Jeudi 8 décembre 2022

- Présidence de M. Serge Babary, président -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Nomination de rapporteurs sur les thèmes « Formation, compétences et attractivité » et « Simplification de la réglementation visant les entreprises »

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises - Mes chers collègues, merci d'être présents ce matin pour cette réunion qui sera finalement la dernière de l'année.

En premier point de l'ordre du jour, nous allons procéder à la nomination des rapporteurs sur les deux nouvelles missions que notre Bureau, réuni le 27 octobre, a proposé de lancer pour 2023. Je suggère que, comme en 2022, nous ayons des trinômes de rapporteurs, afin d'assurer la représentation de diverses sensibilités politiques ; et je profite de ce propos pour souhaiter la bienvenue à notre collègue Michel Dagbert, du groupe RDPI, qui remplace notre excellent collègue Georges Patient. Michel Dagbert est membre de la commission du Développement durable et de l'Aménagement du territoire. Bienvenue, parmi nous.

Je rappelle qu'il y avait deux sujets de rapports envisagés par notre Bureau :

S'agissant du sujet « Formation, compétences et attractivité », à la fois des métiers, des entreprise, etc., j'ai reçu les candidatures de Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canévet. Je rappelle que Michel Canévet était le co-auteur, avec notre ancien collègue Guy-Dominique Kennel, du rapport adopté par la délégation en 2020 et intitulé « Des compétences de toute urgence pour l'emploi et les entreprises ». Un sujet qui est toujours d'actualité. Il s'agira donc d'en assurer le suivi mais aussi, et au-delà, d'insister sur la partie « attractivité », devenue encore plus essentielle dans le contexte actuel. En outre, nous avons désormais un peu plus de recul sur la réforme de 2018 relative à la formation professionnelle.

Y a-t-il d'autres candidats ? Je n'en vois pas. Qui vote en faveur des candidats que je vous ai présentés, c'est-à-dire Martine Berthet, Florence Blatrix Contat et Michel Canevet ? Des votes contre ? Des abstentions ? Vote à l'unanimité !

Les trois candidats que vous venez d'élire travailleront donc sur ce sujet. Comme vous le savez, les auditions de nos rapporteurs sont toujours ouvertes à toutes et à tous, et je vous invite à participer aux travaux puisque les rapporteurs se donnent toujours beaucoup de mal dans leurs différents contacts.

Second sujet : « Simplification des normes et règles applicables aux entreprises », là aussi, sujet sempiternel. J'ai reçu les candidatures de Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann. Cette problématique est au coeur des missions de notre délégation et elle est sans cesse relayée par les entreprises sur le terrain. Notre délégation avait également travaillé sur cette thématique en 2017 par le biais de deux rapports : l'un intitulé « Simplifier efficacement pour libérer les entreprises » d'Élisabeth Lamure et Olivier Cadic ; l'autre, conjoint avec la commission aux Affaires européennes, portait sur « La surtransposition du droit européen en droit français : un frein pour la compétitivité des entreprises ».

Je ne suis pas sûr que nous soyons toujours allés dans le sens d'une simplification depuis lors, et c'est un euphémisme...il y a donc toujours à faire dans ce domaine.

Y a-t-il d'autres candidats ? Je n'en vois pas. Qui vote pour les candidats qui ont été présentés ? Des votes contre ? Des abstentions ?

Merci, Gilbert-Luc Devinaz, Jean-Pierre Moga et Olivier Rietmann seront donc nos rapporteurs sur ce sujet. Je vous invite également à assister à leurs auditions, vous en serez informés à chaque occasion.

Je tiens à remercier chaleureusement nos collègues qui ont à coeur de s'investir ainsi dans nos travaux, très prenants, et je vous remercie de leur avoir assuré à l'unanimité votre soutien.

Le deuxième point de notre agenda nous conduit à examiner le rapport d'information relatif aux difficultés des PME et ETI face au défi du commerce extérieur. Nous avions entendu au cours de l'année deux points d'étape : l'un sur le constat, l'autre sur la situation comparée de la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne, pays où nous avons effectué de courtes missions. Aujourd'hui, voici le point final de ce travail. Néanmoins, compte tenu de l'ampleur du sujet, nous ne l'aurons pas tout à fait épuisé et nous ferons en sorte d'en assurer un suivi informel en 2023.

Je donne maintenant la parole à nos rapporteurs, avec dans l'ordre des interventions : Vincent Segouin, Florence Blatrix Contat et Jean Hingray.

Examen du rapport d'information relatif aux difficultés des PME et ETI face au défi du commerce extérieur

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Monsieur le président, chers collègues, nous sommes heureux de revenir vers vous pour la troisième fois pour évoquer le sujet du commerce extérieur de la France. La première présentation était un bilan d'étape et la seconde le compte rendu de nos déplacements en Italie, en Allemagne et au Royaume-Uni. Le temps des conclusions est venu et je dois dire que l'on pourrait aisément se sentir découragé face à l'ampleur du problème ; mais évidemment cela n'est pas dans nos gènes de sénateurs et en particulier à la délégation aux entreprises.

La question du commerce extérieur et du déficit de la balance commerciale en particulier pourrait paraître insurmontable tant l'évolution de la situation française est catastrophique.

Cette situation résulte d'une erreur stratégique que fut le choix, assumé par les gouvernements successifs, de la désindustrialisation. Tous les économistes entendus nous l'ont dit. La Cour des comptes le rappelle également, dans un rapport publié il y a deux mois ; elle y précise que parmi les grands pays industrialisés, la France est celui qui a connu la désindustrialisation la plus marquée au cours de ces 40 dernières années. La part de l'industrie dans le PIB a diminué de 10 points depuis 1980 pour atteindre 13,5 % en 2019, contre 24,2 % en Allemagne et 19,6 % en Italie ou 15,8 % en Espagne. Vous le verrez dans un prochain graphique, le classement de ces pays selon la part de l'industrie dans le PIB est exactement celui du classement des mêmes pays par la balance commerciale. Ce phénomène de désindustrialisation s'est accompagné de nombreuses délocalisations. Les entreprises françaises se sont délocalisées pour produire moins cher et pour limiter la baisse du pouvoir d'achat des Français sans nécessairement conquérir les marchés locaux. Seuls 3,2 millions d'emplois industriels sont recensés en France, contre 7 millions en Allemagne, je tiens à le préciser. Logiquement, la diminution du nombre d'entreprises industrielles, plus portées vers l'export que les autres, a entraîné un ralentissement des exportations industrielles : entre 2002 et 2020, elles n'ont augmenté, en valeur, que de 1 % contre 3,6 % en Allemagne.

Le résultat de cette désindustrialisation vous le connaissez ; nous avions déjà évoqué les chiffres devant vous mais il n'est pas inutile de les rappeler brièvement :

L'année 2021 a été marquée par un déficit record de 84,7 milliards d'euros, contre 64,7 milliards en 2020 et 58 milliards en 2019. Soit moins 26,7 milliards en deux ans. Cette accélération de la dégradation, que l'on pourrait imputer à la crise sanitaire, n'est malheureusement pas la première depuis 2002, dernière année où la France a connu un solde commercial positif. La dégradation qui se poursuit en 2021, même si elle est moins forte qu'en 2020, est en partie liée à un alourdissement de 17,9 milliards d'euros de la facture énergétique qui s'explique par la hausse des prix mondiaux de l'énergie. Et à la lecture des chiffres des trois premiers trimestres de l'année 2022 qui annoncent d'ores et déjà un déficit de 149,9 milliards d'euros, certains commentateurs estiment que « la France a touché le fond », en soulignant l'impact des importations énergétiques.

On voit d'ailleurs sur le graphique projeté l'importance du déficit dans le secteur de l'énergie pour l'année 2021. Mais considérer que la balance commerciale est en majorité dégradée par le coût des importations énergétiques, c'est ignorer les maux réels de la désindustrialisation.

Les conséquences sont également désastreuses lorsque l'on se compare aux autres membres de l'Union européenne. Les chiffres d'Eurostat, dont les méthodes de calcul diffèrent de ceux des douanes françaises puisqu'ils ne prennent pas en compte les mouvements commerciaux au sein des États membres, offrent néanmoins une comparaison européenne qui nous place au dernier rang. Dans le graphique projeté, vous voyez que la France est très loin derrière la Grèce, la Roumanie et l'Espagne avec 109 milliards de déficit ! Je rappelle que les trois principaux clients de la France sont l'Allemagne, l'Italie et la Belgique, ayant tous trois une balance commerciale excédentaire.

Le déficit calculé par Eurostat montre notre dépendance à l'étranger ; il n'est dès lors pas étonnant de constater que la Chine est notre deuxième fournisseur, pour 63,8  milliards d'euros, après l'Allemagne, 81,4 milliards, et avant l'Italie, 46,3 milliards. Nous l'avons vu avec la crise sanitaire, cette dépendance soulève la question de notre souveraineté, mais nous y reviendrons plus tard.

Le drame de la désindustrialisation, au-delà des chiffres, se traduit à plusieurs niveaux.

L'économiste Thomas Grjébine parlait du « cercle vicieux » entraîné par la désindustrialisation : chômage endémique, affaiblissement de l'innovation et des compétences, fragilisation de l'économie et moindre résistance de notre pays aux chocs tels que la crise sanitaire.

Pour Patrick Artus, la France doit faire face à un « triptyque infernal » découlant de la désindustrialisation et constituant des obstacles à toute décision de relocalisation. Pour l'économiste, ce triptyque se caractérise par :

1- la faiblesse des compétences de la population active : l'enquête PIAAC de l'OCDE sur les faiblesses des compétences des adultes place la France en 21ème position sur 24 pays étudiés ;

2- les surcoûts salariaux : même si l'on a vu que l'écart avec l'Allemagne n'est plus aussi fort qu'à la fin des années 1990, on observe néanmoins un surcoût de 20 % pour le salaire horaire -- cotisations sociales incluses -- par rapport à la zone euro hors France et une multiplication par 3,7 par rapport aux pays d'Europe centrale et orientale (PECO) ;

3- Enfin, le troisième élément du triptyque selon Patrick Artus, est la pression fiscale pesant sur les entreprises : prise au sens large, elle représente 19 % du PIB contre 12 % dans la zone euro hors France. Il faudrait, selon lui, une baisse des impôts de production trois fois plus importante que celle annoncée par le Gouvernement pour ramener la France au niveau des autres pays européens. Je me permets de rappeler que les aides aux entreprises représentent par ailleurs 8,4 % du PIB, ce qui fait d'ailleurs réfléchir à la cohérence et à la complexité d'un système qui taxe pour ensuite aider. La mission que notre délégation a décidé de lancer sur la simplification est bienvenue pour appréhender cette situation.

J'ajouterais bien volontiers au « triptyque » le recours systématique à la dette, que l'économiste Jean-Marc Daniel avait résumé dans cette formule lors de notre table ronde :
« Puisque nous n'arrivons pas à vendre, nous nous vendons ». Ainsi notre position extérieure nette, qui reflète l'endettement de la France vis-à-vis du reste du monde, atteint 32,3 % du PIB, se rapprochant du seuil d'alerte européen de 35 %. Ce constat nous inquiète, contrairement au Gouvernement qui se flatte d'attirer des capitaux étrangers pour racheter et investir en France.

Enfin n'oublions pas l'impact des normes franco-européennes qui, en l'absence de contrôle, ne s'appliquent pas aux importations qui concurrencent ainsi nos productions. Je pense par exemple à l'interdiction de diméthoate pour les cerises produites en France, au bien-être animal pour nos poulets, aux normes bio s'appliquant aux bananes des Antilles françaises.

Enfin, avant de laisser la parole à ma collègue Florence Blatrix Contat, je dois préciser que la difficulté du sujet que nous avons traité tient au fait qu'il n'y a pas de solution miracle, pas de mesure phare qui réglerait une grande partie du problème. En effet, la balance commerciale résulte de plusieurs politiques publiques trop souvent pensées en silos : fiscalité, recherche et innovation, formation et amélioration des compétences, etc. Toute approche doit donc être transversale et écosystémique.

Or la Cour des Comptes, dont nous avons rencontré les représentants, ont confirmé ce que nous avions perçu des différentes auditions et tables rondes : la politique de soutien à l'exportation ne suit aucune stratégie, ni sectorielle ni géographique en dehors de l'Afrique ; comme la politique de relance et de réindustrialisation qui répond aux projets sans stratégie sectorielle. Rééquilibrer la balance commerciale se fera en accélérant les exportations, mais aussi en diminuant les importations.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Vincent Segouin a exposé quelques éléments sur le déficit abyssal lié à des choix stratégiques de la France ces quarante dernières années.

Nous allons voir maintenant la multitude des risques et des politiques publiques qui ont un impact sur le commerce extérieur.

En effet, la transversalité et la définition d'une stratégie sont indispensables tant les risques sont divers, impliquant de considérer l'objectif du commerce extérieur à travers le prisme de nombreuses politiques publiques. La question des services notamment permet d'illustrer cette nécessité.

Si le constat concernant la balance commerciale des biens est alarmant, il doit néanmoins être nuancé par la performance du secteur des services, dont la balance est, elle, excédentaire. Ce niveau est même très haut en 2021 avec un solde positif de 36,2 milliards d'euros. Ce chiffre est, outre le tourisme bien entendu, principalement le fait des services de transports, notamment les sociétés de transport maritime, mais également des services aux entreprises, services techniques, services professionnels, services de conseil en gestion.

Entre 2000 et 2021, les exportations de services ont augmenté de 140 % soit deux fois plus que les exportations de biens, et elles sont passées de 24 à 33 % des exportations totales. Donc la part des services augmente significativement. Par ailleurs, en 2021, les exportations de services ont représenté 25 % des crédits des transactions courantes pour la France, contre 16 % pour l'Allemagne et 13 % pour l'Italie. Dès lors, notre faiblesse en matière de biens est en partie compensée par notre excédent en matière de services. Et la place prépondérante des services dans l'économie française se perçoit également au sein des investissements à l'étranger. En effet, ils représentent 55 % du stock total d'investissements, contre 36 % pour l'industrie et le secteur manufacturier.

La question des services doit être centrale dans notre approche du commerce extérieur, tout d'abord parce que les bonnes performances des services en matière d'export compensent le très lourd déficit de la balance commerciale des biens, avec, en plus, l'excédent des revenus primaires, qui s'élevaient à 81 milliards d'euros pour obtenir un solde des transactions courantes légèrement excédentaire, à hauteur de 9 milliards en 2021. Donc globalement, on peut dire que pour 2021, cela ne va pas si mal que cela, puisque le solde de la balance des transactions courantes est excédentaire. Mais sur les 10 dernières années, il n'a été excédentaire que 2 ans et il sera à nouveau très largement déficitaire en 2022. Mais les services sont surtout essentiels parce qu'ils sont intrinsèquement liés aux biens exportés, dont ils sont souvent complémentaires. D'ailleurs 40 % de la valeur ajoutée incorporée dans les exportations de biens est constituée en réalité de services.

Comme le rappelait Timothée Gigout Magiorani, économiste à la direction des paiements de la Banque de France, un bon nombre d'entreprises exportent à la fois des biens et des services, notamment dans le secteur industriel. Ainsi sont-elles 66 % dans le secteur pharmaceutique. Les entreprises qui exportent à la fois des biens et des services sont, en général, deux fois plus grosses que leurs concurrentes, génèrent 40 % de valeur ajoutée supplémentaire et versent des salaires en moyenne 25 % plus élevés. Si la base industrielle se réduisait excessivement, bien entendu la capacité des entreprises françaises à exporter des services se réduirait, elle aussi, significativement. Donc ce n'est pas parce que nous avons un excédent en services qu'il faut négliger la balance commerciale, ce que Vincent a très bien dit.

Et comme l'a souligné la représentante de la direction générale du Trésor devant la délégation, la délocalisation des services représente, elle aussi, un risque, notamment avec le développement des technologies numériques. Aussi la formation, on y reviendra, est-elle essentielle, tout comme l'investissement dans les infrastructures numériques.

Or, si l'on entend souvent parler de personnes hautement qualifiées pour soutenir les projets de recherche de pointe développés en France, c'est moins vrai du plus grand nombre. Le rapport de 2020 de notre collègue Michel Canévet sur les compétences avait d'ailleurs déjà mis en évidence le niveau insuffisant de compétences disponibles, et l'impact négatif en matière de compétitivité hors-prix pour la France. En effet, les retombées de l'innovation, de la robotisation dans l'industrie sont limitées par le manque de compétences de la population active. Banque européenne d'investissement, France Stratégie, OCDE, toutes les études tirent la sonnette d'alarme sur ce sujet depuis un moment et on comprend qu'il constitue un véritable défi en matière de commerce extérieur. En négligeant cette politique publique de formation, nous pourrions être confrontés au phénomène de « télé migration » au profit des travailleurs des pays en développement, décrit par l'économiste Richard Baldwin. C'est pourquoi la lutte contre les délocalisations doit impérativement intégrer une stratégie relative aux services.

Un autre risque : celui de la propriété intellectuelle, notamment, en raison de notre dépendance à des data centers situés à l'étranger. On sait maintenant, après des expériences parfois douloureuses, que nos entreprises pensent avoir la complète propriété et maîtrise de leurs données alors que ce n'est pas le cas. D'ailleurs même sur les biens, le risque de dépendance est sous-estimé ; nous l'avions déjà évoqué devant vous, nous connaissons en réalité mal nos véritables vulnérabilités en raison de l'insuffisante précision de l'origine des biens importés et comptabilisés par la direction des douanes.

Cette dimension est souvent négligée dans la réflexion relative au commerce extérieur et dans la définition des politiques publiques en France, c'est également le cas de la concurrence. Évidemment les notions de compétitivité prix et hors-prix sont toujours rappelées, mais sans en tirer toutes les conséquences. C'est particulièrement vrai pour la compétitivité hors-prix qui dépend de nombreux facteurs : environnement normatif, positionnement -- on a vu par exemple que la France a délaissé le haut de gamme dans des secteurs tels que l'automobile -- cela dépend aussi des caractéristiques des entreprises exportatrices, leur taille, leur management, et d'autres facteurs structurels tels que la qualification, les compétences ou la R&D.

Or sur tous ces aspects, nous avons le sentiment qu'il n'y a aucun pilotage stratégique pour la France. Nous évoquions tout à l'heure la question de la planification, elle nous semble essentielle. Les formations semblent toujours trop déconnectées des besoins de compétences, ce qui empêche d'ailleurs de concevoir aisément un nouveau positionnement plus haut de gamme de nombreuses productions comme en Allemagne par exemple. Nos collègues ont également montré dans leur rapport sur la transmission d'entreprise que nous manquons cruellement d'ETI, en majorité familiales, et que le cadre fiscal et législatif, au lieu de faciliter le développement de ces « championnes » à l'export, les contraint. Sur ce point, nous avons constaté, lors de nos déplacements, une différence essentielle avec l'Allemagne et l'Italie, qui explique en partie notre faiblesse du commerce extérieur. Les tentations sont même grandes de remettre en cause les dispositifs les soutenant, alors que les seules 5 400 ETI françaises représentent, quand même, 34 % de nos exportations ! Par ailleurs, la Cour des comptes l'a souligné, il semble exister une obsession française pour le nombre d'entreprises qui exportent. On se focalise sur le nombre d'entreprises exportatrices quitte à aider en priorité des petites entreprises primo-exportatrices qui, en réalité, n'ont pas un potentiel important alors que nous devrions plutôt nous focaliser sur l'accompagnement des entreprises qui peuvent réaliser des chiffres d'affaires importants à l'étranger. En outre, le modèle économique de Business France pousse ses personnels à passer plus de temps à des missions commerciales payantes, comme les VIE (Volontariat international en entreprise) -- qui représentent une partie importante des recettes de Business France -- plutôt que de privilégier le conseil gratuit au profit des entreprises les mieux armées pour s'internationaliser. Or, on le voit bien, ce n'est pas le modèle gagnant comme nous l'avons constaté en Italie : l'agence homologue de Business France, ICE, propose des accompagnements gratuits, comme par exemple via la participation non payante à des salons à l'étranger. Bref, le constat est celui d'un accompagnement des PME et des ETI ne suivant aucune logique, aucune stratégie réellement favorable au commerce extérieur sur le long terme.

Autre sujet négligé, la concurrence avec les entreprises des pays tiers ne semble pas non plus être un sujet pour les acheteurs publics qui privilégient trop souvent le moins disant, au détriment de nos entreprises françaises, alors que le ministère de l'Économie et des Finances a rappelé que le droit de la commande publique permettait l'utilisation de critères de choix des offres tels que le développement des approvisionnements directs, les performances en matière de protection de l'environnement, notamment l'impact écologique du transport des fournitures ou des personnels, ou encore les délais d'intervention d'un prestataire s'il est justifié par l'objet du marché public. Nos voisins européens, eux, n'hésitent pas à soutenir leurs entreprises nationales.

Enfin la concurrence internationale ne nous a pas semblé suffisamment anticipée et prise en compte dans l'évaluation nationale de l'impact des décisions européennes. Le récent rapport que nous avons présenté avec nos collègues Martine Berthet et Jacques Le Nay a montré que les obligations de reporting en matière de RSE vont peser davantage sur les PME et ETI européennes. En outre, l'Union européenne n'utilise presque pas les instruments de défense commerciale alors que les États-Unis y ont massivement recours. Nous avons souvent l'impression que l'Europe se tire une balle dans le pied et ne pose jamais, ou en tout cas très insuffisamment, les conditions de la réciprocité avec les États tiers.

Vous l'aurez compris, nous sommes encore loin de la prise de conscience de l'impact de nos décisions en matière de compétitivité hors-prix. Et cela se ressent dans l'accompagnement des PME et ETI à l'internationalisation.

M. Jean Hingray, co-rapporteur. - Florence Blatrix Contat et Vincent Segouin l'ont rappelé, à travers leurs deux interventions, il n'y a pas de solution miracle, mais une nouvelle stratégie à définir.

S'il n'y a pas de solution miracle pour redresser la balance commerciale et rendre nos PME et ETI plus compétitives, nous estimons que nous avons, collectivement, l'obligation de définir et mettre en oeuvre une véritable stratégie pour le commerce extérieur de la France.

C'est le fil conducteur de nos 10 propositions qui s'articulent autour d'objectifs stratégiques et d'objectifs opérationnels.

Tout d'abord, je tiens à rappeler que le Conseil stratégique de l'export, CSE, et la Team France Export, TFE, existent et constituent un indéniable progrès depuis la réforme issue de la stratégie dite « de Roubaix », présentée en 2018. Cependant, il ressort de nos auditions une carence de stratégie à long terme pour la France, et le besoin de renforcer la gouvernance de la Team France Export, ce que confirme l'analyse récente de la Cour des comptes.

Aussi notre proposition n° 1 vise-t-elle à définir une stratégie à long terme du commerce extérieur de la France, a minima, jusqu'à 2040, pour en définir les objectifs - notamment en matière de souveraineté économique - en identifiant les secteurs et compétences clés à soutenir. La définition de cette stratégie relève à la fois du Gouvernement et du Parlement ; elle pourrait s'appuyer sur une loi d'orientation économique pour la France. Mes collègues viennent de démontrer les terribles conséquences de choix stratégiques passés, ainsi que l'absolue nécessité de penser le commerce extérieur de manière écosystémique. Les pouvoirs exécutif et législatif doivent aujourd'hui assumer le rôle éminemment politique d'orientation de la politique globale du commerce extérieur, qui concerne tant les importations que les exportations.

La proposition n° 2 vise à rénover la gouvernance du Conseil stratégique de l'export, afin de piloter efficacement la stratégie nationale définie préalablement en intégrant les objectifs du commerce extérieur dans les différentes politiques publiques ayant un impact sur la balance des biens et des services tout en assurant la bonne coordination entre ces politiques. Le CSE ainsi rénové devrait sortir de l'enceinte de Business France dont il sert à conseiller le conseil d'administration, et devenir une instance à vocation interministérielle, en plus d'être multisectorielle et de coordination des acteurs publics et privés. La proposition de résolution que nous proposerons pourra recommander au Gouvernement de demander un rapport annuel à la Cour des comptes sur la balance commerciale de la France, avec un suivi non seulement des exportations mais également des importations.

Déclinaison logique des précédentes propositions, la troisième d'entre elles concerne la Team France Export, qui doit traduire les orientations stratégiques sur le terrain et auprès des TPE, PME et ETI ayant un réel potentiel à l'international. Faisant écho aux recommandations de la Cour des comptes, nous estimons que l'unité d'action entre les différentes composantes de la TFE doit être renforcée et les résultats de son action dans les territoires formellement présentés devant le Conseil stratégique de l'export.

Quatrième et dernière recommandation relevant des objectifs stratégiques, la proposition n° 4 vise à mieux intégrer la question des services dans la lutte contre les délocalisations. Cette proposition pourrait sembler redondante avec les précédentes, dans la mesure où elle devrait en tout logique en découler. Cependant, la leçon de l'erreur stratégique de la désindustrialisation nous pousse à insister sur la dimension des services, qui constitue aujourd'hui un atout pour la France, mais également un risque non négligeable si rien n'est fait pour en préserver la force. Cet objectif met donc l'accent sur les questions de formation, de compétences, et d'infrastructures numériques dans les territoires, comme outils de lutte contre les délocalisations.

Je passe maintenant aux objectifs opérationnels, dont la proposition n° 5 concerne les relocalisations et la réindustrialisation de la France, en facilitant la transmission d'entreprise et en soutenant les PME et ETI. Elle s'inscrit dans la suite logique du rapport de nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, et serait notamment mise en oeuvre à travers la proposition de loi qui reprendra toutes les propositions.

La proposition n° 6 vise à inciter les entreprises à « chasser en meute », puisque nous retenons de nos déplacements que c'est l'une des grandes faiblesses de la culture française dans la conquête des marchés étrangers. Cette incitation peut s'appuyer sur une fiscalité ciblée et / ou la valorisation d'un label Made in France spécifique à l'export.

La proposition n° 7 a pour objectif d'organiser une campagne d'information sur les offres d'accompagnement des PME et ETI proposées par la Team France Export. Il s'agit également de s'inspirer de l'exemple italien en rendant gratuite la participation à des salons internationaux pour les entreprises françaises.

Parce que nous ne répéterons jamais assez l'importance des compétences en matière de compétitivité hors-prix, la proposition n° 8 vise à renforcer l'apprentissage des langues et les connaissances en économie, mathématiques, technologies ainsi qu'en matière de commerce international dans l'enseignement secondaire et dans l'enseignement supérieur.

La proposition n° 9 vise les vulnérabilités d'approvisionnement, qu'il s'agit de mieux identifier grâce aux données douanières que la Commission européenne pourrait mettre à disposition de la France.

Enfin, la proposition n° 10 vise à définir le contenu, le cadre et les règles éthiques de la constitution de fonctionnement d'une base de données française qui permettra, avec l'intelligence artificielle, d'accompagner finement les PME françaises à l'export. Une telle base serait constituée de données publiques, open data, de données payantes, avec des études de cabinets notamment, des données des entreprises elles-mêmes, mais aussi des informations des réseaux sociaux dont l'activité pourrait être étudiée, via l'intelligence artificielle, et mise à profit pour orienter utilement les entreprises vers les marchés à l'export en quasi temps réel. Cette proposition fait à la fois écho au projet de base de données en cours de réalisation au ministère du commerce international britannique mais aussi aux travaux récents de la Cour des comptes, qui regrette le manque de partage d'informations utiles entre les membres de la Team France Export. La gestion de cette base pourra être confiée à un membre de la TFE dans le respect des règles en matière d'intelligence économique.

Voilà chers collègues le fruit de nos travaux qui, nous l'espérons, permettront au Sénat de mieux prendre en compte toutes les composantes du commerce extérieur. Nous proposons d'ailleurs d'assurer un suivi informel de ce sujet au long cours. Nous vous remercions pour votre écoute et votre patience.

M. Serge Babary, président. - Bravo. Merci beaucoup, Madame, Messieurs les Rapporteurs, pour ce travail de grande qualité, très intéressant, et qui je pense a été apprécié par nos collègues. Il y aura une suite assez rapide puisque nous avons fait une demande d'inscription pour un débat en séance sur ce sujet en février. Je vous annonce par la même occasion que nous avons également fait une demande de débat en séance pour janvier, sur le thème de la RSE. Cela nous permettra d'assurer un suivi de nos travaux et que ce ne soit pas simplement des travaux de grande qualité, comme vous l'avez constaté, mais qui resteraient sans suites. Par ailleurs, nous allons essayer de rencontrer le ministre du Commerce extérieur, pour lui présenter les différents points que Jean Hingray vient de d'égrainer, et qui sont les propositions de nos rapporteurs. Il y a-t-il des questions ?

M. Michel Canévet, sénateur. - Je tiens à remercier vivement les trois rapporteurs et l'équipe de la délégation aux entreprises pour la qualité du travail qui vient d'être présenté sur un sujet d'actualité extrêmement important et préoccupant. Comme cela a été dit par mes collègues, nous arrivons à un niveau de déficit de la balance commerciale française tout à fait exceptionnel, et je crois qu'il convient de bien en identifier les raisons. Ils l'ont fait bien sûr, avec tact et compétences, mais ce que je voudrais leur demander, tout d'abord, concerne le déficit : si l'on en extrait les questions énergétiques, dont on voit bien qu'elles sont conjoncturelles, a-t-on pu identifier l'origine géographique essentielle des raisons de notre déficit s'agissant des importations ? Sait-on d'où viennent essentiellement les marchandises qui contribuent à ce déficit important de la balance commerciale française ? C'est mon premier point.

Ensuite, les rapporteurs ont évoqué la question du Conseil stratégique à l'export. Je suis allé au salon nautique mardi soir et j''ai visité le groupe Beneteau, qui est le premier opérateur mondial en matière de plaisance, ce qui représente 10 000 emplois, avec son siège en Vendée, et 85 % de sa production partant à l'export. Cela veut dire qu'il y a quand même des entreprises qui sont compétentes ; de même, il y a quelques années, nous étions allés à Cognac avec la délégation aux entreprises, pour constater que 97 % de la production de cognac en France était exportée, ce qui est tout à fait extraordinaire et contribue donc à l'amélioration des chiffres de la balance commerciale. Avons-nous une idée claire du travail réalisé par ces conseillers stratégiques auprès de la DGE, donc à Bercy ? Il y a-t-il bien un lien entre le Conseil stratégique à l'export et les conseils stratégiques par filière ? Il y a aussi un autre dispositif qui existe dans notre pays, qui s'appelle les conseillers du commerce extérieur, est-ce que ce dispositif est efficace ? Ce dispositif existe depuis longtemps, mais est-ce que cela produit effectivement des résultats intéressants selon nos rapporteurs ?

De plus, ils ont fort opportunément évoqué l'idée de l'identification des approvisionnements pour nos entreprises. Je sais qu'en Bretagne, par exemple, le Conseil régional a mené une étude qui s'appelle « Reloc en Bretagne », pour essayer d'identifier tout ce qui vient de l'extérieur de la Bretagne et qui pourrait être éventuellement réinternalisé en faisant appel aux entreprises ou en créant des activités localement.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Pour répondre à la première question, quels sont les secteurs qui sont en déficit et quels sont ceux qui sont en excédent ? Vous les avez sur la slide projetée ici, qui sera reprise dans l'Essentiel du rapport, tout comme la part de l'énergie. L'énergie représente donc 43 milliards d'euros de notre déficit total en 2021. Hors énergie, nous sommes les grands perdants sur le matériel de transport, le textile, l'habillement, l'automobile, les autres biens d'équipement, les produits informatiques, électroniques et puis les autres produits industriels et divers. Là où nous sommes excédentaires pour 2,6 milliards d'euros, c'est la pharmacie -- peut-être pas pour très longtemps -- et les produits agricoles et agroalimentaires. Dans le cadre de mes travaux à la commission des Finances, j'ai travaillé sur le sujet des produits agricoles et agroalimentaires et, encore récemment, cet excédent était porté par les vins et spiritueux. Cependant, pour l'ensemble des autres marchés nous étions perdants et l'excédent était en baisse constante. Pour le reste des secteurs excédentaires, il s'agit de la chimie, des parfums et cosmétiques, puis de l'aéronautique et du spatial. Nous avons vraiment perdu de grands secteurs de l'industrie.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Pour compléter sur le déficit par pays, nous avons bien entendu un déficit avec la Chine, ce qui est bien connu, mais, y compris au sein de l'Union européenne avec nos principaux partenaires, nous avons un déficit : il est de 13 milliards d'euros avec l'Allemagne, 7 milliards avec l'Italie, 8 milliards avec la Belgique, nous avons aussi un déficit avec l'Espagne. En somme, nous avons aussi, avec nos partenaires européens, des déficits que nous n'avions pas avant, et qui se sont creusés. Et pour compléter ce que disait Vincent Segouin, nous sommes spécialisés, on le voit bien, dans le luxe, dans l'aéronautique mais aussi dans la pharmacie, une spécialité que nous avons perdue, et nous ne parvenons pas à recréer de nouvelles spécialités. Pourtant, tout l'enjeu est d'en créer dans les secteurs d'avenir. Comment construire des spécialités dans les secteurs d'avenir ? Nous avons déjà pris beaucoup de retard dans le numérique par exemple, avec, et il faut quand même le dire, beaucoup de nos start-up françaises qui sont rachetées par des entreprises américaines. Il nous faut donc nous projeter aussi sur les secteurs d'avenir et savoir reconstruire des spécialités, des formes de compétitivité, et je crois que c'est cela que nous avons le plus perdu. Finalement, par rapport à d'autres pays, nos spécialités sont moins porteuses, nous avons mal su les conserver et aujourd'hui, nous sommes un peu incapables d'en construire de nouvelles. Il y a donc un vrai enjeu sur la construction de nouveaux avantages comparatifs et de nouvelles spécialités.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Sur la question des conseillers à l'export, nous sommes un peu dubitatifs, voire pessimistes, parce qu'il est vrai qu'il s'agit là davantage d'une action verticale par branche et par secteur géographique, qu'une action transversale avec une véritable stratégie. C'est cela que nous voulions surtout souligner dans nos propos. Une des personnes auditionnées nous a dit que sur un ou deux secteurs cela marchait plutôt bien, mais sur le reste notre avis est plutôt pessimiste, dubitatif, voire négatif.

M. Serge Babary, président. - Je peux compléter sur le Conseil stratégique à l'export. J'ai assisté, le 14 juin dernier, à un tel Conseil, à la demande de la délégation. J'y ai indiqué que nous faisions un travail sur le commerce extérieur. Mon témoignage est également assez pessimiste pour ce genre d'instance puisqu'en réalité -- c'était Franck Riester qui était ministre à l'époque -- il y avait une quarantaine de personnes autour de la table, et ça s'est limité à un tour de table individuel où chacun a indiqué où il en était, ce qu'il faisait, etc. Il faut avoir en tête qu'aujourd'hui la stratégie, s'il y en a une, c'est ce que souhaite, veut ou décide le ministre, il n'y a rien d'autre, le roi est nu. Nous avons, depuis, un nouveau ministre. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de citer son nom. Alors, il se trouve que nous l'avons récemment entendu, mais nous ne l'avions jusque-là jamais vu : il s'agit de M. Olivier Becht. Dès lors je vous propose que nous allions lui présenter notre rapport, même si je ne suis pas sûr que cela l'intéresse beaucoup... En résumé, pour la stratégie, en effet, il faut que la proposition n° 2 du rapport s'applique, c'est-à-dire qu'il y ait une vraie stratégie, que ce ne soit pas uniquement l'idée d'un ministre et que tout s'arrête quand le ministre s'en va. Je ne sais pas du tout quelle est la stratégie du commerce extérieur de la France de M. Olivier Becht mais il serait intéressant de le lui demander.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Pour compléter les propos du président, je pense qu'il nous faudrait aussi aller voir le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, parce que vous l'avez bien compris, nous avons un problème à l'extérieur, mais aussi et surtout un problème à l'intérieur. Je rebondis sur la question de Michel Canévet sur l'initiative « Reloc en Bretagne » : heureusement que les régions lancent des initiatives pour relocaliser ! Selon moi, l'avantage des régions, et la Bretagne est un modèle sur le sujet, c'est qu'elles s'intéressent aux entreprises. En Normandie aussi, on s'intéresse aux entreprises, et en particulier celles qui vont être rentables en dépit des normes et aux contraintes franco-françaises. En effet, relocaliser une entreprise qui a une faible marge, qui va être handicapée, ce n'est pas soutenable. J'en parlais ce matin à la conférence de presse : on sait pertinemment que produire en France coûtera plus cher, donc il faut qu'il y ait une plus-value dans le produit, il faut que l'on puisse reporter le coût supérieur, et donc, forcément on va vers des produits qui peuvent avoir de la marge. J'ai beaucoup de craintes pour la relocalisation de produits à faible marge. J'ai en tête les masques, qui ont coûté beaucoup d'argent public, on se disait : « chouette, on a gagné le combat de la relocalisation », sans savoir si ça allait être une mesure pérenne. L'utilisation de l'argent public en France est une catastrophe sans nom ! Le 2e point c'est l'administration, notre administration française. On l'a bien vu par rapport aux administrations des pays visités, elle cherche à punir nos entreprises toujours un peu plus, plutôt qu'à les aider à conquérir d'autres marchés. Cela n'existe nulle part ailleurs qu'en France.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Je voudrais revenir sur la question des régions. En effet, les régions peuvent être un acteur intéressant, mais il faut quand même en entrevoir les limites. On ne peut pas comparer, en termes de moyens, de force de frappe, nos régions françaises avec les Länders allemands. Elles ont des budgets très limités et leurs interventions en termes économiques sont très faibles par rapport à l'intervention que peut avoir l'État. C'est là un peu la limite de l'intervention des régions.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Je suis tout à fait d'accord quant à cette limite à l'intervention des régions. Mais ce que je voulais dire, c'est que les régions créent un sens, montrent une direction, que l'État devrait suivre. Si on veut regagner la conquête de l'électronique, il faut que ce soit porté par les régions, et que l'État soit derrière pour porter des projets de grande envergure. Mais aujourd'hui, on ne le ressent pas, l'État est là pour distribuer de l'argent plus qu'autre chose.

M. Daniel Laurent, sénateur. - Je souhaiterais juste confirmer ce que disent Vincent Segouin et l'ensemble des rapporteurs. C'est un constat que nous faisons au niveau local également. Nous avons parlé des produits d'exportation qui sont excédentaires, comme dans l'aéronautique, les vins et spiritueux, les produits pharmaceutiques, etc. mais ce ne sont que des produits de luxe ! Des produits de luxe avec des marges importantes, très importantes. Donc je ne vois pas comment nous allons nous en sortir, avec les charges, les normes et les difficultés administratives qui contraignent les entreprises. J'ai fondé une entreprise, que ma famille dirige encore aujourd'hui, et nous constatons ces contraintes tous les jours. C'est de plus en plus difficile et il est certain que de plus en plus d'entreprises vont tomber, car elles n'y arrivent plus. Aujourd'hui on vit dans le luxe, ce sont des produits de luxe. Je peux aussi vous donner l'exemple des entreprises de construction navale à La Rochelle, qui ont des carnets de commandes blindés. Il n'y a donc que les produits de luxe qui arrivent à tirer leur épingle du jeu. Mais dans tous les autres secteurs, nous voyons bien un déficit prégnant, qui est en train de se creuser de plus en plus.

M. Jean-Pierre Moga, sénateur. - Je souhaiterais remercier mes collègues pour cet excellent rapport, et je partage également ce qui a été dit par Vincent Segouin. Premièrement, pour pouvoir exporter, il faut fabriquer. Si nous ne fabriquons rien, nous n'exporterons rien. Nous avons externalisé pendant des années -- et pas par hasard ! -- car fabriquer en France c'est le parcours du combattant. Relocaliser, c'est difficile : il faut trois à quatre ans pour monter une usine en France, avec les déclarations, les permis, les études d'impact, etc. nous sommes l'un des pays où cela met le plus de temps. À l'inverse, partout dans le monde, on construit beaucoup plus vite. Dans l'entreprise dans laquelle je travaillais, nous avions voulu mettre en place un processus industriel américain, et nous nous étions heurtés aux normes françaises. Je suis certain que les américains ont des normes tout à fait acceptables, pourtant, il a fallu un ou deux ans pour que nous puissions mettre en place ce processus, car nous avons été contraints d'en changer de nombreuses sections pour nous conformer aux strictes normes françaises.

Ensuite, je souhaiterais rappeler qu'il y a certaines choses que nous ne faisons plus du tout en France. Hier, à l'occasion d'un déjeuner autour de l'art de la table, nous parlions de l'argenterie. À cause du risque de migration des métaux lourds, nous ne fabriquons plus d'argenterie en France, et en plus nous n'avons plus de chromeurs. Dès lors, nous faisons chromer nos produits hors de France, dans des pays sans normes où les effluents sont contaminés aux métaux lourds et se jettent ensuite dans les fleuves. Nous pourrions avoir en France des normes qui permettent de limiter ce type de pollution, pour permettre à cette industrie de se relancer, mais pour cela il faudrait aller beaucoup plus vite sur le plan administratif. Il nous faut des normes bien sûr, mais il faut qu'elles soient acceptables et qu'elles permettent de maintenir une qualité convenable de fabrication, et de l'environnement.

Aussi, je souhaiterais rappeler, comme cela a été mentionné par mon collègue, le problème des charges. Nous sommes le pays champion du monde du montant des charges appliquées aux salaires, et cela aussi fait obstacle à la revitalisation de certaines activités.

Enfin, nous avons parlé de la production de produits pharmaceutiques qui contribue aux exportations, mais une usine chimique est rapidement classée SEVESO, et il devient difficile de trouver un endroit où implanter une telle usine.

Tous ces obstacles rendent les choses très difficiles et votre rapport le montre.

Mme Martine Berthet, sénatrice. - Je m'associe aux remerciements de mes collègues, c'est un rapport très intéressant qui établit bien l'impact de ce déficit crucial pour notre économie. C'est un rapport qui fait le lien entre différents sujets que nous avons traités ou que nous allons traiter au sein de la délégation aux entreprises, tout est lié au déficit de notre commerce extérieur, et cela rappelle l'importance des travaux menés dans le cadre de la délégation. Je remercie d'ailleurs l'ensemble de l'équipe de la délégation de nous accompagner sur tous ces sujets.

Sur les propositions du rapport, elles sont toutes intéressantes mais je souhaiterais revenir sur la proposition n°6, « Inciter les entreprises à chasser en meute ». Je souhaiterais à ce propos donner l'exemple du cluster Montagne qui existe en Savoie et qui se déplace en meute, avec une partie des entreprises centrées sur la technologie et l'autre sur les services. Par exemple, s'il y a des Jeux Olympiques d'hiver, ils vont s'y rendre en meute pour installer et créer ce qui est nécessaire au déroulement de ces jeux, et permettre à l'ensemble des entreprises du cluster de tisser des liens avec des partenaires, ce qui leur donne beaucoup de force à l'export.

J'ai aussi une remarque sur la question du matériel. Avec le groupe d'études « Métiers d'art », nous sommes allés dans le Gard à la rencontre d'entrepreneurs qui veulent recréer des filatures -- notamment pour la fabrication de bas collants qui était une force en France -- mais ils sont confrontés à des difficultés de matériel : il est très difficile de retrouver le matériel nécessaire à la filature, car ces filières n'existent presque plus en France. Il faut donc retrouver de l'ingénierie, il faut re-fabriquer ce que nous avons perdu, car nous avons tout laissé partir.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Merci pour ce rapport très éclairant, la situation est en effet assez dramatique depuis plusieurs décennies. Cependant, nous ne devons pas succomber à la tentation de dire que tout cela est le résultat de notre société qui serait trop normative ; il y a sans doute des normes à revoir, mais au-delà des normes, ce qui pose surtout problème c'est l'absence de clauses miroirs. Effectivement, ce que l'on s'impose nous-même, nous devons l'imposer et empêcher l'importation de produits étrangers qui n'ont pas respecté ces normes. Je pense surtout aux normes environnementales, mais également aux normes sociales. Je pense donc qu'il nous faut être vigilants à ce propos, et rester armés face aux défis de protection de la biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique.

Pour revenir sur le déficit de notre balance commerciale, il faut exporter, oui, mais pas à n'importe quel prix, et une des solutions pour réduire ce déséquilibre est de reconquérir le marché intérieur et limiter les importations. Cela me semble essentiel.

Sur la question de la valeur ajoutée, je pense également qu'il n'est pas forcément utile de se focaliser sur cette question, mais plutôt se poser la question de la souveraineté. Pour reprendre l'exemple des masques, ce n'était pas par hasard : nous nous sommes retrouvés prisonniers de nos importations étrangères de masques. Il me paraît donc important d'inclure également des produits à faible valeur ajoutée s'ils répondent à des questions de souveraineté, comme c'était le cas des masques. Mais dans ce cas, il faut assurer la commande publique, et on s'aperçoit que nos hôpitaux n'achètent pas forcément les masques qui sont produits dans des usines françaises que l'on a relocalisées à grand coup d'argent public. On parle souvent de patriotisme mais il semble souvent absent sur ces questions : on ne peut pas se contingenter à gagner deux ou trois centimes sur un masque et faire couler les entreprises locales. Il y a donc un certain nombre de points à revoir en gardant en tête l'idée de conserver notre modèle. En revanche, nous perdons des marchés face à d'autres pays européens, et cette question m'interroge davantage car nous devrions avoir à peu près le même cadre normatif au sein de l'Europe.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - J'aime bien la formule de Daniel Laurent « On vit dans le luxe », et je la partage à 200 %.

Pour répondre à Jean-Pierre Moga, oui, le temps pour construire en France est démesuré, cela rejoint notre constat d'une administration qui n'est pas partenaire des entreprises.

Je suis mille fois d'accord avec la remarque de Daniel Salmon sur l'application des clauses miroirs. Dans mon rapport dans le cadre des travaux de la commission des Finances, nous faisions remarquer que nous augmentons les effectifs pour contrôler le respect des normes françaises dans les productions agricoles, pour les produits français, sans voir ni contrôler si les mêmes normes sont appliquées sur les produits importés. L'exemple le plus flagrant est le cas du diméthoate, qui a été interdit en France. Bilan, pour les agriculteurs, cela signifie une production de cerises qui peut varier de 100 à 20 : on n'installera jamais un jeune avec des conditions pareilles ! Dont acte, on veut de la cerise sans diméthoate pour la protection des consommateurs et la santé publique. Mais pendant ce temps-là, on importe des cerises de Turquie qui ont du diméthoate, sans même vérifier s'il y a des résidus, des traces ou pas. On s'entretue. Ni plus ni moins. Donc pour l'application des clauses miroirs, je suis mille fois d'accord.

Pour répondre sur la souveraineté, je suis d'accord également. Pour moi, l'argent public que l'on prend sur des entreprises qui sont ultra bénéficiaires, c'est justement pour soutenir des entreprises qui ne trouvent pas forcément de rentabilité. C'est le cas par exemple de l'agriculture : on apporte des aides pour maintenir notre agriculture car on en a besoin si jamais il y a un renversement ou un problème climatique dans le monde. On ne veut pas vivre que des importations. Je n'ai aucun problème avec ce constat, et je considère que c'est de la bonne utilisation de l'argent public. En revanche, prendre l'argent public sur des entreprises qui sont fortement taxées, et le saupoudrer et donner des chèques partout, je trouve cela ridicule et je pense qu'il faut arrêter cette gabegie. Choisissons les bonnes entreprises, assumons d'apporter du soutien à des entreprises parce qu'elles nous assurent la sécurité ou l'alimentation.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Pour répondre à Daniel Salmon sur les clauses miroirs, nous partageons tous cet avis, sur la nécessité de réduire les dépendances également. L'économie mondiale doit aussi réduire sa dépendance au commerce extérieur. Il faut se mettre dans la perspective du changement climatique qui va imposer de réduire les transports, qui va nécessiter de travailler sur des relocalisations, et qui va nous interroger sur le fait de vouloir toujours plus de commerce extérieur ou non. Ce sont des questions qu'il faudra poser aujourd'hui, car peut-être que dans dix ans, quand on payera le vrai prix du transport, avec le vrai prix du carbone, cela réduira notre commerce extérieur. Donc la stratégie que l'on doit avoir, elle doit également être décidée à l'aune de ces nouvelles données, qu'il ne faut pas négliger, et qui nécessiteraient d'ailleurs peut-être des investigations complémentaires de la part de notre délégation.

Mme Marie-Christine Chauvin, sénateur. - Un grand merci aux rapporteurs pour la qualité de leur rapport, qui n'est pas rassurant, qui met le doigt sur des choses douloureuses, mais qui doivent être mises en avant. Je souhaiterais insister sur le fait que l'État ne doit pas se désengager des régions, car cela va créer de grandes disparités selon les régions. Je ne parle pas uniquement des choix politiques, mais surtout des capacités financières des régions, qui sont très différentes. Je vais prendre deux régions proches, et que je connais bien : la Bourgogne-France-Comté, où les moyens sont vraiment petits, et la région Rhône-Alpes où les moyens sont énormes. Il n'y a qu'un kilomètre à franchir mais cela peut-être très différent pour une entreprise d'être d'un côté ou de l'autre. Alors non, l'État n'a pas le droit de se désengager totalement des régions, déjà pour cette raison-là.

Je souhaiterais également revenir sur les freins à l'installation. Nous avons déjà évoqué les normes, les lourdeurs administratives qui prennent beaucoup de temps, mais je souhaiterais mentionner l'acceptation d'une tranche de la société. En effet, si l'on relocalise, et Jean-Pierre Moga en a parlé en creux, il faut accepter qu'une usine, parfois, vienne avec certaines nuisances, du bruit, parfois du trafic de camions, et aujourd'hui cela n'est plus possible pour certaines personnes. Pour ceux de mes collègues qui viendront en déplacement dans le Jura, vous verrez dans le bourg où vous serez ce soir, il n'y a pas d'usine. Or, il y a une usine de fabrication de pellets qui souhaiterait s'installer, ce qui représenterait 35 emplois, dans la zone artisanale donc pas directement en centre-ville. Mais quelques personnes sont contre car cela signifierait le passage de camions etc. Je crois que si l'on veut relocaliser, si on veut de l'emploi, certes cela fera de la circulation, mais cela fera aussi de la vie. Le jour où nous n'aurons plus de bruit, plus d'odeurs, plus de circulation, et bien il n'y aura plus de vie, et cela il faut oser le dire.

M. Gilbert-Luc Devinaz, sénateur. - Je souhaiterais à mon tour vous remercier pour votre rapport que je trouve fort éclairant et fort intéressant. Je pense que l'on paye une situation qui part de loin. En ce qui me concerne, si ma mémoire est bonne, lorsque j'étais en quatrième, le professeur de géographie nous expliquait comment allait se développer l'industrie sur le territoire national, et que nous allions garder l'ingénierie en France et développer des usines, non pas en Chine comme aujourd'hui, mais en Afrique et en Afrique du Nord, disait-on à l'époque. Il concluait en disant qu'il fallait qu'on travaille bien à l'école, pas pour faire Sciences Po à l'époque, mais plutôt une école d'ingénieur. C'est vraiment ce que j'ai perçu lorsque j'étais adolescent, et je pense que cela s'est mis effectivement en place et qu'on le paye fortement aujourd'hui. Je souhaiterais appuyer ce qu'a dit Vincent Segouin : l'État accorde des aides à des entreprises, et à un moment je pense qu'il faut contrôler ces aides, et on est en droit d'attendre un « retour sur investissement » et de chercher à comprendre pourquoi quand il n'y a pas.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Pour compléter, je souhaiterais revenir sur une proposition que nous avons peut-être un peu moins développée, et qui concerne la dimension pédagogique, le fait de renforcer l'acculturation à l'économie. En effet, en dehors des élèves qui prennent des spécialités en économie, il y a peu d'enseignements à l'économie, à toutes les formes de l'économie : l'économie traditionnelle, l'économie sociale et solidaire qui a un autre rôle à jouer ; globalement cet enseignement est à renforcer. L'enseignement des langues aussi doit être priorisé, car dans certaines auditions cela revenait parmi nos faiblesses. Lors de nos déplacements à l'étranger, nous avons rencontré beaucoup de francophones, et je ne suis pas certaine que l'inverse soit vrai. De même, il faudra mettre l'accent sur certains enseignements clés pour notre compétitivité à l'avenir. Nous sommes très inquiets face à la baisse du niveau en mathématiques, face au fait que de moins en moins d'élèves choisissent ces spécialités, face à la chute du nombre de filles parmi ces élèves. Cela concerne également le numérique en général. La dimension éducative est donc primordiale, à travers la culture à l'économie mais aussi dans l'orientation, qui doit évoluer pour orienter les élèves vers les métiers de demain. C'est une dimension essentielle qu'il ne faut pas négliger et que nous avions assez peu évoquée jusqu'à maintenant dans nos échanges.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - Il faudrait également renforcer l'apprentissage de la finance. Cela rejoint la question de l'acceptation par la population soulevée par Marie-Christine Chauvin. Aujourd'hui on hésite entre confort et inconfort, est-ce qu'on va avoir des nuisances ou pas de nuisance, et on choisira plutôt « pas de nuisance », sans penser à ce que cela amène pour l'emploi, pour la région. Nous avons une civilisation qui va de plus en plus vers l'entre soi, vers l'égoïsme : cela est mortifère et il faut à tout prix inverser cette tendance. Il faut que l'on comprenne que si on installe une entreprise, c'est de l'emploi. S'il y a de l'emploi, c'est des enfants, et puis de la construction et finalement une vie économique.

Je souhaiterais rebondir sur ce qu'a dit Gilbert-Luc Devinaz. En effet, tout ça vient de loin. C'est vrai qu'à une période on apprenait aux enfants qu'on allait délocaliser les ateliers. Ce qui est flagrant, c'est que lorsqu'on va au Royaume-Uni, ils assument complètement ce choix stratégique. Ils disent -- je caricature peu -- qu'ils sont dans un pays civilisé, avec de la matière grise, et qu'ils vont profiter du fait d'avoir des colonies qui peuvent faire le travail manuel et sale, pour mettre ces activités chez eux et produire moins cher. Et c'est clairement assumé. C'est ça qui transparait de nos échanges à l'occasion de notre déplacement à Londres. En France aussi on a suivi cette stratégie là, mais sans vraiment le dire, ce qui est encore pire. On a dit qu'on transfèrerait une partie des activités mais qu'on garderait la partie recherche, mais aussi les entreprises avec de la valeur ajoutée. Mais on n'assume pas clairement nos choix. Si on en est là, c'est à cause de cette horrible stratégie ; il nous faut à tout prix rebondir et changer le curseur. Investir de l'argent public d'accord, mais pour quel résultat ? Presque tous les membres de notre délégation viennent du monde de l'entreprise, et même à titre personnel, lorsqu'on investit c'est pour avoir un résultat. Or, on investit de l'argent public sans savoir, sans vérifier ce que ça va donner. Arrêtons ! Il faut des indicateurs. Ce matin encore j'étais choqué, car j'ai entendu que des agences de cotation françaises allaient être rachetées par des sociétés américaines, mais pourquoi l'administration ne s'occupe-t-elle pas de cela ?

M. Jean Hingray, co-rapporteur. - Pour finir sur une note optimiste, ces dernières interventions me font penser à un vosgien célèbre qui était président sous la IIIe République. Je pense qu'il faudrait remettre au goût du jour et à l'honneur Jules Méline, ancien ministre de l'agriculture, qui avait, à l'époque où la France avait fait des choix stratégiques en défaveur de nos agriculteurs, mis en place des barrières douanières pour aider nos agriculteurs. Nous serions bien à même d'être éclairés par cet exemple où, à une période en France où notre agriculture était au bord du gouffre, il y a un homme qui a relevé la situation, et cela devrait nous servir d'exemple pour faire la même chose pour l'industrie.

M. Serge Babary, président. - Merci pour cet échange qui montre l'intérêt de chacun pour ces sujets qui sont considérables : il y va, en réalité, de l'avenir de notre économie, de la place de notre pays dans le monde et de notre souveraineté. Nous allons assurer un suivi politique du rapport, au sens noble du terme, c'est-à-dire dans la pédagogie, dans la communication et auprès des responsables. Je pense que c'est le meilleur travail que nous puissions faire maintenant à partir de ces travaux. Je remercie à nouveau les rapporteurs, au nom de chacun, et je vais mettre ce rapport aux voix pour son adoption. Y-a-t-il des oppositions ? Des abstentions ?

Le rapport d'information sur les difficultés des ETI et PME en matière de commerce extérieur est approuvé à l'unanimité.

Merci aux rapporteurs et à l'équipe de la délégation ayant contribué à l'élaboration de ce rapport, qui sera diffusé prochainement.

Compte rendu du déplacement dans le Lot-et-Garonne par Jean-Pierre Moga, sénateur

M. Jean-Pierre Moga, sénateur. - Monsieur le président, mes chers collègues, j'ai eu le plaisir d'accueillir la délégation aux entreprises, les 29 et 30 septembre derniers dans mon département du Lot-et-Garonne. Pascale Gruny et moi-même avons été accompagnés par notre collègue Christine Bonfanti-Dossat, l'autre sénateur du département. Malheureusement, Serge Babary et Sébastien Meurant ont dû renoncer in extremis à leur participation car ils ont été complètement coincés dans les embouteillages, puis par l'annulation de leur train en ce jour mémorable de grève...

Le programme de ce déplacement était, comme toujours, assez dense. La soirée du 29septembre était consacrée à un dîner avec les représentants des organisations professionnelles d'entreprises locales. La journée du 30 septembre était organisée autour de deux visites d'entreprises durant la matinée, suivies d'une table-ronde au cours de laquelle nous avons pu échanger avec 17 chefs d'entreprise, couvrant notamment le secteur industriel, agro-alimentaire, l'artisanat ainsi que l'hôtellerie et restauration. Cette journée de déplacement a été l'occasion de prendre directement le pouls de certaines TPE, PME et ETI, d'en recenser les avancées - qui rassurent sur le dynamisme du territoire - mais d'évoquer aussi les difficultés rencontrées à l'aune d'un contexte post-sanitaire et inflationniste plutôt défavorable pour le tissu économique de notre pays.

Après cette synthèse, je vais détailler davantage notre mission. Le dîner du jeudi avec les présidents des fédérations locales du MEDEF, de la CCI et de la Chambre des métiers et de l'Artisanat a permis d'identifier trois préoccupations saillantes des chefs d'entreprise du département.

Tout d'abord, l'application de la responsabilité élargie du producteur (REP) au secteur du bâtiment et de la construction, prévue par la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 devient un sujet de préoccupation majeure pour les entreprises relevant de ce secteur. Ainsi, bon nombre d'entre elles seront redevables de l'éco-participation, ce qui aura pour conséquence de décaisser directement l'éco-participation sur leurs comptes et de ne pas la faire reposer sur le consommateur.

De plus, en cette période de difficultés économiques et de crise énergétique, les prêts garantis par l'État (PGE), constituent une véritable « épée de Damoclès » pour un grand nombre d'entreprises. Sur les 6 300 entreprises dénombrées au sein de mon département, environ 4 500 en ont contractés, soit plus de 70 % au total. Le contexte inflationniste actuel, tant au niveau des matières premières que des énergies, constitue un goulot d'étranglement pour beaucoup d'entreprises qui connaissent des difficultés économiques comme judiciaires. La proposition du Gouvernement de prolonger la durée de remboursement des PGE à 10 ans s'accompagne d'effets pervers dans la mesure où le secteur bancaire traite cette dette comme les autres, ce qui ne devrait pas être le cas et donne une image d'insolvabilité des entreprises concernées qui leur est préjudiciable. Sans compter que la dépréciation de l'euro, combinée à une hausse du prix du baril de pétrole comptabilisé en dollars, minent les capacités de nos entreprises à produire et à investir.

Enfin, la situation des Centres de formation des apprentis (CFA) mérite d'être soulignée, leur financement ayant été complètement transféré aux Régions. Afin de stimuler les aides à l'apprentissage, nerf de la réussite des CFA, il est nécessaire qu'un financement national soit rétabli. Une vraie réflexion autour de l'attractivité des métiers auprès des jeunes doit être posée sur la table : à l'ère du post-confinement, les conditions de travail sont devenues un critère incontournable dans l'attractivité des métiers, avant même les conditions de rémunération. À cet égard, je me réjouis que notre délégation ait décidé de lancer une mission sur ces sujets majeurs.

La journée du vendredi a débuté par la visite de l'entreprise Metal Mobil, une très belle PME, dirigée actuellement par MM. Arnaud et Frédéric Pitet. Ces deux frères ont repris l'entreprise de leur père. Metal Mobil était spécialisée, à ses débuts, dans la production de matériel scolaire. Racheté en 1966 par le père des actuels dirigeants, le choix a été fait, durant les années 80 et 90 de concentrer son activité dans la collecte de produits en verre à des fins de recyclage pour les collectivités territoriales. La reprise de l'entreprise par les frères Pitet en 2003 a été l'occasion pour le groupe de se spécialiser dans la tôlerie industrielle et de devenir un acteur local incontournable de la sous-traitance de produits industriels dans le secteur de l'hôtellerie. Enfin, l'entreprise s'est également orientée vers la construction d'équipements de nacelles élévatrices, et de matériels de signalisation de véhicules pour les autoroutes. La plupart de ses clients sont situés dans le Sud-ouest, renforçant la politique du groupe de s'inscrire dans un contexte d'économie circulaire.

Aujourd'hui, cette belle entreprise est composée d'une équipe de 28 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros par an. Son inscription durable dans le tissu économique lot-et-garonnais s'explique notamment par l'accompagnement déterminant du groupement d'employeurs 4733, représenté par Mme Monique Gauthier, très dynamique et que nous avions déjà rencontrée au Sénat. Ce groupement rassemblant près de 350 entreprises poursuit un but non lucratif, en accompagnant les entreprises qui le composent dans leur développement économique, notamment sur le plan du recrutement, véritable pierre d'achoppement dont je parlerai un peu plus tard.

Pour revenir au groupe Metal Mobil, il assure un remarquable service sur-mesure à ses clients. L'entreprise a investi dans de nombreux logiciels de simulation informatique de coupes et de plans afin d'évaluer la faisabilité de la demande du client. L'usinage s'effectue par le truchement d'outils et de techniques de pointe, telles que la découpe laser. La prise en compte du sur-mesure a pour conséquence qu'entre 20 % et 30 % de nouveaux produits sont fabriqués tous les mois, et ce, en réduisant au maximum la production de déchets, via le processus de simulation informatique.

Metal Mobil compte près de 250 clients et ancre sa méthode de production dans un contexte d'économie circulaire. L'entreprise est capable de répondre à ses commandes dans un délai moyen de 10 jours pour toute nouvelle pièce fabriquée.

Cette rapide croissance du groupe est soutenue par une politique d'investissement très soutenue. Les machines de production sont complètement automatisées, ce qui permet de poursuivre la production la nuit et le weekend afin de respecter les délais de production et de livraison auprès des clients. La machine peut tourner toute seule, il n'y a plus personne dans l'usine et en cas de problème une personne d'astreinte peut se rendre sur place, mais cela est très rare.

Cette visite a été l'occasion de revenir sur un certain nombre de difficultés que rencontrent également bon nombre d'entreprises lot-et-garonnaises :

Premièrement, la problématique du recrutement qui est le corollaire de l'attractivité du territoire et des métiers. L'entreprise a connu des difficultés pour recruter : entre 10 et 15 postes ne trouvaient pas preneurs, et ce durant une durée assez longue (autour de 2 ans). Le groupement d'entreprises dont fait partie Metal Mobil a été à l'initiative de la création d'une plateforme collaborative, dirigée par un groupe de chefs d'entreprise afin de mieux faire remonter les besoins de formation, compétences et recrutement des entreprises auprès de Pôle emploi et de France compétences. Cette plateforme permet d'identifier les besoins dans le département, de manière plus efficace que Pôle emploi, car la plateforme a pour fin le recrutement, alors que Pôle emploi assure une mission de gestion de demandeurs d'emploi, ce qui n'est pas tout à fait la même chose. Ces deux structures se complètent et permettent un meilleur appariement sur le marché du travail en Lot-et-Garonne. Cette plateforme est soutenue par le Préfet, qui envisage d'en faire un projet pilote du département.

La deuxième difficulté concerne, cela ne vous étonnera pas, la hausse du prix des matières premières et de l'énergie (et nous n'étions qu'au moins de septembre !) qui pénalise considérablement nos entreprises. Le prix de l'aluminium a été multiplié par 3, celui de l'acier par 2, et ce, avant la guerre en Ukraine. Nos entreprises ont besoin de stabilité, de prévisibilité dans leurs dépenses, ce que ne permet pas la situation actuelle.

Enfin, sont remontées des difficultés concernant l'apprentissage au sein des entreprises. L'apprentissage est encore trop mal perçu par les ministères de l'Éducation nationale et de l'Enseignement supérieur, alors même qu'il constitue un outil indéniable pour renforcer l'employabilité et l'attractivité. Il faut mieux valoriser le statut de l'apprenti, afin de faire changer les mentalités. Comme le suggérait MM. Pitet, la remise, par exemple, de décorations civiles, comme l'Ordre national du Mérite, pourrait servir cet objectif de mise en avant de parcours couronnés de réussite de bon nombre d'apprentis en France.

La seconde entreprise visitée s'appelle De Sangosse, une très belle ETI, située à Pont-du-Casse, proche d'Agen, et dont le développement a connu une histoire riche. En effet, l'entreprise, à sa création en 1926, est spécialisée dans le négoce en Lot-et-Garonne. Elle est rachetée en 1989 par les salariés, suite au décès accidentel du fondateur, M. De Sangosse. Elle est depuis fondée sur l'actionnariat salarié majoritaire, ce qui permet aux salariés d'être pleinement engagés dans le projet d'entreprise. Aujourd'hui, ce groupe fait partie intégrante d'une société holding, réalise plus de 305 millions d'euros de chiffre d'affaires et regroupe 850 salariés qui détiennent 60 % du capital. La veuve de M. De Sangosse était restée dans l'actionnariat pour rassurer les banques au départ. Les salariés ont une participation égalitaire dans l'entreprise, avec des primes d'intéressement généreuses. Par ailleurs, 70 % du montant des primes d'intéressement est réinvesti au sein de l'entreprise par les salariés.

Le groupe De Sangosse, dirigé actuellement par M. Nicolas Fillon, est devenu l'un des leaders nationaux et européens du biocontrôle, c'est-à-dire de la transformation des méthodes de culture et de production agricole, qu'elles soient biologiques, raisonnées ou intensives, afin de permettre aux agriculteurs de renoncer à l'utilisation massive de produits phytosanitaires et d'utiliser des méthodes plus durables, respectueuses de l'environnement et de la santé des consommateurs. La croissance de cette entreprise est remarquable et lui a très vite permis de conquérir des parts de marchés à l'international : l'entreprise possède 16 sites de production dans le monde et 26 filiales internationales. De plus, 70 % du chiffre d'affaires de l'entreprise provient de son activité à l'étranger

L'une des clés de la réussite de cette ETI est d'avoir une stratégie de recherche et d'innovation remarquable : le groupe De Sangosse est très investi sur la propriété intellectuelle, avec à son actif, plus de 200 brevets et près de 1 200 homologations à travers le monde. Chaque année, c'est près de 9 % du chiffre d'affaires qui est investi dans la recherche et développement relative au biocontrôle. L'action de cette ETI repose sur la phytothérapie en lieu et place de l'usage de produits phytosanitaires dans les cultures agricoles. À travers les huiles essentielles et les extraits de plantes, il s'agit de lutter efficacement contre les rongeurs et les parasites en préservant le rendement de production, tout en réduisant la consommation d'énergie et le bilan carbone des producteurs agricoles. À titre de comparaison, les cultures agricoles américaines sont aspergées d'azote pour les plantes ou encore d'acide sulfurique pour les pommes de terre par exemple.

M. Fillon nous a également présenté les obstacles qui entravent le développement du groupe De Sangosse. Premièrement, le recrutement peut s'avérer problématique pour une entreprise reposant sur l'actionnariat salarié. L'entreprise ne recherche pas uniquement de la main d'oeuvre, mais également un actionnaire s'impliquant dans le projet d'entreprise.

Par ailleurs, la recherche de l'innovation n'est pas toujours bien accompagnée par les dispositifs légaux et réglementaires en vigueur. C'est sur le sujet des homologations que l'entreprise rencontre des difficultés. Les demandes d'homologations de nouveaux produits sont contrôlées par des autorités de régulation française (ANSES) comme européenne (SCOPAFF). Cependant, les discussions entre l'ANSES et les institutions européennes sur ces lignes directrices concernant les homologations sont compliquées et sources d'incertitude, ce qui rend difficile toute anticipation de la part de l'entreprise. Il serait souhaitable que les entreprises en quête d'innovation aient davantage de contacts avec les institutions européennes, qu'elles soient mieux accompagnées et informées, notamment sur des sujets aussi cruciaux que sont les inventions. De plus, M. Fillon soulignait que le crédit impôt recherche est orienté vers les grandes entreprises (75 % des entreprises bénéficiaires sont des grandes entreprises) et n'est pas suffisamment pensé pour répondre aux particularités des PME et ETI. Ainsi, pour lui, seules les grandes entreprises peuvent supporter le risque économique et fiscal découlant de la recherche d'innovation. À titre de comparaison, les États-Unis et le Royaume-Uni accompagnent davantage leurs entreprises dans leurs dépenses en recherche et développement.

Enfin, la loi devrait encourager davantage l'épargne salariale en entreprise. Le forfait social au taux de 20 % est considéré comme pénalisant pour les ETI et l'épargne salariale devrait être exclue de l'assiette du forfait social, peu importe le nombre de salariés au sein de l'entreprise.

Après ces deux visites passionnantes, nous avons échangé avec 17 chefs d'entreprise à l'occasion d'une table ronde. Il s'agissait de dirigeants de TPE, PME, ETI, membres de la CCI et de la CMA, représentatifs du tissu entrepreneurial du département du Lot-et-Garonne, du secteur agro-alimentaire à l'artisanat en passant bien sûr par le secteur industriel.

Ces discussions ont abouti à l'identification de 5 problématiques principales que rencontrent les chefs d'entreprise au quotidien :

1. Les entreprises, notamment celles en développement, n'arrivent pas trouver une banque qui pourra leur permettre d'embaucher et de gagner en croissance, ou de les accompagner dans leur ouverture à l'international. Cette réticence est d'autant plus marquée pour les entreprises bénéficiant d'un PGE, considérées comme moins solvables.

2. A l'instar des banques, le secteur assurantiel n'accompagne pas suffisamment les entreprises sur les terres lot-et-garonnaises. En effet, nombre des compagnies d'assurances se désengagent, ne souhaitent pas assurer certains risques inhérents à certaines activités, et décident de fixer des coûts de police d'assurance ou des montants de franchises démesurés.

3. Les entreprises croulent sous les normes et réglementations multiples. Cela constitue un véritable frein au développement et à une meilleure rémunération du travail. Il s'agit bien sûr, du poids prépondérant des cotisations sociales, mais également des dispositions législatives récentes, telles que les obligations en matière de rénovation énergétique des bâtiments prévue par la loi ELAN, pour les entreprises du secteur tertiaire, ou encore certaines dispositions un peu excessives de la loi EVIN, source de baisse de la consommation de vin en France -- il s'agissait des réflexions de certaines entreprises viticoles.

4. Le département du Lot-et-Garonne est particulièrement exposé à un déficit d'attractivité du territoire, qui aggrave les difficultés de recrutement évoquées par les entreprises. En effet, c'est un département vieillissant, faute d'un pôle universitaire bien ancré permettant de former de jeunes étudiants et cadres. Cette situation de pénurie se traduit concrètement par une forte volatilité des salariés, qui touche la plupart des métiers de tous les secteurs, qualifiés ou non. La rareté de main d'oeuvre et de compétences nourrit une concurrence en matière de salaires et le débauchage de salariés entre entreprises sur le territoire. Les dirigeants d'entreprise observent également une recrudescence des ruptures conventionnelles qui se font souvent en défaveur des entreprises.

5. Enfin, les difficultés en matière de transmission d'entreprise ont aussi été évoquées : il est compliqué de trouver un repreneur compétent pour beaucoup de groupes concernés. Le financement de la transmission demeure un obstacle majeur, malgré le « Pacte Dutreil », et mériterait d'être autant accompagné que ne l'est la création d'entreprise. À ce titre, je salue vivement le travail mené par nos collègues Michel Canévet, Rémi Cardon et Olivier Rietmann, pour leurs propositions formulées dans le rapport d'information « Reprendre pour mieux entreprendre dans nos territoires », afin de mieux accompagner les entreprises dans le processus de transmission.

En conclusion, ce déplacement dans le département du Lot-et-Garonne a été riche en enseignements. Il s'agissait de prendre le pouls de l'activité économique et industrielle de ce territoire et d'observer parfois l'écart entre les mesures annoncées et la réalité du terrain. Il reste beaucoup à faire pour simplifier la vie des chefs d'entreprise et les soulager de certaines contraintes normatives excessives qui pénalisent leur activité. Je termine mon propos en soulignant l'impérieuse nécessité de mieux encourager la recherche constante de l'innovation, qui constitue un puissant vecteur de création de valeur ajoutée pour notre économie locale et nationale.

Et grand merci à toute l'équipe de la délégation qui nous a accompagnés lors de cette mission et nous a aidés à la préparer.

M. Serge Babary, président. - Merci cher Jean-Pierre pour ce compte rendu très précis. Je regrette vivement d'avoir été coincé dans les embouteillages de cette funeste journée ! Nous l'avons terminée en courant avec Sébastien Meurant, mais nous avons vu le train partir sous nos yeux, et malheureusement il n'y en avait pas d'autres après lui.

M. Jean-Pierre Moga, sénateur. - Normalement il y a un train pour Bordeaux toutes les heures, mais là avec la grève il n'y avait plus rien.

M. Michel Canévet, sénateur. - Merci pour ce compte rendu. J'ai regretté moi-même de ne pas pouvoir y aller, mais hélas j'avais d'autres engagements dans le Finistère. J'avais deux questions pour Jean-Pierre Moga. Outre l'activité agricole dont on voit qu'elle est diversifiée -- puisqu'il était question d'activités de viticulture, d'arboriculture, etc. -- quelles sont les activités économiques principales du département du Lot-et-Garonne ? La plateforme liée à l'emploi qui est complémentaire de Pôle emploi, par qui est-elle financée ?

M. Jean-Pierre Moga, sénateur. - Cette plateforme est en grande partie financée par les 350 entreprises qui en sont membres, avec aussi des subventions de la région. Au départ, ce groupement d'employeurs a été monté par rapport à l'activité agricole, les conserveries etc., qui avaient besoin de personnel à des périodes précises. Ce groupement d'employeurs permet d'embaucher pour 1, 2 ou 3 mois pour les entreprises, et permet d'avoir un contrat à durée indéterminée via le groupement d'employeurs pour les salariés, quand ils auraient autrement un contrat à durée déterminée. Cela fonctionne extrêmement bien, les entreprises sont très satisfaites et Mme Gauthier, la directrice générale, est une personne extrêmement dynamique ce qui ne gâche rien. Ce groupement propose aussi des formations pour assurer la polyvalence des équipes.

Pour répondre à l'autre question, le Lot-et-Garonne est un département rural, avec une très grosse activité agricole, mais aussi de belles entreprises dans l'aéronautique. Par exemple à Marmande l'entreprise Asquini avec 1 200 salariés, ou encore l'entreprise Lisi Aerospace, ancien établissement Creuzet Aéronautique, qui emploie environ 1 000 salariés. Il y a aussi de plus petites entreprises, de 50 à 80 salariés, qui font des pièces pour l'aéronautique et l'armement. Ensuite, on compte pas mal d'entreprises liées au bois car une partie de la forêt landaise se trouve dans le département. Enfin, et comme dans tous les départements, nous avons des PME et des ETI qui sont, au niveau national, des leaders dans leur domaine, et qui ont leurs ateliers dans des petits villages de 300 habitants.

Questions diverses

M. Serge Babary, président. - Enfin, au titre des questions diverses, je voudrai faire un bref bilan de la session puis évoquer l'année 2023.

Le premier semestre 2022 a été marqué par la période électorale (élections présidentielle puis législatives) mais nous a quand même permis d'organiser plusieurs déplacements : dans l'Ain, le Rhône, la Haute-Saône, sans oublier les pays européens où je me suis rendu avec les rapporteurs sur le commerce extérieur. Nous avons aussi visité le Campus Cyber et sommes allés sur les salons Vivatech et Impact PME, sans oublier la très intéressante visite de Citéco, le musée de l'économie. Et nous avons bien sûr organisé un certain nombre de réunions plénières et avancé sur différents sujets d'actualité pour les entreprises.

Pendant ce dernier trimestre 2022, nos travaux se sont poursuivis sur un rythme intense, en essayant néanmoins de laisser chacune et chacun d'entre nous se concentrer en novembre sur le PLF.

Je vous rappelle que notre Journée des entreprises du 13 octobre a connu un grand succès et je suis heureux des nombreux retours très positifs tant de nos collègues que des entreprises participantes.

Il en est de même pour nos déplacements de ces derniers mois : outre le Lot-et-Garonne fin septembre, nous nous sommes rendus au Salon des maires fin novembre. Nous avons malheureusement dû annuler notre déplacement sur le salon du Made in France en raison des grèves.

Nous avons organisé aussi plusieurs réunions plénières, dont certaines auxquelles nous avons proposé d'associer d'autres structures du Sénat. Je pense notamment à l'audition d'Olivia Grégoire.

Ce long trimestre nous a surtout permis d'adopter quatre rapports d'information, des problèmes d'agenda des uns ou des autres ne nous ayant pas permis d'en finaliser une partie au 1er semestre. Je vous en rappelle rapidement les thèmes : revitalisation des centres villes et centres bourgs (conjointement avec la Délégation aux collectivités territoriales), la transmission d'entreprise, la RSE et enfin, ce matin, le commerce extérieur.

Nous avons à chaque fois à coeur d'assurer le suivi de nos rapports précédents et de traduire nos nouvelles propositions en actions concrètes, sous forme de propositions de loi ou de résolution, d'amendements, de courriers aux ministres concernés, de questions au Gouvernement, etc.

Et nous poursuivrons en 2023, en étant toujours attentifs à bien coordonner nos travaux avec ceux des autres instances, commissions et délégations. La mission « Formation, compétences, attractivité » donnera déjà l'occasion, fin mars, d'organiser une table ronde conjointe avec la Délégation aux outre-mer sur les spécificités de ces territoires dans ces domaines.

Je vous proposerai par ailleurs d'organiser un évènement mettant à l'honneur les Meilleurs Ouvriers de France. Nous accueillerons également un séminaire avec le Réseau entreprendre, qui a des relais très utiles dans nos départements.

Compte tenu du calendrier des élections sénatoriales, je vous propose en revanche d'attendre mars ou avril 2024 pour organiser notre prochaine Journée des entreprises.

16 sénateurs sur les 42 que compte notre Délégation sont renouvelables, dont moi-même et certains de nos « piliers ». Ceci ne doit pas nous empêcher de continuer à nous impliquer pleinement en faveur du dynamisme économique et social de notre pays. Je compte sur la participation du plus grand nombre.

Nous poursuivrons également notre stratégie de diversification des actions de communication. Je pense en particulier à des rencontres directes avec des journalistes (comme le petit déjeuner de ce matin avec nos rapporteurs de l'année, ou encore comme la réunion avec l'AJPME - l'association des journalistes spécialisés sur les PME - au premier semestre 2022). Nous projetons d'organiser une rencontre de même nature avec les journalistes membres de l'AJEP (association des journalistes économiques et financiers).

Nous développerons également les formats de brèves vidéos, comme celles réalisées avec nos collègues rapporteurs sur la cybersécurité ou sur la RSE. Enfin, je crois que nous nous sommes fait entendre sur notre souhait que notre communication lors de nos déplacements ne passe pas que via Twitter mais aussi par Facebook, souvent privilégié dans nos départements.

Mais je voudrais aussi vous annoncer « le changement dans la continuité » si je puis dire. En effet, le changement tient au fait que Marie-Pascale va nous quitter au 1er janvier, pour se consacrer à une nouvelle vie hors du Sénat. Et la continuité vient de la nomination, officielle depuis ce matin, de Stéphanie qui succèdera donc à Marie-Pascale.

Enfin, dans le cadre des déplacements de notre Délégation à la rencontre des chefs d'entreprise sur le terrain, je vous rappelle que nous partirons à 13h50 tout à l'heure pour prendre le train pour le Jura.

La réunion est close à 11 h 40.