Mardi 30 mai 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Fonds Marianne - Audition de MM. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale, et Xavier Desmaison, président de Civic Fab et Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution et les résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons aujourd'hui les représentants de trois des dix-sept associations ayant bénéficié du fonds Marianne : M. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale, accompagné de Mme Fabienne Servan-Schreiber, membre du Bureau, et de M. Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général ; M. Xavier Desmaison, président de Civic Fab ; et M. Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch.

Nous avons reçu de chacune de vos associations des éléments écrits, en réponse au questionnaire qui vous a été adressé, ce dont nous vous remercions.

Lors de son audition, le 16 mai dernier, le secrétaire général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), M. Christian Gravel, nous a fait part des difficultés rencontrées pour trouver des associations en mesure de répondre aux objectifs du fonds Marianne et nous confiait : « si la mobilisation du secteur associatif constitue un levier essentiel pour déployer sur internet un discours républicain crédible, rares sont les associations qui sont à la fois en mesure d'agir contre le séparatisme et de maîtriser les techniques de la communication. »

Pouvez-vous revenir de façon précise sur vos domaines de compétences, mais également sur la manière dont vous avez répondu à l'appel à projets et sur les actions que vous avez menées pour répondre aux objectifs poursuivis.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Abdennour Bidar, Mme Fabienne Servan-Schreiber, M. Baptiste Larroudé-Tasei, M. Xavier Desmaison et M. Rudy Reichstadt prêtent serment.

M. Abdennour Bidar, président de Fraternité générale. - Je vous remercie de m'avoir permis d'être accompagné de Mme Servan-Shreiber, avec laquelle nous avons fondé l'association dans une période particulièrement difficile pour notre pays, celle des attentats, qui s'est ouverte en janvier 2015, ainsi que de M. Larroudé-Tasei, qui est, en tant que délégué général opérationnel, chargé de la direction de nos actions.

Notre vocation est simple : nous voulons montrer l'autre pays, pas la France telle qu'elle nous est décrite à longueur de journaux, comme un pays qui se déchire et dans lequel se multiplient le rejet de l'autre, la haine, le repli sur soi, les communautarismes et les séparatismes sociaux, culturels ou ethniques, mais l'autre France, celle qui s'engage pour la valeur républicaine de la fraternité. Selon notre credo - laïc, depuis le début -, nous ne réussirons à « lutter contre » que si nous sommes en même temps capables de « lutter pour ». Ainsi, nous ne réussirons à endiguer les séparatismes et à réparer le tissu déchiré de notre société que si nous faisons aimer les valeurs républicaines et si nous donnons à voir celles et ceux qui, au jour le jour, oeuvrent et s'engagent pour ces valeurs, pour les faire vivre afin qu'elles ne restent pas des idéaux de frontons, mais qu'elles deviennent - pour parler comme les antiques - des vertus, c'est-à-dire des manières d'agir et de se comporter dans la société.

Depuis 2016, nous faisons ce que nous aimons et savons faire : nous donnons à voir tout ce qui se fait dans la France d'aujourd'hui pour réparer le tissu social. Nous mettons en lumière les associations qui y travaillent et leur donnons ainsi davantage conscience de leurs forces, en leur disant : « vous n'êtes pas seuls à agir, mais vous appartenez à un grand mouvement. » Nous créons ainsi un effet communicatif, le but étant de mettre en mouvement ceux qui n'agissent pas encore en leur montrant ceux qui agissent déjà, en provoquant un effet de contamination et de galvanisation du désir d'engagement.

Pour ce faire, nous déployons des actions de quatre types.

D'abord, nous avons recours à l'action en ligne et travaillons beaucoup sur les réseaux sociaux, ce que je pourrai détailler. Quand j'évoque les réseaux sociaux, je pense à ceux dont les gens de ma génération sont familiers - Facebook et Twitter -, mais aussi à ceux pour lesquels M. Larroudé-Tasei a toute ma confiance - TikTok et Instagram - et qui sont plus loin de mes bases. Nous sommes présents sur ces réseaux avec la vocation de toucher la jeunesse, c'est-à-dire les citoyens de demain. Comment les amener à se sentir appartenir à cette entité plus grande qu'eux, qui les dépasse et les appelle, et que l'on nomme « Nation » ?

Nous intervenons également grâce à des actions audiovisuelles. Depuis 2016, grâce à un partenariat avec un ensemble de médias comprenant notamment France Télévisions, TF1 et M6, nous proposons la diffusion de clips qui mettent en scène la fraternité et la manière dont elle se bâtit au jour le jour dans notre société. Chaque année, une campagne de clips est diffusée par l'ensemble des grands médias nationaux, ce qui a un impact assez considérable. Il nous arrive de monter des événements physiques, qui peuvent avoir une grande valeur symbolique, comme la première chaine humaine que nous avons organisée autour des remparts de Carcassonne et qui a regroupé plus de 2 000 personnes se tenant la main pour symboliser la France qui se rassemble. Cependant, pour que l'impact de tels événements soit plus important, il faut se tourner vers les médias et les réseaux sociaux.

Nous avons aussi recours à des actions événementielles et, pendant des années, nous avons organisé des « diners en couleurs » rassemblant toutes les couleurs sociales, culturelles et ethniques de notre société, pour montrer une France qui vit bien, qui est capable de se mélanger, de se respecter, de se comprendre et de « s'entreconnaître ». De la même manière, nous avons organisé dans certains territoires des tournois de football, afin de créer des opportunités de rencontre là où, d'habitude, chacun reste de son côté.

Enfin, l'action éducative constitue la quatrième dimension de notre travail. Il y a quelques années, nous avons créé une mallette pédagogique, qui est en voie d'amélioration permanente et dans laquelle nous proposons un « kit de débat fraternel », rédigé dans un langage extrêmement simple. Ce kit peut être utilisé par des professeurs de l'école, par des animateurs de quartiers et d'associations ou par des éducateurs, pour inviter les jeunes à discuter autour des valeurs de la République, de la fraternité et de la laïcité.

M. Xavier Desmaison, président de Civic Fab. - Notre travail rejoint un peu celui d'Abdennour Bidar, sur les valeurs comme sur certains éléments du projet. Civic Fab a fêté ses 13 ans il y a quelques mois. L'association compte une quinzaine de membres, tous bénévoles, dont je fais partie. La plupart d'entre eux sont spécialistes du numérique - directeurs artistiques ou spécialistes de la communication sur les réseaux sociaux - mais certains sont aussi des acteurs engagés dans la vie de la cité. Une quinzaine de bénévoles pilotent une quinzaine de personnes, qui sont dirigées par une déléguée générale et déploient le travail sur le terrain, en ligne et hors ligne.

Notre sujet est l'esprit critique, ce qui correspond à une partie de l'appel à projets du fonds Marianne, notamment en matière de défense des valeurs républicaines de liberté de conscience et d'expression. Pourquoi l'esprit critique ? Parce que nous voyons tous la manière dont certains publics se mobilisent sur internet et la façon dont la haine, les discours de colère, les discours rapides et l'envie d'en découdre peuvent primer sur des discours plus pacifiques, réflexifs et bienveillants, en raison notamment des procédures algorithmiques. Ces phénomènes sont très documentés. À titre d'exemple, pour chaque mot d'indignation ajouté à un tweet, le taux de retweet augmente en moyenne de 17 %. Ainsi, en ajoutant cinq ou six mots, on commence à pouvoir faire le buzz.

Nous intervenons en ligne, mais aussi au travers d'actions et d'ateliers créatifs, qui mélangent le physique et le numérique, relevant ainsi de ce que nous appelons le « phygital » dans le domaine du marketing. Nous disposons d'une communauté importante sur les réseaux sociaux, puisque nous comptons plus de 300 000 fans sur Facebook et que plus de 350 000 personnes suivent nos communications et nos contenus, ce qui nous permet d'avoir une certaine puissance de frappe. Nos vidéos sont « likées », commentées et partagées, plusieurs ont été vues plus d'un million de fois et certaines ont atteint les trois ou quatre millions de « vus ». Ces contenus rencontrent donc un véritable succès auprès d'une partie du public.

Notre public est jeune et nous nous adressons aux 13-27 ans pour l'essentiel. Il s'agit d'un public qui ne souhaite pas qu'on lui impose des discours de sachants, mais qui se questionne beaucoup et se construit. Il s'agit d'un public qui n'est pas dupe, mais qui est très perméable à des contenus qu'il capte en permanence sur les réseaux sociaux, qui est donc poreux aux théories du complot et aux manipulations. Il a ses propres codes, ses réflexions, ses approches et ses modes, qui évoluent rapidement et nous avons vu certaines personnes changer complètement de mode de vie, d'usages, de coutumes et d'opinions en quelques années. Il s'agit d'un public ultra-volatile qu'il faut intéresser pour ne pas qu'il décroche. Il a parfois connu des expériences de vie dures et les remontées émanant de nos ateliers de terrain sont parfois glaçantes et tristes. Nous travaillons pour eux, ce qui est difficile, mais satisfaisant pour l'équipe.

Notre démarche consiste à prendre la mesure de la responsabilité qui est la nôtre. Elle n'est pas stigmatisante et jamais nous ne tenons ce type de propos : « vous êtes complotistes, vous ne comprenez rien et vous êtes dangereux. » Grâce à une démarche d'échange et d'information, nous essayons d'amener chacune et chacun à améliorer sa réflexion. Nous le faisons sans prétention, sachant que nous faisons tous l'épreuve de ces mécanismes digitaux et algorithmiques, que tout le monde peut faire des raccourcis, aller trop vite et user d'agressivité. Nous n'adoptons pas une position de sachant. Enfin, nous nous inscrivons dans une forme de démocratie délibérative. Un philosophe allemand a récemment commis un petit ouvrage, paru en 2023 à la Nouvelle Revue française (NRF), dans lequel il se demande si la délibération et notre capacité à échanger des arguments, à nous entendre, à nous écouter et à essayer de nous retrouver sur un commun, qui font le coeur de nos démocraties, ne sont pas en train de disparaître dans cette ère des réseaux sociaux.

Cependant, ce n'est pas parce que nous poussons à la délibération et à la discussion que nous faisons n'importe quoi. Nos intervenants sont formés, certains par le CIPDR, et ils doivent être capables d'aborder des sujets et des questions complexes, de répondre et de réagir à la formulation de certaines opinions de la façon la plus raisonnable, la plus structurée et la plus documentée possible, en ligne et hors ligne. Nous exerçons un double contrôle sur nos ateliers grâce aux animateurs formés, mais aussi aux professeurs qui sont présents lorsque nous intervenons dans les écoles et les collèges. Nous construisons nos interventions à partir de documents, de films, d'éléments historiques et de références. Puis, quand c'est possible, nous demandons à ces jeunes publics de produire quelque chose, que ce soit un travail écrit, une chanson ou un tableau, mais surtout des vidéos numériques, ce qui leur permet de décoder la façon dont les contenus sont produits et dont ils peuvent être travaillés.

Nos programmes ont donc pour objectif de développer l'esprit critique et reposent sur une démarche créative. Cette méthode n'est pas la seule, mais c'est bien tout le sens du fonds Marianne, qui tentait d'agréger des approches diverses et des associations différentes, de les réunir autour d'un commun constitué par les valeurs de la République. Chaque approche demeure personnelle, limitée, mais intéressante.

M. Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch. - Conspiracy Watch est un site internet qui a été créé en 2007, avant de se professionnaliser à partir de 2017, en devenant un service de presse en ligne, édité par une association loi 1901, l'Observatoire du conspirationnisme. Je n'en suis pas le président, mais le directeur salarié de la publication et de la rédaction.

Ce site, qui existe depuis plus de quinze ans, possède une expertise reconnue dans son domaine. Le fonds Marianne a servi à aider des acteurs de la lutte contre la radicalisation en ligne, dont l'Observatoire du conspirationnisme fait partie. Il est même l'un des acteurs les plus unanimement reconnus en la matière pour le sérieux de son action et la solidité de son travail sur le complotisme. C'est à ce titre que nous avons été soutenus dans le cadre de l'appel à projets.

Au-delà de l'animation de ce service de presse en ligne, nos activités sont diverses. Nous produisons des enquêtes originales sur le phénomène complotiste. Nous animons les réseaux sociaux grâce à un compte Twitter comptant plus de 60 000 abonnés. Nous concevons une newsletter hebdomadaire. Nous mettons en oeuvre le projet « Riposte », soutenu et cofinancé par le CIPDR depuis 2019, qui l'a été de nouveau en 2023. Nous réalisons pour YouTube l'émission Les Déconspirateurs, qui bénéficie d'un cofinancement de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Nous participons chaque année à l'organisation des assises nationales de la lutte contre le négationnisme. Nous intervenons auprès de professionnels de l'éducation, qui visent à sensibiliser aux enjeux de la désinformation et du conspirationnisme. Nous participons à l'observatoire de la haine en ligne, rattaché à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ainsi qu'à la définition du plan national de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et les discriminations liées à origine.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons proposé ce format de table ronde pour nous aider à comprendre quelles relations les associations ayant candidaté au fonds Marianne entretenaient avec le CIPDR, comment le fonds est venu modifier ce lien, comment vous l'avez perçu et comment cette relation perdure aujourd'hui.

Je commencerai par quelques questions d'ordre général avant que le rapporteur n'en vienne à des questions plus pointues. Comment s'organisent les financements ? Quelle est votre relation historique avec le CIPDR ? Comment le fonds Marianne s'inscrit-il dans cette relation et par rapport à ce que faisait déjà le CIPDR ? En effet, fondamentalement, il n'y a pas eu d'argent supplémentaire et il s'agirait presque d'une appellation recouvrant un domaine particulier au sein du CIPDR ou d'une « labellisation », comme l'a dit le secrétaire général. Quels autres financements recevez-vous ? Quelle est la part de financements privés ? Ces informations nous aideront à développer une vision de la manière dont le système fonctionne.

M. Rudy Reichstadt. - Nous avons commencé à prendre contact avec le CIPDR en 2018 et ces échanges se sont traduits par une demande de subvention formulée en 2019. Un premier financement a ainsi été obtenu pour le projet expérimental « Riposte », seul projet cofinancé par le CIPDR. Riposte consiste à percer les bulles de filtres dans lesquelles sont enfermés les internautes, en les exposant à la diversité informationnelle, grâce au « pre-bunking ». L'objectif est que lorsque des gens recherchent des termes liés à la culture complotiste tels que « nouvel ordre mondial », « great reset » ou « État profond », ainsi que des noms de médias complotistes notoires, ils trouvent d'abord des contenus produits par notre rédaction. Dans cette optique, nous produisons des notices d'information très documentées, sourcées et informées, qui sont régulièrement mises à jour et que nous poussons via des coupons publicitaires mis à notre disposition - notre association étant à but non lucratif -, dans le cadre du programme Google Ad Grants. Ce droit de tirage de coupons publicitaires est neutre pour nous d'un point de vue budgétaire.

Cette opération a connu un premier lancement pour la période s'étirant du printemps 2019 au printemps 2020. Ensuite, nous avons réajusté le tir pour l'année suivante, notamment parce que nous n'avions pas pu dépenser toute l'enveloppe du projet initial. J'évoque ici le coût du projet global, qui n'est financé qu'à hauteur des deux tiers par la subvention du CIPDR.

J'en viens à la part des financements publics dans notre budget. Quand nous avons commencé à avoir un budget, nous avons pris la décision de plafonner cette part à 50 % dans notre budget global, ce qui nous parait sain.

M. Claude Raynal, président. - Mais la première année le financement du CIPDR s'élevait à 70 %.

M. Rudy Reichstadt. - Je parle ici du budget global de l'association et non de celui de l'action.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Pourriez-vous donner une estimation de l'évolution de votre budget depuis 2017 ?

M. Rudy Reichstadt. - Nous avons dû passer d'environ 150 000 euros à environ 230 000 euros aujourd'hui.

Nous avons donc choisi de ne jamais excéder 50 % de financement public dans notre budget global annuel.

Nous avons obtenu un premier financement du CIPDR pour 2019-2020 et un second pour 2020-2021. En 2021, quand il s'est agi de renouveler la demande de financement, nous avons été orientés vers l'appel à projets. Nous avons alors franchi un palier et demandé plus que ce que nous avions obtenu l'année précédente, en raison du contexte lié au drame de Conflans-Sainte-Honorine. De plus, nous savions que nous pouvions absorber ce financement.

M. Claude Raynal, président. - Depuis, les financements sont restés au même niveau, même s'il ne s'agit plus du fonds Marianne ; c'est exact ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui.

M. Xavier Desmaison. - Nous travaillons avec le CIPDR depuis 2016. Nous avons proposé un projet, assez proche de ce qu'est devenu l'un de nos formats, « Nuance », une plateforme numérique produisant des contenus autour des valeurs de la République et de l'esprit critique. Nous avions proposé d'autres dispositifs qui n'avaient pas été retenus. Notre relation avec le CIPDR date d'un peu après les événements de Charlie Hebdo. Avant, en tant qu'experts du digital, nous étions déjà très intéressés par la problématique de la haine en ligne et avions lancé un observatoire, qui était le premier du genre et qui, dans le cadre de travaux de recherches autour de la notion de hate speech, essayait de comprendre la montée de la violence sur les réseaux sociaux. Depuis 2016, nous avons toujours eu des relations avec le CIPDR, plus ou moins importantes suivant les époques.

Le fonds Marianne a été l'occasion de donner à nos projets davantage d'envergure financière. L'année du fonds Marianne, notre association a connu son budget annuel le plus important. Ce financement nous a permis de travailler sur de nouveaux programmes. Nous avons notamment lancé le format « Memorama », un programme d'ateliers s'adressant au jeune public, souvent en milieu scolaire. Dans ces ateliers, on travaille sur la mémoire et l'histoire de la guerre d'Algérie pour tenter de faire réfléchir des jeunes publics sur cet événement, en partant de contenus sérieux. Nous avons également pu tester d'autres formats tels que « Mixité », qui vise à organiser la rencontre de publics de diverses catégories socioprofessionnelles, de différents lieux géographiques ou classes d'âges. Ainsi, nous avons accompagné des jeunes dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et tenté d'enclencher des relations. Cet atelier a plutôt bien fonctionné et s'est révélé durable, puisque des jeunes sont retournés dans l'Ehpad. Nous avons aussi testé de nouveaux contenus et formats.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez dit compter autour de 350 000 followers et vous avez évoqué un public jeune, compris entre 13 et 27 ans ; quelle est sa part ?

M. Xavier Desmaison. - Selon les informations provenant des plateformes, ce public représente 74 % de notre audience.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quelle évolution a connu le budget de votre association entre 2010 et 2023 ?

M. Xavier Desmaison. - Je dirais qu'il a augmenté d'un tiers, mais je n'ai pas le détail précis.

M. Claude Raynal, président. - Quelle est la part de financement public ?

M. Xavier Desmaison. - Elle a évolué dans le temps. L'année du fonds Marianne, le financement privé représentait environ 20 %, mais cette part a pu être beaucoup plus importante. Sur ces thématiques, le financement privé est assez complexe. Il faut savoir ce qu'on entend par « privé ». Parmi les entreprises qui interviennent, on retrouve les grandes plateformes, qui ont chacune un programme, plus ou moins élaboré, pour essayer de travailler les externalités négatives qu'elles pourraient générer ou pour soutenir la création de contenu positif. Il peut nous arriver de travailler avec ces plateformes. Nous travaillons également avec des associations, souvent aussi avec des préfectures, qui nous demandent d'intervenir dans des quartiers spécifiques et prioritaires de la politique de la ville, et parfois dans des écoles.

M. Claude Raynal, président. - On peut aussi trouver des bénévoles du milieu économique, dont vous faites d'ailleurs partie. Des entreprises vous soutiennent-elles ?

M. Xavier Desmaison. - C'est en projet.

M. Abdennour Bidar. - Fabienne Servan-Schreiber était en contact avec le CIPDR depuis la campagne de clips qu'elle a engagée en 2015, pour faire connaitre le numéro vert lié au site « stop djihadisme », développé par le Gouvernement. Depuis la création de Fraternité générale en 2016, nous avons été en contact régulier avec les responsables successifs du CIPDR, le préfet N'Gahane, Mme Domenach, le préfet Rose puis le préfet Gravel. De mon côté, j'ai rencontré ce dernier, d'abord dans le cadre de mes fonctions puisque, au-delà d'être président bénévole de Fraternité générale, je suis inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche et siège, à ce titre, au conseil des sages de la laïcité. Je travaille beaucoup au sein du ministère de l'éducation nationale sur ces questions de fraternité et de laïcité, ainsi que sur celle de la transmission des valeurs. Assez tôt, j'avais sensibilisé le préfet Gravel à la nécessité de « lutter pour », c'est-à-dire de promouvoir de manière positive ces valeurs dans l'esprit de nos jeunes concitoyens.

C'est dans cet esprit que l'association a sollicité le CIPDR. Nous voulions constituer la mallette pédagogique de la manière la plus solide qui soit. De plus, nous souhaitions agir sur les réseaux sociaux pour promouvoir auprès des jeunes et au quotidien la fraternité et les valeurs de la République.

Ainsi, le 18 janvier 2021, nous avons rencontré le secrétaire général du CIPDR, Christian Gravel, ainsi que sa collaboratrice Charlotte Collonge, qui était notre interlocutrice habituelle.

La création du fonds Marianne nous a ouvert une possibilité alors que nous voulions renforcer notre action sur les réseaux sociaux. Il nous fallait une force de frappe digitale. Pour cela, nous avions besoin d'une équipe formée et opérationnelle, mais aussi de jeunes, puisque c'est à la jeunesse que nous voulions nous adresser. Nous souhaitions rassembler une équipe autour de M. Larroudé-Tasei et le fonds Marianne nous en a donné l'opportunité. Nous pouvions constituer une équipe qui allait nous permettre de devenir très présents sur les réseaux sociaux - notamment sur TikTok et Instagram - et nous avions les moyens de salarier cette équipe, mais aussi de la former, à l'usage général des réseaux sociaux ainsi qu'aux manières de produire un contre-discours qui appelle à se rencontrer plutôt qu'à se haïr. Au-delà du soutien financier, le premier apport du CIPDR a été d'offrir à notre équipe l'opportunité d'une formation, dont ont pu bénéficier les jeunes que nous avions recrutés. Ensuite, chaque mois, ils recevaient des documents sous la forme d'une sorte de newsletter qui opérait un décryptage de la radicalisation et de la nébuleuse présente autour du sujet.

Sur Instagram et TikTok - je parle sous le contrôle de Baptiste Larroudé-Tasei, qui a suivi cela de plus près que moi -, nous avons opéré un bond dans notre capacité à toucher la jeunesse. Sur Instagram, 67,5 % de notre public a entre 12 et 25 ans. Sur TikTok, 71 % de notre public a entre 18 et 25 ans. En vue de pouvoir fournir un résultat objectif, nous avons comptabilisé les interactions, qui sont de l'ordre de 100 800 sur TikTok. Par ailleurs, le nombre de comptes atteints s'élève à un peu plus de 7 millions sur Instagram et à un peu plus de 3,8 millions sur TikTok.

En termes de contenu, ce que nous donnons à voir sur ces réseaux reste dans notre coeur de métier puisqu'il s'agit de la vie associative. Nous avons valorisé plus de 300 associations qui travaillent à réparer ou à raccommoder le « vivre ensemble » - pardon pour cette expression un peu passe-partout. À ce titre, nous mettons en lumière aussi bien des gens qui font des maraudes que des personnes travaillant dans le milieu carcéral. Nous ne donnons pas seulement à voir ce qui se passe dans notre société française puisque nous élargissons la focale pour que les jeunes que nous touchons s'aperçoivent que la fraternité n'est pas une obsession ou une lubie française, mais qu'une autre façon de vivre ensemble, qui dépasse l'individualisme et l'égoïsme, cherche à s'inventer au niveau international.

M. Claude Raynal, président. - Quel est le pourcentage d'aide publique dans l'ensemble de votre budget, en 2022 par exemple ?

M. Abdennour Bidar. - Depuis la fondation de l'association, nous sommes financés notamment par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), par France 2, par la Fondation LVMH et une série d'autres fondations. En matière de financements publics, outre le soutien du CIPDR, nous recevons celui de la Dilcrah, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la région d'Île-de-France, ainsi que de certains départements comme la Seine-Saint-Denis, le Var ou la Saône-et-Loire.

M. Claude Raynal, président. - Plus précisément, quel est le pourcentage de financements publics ?

Mme Fabienne Servan-Schreiber, membre du bureau de Fraternité générale. - Cette part s'élève à quelque 80 %. Beaucoup de financements publics proviennent des régions.

Par ailleurs, une large part de nos financements est issue du mécénat de compétences de l'agence de communication BETC ou de ma propre société de production Cinétévé.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quel est le montant de votre budget annuel ? Comment a-t-il évolué depuis la création de votre association jusqu'à aujourd'hui ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei, délégué général de Fraternité générale. - Le montant de notre budget annuel a varié. Au début, il s'est élevé à près de 400 000 euros, mais il y a eu des périodes de creux, notamment en 2020, où nous avons beaucoup souffert du covid, car nous organisons beaucoup d'événements. Aujourd'hui, il atteint entre 350 000 euros et 450 000 euros. En 2022, le fonds Marianne a représenté une large part de notre budget.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Combien de salariés compte votre structure ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - En 2021, elle comptait sept salariés et deux stagiaires, contre six salariés et trois stagiaires aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Si j'ai bien compris, le fonds Marianne vous a tous permis de monter en puissance. Les montants du fonds, après sa disparition, ont été reversés sur l'enveloppe propre du CIPDR, qui les a préservés.

Mme Fabienne Servan-Schreiber. - Le problème des associations est de ne bénéficier que rarement de financements pluriannuels. Aussi, nous devons aller les chercher chaque année.

C'est dans ce cadre que depuis 2007 nous rencontrons le CIPDR. À chaque fois, nous présentons nos actions, nous expliquons pourquoi nous avons besoin de tels financements et à quel point ils sont importants. Une année, il nous a été dit qu'un budget spécialement consacré à toutes ces actions serait instauré et qu'il s'appellerait le fonds Marianne. Telle est l'origine des financements.

Ainsi, pendant un an, nous avons bénéficié du fonds Marianne, avant de bénéficier de nouveau du CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - Le fonds Marianne, c'est une appellation, si je puis dire, d'une action au sein du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) et cela a été l'occasion d'augmenter le budget à destination de certaines associations.

M. Rudy Reichstadt. - En complément, voici la façon dont nous travaillons au sein de Conspiracy Watch : lorsque l'une de nos actions est cofinancée, nous faisons des reportings réguliers : parfois chaque semaine, mais au moins une fois par mois, par mail ou par téléphone avec la personne chargée du suivi de nos projets.

En 2021, à l'approche du renouvellement de la demande de subvention, nous avons été informés du lancement d'un futur appel à projets. J'ai reçu un mail le 28 avril 2021 nous annonçant le lancement de l'appel à projets, mais je l'ai peut-être su par téléphone avant, je ne sais plus. À cette occasion, nous avons découvert que l'appel à projets était en ligne depuis huit jours sur le site du CIPDR.

De toute façon, nous nous apprêtions à faire une demande de renouvellement. Ainsi, tout cela s'est fait de manière naturelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - À quel moment avez-vous entendu parler du fonds Marianne ? Par quels moyens en avez-vous eu connaissance ? De quelle manière avez-vous été mis en relation ? Pourriez-vous nous rappeler la chronologie des événements à partir du début de l'année 2020 ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons eu une réunion le 9 avril avec notre interlocutrice habituelle du CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avant le 9 avril, vous n'avez entendu parler de rien, n'est-ce pas ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons entendu parler du fonds le 29 avril. Nous avons reçu deux mails : l'un d'une préfecture, qui rend publique l'existence du fonds...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - De quelle préfecture s'agit-il ?

M. Xavier Desmaison. - Il s'agit de la préfecture des Bouches-du-Rhône.

À la suite de ce mail, nous nous sommes interrogés sur ce fonds. Quelques heures après nous avons reçu un mail de notre interlocutrice habituelle du CIPDR, nous indiquant que si nous voulions maximiser nos chances d'obtenir une subvention, il fallait déposer un dossier de candidature pour cet appel à projets.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Que s'est-il passé le 9 avril ?

M. Xavier Desmaison. - Nous préparions une demande de subvention avec notre interlocutrice habituelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Qui était-ce ?

M. Xavier Desmaison. - Il s'agit de la personne qui a déjà été nommée par M. Bidar.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'ai cru comprendre que certains d'entre vous ont entendu parler du fonds Marianne beaucoup plus tôt.

M. Abdennour Bidar. - Dans les documents que nous avons rassemblés, je constate que le 25 mars 2021, nous avons fait parvenir nos demandes de subventions au CIPDR. Elles étaient liées non seulement au projet « Discours fraternels en ligne », mais également au projet éducatif de mallette pédagogique.

À la suite de cette transmission, le CIPDR nous a proposé d'intégrer notre demande de subvention pour le projet « Discours fraternels en ligne » à l'appel à projets « fonds Marianne », qui venait d'être créé. Le CIPDR nous a appelés à trouver d'autres financeurs pour le projet de mallette pédagogique, ce que nous avons essayé de faire.

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Pour être plus précis, le 25 mars est non pas le jour où l'on nous a parlé pour la première fois du fonds Marianne, mais le moment où nous avons envoyé notre demande de subvention. Beaucoup d'échanges ont eu lieu par téléphone avec Charlotte Collonge, mais ce n'est que plus tard - courant avril, je dirais -que l'on nous a dit que cette demande serait intégrée à l'appel à projets « fonds Marianne », dont on nous a parlé.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Est-ce en mars ou en janvier que vous en avez entendu parler ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - En janvier, nous avons eu un rendez-vous, analogue à celui que nous avons tous les ans, pour présenter notre souhait de réaliser une nouvelle action sur les réseaux au secrétaire général du CIPDR.

Par la suite, nous avons obtenu un rendez-vous avec le cabinet de Mme Marlène Schiappa pour présenter l'association en général. Nous ne savions pas qu'il y allait avoir des financements particuliers.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Quel lien faites-vous entre le CIPDR et le cabinet de la ministre ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Lors de notre rendez-vous avec le cabinet de la ministre, M. Christian Gravel était également présent.

L'objet de la réunion était de présenter nos actions dans les domaines placés sous la responsabilité de la ministre déléguée chargée de la citoyenneté.

Le 25 mars, nous avons envoyé notre demande de subvention ; mi-avril, nous avons appris qu'elle allait entrer dans l'appel à projets « Fonds Marianne ».

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je souhaiterais que nous croisions les informations. Pour rappel, la chronologie de l'instauration du fonds est la suivante : le comité de programmation du FIPD a eu lieu le 13 avril 2021, la publication de l'appel à projets du fonds Marianne le 20 avril et la fin du dépôt des dossiers pour la sélection desdits projets le 10 mai.

Pourriez-vous nous présenter vos calendriers respectifs ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Qu'entendez-vous par là ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Après avoir été informés de la création du Fonds Marianne, vous avez déposé vos dossiers de subvention, mais chacun à des dates différentes : certains d'entre vous ont eu des informations avant le comité de programmation, d'autres après.

J'aimerais comprendre comment les choses se sont déroulées pour chacun d'entre vous dans un délai si resserré, comment elles sont ordonnées et quelles procédures ont été respectées. À vous entendre, j'ai l'impression que ce délai très court a été encore plus comprimé et accéléré.

Aussi, à quel moment avez-vous vraiment eu l'information de la création du fonds ? À quel moment avez-vous présenté et déposé votre dossier ? À quel moment a-t-il été définitivement accepté ?

M. Claude Raynal, président. - Vous auriez d'abord présenté un dossier qui a ensuite été intégré au fonds Marianne. Autrement dit, avez-vous redéposé formellement un dossier ou est-ce le même qui a été qualifié après l'appel d'offres ?

M. Abdennour Bidar. - C'est le même.

M. Xavier Desmaison. - Notre délégué général me confirme que nous avons déposé un dossier de demande de subvention au titre du FIPDR le 9 avril ; le 29 avril nous avons appris qu'il existait un fonds Marianne. Notre demande a été fléchée vers le fonds Marianne, mais je n'ai pas le calendrier.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'avez pas monté un autre dossier pour répondre spécifiquement à ce nouvel appel d'offres ?

M. Xavier Desmaison. - Non.

M. Claude Raynal, président. - Le dossier déposé le 9 avril a donc été pris en compte pour l'appel à projets du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Et quand avez-vous su officiellement que vous étiez sélectionné ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons obtenu une réponse informelle le 26 mai et officielle le 18 juin.

M. Rudy Reichstadt. - Quant à nous, nous avons reçu un mail du CIPDR le 28 avril 2021.

Nous avons priorisé la demande de subvention au titre du fonds Marianne. Nous avons envoyé notre dossier de candidature le 7 mai 2021 ; le 18 juin nous avons reçu un mail du CIPDR nous informant que notre projet était retenu ; le 16 juillet 2021, nous avons reçu un courrier officiel de Marlène Schiappa - le fichier en pièce jointe était daté du 4 juin 2021. Sans doute a-t-il été envoyé par voie postale, mais je vous ai présenté les documents que nous avons reçus dans notre boîte mail, nous n'avons pas examiné les autres.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous construit votre demande en respectant spécifiquement le cahier des charges de l'appel à projets ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui, nous souhaitions faire coïncider notre projet au cahier des charges de l'appel à projets, afin de maximiser nos chances d'être retenus. Nous avons ajusté notre projet « Riposte »...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si vous me permettez cette remarque, vous n'avez pas eu le choix : vous recevez le mail le 28 avril, vous déposez le dossier le 7 mai et vous êtes sélectionné, sans le savoir, le 10 mai...

M. Rudy Reichstadt. - Chaque année nous nous attendons à faire une demande de subvention. Nous avions déjà deux ans d'expérience pour cette action.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Ni les délais de préinformation ou d'annonce de la création du fonds Marianne ni le manque de visibilité ne vous ont surpris pour répondre et ajuster votre demande, car, selon vos propos, vous oeuvrez depuis des années dans ce secteur-là.

M. Abdennour Bidar. - Le CIPDR est depuis des années notre interlocuteur régulier. Chaque année, nous réengageons la discussion pour ajuster nos demandes, comme nous l'avons fait justement le 18 janvier 2021.

Tous les ans, nous nous mettons d'accord avec le CIPDR sur ce qui constitue notre valeur ajoutée, notre savoir-faire et nos capacités. Ainsi, nous avons progressivement préparé notre demande. Quelques mois plus tard - nous retrouverons les dates exactes - le CIPDR nous a fait savoir que nous pouvions répondre à l'appel à projets du fonds Marianne.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il est entendu que chaque année vous fournissez des comptes rendus, qu'ils vous sont demandés et qu'un dialogue est établi.

M. Rudy Reichstadt. - Cette année-là, il fallait prendre en compte le contexte lourd lié aux événements d'octobre 2020. Nous l'avions tous en tête à cette époque.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends, mais quelle frontière distingue l'annonce du fonds Marianne et des appels à projets habituels ?

Selon le préfet Gravel, la création d'un fonds Marianne, ou plutôt la labellisation d'une partie du FIPDR en fonds Marianne, résulte d'une décision politique. Son montant devait s'élever à près de 2,5 millions d'euros ; il a atteint un peu plus de 2 millions d'euros.

M. Rudy Reichstadt. - Les crédits de la lutte contre la radicalisation - le programme « R » du FIPD - ont été fléchés dans un contexte post-attentat. N'oublions pas ce qu'il s'est passé dans notre pays depuis 2015 jusqu'à l'événement tragique de Conflans-Sainte-Honorine.

Notre créneau, c'est la lutte argumentative contre les discours complotistes, qui s'articulent avec la lutte contre la radicalisation. Il est établi par une littérature importante que c'est l'antichambre vers la radicalisation et l'extrémisme violent.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'entends bien.

Vos trois structures ont des anciennetés différentes : l'une est vieille de quinze ans, l'autre de dix ans, l'autre enfin de cinq ou six ans.

Est-ce que le fonds Marianne vous a permis d'augmenter vos effectifs pour mieux répondre aux défis que vous avez identifiés ou pour disposer des compétences vous permettant d'atteindre, au travers de différents modes de communication, un public jeune et digital ?

M. Xavier Desmaison. - Dans ma vie professionnelle - je dirige des entreprises -, je me méfie des embauches faites à partir d'un fonds dont la reconductibilité est incertaine et varie dans le temps.

En revanche, au sein de notre association, nous avons envie d'être dynamiques. Aussi dans le cadre du fonds Marianne nous souhaitions embaucher une personne supplémentaire, car les montants alloués étaient importants. Nous voulions être sûrs que tout allait très bien se passer. Mais nous n'avons pas réussi à faire cette embauche, donc nous n'avons pas dépensé l'intégralité de la somme qui nous a été allouée. L'embauche sera peut-être faite dans les prochains mois.

M. Rudy Reichstadt. - Nous sommes deux salariés, un troisième a été embauché en contrat à durée déterminée (CDD) en décembre dernier et un quatrième en février 2023.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En décembre 2022 ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui. Nous sommes sept à être intervenus sur l'action financée dans le cadre du fonds Marianne : mon binôme Valérie Igounet - nous étions tous les deux salariés -, deux prestataires - Tristan Mendès-France, qui a piloté cette action et un journaliste - et trois stagiaires, qui ont participé à des moments différents.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dois-je en conclure que votre effectif est resté constant ?

M. Rudy Reichstadt. - En équivalent temps plein, oui. En revanche nous avons décaissé des prestations et des rémunérations que l'on n'aurait pas eues autrement.

M. Xavier Desmaison. - Pour être précis, une partie de nos actions repose sur de jeunes réalisateurs - des spécialistes de courts ou longs métrages - que nous mobilisons sur le terrain.

Ils encadrent des ateliers de création de vidéos avec des publics jeunes. Nous avons doublé le nombre de réalisateurs que nous avons pu mobiliser et donc former. Par moment, certains d'entre eux doivent continuer à suivre ces ateliers.

M. Abdennour Bidar. - Nous avons eu la possibilité de financer cinq personnes supplémentaires. C'était très important.

La crise covid a été un moment difficile pour les associations. Cela nous a permis de prendre conscience que l'organisation d'événements en présentiel était très fragile. Cela nous a convaincus qu'à long terme il fallait renforcer notre présence sur les réseaux sociaux.

Aussi nous avons saisi l'occasion du fonds Marianne pour salarier cinq personnes supplémentaires et constituer une équipe de sept personnes, qui a été active, comme je l'ai dit, sur les réseaux sociaux, au travers du site Le Bon Côté des choses. Je laisse M. Larroudé-Tasei présenter cet outil ad hoc.

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Nous avons cherché à adopter différentes stratégies pour intéresser le public jeune - il a de l'appétence pour nombre de sujets de société, mais il est très volatile. L'une d'elles a consisté à choisir un nom plus parlant pour les jeunes, à savoir « le bon côté des choses » pour nos comptes Instagram et TikTok.

D'ailleurs, l'équipe qui les gère existe toujours, même si nous avons adapté certains postes, car, au travers des rapports mensuels que nous faisons au CIPDR, nous avons constaté que nous péchions sur certains points. Désormais, une équipe composée de quatre salariés et de trois stagiaires s'occupe de nos actions sur les réseaux sociaux.

M. Abdennour Bidar. - Cela nous a conduits à définir un périmètre d'action de fraternité que nous voulions mettre en valeur.

Nous avons défini neuf thématiques : l'engagement des jeunes, les valeurs de la République, les enjeux sociaux - les questions de société liées aux séparations sociales -, la tolérance, l'égalité femme-homme et le genre, l'écologie - notre discours doit nécessairement s'adresser directement aux jeunes générations -, les nouveaux outils et les enjeux de communication - la cancel culture, les fake news, les théories du complot, le gaming, le cyberharcèlement -, le fonctionnement de l'appareil républicain - il s'agit toujours de transmettre une culture républicaine - et les savoirs liés à la fraternité. Par exemple, les neurosciences sont aujourd'hui en mesure d'indiquer que tel comportement va développer telle zone neuronale, qui, à son tour, va encourager l'être humain dans telle direction.

Il nous fallait porter ces points-là dans un langage accessible à la connaissance des jeunes générations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous des éléments plus précis sur les évolutions d'effectifs liés au fonds Marianne ? Sa suppression au bout d'un an a-t-elle modifié les effectifs de vos associations ? Cela a pu entraîner des difficultés de pilotage à effectifs constants ou en obligeant de répondre à d'autres appels à projets.

Est-ce que la création du fonds Marianne a répondu à vos attentes, malgré son extinction ? Avez-vous trouvé ce que vous escomptiez ?

M. Rudy Reichstadt. - Oui, car nous escomptions le cofinancement d'une action que nous aurions, de toute façon, menée, mais dont l'impact et l'ampleur auraient été moindres. Or, celle-ci s'est bien passée et l'administration nous a donné quitus. Nous avons fait une nouvelle demande, qui a de nouveau été acceptée.

Nous pensons que l'État ne peut pas tout faire, non plus que la société civile. Au travers de la politique de lutte contre la radicalisation, l'État peut faire en sorte que la société civile prenne ses responsabilités, afin qu'elle fasse ce qu'il ne peut pas faire.

Aussi, selon nous, le bilan du fonds Marianne est positif. Nous avons été accompagnés et nous continuons à l'être.

M. Abdennour Bidar. - Oui, assurément. Nous sommes convaincus qu'il est heureux que les initiatives de la société civile, telles que les nôtres, trouvent en face d'elles une volonté politique qui puisse les soutenir et que nous pouvons soutenir en retour.

Au travers des financements, qui proviennent de différentes sources publiques ou privées, il s'agit en réalité d'un effort collectif réalisé pour défendre les valeurs qui nous importent. Selon nous, toutes les conditions de la confiance avec le CIPDR étaient réunies.

M. Xavier Desmaison. - Oui, cela nous a donné l'occasion de travailler à un cofinancement avec l'ANCT. Nous avons atteint nos objectifs. Nous sommes contents d'être plus allants et d'avoir réussi ce que nous souhaitions faire. Nous avons pu tester de nouveaux formats et relever de nouveaux défis.

Pour nous, comme l'a dit Mme Servan-Schreiber, la question de la pluriannualité des financements est un véritable sujet. Si l'on veut créer et développer des communautés numériques, il faut régulièrement créer du contenu et engager des personnes qui nous suivent. Cela pose un problème de s'arrêter un moment et d'attendre trois ou six mois pour avancer sur un projet. On perd le bénéfice de la dynamique. Le pilotage n'est pas parfait, mais nous avons accueilli avec joie ce dispositif.

M. Claude Raynal, président. - La pluriannualité est contradictoire avec le principe d'annualité du budget de l'État, mais tel est notre mode de fonctionnement, qui oblige chacun à prévoir pour maintenir la dynamique et s'engager dans des actions à long terme. Du reste, des actions comme les vôtres appellent plusieurs années de fonctionnement pour être utiles et efficaces.

Selon vous, vous travaillez depuis plusieurs années avec le CIPDR. Ses financements se sont appelés à un moment donné « fonds Marianne », avant de retrouver l'appellation classique du FIPD.

J'aimerais revenir sur les échanges avec vos interlocuteurs. Vous avez parlé d'une continuité mensuelle. Pourtant, nous avons cru noter une variation à la suite du départ de la responsable chargée du suivi des dossiers en décembre 2021, ses fonctions ayant ensuite été réparties entre trois ou quatre personnes. Avez-vous eu l'impression d'une telle rupture ou avez-vous eu des contacts avec des gens formés, qui se passaient bien ?

M. Baptiste Larroudé-Tasei. - Le départ de Mme Collonge a marqué la fin de l'envoi de newsletters sur la littérature relative à la lutte contre la radicalisation.

Mais nous avons continué à adresser nos rapports mensuels à la personne désignée, en expliquant nos résultats et les écueils que nous rencontrions.

Nous avons eu un peu moins de retours qu'à l'époque de Charlotte Collonge, mais nous n'avons pas senti que le CIPDR était absent. Depuis, une nouvelle personne nous a été adressée.

M. Claude Raynal, président. - Le CIPDR reconnaît qu'il y a eu une période de flottement après le départ de la personne chargée de ces dossiers, qu'elle connaissait bien, car elle était là depuis des années. Mais si j'entends bien, cela n'a pas changé fondamentalement votre relation avec le CIPDR, n'est-ce pas ?

M. Xavier Desmaison. - Oui, je le confirme. Nous avions affaire à une grande professionnelle, dont les méthodes de travail fonctionnaient avec les nôtres. Pour autant, il n'est pas inintéressant de travailler avec une nouvelle personne, car cela permet de s'interroger sur un certain nombre de points.

Selon moi, on pourrait parler plutôt d'une continuité avec une phase de transition.

M. Rudy Reichstadt. - Je n'aurais pas su dater spontanément le départ de la cheffe de mission, qui a sans doute correspondu à un trou d'air dans nos relations avec le CIPDR.

Il faut bien avoir à l'esprit un point : nous sommes une toute petite structure. Nous n'avons pas vocation à parler au CIPDR. Nous le faisons régulièrement avec cette personne, par mail, au moins une fois par mois, mais nous sommes une rédaction qui travaille sur le complotisme. Aussi, ce départ a été presque indolore. Par la suite, nous avons travaillé avec d'autres interlocuteurs. D'ailleurs nous discutons avec la personne chargée spécifiquement des questions de complotisme.

M. Claude Raynal, président. - Ce qui nous intéresse, c'est surtout la manière dont le CIPDR a assuré le suivi d'opérations qui se voulaient très ambitieuses et ont suscité une communication extrêmement large.

Initialement, le fonds Marianne était programmé pour une durée d'un an. Pensez-vous qu'une année suffise à une association pour démontrer qu'elle réalise des choses utiles et qu'elle a atteint sa cible ? Une telle échéance était-elle réaliste ?

M. Abdennour Bidar. - Nous étions en quelque sorte rassurés par l'existence d'un appel à projets, qui s'établissait pour nous dans le cadre d'une relation durable avec le CIPDR. Quand bien même le fonds Marianne disparaissait au bout d'un an, nous pensions que la relation avec le CIPDR perdurerait. Nous avions bon espoir qu'il s'agisse là d'un épisode supplémentaire qui consoliderait nos rapports avec celui-ci.

En définitive, comme le disait Mme Servan-Schreiber, nous avons été confrontés à une fragilité à laquelle, malheureusement, nous sommes habitués : chaque année, il nous faut frapper à un certain nombre de portes pour sensibiliser divers interlocuteurs à notre démarche. C'est un mal pour un bien finalement, car ces situations de fragilité nous obligent à revoir notre discours et à sortir de la routine.

Nous n'avions aucune inquiétude particulière à ce propos, d'autant moins que notre task force sur les réseaux sociaux avait ainsi l'occasion de se mettre en évidence. Pour nous, il s'agissait d'un projet au long cours que nous souhaitions voir perdurer via les financements nécessaires.

M. Rudy Reichstadt. - Parmi les cinq critères de sélection de l'appel à projets figurait bien celui de la pérennité de l'action : « une attention particulière sera portée aux projets réunissant des cofinancements favorisant la pérennité des projets au-delà de 2021. » C'était du reste notre cas, puisque la majeure partie de nos financements sont privés, l'essentiel provenant d'une subvention annuelle de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, fondation privée d'utilité publique.

M. Claude Raynal, président. - Le fait que votre projet s'inscrive dans une perspective pluriannuelle a peut-être été l'une des raisons qui a conduit le CIPDR à retenir Conspiracy Watch. Cela étant, nous ne pouvons pas en être sûrs, car, si des critères de sélection ont été définis, nous n'avons pas connaissance de notations ou d'évaluations sur le fondement de ces critères...

Monsieur Desmaison, un avenant a été signé pour prolonger la durée de la convention avec Civic Fab jusqu'au 30 juin 2022. Pourquoi ce délai a-t-il été sollicité ? Par ailleurs, votre association est la première à avoir fait l'objet d'un contrôle sur pièces, en raison d'une erreur de versement du solde de 25 % par le CIPDR. Comment ce contrôle s'est-il déroulé ? Quelles en ont été les conclusions ?

M. Xavier Desmaison. - Nous avons effectivement demandé la prorogation de notre subvention du mois de mars au mois de juin 2022.

Je précise tout d'abord que ce type de démarche est assez fréquent.

Je rappelle ensuite que l'année 2022 se situe en pleine crise de la covid-19 et qu'un certain nombre d'événements que nous organisons n'ont pas pu se tenir à la date prévue. Je pense notamment à notre festival du court-métrage qui ne s'est finalement déroulé qu'en juin ou à l'exposition Mémorama, dont les ateliers portaient sur la mémoire et l'histoire de la guerre d'Algérie, et qui n'a pas eu lieu avant l'été.

Il est possible que notre demande ait suscité des interrogations. C'est d'ailleurs l'objet du seul échange que j'ai eu avec M. Laffite, le secrétaire général adjoint du CIPDR, qui a répondu à notre sollicitation en précisant qu'il ne pourrait pas aller au-delà du mois de décembre 2022. Finalement, nous avons respecté notre engagement, puisque nous avons réalisé 100 % de nos actions avant la fin du mois de juin 2022.

Pour ce qui est du contrôle, nous avons reçu le mail d'une agente du CIPDR au début du mois de décembre 2022 : elle a présenté sa requête comme s'inscrivant dans la continuité de la campagne de 2019 de contrôle interne financier des subventions octroyées par le CIPDR. Elle nous a informés que d'autres dossiers faisaient l'objet d'un contrôle et nous a demandé de lui envoyer un certain nombre de pièces avant le 16 décembre 2022, ce que, pour l'essentiel, nous avons fait.

Je n'ai pas eu vraiment d'alerte ou d'appel à ce sujet : personne ne m'a donné d'indications sur les raisons de ce contrôle. Je ne dispose pas non plus d'éléments d'information sur les résultats de ce dernier. Tout ce que je peux vous dire, c'est que le CIPDR a accepté de nous verser une nouvelle subvention, ce qui laisse entendre que tout était en règle.

Cela étant, je n'ai pas été totalement surpris par la démarche du CIPDR, dans la mesure où, par le passé, celui-ci avait déjà contacté plusieurs fois notre comptable pour demander des précisions sur telle ou telle pièce ou telle ou telle facture.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie, ainsi que l'ensemble des intervenants pour avoir répondu à nos questions.

La réunion est close à 17 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 31 mai 2023

- Présidence de M. Claude Raynal, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Fonds Marianne - Audition de M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM)

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons ce matin les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du Fonds Marianne, la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire (USEPPM). Je vous précise que M. Mohamed Sifaoui, directeur des opérations, n'a pu se rendre disponible ce matin, pour des raisons de santé. Nous attendons de sa part les justificatifs nécessaires pour reprogrammer son audition.

Pouvez-vous nous présenter votre association, son champ de compétence et la manière dont vous avez répondu à l'appel à projets Fonds Marianne, ainsi que le rôle que vous exercez dans cette opération ? Vous nous indiquerez également le sens des actions que vous avez menées pour répondre aux objectifs de ce fonds.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant une commission d'enquête est passible de sanctions pénales, qui peuvent aller, selon les circonstances, de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Cyril Karunagaran prête serment.

M. Cyril Karunagaran, président de l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. - Je vous remercie de l'opportunité que vous m'offrez de m'exprimer devant vous et, au-delà, devant l'opinion publique, en dehors des pressions et des emballements médiatiques, auxquels j'ai résisté, par conviction. Il s'agit ici de ma première prise de parole publique. Elle nécessite, selon moi, de rappeler en préambule les circonstances et le déroulement exact des faits.

Je vais commencer par présenter succinctement notre association, puis vous exposer des éléments de contexte. J'aurai l'occasion, bien évidemment, de répondre à vos questions avec sincérité et précision sur notre projet, en contestant les raccourcis et accusations dirigés contre notre association, et fournir toutes les précisions qui pourraient être utiles à votre commission.

Je préside l'Union des sociétés d'éducation physique et de préparation militaire. Si cette dénomination fait sourire, parfois, c'est parce qu'elle a été choisie en 1885 par des personnes, qui, déjà, jugeaient important de défendre la République et de préserver le lien entre les armées et la Nation. Cette association a toujours oeuvré en faveur de la jeunesse, pour l'amener à adhérer au projet républicain et préserver la Nation contre les dangers qui la guettent. La seconde moitié du XXsiècle ayant été marquée par la fin des conflits armés et du service militaire, l'USEPPM avait fortement ralenti son activité et s'était presque exclusivement consacrée au devoir de mémoire. Cependant, les membres de l'association, à l'instar de tous les Français, ont été fortement marqués par les attentats terroristes qui ont frappé notre pays depuis 2012 et la chevauchée meurtrière de Mohamed Merah.

À partir de 2015, dirigée par un officier de gendarmerie, le colonel Raymond Carter, lui-même spécialisé dans les questions de lutte contre le terrorisme, l'association a commencé à réfléchir sur la nécessité de s'impliquer, à partir de son rôle d'acteur de la société civile, dans les questions de sensibilisation et de prévention face à la menace terroriste, notamment d'inspiration islamiste. En 2016, lorsque j'ai pris la présidence de l'association, nous avions inscrit à l'ordre du jour du premier conseil d'administration de l'année la nécessité de créer une cellule de réflexion sur la question de la prévention et l'anticipation de la menace terroriste. L'association a par ailleurs, dans la foulée, soutenu la publication d'un livre intitulé Vivre avec la menace terroriste.

Nous avions alors organisé des débats, toujours avec cette idée de participer à la prévention de la radicalisation, de sensibiliser la jeunesse et, plus généralement, l'ensemble des citoyens, sur ces nouveaux défis qui nous menacent tous. Dès 2016, nous avons pu compter sur l'apport de M. Mohamed Sifaoui, qui est venu nous rejoindre justement afin de nous aider à orienter l'association vers le sujet de la prévention de la radicalisation. J'ai moi-même repris mes études et me suis inscrit en 2017 à un master de sûreté et de sécurité à l'université Paul Sabatier de Toulouse.

Ces éléments devraient contribuer à mettre en évidence la légitimité de notre association.

J'en viens à un bref historique autour du fonds Marianne, qui intervient alors que nous étions déjà engagés sur plusieurs initiatives, certes d'une ampleur limitée, sur les questions de prévention de la radicalisation. J'avais alors déjà demandé à M. Mohamed Sifaoui de nous faire bénéficier de son expertise.

Entre fin 2020 et début 2021, au lendemain d'un horrible attentat que tout le monde garde en mémoire, Mohamed Sifaoui m'a fait savoir que les pouvoirs publics, et plus précisément le cabinet de Mme Schiappa, lui avaient demandé de prendre part à des actions de contre-discours pour répondre à la propagande islamiste. Pendant la première quinzaine de janvier, il m'a demandé si je trouvais intéressante l'idée de mettre en oeuvre un projet au sein de l'USEPPM : il m'a confié, sans me donner toutes les précisions, qu'il était en contact avec plusieurs responsables du ministère de l'intérieur qui l'encourageaient à s'engager dans cette perspective. Le projet en question était très ambitieux, s'étalait sur plusieurs années et nécessitait la mise en place de moyens considérables, notamment humains. Les échanges entre nous ont continué entre février et mars.

Par la suite, plus précisément le 7 avril 2021, M. Mohamed Sifaoui m'a transféré un e-mail d'un conseiller de Mme Schiappa, qui lui a adressé les pièces d'un dossier à renseigner dans les deux jours pour bénéficier d'une subvention. J'ai donc travaillé jour et nuit pour pouvoir être dans les temps. Avec du recul, monsieur le président, je me dis que, ce jour-là, j'aurais dû refuser d'envoyer cette demande de subvention. Vous me répondrez que c'est toujours facile de commenter les événements quand ils sont passés... Non seulement j'ai commis des erreurs en travaillant dans la précipitation, mais, de plus, ce mauvais départ allait perturber le projet auquel nous avons pensé initialement.

Ce projet portait sur trois ans. Quelques jours plus tard, des échanges ont eu lieu avec une interlocutrice du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), notamment concernant le budget du projet. En effet, nous avions proposé un projet pluriannuel, une telle action n'ayant de sens pour nous uniquement si elle s'inscrivait dans la durée. Les écosystèmes numériques se développent depuis plusieurs années et ont de l'avance sur nous. Nous avions donc un retard considérable à combler. Toutefois, la demande de financement étant trop importante à leurs yeux, nous avons, au fur et à mesure des échanges réduit notre ambition. Semaine après semaine, mes interlocuteurs au sein du CIPDR nous demandaient de revoir à la baisse la nature du projet. C'est le deuxième signal qui aurait dû m'amener à stopper le projet, qui s'est peu à peu vidé de sa substance.

À partir du 20 avril, comme tout le monde, j'ai entendu parler de la mise en place d'un fonds appelé Fonds Marianne, dédié aux questions de contre-discours. À ce moment-là, mes interlocuteurs du CIPDR m'ont appris que la demande de subvention que nous avions été invités à présenter pouvait intégrer le nouveau Fonds Marianne. C'est ainsi qu'orientés par mon interlocutrice au sein du CIPDR, nous avons décidé de nous porter candidats dans le cadre de ce fonds.

Le 22 ou le 23 mai, sans que je puisse vous confirmer la date avec certitude, M. Mohamed Sifaoui m'a appelé pour me dire qu'il avait eu des informations laissant penser que notre projet avait été retenu. Dès le lendemain, le lundi 24 mai, je lui ai préparé son contrat de travail avec l'association. Nous avons alors commencé à mettre en oeuvre le projet. Je signale que nous avons été officiellement informés une première fois le 28 mai 2021 par mail. Ensuite, début juin, nous avons reçu un courrier de la ministre nous félicitant de façon officielle. Cependant, le CIPDR nous alerte à la fin du mois de juin 2021 sur le fait que le Cerfa que nous avions fourni lors de la candidature au Fonds Marianne comportait une demande pour les années 2021 et 2022, alors que le CIPDR ne pouvait s'engager de manière pluriannuelle. Cette incompréhension nous a donc conduits à réajuster le budget du projet.

La somme de 355 000 euros qui devait être affectée jusqu'au 31 décembre 2021 dans mon Cerfa constitue en fait le seul engagement que nous avions reçu du CIPDR. La somme demandée au titre de 2022 n'en faisait pas partie. En outre, il nous a été indiqué que la durée de l'action prévue, à savoir de juin 2021 à décembre 2021, semblait trop courte au regard du montant de la subvention accordée. Nous sommes donc convenus de prolonger la durée de l'action jusqu'au 28 février 2022, tout en conservant le même budget, autrement dit en réduisant de nouveau le montant des dépenses projetées. Nous avons donc signé la convention attributive dans ces conditions. Les différents ajustements, vous l'aurez compris, ont fortement impacté l'envergure du projet. Tous ces cafouillages, qui se sont étalés entre le mois d'avril et la fin du mois de juillet, ont énormément pénalisé le lancement de nos actions. Pendant la période estivale, Mohamed Sifaoui et moi-même avons commencé à poser les bases du projet, mais nous n'avons pas souhaité recruter avant la rentrée, car les personnes auxquelles nous pensions étaient en vacances et parce qu'il ne nous paraissait pas judicieux de commencer les contrats en plein été.

Nous avons néanmoins utilisé cette période estivale pour rédiger la stratégie, concevoir le logo « I Laïc », rencontrer des spécialistes du numérique, trouver un local, acheter le matériel et commencer à assurer la veille internet sur les comptes identifiés toxiques ou dangereux. C'est à partir du mois de septembre que nous avons constitué une petite équipe et que nous avons mis en place les premières actions. Nous reviendrons bien sûr sur le bilan de ces dernières.

Concernant l'organisation opérationnelle, j'étais le directeur administratif et financier du projet, par ailleurs le garant du respect de la ligne éditoriale que nous devions conserver dans le cadre du projet que nous avions présenté. M. Mohamed Sifaoui était, lui, directeur des opérations, caution scientifique, courroie de transmission et maître d'oeuvre de tout ce qui devait être publié. Il y avait également une rédactrice, juriste de formation, dont la mission consistait à proposer du contenu en veillant à ne pas s'exposer à des poursuites judiciaires abusives, pour diffamation notamment. Nous comptions également un graphiste, lui-même créateur de contenus. Enfin, des prestataires extérieurs étaient chargés, pour l'un du suivi des mesures numériques et de la conception des sites internet, et, pour l'autre, de la réalisation des vidéos.

Contrairement à ce qui a été dit ici et là, la masse salariale n'a pas été répartie entre Mohamed Sifaoui et moi-même, mais entre six personnes, quatre sous la forme de salaires et deux sous la forme d'honoraires. Beaucoup de contre-vérités ont été relayées par la presse, et c'est d'ailleurs ce qui a motivé la naissance de votre commission d'enquête.

Première contrevérité, les journalistes ont affirmé...

M. Claude Raynal, président. - Nous n'allons pas entrer dans le détail tout de suite. Si contre-vérités il y a eu, vous pourrez vous en expliquer en répondant à nos questions. Vous avez cadré la façon dont vous êtes rentrés dans le fonds Marianne, mais maintenant nous allons passer aux questions.

M. Cyril Karunagaran. - Monsieur le Président, j'aimerais pouvoir terminer cette partie, qui me semble essentielle au regard du contexte...

M. Claude Raynal, président. - Nous ne souhaitons pas inscrire nos travaux dans le cadre d'une opposition à la presse et aux contre-vérités qui ont pu être écrites. Nous souhaitons au contraire que nous puissions établir ensemble la vérité.

M. Cyril Karunagaran. - Je réitère ma demande...

M. Claude Raynal, président. - En m'excusant, non. Nous vous avions permis une introduction de quatre minutes et vous en avons laissé treize. Nous reviendrons au cours des questions sur l'ensemble des éléments du dossier. Vous pourrez, au terme de l'audition et si vous avez des choses à ajouter, compléter votre propos.

M. Cyril Karunagaran. - Ma dignité, mon honneur, ma réputation ont été ternis. Je dois terminer mon propos.

M. Claude Raynal, président. - Ne vous inquiétez pas, nos travaux s'engagent sans préjugés. Vous allez pouvoir vous expliquer en détail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Reprenons les choses dans l'ordre.

Je vais d'abord m'attacher aux conditions dans lesquelles vous avez déposé votre candidature dans le cadre du fonds Marianne et à la manière dont la sélection s'est opérée.

Avant le fonds Marianne, aviez-vous déjà eu l'occasion de travailler avec le secrétariat général du CIPDR (SGCIPDR) et, le cas échéant, de quelle manière ?

Pouvez-vous revenir sur le projet que votre association a présenté ? Quels en étaient les objectifs ? Vous avez expliqué qu'il était très ambitieux ; pouvons-nous avoir plus de détails ?

M. Cyril Karunagaran. - Avant de répondre à votre question, je souhaite terminer mon exposé. La première contre-vérité que je voulais dénoncer...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Monsieur, le président de notre commission d'enquête vous a rappelé notre fonctionnement : vous êtes ici en audition. Les questions qui vous seront posées au cours de celle-ci vous donneront l'occasion de vous exprimer. Le président vous a déjà laissé bien plus de temps qu'initialement prévu pour votre propos liminaire. Si, d'aventure, il vous restait des choses à dire au terme de nos interrogations, vous pourrez nous remettre un document.

Je répète mes questions : aviez-vous déjà eu l'occasion de travailler avec le secrétariat général du CIPDR ? Quel était le contenu de votre projet ?

M. Cyril Karunagaran. - L'association n'avait pas eu l'occasion auparavant de travailler avec le CIPDR. Le projet avait été soumis à celui-ci à la demande du cabinet de la ministre. C'est moi-même qui ai envoyé l'e-mail.

Pour ce qui concerne le contenu du projet, je vous renvoie à la fiche synthétique et au descriptif détaillé que nous vous avons transmis.

M. Claude Raynal, président. - Nous avons bien reçu la fiche synthétique. Pour le reste, nous n'avons pas eu de document très détaillé...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous avons reçu, au départ, un document d'une page, puis un léger complément.

Vous avez évoqué tout à l'heure un projet dès le début de l'année, sur trois ans, très étoffé. Pouvez-vous nous en donner les grandes lignes ?

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous en repréciser le cadre et les objectifs ?

M. Cyril Karunagaran. - L'objet du projet s'inscrivait évidemment dans le cadre du fonds Marianne, à savoir la lutte contre les discours séparatistes.

M. Claude Raynal, président. - Si j'ai bien compris, le projet a été déposé avant même que l'on ne vous parle du fonds Marianne.

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait.

M. Claude Raynal, président. - Pouvez-vous nous parler de ce projet initial, pour que nous puissions bien comprendre comment il s'est transformé ensuite ?

M. Cyril Karunagaran. - Ce premier projet avait effectivement pour objet de mener une action de déconstruction en ligne. Ce projet visait à lutter contre les discours séparatistes, les discours antirépublicains qui sont malheureusement foisonnants sur les réseaux sociaux et qui sont notamment relayés par certains écosystèmes nocifs. Il avait pour idée principale de constituer une véritable réponse en ligne à ces discours.

Comme je l'ai indiqué dans le projet détaillé, nous avions, pour ce faire, prévu de constituer une équipe, avec un responsable de projet opérationnel éditorial, une chargée de relations presse, une personne chargée des questions administratives, juridiques et financières, des community managers, des responsables de pôles. Il s'agissait vraiment de structurer une équipe afin de pouvoir produire un contenu régulier, moderne et accessible qui permette de décrypter l'islam politique et ses méthodes d'infiltration, mettre en place une riposte médiatique et « social media » pour lutter contre l'idéologie islamiste, et répondre de manière systématique, après évaluation et analyse des comptes émetteurs, aux propos diffamants dénigrant les valeurs de la République ou diffusant les idées susceptibles de fracturer la société française. Voilà la méthode que nous nous étions donnée.

S'agissant des moyens de communication, il s'agissait d'utiliser principalement les réseaux sociaux - Twitter, Instagram, Facebook -, un site internet, un wiki pour ce qui concerne les définitions, les médias mainstream, ainsi que des formations. Nous avions prévu de faire des vidéos, des articles de presse - y compris des articles de blog, des tweets et des posts Facebook, Instagram. Il s'agissait d'agir dans tout cet univers.

Tel était l'objet du projet dès le départ.

M. Jean-François Husson, rapporteur. -Avant le fonds Marianne, vous n'avez donc jamais travaillé avec le secrétariat général du CIPDR ?

Vous venez de nous donner les grandes lignes du projet, dont j'ai compris, d'après votre propos introductif, qu'il datait du début de l'année 2021.

Ensuite, vous avez envoyé la candidature de votre association directement à M. Gravel le 9 avril, soit onze jours avant l'annonce de l'appel à candidatures du fonds Marianne. Le confirmez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Je veux être bien précis. Je sais que M. Mohamed Sifaoui a travaillé avec le CIPDR, dont il a formé les équipes, mais cela n'avait rien à voir avec ce projet-là. Notre association, en revanche, n'a jamais travaillé avec le CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous prenons bonne note de ces précisions.

Vous nous avez confirmé que vous aviez déposé votre candidature en 48 heures. Entre le 7 et le 9, vous avez formalisé un dossier que vous avez envoyé directement à M. Gravel dans le cadre du fonds Marianne, qui n'existe pas encore à ce moment.

M. Cyril Karunagaran. - Ce n'est pas dans le cadre du fonds Marianne : c'est dans le cadre d'une demande de subvention. Comme je l'ai exposé tout à l'heure, c'est le cabinet qui nous a invités à produire ce dossier et à demander une subvention.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Lorsque nous avons auditionné M. Gravel, celui-ci a indiqué que vous aviez d'abord déposé une demande de subvention à hauteur de 635 000 euros.

Quel est le projet qui devait être réalisé avec cette subvention ? Est-ce le même projet que celui qui a été retenu dans le cadre du fonds Marianne ? Disposiez-vous, à ce moment, d'informations qui vous laissaient espérer une éligibilité à ce fonds ? À onze jours près, vous auriez pu avoir vent de sa création...

M. Cyril Karunagaran. - Non. Pour notre part, nous avons présenté un projet avec une demande de subvention tout à fait classique, via le Cerfa 12156, pour un montant, effectivement, de 635 000 euros.

Nous n'avions pas plus d'informations sur un quelconque fonds - en particulier sur le fonds Marianne.

M. Claude Raynal, président. - Ce projet initial à 635 000 euros portait-il sur un an, sur trois ans ?

M. Cyril Karunagaran. - Comme je vous l'ai dit, nous avions présenté un projet sur trois années, même s'il était amené à se poursuivre au-delà. Les 635 000 euros portaient uniquement sur la première année - plus précisément sur ce qu'il restait de l'année, parce qu'on était déjà au mois d'avril. C'était donc sur sept ou huit mois.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Si je comprends bien, les candidatures ont été déposées en dehors du fonds Marianne, avant d'y être intégrées : pouvez-vous me le confirmer ?

Pouvez-vous également me confirmer qu'un comité de programmation s'est réuni le 13 avril - soit toujours avant la création du fonds Marianne -, qui a fléché 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Je veux bien comprendre la question : vous me demandez si nous avons été basculés sur le fonds Marianne ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le fonds Marianne n'existe pas encore le 13 avril, date à laquelle nous avons eu connaissance qu'un comité de programmation s'est réuni. La somme de 300 000 euros vous a a priori été attribuée par ce comité, et vous n'êtes nullement tenus informés. Ignorez-vous cette décision ?

M. Cyril Karunagaran. - Pouvez-vous me répéter la date ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le comité de programmation s'est tenu le 13 avril. Cela a été confirmé lors des auditions.

J'essaie de comprendre la chronologie exacte des faits et les temps durant lesquels ont été attribuées des subventions - il ne vous a pas échappé que nous travaillons ici dans la rigueur financière et budgétaire...

Vous me dites donc que vous n'avez pas connaissance du résultat d'un comité de programmation qui s'est tenu le 13 avril et qui vous a attribué 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Non.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La subvention est portée de 300 000 euros à 355 000 euros par le comité de sélection du fonds Marianne, quelques semaines après.

À quel moment apprenez-vous cette décision ? Si j'ai bien entendu, vous êtes informés que votre projet allait être retenu à la fin du mois de mai ?

M. Cyril Karunagaran. - La chronologie est essentielle. Nous avons envoyé un premier dossier...

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 9 avril !

M. Cyril Karunagaran. - Oui. Il y a eu des échanges avec le CIPDR à ce moment.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avec qui au CIPDR ? Sous forme de mails, d'échanges téléphoniques ?

M. Cyril Karunagaran. - Sous forme de mails.

C'est avec Mme Charlotte Collonge que nous avons échangé. J'ai eu un seul échange avec M. le préfet Gravel, au tout début, lorsqu'il a accusé réception de l'e-mail que je lui avais écrit.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En connaissez-vous la date ?

M. Cyril Karunagaran. - Malheureusement, ma mémoire me fait défaut sur les dates, mais c'était début avril.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 9 avril ?

M. Cyril Karunagaran. - Je pense. Je n'ai pas le mail sous les yeux, mais je pourrai vous le redire précisément. Ensuite, je n'ai échangé qu'avec Mme Collonge.

Nous avons été informés, à la toute fin du mois d'avril, que notre demande était susceptible d'être éligible au fonds Marianne. On nous a donc invités à présenter officiellement une demande de subvention dans le cadre du fonds Marianne, ce que nous avons fait ensuite.

M. Claude Raynal, président. - Cette demande de subvention dans le cadre du fonds Marianne portait-elle sur 635 000 euros, ou en aviez-vous déjà revu le montant à la baisse compte tenu des échanges que vous aviez eus avec le CIPDR ?

M. Cyril Karunagaran. - Les deux en même temps.

En effet, nous avons candidaté au fonds Marianne suivant la dernière version de nos échanges - celle à 635 000 euros.

J'ai ensuite eu un échange avec Mme Collonge, qui m'a fait modifier le dossier pour réduire le montant de la demande le 10 mai. Depuis le départ, le dossier envoyé début avril, nous n'avons pas bougé la présentation de notre dossier et le contenu mais simplement réduit les budgets.

M. Claude Raynal, président. - En annonçant les mêmes actions ?

M. Cyril Karunagaran. - Exactement. Depuis le départ, depuis le dossier envoyé le 7 avril - je crois -, nous n'avons pas modifié le contenu de notre dossier. Nous avons simplement réduit les budgets.

M. Claude Raynal, président. - À quel niveau le CIPDR vous a-t-il demandé de réduire le budget ?

M. Cyril Karunagaran. - Dans les premiers formulaires que j'ai envoyés, la demande de subvention était, du 1er janvier 2021 - modulo les quelques mois écoulés - au 31 décembre 2022, de 1,5 million d'euros sur trois ans. Ensuite, nous avons découpé notre projet : nous en avons réduit la durée et revu le budget.

Je pourrai vous transmettre ultérieurement les montants exacts.

M. Claude Raynal, président. - Oui, il faudrait que les étapes soient bien précisées.

Comment et à quel moment avez-vous eu connaissance du montant retenu de 355 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous avons tout d'abord reçu un mail du CIPDR nous informant que notre demande de subvention avait été satisfaite. Par la suite, nous avons reçu un courrier postal émanant du cabinet de la ministre, de la ministre elle-même nous félicitant pour la réussite de notre candidature.

M. Claude Raynal, président. - Il n'y a donc pas eu de discussions entre le CIPDR et l'association pour arriver à ce montant de 355 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Non, car ce montant était conforme à la demande présentée dès le 10 mai.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre demande initiale était de 635 000 euros. Ensuite, nous avons connaissance que vous a été signifiée l'attribution d'une subvention de 300 000 euros. Ce montant est passé à 355 000 euros sans que vous ayez de contact avec le CIPDR sur ce réajustement ?

M. Cyril Karunagaran. - Le réajustement a été fait en amont : dès le dossier présenté le 10 mai, nous avons formulé une demande de ce montant. Le montant de 635 000 euros est celui demandé au tout début.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - On peut penser que le passage de 300 000 à 355 000 euros s'est accompagné d'échanges avec vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Aucune subvention de 300 000 euros ne m'a été notifiée.

M. Claude Raynal, président. - Vous n'avez même eu aucune connaissance d'un tel montant ?

M. Cyril Karunagaran. - Aucune ! Le montant qui nous a été attribué était de 355 000 euros. C'est le sens de l'e-mail et du courrier que j'ai reçus. Je n'ai pas connaissance de ce qui a pu se dire en interne au CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous avez indiqué dans votre propos introductif que tout était parti - pour ce que vous en savez - d'un appel du cabinet de la ministre à M. Sifaoui pour lui proposer d'adresser une demande de subvention dans le cadre des fonds du CIPDR - à ce moment-là, on ne parlait pas encore de fonds Marianne. Est-ce bien ce qu'il s'est passé ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait.

M. Claude Raynal, président. - Cette nuance est assez significative. En effet, toujours dans votre propos introductif, vous avez précisé que si vous aviez su comment les choses évolueraient, vous auriez peut-être agi différemment. De fait, il s'agissait donc au départ d'un contact du cabinet de la ministre non pas avec votre association, mais avec M. Sifaoui, lequel s'est adressé à vous afin que vous fassiez une proposition par le biais de ladite association. Est-ce ainsi que cela s'est passé ?

M. Cyril Karunagaran. - C'est exact. D'après ce que l'on m'a relaté, M. Sifaoui a été en contact avec le cabinet de la ministre. Il est ensuite venu me voir, l'USEPPM ayant la volonté d'engager ce type d'action, et je le lui ai confirmé, car il s'agissait bien de la ligne interne de l'association.

M. Claude Raynal, président. - Surtout, M. Sifaoui, que nous espérons auditionner dès qu'il ira mieux, ne pouvait pas répondre intuitu personae à la demande du cabinet de la ministre et à l'appel d'offres ; il fallait bien qu'une association porte cette action. Pour votre part, d'après ce que vous nous dites, vous n'étiez pas encore acteur dans ce domaine, ou alors de manière très limitée, mais vous aviez la volonté de travailler sur ce terrain-là. C'était l'occasion d'amener votre association à traiter ce sujet.

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Nous avions déjà mené des actions dans le domaine, plus large, de la prévention de la radicalisation ; en revanche, c'est ultérieurement que nous nous sommes orientés vers l'action en ligne à destination de la jeunesse.

M. Claude Raynal, président. - M. Raphaël Saint-Vincent a été cité par M. Christian Gravel comme étant l'un des experts de votre association en matière de prévention de la radicalisation. Le confirmez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - M. Saint-Vincent a fait partie de l'association à une certaine époque et s'est effectivement intéressé à ces sujets, mais il n'en fait plus partie aujourd'hui.

M. Claude Raynal, président. - Avait-il quitté l'association lorsque vous avez déposé le dossier de demande de subvention ?

M. Cyril Karunagaran. - M. Saint-Vincent ne faisait plus partie de l'association depuis 2018, car il en a été exclu.

M. Claude Raynal, président. - C'est un autre aspect... Est-ce la raison pour laquelle vous n'avez pas fait appel à lui au moment de répondre à l'appel d'offres ?

M. Cyril Karunagaran. - Oui.

M. Jérôme Bascher. - Pour quelle raison M. Saint-Vincent a-t-il été exclu de l'association ?

M. Cyril Karunagaran. - Il a été exclu pour motif grave. Il faut savoir que notre association détenait un patrimoine immobilier important, notamment un immeuble situé dans le 1er arrondissement de Paris qui avait été affecté dans les années 1960, en accord avec la mairie d'arrondissement, à la vie de quartier - sport, loisirs, bien-être, accompagnement des personnes fragiles. Or ce point est à l'origine de nombreuses difficultés rencontrées par l'association dans un passé plus ou moins récent.

En 2014, notre association avait subi une première tentative de prise de contrôle par des membres malveillants qui voulaient faire main basse sur son patrimoine immobilier. Cela s'est produit une seconde fois en 2018, sur l'initiative d'une autre équipe, et les nombreuses exclusions décidées étaient liées à cette nouvelle tentative de prise de contrôle. Ces affaires internes sont un peu reliées à l'emballement médiatique que nous connaissons : elles font partie des règlements de comptes qui visent l'USEPPM, ainsi que M. Sifaoui et moi-même, qui sommes parties à ce contentieux.

Je tiens à attirer votre attention sur le fait que ce différend est en cours de règlement par la justice, des procédures ayant été engagées.

M. Claude Raynal, président. - Nous n'entrerons pas dans ce sujet, qui relève du droit privé, mais ce que vous venez de dire permet d'éclairer le climat qui régnait dans l'association.

M. Daniel Breuiller. - Combien d'adhérents comptait votre association et quel était son budget en 2020, soit une année avant que vous ne déposiez un projet auprès du CIPDR ? Je pose cette question pour apprécier l'écart entre les budgets 2020 et 2021.

Vous avez dit avoir déposé un grand nombre de formulaires Cerfa. Pourquoi, et à la demande de qui ?

M. Cyril Karunagaran. - Le nombre des membres de l'association a beaucoup fluctué, notamment à cause des conflits internes que j'ai évoqués. Lors du dépôt de la demande de subvention, nous avions fortement réduit cet effectif, en ne retenant que des personnes véritablement sûres, soit cinq membres. Quant au budget annuel, il était de 50 000 euros environ. Le fonds Marianne, et au-delà le projet que nous avons présenté, a modifié substantiellement notre budget dans la mesure où nous lancions une nouvelle activité.

Lors de chaque échange avec le CIPDR, à la suite duquel nous adaptions le projet, nous devions remplir un nouveau formulaire Cerfa, ce qui était assez fastidieux. Nous avons dû en remplir un, également, à la suite de la notification d'attribution des 355 000 euros parce que l'un des éléments indiqués n'était pas bon, et ce très peu de jours avant la signature de la convention d'attribution.

M. Claude Raynal, président. - Quel est le rapport entre les finances de votre association et un projet de cette nature ? Vous nous avez indiqué avoir demandé, dans un premier temps, une subvention de 635 000 euros. Or le budget de l'association est de 50 000 euros.

En tant que président d'association - beaucoup d'entre nous ici l'ont été, souvent avant d'être élus -, comment avez-vous pu imaginer pouvoir porter un projet coûtant 635 000 euros, avec les salaires et charges y afférant, alors que votre budget annuel était de 50 000 euros, soit un montant extrêmement faible ? En effet, les salaires doivent être versés tous les mois et il n'y a jamais de certitude quant à la date de versement des subventions. À cet égard, il semble que des avances de trésorerie aient été consenties au directeur des opérations.

Ne vous êtes-vous pas interrogé sur votre capacité, dans le cadre d'un projet de cette dimension - celui de 635 000 euros, mais cela vaut aussi pour celui de 355 000 euros -, à faire face aux frais et avances de trésorerie avant réception des subventions et participations ? L'acceptation par le CIPDR d'une demande de cette nature ne vous a-t-elle pas étonné ?

M. Cyril Karunagaran. - J'ai découvert tout cela sur le moment parce qu'il s'agissait de ma première demande de subvention pour l'association. Je n'étais donc pas étonné parce que je n'avais aucune expérience antérieure d'une mission impliquant l'intervention des fonds publics. J'ai découvert ainsi qu'entre le moment où vous déposez une demande de subvention et le versement effectif des sommes, il peut se passer du temps, et que les engagements dépendent de la signature de conventions qui n'arrivent pas toujours...

Toutefois, nous avions budgété le projet très précisément, en tenant compte des subventions publiques et privées. Ayant construit un budget pluriannuel, nous pouvions en théorie assurer le déroulement du projet. Mais, dans les faits, c'est en effet plus compliqué que cela.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Président d'une association dont le budget annuel est de 50 000 euros, vous avez déposé - avant la création du fonds Marianne -un projet d'un montant de 635 000 euros annuels qui devait s'étendre sur trois ans ; vous avez ainsi avancé le chiffre de 1,5 million d'euros. De 50 000 à 1,5 million d'euros, avec un premier versement annuel souhaité de 635 000 euros, il faut ajuster la voilure !

Les 635 000 euros initialement demandés avant la création du fonds Marianne, dont vous avez pris connaissance un peu après le 10 mai 2021, sont devenus finalement 355 000 euros. On nous a dit qu'à un moment donné l'annonce d'un montant de 300 000 euros avait été faite. La somme qui vous a été attribuée vous convenait-elle, ou y a-t-il eu des réclamations, comme cela nous a été rapporté ? Nous avons en effet besoin de confronter les points de vue des uns et des autres. M. Sifaoui et vous-même vous êtes-vous inquiétés du faible montant programmé, soit 300 000 euros ?

M. Cyril Karunagaran. - Encore une fois, je n'ai pas imprimé tous les formulaires Cerfa, mais je vous transmettrai l'information précise ultérieurement. Outre les 635 000 euros que nous demandions au départ au CIPDR, nous avions prévu d'autres financements. Les 355 000 euros que nous avons demandés ensuite ne représentent qu'une partie de notre budget et de la totalité de nos subventions.

Vous avez parlé de mon inquiétude quant aux modifications de budget ; il y avait plutôt pour moi un motif d'incompréhension. C'était en effet la première fois que je remplissais un formulaire de demande de subvention. Lors de nos échanges avec le CIPDR, nous avions évoqué la possibilité d'obtenir une subvention de 300 000 euros, sans préciser leur affectation ; notre demande a donc porté sur un montant de cet ordre dans le cadre du fonds Marianne : 355 000 euros, correspondant à l'année 2021, le projet devant être pluriannuel dans mon esprit. Sur le formulaire Cerfa que j'ai sous les yeux, il est indiqué que la subvention sollicitée est de 355 000 euros pour 2021, et de 580 000 euros pour 2022. Pour répondre à votre question, afin de gérer la trésorerie, nous disposions donc d'une programmation pluriannuelle.

J'ai malheureusement découvert, après que l'acceptation de la demande de 355 000 euros m'avait été notifiée, que je devais faire disparaître le montant de 580 000 euros qui figurait pourtant sur le formulaire Cerfa et qui correspondait, selon moi, à un engagement dans la durée. Nous nous sommes donc retrouvés avec une visibilité réduite sur six ou sept mois.

M. Claude Raynal, président. - Je m'adresse au président et au responsable financier d'association que vous êtes : vous nous avez indiqué que l'association disposait d'un patrimoine immobilier, mais peut-être aviez-vous aussi des réserves significatives, un patrimoine financier ? Cela aurait alors permis de lancer le projet sans trop d'inquiétude, même si l'argent de la subvention arrivait un peu plus tard. Était-ce le cas ?

M. Cyril Karunagaran. - Lorsque le projet a démarré, l'association n'avait plus de réserves de trésorerie, celles dont elle disposait auparavant ayant malheureusement été dilapidées lors du premier conflit interne qui a donné lieu à une tentative de prise de contrôle. Je savais que cette trésorerie était reconstituable - certes pas en un an -, mais l'activité était pérenne et les choses fonctionnaient ainsi depuis longtemps ; je n'avais donc pas de doutes sur la montée de trésorerie.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous dû attendre pour démarrer l'opération que l'argent de l'État rentre ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Toutefois, avec M. Sifaoui, nous avions tout de même commencé à travailler sur ce projet dès le premier trimestre 2021.

M. Claude Raynal, président. - Il y a un point que j'ai un peu de mal à comprendre : votre projet comprenait une subvention du CIPDR, dont on a compris qu'elle était essentielle, mais également - vous les avez évoquées - des subventions complémentaires provenant, notamment, de deux conseils régionaux qui devaient apporter une participation. Or on constate, d'après les documents que vous avez transmis, que ceux-ci n'ont pas participé. Malgré tout, en tant que président de l'association, vous démarrez le projet et embauchez, sans certitude concernant ce financement. Comment l'expliquez-vous ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous n'avons pas indiqué ces montants par hasard, mais en fonction de discussions informelles qui avaient eu lieu. Or ces subventions que nous avons inscrites, et sur lesquelles nous comptions, n'ont pas eu lieu.

M. Claude Raynal, président. - N'auriez-vous pas dû avoir quelques certitudes à cet égard, ce qui est généralement le cas lorsqu'il s'agit d'institutions telles que des conseils régionaux, au travers du mode de validation des subventions par l'assemblée permanente ? Comment peut-on démarrer un projet sans être certain de disposer de telles sommes, aussi significatives, dès lors que l'on n'a pas de réserves, financières ou autres ? Il est évident, dans ces conditions, qu'au bout de quelque temps le projet va s'éteindre.... Que pouvez-vous nous dire à cet égard ?

M. Cyril Karunagaran. - Encore une fois, vous me parlez des processus de validation pour lesquels je n'ai aucune expérience : c'était la première fois que je travaillais avec des subventions publiques. Je découvre aussi ce fonctionnement. Je ne savais pas qu'il y avait une telle complexité.

Mme Isabelle Briquet. - Vous avez indiqué ne jamais avoir déposé de demande de subvention, mais ce propos ne concerne-t-il que le CIPDR, ou est-il général ? Votre association n'aurait-elle donc jamais bénéficié de subventions pour son fonctionnement courant ou pour d'autres projets ? Quelles auraient été ces subventions, auprès de qui auraient-elles été obtenues, et pour quels types d'action ?

M. Cyril Karunagaran. - De mémoire, nous n'avons jamais perçu de subventions, mais l'association existe depuis bien longtemps. Je crois savoir que lors des présidences précédentes, des subventions avaient été obtenues, mais je n'en ai pas connaissance et je ne peux pas vous en dire davantage, car je ne suis pas informé de ces éléments.

M. Claude Raynal, président. - Vous signalez simplement que, durant votre mandat, il n'y avait pas eu de demandes de subventions préalables. C'était la première fois qu'en tant que président vous demandiez une subvention. Mais comme l'association a plus d'un siècle, vous ne pouvez pas garantir l'absence de subventions pour les années précédentes.

M. Cyril Karunagaran. - C'est certain : je n'étais pas né lors de la fondation de l'association.

M. Claude Raynal, président. - S'il n'y a pas d'autre question sur les aspects financiers, nous allons donc passer à un deuxième sujet, qui concerne la réalisation et le contrôle du projet, c'est-à-dire son exécution. Les éléments budgétaires que vous nous avez fournis ne sont pas sans lien avec les résultats obtenus, mais vous indiquez avoir travaillé en amont de l'obtention des subventions. Le projet a démarré en septembre, vous recrutez à la fin de l'été, mais M. Sifaoui et vous-même travaillez déjà sur le projet. Pouvez-vous rapidement nous parler des réalisations financées par ces crédits ?

M. Cyril Karunagaran. - J'en profite donc pour revenir à nos productions.

M. Claude Raynal, président. - Nous sommes d'accord. Mais ne mettez pas en cause qui que ce soit : énoncez seulement votre vérité.

M. Cyril Karunagaran. - Nos productions ont commencé au début du mois de septembre 2021. En sa qualité de responsable éditorial, M. Mohamed Sifaoui a rappelé à maintes reprises que ce qui était attendu de nous, ce n'était pas la quantité, mais la qualité. Malheureusement, la presse a été très partiale en relayant des contre-vérités et en dressant un bilan à charge de nos réalisations.

Certes, nous n'avons pas réalisé beaucoup de vidéos, et ces vidéos n'ont peut-être pas suscité l'adhésion souhaitée, mais il est évident qu'elles ont été vues. Les mesures d'impact que nous avons réalisées établissent que toutes nos productions ont touché des centaines de milliers de personnes - ce qui n'a pas été dit. Entre septembre et novembre 2021, lors du premier trimestre de production, selon les statistiques de Twitter, nos tweets ont été vus par près de 2 millions d'internautes ; entre décembre 2021 et février 2022, ils l'ont été par 1,1 million de personnes. Un seul thread du 12 mars 2022 sur le sanguinaire Mohammed Merah a permis à notre compte d'être vu par 1,9 million de personnes.

Je sais que je m'exprime devant l'opinion publique ; je prends à témoin tous les spécialistes du numérique, qui vous confirmeront que l'indicateur le plus important pour mesurer l'impact d'un compte est non le nombre de followers, mais le taux d'impression, c'est-à-dire l'audience réelle. Avec ce projet, nous n'avons pas voulu faire un feu de paille en utilisant des publicités sponsorisées pour obtenir un chiffre d'affichage maximal, mais nous avons cherché à créer une réelle diffusion organique de nos productions, bien plus qualitative. Dans la perspective de l'enquête judiciaire, nous faisons authentifier ces mesures d'impact par constat d'huissier ; je les tiens à votre disposition.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie. Dans les documents que vous avez transmis au CIPDR, qui nous les a transférés et qui s'affichent sur un écran devant vous, vous dressez le bilan de votre action. Vous y recensez 1 763 abonnés sur les réseaux sociaux Twitter, TikTok et Instagram, 500 publications diffusées sur ces trois plateformes, avec un engagement en ligne « faible », qui s'explique, selon votre commentaire, pour ces raisons : « les comptes ont été créés à l'occasion de ce projet et la constitution d'une communauté [...] nécessite une stratégie de communication de longue durée » - nous pouvons vous suivre sur ce point. Et ensuite : « comme l'explique la structure dans son bilan, les comptes toxiques identifiés par l'association bénéficient de communautés établies et agissent depuis des années ».

Le bilan statistique est le suivant : 1 510 abonnés sur Twitter, 401 tweets, avec une moyenne de 123 000 impressions. Mais sur Twitter, les impressions comptabilisent le nombre total de vues, qui peuvent durer une seule seconde : en tant qu'utilisateur de Twitter, je sais bien qu'il faut se méfier de cette statistique, dont les chiffres parfois importants ne signifient pas que le message est réellement lu ou vu, mais uniquement que le message a été ouvert. Sur Tiktok, vous comptez plusieurs milliers de vues par vidéos diffusées, 116 abonnés, 950 « j'aime », 21 publications, et plus de 5 500 vues en moyenne.

Dans la campagne digitale la plus importante que vous avez menée, en hommage au professeur assassiné Samuel Paty, des enseignants de collège, face caméra, lisent des textes, notamment de Victor Hugo. En regardant globalement les choses, le bilan semble relativement faible.

Je vous interroge à nouveau : comment mettre en perspective ces résultats avec les montants significatifs touchés ? Vous le savez, nous restons simples : d'un côté des montants, de l'autre des résultats. Le montant des subventions est important, même si, comme nous l'avons évoqué, vous n'avez pas touché la deuxième partie des subventions demandées, car vous n'avez pas obtenu les subventions régionales. À partir de ce moment, vous n'avez pas pu bénéficier du deuxième versement du CIPDR pour poursuivre votre projet. Mais si l'on rapporte les montants perçus aux résultats, il nous paraît tout de même qu'il y a peu de résultats par rapport aux moyens engagés. Partagez-vous cette impression ?

M. Cyril Karunagaran. - Si vous me demandez si nous sommes contents du résultat, je vous répondrai évidemment non. Si nous avions bénéficié de plus de moyens humains et financiers et de plus de temps, nous aurions probablement fait plus. Mais, je vous le rappelle, ce projet est né d'une feuille blanche. Il nous a été demandé de répondre à des comptes toxiques installés depuis plusieurs années, parfois suivis par des centaines de milliers de personnes.

Personne n'est revenu sur la qualité de l'intégralité de nos productions : nous avons cherché à faire de la qualité, et non de la quantité. Ce point est essentiel. Notre projet était pluriannuel : il faut évidemment faire un bilan, mais l'intérêt du projet ne se mesure pas sur six mois ou un an. Le projet vise à déconstruire les discours d'en face. Il s'inscrit dans le temps : pour qu'un compte perdure, avec une efficacité opérationnelle, il doit tout d'abord être qualitatif.

De ce point de vue, notre mission est réussie. Nous pouvons toujours discuter de la quantité des impressions et des engagements sur Twitter, mais pour nous, du point de vue qualitatif, l'objectif a été atteint, et il s'agissait des bases de notre projet, appelé à se poursuivre les années suivantes. Je ne sais pas si je réponds à votre question...

M. Claude Raynal, président. - Vous êtes libre de votre réponse.

M. Cyril Karunagaran. - Je rappelle les objectifs et les fondements du projet : nous ne pouvons pas nous arrêter sur le nombre de followers pour mesurer l'action menée et établir si nous avons atteint notre objectif. De ce point de vue, nous avons fait ce qu'il fallait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Où en êtes-vous du projet d'encyclopédie en ligne, que vous indiquez comme étant « en cours » dans ce document ?

M. Cyril Karunagaran. - Tout à fait. Cette encyclopédie en ligne réunit des définitions scientifiques qui supposent des recherches, pour déconstruire notamment tous les aspects de la propagande islamiste. Nous avons produit un grand nombre de définitions, qui comme dans un wiki comportent des liens entre chaque article, mais nous ne l'avons pas encore publié, car notre production n'est pas publiable pour l'instant. Nous irons au bout de ce projet, indépendamment de tout financement public, et nous continuerons à travailler dessus.

M. Claude Raynal, président. - Je n'arrive toujours pas à comprendre que vous continuiez à parler d'un projet conçu dans une perspective pluriannuelle, alors que les moyens alloués par le CIPDR ne correspondent qu'à la moitié de ce que vous espériez initialement. Vous ne bénéficiez pas de financements complémentaires. À quel moment déciderez-vous de changer de projet ? En l'absence de partenaire, si vous ne disposez pas de l'argent attendu pour le projet tel que vous l'imaginiez, vous devriez vous retourner vers le financeur, pour lui indiquer que le projet ne peut pas être réalisé. Vous devriez réduire votre ambition, réviser les moyens financiers, réduire le nombre de salariés ou de prestataires, pour retrouver un équilibre entre le projet et son financement.

Or dans vos réponses, vous continuez à vous placer dans une perspective de trois ans, qui n'existe plus, comme vous l'avez-vous-même indiqué. Elle a existé lors de votre première demande, mais elle n'existe plus, car les financements que vous demandiez pour 2022 dans le formulaire Cerfa ne pouvaient pas vous être accordés. Même si cette perspective n'existe plus, vous soutenez d'une certaine manière que vous investissez pour la suite plutôt que pour le présent, et que votre action ne serait pas quantifiable immédiatement.

Certes, vous découvrez le fonctionnement des financements publics. Mais les subventions publiques accordées à des associations servent à faire : il doit y avoir une réalisation concrète, l'action menée doit être quantifiable. Encore une fois, pour des associations, ces montants sont extrêmement significatifs. Vous-mêmes disposez d'un budget de 50 000 euros par an ; nous parlons de subventions non de 30 000 euros, mais de 355 000 euros, accordés à une association pour un projet qui démarre, même si votre association a une petite expérience. C'est tout à fait différent : il faut une gestion très précise, de votre part comme de celle du CIPDR - ce dernier point a fait l'objet de questions à M. Gravel, et je n'y reviendrai pas. Mais à quel moment vous dites-vous que vous allez dans le mur ? Dans les documents que nous avons reçus, vous indiquez que vous ne pouvez plus financer votre projet, payer des salariés, et que le projet s'arrête. Vous présidez l'association, vous avez des habitudes de gestion financière : vous voyez bien que vous allez dans le mur, mais pourtant les choses ne s'arrêtent pas. Expliquez-moi cela...

M. Cyril Karunagaran. - Je suis aussi là pour assumer mes responsabilités. Avons-nous commis des erreurs ? Oui, peut-être : notre première erreur a été de solliciter cette subvention sur un sujet sensible alors que, selon moi, notre association n'était pas prête à assumer un tel défi. Cela dit, nous avons signé des contrats à durée déterminée (CDD) qui s'arrêtaient en février ou en mars - la mémoire me fait défaut, mais c'est dans ces eaux-là. Nous avons pu payer tout le monde jusque-là. Ensuite, évidemment, nous avons réduit la voilure, de fait : au départ, le projet devait mobiliser une dizaine de personnes. Le projet a été vidé de sa substance, comme je vous l'ai indiqué, mais nous l'avons poursuivi avec les moyens accordés : cela ne préjugeait pas de la suite : rien ne nous empêchait de poursuivre ce projet, parce que, disons-le, la qualité de nos productions a été plutôt bien accueillie...

M. Claude Raynal, président. - Mais par qui ?

M. Cyril Karunagaran. - Par le CIPDR, notamment, avec lequel nous avions des échanges. Rien ne me laissait penser que le projet s'arrêterait brutalement. Nous sommes partis d'une feuille blanche ; il s'agissait de faire nos preuves, nous avons poursuivi dans ce sens-là, en réduisant la voilure quand il le fallait, et en tentant de gérer au mieux les fonds dont nous disposions.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Rentrons dans le détail de ce que vous appelez « la voilure ». Dans les pièces que nous avons reçues, il y a des évolutions concernant le nombre de salariés. Dans la fiche projet, ce sont d'abord dix salariés qui sont indiqués, puis six dans le formulaire Cerfa. Pour le projet, combien de personnes avez-vous recrutées ? Ces personnes ont-elles travaillé toute l'année ou une partie de l'année seulement ? Étaient-elles à temps complet ou à temps partiel ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous étions quatre, dont moi-même, M. Sifaoui et les deux personnes dont j'ai parlé : celle qui était responsable éditorial - juriste de formation - et celle qui s'occupait de la production de contenus vidéo. Elles ont travaillé jusqu'au début de l'année 2022, à plein temps au départ, puis une d'entre elles est passée à mi-temps. Quelques ajustements ont été faits. Grosso modo, il y avait quatre emplois à plein temps. Nous avions annoncé six emplois, et il y a eu quatre embauches.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le formulaire Cerfa, il était indiqué le chiffre de six emplois ; mais, en réalité, il y en avait quatre « grosso modo », pour reprendre vos mots.

M. Cyril Karunagaran. - J'ai dit grosso modo car il y a eu des évolutions. Une personne embauchée à temps plein est passée à mi-temps en cours de contrat. Il faudrait faire des calculs plus précis, en proratisant.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le projet a duré un an puisqu'il a été mis en oeuvre de juin 2021 à mai 2022. À ma connaissance, au vu des bulletins de salaires qui nous ont été transmis, dans les salariés nous avons une personne à mi-temps toute l'année, une à plein temps toute l'année, une à plein temps pendant six mois, et une à mi-temps pendant six mois et à plein temps pendant deux mois. Au total, cela représente 2,5 temps plein (ETP) pendant l'année du projet, et non pas quatre comme vous le disiez. Pouvez-vous me le confirmer ?

M. Cyril Karunagaran. - Je vous le confirme. Je n'ai pas fait le calcul, mais nous avions effectivement embauché les quatre personnes que vous avez citées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment expliquez-vous qu'on soit passé de 6 équivalents temps plein au départ à 2,5 ?

M. Cyril Karunagaran. - Lorsque nous avons rempli le formulaire Cerfa, nous attendions d'autres financements. Je suis d'accord pour être naïf et un peu optimiste à l'époque sur l'obtention des subventions que nous avions demandées, en revanche, je n'irais pas jusqu'à embaucher des gens sans savoir si nous pourrions les financer. Si nous n'obtenions pas ces subventions, nous n'aurions pas pu payer toutes les personnes embauchées.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Les dépenses de personnel représentaient dans votre projet un peu plus de 40 % des charges totales. Selon les éléments qui nous ont été transmis, elles représentent 77 % des dépenses exécutées. Par conséquent, d'autres dépenses ont été sous-exécutées. Comment expliquez-vous que les charges de personnel, pourtant réduites par rapport à l'ambition initiale de 6 à 2,5 ETP, pèsent aussi lourd dans votre budget ?

M. Cyril Karunagaran. - Ces chiffres proviennent-ils du compte rendu financier ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Oui.

M. Cyril Karunagaran. - La prévision en charges de personnel s'élevait à 233 600 euros ; le montant exécuté est de 193 468 euros. J'estime que nous sommes dans les clous. Nous avons dû réduire des éléments d'autres postes budgétaires parce qu'on n'a pas obtenu la totalité des sommes prévues, notamment la partie « autres services extérieurs », sur la publicité et les publications.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le taux de 77 % n'inclut pas les prestataires extérieurs.

M. Cyril Karunagaran. - Pour ma part, je dispose de la donnée suivante : un taux d'exécution de 83 %.

M. Claude Raynal, président. - Nous évoquons, pour notre part la part des salaires de 77 % sur l'ensemble des dépenses exécutées et non le taux d'exécution des dépenses salariales. Les deux principaux salariés représentent 73 %, ce qui est extrêmement significatif.

Pour en revenir à ma question précédente, vous estimez que vous êtes « dans les clous » par rapport à l'opération telle qu'elle a été présentée, en ayant fait un peu moins que prévu. La question n'est pas est-ce qu'on est dans les clous ou pas : la réponse est évidemment non ! Entretemps, le budget total s'est réduit considérablement. L'opération aurait dû être réduite à due proportion de la baisse du budget. Si l'on a moins d'argent pour faire, l'objectif n'est pas de payer des salaires, mais bien d'avoir un résultat, de monter un projet.

Si vous n'avez que 60 % des subventions attendues, votre projet doit être réduit de 40 % autant sur les prestations fournies que sur la partie salariale. Nous examinons les aspects budgétaires, au-delà des commentaires qui peuvent être faits sur les aspects qualitatifs, sur laquelle chacun peut avoir son avis. Or les salaires, qui devaient constituer 42 % du budget, finissent par représenter 77 % des dépenses réalisées. C'est la réalité des choses, et cela s'est fait au détriment des prestations et des contenus.

En toute logique, vous auriez dû considérer qu'en raison de la réduction du budget, il n'était plus possible de payer un salaire pour un plein temps à M. Sifaoui, un salaire pour un mi-temps pour vous-même... Si l'on garde l'ensemble des moyens sur les salaires, il ne faut pas s'étonner de ne pas avoir de résultats. À quel moment vous êtes-vous dit que le projet ne permettait plus de porter des charges salariales aussi importantes ? Vous n'avez pas ajusté, les salaires ont été maintenus.

M. Cyril Karunagaran. - Je suis complètement votre raisonnement qui est tout à fait logique. Mais nous étions arrivés à un seuil critique de dénaturation du projet initial. Je suis d'accord sur la réduction de personnel qui doit faire suite à une baisse du budget, mais là nous n'étions plus que l'équipe minimum. Pour produire, il faut des gens derrière. La preuve en est qu'avec le budget que nous avions, nous avons tout de même réussi à produire du contenu. Il faut réduire proportionnellement, certes, mais dans une certaine limite, car on finit par arriver à un seuil. Il faut des personnes pour faire notre travail, qui est essentiellement de la production intellectuelle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - La réduction n'est pas proportionnelle. Les charges de personnel, estimées au départ à un peu plus de 40 % du budget, passent à 77 %, ce qui laisse peu de place pour les moyens dédiés à la production de contenus du projet « I Laïc ». S'agit-il, selon vous, d'un élément d'explication ?

M. Cyril Karunagaran. - Notre équipe était vraiment au minimum, on ne pouvait pas réduire davantage. Je l'ai dit, nous avons mis fin aux CDD et conservé l'équipe « moteur ». Car si vous retirez le volant, les roues et le moteur, vous n'avez plus de voiture.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - En revanche, vous avez gardé le carburant puisque les salaires ont été maintenus !

M. Cyril Karunagaran. - Bien sûr, mais nous avons pu produire et travailler.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous avez produit du contenu, mais rapporté au budget total le montant qui a été consacré aux contenus est relativement modeste, autour de 20 %.

M. Claude Raynal, président. - Vous nous avez indiqué que vous étiez le directeur administratif et financier. Vous n'interveniez donc pas directement sur les contenus. Au final, le coût de la fonction administrative et financière a représenté de l'ordre de 30 % du budget. Ne vous êtes-vous pas dit à un moment donné que cela était excessif et qu'il fallait réduire ce coût ?

Dans le cadre de la gestion de projet, la partie administrative et financière représente habituellement 7 à 8 % de l'enveloppe financière. Dans le monde associatif, c'est l'ordre de grandeur qui est très souvent admis. En l'espèce, on atteint un taux de 30 %. Un travail a certes été effectué, mais il n'y a pas eu d'ajustement à la réalité des sommes consacrées in fine. Nous ne trouverons pas de terrain d'accord sur ce point, mais nous pensons que, face à une baisse des subventions, il faut réduire les charges salariales pour garder le projet. Ce n'est jamais agréable, mais c'est quasiment une nécessité. Si le bilan nous apparaît pauvre - on peut en discuter à l'infini -, c'est parce que l'argent a été utilisé pour les fonctions support et pas pour l'exécution de la mission. Tel est notre point de vue.

M. Cyril Karunagaran. - Je le comprends parfaitement.

En revanche, nous avons fait un ajustement, pas en réduisant la masse salariale, mais au niveau de la répartition des tâches. Au vu de l'ampleur du projet au départ, je m'occupais de la partie administrative et financière. Chemin faisant et l'équipe se réduisant, je me suis occupé aussi de l'opérationnel. Mes tâches n'étaient pas seulement liées à l'administratif ou au financier.

M. Claude Raynal, président. - J'ai repris vos mots : quand vous avez présenté votre fonction, vous avez indiqué que vous étiez directeur administratif et financier, et non pas que vous réalisiez des vidéos.

M. Cyril Karunagaran. - Effectivement, j'ai fourni un travail en dehors des tâches administratives et financières. J'avais la responsabilité de la ligne éditoriale. Les publications étaient toutes revues, avec deux niveaux de contrôle. Vous le savez, le sujet était très sensible, surtout à cette période-là. Je n'ai jamais eu de commentaire sur la qualité des productions et l'engagement moral que nous avions pris, et cela résulte de la ligne éditoriale que nous avons mise en place.

Je participais également à des visioconférences toutes les semaines avec les équipes, pendant lesquelles les contenus étaient revus. Cette tâche était en dehors de mes fonctions administratives et financières. C'est de cette façon que nous avons ajusté les choses de notre côté.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Nous en venons à la dernière partie de l'audition, qui concerne les opérations de contrôle du secrétariat général du CIPDR. Au regard des éléments qui nous ont été transmis, l'absence de versement de la deuxième tranche de la subvention se trouve justifiée par le niveau d'engagement des dépenses par rapport au budget prévisionnel - c'est la règle des 60 %.

Lors de son audition par notre commission, le secrétaire général, M. Gravel, a précisé que la décision de ne pas verser la part complémentaire de la subvention relevait d'abord d'un dysfonctionnement en termes d'information de votre part, et donc pas principalement en raison du niveau insuffisant d'engagement des dépenses.

De quelle façon vous a été justifié le refus de verser la deuxième tranche de la subvention de la part du secrétariat général du CIPDR ?

M. Cyril Karunagaran. - Je n'ai pas connaissance de ces raisons. Le sujet a été évoqué pour la première fois en février ou mars 2022. Je reçois une demande du CIPDR de compléter le document attestant que j'ai engagé 60 % des dépenses, afin de percevoir la somme restante.

Nous avons eu un échange avec le CIPDR, au cours duquel j'ai expliqué que ce taux n'avait pas été atteint et qu'au vu de la ventilation du budget, ce n'était pas possible. J'ai renvoyé l'état récapitulatif des dépenses, qui était une trame déjà préparée. Nous n'avons pas demandé le solde de la subvention. Ensuite, cette question ne s'est plus posée jusqu'au mois de février de cette année. J'ai alors de nouveau échangé avec le CIPDR. Nous avions convenu qu'en raison de la non-utilisation de plus de 60 % du budget, je ne pouvais pas prétendre au versement du solde. Voilà les seules informations dont je dispose.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je n'ai pas tout à fait les mêmes au regard des éléments qui nous ont été transmis. Je vous ai bien entendu dire qu'il ne s'était rien passé de mars 2022 à mars 2023. D'après les éléments qui nous ont été transmis, vous semblez avoir été - je pèse mes mots - très peu réactif aux demandes du secrétariat général du CIPDR, au point même de cesser de répondre à ses sollicitations entre novembre 2022 et février 2023.

M. Cyril Karunagaran. - S'agissant du versement du solde, nous en avons discuté en mars 2022, puis en février 2023.

J'ai effectivement reçu un mail du SGCIPDR en novembre 2022 concernant une absence d'éléments.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Donc vous auriez tendance à dire que le secrétariat général n'a pas été très présent concernant l'absence des éléments de réponse qu'il vous avait demandés ?

M. Cyril Karunagaran. - J'ai eu un échange avant la date prévue pour la fin du projet, c'est-à-dire avant le 31 mai 2022, avec le SGCIPDR. Nous avons fait un bilan téléphonique de nos actions.

Par ailleurs, j'ai reçu, le 10 novembre, un mail me demandant ces informations.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je le redis, selon mes informations, vous n'avez répondu à aucun des mails envoyés, ni à aucun appel, ni à aucun texto. Vous auriez même rejeté un appel.

Vous dites ne pas en avoir eu connaissance vous-même.

Vous êtes président, directeur des affaires financières (DAF), à mi-temps. J'ai un peu de mal à retrouver l'intégralité de vos responsabilités dans votre agenda. J'essaie vraiment de comprendre.

M. Cyril Karunagaran. - Je n'ai pas souvenir de ces appels. Pour ma part, j'ai retrouvé ce mail du 10 novembre, et je me souviens d'avoir eu un contact fin mai 2022. Toutefois, ma mémoire n'est pas exhaustive !

C'était la première fois que je travaillais avec une subvention publique. Je souhaitais obtenir l'assistance de notre expert-comptable pour retourner les éléments le plus fidèlement possible.

Après ce mail, nous avons travaillé rapidement, afin de présenter des chiffres au SGCIPDR. J'ai reçu un appel du secrétariat général à la fin du mois de février 2023. À cette occasion, on m'a annoncé que, du fait de la clôture budgétaire, il était impératif que j'envoie les éléments rapidement. Je me suis exécuté dans les jours qui ont suivi. Voici ma lecture de la chronologie.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Permettez-moi de vous lire quelques textos.

Le premier date de novembre 2022 : « Je reviens vers vous au sujet de la convention échue au 31 mai 2022 et des éléments de bilan à nous fournir au plus tard le 18 novembre. Je vous ai envoyé un mail à ce sujet récapitulant les documents à nous transmettre. Je reste à votre disposition par téléphone si vous le souhaitez. »

Deuxième texto, « j'ai urgemment besoin que nous ayons cet échange téléphonique lundi et d'avoir les éléments de bilan relatifs à vos actions. Lundi à 11 heures vous conviendrait-il ? », auquel vous avez répondu : « Je ne peux vous répondre, je rappelle dès que possible. »

Troisième texto, en date du 14 novembre, « je reviens vers vous au sujet du mail envoyé le 10 novembre au sujet de la convention arrivée à échéance le 31 mai 2022. »

Il s'agit d'éléments factuels s'ajoutant les uns aux autres. C'est la raison pour laquelle j'ai besoin que vous disiez ne pas en avoir eu connaissance, même si nous disposons d'un élément de réponse à un texto.

Est-ce le moment, pour vous, de dire que vous avez failli à tel ou tel moment ? Notre mission est de contrôler les versements d'argent public au Fonds Marianne, qui répond à un appel à projets dont nous connaissons le contexte et qui est porteur de valeurs très fortes. Nous devons nous assurer que l'argent versé est bel et bien dépensé, qu'il n'y a pas de défaillance de la tutelle et que les associations agissent en conséquence.

M. Cyril Karunagaran. - Je vous confirme la date du 10 novembre, le mail ayant dû être doublé d'un texto, auquel j'ai donc répondu.

Pour autant, je n'ai pas eu d'échange entre la fin du projet et ce mail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - L'action est engagée, vous devez fournir un bilan six mois plus tard, qui n'est pas fourni. Un an plus tard, vous recevez un mail, et vous convenez désormais que vous avez eu deux ou trois contacts à la suite de ce mail. Il ne se passe plus rien ensuite.

M. Cyril Karunagaran. - Entre novembre et janvier, pour des difficultés d'ordre personnel, j'ai été un peu moins présent. Malgré mon inexpérience en matière de subventions publiques, j'ai pris tout à fait conscience, à la réception du mail du 10 novembre, qu'il me fallait répondre avant le 18 novembre, alors même qu'il s'agissait d'éléments complexes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Une telle complexité ne constituait pas une surprise, dans la mesure où vous auriez dû fournir ces éléments six mois plus tôt.

M. Cyril Karunagaran. - J'en conviens.

Dans les jours qui ont suivi, je me suis activé, avec l'expert-comptable, pour avoir des chiffres exacts, d'autant que nous étions sur des actions qui chevauchaient deux exercices. J'ai tout envoyé en décembre, janvier et février. J'ai essayé de faire au mieux, même si j'étais en retard d'un an.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 26 mars dernier, vous avez un échange téléphonique avec le préfet Christian Gravel. Quelle en est la teneur ?

M. Cyril Karunagaran. Le 26 mars ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je pense que vous devez vous souvenir des appels du préfet Christian Gravel.

M. Cyril Karunagaran. Je me souviens très bien des discussions que j'ai eues avec M. Jean-Pierre Laffite. Je ne sais pas si l'appel que vous évoquez est antérieur ou postérieur.

M. Claude Raynal, président. - C'était il y a deux mois !

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Normalement, postérieur !

M. Cyril Karunagaran. - Il m'a certainement appelé pour la fourniture des documents que je n'avais pas envoyés dans les temps. Je me souviens lui avoir demandé s'il était satisfait du projet. Nous nous sommes plutôt entendus.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il doit y avoir un lien de cause à effet entre son appel et les documents non fournis.

Avez-vous eu des retours du contrôle sur pièces lancé par le SGCIPDR le 17 mars 2023 ? Quels ont été les échanges que vous avez eus avec le SGCIPDR depuis que vous avez transféré les documents demandés pour le contrôle du 27 mars dernier ? Comment se déroule ce contrôle ? Suscite-t-il des inquiétudes ou bien êtes-vous serein, après avoir rassemblé l'ensemble des pièces ?

M. Cyril Karunagaran. - À la suite de l'envoi des pièces demandées, j'ai reçu un mail m'informant que l'association était sélectionnée pour un contrôle. Je pense avoir réagi assez rapidement, puisque j'avais à ma disposition l'ensemble des éléments. Depuis lors, je n'ai pas eu de nouvelles de ce contrôle.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - J'aurais tendance à penser que, dans la mesure où il s'agit essentiellement de salaires, ce contrôle ne devrait pas être très compliqué à effectuer.

M. Cyril Karunagaran. - Que voulez-vous dire par là ?

M. Jean-François Husson, rapporteur. - S'il s'agit uniquement de versements de salaires, il est assez simple de collationner les différents documents.

M. Claude Raynal, président. - Le contrôle ayant eu lieu le 27 mars et l'appel du préfet le 26 mars, on pourrait imaginer que ce dernier vous a annoncé la mise en place de ce contrôle.

M. Cyril Karunagaran. - Je n'étais pas au courant de ce contrôle.

M. Claude Raynal, rapporteur. - Avez-vous fait établir, comme il est d'usage pour des subventions importantes, c'est-à-dire supérieures à 153 000 euros, un rapport par un commissaire aux comptes ?

M. Cyril Karunagaran. - Un commissaire aux comptes a été nommé après la réception de la subvention. En effet, auparavant, nous n'avions pas de commissaire aux comptes. Cependant, en raison des difficultés internes que je vous ai précédemment exposées, je n'ai plus accès aux éléments qui ont été transmis au commissaire aux comptes. Nous avons en effet subi une nouvelle tentative de prise de contrôle, qui a été dénoncée en justice. Aujourd'hui, je dois attendre que le juge du fond tranche pour récupérer le contrôle de nos échanges avec nos interlocuteurs.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous aviez évoqué la sollicitation de régions. Avez-vous formellement déposé des demandes de subventions auprès de celles-ci ? Pour quel motif n'ont-elles pas répondu favorablement à votre demande ?

M. Cyril Karunagaran. - Je ne peux pas répondre à la place des régions ! Nous n'avons pas formellement déposé de dossier, nous ne sommes pas allés jusque-là. Nous avons également approché des financeurs privés, mais rien n'a abouti.

M. Christian Klinger. - Permettez-moi de revenir sur les rémunérations. Vous avez dit que vous avez maintenu les salaires et réduit les tâches. Combien de temps consacriez-vous à vos publications ? Certes, je ne peux évaluer la qualité du travail. Je le rappelle, en une année, il y a eu 21 publications sur TikTok et 67 sur Instagram.

M. Thierry Cozic. - Concernant la nomination du commissaire aux comptes, je n'ai pas bien compris votre réponse à la question posée par M. le président de la commission.

Vous dites n'avoir pas eu accès au travail du commissaire aux comptes, en raison d'un conflit. Or, à la suite des propos que vous avez tenus, j'ai compris que ce conflit remontait à 2018. J'ai du mal à comprendre le rapport entre ce conflit de 2018 et la nomination d'un commissaire aux comptes en 2022.

Par ailleurs, je m'interroge depuis le début de votre audition sur l'organisation de l'association. Vous en êtes le président ; j'ai compris que M. Sifaoui en était l'administrateur. Or il me semble que, en droit français, et sous toutes réserves, il n'est pas possible d'être rémunéré quand on est dirigeant d'une association. Vous êtes-vous interrogé sur ce point, qui relève du b-a ba, quand on est dans le milieu associatif ?

M. Cyril Karunagaran. - Pour répondre à M. Klinger, nous avons réduit la partie administrative et financière de mes fonctions, afin que je puisse me consacrer au travail relatif aux publications. Il est effectivement difficile d'appréhender mon travail par le biais du nombre de tweets. Tout cela nécessite un travail très important, avec des revues de presse, de l'information et de la formation, un vrai travail de veille particulièrement chronophage. Je pense que le nombre d'heures réellement effectué dépassait largement le nombre d'heures indiqué sur nos bulletins de paye.

S'agissant des conflits, nous avons eu un conflit en 2014, un autre en 2018 et un dernier en 2023. Des journalistes sont intervenus, et la volonté des gens qui souhaitent prendre le contrôle de l'association d'instrumentaliser les enquêtes.

Le conflit de 2023 consiste en une tentative de prise de contrôle illégale, que nous avons dénoncée. Cela remonte, très précisément, au 25 janvier 2023.

M. Thierry Cozic. - Ma question portait sur le commissaire aux comptes...

M. Cyril Karunagaran. - Le commissaire aux comptes et l'expert-comptable veulent que la justice tranche, avec une présidence claire. Les personnes ayant tenté de prendre le contrôle de l'association se sont autodéclarées à la direction de l'association. Cela a été relayé dans la presse. Je crois même qu'un communiqué de Mme Schiappa évoque la nouvelle direction de l'association alors qu'il s'agit de sujets qui sont aujourd'hui entre les mains de la justice. De fait, l'expert-comptable et le commissaire aux comptes attendent une réponse claire de la justice pour savoir qui est leur interlocuteur. Dans l'intervalle, c'est une question à laquelle je ne suis pas en mesure de répondre.

La seconde question que vous m'avez posée concerne notre statut au sein de l'association. Nous avions évidemment pris conseil avant de signer ces contrats de travail, ce qui ne posait a priori aucune difficulté au regard de la loi française. À la suite de l'emballement survenu en début d'année, nous avons également consulté un avocat spécialisé, qui nous a confirmé qu'il était à la fois possible de détenir un contrat de travail et de faire partie d'une association, voire d'en être à la direction. Je ne suis pas spécialisé en droit du travail et je ne suis pas non plus avocat. Je ne peux que répéter ici les informations qui m'ont été données.

M. Daniel Breuiller. - Je vous remercie de votre franchise à propos de votre « naïveté » ou de votre manque de compétences sur certains sujets. Nous avons tous nos limites. Ma question porte sur le statut de votre association. Tout le monde peut-il adhérer à votre association ou faut-il être parrainé ? Existe-t-il des critères ? Par ailleurs, est-ce que les statuts de l'association autorisent le paiement de ses dirigeants ? Je crois qu'il faut que cela soit mentionné dans les statuts. Cela y figure-t-il ? De quand datent vos statuts ? J'ai présidé une très ancienne association - je n'étais pas né lorsqu'elle a été créée. Je suis donc bien placé pour savoir qu'en général on ne refait pas les statuts aussi souvent qu'il le faudrait. Vos statuts sont-ils récents et prévoyaient-ils ces éléments ?

M. Cyril Karunagaran. - Nous avons constitué dès 2016, à la suite des difficultés que nous avons rencontrées, un comité de validation pour les nouvelles demandes d'adhésion. Il s'agissait, en quelque sorte, d'éviter les « putschs », en réponse aux problèmes de 2014 où un afflux impressionnant d'adhérents avait permis l'élection d'un nouveau président, etc. Depuis 2016, toutes les nouvelles demandes d'adhésion doivent être, soit parrainées, soit validées par le conseil d'administration.

Concernant les statuts, ils datent effectivement du début du siècle dernier. Plusieurs éléments ne sont donc plus à jour. Nous avons tenté d'y remédier, je crois que c'était en 2016 - cela avait été inscrit, à mon arrivée à la présidence, à l'ordre du jour d'une l'assemblée générale extraordinaire. Un avocat faisant partie de la direction de l'association, nous nous sommes tout naturellement tournés vers lui pour la rédaction des nouveaux statuts. Malheureusement, sa proposition n'a pas été validée en assemblée générale, d'autant qu'il s'agit d'un processus complexe.

S'agissant de la rémunération des administrateurs, encore une fois, je m'en suis remis aux mains des professionnels. À l'époque, l'avocat dont je vous parlais a également signé un contrat de travail. Pour moi, cela ne faisait donc pas de difficulté. Par ailleurs, les conseils pris au départ du projet allaient également en ce sens. Idem pour le conseil postérieur, qui a confirmé ces éléments d'information. Mais encore une fois, je ne suis pas juriste, je ne fais que vous répéter ici ce que mes avocats m'ont dit.

M. Claude Raynal, président. - Je vous remercie d'avoir répondu à cette question, qui est périphérique à notre mission puisqu'elle relève du droit privé et non de la question du fonctionnement du fonds. Je vous remercie également d'avoir répondu à notre invitation. En deux heures, nous avons fait le tour du sujet de manière assez précise.

La réunion est close à 12 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Fonds Marianne - Audition de Mme Ahlam Menouni, présidente de Reconstruire le commun

M. Claude Raynal, président. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information que notre commission a décidé de constituer sur la création du « fonds Marianne », la sélection des projets subventionnés, le contrôle de leur exécution, et les résultats obtenus au regard des objectifs du fonds. Cette mission d'information a obtenu du Sénat de bénéficier des prérogatives des commissions d'enquête.

Nous entendons Mme Ahlam Menouni, présidente de l'association Reconstruire le commun.

Nous attendons de votre audition que vous puissiez nous préciser à la fois la genèse de votre association, vos priorités d'action et dans quelle mesure vous considérez que les contenus produits par votre association répondent aux objectifs du fonds Marianne.

Avant de vous céder la parole pour un bref propos introductif, je dois vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Ahlam Menouni prête serment.

Mme Ahlam Menouni, présidente de Reconstruire le commun. - Je vous remercie de me donner l'occasion de pouvoir être auditionnée dans le cadre de cette commission d'enquête, sous serment et en public.

Je vais tenter, dans un propos introductif assez bref, de remettre un peu d'ordre dans le tourbillon de désinformations et d'approximations que j'ai pu lire ces dernières semaines. Je tiens à rappeler qu'à la suite d'un article totalement à charge, repris sans la moindre précaution par de nombreux journalistes et personnalités politiques, nous avons vécu dix semaines absolument délirantes. Nous avons vu se propager de fausses informations sur nous, sur nos affiliations politiques, sur nos motivations et sur notre travail. J'ai lu tout et son contraire concernant l'association « Reconstruire le commun ». Si vous le permettez, je commencerai depuis le début.

Je suis Ahlam Menouni, j'ai trente-six ans, je suis ingénieur urbaniste et j'ai quatorze ans d'expérience professionnelle, notamment dans la conduite de projets complexes, d'abord chez un major de la construction et ensuite dans un établissement public d'aménagement de premier plan. Si je précise cela, c'est qu'à lire certains articles nous serions une bande de jeunes inexpérimentés. À mes côtés, le secrétaire de l'association, Johann Margulies, trente-six ans également, est ingénieur nucléaire, enseignant à Sciences Po Paris et responsable développement durable dans une collectivité d'Île-de-France. Enfin, notre trésorier est magistrat en chambre régionale des comptes.

Je suis d'origine marocaine et je suis de culture musulmane. Je suis arrivée en France il y a dix-sept ans. J'ai été naturalisée en 2013. Avec Johann Margulies, nous avons partagé une prise de conscience républicaine au moment des attentats de 2015. À la lumière de ce que j'ai vécu, j'ai vu se reproduire sous mes yeux les mêmes mécanismes qui se sont déployés au Maroc, au tournant des années 2000, l'arrivée des chaînes satellitaires, notamment Al Jazeera, qui sont rentrées dans les foyers. J'ai vu la société, j'ai vu mon entourage entrer dans une forme de rigorisme religieux tout à fait inédit, y compris pour une société conservatrice musulmane. Ce glissement lent a été ensuite suivi d'un premier choc, celui des attentats de Casablanca de 2003, qui m'avait particulièrement affectée.

De mon point de vue, le traitement médiatique de la question de l'islam en France n'était pas au niveau des enjeux. Les Français de confession musulmane sont assimilés, soit à une « cinquième colonne », soit à des éternels mineurs à protéger. Le coeur du problème, c'est-à-dire l'analyse des mécanismes de pénétration de l'islamisme dans la société en tant que fait politique majeur, était absent du débat et - disons-le franchement - inaudible.

Notre analyse est que les sujets de l'universalisme et de la laïcité, qui doivent nous rassembler en tant que Nation, étaient devenus des positions politiques génératrices de clivages. Pour nous, l'urgence première était de stopper l'hémorragie, de remettre tout le monde autour de la table et de recréer du commun républicain en l'ancrant dans les réalités de la jeunesse. Nous avons alors décidé de nous lancer avec humilité dans ce projet qui ne peut se penser que sur le temps long : dix ou quinze ans minimum. Il fallait bien démarrer quelque part : la saison 1 était la saison pilote pour poser les fondations.

Nous avons décidé de le faire en nous engageant de manière totalement bénévole, sur notre temps libre, en parallèle de nos vies professionnelles. Je tiens à le rappeler, nous ne vivons pas de nos engagements : les membres de l'association ne se sont pas versé un seul euro.

Je souhaitais également clarifier un point qui est fondamental pour bien appréhender nos productions. Notre projet répondait au deuxième objectif qui est de « défendre les valeurs républicaines de liberté, de conscience et d'expression, d'égalité, entre tous les hommes et entre toutes les femmes, de fraternité et de laïcité qui sont le ciment de la concorde et de la cohésion nationales ». Nous nous inscrivons donc pleinement dans l'objectif numéro 2 de l'appel à projets « fonds Marianne ».

Je tiens également à préciser que notre projet préexistait au fonds. Notre première rencontre avec le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) a eu lieu après la création formelle de l'association. Le processus a été accéléré, de notre côté, par le choc de l'assassinat de Samuel Paty et par la confirmation à cette occasion de notre constat sur le rôle des réseaux sociaux. Le CIPDR a très vite manifesté de l'enthousiasme vis-à-vis de notre projet. Nous avions le sentiment, à l'époque, d'un alignement sur l'état des lieux et la stratégie à adopter.

Il nous a accordé une première subvention de 39 000 euros fin 2020, qui nous a permis de mener les toutes premières actions de l'association, notamment la création d'un site vitrine pour le projet. Nous avions déjà, en mars 2021, un projet stabilisé, qui esquisse en détail les contours d'une plateforme éditoriale appelée « Comme Un ». Nous avons ensuite été en mesure de nous mobiliser pour l'appel à projets et de proposer un dossier qui, visiblement, a convaincu.

Une fois la convention signée, nous avons tout mis en oeuvre pour respecter l'ensemble de nos engagements. De septembre 2021 à juin 2022, nous avons produit à des prix très concurrentiels plus de dix formats éditoriaux différents, notamment sept formats audiovisuels, cinquante-sept vidéos, le tout pour vingt-deux heures cumulées.

Avons-nous parlé de politique en tant qu'affaire de la cité ? Oui, et nous l'assumons parfaitement. Le sujet de la plateforme « Comme Un » est éminemment politique, au sens le plus noble du terme. Nous l'assumons depuis la phase de candidature où il était déjà question de réactions à l'actualité et d'« infotainment », c'est-à-dire de divertissements politiques.

Avons-nous diffusé des posts partisans ? Absolument pas ! Il n'y a même pas sur nos pages le petit post classique appelant au barrage républicain à l'entre-deux-tours de la présidentielle. C'est dire notre rigueur sur le sujet de la neutralité partisane.

Depuis six semaines maintenant, nous subissons avec mon équipe une campagne de désinformation médiatique et de harcèlement sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. Nous subissons aussi des menaces, dont une que je voudrais particulièrement souligner : le Collectif contre l'islamophobie en Europe (CCIE), émanation du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui a été dissous par décret validé par le Conseil d'État le 24 septembre 2021, a produit une vidéo contenant les photos, les noms et les prénoms de plusieurs membres de l'association et chroniqueurs, pour être bien sûr que nous soyons identifiés. Malheureusement, on sait ce que ce genre de procédé fait peser comme type de menaces...

Face à cela - nous parlons bien de notre intégrité physique et pas uniquement d'un potentiel litige contractuel -, nous n'avons reçu aucun soutien de la part du CIPDR. Au contraire, puisqu'en rentrant chez moi, le soir du 16 mai, après l'avoir appris en direct, j'ai trouvé une lettre en recommandé, demandant un remboursement qui nous a été adressé quelques jours plus tôt, plus précisément en date du 12 mai. Voilà donc la réponse de l'État qui entend lutter contre la menace séparatiste : sortir les parapluies à la première attaque !

Vous m'avez aimablement permis, monsieur le président, de diffuser une courte vidéo. Je vous en remercie, car nous avions à coeur avec mon équipe de montrer un très court échantillon de nos productions à ceux qui n'auraient pas eu le temps de les visionner, afin de donner une image plus fidèle de notre démarche.

(Diffusion d'une vidéo échantillon)

M. Claude Raynal, président. - Merci de nous avoir donné un aperçu des vidéos qui ont été produites par votre association ; elles témoignent d'une certaine qualité dans la manière dont ça a été filmé, et sur la gestion de l'image et de la lumière. L'extrait qui a été diffusé s'achève sur la polémique concernant la période de la campagne électorale. Une plainte a été déposée à ce sujet et le Parquet national financier (PNF) examine le dossier. Il ne nous appartient pas de le commenter.

Pourriez-vous rappeler les objectifs précis que vous vous étiez fixés et les projets que vous envisagiez, lors de la création de votre association ? Aviez-vous déjà pris contact avec le CIPDR et son secrétaire général ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous avions commencé à nous intéresser à ces sujets de manière très sérieuse à partir de 2015, ce qui nous a conduits à faire de la veille sur les réseaux sociaux et à rencontrer de nombreuses personnes actives dans ce domaine, sous des formes différentes, mais en ligne principalement.

À partir de 2018, 2019 et 2020, notre constat a été que la jeunesse est imperméable au discours républicain institutionnel. Il semble que sur les réseaux sociaux les jeunes s'intéressent aux récits identitaires, que ceux-ci soient de droite, comme ceux qui parlent de « grand remplacement », ou de gauche, comme ceux qui valorisent les identités. Or, les mouvements identitaires qui développent ces récits ont dix à quinze ans d'avance sur nous, sur les réseaux sociaux, et ont su adapter leur discours aux codes et à ce qui peut intéresser la jeunesse. À l'inverse, le discours républicain, qui nous a toujours structurés en tant que Nation, a raté ce changement de média. On est passé de la presse écrite et de la télévision à la presse écrite et aux réseaux sociaux.

En prolongeant notre réflexion, nous avons constaté que ceux qui étaient les plus actifs sur ce type de sujet, dans le milieu laïc, avaient en moyenne entre 45 et 50 ans, et que leur manière de présenter ou de défendre un discours passait par des concepts qui restaient trop inaccessibles, trop abstraits et pas assez ancrés dans ce qui intéresse la jeunesse française. La jeunesse est engagée sur les questions de justice sociale, du climat, des discriminations... La République et la laïcité ne les intéressent pas plus que ça. Par conséquent, face à ce constat d'un récit républicain abstrait et d'un fossé générationnel au sein du milieu laïc, il nous a semblé nécessaire d'intervenir, notamment pour adapter le discours républicain aux codes de l'époque.

Nous projetions déjà, en 2020, de lancer une association et dès le début du mois d'octobre, nous avions élaboré une première version des statuts. L'assassinat de Samuel Paty, événement bouleversant, nous a incités à accélérer. Les brouillons ont été validés, et les statuts ont été déposés en préfecture le 29 octobre 2020.

Le CIPDR m'a contactée une première fois par mail, à la fin du mois d'octobre 2020, suite à une recommandation d'un universitaire reconnu sur le sujet à qui j'avais présenté notre projet. J'ai rencontré le secrétaire général pour la première fois en novembre 2020, donc bien après la création officielle de l'association. Je lui ai présenté le projet, et il avait l'air vraiment enthousiaste que des jeunes capables de gérer la complexité, s'intéressent à ces questions. Puis, il y avait peut-être une question d'image. Notre association, fondée par Yoann et moi, un juif et une musulmane, faisait un peu « scénario de film français ». Nous nous sommes rendus compte tous les deux que ce qui nous permettait d'être amis, c'était l'article 1er de la Constitution. Dans d'autres pays, y compris le pays d'où je viens, notre amitié aurait été impossible, ou du moins distante.

Le CIPDR nous a ainsi octroyé un premier financement d'un montant de 39 000 euros. Le CIPDR a financé le lancement de notre site internet et tout le travail de conception préliminaire de conception de notre plateforme éditoriale, « Comme Un ».

M. Claude Raynal, président. - Cette première subvention de 39 000 euros en 2020, n'a été engagée qu'en 2021 pour des raisons administratives, car on ne peut plus engager de fonds à partir d'une certaine date, et a servi à financer les opérations que vous venez de mentionner.

Vous avez indiqué qu'entre 2015 et la création de l'association, vous avez côtoyé tout le « petit » milieu - j'entends par le nombre - qui intervient régulièrement sur ces sujets. Lors de son audition, M. Gravel nous indiquait que votre association était en partie issue d'un collectif nommé « On vous voit », dont les pratiques ont fait l'objet de débats. Considérez-vous que votre association est issue de ce collectif ?

Mme Ahlam Memouni. - Le collectif « On vous voit » a suscité de nombreux fantasmes, y compris au sein du CIPDR, qui a dit que nous en sommes issus. En réalité, il s'agit d'un collectif informel, oeuvrant sur internet, de manière amateur. En 2020, il faisait de la veille sur les candidats aux municipales qui jouaient la carte du communautarisme, tous partis confondus.

Notre projet n'a rien à voir avec cette démarche, il ne s'inscrit pas dans la même temporalité, ne vise pas les mêmes objectifs et n'a pas besoin des mêmes moyens. Il est vrai que certains membres du collectif se sont emballés pour notre projet, à titre individuel, car à l'inverse de leur mode d'action, basé sur la réaction et la riposte, notre démarche repose sur le discours. Je ne souscris pas à la notion d'un contre-discours républicain, car elle suppose que l'on se positionne en réaction, et donc avouer que l'on a perdu. Or le discours républicain existe bel et bien, selon nous : il suffit de le remettre au goût du jour pour qu'il continue d'être transmis.

M. Claude Raynal, président. - En quelque sorte, vous tentez d'avoir un discours positif plutôt qu'un discours moralisateur qui s'inscrirait en réaction à un autre type de discours.

Mme Ahlam Menouni. - Oui, mais je précise que « positif » ne veut pas dire « consensuel ». En effet, nous avons toujours considéré qu'il fallait aborder les questions qui fâchent, celle des religions, de la laïcité et de l'universalisme qui devraient structurer notre société, mais qui sont aujourd'hui des lignes de fracture au sein de la jeunesse. Pouvoir en discuter est un préalable indispensable.

M. Claude Raynal, président. - Vous côtoyez le milieu laïc qui intervient sur ces questions depuis 2015. Or il existait déjà des associations, dont vous connaissiez certainement l'existence et qui, pour la plupart, ont fait partie du fonds Marianne. Pourquoi ne pas avoir fait le choix d'adhérer à ces associations ? En quoi votre proposition était-elle innovante ou différente ?

Mme Ahlam Menouni. - Je n'ai jamais adhéré à un parti politique ou à une association, avant de m'engager dans celle que j'ai créée. C'est un monde que je connais, mais qui n'est pas le mien. Bien sûr on ne part pas de zéro, mais ce que nous avions pu voir dans l'écosystème de ce milieu ne correspondait pas à notre projet, tel que nous l'envisagions. Nous risquions notamment d'être bridés, car nous souhaitions taper là où cela fait mal, tout en conservant une certaine légèreté dans la manière de le faire, alors que la plupart des associations sont dans un discours uniquement consensuel.

M. Claude Raynal, président. - Votre premier projet était évalué à 70 000 euros, dont 39 000 euros d'aides. L'avez-vous réalisé et où avez-vous trouvé le reste du financement ?

Mme Ahlam Menouni. - Dans le budget prévisionnel pour ce premier projet, nous avions inscrit la prévision de la subvention de 39 000 euros et nous espérions attirer d'autres types de fonds, notamment privés. Cela n'a pas été le cas, sans doute parce que le sujet que nous traitons reste d'intérêt général et très régalien, ce qui n'intéresse pas forcément les mécènes privés, qui sont plutôt portés sur des thèmes comme la préservation de l'environnement ou l'inclusion sociale. Nous avons continué de démarcher d'éventuels partenaires - nous avons rencontré des gens qui ont trouvé notre démarche intéressante -, mais sans aboutir.

M. Claude Raynal, président. - Il s'agissait d'une subvention assez modeste. M. Gravel avait parlé d'aide au démarrage dans la presse - il n'a pas repris exactement les mêmes termes lors de son audition. Vous avez donc réalisé l'intégralité de ce projet avec un budget de 39 000 euros ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui, pour la première partie du projet.

M. Claude Raynal, président. - M. Gravel nous a indiqué que cette aide de 39 000 euros avait été conditionnée, je le cite, « à l'absence de tout message de nature politique ».

Avez-vous entendu cela ? Cette condition a-t-elle été formalisée par oral ou par écrit ? Comment l'avez-vous perçue ?

Mme Ahlam Menouni. - J'ai écouté avec attention l'audition du secrétaire général du CIPDR. Il a utilisé l'expression de « condition sine qua non ». À mon sens, une telle condition doit alors avoir une traduction au niveau du contrat, ce qui n'a pas été le cas dans les deux conventions que nous avons signées, aussi bien la première que celle du fonds Marianne, qui sont à peu près les mêmes - ce sont des conventions type. Au-delà des questions qui nous intéressent aujourd'hui, aucune condition portant sur notre ligne éditoriale n'y figure et la plupart de leurs articles ont trait au bon suivi administratif.

Aucun objectif métrique, si je puis dire, précis, n'y était indiqué, ni aucune limitation, en tout cas, écrite sur ces questions.

M. Claude Raynal, président. - Au-delà de la convention - il est en effet compréhensible qu'une telle disposition soit difficile à écrire -, dans le cadre de votre conversation, des recommandations vous ont-elles été faites ?

Mme Ahlam Menouni. - De nombreux membres de notre association ont un passé militant, des convictions et des positions tranchées. Je pense que la crainte du Secrétaire général, lors de nos conversations, était que cela influe peut-être sur le projet.

M. Claude Raynal, président. - Factuellement, vous en a-t-il parlé ou non ? Cela a-t-il fait l'objet d'un échange de confiance - en discussion libre -, si je puis dire ?

Mme Ahlam Menouni. - Il ne nous a jamais interdit de faire des contenus politiques.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment avez-vous eu connaissance de l'appel à projets du fonds Marianne ? Est-ce que vous en aviez eu connaissance avant le début de l'appel à projets ?

Mme Ahlam Menouni. - Du fait de notre première subvention, nous étions en contact avec le CIPDR et nous travaillions sur nos premières actions. Le 12 avril 2021, lors d'une réunion d'étape, nous avons présenté les contours de la plateforme. Suite à cet échange, j'avais compris que le CIPDR envisageait de prolonger son soutien, car nous avions prouvé dans le cadre du premier soutien, notre capacité à s'entourer des compétences nécessaires, à respecter un planning et un budget. À la suite de cet échange avec le préfet, j'ai reçu un courriel le lendemain, le 13 avril, faisant part de leur intérêt et de la possibilité de soumettre une demande de subvention. Cela s'inscrivait dans la continuité de nos échanges et nous étions très satisfaits.

Après ce mail, et avant l'annonce officielle, j'ai reçu un appel du CIPDR, que j'ai interprété comme une marque d'identification des potentiels candidats à cet appel à projets. On nous a dit qu'un appel à projets allait être publié, que nous remplissions les conditions et qu'on aimerait bien que nous candidations.

Nous sommes très présents sur les réseaux sociaux, et nous avons suivi en direct l'annonce de ce fonds dans la presse. Nous nous sommes alors mis immédiatement au travail.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - « On nous a dit », mais de qui s'agit-il ?

Mme Ahlam Menouni. - Il s'agit du secrétaire général.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - C'est mieux de le préciser pour éviter toute interprétation. Lorsque vous avez connaissance du fonds Marianne, présentez-vous alors un tout nouveau projet ou un projet faisant suite à la première réalisation ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous avons présenté une version plus aboutie de ce que nous faisions déjà. Nous avions déjà travaillé sur la plateforme de marque. Nous avions déjà notre logo, notre identité visuelle, notre stratégie éditoriale et notre positionnement. Nous avons donc fourni les documents demandés et retravaillé de façon plus précise le chiffrage, mais l'ADN de ce que nous avons présenté existait déjà.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Il s'agit donc d'une montée en puissance. À la suite de vos contacts avec le préfet Gravel, à la fin de l'année 2020, au cours desquels il validait ou partageait vos objectifs, vous comprenez que vous risquez d'être retenue, si vous montez en puissance. Par conséquent, vous conservez la ligne de votre premier projet. La voie est tracée et vous faites en sorte de « cocher les cases » de l'appel à projets pour obtenir un nouveau soutien.

Le 13 avril, vous avez un nouvel échange. À cette date, un comité de programmation a lieu avant l'annonce du fonds Marianne. Vous n'êtes alors pas mise dans la boucle particulièrement et n'avez aucune information complémentaire. La durée courte de cet appel à projets, allant du 20 avril au 10 mai, n'est pas un obstacle majeur pour vous pour y répondre, car vous avez déjà un premier projet existant.

Mme Ahlam Menouni. - Le projet existait déjà, en effet, nous avons donc travaillé rapidement avec l'équipe, en nous appuyant sur notre expérience, pour délivrer un dossier dans les temps.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre expérience professionnelle a-t-elle été précieuse ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait. La taille modeste de la structure nous a aussi aidés, car la chaîne de décision est plus réduite.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous connaissance des associations qui allaient aussi répondre à cet appel à projets ?

Mme Ahlam Menouni. - Non.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Votre structure étant nouvelle, vous ne les connaissez donc pas.

Votre association est assez singulière : elle compte des profils aux expériences professionnelles diverses et des acteurs, au moins pour trois d'entre eux, issus de la jeune génération.

Dans le dossier de candidature, vous indiquez que les charges de rémunération sont les plus importantes, de l'ordre des deux tiers, soit 303 000 euros sur 451 000 euros. Comment l'expliquez-vous ?

Mme Ahlam Menouni. - Dans notre dossier de candidature, nous avons été très clairs sur la nature de notre projet, qui repose essentiellement sur la création artistique. Or la création artistique, c'est de la matière grise, de l'humain.

Dès l'appel à projets, nous avions indiqué, noir sur blanc, que nous n'avions pas de salariés, mais que nous allions recourir à une vingtaine d'intervenants, relevant d'une quinzaine de professions, rémunérés par forfait-mission, par cachets intermittents ou sur facture. D'après notre bilan, à la fin de l'action, nous comptions vingt-six intervenants, ce qui correspondait aux prévisions.

Le projet avait des phases différentes, et donc nous avions besoin de beaucoup de souplesse. En effet, les premiers mois, nous avions recours à dix personnes pour atteindre vingt-six personnes en mars-avril, lorsque toutes les productions se déroulaient de façon quasi simultanée. Des personnes par exemple ne sont aussi intervenues qu'une semaine et d'autres six mois.

Nous restons une structure très jeune et ce premier grand financement couvrait une période très limitée : 330 000 euros à dépenser avant juin 2022. Même si le projet était pérenne à nos yeux, je ne pouvais pas, en tant que responsable, embaucher des salariés sans disposer d'une vision à long terme des rentrées d'argent.

M. Claude Raynal, président. - Pour ce projet plus lourd, avec un budget présenté de 451 000 euros, dont une part importante est portée par le CIPDR, avez-vous trouvé d'autres financements ou en êtes-vous resté à celui du CIPDR ?

Mme Ahlam Menouni. - Il nous a été demandé de présenter un budget prévisionnel. Nous avons donc construit un budget d'environ 500 000 euros, qui nous permettait de franchir un cap. S'agissant du type de financement, nous imaginions un ratio de 70/30, avec 30 % de fonds privés.

Nos premières productions ont été publiées sur les réseaux en janvier 2022. Aussi, de notre point de vue, nous n'avions pas suffisamment de productions pour démarcher des mécènes privés. De plus, les sujets traités étant régaliens, il était difficile d'intéresser des fondations.

Par conséquent, nous avons adapté notre budget prévisionnel.

M. Claude Raynal, président. - Vous l'avez adapté en fonction de la subvention obtenue ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait. Nous avions négocié tous nos contrats, et nous réalisions des points budgétaires réguliers.

M. Claude Raynal, président. - L'État demande toujours de construire un budget comportant des financements autres que ceux de l'État, ce qui suppose une recherche. Mais le financement de votre projet intégralement par l'État démontre que ce n'est pas une condition dirimante. Si ce n'est pas possible, la bonne volonté est constatée et il est tenu compte de la réalité.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans les éléments transmis, on voit que beaucoup d'intervenants réalisent leurs prestations sous le statut d'entrepreneurs. Comme vous l'avez dit, cela facilite l'ajustement des rémunérations, ce qui est important car les besoins évoluent.

Quels sont les points sur lesquels vous n'avez pas atteint vos objectifs, et pour quelles raisons ?

Mme Ahlam Menouni. - Pour nous, il était évident que ces crédits finançaient une saison pilote : nous étions axés « recherche et développement ». Notre but était donc de constituer une équipe, de trouver des personnes intéressées par le sujet avec les compétences dont nous avions besoin. Nous nous sommes efforcés d'assurer un équilibre entre des profils seniors et des profils plus jeunes, pour avoir un budget équilibré. Cette première étape de recrutement était nécessaire pour poser les fondations d'un récit et produire un certain nombre de formats autonomisables, traitant notre sujet sous un maximum de facettes.

J'insiste sur la dimension qualitative de ce travail. À la fin de la saison pilote, nous devions être à même de stabiliser la plateforme "Comme Un". Certains formats ont bien marché, d'autres un peu moins bien. Pour certains formats, nous avons repéré des évolutions possibles. Il était absolument nécessaire de mener ce travail, puisque le benchmark ne nous avait pas donné de repères à cet égard. Ce que nous faisions étant assez nouveau, il fallait passer par cette phase.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Un membre du CIPDR s'est étonné par mail que votre structure n'ait aucun salarié en dépit d'un budget de 500 000 euros, ce qui n'est pas négligeable pour une association nouvellement créée. En parallèle, vous avez dû gérer jusqu'à vingt-quatre intervenants. Comment avez-vous assuré la gestion financière ? Comment justifiez-vous le fait de ne recourir à aucun emploi salarié, même à temps partiel ou dans le cadre d'une mission, pour garantir une bonne et saine gestion ?

Mme Ahlam Menouni. - Je le répète, dès le dossier de candidature, nous avons souligné que notre association reposait sur un travail bénévole et sur un certain nombre de prestations intellectuelles, rémunérées soit par forfait de mission soit par cachet d'intermittent.

Personnellement, le montant dont il s'agit ne m'a pas inquiétée. Les dirigeants de l'association ont l'habitude de gérer des projets beaucoup plus complexes, avec des montants beaucoup plus importants et des enjeux beaucoup plus forts. Nous avions le savoir-faire. Pour piloter un tel projet, un certain nombre d'éléments ne varient pas, en termes de temps ou de budget. Nous avions l'expérience nécessaire, qu'il s'agisse de mettre en oeuvre une feuille de route, d'adapter un budget ou de gérer les relations avec nos partenaires. Ce travail était de notre niveau et se passait plutôt bien.

En termes opérationnels, notre directrice de projet était une consultante externe ; sa rémunération était adaptée en fonction des phases. Elle avait elle aussi une expérience solide du pilotage de projet et avait déjà monté sa propre entreprise. Nous avons donc rapidement mis en oeuvre un certain nombre de process et de méthodes grâce auxquels tout s'est déroulé sereinement.

M. Vincent Éblé. - Si j'ai bien compris, votre association, créée peu avant l'appel à projets, a reçu cette subvention du fonds Marianne pendant sa première année d'existence.

J'ai présidé pendant onze ans une grande collectivité territoriale : pour des raisons que l'on peut comprendre, elle n'a jamais accordé la moindre subvention publique à une association, si elle n'était pas en capacité de présenter un bilan financier d'une première année de fonctionnement. Il ne s'agit pas d'une obligation légale, mais d'une règle relevant en quelque sorte de la déontologie.

En tant que présidente de l'association, est-ce une question que vous vous êtes posée ? D'autres dirigeants l'ont-ils évoquée avec vous ? Votre conseil d'administration ou votre bureau ont-il eu à en connaître ? Vous êtes-vous demandé si ces fonds avaient été accordés trop vite ou trop tôt ? Comprenez-vous que ce point puisse interpeller ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous sommes toujours partis du principe que les choix de l'administration étaient motivés : si notre demande de subvention était acceptée, c'était la preuve que nous avions respecté toutes les règles.

Pour moi, c'est une question qu'il faut poser à l'administration. Nous avons foncé, tout simplement : nous avions envie de mener ce travail, le CIPDR en avait également envie. Très sincèrement, nous ne nous sommes pas posé 12 000 questions.

M. Vincent Éblé. - Vous le regrettez aujourd'hui ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, je ne regrette rien.

M. Vincent Éblé- Pour vous, il n'y a pas d'autres exigences que les exigences légales ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Vincent Éblé- Au moins, c'est clair.

M. Claude Raynal, président. - Vous avez fait des recherches de financement dans un domaine qui - vous l'avez dit vous-même - ne s'y prête guère. Peut-être certains chefs d'entreprise s'intéressent-ils tout particulièrement au sujet de la laïcité : encore faut-il les trouver.

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Claude Raynal, président. - En tant que professionnelle, vous affirmez que ces montants ne sont pas très importants ; mais ils sont extrêmement élevés pour une association, qui plus est quand elle vient d'être créée. J'ajoute que la seule subvention publique a permis d'assurer la première année de fonctionnement, même si des aides complémentaires ont été recherchées.

J'en viens aux problèmes relatifs à la nature des contenus. Bien entendu, nous nous interdisons de nous aventurer sur le terrain judiciaire : des plaintes ont été déposées et le PNF se prononcera. Toujours est-il que la série À la bonne franquette a posé problème à cet égard. Ce sont des extraits publics.

(Il est procédé à la diffusion d'extraits de ladite série.)

Vous constatez que, par souci d'équilibre, nous avons choisi des extraits mentionnant des personnalités de différents bords politiques.

À quel moment le CIPDR s'est-il ému de ces propos pour vous demander de corriger le tir ? On sait qu'une correction a eu lieu, car dans l'une des vidéos, les intervenants mentionnent le fait que la Présidente a été informée en indiquant qu'ils ne peuvent pas faire certains contenus.

Sur la forme, c'est bien filmé, c'est bien enregistré, il n'y a pas lieu de s'interroger. Sur le fond, cela pose question. Tous les termes employés étaient-ils facilement compréhensibles pour le public visé, notamment les jeunes ? On peut s'interroger.

Surtout, le but était de diffuser un discours positif et apaisé, que l'on peine à retrouver dans ces séquences de conversation informelle. Quand on défend les valeurs de la République, ne doit-on pas, autant que faire se peut, éviter de s'attaquer à ses représentants ? Pourquoi dénigrer ainsi les élus, qui plus est quand on s'adresse à des personnes éloignées des institutions républicaines ?

Vous avez déclaré être globalement assez fière des contenus produits et ne rien regretter. (Mme Ahlam Menouni le confirme.) Étant donné qu'il s'agissait de construire, grâce à des fonds publics, un discours positif sur la République, on peine tout de même à vous suivre.

Mme Ahlam Menouni. - Nous ne sommes pas des prestataires du CIPDR. Nous avons été sélectionnés pour un projet dont la ligne éditoriale - réagir à l'actualité et proposer une émission de divertissement politique - avait été définie dès la candidature.

En France, la vie politique est hyperpersonnalisée, si bien qu'il n'est pas possible de parler de certains sujets sans mentionner les personnalités politiques impliquées.

L'extrait dont on parle, où des consignes ont été passées, provient d'un épisode tourné le 8 janvier. Il fait suite au bilan tiré du tournage du premier épisode. Nous étions convaincus du format informel de l'émission - une sorte d'apéro filmé. Pour qu'elle fonctionne bien, elle devait en effet épouser les codes des réseaux sociaux, notamment le clash et la personnalisation. Aussi, il fallait trouver le bon ton pour, à la fois, permettre à vidéo de devenir virale sur les réseaux sociaux et défendre un débat apaisé - cela ne veut pas dire lisse.

Il peut en effet sembler difficile d'entendre de tels extraits sortis de leur contexte. Mais en réalité, il s'agit de quelques minutes sur 22 heures de programmes, dont 16 heures pour l'émission « À la bonne franquette ». Si l'on regarde toutes les séquences, on verra que les sujets ont toujours été traités de façon différente. De plus, les participants ont tous un avis différent et chacun s'écoute. Oui, il y a eu des blagues acides, ainsi que des analyses politiques qui ont été faites - on n'a aucun problème avec ça - mais le message que nous avons fait passer au début du mois de janvier, et auquel nous nous sommes tenus durant toute la production, est que certes nous avons souhaité organiser une sorte d'apéro filmé, à la façon de l'émission « Les Grandes Gueules », mais que nous cherchons à élever le débat et à en éviter la personnalisation. Cela était déjà dans les tuyaux bien avant le premier point d'étape avec le CIPDR.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Je ne peux pas m'empêcher de faire le lien entre vos propos et les critères d'éligibilité de l'appel à projets du fonds Marianne sur la défense de la laïcité.

J'ai du mal à voir en quoi un certain nombre de vos émissions et publications concourent à reconstruire le commun. Dans certains extraits, vous opposez les artistes belges aux artistes français sur le ton du second degré ; vous opposez les boomers à la jeune génération sur la question écologique ; la crise sanitaire est abordée sous l'angle de la jeunesse sacrifiée. Or vous êtes la présidente de l'association Reconstruire le commun... À titre personnel, il me semble qu'elles ne répondent pas aux critères de l'appel à projets du fonds Marianne relatifs à la défense d'un certain nombre de valeurs.

Mme Ahlam Menouni. - Avant de reconstruire le commun, il faut écouter la parole des jeunes : ils s'opposent aux boomers sur les questions écologiques et ils ont vraiment vécu la crise sanitaire comme un sacrifice. Je n'avais aucune raison de censurer leurs propos, car il s'agit d'une analyse politique comme une autre.

Je pourrais comprendre votre surprise, mais je pense que l'écoute de ce que les jeunes ont à dire est la première étape de la reconstruction. Bien sûr, leurs propos peuvent choquer, comme cela a pu être le cas dans d'autres formats, notamment « Quiz Comm(e)un », car leurs paroles sont libres, mais respectueuses de la loi.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Vous souhaitez donner une place à l'expression dans votre démarche associative, je l'entends. Mais les critères d'éligibilité au fonds Marianne sont, je le rappelle, la défense des valeurs républicaines.

J'entends comme vous ces réflexions, et quand bien même je ne les entendrais pas, elles s'expriment dans des bulletins de vote. Pour autant, les contenus semblent relativement en décalage avec les critères de l'appel à projets.

M. Claude Raynal, président. - C'est non pas l'ensemble du travail de l'association, mais un format particulier qui suscite nos questions et notre inquiétude.

Quelle a été votre relation avec le CIPDR sur la question des contenus ? En attribuant une telle subvention à une nouvelle association comme la vôtre, le secrétaire général semble avoir placé une certaine confiance en vous. D'ailleurs, vous avez dit précédemment qu'il avait été très positif lors de votre premier entretien.

Vous semblez avoir été en relation à propos du suivi de l'opération. De même, le suivi financier semble s'être déroulé convenablement, au vu des éléments soumis à notre appréciation. Ainsi, le problème semble davantage porter sur les contenus que sur le suivi financier. Ce sujet a-t-il été abordé au cours de vos conversations ?

Mme Ahlam Menouni. - Je le redis, nous ne sommes pas des prestataires du CIPDR.

M. Claude Raynal, président. - J'entends, mais vous êtes financés par l'État, sous le contrôle du CIPDR. C'est d'ailleurs la seule source de financement de vos opérations. Vous n'êtes peut-être pas un sous-traitant du CIPDR sur le plan intellectuel, mais vos contenus, qui font débat, ont bien été financés par de l'argent public.

Mme Ahlam Menouni. - Tous ces sujets laissent place à une marge d'appréciation.

Nous avons présenté un certain nombre de formats avant qu'ils ne soient publiés. Selon nous, l'appréciation de leur contenu n'entrait pas dans le champ du contrat qui nous liait au CIPDR. En revanche, nous en prenions acte, afin de préserver la relation avec notre partenaire et surtout de poursuivre nos actions.

Nous étions foncièrement attachés à notre liberté éditoriale, dans le respect de la loi. À l'occasion d'un ou deux points, le CIPDR nous a signifié qu'une blague anti-Macron ne les a pas fait rire. Cela a donné lieu à une discussion normale et bienvenue sur le contexte sensible - la période électorale - et sur la nécessité de faire attention à notre traitement de sujets politiques. Nous avions déjà intégré ce point. Pour autant, il nous a semblé impossible de ne pas parler de sujets politiques dans une émission d'infodivertissement lancée à cette période-là. Entre janvier et juin, la vie politique était traitée par tous les médias à l'aune de l'élection présidentielle. Ainsi, il nous a donc semblé important de traiter ainsi les sujets politiques et de laisser les chroniqueurs s'exprimer. Néanmoins, durant la période stricte de la campagne, nous n'avons publié aucun contenu à caractère politique.

Le CIPDR a fait une ou deux fois de telles remarques. Elles n'ont jamais fait l'objet d'un point à l'ordre du jour de nos réunions ni d'un courrier. Si j'avais un début de phrase dans un mail qui parlait de ça, nous aurions réagi immédiatement. Je ne dis pas comment on aurait réagi : il nous aurait d'abord fallu arbitrer en interne entre garder notre ADN et arrêter les financements ou faire des compromis pour les garder.

Nous n'avions pas peur d'aller au contentieux, car nous honorions toutes les obligations de notre contrat.

M. Claude Raynal, président. - Les remarques ont été orales et n'ont fait l'objet ni d'un point à l'ordre du jour d'une réunion, ni d'un compte rendu écrit. C'est un propos un peu humoristique sur le Président de la République qui a donné lieu à une remarque acide.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comment était organisée votre plateforme « Comme Un » ? Comment étaient définis les formats ? Qui était responsable des choix et des validations ? Comment les choses étaient-elles maîtrisées ?

Mme Ahlam Menouni. - Nous détaillons les process dans un document que je vous transmettrai à la fin de l'audition. Notre façon de concevoir et de produire les contenus est expliquée ainsi que le moment auquel l'équipe opérationnelle demandait une validation aux dirigeants de l'association.

En règle générale, la première étape est la définition d'un cadre et le recrutement des bonnes personnes. Puis, nous organisons une réunion de lancement pour présenter l'ADN de l'association, de sorte que les intervenants s'imprègnent de notre état d'esprit.

La cheffe de projet dirigeait la conception et la production. Nous validions les sujets, les scripts et toutes les vidéos avant leur publication. Ainsi, nous intervenions, de façon cadrée, au cours d'un certain nombre d'étapes.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans une note de juin 2022 du SGCIPDR, le secrétaire général attire solennellement l'attention sur le fait que certains contenus ne conviennent pas, au regard notamment des critères relatifs au discours séparatiste et à la promotion des valeurs républicaines. Dans la note, il est indiqué que le préfet s'est montre très ferme sur les contenus politiques. Comment expliquez-vous que le phénomène ait perduré ?

Mme Ahlam Menouni. - Je voudrais clarifier certains points. Contrairement à ce que j'ai lu dans la presse, je n'ai jamais été convoquée. En revanche, j'ai assisté à des réunions de suivi et à des points d'étape. D'ailleurs cette réunion a été réalisée sur mon initiative, après avoir sollicité un rendez-vous formel avec le CIPDR pour présenter un prébilan avant la fin de la convention.

Au cours de cette réunion, organisée sur mon initiative, et dont l'ordre du jour était la présentation d'un point d'étape, une forme de prébilan, nous avons été renvoyés à nos résultats. Selon eux, les résultats - c'est devenu le sujet central de la réunion - n'étaient pas au niveau attendu. De surcroît, nous avons discuté de la qualité du projet. Après avoir terminé son propos, le secrétaire général est parti, sans nous laisser l'occasion de répondre.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Avez-vous été avertie du risque de ne pas percevoir le solde de la subvention, soit 25 % ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, à aucun moment. Nous avons déposé notre demande de versement du solde le 11 mai. À cette occasion, j'ai à nouveau sollicité un rendez-vous pour le début du mois de juin.

À la suite de la réunion, j'ai relancé les services pour suivre l'état d'avancement de ma demande. Aussi, tous les échanges que j'ai eus avec le CIPDR jusqu'au versement, qui a eu lieu le 8 juillet, portaient sur le volet administratif. Il s'agissait de savoir si les documents fournis étaient dûment remplis. On m'a répondu qu'il était normal que les délais soient plus longs, car nombre de conventions arrivaient à terme. J'ai insisté, car je devais payer mes prestataires, dont certains n'ont pas beaucoup de trésorerie.

J'ai fait en sorte de suivre très précisément ce dossier. Entre le 11 mai et le 8 juillet - un délai classique pour l'administration s'agissant d'une demande de virement -, aucun échange n'a porté sur autre chose que le volet financier du versement.

M. Claude Raynal, président. - Avez-vous eu des échanges avec le CIPDR entre la fin du projet au titre du fonds Marianne et les révélations par la presse au mois de mars 2023 ?

Mme Ahlam Menouni. - Le déroulement de la réunion du 2 juin a suscité nombre d'interrogations sur la suite à donner. Nous ne nous attendions pas à une telle attitude dans le cadre de notre partenariat. Cela nous a conduits à remettre en cause nos projections à moyen terme.

Aussi nous avons envoyé à la rentrée les documents pour clore la subvention, puis, en octobre, le bilan détaillé et, en novembre, le compte rendu de subvention.

Tout d'abord, nous avons décidé de mettre en pause le projet, compte tenu premièrement de l'évolution du partenariat. L'approche du CIPDR était quantitative, court-termiste et consensuelle, alors que la nôtre était qualitative et de long terme. De surcroît, nous abordions les sujets qui fâchent, ce qui est à la limite d'une approche consensuelle.

Ensuite, des raisons plus personnelles nous ont poussés à faire ce choix, liées aux problèmes de santé importants de l'un des membres du bureau. On s'est dit que ça reste du bénévolat. Il lui fallait se rétablir avant de rebondir.

Enfin, nous avons pris une telle décision en raison des difficultés de trouver d'autres sources de financement. Nous avons donc décidé à l'été de mettre notre projet en pause avant de nous retrouver au printemps, mais c'est le moment où est arrivé ce que vous savez.

M. Claude Raynal, président. - Une procédure de remboursement a été lancée la semaine du 8 mai. Avez-vous reçu un courrier d'information du secrétariat général ? Y avez-vous répondu ?

Mme Ahlam Menouni. - Comme je l'ai souligné dans mon propos introductif, nous avons appris en direct cette demande de remboursement lors des auditions du 16 mai dernier. Le soir même, j'ai trouvé dans ma boîte aux lettres un courrier recommandé de demande de remboursement, et un contrôle a posteriori. Le courrier est signé du vendredi 12 mai ; l'audition a eu lieu le 16 mai ; nous avons envoyé tous les documents au 17 novembre 2022. Or entre le 17 novembre 2022 et le 12 mai 2023, nous n'avons pas eu de contact avec l'administration. Le pôle financier ne nous a pas demandé de pièces justificatives.

Nous avons répondu à ce courrier dans les temps. Nous considérons que le timing de cette demande de contrôle a posteriori a été - comment le dire poliment ? - hypocrite.

En parallèle, nous avons des échanges avec votre commission d'enquête, avec l'inspection générale de l'administration - nous avons transmis toutes les pièces qu'ils nous ont demandées - et nous en aurons éventuellement dans le cadre de l'information judiciaire qui a été ouverte. Nous considérons qu'avec toutes les enquêtes en cours, le CIPDR est dessaisi de fait de ce contrôle a posteriori, puisqu'il est déjà en cours de réalisation par des autorités indépendantes, dont la vôtre.

M. Claude Raynal, président. - Considérez-vous que cette demande de remboursement est en lien avec les événements récents ?

Mme Ahlam Menouni. - Oui.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Comptez-vous faire droit à cette demande de remboursement ? Ou attendez-vous plutôt les résultats des enquêtes en cours ?

Mme Ahlam Menouni. - Tout à fait.

M. Jean-François Husson, rapporteur. - Selon vous, une telle demande n'avait pas lieu d'être, car vous avez adressé en novembre 2022 le dossier complet, les comptes, et les éléments justificatifs.

Mme Ahlam Menouni. - En effet.

M. Christian Klinger. - Des membres de l'association ont-ils perçu des rémunérations ou reçu un bulletin de salaire, voire signé des factures d'autoentrepreneur ?

M. Claude Raynal, président. - Dans le bureau de l'association, est-ce qu'il y a des gens qui ont reçu des rémunérations ?

Mme Ahlam Menouni. - Non.

M. Marc Laménie. - La demande de remboursement porte-t-elle sur la totalité des subventions perçues au titre du fonds Marianne ?

Quel est le public de la projection que nous avons vue ?

M. Thierry Cozic. - Le courrier de demande de remboursement adressé par l'administration est-il motivé ? Quels en sont les éléments factuels ?

Mme Ahlam Menouni. - Le courrier qui nous a été transmis par le CIPDR est d'abord un contrôle a posteriori. Il s'agit de voir si l'objet de la convention a été gravement méconnu et substantiellement modifié et quelle est la réalité des prestations réalisées. Ce n'est pas une demande de remboursement formelle. Des pièces justificatives sont exigées pour contrôler si nous avons méconnu le cadre fixé par la convention, afin d'envisager un remboursement tout ou partiel de la subvention.

Pour nous, c'est une première étape, qui ne dit pas s'il y a un litige ou non. Le cas échéant, - etnous pensons pas que ce n'est le pas cas - il faudrait débattre sur le remboursement, mais une telle perspective est encore très loin, vu que nous ne disposons ni des conclusions de votre enquête ni du rapport de l'inspection générale de l'administration.

M. Claude Raynal, président. - En effet, donner suite serait reconnaître une faute. Le courrier indique seulement une possibilité à terme d'un remboursement.

Des salariés sont-ils membres du bureau ?

Mme Ahlam Menouni. - Non, la distinction était très claire. Soit on est bénévole, soit on est salarié.

M. Claude Raynal, président. - Nous vous remercions.

La réunion est close à 12 h 55.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2022 - Demande de saisine pour avis et désignation d'un rapporteur

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi n° 1268 (A.N., XVIe lég.) d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour l'année 2022 et désigne M. Christian Klinger http: