, remettraient sérieusement en cause l'ambition affichée d'une « économie de guerre ». Je vous donne un exemple : l'an dernier, dans le cadre d'une mission à Madrid, nous avions évoqué avec les Espagnols le projet de modernisation du Tigre 3, afin de pallier les carences allemandes sur ce sujet ; si les assertions de la presse se révèlent exactes et que le Tigre 3 est effectivement abandonné par la France pour des raisons budgétaires, nous aurons bonne mine d'avoir sollicité les Espagnols.

Alors qu'on s'attendrait à une accélération, on n'entend en effet parler que de recherche d'économies, ce qui est pour le moins paradoxal. Il est d'ores et déjà acquis que plusieurs capacités n'atteindront pas le jalon 2025 fixé par la LPM : le format Rafale air, en raison de l'export croate ; les frégates de défense et d'intervention, en raison de l'export grec ; ou encore l'Eurodrone - annoncé aujourd'hui pour 2030, alors que sa livraison était prévue pour 2025 -, le système de drones tactiques et les véhicules blindés légers régénérés.

Un effort particulier doit, en outre, être rapidement entrepris sur nos lacunes qui sont connues : dans le domaine des camions de transport, des moyens de déminage et de franchissement, en matière de défenses sol-air, de suppression des défenses aériennes adverses et, bien sûr, concernant les drones, domaine dans lequel nous accusons un retard considérable.

Des acquisitions sur étagère se révèleront probablement inéluctables ; encore faut-il bien en examiner les conséquences sur notre souveraineté.

Dans un désordre qui en dit long, un accord entre industriels est annoncé concernant le Scaf. Au-delà des effets d'annonces, le Gouvernement doit donner des garanties sur la préservation d'un certain nombre d'intérêts stratégiques de la France. L'amendement adopté par la commission des finances sera l'occasion de le rappeler. Les besoins de nos armées devront être pris en compte - dissuasion et navalisation -, de même que la protection de la propriété intellectuelle. Les règles d'exportation doivent être clarifiées.

En effet, des voix s'élèvent en Allemagne en faveur d'une européanisation de ces règles d'exportation, qui entraînerait des risques de blocage de certains programmes. Les mêmes sujets de protection de la propriété intellectuelle et de contrôle des exportations se posent pour les projets soutenus par le Fonds européen de la défense (FED). Compte tenu des financements européens sur un certain nombre de projets, la question va se poser significativement.

La LPM sera le moment de vérité. Dans l'attente, sous réserve de ces observations et sans être naïf sur les tours de passe-passe, mon avis sur ce budget sera favorable, afin de permettre à nos armées de bénéficier de la remontée en puissance en cours.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Équipement des forces ». - Dans l'attente de la nouvelle LPM, un travail d'ensemble a été entrepris par le ministère des armées et les acteurs industriels afin de mettre en place ce qu'il est désormais convenu d'appeler une « économie de guerre ».

Deux grands objectifs sont recherchés : de la part de l'État, il s'agit de simplifier, en réduisant les exigences documentaires et en optimisant l'expression des besoins ; de la part des industriels, un réexamen de l'ensemble des cycles de production est demandé, afin de déterminer les conditions de leur accélération si cela se révélait nécessaire.

L'accent est mis sur un « top 12 » de gros objets, pour lesquels les livraisons devront pouvoir être anticipées dans le temps, à la demande du ministère, ce qui signifie que les pièces devront être stockées en amont. L'exercice a toutefois ses limites ; en l'absence de commandes, les industriels ne bénéficient pas de la visibilité nécessaire pour se préparer.

Je rappelle que la base industrielle et technologique de défense est constituée de 4 000 entreprises alimentant 200 000 emplois directs et indirects, très peu délocalisables. Ces entreprises sont aujourd'hui confrontées à la hausse des prix de l'énergie, des matières premières et des composants. La mise en place de stocks stratégiques mutualisés, pour les composants et matières les plus critiques, s'impose. La création de filières de recyclage pour certains métaux permettrait de progresser en ce sens.

C'est une réflexion à l'échelle nationale qui doit se poursuivre, dans le sillage du rapport de Philippe Varin sur la sécurisation de l'approvisionnement en matières premières minérales. Par ailleurs, il semble que le ministère envisage un dispositif de priorisation de l'industrie de défense par rapport à d'autres activités, en cas de crise, comme cela existe par exemple aux États-Unis. Ce dispositif pourrait être inscrit dans la prochaine LPM.

Le ministère des armées et la base industrielle et technologique de défense (BITD) ne sauraient toutefois porter, à eux seuls, une ambition aussi vaste que celle de mettre en place une « économie de guerre ». Une mobilisation interministérielle est nécessaire. Il s'agit d'impulser une prise de conscience, par l'ensemble de la société, de la nécessité de soutenir les activités de souveraineté.

Il faut d'abord pouvoir trouver les compétences nécessaires à ces activités. Or, toutes les industries sont aujourd'hui confrontées à une pénurie de main d'oeuvre ; par exemple, plus de 30 métiers sont en tension dans l'industrie navale. Les métiers industriels ont trop longtemps été déconsidérés, au profit du secteur tertiaire. Pourtant, les conditions de travail s'y sont améliorées, et les salaires et perspectives d'évolution sont souvent meilleurs que dans certains métiers qui recrutent à des niveaux de diplôme plus élevés.

Actuellement, 50 000 emplois sont non pourvus dans l'industrie en général ; et 200 000 emplois supplémentaires pourraient être créés s'il était possible de recruter, afin de répondre à de nouvelles commandes.

Un travail de fond doit être effectué auprès des jeunes et des femmes. Ces dernières représentent, en effet, moins de 30 % des salariés de l'industrie ; elles sont encore plus minoritaires dans les fonctions de conception et de production, ainsi que dans les postes de direction. Attirer les femmes nécessite de changer profondément l'image de l'industrie.

L'État et les régions doivent engager un grand chantier de rénovation des formations. Les industriels doivent venir à la rencontre des jeunes, y compris en dehors de leurs bassins d'emplois. Des campus de formation pourraient être créés et enrichis. Pour l'industrie de défense en particulier, constituer une réserve industrielle, fondée sur le volontariat, avec des cycles réguliers de formation, permettrait de mieux faire connaître les métiers concernés.

Enfin, le soutien des acteurs financiers privés est indispensable pour passer à l'échelle de l'« économie de guerre ». Nous avons souvent évoqué ce sujet. Malgré la guerre en Ukraine, l'industrie de défense reste confrontée au durcissement des conditions d'accès au financement des banques et fonds d'investissement.

Les 3 milliards d'euros supplémentaires du budget, dont on nous avait dit qu'ils serviraient à financer le renouvellement de la dissuasion, sont répartis entre : les programmes à effets majeurs - Scorpion et les autres ; le programme 212, « Soutien de la politique de la défense » ; les infrastructures ; les munitions et le fonctionnement.

Ce budget poursuit néanmoins la remontée en puissance prévue par la LPM en 2018 ; mon avis sera donc favorable.

M. Pierre Laurent. - La formule « économie de guerre », aujourd'hui entrée dans le langage courant, a été utilisée à de nombreuses reprises par les rapporteurs ; j'aimerais que l'on discute un jour de sa définition. Qu'entendons-nous par cette formule ? En vue de la prochaine LPM, un débat sur cette question me semble souhaitable.

M. Christian Cambon, président. - Vous avez tout à fait raison. Dans « économie de guerre », il y a « économie » et il y a aussi « guerre ».

M. Ronan Le Gleut. - Des problèmes potentiels à l'export, du fait de l'usage de crédits du fonds européen de la défense, notamment en lien avec des enjeux de propriété industrielle, ont été évoqués. Pouvez-vous préciser cet élément ?

M. Cédric Perrin, rapporteur pour avis. - Je partage ce point de vue sur l'« économie de guerre ». Il s'agit, pour une large part, de communication. À mes yeux, « économie de guerre » devrait signifier : mesures exceptionnelles, accélération des processus de qualification, diminution des normes, aides aux entreprises afin de pouvoir s'adapter, mise en place d'une économie qui puisse répondre à des demandes immédiates. Il sera nécessaire, dans le cadre de l'examen de la LPM, que l'on définisse clairement les choses.

Le FEDef pose plusieurs questions. L'Europe apporte, dans ce cadre, une aide financière significative à des entreprises rassemblées en consortium européen. La question est de savoir qui sera ensuite titulaire de la propriété intellectuelle et qui autorisera l'exportation des armes. Il n'est pas exclu que les Allemands en profitent pour transférer l'autorisation à Bruxelles, ce qui est évidemment inacceptable pour la France. Nous devons mettre la pression sur le Gouvernement ; une part non négligeable de notre balance commerciale est en jeu.

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure pour avis. - L'« économie de guerre » est définie par le Gouvernement de la façon suivante : il s'agit de la capacité à avoir une industrie de défense à même de répondre aux besoins que nous aurions en termes de production de systèmes d'armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle (MCO), dans le cadre d'un engagement dans un conflit majeur.

Au cours de nos prochains débats, nous devons également évoquer la place de la dissuasion. Celle-ci devait bénéficier du doublement de l'augmentation du budget ; or cela n'apparaît pas dans les différentes lignes budgétaires.

M. Christian Cambon, président. - J'ai signifié au ministre que nous ne participerions pas aux groupes travail proposés, où l'on dénombre 60 ou 70 participants. Nos réponses s'élaboreront dans le cadre de nos propres groupes de travail, dont je souligne, une fois de plus, l'importance. Tous ceux qui veulent travailler sur ces sujets sont bienvenus.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » - Programme 178 « Préparation et emploi des forces » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense ».

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Les crédits de paiements (CP) du programme 178 augmentent de 1,2 milliard d'euros, essentiellement pour financer l'effort en faveur de l'entretien programmé du matériel (EPM). Concernant la disponibilité technique opérationnelle (DTO), 71 % des indicateurs sont en stagnation ou en diminution en 2023.

Pour l'armée de terre, la situation était fragile en 2022, elle se détériore en 2023, avec désormais cinq des sept indicateurs en diminution ; il s'agit de ceux concernant les hélicoptères, les chars Leclerc, les engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) - avec le retard de livraison des Jaguar - et enfin les Caesar, en raison de la cession de 18 canons et rechanges à l'armée ukrainienne.

Pour la marine nationale, trois des sept indicateurs sont en recul ; il s'agit de ceux qui concernent le porte-avion - en raison de la programmation prévue des arrêts techniques -, la chasse - avec le passage au standard F4 du Rafale - et les hélicoptères - du fait des problèmes de corrosion des Caïman.

Pour l'armée de l'air et de l'espace, les difficultés tiennent aux exportations des Rafale, dont les compensations sont très progressives, et, dans une moindre mesure, au retrait du C160, à la déflation de la flotte C135, ainsi qu'à celle des Puma et Super Puma. Les contrats « verticalisés » devraient permettre une amélioration des DTO des Rafale et des moteurs de Mirage 2000 ; ils doivent donc faire l'objet d'une attention de la commission.

L'hypothèse d'engagement majeur (HEM) et la perspective d'économie de guerre conduisent à réfléchir à la mise à niveau du système de soutien aéronautique afin de répondre à la haute intensité. Des études ont été lancées par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) avec les principaux représentants de la base industrielle et technologique de défense (BITD) du maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique - notamment Dassault Aviation, Safran, Thales et Airbus Helicopters -, dont les premiers résultats permettent d'identifier des leviers d'action qui contribueront à améliorer la réactivité du système de soutien autour de deux axes : un axe « matériels », qui intègre la réflexion sur les stocks de rechanges et les normes de MCO ; et un axe « ressources humaines », qui vise la constitution d'un noyau dur de compétence autour de la réserve opérationnelle et l'usage de nouveaux systèmes d'information - Brasidas par exemple - permettant une meilleure maîtrise de la donnée et un pilotage plus efficient du MCO aéronautique.

J'en viens à l'entretien programmé du matériel (EPM).

En 2023, selon les réponses au questionnaire budgétaire, le niveau de crédits consacrés à l'EPM s'élève à 5,5 milliards d'euros. Cela correspond au niveau d'annuité prévu par la LPM, soit 4,4 milliards d'euros, et aux 900 millions d'euros manquants faute d'inscription par le Gouvernement en loi de finances initiale depuis le début de la période de programmation.

Pourtant, ce n'est pas satisfaisant. Ce montant de crédit ne rattrape pas les retards, mais finance principalement les 500 millions d'euros supplémentaires destinés aux munitions. L'augmentation des crédits destinés aux munitions est indispensable, et les leçons tirées de la guerre en Ukraine s'imposent en la matière. Mais cela signifie que, une fois de plus, les crédits d'EPM financent des besoins non prévus par la LPM 2019-2025, au détriment des besoins initialement retenus, alors que le gabarit était déjà taillé au plus juste.

Nous devrons donc être attentifs à la pleine satisfaction des besoins en EPM dans la prochaine période de programmation. Ils comprennent des besoins du service interarmées des munitions (SIMu), qui doit consolider son organisation avec la création éventuelle d'un nouvel établissement principal des munitions (EPMu) et le renforcement de son dispositif à l'outre-mer et à l'étranger.

Le SIMu devra également, pour répondre à l'ambition 2030, renforcer la fonction défense et sécurité, et sa capacité de pilotage des projets majeurs. Pour cela, il lui faudra gagner en épaisseur organique en sécurisant la remontée en puissance des ressources humaines, notamment en matière de personnel militaire ; des créations évaluées à environ 80 postes sont donc à prévoir.

La capacité de stockage offerte par les dépôts du SIMu semble suffisante pour répondre aux exigences des contrats opérationnels. La modernisation de cette capacité doit se poursuivre afin de garantir des conditions optimales de la préservation du potentiel des munitions et de sécurité. Les magasins en tôle sont ainsi remplacés par des igloos, et la sécurité est encore renforcée.

L'HEM pourrait conduire à un besoin de stockage accru et à une diversification des modes de mise à disposition des munitions, en multipliant, par exemple, les possibilités d'acheminement ferroviaire via l'installation terminale embranchée (ITE) spécifique. Nous approfondirons, dans le cadre de nos travaux de préparation de la prochaine LPM, ces premières réflexions sur les munitions.

Sous réserve de ces observations, nous proposons d'adopter les crédits du programme 178.

Mme Michelle Gréaume, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Préparation et emploi des forces ». - Les crédits du programme 178 progressent cette année de 11,4 %. Cela ne permet toujours pas la remontée de l'activité opérationnelle des forces et de l'entraînement, dont les crédits restent inférieurs aux objectifs fixés de près de 10 %. En 2023, la situation se détériore pour les trois quarts des indicateurs d'activité. Cela se traduit par une diminution de la capacité de deux des trois armées à honorer leur contrat opérationnel.

Pour l'armée de terre, depuis le déploiement de Sentinelle, la cible de 90 jours de préparation opérationnelle par militaire n'a plus été atteinte. Depuis 2017, la préparation opérationnelle de l'armée de terre stagne ; elle doit remonter en 2022 à 82 jours, mais pourrait être de nouveau fragilisée par l'engagement de l'armée de terre dans la réassurance du flanc Est de l'Otan en Roumanie et les potentiels techniques alloués des équipements.

Pour la marine nationale, la capacité à honorer le contrat opérationnel est passée de 89 à 70 %, en raison notamment du retard pris par le programme des frégates de défense et d'intervention. Pour l'armée de l'air et de l'espace, on observe un déficit de formation des plus jeunes équipages et une difficulté à consolider les compétences dites de « haut du spectre ». La capacité à honorer le contrat opérationnel chute à 65 % en 2023 et ne devrait pas remonter en 2024. L'impact des exportations Rafale, sur lequel notre commission alertait le Gouvernement, est désormais tangible et conséquent ; la prochaine LPM devra en tenir compte.

Le report à la fin de la période de programmation des objectifs de remontée de l'activité opérationnelle nous semblait insatisfaisant, dans un monde marqué par la multiplication des affrontements ; il est devenu insupportable maintenant que notre continent connaît de nouveau la guerre. Nous devrons obtenir des objectifs chiffrés de remontée de la préparation opérationnelle dans la prochaine LPM, faute d'objectifs inscrits en LPM ; elle a été la variable d'ajustement inavouée des ambitions non financées de la LPM.

Il nous faudra aussi veiller à ce que les services de soutien ne soient pas de nouveau sacrifiés à tous les autres objectifs de la LPM. Nous savons qu'ils sont essentiels et indispensables dans l'hypothèse d'un engagement majeur ; la guerre en Ukraine l'a assez rappelé, avec ces colonnes de chars russes immobilisés faute de ravitaillement en carburant.

Concernant le service de santé des armées (SSA), ce ne sont pas 100, mais 125 médecins qui manquaient en juillet 2021. Malgré mes demandes répétées en audition, les informations permettant de calculer ce déficit de médecins de premier recours ne nous ont pas été transmises. Faut-il craindre que le déficit se soit aggravé ? La surprojection des personnels et ses effets délétères sur le découragement des personnels sont connus. Le secteur sanitaire est en crise, il s'agit d'en tenir compte, d'autant que le SSA ne tiendra l'hypothèse d'engagement majeur qu'avec le plein appui du service public de santé. La réflexion sur l'économie de guerre ne peut en aucun cas se dispenser du volet sanitaire ; la prochaine LPM devra refléter cette nécessité.

Enfin, la transformation du service du commissariat des armées (SCA), désormais portée par la feuille de route « Ambition SCA 2030 », requiert notre attention. Il faudra veiller à ce que le bon niveau de crédits lui permette de répondre aux exigences d'un engagement majeur dans les domaines de l'environnement technico-opérationnel, c'est-à-dire le réseau des entrepôts et installations de maintenance, des équipements individuels du combattant, du soutien de la vie en campagne et du transport. Il doit également réduire ses vulnérabilités critiques, et faire face à l'inflation. Ce sont ainsi plus de 250 millions d'euros de besoins nouveaux qui devront être pris en compte dans la future LPM.

M. Bruno Sido. - Pourriez-vous nous redire le montant du budget 178 ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis. - L'augmentation de ce programme se monte à 1,23 milliard d'euros, pour un budget à hauteur de 12,3 milliards.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » - Programme 212 « Soutien de la politique de la défense » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous poursuivons nos travaux avec l'examen du programme 212 « Soutien de la politique de la défense » de la mission « Défense ».

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Soutien de la politique de la défense ». - Ce programme rassemble comme chaque année l'ensemble des crédits dédiés aux dépenses de personnel du ministère des armées, qui s'élèvent à 22,4 milliards d'euros pour l'année 2023.

Avant de laisser la parole à Marie-Arlette Carlotti pour évoquer la rémunération des militaires, je vais parler de la réserve opérationnelle qui a fait l'objet de plusieurs annonces importantes depuis cet été.

Pour rappel, la réserve opérationnelle de premier niveau (RO1) est constituée de citoyens français volontaires qui signent un engagement à servir dans la réserve d'une durée renouvelable de un à cinq ans. Une fois intégrés à leur organisme de rattachement, ces réservistes servent sous statut militaire au sein des forces armées et formations rattachées.

Je tiens à souligner que ces réservistes opérationnels jouent un rôle essentiel dans nos différentes forces. On peut notamment penser à l'implication très importante des réservistes de l'armée de terre dans le cadre de l'opération Sentinelle depuis 2015.

Cette observation peut également être déclinée dans les autres forces. Par exemple, il nous a été indiqué que lors des déploiements majeurs du groupe aéronaval (GAN) du porte-avion Charles de Gaulle, l'état-major embarqué est renforcé par 10 % à 20 % de réservistes opérationnels de la marine nationale.

Actuellement, la réserve opérationnelle des armées est constituée d'environ 40 000 réservistes conformément à un objectif fixé dans la loi de programmation militaire dès l'été 2015. Cette cible a été confirmée dans la loi de programmation actuelle pour la période 2019-2025. Ce format correspond à une remontée en puissance pour les réserves des armées qui comptaient encore moins de 28 000 personnels il y a dix ans.

Si le succès de cette remontée en puissance doit être salué, les réserves vont connaître une nouvelle transformation en profondeur dans les années à venir. En effet, lors de son discours aux armées le 13 juillet dernier, le Président de la République a annoncé un objectif de doublement du volume de la réserve opérationnelle.

Le format de 80 000 réservistes à échéance 2030 va se traduire par une révision transversale de la doctrine d'emploi des réserves à laquelle nous devrons accorder toute notre attention.

Par ailleurs, ce nouveau format impliquera de très largement renforcer le rythme de recrutement des réservistes opérationnels dans les années à venir. Selon les informations qui nous ont été communiquées, le volume de recrutement annuel devra passer de 4 700 à plus de 9 000 pour atteindre l'objectif annoncé.

La mise en oeuvre de cette trajectoire impliquera donc nécessairement un renforcement de la politique de recrutement et de fidélisation des réservistes. Sans détailler l'ensemble des leviers à utiliser pour renforcer l'attractivité de la réserve opérationnelle, j'aimerais souligner deux priorités pour accélérer le recrutement des réservistes.

En premier lieu, la réserve doit être plus lisible. En effet, l'effort de communication du ministère porte aujourd'hui prioritairement sur le recrutement des militaires d'active, ce qui est compréhensible. Il faudra à moyen terme développer une véritable stratégie de communication dédiée aux candidats à la réserve.

En second lieu, la réserve doit être plus personnalisée. La standardisation actuelle des formations à suivre par les militaires qui rejoignent la réserve peut être un frein au recrutement de certaines compétences.

Pour assurer le succès de la remontée en puissance des réserves, il faut construire des parcours personnalisés qui donnent la possibilité à chaque citoyen de s'engager dans la réserve en valorisant ses compétences. La trajectoire annoncée soulèvera d'autres difficultés matérielles, dont notamment celles liées à la problématique de l'hébergement.

Mme Marie-Arlette Carlotti, rapporteure pour avis de la mission « Défense » sur le programme « Soutien de la politique de la défense » - En guise de préambule, je tiens à signaler les difficultés que nous avons eues pour obtenir des éléments précis de la direction des ressources humaines du ministère de la défense. Si nous avons pu auditionner le directeur, nous n'avons pas reçu à ce jour les réponses écrites au questionnaire que nous lui avons soumis il y a plusieurs semaines. Je ne peux que le déplorer.

Nous nous sommes penchés sur la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM) consacrée dans le rapport annexé à la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire 2019-2025.

L'année 2023 sera marquée par la mise en oeuvre définitive d'une réforme qui porte bien mal son nom. Elle se voulait d'ampleur mais restera partielle car le choix a été fait de se concentrer uniquement sur la part indemnitaire de la rémunération des militaires avec un double objectif de simplification et d'équité.

Rappelons, que cette rémunération est composée de deux parties, sur le modèle de la fonction publique : la part indiciaire ou solde de base qui dépend des grades et des échelons, et la part indemnitaire, composée d'indemnités et de primes diverses. Les primes et indemnités représentent une part importante de la rémunération des militaires : 30 % en moyenne pour les militaires du rang et 44 % pour les officiers généraux.

En 2021, avant la réforme, la rémunération des militaires était caractérisée par la complexité de la composante « primes et indemnités ». On n'y comprenait rien. Il existait 174 primes différentes, un système illisible et obsolète. Par exemple, il existait toujours une prime datant de 1948 de 2 euros pour s'acheter du lait afin de compenser l'absence de lumière dans les souterrains, ou encore une indemnité de dragage pour les dragueurs de mines qui ont disparu.

Concernant la simplification, il faut souligner le succès de cette réforme. En effet, désormais le ministère des armées aura à gérer le versement de huit primes seulement, contre plus de 170 auparavant, cela en supprimant les primes obsolètes, en harmonisant les critères d'attribution, en renforçant le caractère universel, comme la prime de mobilité géographique, et en ouvrant les primes aux célibataires et à toutes les formes d'union.

Les huit nouvelles primes sont réparties en trois volets.

En premier lieu, la militarité, c'est-à-dire les sujétions liées à la condition militaire - la mobilité géographique par exemple. En deuxième lieu, les finalités afin de valoriser l'engagement militaire - par exemple la participation à l'activité opérationnelle, le commandement ou les résultats obtenus. Et enfin, en troisième lieu, les capacités en opération : on attribue une prime selon le parcours professionnel ou pour une compétence spécifique.

Dans le domaine de la simplification, la réforme semble donc atteindre son objectif.

Quant à l'équité, le système indemnitaire du ministère des armées sera-t-il plus équitable ? Y aura-t-il des perdants ? La DRH du ministère de la défense dit que non, mais il est difficile de répondre clairement à ce stade.

Aucun outil de simulation n'a été mis à la disposition des instances de concertations par la DRH lors de l'élaboration de la réforme. Ce qui a conduit le Conseil supérieur de la fonction militaire à émettre des avis défavorables et à nous faire part de ses inquiétudes.

De plus, l'absence de mécanisme de revalorisation automatique va créer, nous le constatons déjà, un tassement des salaires qui sanctionne particulièrement les officiers, car les primes représentent près de la moitié de leur rémunération. La question de la fiscalisation de certaines primes sur le revenu des militaires aura des conséquences difficiles à évaluer, tandis que le choix de se concentrer sur les primes et indemnités pourrait se révéler défavorable pour le calcul des pensions. Nous serons vigilants à ce qu'aucun militaire ne soit perdant au nom de la simplification.

Sur le plan financier, si la NPRM s'est appuyée sur une enveloppe budgétaire de 70 millions d'euros en 2022, ce montant reste très limité au regard de l'ensemble des dépenses de personnel du ministère. Il représente moins de 1 % de l'ensemble des rémunérations d'activité versées par le ministère des armées en 2022.

Enfin, sur la méthode, nous regrettons que les instances de concertation aient été associées dans une logique d'information plutôt que de co-construction.

En conclusion, la mise en place de la NPRM satisfait son objectif de simplification, mais nous restons interrogatifs en termes d'équité. Elle est surtout incomplète, car elle ne prend pas en compte la nécessaire revalorisation de la solde de base.

C'est pourquoi, dans le cadre des travaux relatifs à la prochaine loi de programmation militaire annoncée pour le début de l'année 2023, nous serons attentifs à ce qu'une réflexion plus large soit ouverte. Dans un contexte de retour de l'inflation, nous veillerons à ce que leurs rémunérations permettent d'assurer l'attractivité de la fonction militaire, première condition de l'efficacité opérationnelle de nos armées.

Nous émettons un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je me réjouis de cette simplification que nous avions réclamée dans notre rapport, Michel Boutant et moi-même en 2010, sur l'utilisation de la réserve pour la gestion des crises. Je souhaite mettre en avant la réserve citoyenne, que l'on a tendance à oublier alors qu'elle est de plus en plus importante dans le contexte géopolitique tourmenté que nous vivons aujourd'hui.

La réserve citoyenne présente de nombreux avantages en termes de souplesse, et en termes de coût, qui est nul ; elle nous permet de renforcer la résilience et la préparation de nos citoyens. Les militaires sont un peu désarçonnés par la simplicité de cette réserve citoyenne qui, paradoxalement, leur est plus difficile à saisir qu'une réserve opérationnelle organisée, mais je crois que, en tant que parlementaires, nous devons nous pencher sur ce sujet.

M. Joël Guerriau, rapporteur pour avis. - Je suis d'accord avec Joëlle Garriaud-Maylam, je crois que nous devons relancer le ministère sur la réserve citoyenne car elle existe, mais on ne l'utilise pas assez.

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Défense » - Vote sur l'avis de la commission

M. André Guiol. - Le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen partage les préoccupations de nos rapporteurs sur les différents points d'attention qu'ils ont soulevés, parmi lesquels la question des surcoûts de l'Opex, qui revient chaque année, le problème plus conjoncturel de l'inflation, qui pèse lourdement sur nos armées, notamment pour le carburant et l'alimentation, les conséquences en termes capacitaires des prélèvements de matériel, en particulier lorsqu'il s'agit de les flécher vers l'exportation, même si, bien évidemment, il est nécessaire de fournir des armes à l'Ukraine.

Nous nous interrogeons aussi sur l'avenir du projet de système de combat aérien du futur (Scaf), car nous sommes très attachés aux projets de coopération européens ; il en est de même pour le projet de char du futur. À cet égard, nous sommes préoccupés par le projet allemand de bouclier antimissile aérien, qui contiendrait des systèmes européens Iris-T, mais aussi des systèmes américains Patriot, et potentiellement israéliens - le fameux Dôme de fer développé par la société Rafael. Il serait dangereux de se disperser dans ce domaine.

Malgré ces réserves, nous soutiendrons le budget de la mission « Défense », car il respecte la trajectoire de la LPM avec les 3 milliards d'euros de crédits supplémentaires et les 1500 créations de postes. Nous comptons, en revanche, sur la prochaine LPM pour mieux garantir l'exécution budgétaire de la mission « Défense ».

Mme Michelle Gréaume.- Nous constatons une forte dégradation de la situation internationale. Il est donc nécessaire de disposer d'une armée robuste, prête à protéger la population en cas d'agression.

La question de la défense nationale n'est pas qu'un sujet technique. Il est nécessaire de faire entendre nos voix pour que les problématiques de paix et de défense soient traitées de façon démocratique, c'est-à-dire avec les parlementaires. Ces questions ne doivent pas être seulement débattues entre experts, car elles sont clairement politiques.

Il existe des inadéquations fortes entre les discours et les alliances dont nous sommes membres. De plus, il est indispensable de conserver un regard critique sur l'Otan, sa doctrine et sa composition. En effet, nous ne pouvons que constater la faillite de l'idée d'une véritable défense européenne autonome. La plupart des armements du futur européens, conçus et produits en coopération, sont tués dans l'oeuf par des achats massifs hors de l'Union européenne.

Enfin, il faut souligner la dispersion de nos faibles moyens, qui risque de se poursuivre, eu égard à la récente revue nationale stratégique, notamment avec des interventions qui couvrent d'immenses territoires du globe et des océans.

Cette période d'instabilité rend difficile une critique de l'augmentation du budget des armées. En revanche, nous pouvons formuler des propositions fortes sur le redéploiement de certains crédits. Nous considérons ainsi que des économies peuvent être faites sur nos forces de projection ainsi que sur les budgets d'intervention, ou encore en mettant fin au projet de nouveau porte-avions, puisque celui-ci répond à une doctrine interventionniste dans le cas de conflits asymétriques, mais n'est nullement adapté aux conflits de haute-intensité, où il serait quasiment inutilisable. Certains crédits pourraient être fléchés, par exemple, vers le renforcement de notre marine, pour la protection de nos zones économiques exclusives, notamment pour acquérir de nouveaux patrouilleurs outre-mer afin de prévenir les délits écologiques et les actes de piraterie. Les crédits pourraient également être orientés vers le soutien au service de santé des armées, ou pour engager une analyse détaillée des conflits de la planète, afin de définir clairement les forces dont nous avons besoin pour assurer notre sécurité.

Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre les crédits de cette mission.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Sécurités » - Programme 152 « Gendarmerie nationale » - Examen du rapport pour avis

M. Philippe Paul, rapporteur pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, Après quelques années de progression des crédits de la gendarmerie nationale due notamment au plan de relance, nous pouvions craindre un retour de balancier. Grâce à la programmation prévue dans le cadre de la LOPMI, ce n'est pas le cas. Nous pouvons donc saluer des crédits globalement en hausse en 2023, passant en crédits de paiement de 9,3 milliards d'euros à 9,9 milliards, soit une hausse de 6,4%.

Certes, si l'on regarde dans le détail, le verre est un peu moins plein.

En effet, ce sont certes surtout les dépenses de personnel qui progressent, de 540 millions d'euros. Le protocole social accompagnant la LOPMI représente 47 millions d'euros de plus et la hausse du point d'indice de la fonction publique, à lui seul 130 millions d'euros.

En outre, et c'est certes une bonne nouvelle, les effectifs progresseront en 2023 de 950 emplois. Ceci permettra la création des 7 escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires et le début de la création des 200 brigades territoriales qui s'échelonnera sur la période 2023-2027.

S'agissant de ces nouvelles brigades, lors de l'examen de la LOPMI nous avions exprimé quelques inquiétudes sur leurs critères d'implantation et sur la capacité des collectivités territoriales à investir pour construire des locaux. Par ailleurs, un tiers de ces nouvelles brigades est censé prendre la forme d'unités itinérantes, dont on ne connaît pas non plus précisément à ce jour la forme et les modalités de fonctionnement. Vous le savez, la phase de concertation avec les élus a été lancée par le ministre de l'Intérieur dès septembre dernier, en fonction de critères comme les chiffres de la délinquance et l'évolution de la population. Cette phase de concertation prendra fin en janvier 2023. L'Etat analysera ensuite les propositions des élus en vue d'annoncer les implantations d'ici mars ou avril 2023 pour des premières brigades à l'été prochain.

La gendarmerie nous indique que, conformément à l'amendement que nous avons fait adopter à la LOPMI sur le renforcement de l'aide aux collectivités territoriales, celles-ci pourront bénéficier du soutien financier de l'Etat au travers de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) qui pourra être mobilisée pour la construction des nouvelles casernes. En réalité, ce soutien est déjà possible actuellement. Je rappelle qu'il existe aussi deux autres dispositifs, l'un par un décret de 1993 qui permet de financer 18 ou 20 % de l'investissement selon la taille de la commune, l'autre par un décret de 2016 qui prévoit un financement par les offices publics de l'habitat et les sociétés HLM. Tout ceci existe déjà et ne sera sans doute pas suffisant en cette période difficile pour les finances locales.

En revanche, d'autres aspects de ce budget représentent un progrès indéniable, en particulier les 120 millions d'euros pour la modernisation informatique et la création d'une Agence du numérique des forces de sécurité intérieure.

Nous suivrons avec grande attention la création de cette nouvelle Agence du Numérique des forces de sécurité intérieures, annoncée par le ministre de l'intérieur et inscrite dans la LOPMI. D'après nos informations, l'Agence du Numérique sera en réalité un STSI2 avec davantage de moyens, ce dont nous nous félicitons. Lors de notre visite au STSI2, on nous a aussi expliqué que ce service s'efforcerait de re-développer des compétences sur des applications externalisées à des entreprises. On nous a d'ailleurs donné un exemple assez étonnant de l'intérêt d'une telle démarche. En un week-end, le STSI2 a négocié une baisse de 18 millions d'euros à 3 millions d'euros du renouvellement d'un logiciel vendu par Oracle, simplement en menaçant de le reprendre en interne !

En conclusion, le budget de la gendarmerie pour 2023 reste un bon budget, en progression globale et qui permet de poursuivre la mise à niveau numérique. Pour cette raison, nous vous proposons de l'approuver, sans perdre de vue qu'il comporte aussi quelques points moins positifs, comme le flou sur les nouvelles brigades que j'ai évoqué, mais aussi un ralentissement des nouveaux investissements qui sera plus précisément évoqué par Gisèle Jourda.

Je vous remercie.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues. Comme l'a souligné mon co-rapporteur, le budget de la gendarmerie pour 2023 comporte de nombreux aspects positifs, en particulier les effectifs supplémentaires et les moyens mis sur la transformation numérique.

La gendarmerie nationale, via le STSI2, a déjà des réalisations tout à fait remarquables à son actif dans ce domaine des nouvelles technologies. Outre Neo, qui est bien connu et qui en est à sa deuxième génération, on peut citer Agorha, le logiciel de ressources humaines et de paiement des soldes, développé en grande partie en interne. Pour un investissement de 32 millions d'euros, Agorha permet de gérer sans problème les RH et la paie de 130 000 gendarmes. C'est une belle réussite quand on compare ce projet à d'autres au sein d'autres ministères !

Naturellement, tous ces nouveaux systèmes numériques génèrent des dépenses récurrentes de maintien en condition opérationnelle et de renouvellement des équipements. Ainsi, un effort budgétaire très important sera réalisé en 2023 afin des renforcer les moyens technologiques nécessaires : 120 millions d'euros en CP seront ainsi consacrés à l'acquisition de nouveaux moyens de télécommunication et à la modernisation des systèmes informatiques, contre 86 millions d'euros l'année dernière.

Ceci montre encore une fois l'importance de la programmation pluriannuelle. Il est difficile de tout financer à la fois mais il ne faut pas laisser se dégrader un aspect pendant que l'on renforce l'autre. En l'occurrence, développer les meilleurs outils numériques, c'est bien, mais si parallèlement les gendarmes restent logés dans des brigades décrépies et des casernes dégradées, c'est problématique !

Or, dans ce domaine, la LOPMI n'a pas prévu une programmation assez détaillée des investissements futurs pour nous rassurer.

De fait, il faut bien constater qu'une fois de plus, en 2023 les investissements prévus pour l'immobilier au sein du programme 152 seront insuffisants. Un montant de 126 millions d'euros est prévu, loin des 300 millions annuels reconnus nécessaires par tous. Il y avait pourtant eu un effort pour passer d'environ 100 millions d'euros annuels à 150 millions l'année dernière, et voilà que l'on revient en arrière !

Nous demanderons donc au ministre s'il compte aller de l'avant dans ce domaine dans les années à venir, conformément à notre amendement qui a été adopté au sein du rapport annexé de la LOPMI et qui prévoit un investissement annuel de 300 millions d'euros.

Par ailleurs, en ce qui concerne les véhicules de la gendarmerie, un renouvellement de 2 000 véhicules seulement est prévu pour 2023, chiffre le plus bas depuis 2014.

Il est vrai qu'un effort très important a été effectué sur les trois années 2020-2022, avec plus de 3 500 véhicules par an, ce qui a permis de rajeunir un peu le parc. Les voitures ont maintenant en moyenne 6 ans et deux mois et 105 000 kilomètres, ce qui est acceptable sans être extraordinaire.

Mais il ne faudrait pas qu'à cette hausse nécessaire succède à nouveau des années de vaches maigres. Là encore, la stabilité et la pluriannualité sont nécessaires, afin d'avoir un parc de véhicules léger qui reste en bon état au fil du temps, et non pas des périodes fastes qui alternent avec des périodes où les moyens des gendarmes sont dans un état indigne. Le rapport annexé de la LOPMI indique que l'effort va se poursuivre tout au long du quinquennat avec un renouvellement annuel de 10% du parc. 10%, cela représenterait 3 200 véhicules pour les gendarmes. Force est de constater que nous en serons loin en 2023 !

Je voudrai évoquer à mon tour brièvement la question de la création des 200 brigades. S'agissant des brigades dites « volantes », la gendarmerie considère qu'il n'y aura aucune difficulté à trouver des salles dans les mairies pour tenir des permanences. Il ne me paraît pas aussi évident que les communes disposent pour cela de locaux présentant quelque garantie de confidentialité et de sécurité. La piste des camions tout équipés ou de brigades totalement dématérialisées, avec la possibilité pour les gendarmes de pouvoir accomplir toutes les formalités sur leurs équipements mobiles, me paraît plus prometteuse.

Enfin, je terminerai par un point positif en évoquant la réserve opérationnelle de la gendarmerie. Comme vous le savez, la LOPMI prévoit le passage, durant le quinquennat, de 30 000 à 50 000 réservistes. Compte tenu de la stagnation des crédits des dernières années malgré les annonces évoquant le renforcement de la réserve, ceci nous paraissait particulièrement ambitieux. Or on observe bien au sein du PLF 2023 une hausse importante des crédits fléchés vers la réserve, puisqu'ils passent de 70 millions à 84 millions d'euros, soit 20% de progression. Ceci devrait permettre de passer de 30 000 à 36 000 réservistes en un an.

Au total, la progression significative des crédits du programme 152 amènera mon groupe à proposer un avis favorable, même si nous gardons à l'esprit certains points négatifs, dont, en particulier, la poursuite du sous-investissement dans l'immobilier, auquel il faudra impérativement remédier dans les prochaines années.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ».

Projet de loi de finances pour 2023 - Mission « Aide publique au développement » - Programmes 110 « Aide économique et financière au développement » et 209 « Solidarité à l'égard des pays en développement » - Examen du rapport pour avis

M. Christian Cambon, président. - Nous examinons maintenant les crédits des programmes 110, « Aide économique et financière au développement », et 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », de la mission « Aide publique au développement ».

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement ». - Je vais vous présenter les grandes évolutions de la mission « Aide publique au développement » (APD) au sein du PLF pour 2023, composée des programmes 110 et 209. J'évoquerai plus particulièrement la hausse très forte des crédits humanitaires et de gestion de crise.

Cette année encore, les crédits de l'aide publique au développement augmentent de manière importante. La mission APD passe ainsi, en crédits de paiement (CP), de 5,1 à 5,9 milliards d'euros, soit une hausse de 16,04 %.

Cette hausse correspond à deux grandes tendances.

D'abord, il s'agit d'une nouvelle progression des bonifications de prêts et des dons de l'Agence française de développement (AFD), ceux-ci approchant du milliard d'euros. L'aide-projet directement gérée par les ambassadeurs au profit de l'influence française, via les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), est également en augmentation, passant de 70 à 80 millions d'euros. Concrètement, les crédits supplémentaires en dons permettront d'intervenir plus fortement dans les secteurs sociaux, l'éducation et l'agriculture, avec une concentration géographique dans les pays d'Afrique subsaharienne. C'est bien là, selon nous, le coeur de notre politique de solidarité internationale et nous ne pouvons donc que nous en féliciter.

L'autre explication de la hausse globale des crédits est la très forte augmentation de l'enveloppe budgétaire « Gestion et sortie de crise ». Celle-ci regroupe les aides budgétaires post-conflit, le fonds d'urgence humanitaire, l'aide alimentaire, l'initiative FARM (Food and agriculture resilience mission) en réponse aux conséquences de la guerre en Ukraine, enfin la réserve pour crise majeure. Au total, ces crédits passent de 297 millions d'euros en 2022 à 730 millions d'euros en 2023, soit une augmentation de 145 %.

L'année prochaine, l'aide humanitaire atteindra ainsi pour la première fois des proportions comparables à l'aide-projet de l'AFD. Deux raisons principales à cela :

Un effort de rattrapage salutaire d'abord, car l'aide humanitaire française était en net retrait par rapport à celle des pays comparables, Allemagne ou Royaume-Uni notamment. De ce fait, nous ne faisions plus partie du tour de table des grands bailleurs humanitaires, ce qui était assez dommageable pour notre image internationale. L'Allemagne, par exemple, dégage annuellement une aide de 2 milliards d'euros environ. Avec les augmentations prévues, nous remontons au 7e rang des 27 bailleurs européens.

En revanche, il faut souligner que le nombre d'agents du centre de crise et de soutien (CDCS), qui gère la plus grande partie de notre aide humanitaire, stagne autour de 110 équivalents temps plein (ETP) depuis plusieurs années, alors même que le volume de son budget et de ses missions a été littéralement décuplé depuis 2015, passant de 20 à 200 millions d'euros. Le centre de crise et de soutien doit pourtant mettre en oeuvre lui-même 20 % de ces crédits et contrôler les 80 organisations non gouvernementales (ONG) partenaires qui mettent en oeuvre le reste, ce qui implique un travail très important de montage des dossiers, d'analyse de la solidité financière, de la gouvernance, de la transparence et des résultats de l'ensemble de ces ONG partenaires. Il serait donc sans doute temps d'augmenter ces ETP.

Plus concrètement, cette hausse des crédits humanitaire et de gestion de crise reflète malheureusement la dégradation de l'état du monde et la multiplication des crises.

Ainsi, l'augmentation des crédits permettra notamment d'intervenir davantage en Afrique subsaharienne, selon deux modalités. D'abord, l'enveloppe en hausse du fonds d'urgence humanitaire permettra de mieux faire face aux besoins humanitaires de populations de plus en plus vulnérables. Ensuite, l'enveloppe de l'aide alimentaire programmée, qui passe de 120 à 160 millions d'euros, sera mise en oeuvre pour lutter contre une insécurité alimentaire favorisée par l'agression russe en Ukraine.

Deuxième zone géographique où notre aide est particulièrement sollicitée : l'Ukraine, mais aussi la Moldavie et la Roumanie.

En Ukraine, le Centre de crise a organisé le soutien humanitaire français, avec une trentaine opérations menées depuis le début de la guerre, surtout dans le domaine de la sécurité civile : fourniture de camions de pompiers, de matériel de désincarcération, d'hébergements d'urgence, etc. Au début d'octobre, 1000 tonnes de fret humanitaire ont été acheminées à Kharkiv sur un bateau offert par la CMA CGM.

Notre effort en faveur de l'Ukraine ne concerne pas seulement l'aide humanitaire, mais aussi l'aide au développement. L'AFD a été sollicitée très rapidement et une opération de prêt de 300 millions d'euros a été décidée par le co-secrétariat du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (Cicid) le 15 mars 2022. Ce prêt a été versé dès le 4 avril, en appui aux dépenses sociales liées aux services publics. Je pense qu'il y a lieu de se féliciter de cette réactivité, qui montre que l'AFD peut aussi être un instrument politique capable de mettre en oeuvre rapidement les priorités du Gouvernement.

L'AFD a également apporté une aide à la Moldavie. À court terme, un financement budgétaire de 15 millions d'euros a été débloqué en soutien à la protection sociale, fortement impactée par l'afflux de réfugiés ukrainiens. En outre, une subvention de 2 millions d'euros a été versée à un consortium de 3 ONG françaises pour soutenir l'accès à l'éducation des enfants et au marché du travail pour les réfugiés. À plus long terme, un accord de coopération a été signé entre l'AFD et le Gouvernement moldave, couvrant les secteurs de l'énergie et du ferroviaire, afin de renforcer l'indépendance du pays vis-à-vis de la Russie et de promouvoir une plus grande intégration de l'espace européen.

Enfin, en Roumanie, Expertise France va soutenir l'acheminement des céréales ukrainiennes pour un coût de 200 000 euros.

Pour conclure, ce budget en hausse devrait permettre à notre pays de redevenir un acteur significatif de l'aide humanitaire internationale. Au moment où nos adversaires attaquent notre image par tous les moyens et sur tous les continents, cette évolution peut nous permettre de développer un contre-discours plus offensif.

Cette approbation globale ne doit cependant pas nous empêcher d'être vigilants sur certains sujets. En particulier, la hausse des crédits ne constitue pas une panacée qui exonère le Gouvernement de la mise en oeuvre des orientations de la loi du 4 août 2021. Celle-ci laisse encore à désirer sur plusieurs aspects, comme la mise en place de la commission d'évaluation, qui se fait attendre.

M. Rachid Temal, rapporteur pour avis sur les programmes 110 et 209 de la mission « Aide publique au développement ». - Si l'APD s'intègre dans une stratégie des trois D - développement, diplomatie, défense -, elle est avant tout le fruit de la loi du 4 août 2021. Un accord avait été trouvé prévoyant que la France atteindrait l'objectif de 0,7 % du revenu national brut (RNB). Or le Gouvernement a choisi de modifier les « règles du jeu », puisqu'il a décidé de revenir à un objectif de 0,6 % en 2027. À ce stade, la ministre n'a pas répondu à nos questions sur le respect de la trajectoire financière. On ne peut que le regretter et déplorer qu'il n'y ait pas eu de débat.

En ce qui concerne la question de l'enfance, nous considérons que les orientations adoptées ne sont pas optionnelles. Mais, selon l'Unicef, le Gouvernement a d'abord promis de décliner une stratégie sur l'enfance, puis une feuille de route, puis une lettre de mission, puis une simple cartographie des programmes existants...

Le taux d'aide bilatérale fixé par la loi, à l'initiative du Sénat, soit 65 % minimum de l'aide totale, était loin d'être atteint en 2021, puisqu'il s'élevait à 60 %. Je rappelle que le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon, les États-Unis ont tous une part d'aide bilatérale plus importante que la France. Si un effort est certes fourni, il n'est pas assez soutenu.

En ce qui concerne le rapport entre les prêts et les dons, la situation actuelle montre que nous avons eu raison de plaider pour davantage de dons. Le directeur général du Trésor nous l'a confirmé : nous continuons à aider via des prêts de nombreux pays fragiles sur le plan de la dette. Cela peut être problématique. Nous sommes obligés de lancer régulièrement des initiatives de suspension du service de la dette dans la mesure où les pays ne sont pas capables de rembourser. Cette politique de « stop and go » présente donc de sérieux inconvénients.

Le Gouvernement a remis au Parlement le rapport prévu par la loi du 4 août 2021 relatif à la taxe sur la transaction financière (TTF). J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'échanger avec la ministre, mais j'ai bien compris qu'il ne fallait pas s'attendre à des évolutions. Je rappelle qu'en 2023, la TTF devrait rapporter plus de 1,7 milliard d'euros, dont moins d'un tiers sera consacré à l'aide publique au développement, alors que c'était pourtant son objet !

Les frais d'écolage faussent l'appréciation du montant de notre aide. Les bourses et frais d'écolage représentent en effet près des trois quarts de l'aide à l'éducation déclarée par la France, ce qui pose un problème sur la réalité de l'aide en question.

S'agissant du criblage des bénéficiaires de l'aide, beaucoup d'ONG considèrent que le système actuel est trop difficile à gérer pour elles. Un débat est en cours sur le sujet, dans un contexte où des annonces récentes ont été faites concernant le Mali et le Burkina Faso. Marie-Arlette Carlotti s'est penchée sur cette question.

La loi du 4 août 2021 prévoit également une réunion annuelle du Cicid ; or force est de constater qu'il ne s'est pas réuni depuis 2021. La ministre nous a annoncé qu'il se réunirait prochainement, mais sans donner de précision. Le contrat d'objectif et de moyens 2023-2025 de l'AFD nous sera présenté seulement après, puisque son contenu sera en partie déterminé par les conclusions de ce Cicid. On peut donc s'attendre à des retards.

Concernant les biens mal acquis, les choses avancent ; la loi a reçu un début d'application s'agissant de deux affaires : l'une relative à la Guinée équatoriale, puisque des biens mal acquis ont été saisis et vendus, et que d'autres opérations sont en cours ; l'autre affaire concerne les biens - deux immeubles de bureaux et un haras situé dans le Val-d'Oise - de Rifaat el Assad, l'oncle de Bachar, qui vont être saisis et vendus.

Je souhaitais dire également que la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, qui a fait couler beaucoup d'encre entre les deux assemblées lors de l'examen de la loi, n'a toujours pas été créée dix-huit mois plus tard : là encore, c'est problématique.

Avant de conclure, j'indique que les couloirs du Sénat bruissent d'une rumeur selon laquelle un amendement visant à réduire l'APD pourrait être déposé par la commission des finances, mais nous n'avons pas été officiellement informés.

Malgré tous les manques évoqués, nous émettons un avis favorable à l'adoption des crédits de ces programmes.

M. Christian Cambon, président. - Je dois préciser que nous avons eu l'occasion, avec Hugues Saury, d'exprimer nos plus expresses réserves par rapport à l'initiative de certains membres de notre groupe à la commission des finances.

M. Joël Guerriau. - Que vouliez-vous dire en parlant des annonces sur le Burkina Faso et le Mali ?

M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Dans un premier temps, nous avons découvert dans la presse que la France allait suspendre son aide publique au développement au Mali, à cause des problèmes avec la junte au pouvoir, et peut-être aussi au Burkina Faso. Après quelques recherches, il s'avère en fait que ce n'est pas l'aide globale qui a été interrompue. Certaines aides seront maintenues, d'autres pas. Se pose alors la question du criblage : comment éviter que des aides n'aillent à des groupes djihadistes, terroristes, etc. ? Mais un tel mécanisme est très compliqué à gérer pour les ONG. Je déplore que ces décisions aient été prises sans consulter le Parlement. Je rappelle aussi que ces pays font partie des pays prioritaires pour l'aide au développement.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Nous avons beaucoup travaillé dans cette commission sur la loi du 4 août, nous l'avons portée et j'espère que les objectifs fixés seront maintenus.

Sur l'enfance en effet, on observe en effet une régression. J'avais posé une question au Gouvernement sur l'implication de la France dans la constitution d'états civils fiables et sur notre contribution au fonds créé par le groupe de travail pour l'agenda sur l'identité juridique de l'Organisation des Nations unies. Certains enfants ne sont pas enregistrés à la naissance ; ils n'ont donc pas d'existence juridique et sont ainsi vulnérables à toutes les agressions possibles. Jean-Yves Le Drian m'avait promis de vérifier, mais je n'ai jamais obtenu de réponse claire. On ne peut admettre qu'un enfant ne soit « personne » !

En ce qui concerne le criblage, de nombreuses collectivités territoriales se posent des questions. Une liste noire d'associations qu'il ne faudrait plus subventionner, au motif par exemple que leur président a tenu des propos contre la France, aurait été dressée. Mais cette liste n'a pas été publiée et nous ne la connaissons pas. Les collectivités qui ont des liens de coopération décentralisée avec le Mali s'interrogent pour savoir si elles doivent continuer ou non à soutenir telle ou telle association ; je leur réponds dans l'immédiat qu'il faut faire du cas par cas et ne pas casser les liens avec les associations qu'elles connaissent bien et qui peuvent porter la démocratie dans ce pays. Une grande confusion règne en tout cas, nous avons besoin de clarté.

M. Christian Cambon, président - De manière générale, je regrette le peu d'informations que nous avons sur l'aide au développement. J'ai appris par la presse que le Gouvernement avait affecté plus de 80 millions d'euros sur le budget de l'AFD à la Moldavie. Mais nous n'avons pas été consultés. Et, en dépit de toutes les promesses, la commission d'évaluation de l'aide publique au développement, pour la création de laquelle nous nous sommes battus, n'est toujours pas en place.

M. Pierre Laurent. - Nous devons chercher à obtenir des explications sur la suspension de l'aide au Mali. Il semble que, de fait, une interdiction globale de financement des associations ait été décidée par le Gouvernement français, par le biais d'une méthode qui aboutit à stigmatiser les ONG. En retour, le gouvernement malien a interdit à ces ONG de travailler au Mali. Les projets de coopération décentralisée sont à l'arrêt. Sous prétexte de ne pas alimenter des organisations djihadistes, on risque, au contraire, de leur laisser un espace considérable sur le terrain. ! Le travail remarquable accompli par les ONG et les associations travaillant dans le cadre des projets de coopération décentralisée sera perdu. Il s'agit donc d'une décision inquiétante prise sans aucune transparence, brutalement, qui laisse tous les acteurs concernés désemparés. Nous devrions demander au Gouvernement des explications.

M. Christian Cambon, président. - Il serait utile d'interpeller le Gouvernement en séance à ce sujet.

M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Effectivement, il serait utile d'avoir des précisions, car le Gouvernement affirme que l'aide humanitaire est maintenue ; or les informations provenant de différents canaux africains disent que l'aide est stoppée.

Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Je souhaite apporter une simple précision. En réalité, l'aide à la Moldavie était prévue depuis longtemps : l'engagement avait été pris lors de la Conférence des donateurs de la plateforme de soutien à la Moldavie qui s'est tenue, à Berlin, le 5 avril 2022. La France s'est engagée à hauteur de 125 millions d'euros, dont 75 millions, par le biais de l'AFD.

Mme Michelle Gréaume. - Le budget de l'aide publique au développement augmentera l'année prochaine, ce dont nous pouvons nous réjouir. Les crédits du programme 110 relatif aux aides économiques sous forme de prêts progressent de 25,6 %, et ceux du programme 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », augmentent de 12,6 %. C'est à travers ces financements en matière d'aide bilatérale et d'aide multilatérale, notamment via l'aide humanitaire, que les dons et les actions concrètes sont rendus possibles.

Il existe toutefois un problème de transparence. En effet, le pilotage de l'APD est assuré tous les cinq ans par la réunion du Cicid qui fixe les grandes orientations en la matière. Ce comité exclut les organisations de la société civile, les ONG et même le Parlement. La Cour des comptes a alerté sur l'absence de transparence qui prévaut.

Nous déplorons un manque de vision à long terme, d'objectifs clairs, de stratégie globale. Les choix en matière d'orientations ou de zonage sont pris sans concertation. Enfin, le refus de déplafonner la TTF, qui a été créée à l'origine pour soutenir la solidarité internationale et rééquilibrer la finance mondiale, bénéficie aujourd'hui au budget général de l'État et au remboursement de la dette.

Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 110, « Aide économique et financière au développement », et 209, « Solidarité à l'égard des pays en développement », de la mission « Aide publique au développement ».

La réunion est close à 11 h 40