Jeudi 1er décembre 2022

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes, et de M. Franck Montaugé, vice-président de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 9 h 05.

Énergie, climat, transports - « Le marché de l'électricité dans l'Union européenne : quelle réforme ? » - Audition de MM. Jean Michel Glachant, président de l'Association internationale pour l'économie de l'énergie, Didier Holleaux, président de l'Union européenne de l'industrie du gaz naturel (Eurogas), directeur général adjoint du groupe Engie, Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie, Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden), Kristian Ruby, secrétaire général de l'Association européenne des énergéticiens (Eurelectric), et Mme Catharina Sikow-Magny, directrice Transition verte et intégration du système énergétique à la direction générale de l'énergie de la Commission européenne

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur le président, mesdames et messieurs, mes chers collègues, découplage du prix du gaz et de l'électricité, plafonnement du prix du gaz, extension du mécanisme ibérique, réforme du marché européen de l'électricité : l'Union européenne est divisée sur les moyens à mettre en oeuvre pour parvenir à limiter la hausse des prix de l'électricité en Europe, une hausse qui a débuté en 2021, avec la reprise économique qui a suivi la pandémie, et qui s'est accentuée en 2022, avec la guerre en Ukraine, car le prix de l'électricité grimpe avec ceux du gaz et du pétrole : ainsi, le prix de l'électricité sur le marché européen de gros avait déjà plus que doublé au dernier trimestre 2021, et il s'est maintenu en 2022 à un niveau très élevé, atteignant un pic inédit, fin août, à plus de 1 100 euros par MWh.

La France a été largement épargnée grâce au bouclier tarifaire, même si la Première ministre a annoncé, pour début 2023, une hausse des prix de l'électricité de 15 %. Plusieurs États membres, dont la France, appellent, depuis le début de la crise énergétique, à une réforme substantielle du marché pour décorréler les prix de l'électricité et des énergies fossiles, tandis que d'autres se montrent très réservés envers une évolution des mécanismes.

Les réunions du Conseil européen et du Conseil de l'Union européenne se succèdent pour tenter d'apporter des réponses au moins temporaires à cette situation, mais les positions restent figées. Certains États considèrent que les propositions de la Commission européenne manquent d'ambition et réclament des évolutions structurelles ; d'autres mettent en avant les effets de bord des mesures envisagées, craignant en particulier pour l'approvisionnement énergétique de l'Europe.

L'envolée des prix de l'électricité à des niveaux parfois stratosphériques, comme en août, a suscité des interrogations et des inquiétudes sur l'efficacité du marché européen de l'électricité et le bien-fondé de sa conception actuelle. À ce titre, le mécanisme de fixation des prix sur le marché de gros, largement considéré comme responsable de la flambée des prix de l'électricité, est au centre des critiques.

Alors qu'en avril dernier, un rapport de l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie plaidait pour conserver le mécanisme actuel, la Commission européenne a depuis infléchi sa position. La présidente Ursula von der Leyen a ainsi promis « une intervention d'urgence et une réforme structurelle du marché de l'électricité ». Une proposition législative est attendue pour début 2023.

En attendant, la Commission européenne a proposé des mesures d'urgence et de nouveaux mécanismes de solidarité pour maîtriser, à très court terme, la flambée des prix de l'énergie dans l'Union. Trois règlements ont déjà été adoptés dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l'article 122 du traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

La dernière proposition de la Commission européenne - un plafonnement des prix du gaz sur la bourse néerlandaise TTF - mise sur la table lors de la réunion des ministres de l'énergie, le 24 novembre dernier, a déçu les États partisans d'un mécanisme de plafonnement et d'un découplage des prix du gaz et de l'électricité, mais a aussi fortement inquiété ceux qui s'opposent à toute mesure de cette nature, reflétant l'antagonisme des positions française et allemande.

C'est dans ce contexte que nous avons tenu à solliciter votre expertise sur le fonctionnement du marché de l'électricité pour envisager les diverses options qui permettraient de sortir de la crise actuelle.

M. Franck Montaugé, président. - Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, n'a pu être parmi nous ce matin pour des raisons personnelles. Elle m'a demandé de la suppléer pour ouvrir cette table ronde sur le thème de la réforme du marché européen de l'électricité, ce que je fais avec plaisir.

C'est la quatrième fois que nous échangeons ensemble sur l'énergie, après une première table ronde sur les enjeux stratégiques de l'énergie pour l'Union européenne, mais aussi nos travaux au long cours sur la taxonomie verte européenne et le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». Je remercie le Président Rapin de ces échanges fructueux.

Notre commission est très engagée en faveur de la réforme du marché européen de l'électricité. Nous avons en effet demandé une révision du principe du coût marginal, qui lie le prix de l'électricité à celui du gaz sur le marché de gros de l'électricité, comme l'une des cinq mesures que nous avons proposées pour sortir de la dépendance au gaz russe, le 28 février dernier, quelques jours après le début de l'invasion russe en Ukraine, mais aussi par le biais de nos rapports d'information sur le volet « Énergie » du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », en mars dernier, et sur le nucléaire et l'hydrogène, en juillet dernier. Quel est votre avis sur la crise énergétique actuelle ? Selon vous, est-elle due à des facteurs conjoncturels ou structurels ? Un consensus émerge-t-il en Europe pour découpler le prix du gaz de celui de l'électricité, comme l'a demandé la France, ou a minima pour plafonner le prix du gaz, comme cela a été obtenu par le Portugal et l'Espagne ?

Notre commission est aussi très impliquée dans la mise en oeuvre du plan « RePowerEU », qui doit permettre à l'Union européenne de sortir de sa dépendance aux hydrocarbures russes d'ici 2030. Bien consciente de la nécessité et de la difficulté de cet exercice, j'ai proposé au nom de notre commission une déclaration forte sur ce sujet aux parlementaires des 27 États membres, qui participaient à la réunion interparlementaire que nous avons organisée au Sénat sur l'autonomie stratégique économique européenne le 14 mars dernier, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Depuis lors, le règlement du 6 octobre 2022, qui autorise une intervention d'urgence pour atténuer les effets des prix élevés de l'énergie, a été adopté.

Est-il à la hauteur des enjeux, car il nous semble que le volet lié à l'électricité est plus étoffé que celui lié au gaz ? Que pensez-vous des mesures visant à réduire la consommation, plafonner les recettes ou appliquer des tarifs réglementés aux PME ? De nombreux pays européens s'en sont-ils servi ? Est-ce une réponse adaptée et pérenne ?

Notre commission est aussi très investie dans la mise en oeuvre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui doit permettre à l'Union européenne de réduire de 55 % ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Parce que la décarbonation de notre économie nécessite de doubler la production d'électricité, notre commission a contribué à l'adoption d'une résolution européenne sur ce paquet, élaborée en commun avec la commission des affaires européennes et celle du développement durable. Ce texte souligne notamment la nécessité de garantir une neutralité technologique entre les différentes énergies décarbonées, l'énergie nucléaire comme les énergies renouvelables.

Il nous semble en effet que les projets de directives sur la taxation de l'énergie et les énergies renouvelables, mais aussi les projets de règlements sur le paquet gazier, les carburants aériens et les carburants maritimes durables défavorisent l'énergie nucléaire par rapport aux énergies renouvelables. Quel est votre point de vue ? Ne doit-on pas faire davantage pour cette source d'énergie décarbonée ?

Je vous remercie des éléments que vous pourrez apporter sur ces sujets majeurs et forme le voeu que la réforme du marché européen de l'électricité soit l'occasion, pour l'Union européenne, de sortir de sa dépendance aux énergies fossiles et de valoriser toutes les formes d'énergies décarbonées, nucléaire comme renouvelables.

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Glachant, selon vous, quelles sont les limites du fonctionnement actuel du marché européen de l'électricité ? Quel bilan tirez-vous de l'ouverture à la concurrence du secteur de l'électricité ? Nous serions très intéressés que vous puissiez introduire votre propos par une présentation de l'organisation du marché et de l'évolution des prix de l'électricité en Europe.

M. Jean-Michel Glachant, délégué à l'Institut universitaire européen (EUI) de Florence, président de l'Association internationale pour l'économie de l'énergie. - Je suis très honoré par la demande que vous m'avez faite de réaliser, en salle Médicis, un tour d'horizon des marchés européens vu de la ville des Médicis, Florence.

Je suis professeur des universités, délégué à l'Institut universitaire européen (EUI) de Florence, et j'ai été élu par mes pairs président de l'Association internationale pour l'économie de l'énergie, fonction que je dois prendre le 16 décembre à Philadelphie, aux États-Unis.

Le modèle européen du marché de l'électricité est un modèle léger. Il s'oppose au modèle lourd et organisé anglo-saxon, le pool britannique ou le pool de Pennsylvanie-New-Jersey-Maryland.

Ce modèle lourd organisé réalise un dispatch de toutes les unités de production, unité par unité, pour chaque demi-heure. Personne ne peut produire sans l'ordre du dispatch central. Le modèle Pennsylvanie-New-Jersey-Maryland ajoute un calcul nodal des prix. Chaque noeud du réseau a son prix. Il y a jusqu'à plusieurs centaines de noeuds et de prix.

Notre modèle léger européen n'a aucun dispatch central. Chaque offreur gère lui-même son portefeuille d'unités, nos prix sont zonaux, une zone pouvant même être un pays de la taille de la France.

Ce modèle européen n'a jamais été dicté par la Commission, c'est un résultat empirique national. Les résultats nationaux ont été réutilisés par les transporteurs français, belges et néerlandais pour coupler tous nos marchés nationaux en un seul marché européen. Comment ? Par un calcul de capacités garanties de transport transfrontalier. C'est le couplage des marchés nationaux qui est le coeur des échanges européens et qui a été enrichi d'un grand nombre de codes européens de réseaux conçus par l'Association européenne des transporteurs, en dialogue avec l'Agence européenne de coopération des régulateurs de l'énergie. Ce mode de fonctionnement est pragmatique et empirique. Il a été élaboré sur plus de dix ans et ce travail se poursuit.

Le modèle européen est unique au monde. Ni les États-Unis, ni le Canada, ni l'Australie n'y sont parvenus. Certes, c'est un modèle léger, mais, soutenu par le couplage de tous nos marchés nationaux et par des codes communs de réseau, il ouvre chaque système électrique national à tous les autres et permet d'optimiser le fonctionnement de tout le parc électrique européen, soit des milliers d'unités, et même des centaines de milliers avec le renouvelable. C'est incroyablement efficace et cela fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 à l'échelle européenne. Même la Chine s'y intéresse dans sa réflexion nationale sur le couplage des marchés régionaux chinois.

Ce modèle européen ouvert a permis un succès industriel mondial dans les éoliennes. Les deux premières entreprises mondiales de fabrication d'éoliennes sont européennes. La danoise Vestas est numéro un mondial et numéro un aux États-Unis. La germano-espagnole Siemens Gamesa est numéro un mondial en éolien maritime. Le Danemark prépare des plates-formes maritimes géantes, des hubs de 10 GW à 20 GW. L'objectif européen général en maritime est de 60 GW en 2030 - c'est la taille de tout le parc nucléaire français. 340 GW en 2050, c'est deux fois et demie la puissance installée en France, sans parler de l'apparition de géants de l'électricité renouvelable Enel, EDP, Iberdrola, mais aussi venant du gaz et du pétrole, comme TotalEnergies ou BP.

Notre modèle européen ouvert est-il antinucléaire ? Il est tout à fait vrai que les centrales au gaz ne présentent pas de risque de prix de marché puisqu'elles forment celui-ci. Ce n'est pas le cas du nucléaire. Regardons le cas britannique : Hinkley Point est en cours de construction et Sizewell est un projet de centrale à deux réacteurs EPR. Comment ? Pragmatique, le gouvernement britannique garantit par des contrats de long terme le prix de vente du nucléaire jusqu'à 100 euros/MWh, soit plus de deux fois l'Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH). Ce sont des contrats pour différence (CFD), auparavant approuvés par la Commission européenne.

Quand les renouvelables sont venus baisser les revenus des centrales au gaz, on a étendu ce pragmatisme. Les centrales au gaz peuvent toucher des revenus de capacités sur le marché des capacités, en plus du prix de vente de l'énergie. Ceci a également été approuvé par la Commission européenne, mais soyons francs : ce modèle européen 2000-2010 est dépassé et il nous en faut un autre.

Premièrement, les investissements productifs ne sont plus basés sur les prix de marché de gros. Il faut en prendre acte et financer les investissements par des contrats de long terme, ces fameux contrats pour différence, ou bien par des contrats d'approvisionnement bilatéraux - en anglais « power purchase agreement » ou PPA -, tout en visant une planification souple des évolutions technologiques. Par exemple, il faut encourager l'éolien maritime flottant, pour lequel la France comme le Portugal disposent d'un véritable avantage.

Cette réorganisation des schémas d'investissement fournirait aussi une base solide à la stabilité à long terme des prix de gros. D'après les estimations de la Commission de régulation de l'énergie, le secteur des renouvelables français devrait reverser aux autorités publiques, en 2022-2023, une trentaine de milliards d'euros.

Deuxièmement, il faut favoriser plus d'investissements dans la résilience du système électrique en donnant à ces fameux marchés de capacité la mission d'accroître la flexibilité de la demande. Le Sénat pourrait, par exemple, s'intéresser au champion national en France, Schneider Electric.

Troisièmement, il faut aussi renforcer la stabilité des prix de gros en favorisant des marchés de couverture. En les alimentant par des obligations réglementaires de couverture des fournisseurs, on pourrait même, à l'échelle européenne, créer un marché de couverture des fournitures de base qui serait l'équivalent de notre définition française de service public garanti, - un nouveau modèle européen qu'on pourrait qualifier d'hybride -, avec plusieurs types de marchés et des politiques publiques fortes.

Après une sortie de l'épidémie de Covid désordonnée et inflationniste, il était parfaitement légitime de prolonger le « quoi qu'il en coûte » pour ne pas bloquer la reprise économique, en ciblant les ménages. Il existe beaucoup de manières de le faire. En Espagne, on est intervenu sur les prix de gros, ce qui peut sembler curieux pour changer les prix de détail, mais est typique de l'Espagne. En France, on est intervenu sur les prix de détail, ainsi qu'en Grande-Bretagne, mais avec des faillites de fournisseurs d'électricité. On peut également citer les aides directes aux ménages sans toucher au prix - formule allemande -, ou l'étalement pluriannuel des factures - formule danoise.

Notre bouclier tarifaire était au coeur de la réponse française. Les réponses nationales étaient alors parfaitement légitimes et appropriées. Une réponse européenne n'était pas nécessaire.

Le nouveau choc, à mes yeux, est le choc politique russe, apparu à partir de mars 2022. Avec la menace d'une coupure ou d'une pénurie de gaz, le sujet n'est plus le prix, mais le volume : il faut baisser les volumes consommés et trouver du gaz naturel liquéfié (GNL) ou du gaz de gazoduc un peu partout. Toutefois, il n'y aura pas de desserrement net de l'offre avant 2025 ou 2026. Il faut donc « serrer la vis » à la demande, donc aux consommations. Il n'y a pas d'échappatoire.

Le bouclier tarifaire national n'est plus au coeur des remèdes. C'est devenu un coupe-symptôme, une aspirine pendant la fièvre, mais ce n'est pas un remède qui agit sur les causes. Quand la demande européenne semble incontrôlée, les marchés peuvent bondir vers le prix de la défaillance jusqu'à 10 000 euros/MWh, ce qui devient un problème européen collectif et non plus national.

Il y a donc utilité à mettre en place une surveillance européenne des consommations et des achats européens groupés, mais vous constaterez, comme moi, que ceci n'apporte pas de réponse claire à la perte de compétitivité des gros exportateurs ou de zones industrielles électro-intensives.

Enfin, en matière de sobriété, deux modèles s'opposent. L'Allemagne a réduit de 100 TWh sa consommation de gaz. L'Espagne a réduit un peu la consommation des ménages et des professionnels, mais a augmenté de près de 25 TWh la consommation de gaz pour produire de l'électricité. Choisissez votre modèle ! Je ne dirai rien de la France car, dans la salle Médicis, la France, ce n'est pas moi, c'est le Sénat !

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Ménard, du point de vue du régulateur français, quelle est votre analyse par rapport aux propos très intéressants qui viennent d'être tenus ?

M. Laurent Ménard, directeur des affaires économiques et financières de la Commission de régulation de l'énergie. - Directeur des affaires économiques et financières de la CRE depuis un peu plus de trois ans, j'ai eu le « bonheur » d'arriver au début de la crise énergétique ! Je voudrais souligner à quel point le modèle de marché tel qu'il a été mis en place en Europe est un modèle pragmatique, assez éloigné de modèles peut-être plus « purs », mis en place aux États-Unis ou au Royaume-Uni.

Si l'on considère le marché français de l'électricité, comme l'a dit M. Glachant, tout le pays est une seule zone de prix. Le prix de gros sur les marchés de gros est donc le même pour tout le territoire français.

Par ailleurs, le fonctionnement n'est pas celui d'un marché où chaque centrale est « dispatchée » par un organisme central. En fait, chaque producteur vient proposer chaque jour une offre de prix qui intègre l'ensemble de son parc de production et a donc la possibilité d'arbitrer entre les moyens de production et le prix qu'il propose sur le marché. C'est très différent du fonctionnement de certains marchés américains, où le coût marginal de chaque centrale est pris en compte par un dispatcheur central.

Un débat tout à fait légitime a eu lieu sur le principe du coût marginal. En réalité, dans leur fonctionnement concret, les prix proposés par les opérateurs reflètent leur stratégie de vente sur le marché, compte tenu de l'ensemble de leur parc de production. C'est un point extrêmement important.

S'agissant de l'emprise de ce marché sur l'ensemble des productions et des ventes d'électricité, il faut savoir que les transactions en France ne représentent qu'une petite partie des soutirages qu'on peut avoir sur une année, de l'ordre de 15 %. Cela ne signifie pas que le marché n'a pas d'influence sur les autres transactions.

On a, en effet, un système assez sophistiqué qui fait que les prix définis sur ce marché, qui couvre une petite partie des transactions, influencent les transactions réalisées sur les autres segments. Par exemple, l'ARENH, avec un prix fixé à 42 euros, représente plus en soutirage que la partie négociée sur le marché. Parmi les transactions intragroupes d'EDF, tous les consommateurs au tarif réglementé de vente (TRV) et clients d'EDF bénéficient de l'ARENH dans des conditions analogues à celles des fournisseurs alternatifs.

Le marché est un outil essentiellement dédié à l'organisation des échanges avec les autres pays. C'est le point majeur de l'exposé de M. Glachant : le marché européen a, d'abord, été bâti pour organiser au mieux les échanges entre pays européens, une grande latitude étant laissée à chaque pays pour s'organiser en interne. Ce n'est donc pas très contraignant.

Nous disposons d'un outil extrêmement sophistiqué qui permet de distinguer les marchés à terme où les opérateurs s'échangent de l'électricité. En France, la liquidité est limitée à trois ans. Cet horizon est un peu plus important en Allemagne, où il existe une vraie liquidité pour des échéances un peu plus lointaines, mais on n'observe pas de maturité conforme à ce que pourrait souhaiter un futur investisseur dans un moyen de production énergétique.

Si vous voulez investir dans une production d'électricité, que ce soit du renouvelable, du nucléaire ou même des moyens thermiques, vous avez besoin d'une visibilité des recettes que le marché à terme ne fournit pas aujourd'hui.

Il n'est pas possible de conclure sur le marché à terme de contrats qui permettraient de sécuriser ses recettes vis-à-vis de son banquier. Cette faiblesse est compensée par le développement, qui existe dans tous les pays européens, de contrats de long terme.

M. Glachant a cité les contrats pour différence, qui sont les plus répandus. Auparavant, en particulier en France, existait le régime des obligations d'achat, où l'on garantissait aux opérateurs d'énergies renouvelables l'achat de leur production par une branche d'EDF, à un prix fixé dans leur contrat. Cette insuffisance dans le temps du marché de gros actuel est donc compensée par les contrats de long terme. Le sujet, aujourd'hui, est sans doute d'élargir ces contrats de long terme à d'autres formes d'énergie que les seules énergies renouvelables.

Pourquoi ce sujet est-il à l'ordre du jour ? Tout d'abord, on a constaté que le marché à terme ne permettait pas de sécuriser les revenus des ceux qui avaient des projets d'investissements dans les moyens de production et que les dispositifs existants, en particulier en France, ont une date de péremption. L'ARENH, qui a organisé la vente de l'électricité nucléaire par EDF, à la fois à ses clients et à des fournisseurs alternatifs, doit de toute façon prendre fin en 2025. Ce terme est fixé par la loi. Il faut donc remplacer l'ARENH. Il s'agit, en France, d'organiser un futur pour la production nucléaire.

Au-delà de ce marché à terme, qui a des échéances lointaines, il existe des outils de très court terme qui permettent d'organiser au mieux l'équilibrage de la demande et de l'offre sur le marché électrique français. C'est ce qu'on appelle le marché spot ou marché infrajournalier. Je n'entrerai pas dans le détail de ces mécanismes extrêmement sophistiqués. Ils ont fait jusqu'à présent la preuve de leur efficacité, puisqu'on n'a pas eu de vraies crises d'équilibrage, même dans le cas de situations tendues.

La crise que nous traversons n'est pas financière au sens où il existerait un emballement des marchés sans aucune raison physique : la crise que l'on connaît, c'est d'abord une crise d'approvisionnement. En France, la crise d'approvisionnement est un peu différente de celle que connaît l'ensemble des pays européens.

On peut estimer, en 2022, à 800 TWh l'énergie qui ne vient plus des pipelines russes. Du fait de la guerre et de l'invasion de l'Ukraine, l'Europe est donc privée de 800 TWh de gaz.

La France a un problème très spécifique de disponibilité du parc nucléaire, qui a été révélé-, en décembre 2021, par le groupe EDF. Celui-ci a alors mentionné des difficultés de maintenance et la découverte du phénomène de corrosion sous contrainte. Si on considère l'ensemble de la production nucléaire de cette année, on peut estimer qu'il va manquer par rapport à une année normale entre 80 et 100 TWh de production nucléaire.

La France connaît ainsi deux crises d'approvisionnement, celle qu'elle partage avec tous les autres pays européens - qui la touche un peu moins parce qu'elle était moins dépendante qu'eux du gaz russe par pipeline -, et une crise d'approvisionnement liée aux difficultés rencontrées sur le parc nucléaire. La combinaison de ces deux éléments fait que c'est en France que les prix de l'électricité ont le plus augmenté : quand on regarde la carte du marché du prix à terme de l'électricité, on constate que c'est en France qu'on a dépassé les 1 000 euros/MWh pour 2023...

M. Laurent Duplomb. - On a fermé Fessenheim en mars !

M. Laurent Ménard. - La réponse en termes d'organisation globale incite malgré tout, pour la crise d'approvisionnement en gaz, à un certain optimisme. Pour l'électricité, c'est un petit peu plus discutable. Les gens sont raisonnablement exposés, en Europe, à la hausse des prix de marché du gaz. On constate aussi des afflux de GNL : nous estimons que, sur les 800 TWh de gaz manquants, 500 ont été compensés par le GNL. Les prix très élevés du gaz sur le marché ont permis d'attirer des cargaisons de GNL dans des proportions extrêmement importantes.

Par ailleurs, on observe une baisse de la consommation de gaz dans des proportions relativement importantes qui révèle sans doute des problèmes de compétitivité de l'industrie européenne, mais qui, sur le moment, a permis d'absorber la crise d'approvisionnement.

On observe la même chose s'agissant de l'électricité. RTE publie chaque semaine un tableau très précis de l'évolution de la consommation. On constate, surtout chez les industriels exposés au prix de marché de l'électricité, une forte baisse de la consommation électrique. Le marché a donc permis d'absorber dans d'assez bonnes conditions les chocs considérables que nous avons eu à affronter.

Le sujet qui est sur la table pour l'électricité est de lever les préventions qui existaient vis-à-vis des contrats de long terme, qui ont été prégnantes de la part de la Commission européenne. Je pense que c'est en bonne voie.

M. Jean-François Rapin, président. - On reviendra peut-être sur le sujet de la responsabilisation. Les entreprises ont exercé une forme d'autorégulation responsable. En va-t-il de même chez les particuliers ?

M. Laurent Ménard. - Oui, en partie.

M. Franck Montaugé, président. - Vous n'avez pas abordé le market design. Vous dites que les choses vont rentrer dans l'ordre : nous nous posons une question fondamentale quant à la structuration, notamment tarifaire, de l'organisation du marché. Dans quelle direction faut-il aller si, d'aventure, les choses se reproduisaient, pour être plus résiliant dans l'intérêt général, à la fois sur le plan national et sur le plan européen ?

M. Laurent Ménard. - Le point aujourd'hui à l'ordre du jour en matière de market design est le développement de contrats de long terme, qui permettent aux investisseurs de financer des projets dans la production d'énergie.

M. Franck Montaugé, président. - Nous aimerions, par ailleurs, connaître votre position sur la question du découplage des prix de l'électricité et du gaz, au-delà de la mise en place de contrats de long terme.

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Percebois, pouvez-vous nous dire, au-delà des dysfonctionnements du marché, quel est l'impact des mesures d'urgence proposées par la Commission européenne, et présenter les pistes de réformes que vous suggérez, notamment pour protéger les consommateurs ?

Vous avez récemment publié un article remarqué dans lequel vous proposez une réforme du système.

M. Jacques Percebois, professeur émérite à l'université de Montpellier et directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (Creden). - La situation actuelle résulte de deux phénomènes principaux, d'une part, la hausse du prix du gaz, qui fait que les centrales appelées en fonction du merit order coûtent plus cher en fonctionnement, le coût du combustible jouant un rôle important et, d'autre part, un manque de capacités qui s'explique par le fait qu'on a fermé en Europe beaucoup de capacités disponibles depuis une quinzaine d'années, notamment pilotables. C'est vrai pour les centrales à gaz, pour le nucléaire en Allemagne, et même pour le nucléaire en France. On manque donc de capacités dans un contexte où l'on pensait que la demande d'électricité n'allait pas augmenter. Ce manque de capacités est aujourd'hui une contrainte forte sur les marchés européens.

On constate cependant que le prix d'équilibre sur le marché de gros est souvent supérieur au coût marginal de la centrale à gaz. Il y a donc, à la fois, une prime de risque et quelques spéculations. Il est très difficile de savoir quelle est la part qui relève de ces deux observations, mais le prix de l'électricité, corrélé au prix du gaz, est souvent très supérieur au coût marginal, ce qui explique que le prix de gros, en France, soit supérieur à ce qu'on trouve dans d'autres pays, notamment en Allemagne.

Je rappelle que le prix de gros n'est qu'une partie du prix de détail. Au départ, il représente un tiers de l'ensemble du prix de détail si l'on considère le TRV, sans parler des taxes ou du coût des réseaux. Aujourd'hui, c'est même davantage : le coût des fournitures ayant augmenté, on est plus proche de 40 à 45 %, y compris en France.

Il faut dissocier les solutions de court terme et les solutions de long terme. La première solution à laquelle on peut penser, qui a d'ailleurs fait ses preuves tout en maintenant le système, c'est la réduction de la demande d'électricité. Le prix augmentant, cela favorise l'efficacité au niveau des usages. La baisse de la demande, qui est relativement importante - RTE parlant de 6 à 7 %, ce qui n'est pas négligeable -, peut paraître une bonne chose, mais elle peut aussi cacher des faillites d'entreprises, des arrêts de production ou, pire, des délocalisations. Certaines entreprises européennes annoncent déjà qu'elles iront s'implanter aux États-Unis. Il faut donc être très prudent sur la façon dont on analyse la baisse de la demande.

Une deuxième solution qui a pu être évoquée, mais qui, à mon sens, n'est pas efficace, est de considérer que, dans le système actuel, le prix d'équilibre s'applique à tout le monde, même si le marché de gros ne représente qu'une faible part des transactions. C'est la logique du marché. Il existe donc des rentes inframarginales qui sont aujourd'hui très importantes, le prix de gros étant très élevé.

Certains pensent qu'il faudrait faire des enchères non à prix limite, comme c'est le cas aujourd'hui, mais à prix demandé, c'est-à-dire à la hollandaise et non à la française, ce que l'État utilise, par exemple, pour les obligations assimilables du Trésor. Ce système peut fonctionner dans un contexte où l'offre est excédentaire, mais non dans un contexte de pénurie ou d'offre insuffisante, chacun anticipant le prix d'équilibre. Aucun opérateur ne fera de propositions en deçà d'un prix relativement élevé.

La troisième solution est une solution que j'ai étudiée avec un collègue du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) : elle est un peu académique et consiste à proposer la moyenne des coûts marginaux, avec compensation marginale pour la centrale. L'avantage est que cela fait fortement baisser le prix d'équilibre. Évidemment, les centrales qui sont au-dessus de la moyenne ne couvrent pas leurs coûts variables, mais ce n'est pas gênant : on leur donne une compensation et, comme cela fait beaucoup baisser le prix d'équilibre, la rente inframarginale baisse fortement.

Ce système n'est valide que dans un contexte où le coût marginal est extrêmement élevé par rapport aux autres. Les centrales renouvelables ou les centrales nucléaires sont, par exemple, très en deçà. Cela fait donc baisser la moyenne. C'est très efficace en France, mais cela ne le serait pas nécessairement dans un autre contexte ou dans un pays où ce ne serait pas le cas.

Une autre solution, que je trouve très séduisante, a été évoquée : c'est la solution qu'on appelle « ibérique », consistant à subventionner le gaz utilisé dans la production d'électricité. Cela a fait baisser le prix de l'électricité en Espagne. Il est vrai que le poids du gaz en Espagne est relativement élevé dans la production d'électricité, mais les prix de gros sur le marché espagnol sont au minimum deux fois moindres que dans le reste de l'Europe.

Ce système comporte des effets pervers : si cela a relancé un peu la demande de gaz, c'est parce que les interconnexions entre l'Espagne et le Portugal, d'un côté, et le reste de l'Europe, de l'autre, ne sont pas très importantes. Il n'y a donc pas trop de fuites, mais il y en a eu quand même, certains opérateurs espagnols ayant préféré vendre sur le marché français, beaucoup plus rémunérateur. Cette solution à court terme me paraît néanmoins extrêmement séduisante, même si cela peut relancer la demande de gaz et ne résout pas le problème des industriels qui utilisent du gaz pour d'autres raisons. Je pense pour ma part qu'à court terme, si l'on veut éteindre l'incendie, c'est une solution tout à fait justifiée.

Les Allemands n'en veulent pas, car ils pensent que cela leur coûterait trop cher et subventionnerait le consommateur français. Ils nous vendent, en effet, beaucoup d'électricité thermique, notamment durant les heures pleines. Ils ont donc le sentiment qu'il reviendrait au consommateur allemand de financer le consommateur français.

Une autre solution consisterait à taxer la rente inframarginale sur le marché électrique en totalité au-delà de 180 euros/MWh. C'est ce qui a été évoqué. Pourquoi pas ? Que faire de cette rente ? On peut soit l'utiliser pour aider les centrales à gaz, c'est-à-dire revenir à la solution précédente, soit pour aider les consommateurs domestiques ou industriels. C'est une solution séduisante. C'est visiblement celle que préfèrent les Allemands.

En France, il ne faut pas perdre de vue que cette rente inframarginale serait probablement moins élevée. Notre pays vend, en effet, beaucoup d'électricité à un prix régulé. On a cité le nucléaire, qui est très largement vendu à un prix régulé grâce à l'ARENH, dont profitent évidemment les alternatifs, mais on retrouve également l'ARENH dans le TRV. Il s'agit de l'effet miroir évoqué tout à l'heure. En fait, une grande partie de l'électricité nucléaire française est vendue à un prix régulé, proche des 42 euros/MWh.

Les énergies renouvelables sont également vendues à un prix régulé, puisqu'il s'agit soit de prix d'achat garanti sur une certaine période, soit d'un système de complément de rémunération. Le complément de rémunération était séduisant pour les producteurs d'énergies renouvelables tant que le prix de gros était peu élevé et inférieur en tout cas au coût de production. Ils bénéficiaient, en effet, d'un complément de rémunération, mais celui-ci est aujourd'hui devenu négatif. Comme cela a été dit, on estime que, pour l'année 2022-2023, ceci devrait rapporter plus de 30 milliards - on parle même de 38 milliards d'euros à l'État. On peut donc avoir un complément négatif.

Un prix plafond pour le gaz, oui, à condition que les vendeurs de gaz acceptent la négociation à ce prix plafond. Pourquoi pas ?

Une autre solution me paraît aussi très séduisante. Elle est plutôt orientée vers le moyen ou le long terme. Il s'agit de ce que certains appellent le « système grec », qui consiste à faire deux compartiments sur le marché de gros, un compartiment avec les centrales à forte proportion de coûts fixes, d'un côté, c'est-à-dire essentiellement les renouvelables et le nucléaire et, de l'autre, un second compartiment où le prix serait fixé par merit order fondé sur les coûts marginaux, c'est-à-dire le coût variable. C'est le cas des centrales à charbon, mais surtout des centrales à gaz. L'avantage de ce système réside dans un prix fixé par appel d'offres, sur la base du coût moyen, pour les centrales renouvelables et nucléaires et, sur la base du coût marginal, c'est-à-dire les coûts variables, pour les centrales fossiles. Le consommateur paierait un prix qui serait une moyenne pondérée des deux. À court terme, cela peut régler une partie du problème, même si le système est un peu compliqué à mettre en oeuvre. L'avantage, c'est qu'il est pérenne sur le long terme. En effet, le système peut continuer à fonctionner au fur et à mesure que les centrales fossiles disparaissent. C'est la frontière entre les deux compartiments qui est modifiée. À terme, le prix serait calé sur le coût moyen des centrales à fort coût fixe ; j'estime que c'est un bon système.

Ceci m'amène à une solution que je privilégie personnellement pour le long terme : la solution proche de l'acheteur unique, c'est-à-dire un système que la France avait proposé au début de la libéralisation du marché de l'électricité. Aujourd'hui, ce serait probablement incompatible avec les textes européens, mais il s'agit d'un système très séduisant, parce que cela signifie qu'en faisant appel aux différentes centrales, il est possible de proposer des contrats à long terme avec les producteurs retenus. Le prix serait donc aligné sur le coût moyen sur le long terme.

Je ne parlerai pas de la dernière solution que certains évoquent, qui consiste à supprimer le marché et à revenir au monopole public intégré. Je considère que le marché a un atout : même avec le système d'un acheteur unique, peuvent co-exister un marché sur le très court terme et un marché au niveau des frontières. Le marché est incitatif, il envoie de bons signaux de court terme et non des signaux de long terme. De toute façon, il faudra faire une réforme sur le long terme, pour une raison simple : si nous avons demain un mix uniquement constitué de nucléaire et de renouvelables, ce qui caractérisera ces centrales sera le fait que la part des coûts fixes est très importante et la part des coûts variables très faible. Le prix devra donc être fixé sur le coût moyen.

On peut donc, dès aujourd'hui, avec le système dit « grec », se diriger vers un système où, avec des contrats à long terme et un prix fixé sur le coût moyen, le signal envoyé fait que le prix est relativement stable et couvre les coûts complets des centrales.

M. Kristian Ruby, secrétaire général de l'Association européenne des énergéticiens (Eurelectric). - Le secteur de l'industrie électrique est fermement engagé dans la transition énergétique. Son objectif est d'atteindre une fourniture d'électricité neutre en carbone d'ici 2045.

L'industrie électrique vise à être un acteur central de la décarbonation de nos sociétés, grâce à une électrification directe et indirecte des usages dans les secteurs clés de l'économie, tels que les transports, le bâtiment, les déchets. Nos membres sont les associations nationales qui représentent l'industrie électrique. Nous regroupons 3 500 entreprises dont, en France, Interfluence Energies (IFE).

Le marché intérieur de l'électricité a pour finalité d'offrir une réelle liberté de choix à tous les consommateurs de l'Union et d'intensifier les échanges transfrontaliers de manière à réaliser des progrès en termes d'efficacité et à atteindre des prix compétitifs. Il est important, lorsqu'on parle des réformes, de comprendre que le marché intérieur de l'électricité a tenu ses promesses : il a renforcé la concurrence et permis aux consommateurs d'économiser environ 34 milliards d'euros en 2021.

Même pendant la crise énergétique, le marché intérieur a prouvé sa robustesse face à la flambée des prix de l'énergie. Nous ne pouvons toutefois pas ignorer l'impact de la flambée des prix pour les consommateurs finaux, ménages et industriels. C'est la raison pour laquelle on doit maintenant se préoccuper des consommateurs vulnérables et prendre des mesures en faveur de réformes structurelles en s'orientant vers des objectifs à long terme en Europe.

Eurelectric a besoin d'une évolution du marché, non d'une révolution. On doit investir environ 100 milliards d'euros chaque année jusqu'en 2050. La confiance des investisseurs est donc très importante.

La réforme du marché intérieur de l'électricité, annoncée par la Commission, doit donc protéger les principes fondamentaux actuels et poursuivre les efforts d'intégration des marchés à court terme. Que faire pour les investissements ? Nous sommes dans une situation où on a besoin de signaux de long terme. Pour Eurelectric, il est donc important de s'assurer que les consommateurs bénéficient davantage des investissements dans les technologies renouvelables et bas carbone à bas coût.

Pour cela, Eurelectric recommande que la réforme du marché de l'électricité s'appuie sur le modèle existant du marché intérieur de l'énergie et y ajoute trois éléments essentiels : un cadre contractuel amélioré en faveur des consommateurs permettant de couvrir suffisamment de contrats à long terme, des investissements afin d'atteindre les objectifs de décarbonation, notamment pour les technologies à forte intensité de capital, et un cadre facilitant l'amplification et la coordination des besoins du système électrique pour garantir l'adéquation et la sécurité de l'approvisionnement, tout en répondant à l'évolution des besoins des systèmes. Pour l'instant, Eurelectric finalise une étude en ce sens.

M. Jean-François Rapin, président. - Monsieur Holleaux, quelle est la vision des acteurs du gaz dans le contexte actuel ?

M. Didier Holleaux, président de l'Union européenne de l'industrie du gaz naturel (Eurogas). - Il existe en fait, selon nous, deux crises de l'énergie, une de l'électricité et une autre du gaz, très largement corrélées par moments et, à d'autres moments, assez fortement décorrélées suivant les endroits.

Contrairement à ce que certaines expressions peuvent laisser entendre de temps à autre, ce n'est pas le gaz qui est responsable du prix de l'électricité, mais très largement aussi le prix de l'électricité qui est responsable du prix du gaz.

La demande de gaz a fait monter les prix à partir de 2021. Elle est liée en partie à des facteurs propres au gaz : l'hiver a été froid, et il fallait donc remplir les stockages qui étaient vides à l'issue. Elle est toutefois également liée à d'autres phénomènes, et en particulier à la sécheresse en Amérique du Sud, qui fait que le Brésil importe du GNL comme il ne l'a jamais fait, de même que le Chili, pour compenser, avec les centrales à gaz, l'absence de production hydraulique.

Cette demande supplémentaire est un des facteurs importants de la hausse des prix du gaz en 2021, avant que la Russie ne l'accentue en ne proposant pas de gaz sur le marché à court terme, un certain nombre d'autres phénomènes venant l'amplifier. Je rappellerais ainsi que, ce même été 2021, la faiblesse du vent en Europe fait que les centrales éoliennes produisent moins. On fait donc tourner des centrales à gaz en période d'été, ce qui est relativement rare. Normalement, l'été, les centrales à gaz sont très largement inutilisées. Cette demande supplémentaire de gaz contribue à la montée des prix durant toute l'année 2021.

Deuxième élément : aujourd'hui, les marchés forward de la France, mais aussi, dans une certaine mesure, de la Belgique ou de l'Allemagne, etc. - ce qu'on appelle le Clean Sparks Spread, c'est-à-dire la différence de coût marginal entre le prix de l'électricité et le coût du gaz que l'on met dans une centrale à gaz est très largement positif sur ces marchés. Au vu des marchés à terme pour l'année 2023 de l'électricité et du gaz - été ou hiver -, on a intérêt à vendre son électricité à terme et à acheter son gaz à terme, ce qui fait monter le prix du gaz.

Autre preuve de l'indépendance des crises, soulignée par M. Ménard : les prix du gaz et de l'électricité sont inversés entre la France et l'Allemagne. Depuis le début de la crise, le prix du gaz est plus faible en France qu'en Allemagne - de l'ordre de 20 à 40 euros par MWh -, et les prix de l'électricité sont plus élevés en France qu'en Allemagne - de l'ordre de 70 jusqu'à 200 euros. Au moment où les prix étaient au-dessus de 1 000 euros en France, ils étaient à environ 800 euros en Allemagne. Le fait qu'il y ait une certaine corrélation entre les prix ne veut pas dire qu'il n'existe pas deux crises séparées.

Je reviens sur ce qu'ont dit MM. Ménard et Percebois : les prix sur les marchés du gaz et de l'électricité sont aujourd'hui assez largement supérieurs à ce que serait le prix qui assure l'équilibre entre l'offre et la demande. Pourquoi ? Il existe un manque de confiance et une très faible liquidité du marché : les gens ne croient plus aux fondamentaux. Il faut le dire : certains finissent par garder l'électricité qu'ils ont en plus plutôt que de la vendre, ne sachant pas ce qu'il va se passer. Il en va de même concernant le gaz. Ce manque de confiance dans la liquidité du marché génère une prime de risque. Les gens ont peur, ils ont d'autant plus raison que s'ils se retrouvent trop courts sur le marché, ils peuvent faire faillite, comme Uniper, qui a perdu 40 milliards d'euros. Il faut en être conscient.

Enfin, tout le monde affirme que la demande s'est ajustée. En tant que gazier, nous faisons une distinction entre ce que l'on appelle la réduction de la demande et la destruction de la demande. La réduction de la demande est saine : on fait un effort pour moins chauffer chez soi et moins consommer partout où l'on peut. La destruction de la demande, c'est lorsque nos clients s'arrêtent de fonctionner parce qu'ils ne le peuvent plus, les prix étant trop élevés.

On me rétorquera que le marché fonctionne et s'est équilibré : si les clients ne peuvent plus payer le prix, peut-on considérer que le marché fonctionne ? La question doit rester ouverte.

Sur le long terme, le gaz est un facteur important pour éviter les défauts de production d'électricité et fournir de l'énergie lorsqu'on en a besoin. Les centrales à gaz fournissent la pointe ultime d'électricité ; je rappelle qu'avec des dispositifs comme les réseaux de chaleur, qui ont un certain choix en matière d'énergie, ou les pompes à chaleur hybrides, il existe des outils qui permettent, lorsqu'on est très proche de la pointe de demande électrique, de basculer sur le gaz, qui peut se stocker, ce qui permet un effet modérateur sur les prix marginaux de l'électricité.

Quant à la réforme des prix, pour Eurogas, le mécanisme ibérique est beaucoup plus cher qu'il n'y paraît. Il a pu fonctionner dans le contexte ibérique parce que les échanges tant de gaz que d'électricité avec le reste du marché sont limités. Il serait très difficile à appliquer à l'échelle européenne, et on n'en connaît pas très bien l'impact sur les prix. Nous le considérons donc avec une extrême prudence, à cause de ses effets de bord et de son coût, qui serait probablement très élevé pour l'État.

Pour ce qui est de la réduction de prix pour les clients vulnérables, il s'agit d'une évidence. La réduction de prix pour les entreprises, on le sait, induit des distorsions d'un pays à l'autre. Elle soulève aussi des questions de coûts, et nous insistons surtout sur le fait que ce ne sont pas les entreprises gazières qui peuvent la financer. Vendre à perte, d'une part, est illégal et, d'autre part, conduit les entreprises à la faillite. Encore une fois, l'exemple Uniper le montre.

Il faut donc vraiment réfléchir à des systèmes qui ne distordent pas trop la concurrence entre pays et dont le coût budgétaire est relativement maîtrisé. Dans ces conditions, les entreprises gazières peuvent bien entendu y contribuer. C'est ce que nous faisons aujourd'hui avec le bouclier tarifaire puisque, de fait, ce sont les fournisseurs gaziers qui avancent la différence de prix. On achète sur le marché de gros et on vend au prix fixé par le bouclier tarifaire, avec la promesse que l'État compensera à un moment donné.

Je souligne néanmoins que ceci représente un effort de trésorerie tout à fait conséquent pour ces entreprises. À peu près tous les régimes de soutien aux prix payés par les consommateurs ont un impact de trésorerie très important pour les entreprises, à un moment où leurs interventions sur le marché les appellent à avoir des appels de marge qui se chiffrent en milliards d'euros, voire en dizaines de milliards.

Cette situation de marché conduit les entreprises énergétiques, notamment gazières, à avoir d'énormes besoins de liquidités, qu'il s'agisse des appels de marge, du fonds de roulement ou du financement de dispositifs comme le bouclier tarifaire. Quand on parle de profit, il ne faut pas négliger les risques économiques qui y sont associés.

S'agissant de la rente inframarginale, Eurogas n'est pas très enthousiaste à l'idée de sa captation, mais, dans une situation de crise comme celle que nous connaissons aujourd'hui, il est assez logique de demander un effort sur les moyens de production qui offrent des coûts très inférieurs à ceux actuellement sur le marché.

Pour ce qui est des moyens de production recourant au gaz, comme l'a dit M. Glachant, il est bien souvent nécessaire de compléter le mécanisme de marché par des mécanismes de financement de capacités. L'appel des centrales à gaz, selon les scénarios, est en effet trop aléatoire pour permettre une rémunération raisonnable de l'investissement. Dans certains de nos scénarios, les centrales à gaz perdent de l'argent les sept premières années et n'en gagnent que la huitième année. Elles en gagnent beaucoup lorsque c'est le cas. Cela devrait donc normalement s'équilibrer, mais je ne connais pas d'investisseurs qui investissent sur un tel business model.

En conclusion, il s'agit de deux crises indépendantes, même si elles sont corrélées. Pour changer de système de rémunération, il faut laisser aux entreprises le temps de s'adapter et considérer qu'elles ont investi dans un certain cadre réglementaire. Si on en change complètement, il faut tenir compte des conséquences économiques sur celles-ci.

Mme Catharina Sikow-Magny, directrice Transition verte et intégration du système énergétique à la direction générale de l'énergie de la Commission européenne. - Les termes de crise, d'urgence, de réforme sont très utilisés aujourd'hui.

En effet, le secteur de l'énergie est aujourd'hui fortement bouleversé par plusieurs facteurs, comme nous l'avons entendu : retour de la croissance post-Covid, perturbations de la chaîne d'approvisionnement, été très sec affectant la production hydroénergétique, indisponibilité du nucléaire, aussi bien en France qu'en Finlande et, bien sûr, guerre en Ukraine, qui impacte fortement le marché du gaz et, par ricochet, celui de l'électricité. Les prix ont augmenté et l'approvisionnement en énergie semble menacé cet hiver.

Ces défis se font sentir dans l'ensemble de l'Union européenne, et une réponse rapide et coordonnée à cette échelle est nécessaire. Les mesures nationales différentes qui impactent le fonctionnement des marchés peuvent donc avoir une incidence négative sur la sécurité.

En octobre, à la suite de la proposition de la Commission européenne, le Conseil a adopté un règlement relatif à une intervention d'urgence pour faire face aux prix élevés de l'énergie. Ce règlement temporaire, qui s'applique à partir d'aujourd'hui, vise à réduire la demande d'électricité et à atténuer les prix élevés de l'énergie, ceci via l'introduction d'un plafond applicable aux revenus inframarginaux de 180 euros, d'une contribution de solidarité sur les bénéfices excédentaires des secteurs du pétrole, du gaz, du charbon et des raffineries, et d'une redistribution de ces revenus pour soutenir les consommateurs finaux, aussi bien les ménages que les entreprises.

Ces mesures contribueront à rendre l'électricité plus abordable, et constituent un premier pas vers les travaux complémentaires en cours qui tendent à améliorer l'organisation à long terme du marché de l'électricité.

En effet, la crise que nous traversons rend d'autant plus urgente la nécessité de décarboner et d'accélérer l'utilisation de sources d'énergie renouvelables et à faible émission de carbone. C'est la clé du découplage. Lorsqu'une grande partie de l'électricité ne proviendra plus des énergies fossiles ou du gaz, nous l'aurons atteint.

À côté de ces mesures d'urgence, la Commission poursuit ses travaux sur l'optimisation du fonctionnement du marché européen.

Le marché de l'électricité a prouvé durant ces dernières décennies son efficacité en matière de fourniture fiable et de prix bas. Les discussions se sont d'ailleurs focalisées sur le problème des revenus trop bas des producteurs - en anglais, on utilise le terme de « missing money ». Aujourd'hui, on constate que la France, l'un des grands exportateurs d'électricité au niveau européen, est devenue un pays importateur, grâce au marché de l'Union européenne et au découplage des marchés nationaux.

Entre-temps, la crise énergétique, dont nous connaissons tous l'ampleur, a révélé d'autres questions qui méritent d'être abordées, en complément et en relais des mesures d'urgence.

Cette réforme, envisagée pour le début de l'année 2023, et sur laquelle nous réfléchissons aujourd'hui, devra être ciblée afin de pouvoir être mise en oeuvre rapidement. Cette réforme pourrait se concentrer sur quatre aspects.

Premièrement, les producteurs d'énergie renouvelable, mais aussi nucléaire, doivent bénéficier d'un revenu prévisible, stable, afin d'encourager les investissements nécessaires, y compris en matière de flexibilité. Cela permettrait aussi de stabiliser les prix et d'éviter une trop forte volatilité pour le consommateur. L'amélioration de la liquidité des marchés à terme est un élément clé, ainsi que la contractualisation des nouveaux projets d'énergie via des contrats stables. Les intervenants précédents ont déjà mentionné les contrats pour différence et les PPA, deux outils très utiles.

Deuxièmement, la réforme devrait contribuer à dissocier autant que possible les factures d'électricité des ménages et des entreprises des prix du gaz. Les contrats pour différence et les PPA contribuent certainement à cet objectif, mais il existe d'autres pistes, que nous étudions actuellement.

Troisièmement, il est important de préserver une utilisation efficace des ressources à travers l'Europe, afin de garantir que l'électricité nécessaire est toujours produite par la technologie la moins chère disponible et que l'offre et la demande sont maintenues en équilibre à tout moment. Il est cependant important de développer davantage la flexibilité, et notamment les effacements de consommation et le stockage. Ceci pourrait avoir un impact direct sur la consommation de gaz, ainsi que sur le prix de l'électricité.

Enfin, les consommateurs doivent être mieux protégés. Ils devraient disposer d'un éventail d'offres, y compris des contrats à prix fixe, de davantage de possibilités d'investir directement dans la production d'énergies renouvelables pour leur propre usage et de plus de possibilités de participation active sur le marché. La protection des consommateurs vulnérables est particulièrement importante, et nous sommes en train d'analyser comment définir une consommation minimum qui devrait être garantie à tout consommateur à un prix abordable.

Dans ce cadre, et plus généralement, nous devons être sûrs que le marché fonctionne d'une manière transparente et qu'il existe une surveillance quotidienne. Nous sommes également en train d'étudier comment améliorer le règlement pour la transparence et la surveillance (REMIT).

En conclusion, la première étape consistera pour la Commission européenne à publier un document de consultation avant Noël. Nous attendons avec grand intérêt les contributions françaises et autres. Nous avons aussi travaillé sur un document de travail qui explique les choix de la Commission, avant de présenter une proposition législative, début 2023. La date n'a pas été fixée, mais ce sera certainement avant le Conseil européen qui aura lieu dans la deuxième moitié du mois de mars.

En fonction des colégislateurs, de telles modifications ciblées de l'organisation des marchés peuvent être proposées et mises en oeuvre rapidement. Elles apporteraient une solution permanente à la dépendance excessive des factures d'électricité européennes au marché du gaz naturel, hautement volatile aujourd'hui, et fourniraient aux consommateurs des avantages grâce à des coûts plus bas des énergies renouvelables et de l'énergie nucléaire, en fonction de leur part dans le bouquet électrique.

M. Jean-François Rapin, président. - J'ai bien noté qu'une consultation allait être lancée juste avant Noël. Il va nous falloir y être attentifs pour y répondre éventuellement.

M. Franck Montaugé, président. - Nous avons eu hier une discussion en commission qui nous a amenés à envisager la rédaction d'une proposition de résolution européenne, qui trouverait tout son intérêt dans le cadre du calendrier qui a été évoqué.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Je remercie l'ensemble des intervenants pour la clarté de leur intervention.

La moitié des États membres disposent d'un parc nucléaire de deuxième génération et un quart est engagé dans la construction de réacteurs de troisième génération. Or la taxonomie européenne est défavorable à l'énergie nucléaire, assimilée à une activité de transition, comme le gaz, et non à une activité durable, comme les autres énergies décarbonées.

Par ailleurs, les délais imposés pour accompagner la relance du nucléaire en France sont impossibles à tenir. Ne devrait-on pas lever ces verrous ?

Le financement des nouveaux réacteurs en Europe est aussi très hétérogène, avec le regroupement d'entreprises énergo-intensives dans un consortium en Finlande, des prêts étatiques ou interétatiques en République tchèque, des fonds propres en contrepartie d'un prix de long terme fixe ou régulé au Royaume-Uni. Avez-vous identifié un mode de financement préférentiel ?

Je pense que les Français auront du mal à comprendre que la France soit condamnée à payer plusieurs centaines de millions d'euros d'amende pour son retard en matière d'énergies renouvelables, alors que notre pays est largement en tête de tous les pays de l'Union européenne pour ce qui est de l'énergie décarbonée. Nous étions, en effet, il y a quelques dizaines d'années, à 88 % dans ce domaine.

S'agissant de la « grande hydroélectricité », la France est sous le coup d'un contentieux avec la Commission européenne qui dure depuis plusieurs dizaines d'années. Elle n'est pas la seule dans cette situation, puisque sept autres pays européens sont concernés, dont l'Allemagne et l'Italie. 400 concessions échues ont été placées, en France, sous le régime transitoire des « délais glissants » : elles ont été prolongées aux conditions antérieures, sous réserve de l'application d'une redevance.

La crise énergétique actuelle ne devrait-elle pas conduire sur ce sujet à une appréhension moins stricte du principe de concurrence ? Ne faudrait-il pas réviser à terme la directive concession du 26 février 2014 pour en exclure les concessions hydroélectriques ?

Quant à la « petite hydroélectricité », elle pourrait ne plus être considérée comme une énergie renouvelable subventionnable dans la directive sur les énergies renouvelables en cours de négociation. N'est-ce pas perdre ici un levier de décarbonation très ancré dans nos territoires ?

S'agissant du stockage de l'électricité, les énergies renouvelables pèchent toujours par leur intermittence. Vous l'avez dit, la crise énergétique n'a pas démarré avec la guerre en Ukraine, mais en 2021, pour des raisons de compensation de la production des énergies renouvelables, que l'on a vécue en France.

Il faut garantir une neutralité technologique entre tous les modes de stockage. Or l'hydrogène bas-carbone issu de l'énergie nucléaire est encore trop peu pris en compte par le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » par rapport à l'hydrogène renouvelable, alors qu'il est au fondement de la stratégie française pour un hydrogène décarboné. Ne doit-on pas corriger le tir ?

Par ailleurs, il faut consolider les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC). Il manque 1,6 milliard en France pour le financement du PIIEC hydrogène. Ne peut-on faire davantage ?

Enfin, vous venez tous de nous confirmer que le dossier énergétique va être déterminant en matière de positionnement des activités industrielles et économiques sur nos territoires. Nous sommes, en Europe, dans une situation de grande fragilité concernant l'énergie, que la France n'a jamais connue et à laquelle personne n'a été préparé.

M. Pierre Ouzoulias. - En tant que sénateur de la commission de la culture, j'ai particulièrement goûté vos propos, qui me donnent l'illusion d'avoir compris quelque chose, ce qui est très précieux.

J'ai surtout apprécié votre mise en perspective sur le long terme. Je crois qu'elle est fondamentale. Jusqu'à présent, le marché européen a fonctionné de façon à répartir l'énergie produite en trop. On change aujourd'hui complètement de perspectives et l'Europe - et singulièrement la France - doivent faire face à deux enjeux extrêmement importants et historiques. Le premier enjeu est de développer une production énergétique permettant d'assurer notre souveraineté et de retenir des entreprises susceptibles de partir à l'étranger, où le prix de l'énergie est moins élevé. C'est le jeu des États-Unis. Le deuxième enjeu est de décarboner ces industries, ce qui nous redonnerait des marges de compétitivité pour assurer ensuite la transition énergétique.

Vous l'avez dit très justement, et la commission des affaires culturelles le constate dans tous les dossiers : il faut réintroduire de grands principes géostratégiques. Ce qui a mis à mal notre stabilité relative, c'est la déflagration due à la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine, qui nous oblige à abandonner l'illusion d'une Europe éternellement en paix et à protéger nos industries pour des raisons géostratégiques. C'est pourquoi les idées liées à la planification reviennent de façon très forte. C'est là un paradoxe incroyable : la guerre que mène la Russie nous oblige à revenir au Gosplan !

À travers vos propos, on comprend qu'il est impérieux de planifier les choses sur le temps long. Les États membres, comme la France, peuvent-ils le faire seuls ou, au contraire, la seule échelle pour mener à bien ces politiques est-elle l'échelle européenne ?

M. Patrick Chauvet. - Le Sénat examine actuellement le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables, dont je suis rapporteur. Dans ce cadre, notre commission a veillé à consolider les modes de financement privés des énergies décarbonées. Nous avons ainsi institué des contrats de long terme pour l'énergie nucléaire et des contrats d'achat direct pour l'électricité renouvelable.

Ces nouveaux modes de financement privé ne doivent-ils pas être davantage encouragés dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité ? Ils ne sont même pas mentionnés dans le règlement du Conseil du 6 octobre 2022, pas plus que dans le plan RePowerEU ou le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

M. Serge Mérillou. - Le mot le plus utilisé ce matin au sujet de l'énergie est celui de « marché ». L'électricité est aujourd'hui un bien soumis aux lois du marché, alors que je considère que c'est un bien commun, qui doit échapper au marché. Celui-ci est, en effet, en faillite totale et rien ne justifie, pour un certain nombre d'industriels électro-intensifs, des coûts de renouvellement de contrat multipliés par deux, trois ou quatre. Si c'est cela le marché, cela signifie qu'il est défaillant. C'est, selon moi, davantage une question politique qu'une question technique.

Je m'inquiète réellement des impacts de la désindustrialisation. Certaines entreprises ne font plus appel à des intérimaires, d'autres ne tournent plus que trois jours par semaine, non seulement parce que l'énergie est chère, mais aussi parce que leur marché est en train de s'effondrer, compte tenu des prix auxquels elles doivent vendre.

Un point de détail concernant le stockage de l'électricité : EDF avait un certain nombre de projets en matière d'hydroélectricité dont celui, lors des périodes de faible demande d'électricité, de remonter l'eau vers les lacs situés au-dessus des barrages pour l'utiliser plusieurs fois. Ce projet fonctionne techniquement dans la vallée de la Dordogne, mais n'avance pas. Il y a là des idées à creuser au niveau du stockage de l'électricité, notamment en matière hydraulique.

M. Jean-François Rapin, président. - On pourrait presque enchaîner sur une nouvelle table ronde pour s'interroger, de façon simpliste, sur le fait de savoir si le marché a protégé ou aggravé la situation. En écoutant nos interlocuteurs, je me dis qu'on a peut-être évité le pire.

Pour le reste, nous sommes d'accord avec nos intervenants sur la façon de stocker et la façon de produire de l'énergie.

Je ne cherche à prendre la défense de personne, mais ce qu'on a connu n'était probablement pas prévu ni intégré dans les modèles de marché tels qu'ils ont été établis ni dans nos modes de consommation. Si l'industrie doit réduire aujourd'hui sa consommation, c'est peut-être parce qu'elle est allée un peu loin. Il faut donc réfléchir avant de se prononcer, mais il serait intéressant de se poser la question.

M. Jean-Michel Glachant. - Je suis universitaire. Je n'ai donc de compte à rendre qu'à moi-même. Pour l'instant, je pense que nous n'avons pas connu le pire, mais celui-ci est toujours possible. Le pire, ce serait la rupture de l'approvisionnement en électricité, avec des coupures tournantes et des ruptures d'approvisionnement en gaz, dont le risque reste à craindre, puisque nous dépendons de la température et n'avons pas de certitudes à ce sujet.

En tant qu'universitaire, je suis extrêmement déçu que les Américains nous abandonnent au pire moment. Peut-être est-ce normal ? Plusieurs d'entre vous l'ont dit : on assiste à une rupture géopolitique, alors qu'on était sincèrement persuadé d'avoir trouvé un deal avec les Russes. Ils sont insupportables, font la guerre à quelqu'un tous les quatre ans, mais on pensait que cela allait passer. Or cela n'est malheureusement pas le cas. Ils sont engagés dans une rupture mondiale, et on ne sait pas trop comment en sortir.

Je suis d'accord avec le fait qu'on peut connaître une nouvelle vague de désindustrialisation massive dans les grandes industries exportatrices et chez les grands consommateurs d'énergie. J'ai été choqué que la moitié de la sidérurgie s'arrête à Fos-sur-Mer - mais c'est normal -, que la moitié de la production d'aluminium s'arrête, que l'industrie papetière française ne produise plus qu'aux trois quarts de sa capacité, et ce grâce à l'ARENH, sans laquelle ils ne produiraient plus du tout.

Je comprends que nous protégions les consommateurs pour des raisons sociales, étant moi-même issu d'une famille très pauvre. Il est, en effet, important de ne pas abandonner toute une fraction de la population de notre pays, mais quid de notre industrie ? La question industrielle monte en importance, et je n'ai pas de solution.

Je suis également déçu, comme tout le monde ici, par le fait que notre énergie nucléaire a connu les défaillances qu'elle a dû affronter. Le secteur s'en sortira évidemment, mais on ne sait pas quand. Quoi qu'il en soit, nous n'aurons pas de nouvelles centrales avant 2035, et seules les centrales existantes vont continuer à fonctionner.

M. Laurent Ménard. - Je ne suis pas exactement dans la même situation que M. Glachant pour ce qui est de ma liberté de parole.

On a structuré les institutions que nous connaissons aujourd'hui en période d'abondance. Certains pensaient même que les moyens de production d'énergie électrique disponibles étaient trop importants. On découvre d'un seul coup qu'il n'y a plus abondance et qu'on manque de moyens de production électrique. Pour moi, c'est la leçon à tirer de cette crise.

On a bâti des institutions pour gérer ce qui était considéré comme une suraccumulation de capital. Le parc nucléaire français était trop important, les centrales à gaz ont été mises sous capuchon au début des années 2010, etc. On n'est plus du tout dans cette situation.

Ceci explique probablement les faiblesses les plus criantes du système de marché actuel. On n'a pas fait attention à envoyer de bons signaux de long terme aux investisseurs puisque, de toute façon, on estimait être en surcapacité. On n'est plus du tout dans ce cas et, d'une certaine façon, le travail qu'on doit réaliser maintenant n'a pas été fait.

On a besoin de capacités de production électrique supplémentaires pour plusieurs raisons : la raison essentielle est que tous les pays d'Europe se sont engagés dans une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre qui passe inévitablement par une électrification d'un certain nombre d'usages. On a donc besoin de davantage d'électricité. Il faut passer de la gestion de surcapacités à la gestion d'investissements nouveaux.

Cela implique un certain nombre de changements. Je vous ai parlé de la défiance de la Commission européenne envers les contrats de long terme. Je considère que le changement profond que nous venons de subir est une excellente raison de revenir sur cette défiance.

Par ailleurs, s'agissant des modalités de financement des nouvelles installations nucléaires, il existe aujourd'hui un panel de solutions utilisées par différents États membres. Pour revenir sur la présentation de M. Glachant, le modèle développé au Royaume-Uni attire aujourd'hui l'attention. Avec Sizewell C, on est en particulier face à un système de rémunération qui prévoit que, pendant la phase de construction, une rémunération est apportée au porteur du projet afin de lui permettre de financer ledit projet. Je n'entrerai pas ici dans la technique, mais ce modèle, qui est encore en discussion, paraît extrêmement intéressant.

M. Jacques Percebois. - Je partage l'avis qui a été exprimé à l'instant sur le nucléaire. Je pense en effet que l'acte délégué sur la taxonomie est un compromis politique qui n'est absolument pas favorable à la France. Pour y inclure le nucléaire, il a fallu faire des concessions aux Allemands, et les dates limites de 2040-2045 sont préjudiciables à la relance du nucléaire en Europe.

Quant au financement, je pense qu'il faut aujourd'hui s'orienter vers les trois solutions qui, à l'échelle mondiale, semblent retenir l'attention : le système Hinkley Point du contrat pour différence, qui a beaucoup de vertus, le système de la base d'actifs régulés de Sizewell, qui permet notamment une rémunération de l'opérateur au fil de la construction, et le système des PPA. Les Japonais semblent intéressés par un projet de centrale nucléaire qui serait financé par ce biais, avec des appels au financement, les financeurs profitant de droits de tirage sur la production nucléaire. Je rappelle que c'est le système qui a été mis en place à Fessenheim, où une compagnie allemande et une compagnie suisse détenaient des droits de tirage et ont participé au financement.

Tout cela est un problème de partage du risque. Le partage des risques n'est pas le même entre l'opérateur, l'État, donc le contribuable, et le consommateur. Chaque système a ses vertus et ses inconvénients.

Concernant l'hydraulique, je rappelle qu'au moment de la commission Champsaur, il était prévu de parler non de l'ARENH, mais de l'accès régulé à la base (ARB). Il était envisagé non seulement que le nucléaire de base soit soumis à ce système de rétrocession aux concurrents, mais également l'hydraulique de base. Le Gouvernement a mis à ce moment-là les concessions hydrauliques aux enchères. C'est pourquoi l'ARB est devenu l'ARENH.

Fort heureusement, les concessions n'ont pas été vendues. La Commission européenne a d'ailleurs utilisé ce prétexte pour empêcher un décret d'application de la loi de 2010 concernant la révision périodique prévue. Il ne faut surtout pas mettre ces concessions en vente, car elles constituent un atout important. L'hydraulique est un cas un peu particulier, parce qu'il est multiusage. C'est un atout pour la France. Je rappelle qu'en 1960, la moitié de la production d'électricité française était d'origine hydraulique. Aujourd'hui, elle n'est que de 12 % parce que la consommation a fortement grimpé entre-temps, mais c'est une pépite nationale qu'il faut absolument conserver.

Pour ce qui est du stockage de l'électricité, on veut absolument mettre des couleurs sur l'hydrogène - jaune pour le nucléaire, pour montrer qu'il n'est pas tout à fait vert. Pourquoi pas ? J'observe que les écologistes allemands sont prêts à recourir à de l'hydrogène produit à partir du nucléaire, ce qui est plutôt un bon signal envoyé à la communauté internationale et européenne.

Je pense, en effet, qu'il y a beaucoup à faire du côté de l'hydrogène en matière de stockage. On peut utiliser l'hydrogène comme combustible, par le biais de l'électrolyse de l'eau, et repasser ensuite à la production d'électricité. Il est vrai qu'aujourd'hui, avec les technologies disponibles et les coûts actuels, le rendement global est de l'ordre de 30 %. On fonde des espoirs sur des systèmes beaucoup plus performants pour demain. Il faut étudier ce qui peut être fait.

Concernant la planification et le marché, la question n'est pas tant de savoir si c'est le plan ou l'État ou bien le plan ou le marché. Ce sont les deux, le problème étant la frontière. On peut avoir un service public avec des contraintes de marché. Le rapport de Simon Nora de 1967 estimait qu'il convenait de pratiquer une tarification sur la base de la vérité des prix pour les services publics, en particulier l'électricité, et la généraliser à l'ensemble des services publics. Cela se défend tout à fait. La consommation d'électricité est identifiable. On sait qui consomme. Ce n'est pas comme les biens collectifs purs qui correspondent aux fonctions régaliennes de l'État. Il est tout à fait légitime que le consommateur paye. Certes, il faut aider ceux qui sont en situation de précarité énergétique, mais le marché a un rôle à jouer. Le marché est incitatif. Le rôle du marché est de supprimer les rentes indues et d'inciter à l'innovation. Ce sont ses deux grands mérites. Il faut en profiter.

Un État performant peut, sur le long terme, faire les bons choix. S'il n'est pas performant, il peut aussi faire de mauvais choix. L'avantage du marché, c'est que la sanction tombe à un moment ou un autre. De ce point de vue, c'est une bonne chose.

M. Didier Holleaux. - Je rappelle que, parmi les énergies nouvelles et renouvelables, il en existe une parfaitement stockable, le biométhane ou le biogaz. Son potentiel est loin d'être négligeable. On estime qu'en France, cela représentera 40 TWh en 2030, et de l'ordre de 150 TWh en 2050. En Europe, les chiffres sont équivalents. L'European biogas association (EBA) annonce 41 milliards de m3, soit environ 450 TWh en 2030 et 151 milliards de m3, soit 1 700 TWh en 2050.

Une des priorités de la crise actuelle doit être d'accélérer le développement de la production de biométhane en créant des conditions favorables, qui figurent en partie dans le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables. On peut aussi le faire en ajustant les tarifs, l'inflation touchant aussi la construction des installations de biométhane, afin de permettre que la dynamique se prolonge.

S'agissant des difficultés à long terme dans l'approvisionnement en gaz, qui ont un impact sur le marché de l'électricité, je rappelle que l'une d'entre elles résulte du fait que, avec la création du marché européen, plus personne n'était en charge de la sécurité de cet approvisionnement. Il se trouve qu'en France, par tradition, les principes de sécurité d'approvisionnement, donc de diversification des sources, ont été préservés - en partie d'ailleurs parce que les acteurs étaient plus concentrés.

Même si EDF s'y est joint, on comptait également historiquement Engie et Total. En Allemagne, du fait de la diversité des opérateurs et de la dilution des responsabilités, ce souci de diversification s'est perdu et est à l'origine de la crise.

Aujourd'hui, on pourrait à nouveau proposer des contrats à long terme ayant d'autres origines que la Russie - on pense en particulier aux États-Unis, au Qatar, plus marginalement au gazoduc avec le Turkménistan ou quelques autres pays, éventuellement l'Algérie, l'Est méditerranéen, le Mozambique, etc. Ce qui manque aujourd'hui, c'est la capacité pour les opérateurs d'établir des contrats à long terme indexés sur autre chose que sur le prix à court terme du marché du gaz européen.

Si les contrats à long terme sont indexés sur le Title Transfert Facility (TTF), qui régit le prix du gaz sur le marché spot aux Pays-Bas, cela ne couvre pas le problème d'exposition au risque. En revanche, si on diversifie ses approvisionnements en prenant du gaz américain indexé sur le prix directeur américain, du gaz qatari indexé sur le prix du pétrole et une partie de TTF ou sur d'autres indices, on introduit un nouveau principe de diversification : on n'achète jamais au moins cher des prix marginaux, mais jamais au plus cher non plus.

Aujourd'hui, le cadre n'est pas propice. Pourquoi, malgré la guerre en Ukraine, très peu de nouveaux contrats à long terme sont-ils signés par des entreprises européennes ? Cela s'explique par le fait que les Américains voudraient signer sur leur propre base et les Qataris sur la base du brent et que les acteurs du gaz européen ont intérêt à refléter dans nos contrats d'approvisionnement le prix du marché de gros européen et de tout faire porter sur le même indice TTF, qui présente un risque élevé de volatilité. Cela a évidemment un impact à long terme sur le prix de l'électricité, mais créer les conditions pour qu'un mix de prix diversifiés du gaz serve au moins à fournir l'électricité marginale produite à partir du gaz en Europe permettrait de trouver des solutions qui nous préserveraient d'un certain nombre de pics de prix et d'effets négatifs dus à la volatilité.

M. Kristian Ruby. - La transition énergétique est un processus de long terme et, comme l'a dit M. Ménard, les investisseurs ont besoin de signaux de long terme, tout comme les consommateurs. Si on avait une meilleure mixité des signaux de court et long termes en matière de prix, on connaîtrait une situation très différente aujourd'hui. C'est le sujet que la réforme doit apprécier.

Par ailleurs, un nouveau système est nécessaire pour identifier et coordonner les besoins. La transition énergétique est aussi un processus de changement et de décentralisation qui va modifier les besoins. On doit bien comprendre ce changement et réaliser des investissements adéquats. Ce sont là les éléments clés de cette réforme.

Mme Catharina Sikow-Magny. - Premièrement, il nous faut analyser en profondeur la façon de protéger les consommateurs, surtout les plus vulnérables, et les entreprises. Quel est ici le rôle du secteur public et quelles sont les responsabilités propres à chacun ? Il faut trouver le bon équilibre.

Deuxièmement, je pense qu'il faut souligner l'efficacité des échanges au niveau européen si l'on veut s'assurer que les modes de production les moins coûteux soient utilisés avant les plus coûteux. Nous le voyons en France aujourd'hui : sans les importations en provenance des pays voisins, la situation serait beaucoup plus difficile. Il faut donc préserver l'efficacité des échanges et le marché européen.

Enfin, concernant les investissements pour l'avenir, il nous faut prendre le temps et bien réfléchir au rôle de la planification. Personnellement, je pense qu'il en faut davantage, car les États sont très différents les uns des autres. Certains, comme la France, fondent leur mix de production électrique sur le nucléaire, d'autres recourent encore largement au charbon et doivent accélérer leur transition.

Comment faire en sorte que les différents mix européens soient planifiés de telle façon que nous ayons toujours de l'électricité à moindre coût ? Ceci a déjà été évoqué aujourd'hui et est lié aux mécanismes de marché, aux incitations à investir, à la flexibilité de stockage. Ce modèle nécessite selon moi une réflexion à long terme, le délai qui s'impose à nous pour faire une proposition étant fixé au 10 mars.

M. Didier Holleaux. - Eurogas soutient fortement le développement de l'hydrogène et de toutes les formes bas-carbone, considérant qu'il s'agit d'une partie de la solution au problème énergétique.

Je suis en léger désaccord avec M. Percebois : en utilisant des technologies d'électrolyse, du type de celle développée par le CEA avec Genvia, et des piles à combustible couplées à un réseau de chaleur, on peut arriver à des rendements de cycle de l'ordre de 80 %. L'hydrogène pour répondre à la pointe électrique est loin d'être absurde, à partir du moment où on intègre les nouvelles technologies et le fait qu'il existe des réseaux suffisants pour connecter des cavités salines, qui permettent le stockage de l'hydrogène à des coûts peu élevés, aux lieux de production d'électricité par pile à combustible.

M. Franck Montaugé, président. - Merci pour vos contributions. Votre apport nous sera très utile dans les travaux que nous allons poursuivre.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. On pourrait, comme je l'ai dit, avoir une réflexion bien plus approfondie sur le fait de savoir si le marché protège ou non.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 heures 05.