Mercredi 28 juin 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Conseil supérieur des programmes - Désignation

La commission désigne M. Max Brisson pour siéger au sein du Conseil supérieur des programmes.

Mission d'information sur le dispositif Parcoursup - Examen du rapport et vote sur les recommandations

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport préparé par Jacques Grosperrin sur le dispositif Parcoursup et le vote de ses recommandations.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Monsieur le Président, mes chers collègues, cette mission d'information s'inscrit dans la continuité des travaux que j'ai déjà menés sur Parcoursup et auxquels plusieurs d'entre vous ont toujours activement participé, ce en quoi je les remercie vivement, et plus particulièrement Pierre Ouzoulias.

Quel était son objectif ? Dresser un état des lieux de la plate-forme cinq ans après son lancement, dans un contexte marqué par plusieurs nouveautés procédurales pour la session 2022-2023, mais aussi par une anxiété croissante des usagers - constat dont nous sommes tous témoins dans nos entourages et dont les médias se font largement l'écho.

Nous sommes en effet devant un paradoxe : alors que la plateforme s'améliore d'année en année sur le plan technique et informationnel, elle est perçue comme de plus en plus anxiogène par les lycéens et leurs parents. Depuis 2018, le site Parcoursup a indéniablement gagné en ergonomie, ses contenus ont été quantitativement et qualitativement développés, le calendrier du processus a été revu pour intégrer la réforme du baccalauréat et réduire les délais d'attente.

J'identifie trois améliorations principales :

- une offre de formation élargie : pour son édition 2023, Parcoursup regroupe 21 000 formations, dont 7 500 par la voie de l'apprentissage. Ont été intégrées cette année des écoles publiques d'art et de design, qui recrutaient jusqu'alors en dehors du portail ;

- une information enrichie : le moteur de recherche et la fiche de présentation des formations ont été rénovés pour permettre d'identifier plus rapidement les informations essentielles, de disposer de chiffres clés et de mieux comprendre les critères d'analyse des candidatures ;

- un calendrier plus cohérent et accéléré : l'année 2023 voit converger les calendriers du baccalauréat et de Parcoursup, avec la prise en compte, dans le dossier de candidature, des notes obtenues aux épreuves des enseignements de spécialité qui se sont tenues en mars. Cette année marque aussi une accélération de la procédure, avec l'avancement de la période à laquelle les candidats ayant conservé des voeux en attente devront les ordonner (du 30 juin au 3 juillet, en lieu et place du 15 au 18 juillet l'année dernière) et de la date à laquelle la phase principale d'admission prendra fin (le 7 juillet, contre une semaine plus tard l'année dernière).

Malgré ces améliorations, l'appréciation portée par les usagers de Parcoursup se dégrade. La dernière enquête d'opinion annuelle, commandée par le ministère de l'enseignement supérieur et réalisée par l'institut de sondages Ipsos, fait ainsi état d'une angoisse croissante et d'une érosion du sentiment de clarté, de fiabilité, de transparence, de justice, de rapidité.

Dans son dernier rapport au Parlement, le Comité éthique et scientifique de Parcoursup met toutefois un bémol à ce constat : il s'agit là d'un ressenti, par définition, difficile à quantifier, et qui peut parfois même être infirmé par les faits. Si les causes exactes de cette appréciation dégradée, en particulier ce qui relève de la procédure elle-même (son degré de transparence, de rapidité, d'équité) et d'autres mécanismes psychologiques et sociaux (l'angoisse de l'avenir, le poids du diplôme dans le devenir professionnel...), sont encore floues, une chose est certaine, c'est que Parcoursup n'a, pour l'instant, pas réussi à inspirer confiance à ses usagers.

Je vois trois obstacles principaux à sa bonne acceptation.

D'abord, les lacunes et l'hétérogénéité de l'information délivrée. Malgré l'augmentation des données disponibles sur la plate-forme, il manque encore des éléments importants pour éclairer entièrement le choix d'orientation des lycéens sur chaque formation : par exemple, le taux de réussite des candidats qui y sont admis - que pourrait illustrer le taux des étudiants ayant par la suite accédé à un master - et les débouchés professionnels qu'elle offre. S'ajoute à cela une hétérogénéité de la qualité de l'information selon les formations. En dépit des instructions nationales données par le ministère, la présentation des formations est en effet loin d'être homogène, certaines réalisant plus d'efforts que d'autres pour rendre leurs informations réellement compréhensibles et exploitables par les candidats.

Ensuite, la longueur de la procédure. Même si, en 2022, 88 % des néo-bacheliers admis ont reçu la proposition qu'ils ont finalement acceptée en moins d'un mois, plus de 17 000 - soit 4 % - ont attendu deux mois la proposition qu'ils ont finalement approuvée. Et cette attente est nettement supérieure pour les bacheliers technologiques et surtout professionnels, alors qu'ils ont souvent besoin de connaître plus tôt leur affectation pour des raisons financières. Ces délais génèrent une anxiété supplémentaire à celle déjà suscitée par le choix de son orientation dans l'enseignement supérieur.

Enfin et surtout, le caractère encore trop opaque des modalités de classement utilisées par les commissions d'examen des voeux. Celles-ci étant à la discrétion de chaque formation, elles donnent lieu à des pratiques très diverses : emploi ou non d'une formule mathématique de pré classement, prise en compte ou non du lycée d'origine... Ce manque de transparence - notamment en comparaison de certaines pratiques étrangères (Allemagne, pays scandinaves) -, couplée à une grande hétérogénéité des méthodes de classement, suscite toujours une forte suspicion et ne permet pas aux candidats de bien estimer leurs chances d'admission. Or il est évident que, sans confiance des jeunes et de leurs familles dans la façon dont les dossiers sont examinés et classés, le système ne peut susciter l'adhésion.

C'est pourquoi il me semble que l'impératif est désormais de gagner la confiance des usagers, ce qui passe par la poursuite de l'amélioration de la procédure selon quatre axes.

Premier axe : rendre l'information plus intelligible et encourager son harmonisation entre les formations. La masse d'informations disponible sur Parcoursup n'a de sens que si elle est comprise et exploitable par les usagers. L'enjeu, aujourd'hui, n'est plus celui de la quantité, mais celui de la qualité de l'information, c'est-à-dire son degré de clarté et d'intelligibilité. Les évolutions introduites en 2023 dans la fiche de présentation des formations, notamment s'agissant des critères d'analyse des candidatures, vont dans le bon sens, mais elles nécessitent un temps d'appropriation plus ou moins long selon les formations. Il appartient au ministère de l'enseignement supérieur de les accompagner dans ce travail en mettant à leur disposition, au moment du paramétrage des fiches de présentation, une « boîte à outils » partagée sous la forme d'une base lexicale commune. C'est ma première recommandation.

Je crois aussi qu'une méthodologie commune de présentation et d'évaluation par filière de formation permettrait de gagner en lisibilité et en équité. L'exemple de la licence Staps est, à cet égard, particulièrement intéressant. À ce jour, il s'agit de la seule filière ayant pris l'initiative de mettre au point une procédure nationale de classement des candidatures, basée sur des attendus et un barème communs. D'où ma deuxième recommandation appelant les formations d'une même filière à prendre modèle sur la filière Staps pour harmoniser leurs pratiques.

Deuxième axe d'amélioration : avancer la date de hiérarchisation des voeux en attente pour accélérer la procédure. Suivant une recommandation du Comité éthique et scientifique de Parcoursup, le ministère a introduit, à l'occasion de la session 2022, une hiérarchisation des voeux en liste d'attente, au terme de la phase principale d'admission (à savoir le 15 juillet 2022). Cette évolution est une avancée, car elle permet de stabiliser plus tôt les admissions définitives et de réduire le délai d'attente d'une proposition pour les candidats qui n'en avaient pas. Pour rendre cette accélération plus notable, un pas supplémentaire pourrait être franchi en fixant, aux alentours de la mi-juin, la date de hiérarchisation des voeux en attente. Il s'agit là de ma troisième recommandation.

J'en profite pour vous livrer quelques éléments d'analyse sur la hiérarchisation des voeux - sujet sur lequel notre commission s'était largement penchée lors de la création de Parcoursup. Au cours de mes auditions, il nous a été rapporté par plusieurs interlocuteurs un dilemme. Certes, la hiérarchisation des voeux - a fortiori plus celle-ci est précoce dans le calendrier - présente des avantages certains en termes de réduction des délais, d'efficacité de la procédure, de diminution de l'anxiété des candidats, mais elle est aussi génératrice d'une aggravation des inégalités entre lycéens. En effet, savoir hiérarchiser ses voeux suppose une démarche stratégique, qui n'est pas à la portée de tous, en particulier pour les lycéens les moins informés et les moins accompagnés dans l'élaboration de leur projet d'orientation. La hiérarchisation accroît également le phénomène d'autocensure, dont font généralement preuve les élèves les moins bien dotés socialement. Ces constats posent donc avec acuité la question de l'accompagnement à l'orientation au lycée, qui fera l'objet de mon dernier développement.

Troisième axe d'amélioration, sans doute le plus important : approfondir la transparence des critères d'examen des voeux. Je crois qu'il faut saluer les nouvelles modalités d'information sur les critères de classement dans les fiches des formations en 2023, en particulier l'introduction d'une pondération quantitative des cinq grandes familles de critères généraux d'examen des voeux et d'une pondération qualitative des sous-critères utilisés au sein de chacune d'entre elles.

Je remarque cependant, après avoir échangé avec les représentants de plusieurs catégories d'établissements d'enseignement supérieur (universités, lycées à CPGE, écoles de commerce et d'ingénieur, Sciences Po Paris, Ifsi...), que l'effort de transparence sur les pondérations que les commissions d'examen des voeux utilisent, avec ou sans traitement algorithmique, est très variable d'un établissement à l'autre :

- dans les universités, l'existence d'un algorithme de pré-classement, non rendu public, est quasi systématique au vu du nombre très important de candidatures ;

- dans les lycées à CPGE, le traitement humain est prépondérant, avec un spectre de critères plus large à mesure que la sélectivité de l'établissement augmente, et dont la pondération quantitative reste parfois vague ;

- dans les écoles d'ingénieur partenaires du groupe Institut national des sciences appliquées (Insa), il est fait recours au même algorithme « maison » de pré-classement, pour lequel n'est indiquée que la pondération des trois grandes masses le composant ;

- à Sciences Po Paris, à l'inverse, aucune formule mathématique de pré-sélection n'est utilisée.

À mes yeux, l'enjeu n'est pas de quantifier et de rendre publique l'intégralité des éléments de notation utilisés par les commissions d'examen des voeux. Cette approche un peu excessive pourrait générer des effets pervers, comme une course à l'évaluation quantitative au détriment de l'appréciation humaine et une rigidification du système alors que des ajustements sont parfois nécessaires d'une année sur l'autre.

Je suis toutefois convaincu que la demande d'une plus grande transparence, largement exprimée par les usagers de Parcoursup, est légitime : la transparence est, en effet, la matrice de la confiance dans le dispositif, donc de sa réussite. Ne pas y répondre, c'est alimenter l'anxiété, créer de la frustration, nuire à l'efficience de l'orientation, pénaliser certaines catégories de jeunes.

Des améliorations complémentaires à celles déjà réalisées sont, je crois, possibles. Par exemple, pourquoi ne pas publier le coefficient affecté à telle matière dans une formule de pré-classement ? Pourquoi ne pas préciser quantitativement, et plus seulement qualitativement, certains éléments composant les cinq grandes catégories de critères généraux d'examen des voeux lorsque cette quantification existe ?

D'où ma quatrième recommandation consistant à inciter les formations à davantage préciser quantitativement les critères utilisés par leurs commissions d'examen des voeux.

Je voudrais, à ce stade, faire un rapide focus sur le lycée d'origine comme paramètre de classement. Selon la Cour des comptes, jusqu'à 20 % des filières non sélectives les plus en tension ont eu recours à ce paramètre en 2019. Cette pratique, jugée discriminatoire par le Défenseur des droits, ne fait à ce jour l'objet d'aucune régulation par le ministère. Or le critère de « réputation » d'un lycée ne permet pas de déduire de manière automatique le type de notation qu'il applique. Qui plus est, ce paramètre, essentiellement subjectif, alimente le soupçon d'opacité des méthodes de classement.

J'appelle donc le ministère à clarifier les pratiques en définissant un critère objectif, fondé sur l'écart de notation existant entre la moyenne du contrôle continu de terminale et les résultats au baccalauréat. Telle est ma cinquième recommandation.

Quatrième et dernier axe d'amélioration : mieux prendre en compte certaines catégories de candidats.

La première catégorie que j'identifie est celle des boursiers. Vous le savez, la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants (ORE) a instauré, dans le cadre de Parcoursup, des quotas de boursiers pour l'accès aux formations non sélectives en tension. Les données statistiques nationales montrent toutefois que ces quotas de boursiers ont globalement eu un faible impact. La seule filière pour laquelle les quotas de boursiers ont eu une incidence statistiquement significative est celle préparant au BTS, formation dans laquelle les boursiers sont déjà sur-représentés.

Pour améliorer la part des boursiers admis dans l'enseignement supérieur, plusieurs pistes d'évolution pourraient être envisagées : un changement de définition de la catégorie de boursiers en retenant celle en vigueur dans l'enseignement supérieur - ce qui permettrait de diversifier davantage les profils ; une refonte des modalités de fixation des quotas de boursiers - par exemple, en relevant le plancher défini pour certaines filières sélectives ; un renforcement de la lutte contre l'autocensure...

Ces différentes options doivent être travaillées et concertées, d'où ma sixième recommandation, appelant le ministère à revoir les modalités d'accès facilité des boursiers à l'enseignement supérieur, pour les rendre plus opérantes.

Deuxième catégorie de candidats à mieux prendre en compte, ceux en reprise d'études. Cette population, qui reste mal identifiée, est de plus en plus nombreuse, sa part atteignant désormais 10 % des inscrits. Du fait de leur parcours particulier, ces étudiants ne disposent pas du même environnement d'information et d'accompagnement que les néo-bacheliers, pour qui Parcoursup a d'abord été conçu.

Ma septième recommandation consiste donc à demander au ministère de lancer une réflexion sur les moyens d'adapter Parcoursup aux candidats en reprise d'études.

Comme je vous l'ai indiqué tout à l'heure, mon dernier développement, que j'ai voulu comme une ouverture sur un sujet plus large et cher à notre commission, celui du continuum bac -3/+ 3, portera sur l'accompagnement à l'orientation au lycée.

J'y vois là un chantier urgent pour le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'enseignement supérieur. Mettre à disposition des lycéens un service public ambitieux de l'accompagnement à l'orientation est en effet le pendant indispensable à Parcoursup et à la réforme du lycée.

Quelle est la situation actuelle ?

Les travaux de recherche disponibles, dont plusieurs m'ont été présentés en audition, montrent clairement que l'accompagnement à l'orientation des lycéens est très inégalitaire. Tous les élèves ne disposent pas du même capital de conseil et d'accompagnement. Le poids du milieu socioculturel familial sur les aspirations d'études et sur l'accompagnement à la construction du projet d'orientation est très important. Une étude révèle ainsi que dans les familles appartenant aux CSP +, 80 % des élèves font appel à leurs proches pour les conseiller dans la maturation de leur projet d'études.

À ces inégalités sociales familiales viennent s'ajouter des inégalités dans la qualité et l'intensité du service d'accompagnement à l'orientation mis en place par les lycées. Les pratiques de suivi des élèves pour leur orientation sont en effet très hétérogènes d'un établissement à l'autre. Alors que certains sont particulièrement impliqués, d'autres renvoient davantage cette question aux familles. Cette hétérogénéité des politiques d'accompagnement à l'orientation s'exprime à trois niveaux :

- au niveau de la précocité du service délivré : certains établissements, notamment ceux situés dans un environnement social favorisé, mettent en place un accompagnement à l'orientation dès la dernière année de collège ou dès la seconde, alors que d'autres, généralement moins favorisés socialement, attendent l'année de première voire de terminale ;

- au niveau de l'intensité de l'accompagnement : c'est également dans les établissements considérés comme favorisés que le suivi des élèves apparaît beaucoup plus serré et régulier que dans les établissements qui le sont moins ;

- au niveau de la qualité de l'accompagnement : toujours dans ces lycées favorisés, le service d'accompagnement est aussi plus individualisé, alors qu'il repose davantage sur des pratiques collectives dans les lycées moins favorisés.

Les raisons à cette hétérogénéité sont multiples : caractéristiques de l'ancrage social et territorial de l'établissement, degré d'implication plus ou moins grand des enseignants, notamment des professeurs principaux, effectifs plus ou moins importants des autres professionnels scolaires (conseillers d'orientation, psychologues scolaires, conseillers principaux d'éducation)...

J'alerte ici sur le fait que les lacunes et l'hétérogénéité du service public de l'accompagnement à l'orientation au lycée alimentent l'essor d'un marché privé, qui, en plus de ne faire l'objet d'aucun contrôle, contribue à aggraver les inégalités entre lycéens, compte tenu des tarifs pratiqués.

Bien sûr, ces inégalités ne sont pas nouvelles, mais elles s'expriment plus fortement depuis la mise en place de Parcoursup. L'usage de la plateforme nécessite en effet de comprendre et de savoir traiter la quantité d'informations disponibles, de saisir les subtilités des différents critères d'examen des candidatures, d'être en capacité de rédiger des lettres de motivation, de faire des choix stratégiques au moment de l'expression des voeux, autant d'aspects que le lycéen, seul, ne peut pas entièrement maîtriser. Parcoursup rend donc encore plus nécessaires le conseil et l'accompagnement à l'orientation.

Cette nécessité se fait également sentir pour le déroulement de la scolarité au lycée. En effet, la réforme du baccalauréat et du lycée, avec notamment la nouvelle organisation des enseignements de spécialité, rendent les choix d'orientation plus précoces - la détermination des spécialités s'effectue dès la classe de seconde - et plus décisifs - les spécialités suivies en première et en terminale conditionnent largement l'orientation post baccalauréat.

Pour toutes ces raisons, il est urgent que l'État revoie les modalités et les moyens du service public d'accompagnement à l'orientation au lycée, condition sine qua non à :

- une mise en oeuvre cohérente de la réforme du lycée et du baccalauréat ;

- une réduction des inégalités entre lycéens dans l'accès à un accompagnement de qualité ;

- une maîtrise de Parcoursup par tous ;

- une meilleure efficience du continuum bac 3/bac + 3.

Il me semble que pour mettre en oeuvre cette huitième et dernière recommandation, plusieurs leviers doivent être activés :

- mieux former, outiller et doter les professeurs principaux pour accomplir leur mission d'orientation ;

- reconsidérer, au regard des besoins, les effectifs des autres professionnels intervenant dans l'orientation : conseillers d'orientation, psychologues de l'éducation nationale, personnels des centres d'information et d'orientation... ;

- revoir l'organisation et la gestion du service public de l'orientation, en retravaillant sa dimension territoriale - notamment le rôle des différents acteurs locaux (région, rectorat, lycées, établissements d'enseignement supérieur...) - la plus à même de répondre au plus près des attentes et des besoins ;

- mettre à profit la période de latence de trois mois entre les épreuves de spécialité du baccalauréat et les épreuves finales pour préparer les lycéens à leur arrivée dans l'enseignement supérieur.

Voilà, mes chers collègues, autant de pistes de réflexion que j'ai voulu soulever et de propositions que j'ai souhaité formuler, et dont j'espère les ministères concernés se saisiront en vue de la prochaine rentrée scolaire et de la session 2024 de Parcoursup.

Je vous remercie pour votre attention.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour ce rapport complet, dans la continuité de ceux que vous avez déjà réalisés sur le sujet. Au-delà du ressenti des usagers, il permet d'avoir une vision précise de Parcoursup et des recommandations qui pourraient encore améliorer cet outil.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci beaucoup pour la qualité de votre travail. Grâce à vos analyses régulières sur Parcoursup, le Sénat a acquis une vraie compétence en la matière. L'Assemblée nationale a d'ailleurs lancé pour la première fois une mission assez comparable. Elle nous copie, preuve de notre excellence.

Je partage intégralement vos observations. J'aimerais revenir sur la question des algorithmes locaux, sur laquelle je travaille depuis six ans. Cette mécanique cachée permet à certaines filières de sélectionner plus rapidement les dossiers. Il faut rappeler que cela est contraire à la loi. Le règlement général sur la protection des données (RGPD) interdit totalement de faire de la sélection de dossiers sur des critères seulement algorithmiques. Nous discutons en ce moment du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, dans lequel nous tentons d'imposer aux GAFAM le respect du RGPD. Il serait quand même invraisemblable que nous n'arrivions pas à l'imposer aux administrations publiques. Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche doit mener un véritable contrôle de légalité en la matière, pour s'assurer que tous les établissements gèrent la sélection de ces dossiers en conformité avec le RGPD. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas.

Je partage complètement votre sentiment en ce qui concerne les lycées d'origine. J'ajoute qu'on observe une certaine conjonction avec le « Parcoursup » du master, dont c'est la première année. Cela a conduit à une tendance à la métropolisation des filières. Il est très difficile pour des étudiants ayant fait leur licence ou leur master 1 dans des universités de province de rejoindre des universités des métropoles. Des filières se créent sur des bases géographiques. Comme vous l'aviez montré, monsieur le Président, dans votre rapport d'information sur la condition de la vie étudiante, il y a une diminution de la mobilité étudiante. La réforme d'accès aux masters a encore accentué cette tendance.

Un journal du soir a publié récemment une enquête montrant les dégâts de la métropolisation, qui est bien plus importante que nous ne le pensions. L'université renforce encore cette métropolisation, en concentrant l'offre sur un certain nombre de lieux. Il s'agit d'un problème dont il faut absolument s'emparer. Notre mission et le récent rapport de la Cour des comptes sur les universités et les territoires ont montré que nous avions besoin de recréer un réseau d'universités pour mieux drainer les territoires ruraux, aujourd'hui les plus éloignés de ce système.

Très justement, vous rappelez que les réformes de Parcoursup, du lycée et du baccalauréat n'ont pas été pensées de façon cohérente. Les deux ministres doivent travailler de concert et réfléchir à la transformation du calendrier tel que Monsieur Macron, nouveau « ministre » de l'éducation nationale, l'a annoncé. On ne peut pas travailler sur le calendrier du lycée sans travailler sur le calendrier de Parcoursup. Tout un travail de cohérence doit être conduit. Il serait bien que notre commission entende les deux ministres sur ce sujet. Le Sénat doit mettre dans le système de l'interministériel, qui aujourd'hui n'existe plus.

Mme Annick Billon. - J'adresse également mes félicitations au rapporteur pour le travail qui a été mené. Nous sommes tous alertés dans nos territoires sur les difficultés et les incompréhensions liées à Parcoursup. Des témoignages nous reviennent très régulièrement, avec un sentiment d'injustice et une angoisse alimentée par l'opacité. Le groupe Union centriste partage donc les recommandations qui visent à clarifier et à accélérer le processus. L'attente dure parfois jusqu'à mi-juillet et provoque de l'angoisse chez les parents et les élèves. Il faut raccourcir les délais et clarifier le traitement par les algorithmes, qui sont tant décriés.

Nous partageons les recommandations sur la lutte contre les inégalités. Le lycée d'origine ne peut pas être déterminant pour l'orientation. Cela défavorise notamment les territoires ruraux. Certains élèves, malgré des notes tout à fait correctes, n'ont aucune chance d'accéder à certaines filières. Je voudrais en profiter pour soulever la question des places pour jeunes filles en internat, qui m'a été signalée. Certaines filières dans l'enseignement supérieur obligent à l'internat. Or, le nombre de places pour jeunes filles en internat est souvent bien inférieur à celui des places pour garçons. Il y a donc une discrimination et cela rend encore plus difficile l'augmentation de la proportion de jeunes filles dans ces filières, notamment scientifiques. Je songe notamment à des filières en région parisienne, non loin du secteur géographique de notre collègue Laure Darcos...

Je suis également sensible aux propositions sur l'accès des boursiers, ainsi que des personnes en reprise d'études. Les carrières et les parcours professionnels sont amenés à évoluer et un certain nombre de personnes sont dès lors conduites à devoir se former à nouveau.

S'agissant du troisième volet de recommandations sur l'orientation, il ne peut pas y avoir de choix éclairé avec Parcoursup sans un travail d'orientation. Cela implique de dégager du temps pour les enseignants et pour tous les autres acteurs. Cela nécessite aussi de développer des outils. Il faut des compétences particulières pour réussir à orienter les jeunes vers des filières qui non seulement leur correspondent, mais offrent également des débouchés. À ce stade, nous n'avons pas les compétences et le temps pour orienter les jeunes de façon éclairée. Il est notamment important de les renseigner sur les possibilités de passerelles, qui ne sont pas assez mises en avant.

Merci encore pour ce travail utile et nécessaire. Parcoursup est aujourd'hui décrié, car il est vecteur d'angoisses et d'inégalités.

Mme Sylvie Robert. - Je voudrais remercier Jacques Grosperrin et nos collègues experts en la matière pour le travail très intéressant qui nous est présenté. Il s'agit d'une réflexion de plusieurs années et d'un travail très bien documenté. Les propositions ont d'autant plus de force qu'elles sont équilibrées. La question de l'orientation est particulièrement cruciale.

Je voudrais revenir sur la recommandation n° 5 relative au lycée d'origine. Elle appelle à « substituer au critère du lycée d'origine un critère plus objectif, fondé sur l'écart de notation existant entre la moyenne du contrôle continu de terminale et les résultats au baccalauréat ». Je comprends tout à fait la logique, mais je souhaiterais que vous nous expliquiez la méthode d'approche. Cette substitution va prendre du temps puisqu'il faudra regarder, par établissement, l'écart entre la notation qu'il pratique et celle des résultats du baccalauréat. Comment envisagez-vous la méthodologie et selon quel calendrier ?

Je trouve également intéressante la recommandation n° 7 s'agissant des candidats en reprise d'études. Je ne pensais pas qu'ils étaient si nombreux. C'est une catégorie en développement et il est important que Parcoursup s'adapte à cette population. S'agissant du calendrier, il faudra voir comment celui-ci pourra s'adapter aux récentes annonces qui ont été faites.

M. Max Brisson. - Sylvie Robert ayant dressé une couronne de laurier sur la tête de Jacques Grosperrin, j'en suis donc dispensé. J'ai aussi beaucoup apprécié l'écho de l'intervention de Pierre Ouzoulias ; il y a bien eu un binôme dans l'analyse.

L'interministériel en arrive à sa quintessence puisqu'il s'effectue en une seule personne, celle du Président de la République... Je voudrais saluer le travail de notre rapporteur, qui aurait pu tomber dans le piège de l'air ambiant. Dans les rencontres que je fais, j'entends des critiques extrêmement féroces contre Parcoursup. Après tout, le rapport aurait pu appeler à changer de système, celui-ci étant profondément critiqué du nord au sud, et d'est en ouest. Jacques Grosperrin a eu le mérite d'adopter une approche technique et de ne pas répondre avec facilité à une opinion aujourd'hui chauffée à blanc.

Parcoursup est aujourd'hui le lieu où se cumulent tous les stress. Tous ces stress ne sont pas liés obligatoirement à la plateforme. Parcoursup est largement le bouc émissaire de ces stress successifs. Il y a d'abord le stress d'une orientation que les parents considèrent comme nouvellement précoce - cela mérite d'être discuté. Les parents disent ne pas comprendre pourquoi leurs enfants doivent choisir si tôt leur orientation. Il y a ensuite un calendrier chaotique du baccalauréat, qui alterne entre périodes de détente absolue et de stress intense. On ne pouvait pas faire plus idiot. Mais dans ce pays, il est très difficile de reconnaitre ses fautes et d'y remédier rapidement. Changer le calendrier du baccalauréat ne nécessite pas obligatoirement l'arbitrage du Président de la République ; cela pourrait être décidé par un chef de bureau du 110 rue de Grenelle.

Je veux saluer les recommandations de ce rapport concernant l'information, l'harmonisation, le calendrier ou encore les critères d'examen. Je comprends parfaitement la recommandation n° 5, mais je partage aussi ce qu'a indiqué Sylvie Robert sur sa mise en oeuvre. Cette recommandation consiste à essayer d'instiller dans la plateforme ce que faisaient autrefois les commissions d'admission dans les voies sélectives de l'enseignement supérieur. J'y ai participé pendant 30 ans et toutes les commissions savaient parfaitement relativiser les notes en fonction des établissements. Ce travail est beaucoup plus difficile avec une plateforme. Si le rapporteur a des idées techniques à soumettre au débat, il rendrait un immense service à la ministre de l'enseignement supérieur, qui est à mon avis devant un véritable casse-tête.

Cette recommandation n° 5 interroge par ailleurs la pratique de l'évaluation dans les lycées. S'il avait été conçu dans une réforme globale, Parcoursup aurait pu être l'occasion d'interroger les distorsions d'évaluation. Les commissions savaient lisser ces distorsions, ce que ne sait pas faire la plateforme. Se pose donc le sujet d'une harmonisation globale des évaluations. En la matière, l'origine des lycées crée de très fortes distorsions.

Par nature girondine et par esprit décentralisateur et régionaliste, j'ai quelques réticences à l'idée d'un service public national d'orientation. Cela ne m'a pas empêché de proposer un service public national de soutien scolaire ; on n'est pas à une contradiction près... Je serais plutôt favorable à ce que l'on confie la politique d'orientation aux régions. Mais c'est un débat à mener et chaque position est légitime. La réalité est que dans les lycées de petite taille, les heures qui devraient être consacrées à l'orientation sont dédiées à l'enseignement des spécialités. Les proviseurs font ce choix pour permettre à leur lycée de conserver la palette la plus large possible de spécialités, dans un système de concurrence entre les établissements.

Il faut donc inscrire, peut-être de façon plus affirmée que ne le fait le rapport, la nécessité absolue que les heures d'orientation prévues par la loi sur l'école de la confiance soient totalement sanctuarisées et ne puissent pas être utilisées dans d'autres buts. La réforme du lycée et des spécialités pose les questions fondamentales du « quand » et du « comment » de l'orientation. Le rapporteur a beaucoup parlé du « comment » ; je crois qu'il sera aussi nécessaire d'interroger le « quand ».

Cela renvoie au péché originel de la réforme Parcoursup, qui a été réalisée de façon segmentée et avant celle du lycée. La réforme du lycée n'a jamais été débattue, ni dans le monde de l'éducation parce qu'elle est tombée par le haut - malgré quelques débats sur le rapport Mathiot -, ni au Parlement puisque nous n'avons pu arracher que quelques heures de débat au Sénat pour discuter de cette réforme. Sur tous les bancs, nous avions prévenu des risques de mettre la charrue avant les boeufs. En ne prenant pas en compte une réforme bac -3/bac + 3 et en ne faisant pas une réforme lycée/licence, nous sommes passés à côté des sujets essentiels. Parmi ces sujets essentiels, il y a la question du rôle du baccalauréat. Je vous invite à lire l'excellent article de Public Sénat paru hier, où Pierre Ouzoulias et moi-même montrons nos divergences. Si c'est un certificat de fin d'études, tout le dispositif d'orientation doit s'effectuer avant. Comme dans la plupart des pays européens, il sanctionnerait ainsi la fin d'un cycle d'études. S'il reste un grade universitaire, alors il est le pivot de l'orientation.

Je rappelle que la seconde de détermination date des années 1980. Le fait que l'orientation se fasse à partir de la classe de première ne date donc pas d'aujourd'hui. En revanche, la société avait accepté, avec la filière S, un outil particulier qui permettait aux meilleurs élèves - et plutôt des classes favorisées - de retarder le moment de l'orientation. Avec un bac S, on retardait le choix d'orientation. Cela avait été la raison de la suppression du bac C et s'est fait aux dépens du niveau des mathématiques. Mais cela permettait un consensus social. Ce consensus a été cassé sans débat, de manière verticale par le ministre Blanquer, sans jamais le moindre échange sur le sujet.

Je suis favorable au système des spécialités, mais cela officialise le fait que l'orientation s'effectue dès la première. Faudrait-il encore qu'il y ait bien un consensus sur le sujet dans le pays. Nous ne l'avons jamais vérifié. Or, quand on ne vérifie pas les consensus et qu'il n'y a pas de débat, les rancoeurs et les non-dits se cristallisent dans un seul lieu : en l'occurrence ici Parcoursup. On fait porter à la pauvre plateforme bien des responsabilités qui sont d'ordre politique. Cela n'enlève rien au débat sur les algorithmes, dont je ne suis pas spécialiste et que je laisse à Pierre Ouzoulias.

Mme Nathalie Delattre. - Je félicite à mon tour notre rapporteur pour le travail effectué. Les propositions sont très synthétiques et très perspicaces. Vous avez su résumer ce que d'autres mettent plusieurs heures à expliquer.

Il faut que nous arrivions à redonner confiance dans Parcoursup. De toute façon, si ce n'est pas cet algorithme, cela en sera un autre. Nous avons un outil, il faut l'améliorer et il faut redonner confiance. Un nouveau métier, celui de coach en Parcoursup, vient d'émerger tant les parents sont inquiets. Il y en a qui peuvent payer un coach à leurs enfants, et ceux qui ne le peuvent pas. C'est une injustice cruelle. Parcoursup mobilise un couple enfant/parent ; j'en sais quelque chose depuis trois ans avec trois enfants. Aujourd'hui, des formations échappent à Parcoursup et des couples enfant/parent ne s'inscrivent pas sur la plateforme. Ils préfèrent aller vers des écoles très chères aux discours bien rodés et attrayants. Il y a des manoeuvres d'évitement de Parcoursup par peur de la plateforme et du fait du discours ambiant assez féroce.

J'entends la proposition sur la pondération et sur le lycée d'origine. Des amis de mes enfants ont eu des manoeuvres d'évitement de certains lycées ou sont allés en terminale en lycée public après une scolarité en lycée privé, pour avoir de meilleures notes et être sûrs d'intégrer des prépas vétérinaires...Quand on en arrive à devoir déscolariser un enfant pour s'assurer de remplir les critères d'une plateforme, c'est tout de même assez grave. Il faut donc trouver une proposition sur une méthode de pondération.

Par ailleurs, il faut faire une pause dans les réformes et s'assurer que celles-ci sont comprises et acceptées par tous. Il faut une véritable articulation entre l'éducation nationale et l'enseignement supérieur. J'ajoute également l'articulation avec l'enseignement agricole. Certains étudiants de prépas vétérinaires confient que s'ils avaient su qu'existaient des formations d'ingénieurs agronomes, ils n'auraient probablement pas choisi ce cursus. Je me souviens du ministre Blanquer appelant les élèves à se faire plaisir et à choisir les spécialités où ils sont les meilleurs. Un de mes enfants a choisi sciences physiques et sciences économiques. Quelle est l'orientation possible avec ces choix ? Il s'est finalement réorienté en terminale en sciences physiques et mathématiques. Il faut une meilleure compréhension des réformes et celles-ci doivent correspondre aux réalités de l'enseignement supérieur.

J'ai appris à l'occasion de Parcoursup que les écoles d'ingénieurs ont un critère supplémentaire, en faisant payer la participation aux concours. Il faut donc débourser de l'argent pour donner plus de chances à son enfant, ce qui n'est pas acceptable. On voit bien qu'il y a ainsi des inégalités, qu'il faut arriver à corriger le plus vite possible.

La recommandation n° 7 est l'occasion d'évoquer ces élèves qui ont été pris sur Parcoursup, mais sur des choix par défaut. Le nombre de jeunes réorientés est en augmentation. Cette réorientation prend aujourd'hui des proportions trop importantes, dues à la mauvaise orientation au premier choix.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie pour ce rapport, qui était nécessaire, et je salue l'ensemble des recommandations qui pointent tous les écueils de Parcoursup.

J'ai été frappée par le chiffre de 83 % des usagers trouvant Parcoursup stressant. Il faut avoir conscience que ce manque de confiance est aussi le résultat d'un manque de moyens donnés au post-bac, tout particulièrement aux filières en tension. Ce manque de moyens passe aussi par le faible nombre d'heures prévues au lycée pour l'orientation.

Vous appelez dans le rapport à s'occuper de l'orientation tout au long du lycée. Il est évident qu'il n'est pas possible de se préoccuper de l'orientation seulement à partir de la classe de terminale. Je suis même convaincue que l'orientation doit être préparée, par des moyens et des formations, dès le collège. La classe de terminale n'est que le final. Tous les choix effectués auparavant conduisent à l'orientation. Il faut donner les moyens pour permettre d'accompagner nos jeunes dans leur scolarité - au collège et au lycée.

M. Damien Regnard. - Il y a 400 000 élèves parmi les Français de l'étranger, dans plus de 570 établissements. Quand ils arrivent en terminale, ces élèves sont confrontés aux mêmes difficultés que les élèves de l'Hexagone, la distance en plus. Les élèves étrangers suivant la scolarité française doivent en outre surmonter de nombreux défis pour obtenir un visa leur permettant d'effectuer leurs études en France. 

En 2021, on estimait à 48 % le nombre de bacheliers français de l'étranger ayant pu intégrer Parcoursup. Il y a de gros problèmes d'adaptation et de transcription des systèmes de notation des lycées français de l'étranger aux paramètres de Parcoursup. À chacune de mes rencontres avec ces parents d'élèves ou avec les équipes de direction, les problèmes de Parcoursup sont mis en avant. Ces difficultés génèrent un départ vers l'étranger (Canada, Royaume-Uni, Suisse...) pour de très nombreux bacheliers de l'enseignement français à l'étranger. Cela est regrettable. D'une certaine manière, nous perdons ces élèves qui seraient pourtant à même d'intégrer le système universitaire français.

Mme Elsa Schalck. - À mon tour, je salue le rapport de notre collègue Jacques Grosperrin, qui travaille de longue date sur Parcoursup. Nous voyons bien à quel point l'orientation continue à être une période anxiogène pour les jeunes et leurs parents. Depuis le lancement de Parcoursup en 2018, cette procédure est toujours aussi stressante et opaque. L'outil a connu des améliorations techniques et procédurales ; c'est un point positif. Mais cet outil doit en rester un. Les algorithmes ne doivent pas remplacer l'humain. Les décisions d'orientation, pour le parcours et pour le choix géographique, sont des choix humains.

Je remercie le rapporteur d'avoir insisté sur l'angoisse et sur l'érosion des sentiments de clarté, de fiabilité et de transparence. Nous comprenons bien ce chiffre très parlant de 83 % de jeunes se disant stressés par la plateforme. Parcoursup ne leur inspire toujours pas confiance, cinq ans après sa mise en place. Cela doit nous conduire à nous interroger et je continue, à titre personnel, à émettre des doutes sur cet outil. L'orientation est avant tout un parcours d'accompagnement sur le long terme, et non uniquement sur un « instant t ». Cela fait des décennies que nous évoquons les difficultés de l'orientation, en raison notamment de la multiplication des acteurs. Pourtant, nous restons dans un pays où l'orientation est de plus en plus complexe, avec un essor des acteurs privés. Cela montre la faiblesse du service public de l'orientation. Des inégalités se creusent ainsi entre les élèves pouvant être accompagnés par leurs parents et ceux qui ne le peuvent pas. Je salue toutes les recommandations, mais j'appelle aussi à une réflexion plus globale sur l'orientation afin de pointer notamment l'essor des acteurs privés.

Mme Sonia de La Provôté. - S'agissant de l'orientation, le paradoxe est que cette question a été abordée dans un texte spécifique alors que nous n'avions pas traité de Parcoursup et de la réforme du lycée. On a fait les choses à l'envers depuis le début. Cela a conduit à un manque de lisibilité et de perspective dans les politiques à mettre en place.

S'agissant du choix des spécialités (trois en première, deux en terminale), il y a clairement en la matière des regrets à l'issue de Parcoursup. On conseille aux lycéens de choisir ce qu'ils aiment. Or, ce qu'ils aiment n'est pas forcément ce qui les amènera aux métiers qu'ils aiment. Par ailleurs, ces élèves méconnaissent certaines de leurs compétences. Il faudrait même plutôt choisir un coach en choix de spécialités qu'un coach en Parcoursup...

Que sont devenus les « oui si », qui faisaient partie des apports audacieux de Parcoursup ? A-t-on mis des moyens dans les universités pour les suivre ? Avec le recul que nous avons désormais, sait-on si ces étudiants ont poursuivi dans ce qu'ils souhaitaient faire et s'ils ont été accompagnés pour cela ?

Nous avions demandé une transparence sur les critères d'évaluation. Il est en effet important pour un jeune de savoir quels ont été les critères qui ont conduit à un refus d'acceptation dans un établissement d'enseignement supérieur. Il s'agit là d'un élément sérieux de transparence, qui aide les jeunes à mieux choisir leur voie.

Mme Alexandra Borchio Fontimp. - Je voudrais, avec sincérité, féliciter les travaux du rapporteur. Ce rapport est au coeur de l'actualité puisque le Président de la République a reconnu à Marseille que Parcoursup avait des failles. Le Gouvernement a certes l'habitude de le répéter chaque année, mais on peut espérer de nouvelles améliorations pour cette année. Le travail de Jacques Grosperrin permettra de documenter les projets du Gouvernement en la matière.

Aujourd'hui, c'est un fait : plus de la moitié des étudiants de première année de licence échouent. Il y a plus que des ajustements à proposer s'agissant de Parcoursup ; il faut initier une réforme, avec un focus nécessaire sur l'orientation. J'ai eu récemment le témoignage d'un lycéen d'Antibes en classe de première ayant pris comme options mathématiques et sciences économiques. Il a fait ce choix pour disposer, dans le cadre de Parcoursup, d'une matière scientifique et d'une matière économique. Il a décidé par la suite de candidater à la filière Staps. Parcoursup lui a alors demandé d'avoir l'option SVT. Il était prêt à redoubler sa première afin d'avoir cette option SVT. N'étant pas en échec scolaire, le lycée lui a refusé le redoublement, l'empêchant ainsi de pouvoir accéder à son projet...

Les étudiants et les enseignants utilisent toutes les techniques possibles d'évitement de la plateforme, preuve de son échec. Parcoursup a renversé le baccalauréat et a désorganisé l'année de terminale.

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons beaucoup parlé de la période bac -3/ bac et relativement peu de la période bac/bac + 3. Or, une orientation ne doit pas systématiquement s'arrêter au niveau du baccalauréat. J'ai le souvenir de discussions avec la ministre au moment de la loi ORE. Le premier cycle avait été relativement peu concerné par cette loi alors même que l'on sait qu'il y a un enjeu important d'orientation dans ce cycle. Il est nécessaire de favoriser les passerelles, de développer les « oui si ». Nous aurions intérêt, à l'avenir, à regarder cette partie « premier cycle », afin de pouvoir compléter le travail réalisé en bac -3 et jusqu'à Parcoursup.

M. Jacques Grosperrin. - Pierre Ouzoulias a raison : le Sénat a acquis une véritable compétence sur le sujet. Je remercie le Président Lafon d'avoir proposé cette mission, qui est d'actualité comme le rappellent les déclarations récentes. Je partage les réflexions sur les algorithmes locaux cachés. Au Lycée Louis le Grand, les dossiers sont examinés manuellement. Nous avons senti une véritable implication de toute l'équipe administrative et éducative. À l'université, la première phase de sélection se fait généralement par algorithme et l'appréciation se fait, dans une seconde phase, de façon manuelle.

Vous êtes plusieurs à avoir insisté sur la métropolisation des filières. Cela va véritablement poser un problème pour nos territoires ruraux. Chacun d'entre vous a également souligné l'attente et l'angoisse générées par Parcoursup. On a beaucoup parlé du poids du lycée d'origine. La Cour des comptes a montré que 20 % des filières non sélectives ont eu recours à ce paramètre en 2019. Cela est discriminatoire.

Je note par ailleurs la remarque d'Annick Billon sur l'insuffisance de places pour les jeunes filles en internat. Cela est simplement inacceptable.

S'agissant de la recommandation n° 5, qui appelle à retenir un critère plus objectif que celui du lycée d'origine ; vous avez raison de pointer ses difficultés de mise en oeuvre. Nous avons formulé cette proposition pour que le ministère de l'enseignement supérieur s'empare de ce sujet. Il est aujourd'hui dans une forme d'hypocrisie, en laissant les établissements faire ce qu'ils veulent ; il faut qu'il se positionne. Notre proposition s'inspire notamment de celle formulée par l'économiste Julien Grenet, que nous avons auditionné. Il doit y avoir des services compétents au ministère pour se pencher sur les modalités techniques permettant de mettre en oeuvre cette recommandation !

S'agissant de la recommandation n° 7, il ne faut en effet pas oublier cette catégorie d'étudiants en reprise d'études, qui atteint désormais 10 % des inscrits à Parcoursup.

Max Brisson a eu raison d'insister sur le défaut d'interministériel, qui est sans doute une des raisons de la faiblesse de notre système éducatif. Nos chefs d'établissement et nos recteurs se demandent souvent qui est le ministre de l'éducation nationale. Comme il l'a rappelé, le calendrier du baccalauréat est en effet chaotique.

L'orientation précoce a certes toujours existé, mais on la ressentait moins. La société est devenue plus sensible, peut-être plus attentive, mais aussi plus fragile. La sélection a toujours existé, même si elle était retardée via le baccalauréat S. La massification de l'enseignement n'a fait que la mettre en lumière.

Lors de l'examen de la loi ORE, nous avions reçu celui qui avait créé le dispositif admission post-bac (APB). Il nous avait appelés à ne pas jeter APB avec l'eau du bain... C'est le tirage au sort - auquel la ministre Vallaud-Belkacem avait fini par avoir recours - qui avait justifié un changement de système. Si l'on décidait de supprimer Parcoursup, on créerait encore de nouvelles angoisses pour les élèves et les parents. Je note qu'il y a une cristallisation de tensions sur le nom même de Parcoursup.

Il faut effectivement que les régions s'emparent de la politique d'orientation. Elles ne peuvent pas servir simplement à financer des salons.

La sanctuarisation des 54 heures d'accompagnement à l'orientation au lycée est en effet indispensable. Les enseignants ne sont pas suffisamment formés en la matière. Parfois, les chefs d'établissement utilisent ces heures pour d'autres missions. Je propose qu'on inscrive cette recommandation au sein de la proposition n° 8.

M. Max Brisson. - Cette sanctuarisation figurait déjà dans les propositions du rapport que j'ai commis sur le bilan des mesures éducatives du précédent quinquennat.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur. - Je crois qu'il serait utile de l'inscrire à nouveau dans ce rapport, afin d'insister sur ce sujet.

Il est vrai que certains élèves échappent à Parcoursup. Dans ma région, qui est limitrophe de la Suisse, les élèves du lycée horloger de Morteau ne s'inscrivent même pas sur la plateforme. Lors des journées portes ouvertes, des entreprises comme Cartier ou Jaeger-LeCoultre viennent les débaucher, avec des propositions de salaire à 7 à 8 000 euros à 18 ans. Cela pose cependant un problème pour leur progression de carrière. Ils progresseraient davantage s'ils faisaient un BTS par exemple. Nous connaissons aussi tous les cas d'élèves allant faire à l'étranger leurs écoles vétérinaires ou leurs études de médecine. Or, tout le monde ne peut pas se permettre de le faire. Je note que ce sont d'ailleurs souvent des enfants d'enseignants, qui disposent en la matière d'informations...

Il manque en effet des moyens tout comme il manque d'informations sur l'orientation. Il est évident qu'il faut renforcer la formation des enseignants sur ce sujet.

Je note la remarque intéressante de Damien Regnard sur les 400 000 élèves Français de l'étranger. Je suis néanmoins un peu moins inquiet pour eux, car les établissements français à l'étranger offrent souvent des formations de grande qualité et très diversifiées. Mais il était utile de pointer ces difficultés parce que nous n'avions pas intégré cette problématique dans notre réflexion.

Je partage les propos tenus sur la présence des acteurs privés dans les salons et sur le développement des coaches en orientation. Cela crée de fait des inégalités.

Une question a été posée sur les « oui si » : certains établissements ont mis en place ce dispositif, d'autres non. Cela reste très hétérogène.

S'agissant de la licence Staps, il s'agit de la seule filière ayant fait un effort d'harmonisation et de transparence au niveau national. Je crois qu'on gagnerait à prendre modèle sur elle.

Le président Lafon a appelé à s'intéresser à la séquence bac/bac+ 3. Outre Parcoursup, il faudrait s'intéresser à Afflenet-lycée, à MonMaster... C'est le rôle du Sénat d'apporter des éclairages sur les accompagnements nécessaires et d'alerter sur les responsabilités des ministères concernés.

M. Laurent Lafon, président. - Êtes-vous d'accord pour adopter les propositions du rapport en un seul vote et pour compléter la recommandation n° 8 avec la sanctuarisation des 54 heures d'accompagnement à l'orientation au lycée ?

Qui est pour ?

Il y a unanimité.

Les recommandations sont adoptées et en conséquence la publication du rapport d'information est autorisée.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

Mission d'information « Patrimoine et transition écologique » - Examen du rapport et vote sur les recommandations

M. Laurent Lafon, président. - Notre ordre du jour appelle enfin l'examen du rapport préparé par Sabine Drexler consacré à la situation du patrimoine au regard de la transition écologique et le vote de ses recommandations.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Vous vous souvenez que j'avais fait le choix, dans le cadre de mon avis sur les crédits du patrimoine dans le projet de loi de finances pour 2023, de traiter de la question de la transition écologique du patrimoine compte tenu de l'ampleur progressivement prise par ce sujet.

Le président Laurent Lafon et moi-même nous étions ensuite rendus au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires le 2 février dernier afin de présenter à Christophe Béchu nos propositions. Il nous avait alors demandé d'y consacrer un rapport d'information spécifique pour lui permettre de mieux prendre en compte les problématiques liées à la préservation du patrimoine bâti dans la mise en oeuvre des politiques climatiques. Compte tenu de l'urgence de la décarbonation, il nous avait cependant alertés sur l'importance d'une présentation équilibrée du sujet, qui n'ait pas pour effet d'exclure l'ensemble du patrimoine bâti du champ de la législation climatique, afin qu'il puisse être en mesure de la soutenir et de la défendre en tant que ministre de la transition écologique.

Sur cette base, j'ai donc procédé à de nouvelles auditions afin de compléter la première série d'entretiens que j'avais réalisée pendant la période budgétaire et la table ronde organisée par notre commission sur cette question le 1er février dernier. Je me suis intéressée à la position défendue par certains de ceux qui mettent en oeuvre la politique climatique : l'Agence nationale de l'habitat, qui gère le dispositif « Ma Prime Rénov' », l'Agence nationale de la rénovation urbaine et une organisation professionnelle de diagnostiqueurs. J'ai également souhaité refaire un dernier point avec le directeur général des patrimoines afin d'être tenue informée des avancées intervenues sur ce dossier au cours des derniers mois. J'ajoute qu'en tant que vice-présidente de la commission d'enquête en cours sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, j'ai eu la possibilité d'entendre de nombreux acteurs concernés par ces questions et de leur poser un certain nombre de questions qui ont pu enrichir ma réflexion.

Il me semble d'abord nécessaire d'insister sur l'importance de s'emparer de cette question de transition écologique du patrimoine bâti. Le bâti ancien d'avant 1948 rassemble environ 10 millions de logements, soit un tiers du parc en France. Sa rénovation représente donc un enjeu pour de nombreux Français qui souhaitent à la fois pouvoir faire des économies d'énergie et disposer d'un plus grand confort de vie. Compte tenu de ses performances énergétiques, de l'ordre de 200 kWh par mètre carré par an, il s'agit clairement d'une typologie de bâti sur lequel des économies d'énergie significatives peuvent et doivent être réalisées.

Par ailleurs, il serait dommage de négliger cet enjeu tant les caractéristiques constructives du bâti ancien lui confèrent de sérieux atouts pour atteindre plus rapidement l'objectif de baisse des émissions de gaz à effet de serre. D'une part, le bâti ancien est nettement moins énergivore qu'il n'y parait. Grâce à sa grande inertie et sa conception bioclimatique, il affiche des consommations d'énergie nettement inférieures aux bâtiments construits pendant la période des Trente Glorieuses et, à la différence des bâtis modernes, il offre un véritable confort d'été qui rend inutile l'installation de dispositifs de climatisation énergivores. D'autre part, le bâti ancien tire très largement son épingle du jeu en matière de performance environnementale. L'empreinte environnementale de sa construction est, depuis longtemps, amortie. Sa réhabilitation n'exige qu'une faible quantité de matériaux, au bilan carbone relativement réduit, puisqu'il s'agit de matériaux naturels et durables, pouvant être soit extraits localement, soit récupérés.

Ces différents arguments justifient pleinement de trouver des solutions pour adapter le bâti ancien sur le plan énergétique, plutôt que de le voir détruit au profit de constructions neuves.

Le problème, c'est que la législation en matière de rénovation thermique n'est pas aujourd'hui adaptée aux spécificités du bâti ancien, au risque d'y porter des atteintes irréversibles. Pour être certain de répondre de manière rapide et massive au défi posé par l'urgence climatique, notre pays a en effet fait le choix de privilégier des dispositifs uniformes, mais comme ceux-ci ont été conçus en fonction des normes modernes de construction, ils ne correspondent pas aux besoins et aux comportements du bâti ancien.

Or, à l'exception des monuments historiques, exemptés de diagnostic de performance énergétique (DPE), le reste du bâti ancien est assujetti aux obligations de DPE et de rénovation énergétique globale, ce qui signifie qu'ils devront faire l'objet d'adaptations au niveau de l'isolation des murs, de l'isolation des toitures, de l'isolation des planchers bas, des menuiseries extérieures, des systèmes de ventilation, du système de chauffage et d'eau chaude sanitaire pour être loués ou vendus si l'étiquette qu'ils obtiennent lors du DPE n'est pas conforme. Il y a donc deux enjeux.

D'une part, les modalités de calcul du DPE permettent-elles de rendre compte des performances énergétiques du bâti ancien ? Malheureusement, non. J'en veux pour preuve les chiffres récents publiés par l'ADEME, qui montrent que 60 % du bâti d'avant 1948 a été classé comme « passoire thermique » dans le cadre des diagnostics réalisés au premier trimestre 2023. D'autre part, les prescriptions de travaux sont-elles adaptées au bâti ancien ? Là encore, la réponse est non. Pensons à l'isolation par l'extérieur ou au remplacement des menuiseries extérieures : ces solutions font courir de vrais risques au bâti ancien. Elles peuvent affecter sa valeur patrimoniale et générer des pathologies - de l'humidité et le développement de moisissures - qui peuvent rendre sa dégradation irréversible et son occupation impossible. Le problème, c'est que non seulement ces solutions standardisées correspondent à celles qui sont le plus proposé, mais elles sont aussi les moins coûteuses et les seules qui soient subventionnées. Les propriétaires sont donc triplement encouragés à y recourir.

Cette situation n'est pas sans faire courir un certain nombre de risques. L'interdiction progressive de location des passoires thermiques fait tout d'abord craindre une multiplication des vacances de logements dans le bâti ancien, qui pourrait alimenter la crise du logement, la désertification des centres anciens, l'exode rural, et avoir des conséquences sur la préservation du patrimoine puisqu'on sait combien un immeuble non entretenu est un immeuble qui se dégrade.

Beaucoup redoutent également un effacement progressif du patrimoine non protégé et une banalisation des caractéristiques architecturales propres à chaque région à cause de travaux inadaptés.

La préférence accordée aux solutions standardisées et industrielles pourrait contribuer à la disparition accélérée des savoir-faire traditionnels. Elle pose question d'un point de vue écologique, compte tenu de la consommation inutile de matériaux importés et de la multiplication des déchets qu'elle implique. Elle pourrait générer un gaspillage d'argent public en créant des désordres sur le bâti ancien à moyen terme, qui nécessiteront une action de l'État.

Je suis convaincue que l'adaptation du cadre juridique est indispensable afin d'écarter ces différentes menaces et rendre possible une transition énergétique plus respectueuse du bâti ancien. De telles adaptations semblent d'autant plus légitimes que la directive de l'Union européenne sur la performance énergétique des bâtiments rend de toute façon possibles les exceptions aux règles de rénovation et de performance pour les bâtiments ayant un intérêt architectural ou historique.

L'enjeu prioritaire, à mes yeux, est d'adapter les prescriptions aux typologies de bâti, afin que le bâti ancien ne soit plus frappé d'indignité comme il l'est en quelque sorte aujourd'hui.

Je pense que nous devons impérativement recommander l'élaboration d'un DPE spécifique au bâti ancien ou, à défaut, l'adaptation des modalités de calcul du DPE pour mieux restituer les performances réelles du bâti ancien. Le modèle du DPE n'est pas suffisamment dynamique. D'autres critères doivent entrer en ligne de compte : les caractéristiques des matériaux, les usages, le confort thermique d'été du bâtiment, sa valeur patrimoniale et architecturale, ses interactions avec son environnement ainsi que l'amortissement de son coût carbone. Il serait utile que ce nouvel instrument entre en application au plus tard en 2025, puisqu'entreront alors en vigueur les premières interdictions de mise en location des passoires thermiques.

En attendant son élaboration, le mieux me semblerait d'en revenir à la méthode de calcul du DPE sur facture pour le bâti ancien, ce qui permettrait de mieux prendre en compte l'hétérogénéité des matériaux et la réalité des usages des différentes pièces du logement.

Ensuite, nous devons trouver des moyens afin de prémunir le bâti ancien contre les rénovations thermiques inappropriées. Nous manquons aujourd'hui de matériaux et de techniques validés pour la rénovation énergétique du bâti ancien. Il y a un vrai enjeu autour de l'élaboration de ces normes.

Je pense aussi que l'impact environnemental et le caractère durable des travaux engagés devraient faire partie des critères pris en considération pour l'élaboration des prescriptions en matière de travaux. Cette évolution permettrait de promouvoir davantage les matériaux bio-sourcés et géo-sourcés, aujourd'hui peu utilisés, alors qu'ils sont plus adaptés au bâti ancien. De même, le réemploi et la réversibilité des travaux devraient à mon sens entrer en ligne de compte dans les prescriptions.

J'en viens maintenant au deuxième enjeu fondamental à mes yeux, celui des compétences en matière de bâti ancien des professionnels intervenant en matière de rénovation énergétique. C'est évidemment toute la question de la formation.

Afin de garantir des mesures de la performance énergétique fidèles aux propriétés intrinsèques du bâti ancien, ainsi que des prescriptions de travaux et des rénovations qui ne soient pas susceptibles de lui faire subir des dommages irrémédiables, il faut assurer la montée en compétence des diagnostiqueurs, des accompagnateurs Rénov', des bureaux d'études, des maîtres d'oeuvre et des artisans en matière de connaissance du bâti ancien et d'utilisation des matériaux bio-sourcés. La solution d'une certification me paraitrait sans doute la plus appropriée, ce qui suppose aussi un bon contrôle des organismes de certification afin de s'assurer de la qualité et du caractère homogène de la formation dispensée.

Se pose aussi la question de la formation des architectes à la réhabilitation du patrimoine, question d'autant plus importante que la loi « Climat et résilience » leur confie un rôle pour attester des contraintes architecturales et patrimoniales justifiant une rénovation énergétique allégée par rapport à la rénovation énergétique globale performante telle qu'elle la définit. Nous avions déjà abordé cette question dans le cadre de mon avis budgétaire. Quand on sait que 80 % des logements de 2050 sont déjà construits, on comprend à quel point le métier d'architecte est amené à évoluer. Il faut adapter le contenu de la formation dispensée aux élèves des écoles nationales supérieures d'architecture en conséquence afin qu'ils soient davantage sensibilisés au cours de leur scolarité aux questions de restauration du patrimoine et de rénovation énergétique. C'est un enjeu de plus en plus pris en compte par le ministère de la culture : il convient qu'il aille plus loin dans cette direction.

Le troisième défi soulevé par ce vaste mouvement de rénovation énergétique, c'est celui de la meilleure identification des bâtiments qui doivent impérativement être conservés, soit pour leur valeur intrinsèque, soit pour leur contribution à la cohérence architecturale et patrimoniale d'un ensemble urbain. Les maires se retrouvent aujourd'hui dépassés par la multiplication des demandes d'autorisation d'isolation par l'extérieur et ils n'ont pas le droit de s'y opposer, à moins que des protections patrimoniales ne l'interdisent. Beaucoup de maires ignorent que le PLU peut identifier le patrimoine à conserver et définir des prescriptions de nature à assurer sa préservation - ou en tout cas ils ne se saisissent pas de cette faculté. Je crois nécessaire d'encourager les maires à s'emparer de cette possibilité. À cet effet, je pense qu'il pourrait être efficace de conditionner l'octroi ou de bonifier le taux de certaines subventions départementales, régionales ou nationales à l'élaboration d'un tel PLU patrimonial. C'est ce que la collectivité européenne d'Alsace s'apprête d'ailleurs à faire dans le cadre de sa politique de sauvegarde de la maison alsacienne.

Le quatrième enjeu, c'est d'approfondir les connaissances sur le bâti ancien. Compte tenu de l'inadaptation des solutions de rénovation thermique standardisées au bâti ancien, il est essentiel que l'État soutienne la recherche fondamentale et appliquée afin de retrouver des savoir-faire traditionnels, d'identifier des matériaux et de développer des technologies compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien et accessibles financièrement. L'accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locale, sorte de filière artisanale de la transition écologique, doit également faire figure de priorité.

Le ministère de la culture me parait également devoir jouer un rôle de sensibilisation des propriétaires et des collectivités territoriales aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse du bâti ancien. Il lui appartient en priorité de recenser et diffuser les bonnes pratiques ou encore d'établir de bonnes pratiques, même si d'autres structures peuvent également contribuer dans ce domaine - je pense en particulier aux CAUE ou aux associations de préservation du patrimoine comme Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables, Petites Cités de caractère.

Le cinquième enjeu est d'ordre financier. Les aides financières et fiscales doivent être réorientées pour leur permettre d'accompagner des rénovations énergétiques qui soient véritablement respectueuses du bâti ancien. Lorsque la rénovation porte sur ce type de bâti, il faut que les aides publiques soient conditionnées à la bonne prise en compte de ses caractéristiques ; il faut également que les matériaux bio-sourcés en circuit court soient mieux valorisés dans l'octroi des aides.

Au-delà des subventions, il faut également développer de nouveaux outils fiscaux. Vous vous souvenez que la Fondation du patrimoine avait proposé que son label soit étendu aux travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien. Il me semble que ce serait un excellent moyen en faveur de la transition écologique du patrimoine non protégé en milieu rural. Éventuellement, on pourrait l'étendre jusqu'aux communes de 50 000 habitants afin de mieux traiter la problématique du patrimoine non protégé dans les centres anciens.

En ce qui concerne les centres anciens justement, une réforme des dispositifs « Denormandie » et « Malraux » pourrait permettre d'y accompagner mieux les travaux de rénovation énergétique. Vous vous souvenez que le ministère de la culture plaide depuis plusieurs années pour la mise en place d'un taux unique à 30 % afin de renforcer l'attractivité du dispositif Malraux, destiné à soutenir la réhabilitation des immeubles situés dans le périmètre des sites patrimoniaux remarquables. L'idée serait aussi de mettre en place un taux bonifié à titre temporaire, par exemple de 50 %, afin d'attirer les bailleurs à rénover les îlots dans lesquels les plus forts besoins de réhabilitation se font sentir, y compris sur le plan énergétique.

Évidemment, une action coordonnée de l'ensemble des ministères est indispensable pour parvenir à relever le défi de la transition écologique du bâti ancien. Nous avons déjà eu l'occasion de regretter que le dialogue interministériel entre le ministère de la culture et le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT) ait longtemps tardé à se mettre en place. Une acculturation mutuelle est indispensable pour parvenir à mieux concilier les enjeux de la transition écologique avec la préservation du patrimoine.

Je pense qu'il nous faut demander la pleine association du ministère de la culture à la mise en oeuvre de nos différentes recommandations, qu'il s'agisse de l'adaptation du DPE, de la normalisation des matériaux et des techniques de rénovation applicables au bâti, de la conception, du développement et du pilotage de l'offre de formation, ou encore de la réforme des modalités de subventionnement.

Je reste aussi dans l'idée que l'organisation d'États généraux du patrimoine durable, permettant de rassembler les acteurs de la transition écologique et ceux du patrimoine, serait un bon moyen d'identifier en commun les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre.

Après avoir entendu la réponse de Christophe Béchu à ma question d'actualité sur la protection du patrimoine résidentiel la semaine dernière, j'ai l'espoir que ces recommandations pourront être mises en oeuvre. Je vous remercie.

M. Laurent Lafon, président. - Merci à notre rapporteur. J'ouvre sans plus tarder la discussion générale sur les conclusions de cette mission, en donnant la parole prioritairement à un intervenant par groupe.

Mme Marie-Pierre Monier. - Bravo pour ce rapport qui prolonge le travail effectué lors du dernier débat budgétaire : vos recommandations apportent aujourd'hui des réponses extrêmement pertinentes aux problématiques qui avaient été soulevées.

L'enjeu est très important et, en particulier, il conditionne l'acceptabilité par nos concitoyennes et concitoyens des politiques environnementales ambitieuses. De plus, la priorité aujourd'hui accordée à la lutte contre l'artificialisation des sols implique à l'évidence de tout mettre en oeuvre pour mieux valoriser et continuer à faire vivre notre bâti ancien.

Permettez-moi de commenter rapidement les principaux axes que vous avez dessinés. Le premier traite la question cruciale du diagnostic de performance énergétique (DPE) qui, pour l'instant, ne tient pas suffisamment compte des spécificités du bâti ancien dont les propriétés thermiques sont pourtant remarquables. Nous devons être d'autant plus vigilants à ce sujet que la loi « Climat et résilience » prévoit l'interdiction progressive de mise en location des logements les moins bien classés en termes de performance énergétique. Vous avez bien souligné l'urgence de remédier à cette défaillance avant 2025.

Le deuxième axe du rapport porte sur la formation des intervenants aux spécificités du bâti ancien : celle-ci doit s'étendre à l'ensemble de la filière que constituent les architectes, diagnostiqueurs, bureaux d'études, maîtres d'oeuvre et artisans. Comme vous le soulignez, une formation adéquate permettra de choisir les solutions les mieux adaptées et de se détacher de l'approche standardisée qui prévaut encore aujourd'hui. Par exemple, la tendance actuelle à se focaliser sur les fenêtres ou l'isolation extérieure n'est souvent pas la plus efficace pour améliorer l'efficacité énergétique du bâti ancien. Des efforts de formation ont d'ores et déjà été engagés auprès de certains professionnels, mais vous avez raison de préconiser leur systématisation. Je souhaiterais ici vous interroger sur le rôle spécifique des architectes des Bâtiments de France dans ce domaine.

En ce qui concerne le troisième axe du rapport, j'approuve votre recommandation qui tend à encourager les collectivités territoriales à identifier le patrimoine bâti à préserver dans le cadre du plan local d'urbanisme. J'insiste cependant sur la nécessité d'accompagner les collectivités concernées en leur donnant plus de moyens en ingénierie.

S'agissant du quatrième axe qui vise à approfondir la connaissance du bâti et à encourager le soutien de la recherche fondamentale et appliquée dans ce domaine, je fais observer que pour être fructueux, ce soutien doit être pensé et financé sur le temps long.

J'exprime juste une petite réserve, dans l'axe cinq, sur l'extension du label de la Fondation du Patrimoine aux travaux de rénovation énergétique dans les communes de moins de 50 000 habitants. En effet, ce label cible traditionnellement le bâti des petites communes et je crains que celles-ci pâtissent d'un élargissement du périmètre d'action de la Fondation du Patrimoine. Il est essentiel de maintenir la mission première de celle-ci en faveur de la protection et de la valorisation du patrimoine rural sans diluer cet objectif dans un ensemble plus vaste. En tout état de cause, il convient d'accompagner toute modification de ce périmètre d'un accroissement de ressources financières correspondant.

Enfin, je m'associe à la recommandation de décloisonnement au niveau ministériel et administratif que porte le sixième axe du rapport.

Je vous vous remercie pour ce rapport qui fera date et qui, je l'espère, sera repris par le Gouvernement.

Mme Béatrice Gosselin. - À mon tour de rendre hommage au travail conduit par Sabine Drexler qui répond à une véritable attente de nos territoires. Ils abritent de nombreux bâtis spécifiques, différents d'une région et d'un climat à l'autre, mais adaptés aux territoires. Abîmer ces édifices en les isolant de façon inadaptée par l'extérieur risque de les dégrader de façon irrémédiable sans tenir compte de leurs qualités thermiques. Je souligne également qu'on oublie trop souvent les excellentes propriétés phoniques d'un mur en masse ou d'un plancher en terre, par exemple.

J'adhère pleinement à la proposition de réunir des états généraux pour prendre en compte ces spécificités. En effet, il est certain que le coût de rénovation à l'identique de ce bâti ancien est plus élevé au départ, mais, à l'arrivée, il l'est beaucoup moins si on prend en compte l'ensemble des paramètres. Ainsi, tout d'abord, l'utilisation de matériaux bio-sourcés locaux limite les besoins en transports ; ensuite, la durabilité de ces matériaux permet aux rénovations d'être beaucoup plus pérennes ; la préservation des spécificités locales ainsi que le recours aux entreprises de proximité me paraissent enfin essentiels. J'insiste ici sur la nécessité de soutenir les efforts de formation cousue-main en lien avec les artisans. La transition écologique doit, non pas seulement se traduire par des actions standardisées conduites par de grands opérateurs, mais aussi prendre en compte l'ensemble des facteurs et notre bâti ancien le vaut largement. Je précise que la plupart des fondations et des associations du patrimoine comme les Maisons Paysannes de Normandie indiquent qu'elles ne sont pas assez écoutées par les ministères alors que leur expertise est nécessaire pour préserver la spécificité du bâti ancien. Notre rapport permettra aux associations, je l'espère, d'être mieux entendues, et j'ajoute qu'il est important de prendre en compte tous les facteurs permettant de prévenir le risque de dégradation de notre patrimoine habité, y compris l'introduction de modules de formation adaptés dans les écoles d'architecture.

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie Sabine Drexler pour son rapport tout à fait exceptionnel par son ampleur et qui propose un vrai programme d'action. J'aimerais aussi rendre hommage à l'ensemble des initiatives qu'elle a permis à notre commission de porter en matière de patrimoine, avec une vision novatrice, tout en suppléant, comme vous l'avez fait observer, le poids du ministère de la culture dans les arbitrages interministériels.

J'estime, en premier lieu, incroyable qu'on ait pu - y compris parfois au Sénat et je le regrette - opposer protection de l'environnement et protection du patrimoine, tant pour les bâtiments que les paysages. C'est incompréhensible alors que les deux sont liés et fonctionnent de concert : quand on protège le bâti ancien ou les paysages, on protège aussi l'environnement. Je ne comprends pas non plus comment on peut considérer comme un progrès le fait de remplacer des solutions techniques éprouvées depuis plusieurs siècles par le recours au tout plastique, ce qui est bien le cas pour les fenêtres et les façades en polystyrène. Il faut donc renverser complètement cette façon de penser et ne pas céder, comme cela est trop souvent le cas, à une sorte de fuite en avant vers la technicité dont on pense qu'elle peut nous sauver alors qu'on peut douter de la pérennité des solutions techniques proposées. Plus encore, on sait très bien qu'il faudra changer toutes ces façades en polystyrène dans quinze ans. Je déplore ces réactions à très court terme qui risquent de se révéler très néfastes et de transformer la France en un jardin Leroy Merlin.

Je reviens, en second lieu, sur la place que vous vous donnez très justement aux conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) : cela recoupe ce que nous avions proposé avec notre collègue Anne Ventalon pour les édifices cultuels. En effet, les CAUE avec lesquels j'ai récemment dialogué regrettent de ne pas être associés aux problématiques de rénovation thermique alors qu'ils peuvent apporter aux maires et aux particuliers leur expertise. Nous rejoignons ainsi la réflexion de la commission de la culture sur la place supplémentaire qu'il faudrait accorder aux CAUE qui se situent à l'interface entre le département et la commune et je reste persuadé que c'est le couple qui va nous permettre de réussir sur les territoires à mettre en oeuvre des politiques publiques et en particulier culturelles efficaces. Je suggère de retravailler ensemble ce sujet et de réfléchir à un amendement en projet de loi de finances tendant à augmenter les ressources des CAUE en fixant un taux plancher pour le prélèvement que peuvent effectuer les départements sur la taxe d'aménagement. Certains départements n'activent pas suffisamment ce levier fiscal et, par exemple, la Corrèze se limite à allouer 0,1 % de la taxe d'aménagement à la CAUE alors qu'une mobilisation accrue de celle-ci y serait particulièrement utile. J'appelle notre commission à prendre une initiative fiscale dans ce domaine en complément de tout le travail que nous réalisons.

Mme Sonia de La Provôté. - Je m'associe aux félicitations adressées à Sabine Drexler. Son excellent rapport concerne un sujet identifié lors du débat budgétaire : interpellé sur l'adéquation du DPE au bâti patrimonial, le ministère de la culture n'avait pas semblé disposé à prendre suffisamment de temps pour réintroduire un peu d'intelligence publique dans la marche forcée du DPE. La question de la politique du patrimoine non classé ou non inscrit mérite d'être approfondie : elle n'est pas traitée par le ministère de la culture alors que le patrimoine relève de sa compétence. Le bâti patrimonial a une valeur esthétique et historique qui s'exprime dans tous les territoires ; cependant, la réglementation environnementale a singulièrement tendance, ces dernières années, à déconsidérer voire disqualifier ce patrimoine. Peut-être faudrait-il envisager d'assortir la recommandation du rapport portant sur l'interministérialité d'un encouragement adressé au ministère de la culture pour qu'il s'empare de la problématique du patrimoine non protégé.

J'estime également nécessaire de soulever la question du bilan carbone global du patrimoine bâti, de l'adaptation du DPE et des conditions de sa mise à niveau thermique - on pourrait même l'exiger de la part du ministère de la Transition écologique. Je pense que l'analyse ferait apparaitre de façon plus nuancée les avantages et les inconvénients de cette politique publique dont l'évaluation fait cruellement défaut au plan patrimonial.

Je rebondis également sur la question des outils fiscaux en soulignant que la réduction d'impôt « Denormandie » est sous-utilisée alors qu'elle était justement ciblée sur le patrimoine non protégé des coeurs de ville ou de bourgs dont la qualité architecturale mérite d'être préservée de gestes tendant à le défigurer. Il faut à mon sens pousser les feux sur ce dispositif Denormandie utilisé de façon trop marginale dans les petites communes relevant des plans « Action coeur de ville » ou « Petites villes de demain ».

Enfin, il convient de faire évoluer les critères utilisés en matière de DPE pour prendre en compte les qualités reconnues au bâti d'avant 1949. Les prescriptions qui découlent de ces diagnostics ne sont pas à la hauteur de la qualité du bâti ancien, voire délétères pour celui-ci. La situation ainsi créée est même contre-productive en matière de politique de logement - il serait d'ailleurs souhaitable d'inclure le ministre en charge du Logement dans la boucle interministérielle. Ce ne sont pas les dramatiques événements récents sur le bâti ancien non protégé qui vont contredire cette affirmation : celui-ci est véritablement maltraité dans certains centres-villes. Il y a donc sur ce sujet une urgence à agir.

M. Max Brisson. - Je partage largement tout ce qui vient d'être dit. En complément, je voudrais d'abord saluer la plus-value qu'apporte le rapport de Sabine Drexler sur le sujet sensible du patrimoine : notre collègue a mis tout son coeur dans ce travail qui reflète également son engagement d'élue locale d'un territoire alsacien qui abrite un patrimoine exceptionnel qu'elle défend avec beaucoup d'ardeur.

J'ajoute qu'après avoir assez mal vécu un certain nombre de débats comme celui sur la loi relative aux énergies renouvelables, ce rapport nous permet de repasser de la défensive à l'offensive en formulant des propositions. Il s'agit, tout en restant pleinement engagé dans la transition écologique énergétique, de ne pas pour autant remettre en cause des politiques patrimoniales sur lesquelles notre pays - après avoir commis bien des erreurs - avait pris des positions fortes.

Enfin, je souligne qu'il ne faudrait pas qu'au nom de la transition écologique et énergétique, la haute administration et l'État central reprennent la main sur la totalité de ces politiques et les confient à une technocratie en invoquant la nécessité de sauver la planète. Tous ces sujets soulèvent, en arrière-plan, la question de la confiance accordée aux élus pour porter ces politiques publiques. Les élus ont montré qu'ils s'orientaient vers la transition énergétique et écologique, mais de façon enracinée dans leurs territoires et articulée avec d'autres politiques construites localement. Il ne faudrait pas que le seul axe environnemental éradique les autres initiatives de terrain et devienne une occasion de recentralisation et de planification avec, de manière sous-jacente, un procès adressé aux élus.

M. Laurent Lafon, président. - Je félicite Sabine Drexler en soulignant l'importance de ce rapport pour notre commission et même bien au-delà des murs de notre assemblée. Au Sénat, la question du patrimoine est un sujet qui est perpétuellement interrogé par un certain nombre de nos collègues siégeant dans toutes les commissions. En témoigne le tout récent débat intervenu dans le cadre des travaux du groupe de travail consacré à la décentralisation, dont les travaux sont quasiment terminés, qui a donné lieu à une remise en cause du travail des architectes des bâtiments de France (ABF) en préconisant d'introduire la collégialité dans la prise de décision - comme quoi il nous reste du chemin à parcourir pour sensibiliser nos collègues à l'importance de la dimension patrimoniale.

Le présent rapport opportunément qualifié d'offensif par Max Brisson va donc dans le bon sens et je rappelle que le ministre de la culture souhaitait pouvoir prendre appui sur nos travaux pour surmonter ses difficultés à faire passer un message patrimonial au sein du Gouvernement. Le combat est encore largement devant nous, mais nous disposons à présent d'un rapport de référence.

Mme Sabine Drexler, rapporteur. - Je vous remercie sincèrement pour vos réactions très positives. Assurément, si on laisse faire les choses, on risque un saccage patrimonial, une banalisation esthétique de la France et une accentuation de la crise du logement en excluant du parc des dizaines de milliers de logements alors que le patrimoine est exceptionnellement écologique, durable et performant, autant en termes de longévité que de soutenabilité.

M. Laurent Lafon, président. - Nous allons tout de même soumettre au vote le rapport et je pense qu'il n'y a pas d'opposition à procéder à un vote global sur ses recommandations.

Les recommandations sont adoptées à l'unanimité.

La commission adopte le rapport d'information et en autorise la publication.

La réunion est close à 11 h 45.