Lundi 11 mars 2024

- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Audition de M. Olivier Klein, ancien ministre délégué chargé de la ville et du logement

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous entamons aujourd'hui notre cycle d'auditions en entendant M. Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois et ancien ministre délégué chargé de la ville et du logement qui, depuis le 1er septembre dernier, est en outre délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT.

Vous avez été ministre de juillet 2022 à juillet 2023. À ce titre, vous avez été chargé du plan Initiative copropriétés (PIC), piloté par l'Agence nationale de l'habitat (Anah) depuis 2018, et du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété.

Vous avez lancé deux missions qui intéressent directement notre commission d'enquête : la première, donnée à M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et à Mme Michèle Lutz, maire de Mulhouse, relative aux outils d'habitat et d'urbanisme à créer ou améliorer pour renforcer la lutte contre l'habitat indigne ; la seconde, confiée à M. Kosta Kastrinidis, directeur des prêts de la Banque des territoires, sur le financement de la rénovation des copropriétés en difficulté.

Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui vous ont poussé à lancer ces missions ? Parmi les constats et recommandations qui en résultent, lesquels retenez-vous spécifiquement ? Je pense, par exemple, à la nouvelle procédure d'expropriation issue du rapport Hanotin-Lutz, ainsi qu'au prêt global et collectif, inspiré de l'exemple belge et préfiguré par la Banque des territoires.

Ces recommandations ont été pour partie reprises dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, texte adopté par l'Assemblée nationale le 23 janvier et par le Sénat le 28 février dernier, dont je suis la rapporteure. Dans l'attente de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP), nous souhaitons recueillir votre point de vue sur ce projet de loi : dans leur version actuelle, ses dispositions répondent-elles aux préoccupations que vous aviez exprimées ? Nous avons notamment essayé de mieux garantir l'engagement du secteur bancaire, mais nous avons regretté que le nouveau dispositif ne soit pas financé, comme le prévoyait le rapport de la Banque des territoires.

En parallèle, un certain nombre d'interrogations subsistent, qu'il s'agisse de la définition des missions du syndic collectif ou de son financement. Nous avons donc proposé de créer un vivier de syndics reconnus pour leur expérience et leur connaissance de ces sujets. De manière générale, nous avons souhaité renforcer la capacité d'action des maires, en particulier au titre des petites copropriétés.

Vous êtes aussi un élu local très expérimenté. D'abord comme premier adjoint puis, depuis 2011, comme maire, vous avez été confronté à des situations de copropriétés en difficulté. Vous avez retrouvé vos fonctions de maire après votre départ du gouvernement.

Votre expérience et vos propositions seront utiles aux membres de notre commission. Selon vous, quels sont les « signaux faibles » permettant de détecter les difficultés d'une copropriété ? Comment, dans la mesure du possible, anticiper la dégradation de la situation avant que des mesures de grande ampleur ne deviennent nécessaire ? Concrètement, comment les procédures de redressement sont-elles mises en oeuvre, notamment dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ? Identifiez-vous des pistes d'amélioration, qu'elles relèvent de l'action et de l'engagement des acteurs locaux ou du soutien apporté par l'État, son administration et ses agences ? En outre, comment assurer le relogement des personnes concernées lors des grandes opérations ?

Avant de vous céder la parole pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, qui vous permettra de répondre à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Klein prête serment.

M. Olivier Klein, ancien ministre délégué chargé de la ville et du logement. - Je tiens à préciser à titre liminaire, au risque de vous surprendre, que je parlerai non seulement des copropriétés, mais aussi du logement en général. En effet, je fais partie de ceux qui pensent que le parcours résidentiel est un élément extrêmement important. En ce sens, la dégradation et la paupérisation des copropriétés ne sont pas sans lien avec l'état de l'hébergement, de l'acquisition et du logement social.

Je vous remercie de m'avoir proposé de m'exprimer devant votre commission d'enquête, non seulement en qualité d'ancien ministre, mais comme maire de Clichy-sous-Bois. Ce sont là mes fonctions de coeur, et j'ajoute que je possède une expérience personnelle du sujet.

Mes parents ont acheté sur plan en 1966 dans la copropriété du Chêne Pointu, à Clichy-sous-Bois. J'y ai habité de ma naissance à mon entrée à l'université, soit pendant une petite vingtaine d'années. Comme d'autres, en quittant Paris intramuros, mes parents avaient laissé un logement qui n'était pas en très bon état, avec les toilettes sur le palier, en pensant, non sans raison, trouver les aménités d'une résidence neuve et d'une ville nouvelle.

À Clichy-sous-Bois comme à Montfermeil, l'essentiel de ces constructions de la fin des années 1960 ont été faites en copropriété. À l'inverse, dans la première couronne, on a généralement opté pour le logement social. Si mes parents vous racontaient eux-mêmes leur histoire, ils vous diraient que le promoteur de l'époque leur avait promis à la fois l'arrivée d'une autoroute, qui n'est jamais venue - c'est la Francilienne, qui est passée une dizaine de kilomètres plus loin -, et celle d'un métro qui, si tout va bien, sera inauguré à Clichy-sous-Bois en 2026, soixante ans après la promesse du promoteur...

Très vite, ces copropriétés se sont trouvées dans une situation fragile du fait de leur taille. Le Chêne Pointu, ce sont deux copropriétés, l'une de 800 logements, l'autre de 700 logements. Il est déjà compliqué d'obtenir le quorum dans une assemblée générale de quarante ou cinquante membres, imaginez ce qu'il en est dans de tels ensembles, où les espaces extérieurs sont très vastes et qui, dès le choc énergétique des années 1970, se sont révélés être des passoires thermiques. Les copropriétaires, qui étaient essentiellement des familles modestes, ont très vite eu des difficultés à rembourser leur emprunt bancaire tout en payant les charges de copropriété. Mes parents, comme d'autres, ont dû vendre leur bien. À Clichy, on a observé bon nombre de parcours résidentiels inversés, et c'est encore le cas, malheureusement. Ainsi, lors des opérations de requalification des copropriétés dégradées (Orcod), on propose souvent aux propriétaires dont on achète le logement de devenir locataires du parc social.

À cet égard, Clichy-sous-Bois n'est pas une ville complètement « normale ». Même si nous avons beaucoup travaillé, elle reste l'une des villes les plus pauvres de l'Hexagone ; et, au cours de mes différentes fonctions - j'ai notamment été président de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) pendant près de cinq ans -, j'ai pu mesurer combien il était important de réfléchir à la question de l'habitat et du logement dans sa globalité.

Vous l'avez rappelé, le 1er septembre dernier, après une année passée au gouvernement, année exaltante, mais pas toujours facile, marquée par la crise du logement, j'ai rejoint la délégation interministérielle chargée de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah).

Le fil directeur de mon engagement, c'est de faire reculer la grande pauvreté et son cortège de souffrances. J'ajoute que la vie politique a à la fois un début et une fin. Ma vraie mission, mon métier - et j'y tiens -, c'est d'être professeur : enseigner, en essayant de le faire le mieux possible.

Parmi les questions de logement figure l'hébergement d'urgence. Ce n'est bien sûr pas le sujet de votre commission d'enquête, mais je souhaite y revenir un instant. Dans la période que nous traversons, nous devons y être extrêmement attentifs.

Le manque d'hébergement d'urgence nourrit l'habitat insalubre. Il nourrit les marchands de sommeil, vers lesquels bon nombre de personnes finissent par se tourner : elles n'ont pas d'autre choix, si elles ne veulent pas dormir dans la rue ou dans une voiture. Elles sont victimes des marchands de sommeil qui achètent des appartements dans certaines copropriétés ainsi que des logements totalement insalubres.

Nous avons beaucoup progressé dans la lutte contre les marchands de sommeil ; mais, au plus fort de la crise, on pouvait acheter un appartement au Chêne Pointu entre 7 000 et 10 000 euros - je n'oublie pas de zéro -, souvent à la barre du tribunal. Il faut avant tout bien réfléchir à ce qu'est l'habitat insalubre ; je reviendrai, à ce propos, sur le travail de M. Hanotin et de Mme Lutz.

Un marchand de sommeil achète, dans une copropriété, un appartement de trois pièces aux alentours de 10 000 euros, puis il le loue « à la découpe », sans permis de louer ni permis de diviser. Il peut louer la pièce principale environ 700 euros, et les deux chambres 400 euros chacune ; la cuisine, les sanitaires et les salles d'eau sont partagés. Ce phénomène a souvent accéléré la dégradation des copropriétés fragiles ; il est, de même, un des facteurs d'extrême paupérisation de l'habitat ancien de centre-ville, habitat parfois insalubre. La ville de Saint-Denis en est un exemple criant. Je pense notamment à la rue de la République : on y trouve de petites copropriétés où les marchands de sommeil peuvent gagner beaucoup d'argent en exploitant la misère.

Le logement social est, de même, un véritable enjeu. Si les plus fragiles finissent par arriver dans des copropriétés, c'est aussi parce que l'offre de logement social est insuffisante, et ce dans sa pluralité, du prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) au prêt locatif social (PLS). Il est extrêmement important de préserver le parc existant et de construire toujours plus de logement social, sinon les copropriétés deviennent de fait du logement social, voire très, très social ; c'est une des raisons de la paupérisation que connaissent certaines d'entre elles.

Il faut protéger le logement social, que certains continuent pourtant d'agiter comme un épouvantail. Il faut protéger cette grande loi de la République qu'est la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), au lieu de la fragiliser. On se souvient de l'appel de l'abbé Pierre. Comme lui, j'insiste aujourd'hui, il est urgent d'héberger les plus fragiles pour lutter contre les ghettos et contre la paupérisation de toutes les formes d'habitat.

J'en viens à présent à l'habitat indigne et aux copropriétés dégradées.

Les cas de figure sont multiples. Il y a bien sûr les grandes copropriétés, dont j'ai déjà un peu parlé. Les Bosquets à Montfermeil, le quartier Pissevin à Nîmes ou encore Le Chêne Pointu à Clichy-sous-Bois sont de grandes copropriétés dégradées ; on en trouve d'autres exemples à Grigny ou à Mantes-la-Jolie. Mais l'habitat insalubre de centre-ville est lui aussi une réserve de grande pauvreté et, à ce titre, nous devons également nous donner les moyens d'agir. C'est un enjeu extrêmement important et parfois même vital. Permettez-moi de rappeler quelques-uns des drames que nous avons connus : les effondrements qui se sont produits à Marseille, notamment rue d'Aubagne, et l'incendie survenu dans une copropriété dégradée de Vaulx-en-Velin en décembre 2022. Il y a quelques jours encore, avec des immeubles qui, heureusement, avaient pu être évacués à temps, on a vu que l'habitat ancien de centre-ville pouvait être lui aussi marqué par une extrême pauvreté.

La France dénombre 114 000 copropriétés identifiées comme fragiles ou dégradées, représentant 1,5 million de logements ; 19 % de ces logements sont dans une situation particulièrement préoccupante et nécessitent, à court ou moyen terme, une intervention de la puissance publique. De plus - la Fondation Abbé-Pierre le rappelle dans son rapport -, 400 000 logements, occupés par environ 1 million de personnes, sont potentiellement indignes.

Le rapport entre propriétaires occupants et propriétaires bailleurs est un bon indicateur de la fragilisation d'une copropriété. Les diverses formes de dettes aux fournisseurs peuvent aussi, évidemment, révéler une telle fragilité.

La mise en oeuvre des différents dispositifs d'amélioration des performances énergétiques des immeubles va probablement creuser encore l'écart entre les copropriétés qui vont bien et celles qui vont moins bien, où les travaux seront difficiles à mettre en oeuvre. C'était précisément l'un des volets de la mission confiée à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) : voir comment préfinancer l'intervention des copropriétés.

Nous le savons tous, quand une assemblée générale est convoquée, il faut premièrement réunir le quorum et deuxièmement faire voter les travaux. À cette fin, il faut que le reste à charge soit acceptable pour les copropriétaires qui, dans ces immeubles, n'ont souvent que de faibles moyens. Il faut également que les travaux soient menés à un rythme suffisamment rapide. Voilà pourquoi il fallait, et il faut encore, à mon sens, inventer avec le secteur bancaire des modes de préfinancement évitant d'avoir à atteindre certains seuils pour entreprendre les travaux. L'ouverture du chantier a, d'une certaine manière, une vertu pédagogique : plus les travaux pourront commencer vite, plus les copropriétaires auront envie de participer à l'effort financier.

Évidemment, bon nombre de copropriétés fragiles et dégradées se trouvent dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Elles font l'objet, sinon d'Orcod d'intérêt national, du moins de plans de sauvegarde menés dans le cadre de programmes de l'Anru ou en parallèle de ces derniers. À ce titre également, il faut inventer des dispositifs à même d'assurer une synergie entre les différents outils.

J'ai déjà un peu parlé de la lutte contre les marchands de sommeil qui est, elle aussi, source de difficultés. Quelques condamnations médiatiques ont été prononcées, mais les procédures sont longues et peu nombreuses, car les marchands de sommeil sont très agiles. Je les ai vus à l'oeuvre à Clichy-sous-Bois : quand un dossier avance, ils revendent les biens visés entre eux en passant par des sociétés civiles immobilières (SCI), ce qui les dispense de déclaration d'intention d'aliéner (DIA). Les procédures doivent dès lors repartir du début.

Il faut utiliser tous les moyens dont on dispose, en passant par les caisses d'allocations familiales (CAF) ou encore par le groupe interministériel de recherche (GIR) pour repérer ces marchands de sommeil et les frapper au portefeuille - c'est ce qu'ils ont de plus précieux. Il s'agit là d'une recommandation du rapport Hanotin-Lutz : il faut les empêcher de continuer leur sale besogne en revendant sans cesse les logements.

De même, il faut faire évoluer les déclarations d'utilité publique (DUP), notamment les DUP dites loi Vivien, afin que les marchands de sommeil ne puissent plus gagner d'argent. Un même marchand de sommeil possède parfois tout un immeuble ; c'est la direction nationale d'interventions domaniales (DNID) qui définit le prix de l'immeuble et, pour préempter, on est parfois obligé de surenchérir, donc de lui donner de l'argent. De même, il faut une cause d'intérêt public pour déclencher la DUP : construire a posteriori une nouvelle copropriété de meilleure qualité n'est pas donc possible. Les collectivités territoriales se trouvent ainsi placées dans des situations financières difficiles.

Vient ensuite la question du temps, elle aussi déterminante. C'est l'objet des deux missions que j'ai pu engager. Quel que soit le degré de fragilité d'une copropriété et le dispositif dont elle relève - programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac), opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah), plan de sauvegarde ou Orcod -, le temps du redressement est long. Il est long pour des raisons financières. Il est long pour des raisons juridiques. Il est long pour des raisons techniques.

Tout ce qui permet de gagner du temps va dans l'intérêt des habitants, copropriétaires comme locataires : c'est le sens du projet de loi en cours d'examen. On améliore, ce faisant, leur qualité de vie et leur sécurité, car c'est bien de cela qu'il s'agit. Quand les ascenseurs tombent en panne, certaines personnes ne peuvent plus descendre de chez elles pendant des mois. Quand des colonnes sèches sont cassées, les pompiers ne peuvent plus brancher leurs pompes à incendie. Tous ces problèmes contribuent à accentuer les risques que subissent les habitants.

Il faut en général cinq à dix ans pour redresser une copropriété fragile. Il en faut très probablement presque vingt pour redresser une copropriété en Orcod ou placée sous un statut comparable, compte tenu de la taille de l'ensemble considéré, du temps de l'acquisition foncière et du temps du relogement - on retrouve ici la question du logement social, que j'ai posée précédemment. On observe ce phénomène aujourd'hui à Clichy-sous-Bois et sans doute aussi à Grigny : les plans de relogement tels qu'ils ont été établis accusent deux ans de retard, faute de logements sociaux en nombre suffisant à l'échelle des territoires considérés. Le relogement devient une véritable difficulté.

Pour d'autres copropriétés, moins fragiles, s'ajoute l'enjeu de la rénovation énergétique. Même si l'on modifie les règles du diagnostic de performance énergétique (DPE), un certain nombre d'urgences resteront à traiter. Bien souvent, on n'améliorera le DPE des appartements qu'en lançant des réhabilitations massives, à l'échelle des immeubles eux-mêmes.

Le PIC est en cours de déploiement. Le projet de loi découlant du rapport Hanotin-Lutz a été défendu devant les deux assemblées par mon successeur et par Christophe Béchu : les choses avancent sur ces sujets extrêmement complexes, avec parfois des soubresauts inattendus.

À Clichy-sous-Bois, pour mettre en oeuvre l'Orcod d'intérêt national et procéder à l'achat des logements, l'établissement public foncier (EPF) a demandé une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) sur les biens qu'il acquiert. Cette disposition, qui est prévue par la loi, n'est pas sans conséquence financière pour notre ville : elle ampute de 900 000 euros le budget de 2024 et, à l'échelle du projet, représente plusieurs millions d'euros de recettes communales en moins.

Il va falloir que nous regardions cette question avec l'État. Les habitants sont toujours là, mais occupent en quelque sorte un logement social de fait. La collectivité n'a pas moins de dépenses ; en revanche, elle aura beaucoup moins de recettes en 2024, puis dans les années à venir. Même si l'on travaille beaucoup, même si l'on connaît bien ces sujets, on est parfois rattrapé par ses propres bonnes idées et par ses propres difficultés.

Enfin, la question de la démocratie au sein de la copropriété est bel et bien déterminante ; parmi les signaux faibles ou forts de paupérisation d'une copropriété, de ses difficultés, il y a évidemment sa capacité de faire vivre un conseil syndical.

À cet égard, la responsabilité des syndics est extrêmement importante. On dispose d'un certain nombre de labellisations - je pense notamment aux syndics de redressement - qui, à mon sens, restent insuffisantes. On avait évoqué la création de syndics publics chargés de redresser les copropriétés : c'est l'un des dossiers qui restent sur la table.

Quant à l'administration judiciaire, elle n'est que très rarement la bonne réponse aux problèmes d'une copropriété. Dans l'esprit des copropriétaires, les administrateurs judiciaires s'apparentent à des entreprises censées permettre le redressement. Globalement, ces administrateurs essayent de faire le maximum, mais ils agissent dans un cadre qui n'est pas adapté, parfois en exerçant les fonctions du conseil syndical et les attributions de l'assemblée générale, mais avec des compétences réduites.

Quoi qu'il en soit, l'administration judiciaire telle qu'on la connaît ne me semble pas être le bon outil de redressement ; mais, en l'occurrence, les règles qui s'appliquent sont celles de la propriété privée et, pour l'instant, elles n'ont pas été réformées. Il ne me semble pas que le projet de loi en cours d'examen les modifie de manière substantielle.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces premiers éléments de réponse.

Vous avez évoqué la notion de temps, essentielle. Qu'en est-il de l'intervention en amont ? Comment peut-on intervenir avant que la situation ne se dégrade et qu'il faille employer des moyens d'ampleur ? Quels sont les signes indiquant que l'on doit et que l'on peut intervenir, et quand ? Avons-nous les outils pour le faire ?

M. Olivier Klein. - J'ai essayé d'y répondre. Il s'agit d'une propriété privée, protégée par la loi. Les comptes permettent de savoir dans quel état est la copropriété, notamment le niveau de la dette des copropriétaires à la copropriété et le niveau de dette de la copropriété à ses fournisseurs. Il faut être capable de les analyser. Mais en dehors des collectivités territoriales, qui peut le faire ? Par ailleurs toutes les villes n'ont pas les moyens de le faire. Dans ma ville de Clichy-sous-Bois, j'avais créé un service Habitat privé. L'établissement public territorial (EPT) a récupéré cette compétence, et je lui ai transféré une partie de mes équipes. Cela demande des relations quasi quotidiennes avec les copropriétés fragiles.

Le rapport entre le nombre de propriétaires occupants et de propriétaires bailleurs est un bon indicateur : pour faire vivre une copropriété, il faut une démocratie et des assemblées générales. L'implication des propriétaires occupants est plus grande que celle des propriétaires bailleurs : cela donne des leçons pour l'avenir.

Les indicateurs de paupérisation sont multiples. L'essentiel est de travailler en permanence avec l'Anah non seulement pour lancer des études de Popa ou pour une Opah, mais surtout pour que ces études permettent de lancer des opérations de redressement de la copropriété. Plus ces opérations de redressement sont réalisées en amont, plus elles sont efficaces. Cela nécessite une implication de la part des collectivités, implication qui peut varier en fonction des territoires. Le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) s'applique parfois en copropriété, cela dépend des choix et des moyens des départements.

Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Anah, que vous allez auditionner, vous dira quels sont ses critères objectifs de paupérisation et de fragilisation d'une copropriété. Nous avons parfois quelques petites différences d'appréciation.

À titre d'exemple, à Clichy, je souhaiterais basculer une petite copropriété en plan de sauvegarde, mais les indicateurs sont « encore un peu trop bons ». Or on perd du temps à chaque fois qu'on refuse la bascule. Je ne veux pas un plan de sauvegarde pour lui-même. Mais le niveau de subventions de l'Anah, en plan de sauvegarde, est suffisant pour que le reste à charge soit acceptable par les copropriétaires fragiles, alors qu'en Opah, le niveau de subvention est inférieur. Il faut agir. Le temps, c'est de l'argent dans une copropriété. Plus vite on lance un plan de sauvegarde, plus vite on est efficace.

La scission des copropriétés est souvent un processus très long. Il faudrait accélérer la scission de certaines copropriétés. Lorsqu'on demande une scission, il faut pouvoir comptabiliser les différentes charges de copropriété à l'immeuble, ce que ne sont pas en mesure de faire toutes les grandes copropriétés des années 1960.

Certaines voiries ou certains espaces extérieurs appartiennent également à la copropriété. À Clichy, vous pouvez voir des rues avec plein de trous. Ces rues appartenant à la copropriété, je ne peux pas, en tant que maire, les rénover, malgré mon envie. Dans le cadre des Orcod d'intérêt national, on va scinder la copropriété et la ville va reprendre ces espaces extérieurs pour les entretenir, mais cela prend du temps. Il faudrait autoriser une scission plus rapide, afin d'être plus efficace. Cela fait partie, je crois, des recommandations de la mission Hanotin-Lutz.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je le confirme.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci d'avoir replacé dans son contexte la paupérisation des copropriétés. La crise du logement alimente chaque maillon et aggrave la situation. Vous avez souligné les divergences d'intérêts entre les propriétaires occupants et les propriétaires bailleurs, divergences qui vont s'exacerber avec les situations de copropriétés en difficulté et l'arrivée de marchands de sommeil.

Vous avez cité le chiffre de 114 000 copropriétés ; il s'agit des copropriétés en difficulté, puisqu'il y a 700 000 copropriétés en France...

M. Olivier Klein. - Tout à fait.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - ... dont les trois quarts sont de petites copropriétés. Nous voulons mettre en lumière les petites copropriétés, phénomène diffus, silencieux, dans lequel le mal-logement s'exacerbe. En général, on met surtout l'accent sur les grands ensembles, qui font face à des enjeux très lourds. Mais ces petites copropriétés sont une réalité locale, que les maires connaissent mal, et dans lesquelles le mal-logement prospère. Qu'en pensez-vous ?

Je souhaite aussi vous interroger sur le rôle des syndics. Le syndic d'intérêt collectif a été débattu lors de l'examen du projet de loi. Dans sa déclaration, le Premier ministre a également annoncé vouloir déverrouiller certaines professions comme les syndics. Je ne sais ce que sous-entend cette proposition : est-ce une simplification ? Comment le comprenez-vous ? Les syndics sont un élément crucial au sein des copropriétés.

Vous avez montré, au travers de votre investissement dans votre commune, l'importance de l'organisation territoriale. Les maires, en première ligne, comme d'habitude, doivent engager des investissements financiers et en personnel importants. Dans des villes petites ou moyennes, le maire a-t-il la capacité d'assumer cette mission ? Les maires sont très inquiets de la dégradation des copropriétés de leur commune, mais s'estiment assez peu dotés en moyens financiers, en ingénierie ou en personnel formé. Les outils sont-ils adaptés pour les accompagner dans cette prise en charge publique des copropriétés ?

M. Olivier Klein. - Pour nombre de vos questions, vous avez les mêmes réponses que moi.

Vous avez raison, au-delà des grandes copropriétés, de petites copropriétés sont souvent invisibles, en fond de cour, avec des populations vieillissantes, extrêmement fragiles, et dans lesquelles les travaux ont pris beaucoup de retard. Aucune collectivité, même les villes riches, n'est à l'abri de cette fragilisation de copropriétés au sein de son patrimoine.

Nous avons un déficit de moyens de repérage et de moyens des collectivités locales. Dans cet habitat privé, l'intervention publique est toujours compliquée - à Clichy, l'établissement public foncier d'Île-de-France (Epfif) achète massivement, mais cela reste une copropriété tant qu'il y a deux copropriétaires différents. On reste alors sous le régime de la copropriété, avec ses difficultés ; cela requiert des votes, des assemblées générales, des appels de charges. Des complexités viennent se rajouter comme le système de chauffage, parfois en panne, pourvu qu'on soit dans un réseau de chauffage urbain qu'on n'est pas capable d'individualiser...

Les compétences transférées entre les communes et les intercommunalités ne simplifient pas forcément la responsabilité des uns et des autres sur ces sujets. La compétence Habitat peut être prise soit par la métropole, soit par l'intercommunalité. En général, elle n'est pas restée une compétence communale, et cela oblige à intervenir différemment.

Pour les grandes copropriétés, les Orcod d'intérêt national et les autres interventions type Orcod d'intérêt métropolitain ou autres sont financées évidemment par l'impôt et par la taxe spéciale d'équipement (TSE). Le projet de loi permet de déplafonner la TSE mais n'autorise pas les EPF régionaux à augmenter le prélèvement de la TSE, car cela relève du projet de loi de finances. Pour l'Île-de-France, 5 euros de part de TSE peuvent être utilisés pour les Orcod déjà existantes, mais je ne suis pas sûr que ces sommes soient suffisantes sur le long terme pour prendre en compte les difficultés des grandes copropriétés et intervenir suffisamment rapidement.

Je n'ai pas de solution miracle sur les syndics, sur la manière dont ils s'impliquent ou non. Qu'est-ce qui rend un syndic compétent et conduit une copropriété à le choisir lors d'une assemblée générale, avant qu'elle réalise que cela ne va pas si bien que cela ? Je crois à une professionnalisation et à un syndic d'intérêt collectif pour avoir de la continuité.

De la même manière, il est extrêmement important d'accompagner les conseils syndicaux. À Clichy, les copropriétés allant le mieux - ou le moins mal - ont été gérées au fil du temps par des syndics bénévoles, assurant tout à la fois la fonction de conseil syndical et de syndic. Cela suppose des personnes compétentes ayant envie de s'investir, et qui tiennent un rôle un peu ingrat au sein de la copropriété pour rappeler qu'il faut payer ses charges. Je dispose de quelques exemples montrant que cela peut être une bonne formule.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez déclaré que le logement est la bombe sociale à venir. Qu'entendez-vous par cela ? Cela concerne-t-il l'état du logement, l'état du logement social ou l'état des copropriétés ou de l'habitat en France ?

M. Olivier Klein. - J'avais dit que la chaîne du logement est une chaîne extrêmement difficile. Si l'on ne désclérose pas le parcours résidentiel, il y a un risque d'impatience et d'explosion sociale. Pour que le logement fonctionne, il faut que tous les échelons fonctionnent, de l'hébergement d'urgence à la plus belle copropriété.

Or plusieurs maillons sont largement crispés : on ne produit plus assez de logements sociaux et la production de logements en accession est limitée. Vous connaissez la règle, que je crois fausse : « maire bâtisseur, maire battu » ; quand on approche de la période électorale, on construit très peu. Avec la crise du covid, la production de logements n'a pas repris après la dernière période électorale, puis il y a eu les crises internationales inflationnistes, la montée des taux d'intérêt, qui ont provoqué l'interruption de nombreux programmes. Nous observons une explosion du nombre de demandeurs de logements sociaux, liée au fait qu'on ne quitte plus son appartement.

Clichy comptait 3 700 demandeurs de logements sociaux avant la modification de l'attribution des logements en flux : une bonne année, trente logements se libéraient sur le contingent de la mairie. Au rythme actuel, si je fermais mon service logement, il faudrait cent ans pour loger tous les demandeurs.

L'essentiel de mes demandes de rendez-vous concerne le logement. Si ce n'est pas l'objet principal, j'ai toujours, à un moment du rendez-vous, une demande de logement pour la personne ou l'un de ses enfants. Dans certains appartements, trois générations cohabitent ; ce n'est pas acceptable. Il y a un risque de crise, d'explosion, dû à cette absence de logement, notamment dans les métropoles les plus denses. On peut m'expliquer qu'il y a autant de logements vacants que de demandeurs, mais une partie des vacances sont situées dans des zones où l'emploi n'est pas suffisamment présent pour répondre aux besoins.

Mme Muriel Jourda. - Lorsque vous énumérez les causes de difficulté de logement, vous n'y incluez pas le zéro artificialisation nette (ZAN), l'exigence de DPE dans des logements souvent loin d'être indignes, la complexification des règles d'urbanisme avec de nombreux recours ne permettant pas de disposer de règles d'urbanisme à jour ?

M. Olivier Klein. - Se réfugier derrière le ZAN, qui est un objectif, est souvent une mauvaise excuse - je suis désolé de le dire ainsi. Certes, le ZAN peut rendre les choses plus compliquées. Mais parfois, dans les dents creuses, on fait le choix de construire une petite copropriété en oubliant ses obligations de production de logement social ou en oubliant d'en faire plus parce qu'on est dans une période de rattrapage... Je crois qu'il y a encore moyen de construire du logement.

Certes, le DPE apporte des complexités, mais actuellement quasiment aucun logement n'est interdit de location en raison de son DPE. Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian ont déclaré qu'ils allaient modifier les règles des DPE pour les petits logements car, effectivement, il y a une question à régler. Lorsqu'une copropriété s'engage ou vote des travaux, on doit pouvoir continuer à utiliser un certain nombre de logements, même si leur étiquette énergétique est insuffisante. On peut dire à un copropriétaire que son appartement est classé F, mais si la copropriété n'a pas voté les travaux, il suffit d'être orienté au nord avec un mode de chauffage qui ne convient pas, pour se retrouver avec la mauvaise étiquette, dont on n'a pas seulement la responsabilité. La copropriété est aussi responsable.

Vivre dans un appartement classé F ou G, soit une passoire thermique, avec des problèmes d'humidité, de moisissures et avec des enfants dans une situation d'extrême fragilité pose problème. Le propriétaire encaisse des loyers et a, comme tout propriétaire, des obligations. Il faut agir sur tous les sujets, et notamment sur la fiscalité des locations à destination touristique, pour qu'elle ne soit pas plus attractive que d'autres logements. Le Gouvernement le fera, je le sais, avec la sagesse des parlementaires.

M. Stéphane Demilly. - Vous venez d'esquisser la réponse à ma question. Le nombre de procédures en justice pour impayés de charges de copropriété est passé de 22 000 à 29 000 entre 2007 et 2020. Parmi toutes les mesures que vous avez évoquées, quelle mesure-choc, prioritaire, auriez-vous prise si vous étiez toujours en responsabilité sur ce secteur ?

M. Olivier Klein. - Il n'y a pas de mesure-choc. Il faut essayer de prendre toutes ces mesures en même temps, faire que les indicateurs permettent le déclenchement de la puissance publique dans sa globalité, simplifier la démocratie dans la copropriété : il n'est pas possible que les propriétaires bailleurs bloquent, à travers des mandats, les travaux nécessaires. Il faut travailler sur la majorité simple et la majorité qualifiée, en fonction de l'urgence des travaux. Les majorités en copropriété ne relèvent pas du ministre du logement, mais du garde des Sceaux.

Il faut accélérer le préfinancement. Nous avons besoin que la copropriété soit solvable, via des prêts aux copropriétaires ou un prêt à la copropriété. Je suis plutôt favorable au prêt à la copropriété, pour accélérer et simplifier la mise en oeuvre. À elle ensuite de récupérer dans les charges l'avance qu'elle a faite.

Il faut mener tout cela en même temps, dans un climat dans lequel on produit plus. Sinon, les habitants continueront, de guerre lasse, de prendre le seul logement qui leur permette d'avoir un toit sur la tête, sans parler des phénomènes de squat ou de marchands de sommeil, qui, à force d'être chassés des copropriétés, achètent de nombreux logements. Nous le voyons de plus en plus. David Ros pourra en témoigner. Dans nos zones pavillonnaires, des pavillons un peu anciens sont achetés par des marchands de sommeil, et nous n'avons pas de raison de les préempter. Quelques mois après, si le propriétaire est honnête, il demandera un permis de diviser puis un permis de louer, mais c'est l'exception. Nous commençons à voir une paupérisation dans ces zones. C'est un autre sujet, mais pour moi tous les sujets sont liés, et nous devrons les traiter durant les prochaines années.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous rejoins sur le problème d'achat des pavillons par les marchands de sommeil. Dans les Hauts-de-France, nous avons pléthore de maisons de ville divisées d'une manière qui n'est pas forcément confortable ni favorable aux locataires.

M. David Ros. - Y a-t-il un décalage, et si oui dans quelles proportions, entre le nombre d'habitants officiels dans la copropriété et la réalité ? Cela a des impacts sur les conditions de vie des personnes qui s'y trouvent et sur la dotation globale de fonctionnement (DGF) des communes.

M. Olivier Klein. - On sent l'ancien maire ! Je ne dispose pas de ces chiffres. À Clichy, environ 400 enfants sont hébergés, soit l'équivalent d'une école. Ces enfants ne sont pas comptés dans ma DGF, mais mangent à la cantine, au tarif le plus bas, et ont un coût. Malgré son interdiction, la colocation en logement social existe. Elle est surveillée par les bailleurs, mais le phénomène est encore plus grand dans les copropriétés.

Les copropriétés fragiles dégradées et l'habitat indigne ont des conséquences pour ceux qui y vivent, mais aussi évidemment parce que cela paupérise la ville et fragilise son image. On arrive à des phénomènes de bidonvilles, horizontaux ou verticaux, cela dépend de la forme de la copropriété. Vos administrateurs pourraient peut-être trouver des chiffres plus à jour...

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Est-ce que la mobilisation des organismes de foncier solidaire (OFS), via le bail réel solidaire, est une bonne façon d'intervenir sur les copropriétés dégradées ou paupérisées ?

M. Olivier Klein- Je pense que plusieurs outils sont nécessaires. Il peut s'agir de mobiliser les EPF, qu'ils prennent ou non la forme d'OFS, ou les dispositifs d'acquisition-amélioration des bailleurs sociaux. En effet, parfois, on arrive à un moment où la copropriété, devenue obsolète, ne peut pas être sauvée. Selon moi, il est dans l'intérêt de ceux qui y habitent - surtout s'il s'agit de propriétaires bailleurs - de trouver un bailleur social capable d'acheter un immeuble afin de le réhabiliter, de sorte que des logements sociaux soient, de fait, transformés en de véritables logements sociaux.

Cela étant dit, l'OFS et le BRS, comme les autres outils d'accession sociale à la propriété, sont de bons outils, mais ils ne régleront pas l'ensemble des problèmes. Selon moi, le BRS est davantage utile pour produire des logements neufs, mais je peux me tromper. D'ailleurs, je ne sais pas s'il existe des exemples d'OFS qui se seraient portés acquéreur d'un immeuble en copropriété fragile. En revanche, des OFS produisent des logements neufs, permettant ainsi à des personnes modestes d'accéder à la propriété ; la ville de Lille a été précurseur sur cette question.

Je le répète, je crois au parcours résidentiel. Il faut bien expliquer qu'on peut être heureux en étant propriétaire d'un logement sans être propriétaire du terrain où il a été construit, que ce n'est pas mettre les gens en danger !

Faute d'exemples, je ne peux pas vous en dire plus sur ce point. En revanche, pour l'avoir déjà vu faire, je crois davantage à l'acquisition-amélioration par un bailleur social.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Que pensez-vous des évolutions envisagées pour le dispositif MaPrimeRénov' Copropriétés ?

M. Olivier Klein- Pour nombre d'entre elles, les copropriétés, surtout celles des années 1970 et 1980, ont besoin de faire l'objet d'une rénovation majeure. Il est important d'inventer les dispositifs qui permettront d'adapter les versements de MaPrimeRénov' Copropriétés à la situation financière de chaque copropriété. Pour les copropriétaires, le reste à charge doit être le moins élevé possible tandis que le retour sur investissement doit, lui, être le plus élevé possible.

Il est important que Mon Accompagnateur Rénov' explique aux copropriétaires les effets du dispositif sur leurs charges de copropriété et sur leur qualité de vie. On le sait, il aide à financer des travaux d'isolation thermique par l'extérieur (ITE) ou de réhabilitation, qui permettent de régler des problèmes de pont thermique, d'humidité, ou encore de moisissures à l'intérieur du logement. Avant les assemblées générales, les copropriétaires doivent avoir une idée du montant de la baisse de charges entraînée par le recours à MaPrimeRénov' Copropriétés, ainsi qu'une idée du coût des travaux. Je le répète, le reste à charge doit être le plus bas possible, ce qui incitera les copropriétés à voter le recours à ce dispositif.

Selon moi, les travaux monogeste et la rénovation globale ne s'appliquent pas aux copropriétés. Elles doivent se préoccuper de travaux massifs, les autres mesures n'ayant pas d'effets suffisants sur l'étiquette énergétique et sur la capacité à réaliser des économies d'énergie. Les travaux monogeste s'appliquent davantage dans le cas de l'habitat individuel.

Il faut accompagner les copropriétés, mais c'est extrêmement compliqué, car elles diffèrent d'une situation à l'autre. Par exemple, on ne peut pas faire des travaux d'isolation extérieure dans une copropriété d'un immeuble en pierre de taille, encore moins dans celle d'un immeuble haussmannien. Dans chaque copropriété, les sujets de rénovations énergétiques diffèrent, tout comme les possibilités d'utiliser MaPrimeRénov' Copropriétés.

En revanche, on peut faire des travaux d'isolation des murs intérieurs sous réserve de ne pas trop réduire la surface habitable du logement. Il faut intervenir sur les systèmes de chauffage ou de production d'eau chaude, afin de réussir le mieux possible la rénovation thermique.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quelle est votre vision, en tant qu'élu local très expérimenté, de la question du relogement ? Je pense à la simplification des constructions temporaires, que nous avons adoptée récemment dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement. Jusqu'alors empêchés, les élus ont désormais les moyens, grâce à cette disposition, de lancer de grandes opérations de rénovation.

Par ailleurs, j'aimerais vous demander si ce sont aujourd'hui les bons acteurs qui, permettent la détection et le redressement des copropriétés fragiles ? Si tel n'est pas le cas, quelle organisation territoriale faudrait-il envisager pour qu'elle soit optimale ?

M. Olivier Klein- S'agissant du relogement, il est important de mobiliser les bailleurs. À Clichy-sous-Bois, les bailleurs ont signé avec la mairie une charte de relogement. Participer au relogement leur confère un droit à construire aussi bien des logements sociaux que des logements en accession.

Les bailleurs participent à la politique du relogement. Nous avons modifié le règlement général de l'Anru pour accorder une prime plus importante aux bailleurs qui accompagnent le relogement. Le loyer du logement proposé peut être inférieur au prix du mètre carré moyen proposé par un bailleur. La compensation versée par les bailleurs aux personnes relogées est importante.

Il faut utiliser tous les moyens à notre disposition. Parfois, il peut s'agir d'opérations à tiroirs, et ce n'est pas toujours très agréable. Par exemple, lors d'une opération de rénovation de grandes copropriétés, l'un des occupants peut souhaiter vendre son appartement. Ainsi, l'appartement peut être gardé au cours de l'opération, même s'il sera démoli, afin d'être utilisé un certain temps pour le relogement, ce qui permet de libérer les occupants d'un autre immeuble qui sera lui aussi démoli, selon le calendrier de démolition. Cela étant dit, les personnes relogées préfèrent éviter de devoir effectuer deux déménagements.

Dans nombre d'autres cas, c'est la piste de l'hébergement provisoire qui est privilégiée. Nous ne l'avons pas expérimentée à Clichy-sous-Bois, où nous préférons utiliser des appartements libérés dans le cadre d'une opération de rénovation plutôt que d'envisager la pose de containers ou la construction d'autres habitats modulables. La construction modulaire a quelques avantages pour les hébergements d'urgence, mais également pour les logements transitoires de personnes en situation de relogement.

Je suis favorable à la mutualisation des moyens à l'échelle des intercommunalités. Certaines questions - c'est le cas de l'habitat - sont si complexes qu'elles ne peuvent pas se résoudre à l'échelle communale. C'est pour cela qu'il faut un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Jusqu'à présent un maire qui ne respectait pas son programme local de l'habitat (PLH) n'avait pas beaucoup de comptes à rendre.

À plus petite échelle, les capacités d'action sont plus grandes, notamment dans les zones denses. Or nos populations sont attachées à leur territoire, aux solidarités locales, à leurs voisins, à l'école de leur enfant, etc. Aussi, il faut faire des propositions de relogement dans des périmètres élargis, lesquels doivent toutefois correspondre aux souhaits des gens devant être relogés, d'où l'efficacité de la logique intercommunale pour équilibrer cette situation.

Par ailleurs, l'identification des copropriétés fragiles peut être bien appréhendée dans une logique territoriale, de préférence intercommunale, car celle de la métropole est un peu grande, et parce que les moyens des communes sont parfois faibles.

À Clichy-sous-Bois, pour lutter contre les marchands de sommeil, je dispose d'une équipe d'inspecteurs de salubrité dont le nombre est disproportionné par rapport à la taille du territoire, mais elle a tout de même les moyens de saisir l'agence régionale de santé (ARS) ou le préfet et d'établir, par les agents assermentés, des procès-verbaux. L'inspection d'hygiène et de la santé relève des pouvoirs de police administrative du maire. Pour les maires, cela représente un effort financier important. Aussi la mutualisation de la compétence politique locale de l'habitat à l'échelle des intercommunalités pourrait être utile.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - En filigrane, on comprend de votre retour d'expérience que du volontarisme politique des élus communaux ou intercommunaux dépendent les moyens qui seront consacrés à cette question et les résultats.

M. Olivier Klein- Absolument !

Mme Muriel Jourda- La question des marchands de sommeil n'est pas sans lien avec la saisie et la confiscation des avoirs criminels ainsi qu'avec la possibilité de saisir les biens dont les marchands de sommeil sont propriétaires, dans le cadre des poursuites engagées contre eux.

Par exemple, l'année dernière, a été remis à l'association Habitat et Humanisme un immeuble détenu par les marchands de sommeil, lequel a été réhabilité pour améliorer la qualité des logements de ceux qui y vivaient. Dans ce cas précis, les communes n'ont pas à financer la réhabilitation.

Aussi, il faut réussir à engager des poursuites contre les marchands de sommeil. C'est une bonne politique que d'appréhender les biens détenus par des délinquants afin de les réaffecter dans du logement social.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Dans le projet de loi que nous venons d'adopter au Sénat, nous avons proposé une disposition permettant aux communes de disposer des biens confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) afin qu'elles en fassent de véritables logements.

M. Olivier Klein- Je partage pleinement cette initiative. Il faut communiquer sur ces dispositifs pour faire cesser le sentiment d'impunité des marchands de sommeil ; cela ne doit plus exister !

Dans ma commune, un marchand de sommeil possédait trente-cinq logements ! Il a été condamné par la justice.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Les biens ont-ils été confisqués par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) ?

M. Olivier Klein- Non, à l'époque les biens ont été directement acquis par la puissance publique.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie de votre disponibilité et des précieux éléments que vous nous avez apportés. Vous avez bien montré que la question des copropriétés est l'une des causes de la crise du logement, laquelle est multifactorielle. Je dirais également que la paupérisation des copropriétés est le symptôme de la fragilisation des copropriétaires.

M. Olivier Klein- Les membres de votre commission d'enquête sont les bienvenus à Clichy-sous-Bois, où je vous accueillerai avec grand plaisir !

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je rappelle que nos travaux aboutiront à la publication d'un rapport, qui sera disponible avant le 31 juillet 2024.

Audition de Mme Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame la directrice générale, Madame la rapporteure, mes chers collègues, nous avons souhaité entendre dès le début de notre cycle d'auditions Madame Valérie Mancret-Taylor, directrice générale de l'Agence nationale de l'habitat (Anah).

Madame la directrice générale, vous venez d'être renouvelée dans ces fonctions, que vous occupez depuis 2018. Vous êtes donc particulièrement bien placée pour nous parler du Plan initiative copropriété (PIC) lancé peu après votre arrivée et piloté par l'Anah. Nous avons plusieurs questions à ce sujet. Quel est l'état de mise en oeuvre de ce plan ? Quels outils nouveaux a-t-il mis en place pour la prévention des copropriétés ? Peut-on commencer à en dresser un bilan, notamment pour le redressement des copropriétés fragiles ?

L'Agence gère aussi le dispositif MaPrimeRénov', et tout particulièrement MaPrimeRénov' Copropriétés qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette commission d'enquête. J'aurai une question d'actualité à ce sujet : à la suite de l'annonce de l'annulation de 1 milliard d'euros de crédits sur MaPrimeRénov' par le décret du 21 février dernier, pourriez-vous nous dire quel sera l'impact sur le financement du volet « copropriétés » en 2024 ? Les ministres de Bercy ne sont pas très explicites, renvoyant aux ministres le soin de définir sur quelles lignes budgétaires précises les coupes doivent être réalisées : faut-il considérer que l'ambition de ce dispositif est revue à la baisse alors que les besoins n'ont jamais été aussi élevés ?

D'une manière générale, sur environ 750 000 copropriétés en France, votre agence estime que 200 000 ne sont pas immatriculées et que 115 000 seraient en difficulté. Ce chiffre particulièrement important est l'un des points de départ de cette commission d'enquête, avec les travaux récents de Matthieu Hanotin, maire de Saint-Denis, et Michèle Lutz, maire de Mulhouse, qui ont dénombré 400 000 logements indignes en métropole, dont la moitié sont occupés par leur propriétaire.

Être propriétaire d'un logement, en effet, cela ne veut pas dire qu'on a les moyens de faire les travaux ni, dans le contexte d'un marché de l'immobilier grippé, de changer de logement. Les conséquences sanitaires et sociales sont graves et nous avons l'intention d'analyser les origines de ce phénomène et de le quantifier. Vos observations seront importantes afin de nous éclairer à ce sujet.

S'agissant du redressement des copropriétés en difficulté, nous chercherons notamment la manière d'appuyer les communes qui ne disposent pas toujours de services spécialisés : les agences de l'État jouent à cet égard un rôle indispensable et vous évoquerez certainement comment vous coopérez avec les collectivités.

Je suis par ailleurs rapporteure du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé. Alors que ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale le 23 janvier et par le Sénat le 28 février, et avant qu'il poursuive et achève son parcours, nous serons intéressés par votre point de vue sur ce texte et sur les dispositions qu'il contient après l'examen en première lecture.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'environ quinze minutes qui vous permettra de répondre en même temps à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Madame Mancret-Taylor lève la main droite et dit « Je le jure ».

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame, je vous remercie, vous avez maintenant la parole.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Merci, Madame la présidente. bonjour Mesdames et Messieurs, je suis ravie d'être de nouveau en audition sur des sujets qui deviennent de plus en plus prégnants dans les politiques d'aménagement du territoire, de l'urbanisme et de l'habitat de notre pays. L'intervention sur l'existant est une question majeure au coeur du rôle de l'Anah que j'ai le plaisir de diriger depuis quelques années.

L'Agence remplit en effet quatre grandes missions : la rénovation énergétique, l'habitat indigne, les copropriétés et la perte d'autonomie dans le logement. Les collectivités territoriales traitent ensuite ces sujets dans le cadre des politiques locales de l'habitat.

L'habitat privé représente environ 80 % du parc de toute collectivité territoriale, quelle que soit sa taille. Par ailleurs, la structure du parc immobilier de notre pays évolue au fil des ans depuis la moitié du vingtième siècle. Les propriétés individuelles se sont transformées en copropriétés. Aujourd'hui, plus d'un ménage sur quatre vit en copropriété. Par conséquent, il fallait pouvoir intervenir sur les copropriétés de façon plus homogène et massive.

À cet égard, la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) a marqué un changement, en créant notamment le registre national d'immatriculation des copropriétés que l'Anah tient pour le compte de l'État. Comme vous l'avez indiqué, environ 200 000 copropriétés sur plus de 700 000 ne sont pas immatriculées. Elles sont souvent administrées par des syndics bénévoles qui ne voient pas l'intérêt d'entrer dans la procédure tant qu'ils n'engagent pas de travaux rendant l'enregistrement obligatoire. Cependant, la rénovation énergétique devient prégnante et ils s'inscrivent progressivement dans la démarche. J'y reviendrai.

Enfin, parmi les copropriétés immatriculées dans le registre, près de 150 000 sont en difficulté. Des interventions sont nécessaires pour leur permettre de sortir des difficultés et de s'engager dans des démarches de travaux.

Pour entrer davantage dans le détail, il convient de signaler que la copropriété peut concentrer plusieurs problématiques très contemporaines, comme la transition énergétique, la transition démographique et la lutte contre l'habitat indigne. À cet égard, la copropriété peut être qualifiée de « mini-démocratie », où des ménages de toutes sortes cohabitent autour d'un bien commun. La difficulté consiste à les amener à un diagnostic partagé de l'état de leurs parties communes, puis à une prise de décision permettant de maintenir leur bien immobilier en bon état, voire de réaliser, par exemple, des travaux de rénovation énergétique.

En effet, une copropriété peut rapidement entrer dans une spirale de dégradation qui conduit une copropriété « saine » à devenir « fragile » puis « dégradée ». Dans une copropriété saine, les assemblées générales se passent bien et les comptes sont certifiés chaque année. Dans les copropriétés fragiles, les comptes peuvent ne pas être votés depuis plus de deux ans ou révèlent de premiers signes d'endettement. Les copropriétés dégradées sont fortement endettées depuis plusieurs années et leurs parties communes présentent des détériorations et des fragilités extrêmement avancées. L'Anah met ainsi à disposition des territoires des dispositifs permettant aux copropriétés de conserver un bon niveau sur le plan immobilier.

Ces démarches passent par une évolution de l'ensemble des professionnels qui interviennent autour des copropriétés. Pendant très longtemps, une bonne gestion et un petit programme de travaux permettaient aux copropriétés saines d'entretenir leur patrimoine. Aujourd'hui, la rénovation énergétique s'inscrit dans une dynamique du projet qui dépasse le seul entretien.

Un véritable diagnostic de la situation de l'immeuble doit conduire à une prescription complète. Au-delà du diagnostic énergétique, il doit prendre en compte les caractéristiques techniques liées à la date de construction, l'implantation dans l'environnement urbain, la proximité des diverses sources d'énergie, etc. Dès lors, la prescription de travaux est fondamentale, avant mise en concurrence des entreprises. Enfin, l'assemblée générale peut voter les travaux en toute sérénité, dès lors qu'elle connaît leur montant et les aides financières nationales et locales auxquelles elle peut prétendre.

Par conséquent, l'accompagnement des copropriétés vit un changement de métier. Il implique une formation des syndics qui sont les maîtres d'ouvrage, mais aussi des architectes puisque leur action en copropriété relève bien d'une spécialisation. Les entreprises sont également concernées, car elles interviennent en milieu occupé. À cet égard, le parc privé monte beaucoup plus lentement en compétences que les bailleurs sociaux. Le niveau de professionnalisation y demeure inférieur.

Comme vous l'avez rappelé, le Plan initiative copropriétés (PIC) a été initié par le Gouvernement en 2018, à la demande de Monsieur Julien Denormandie, alors ministre du Logement. Ce plan comporte trois volets qui traitent les différentes catégories. Il est adossé à une méthode, à des moyens et à des résultats. Il s'appuie sur un travail avec les collectivités territoriales qui sont au contact des copropriétés et des copropriétaires.

La méthode s'articule autour de trois axes : transformer, redresser et prévenir.

La transformation vise des copropriétés en état de dégradation fortement avancée, que j'ai qualifiées précédemment de « dégradées ». Leur bâti est en très mauvais état et la situation de leur gestion est caractérisée par des arriérés de charges et un endettement extrêmement importants. La question sensible est alors celle de leur maintien, total ou partiel, dans un statut privé.

Si la réponse est positive, un redressement peut s'engager. Un travail est alors mené avec tous les acteurs concernés pour remettre la copropriété dans un système de gestion sain. Une fois celui-ci obtenu, des travaux et des améliorations peuvent s'envisager. Ce processus s'avère extrêmement long, car la dégradation du bâti impose souvent de financer des travaux d'urgence, notamment dans les marchés tendus, comme en Île-de-France. Des copropriétés de plusieurs centaines d'occupants peuvent s'y trouver confrontées à des risques électriques. En pareil cas, nous devons financer des travaux d'urgence pour maintenir la sécurité des habitants pendant toutes les étapes que j'ai évoquées.

Dans certains cas, il peut être décidé de ne pas conserver sous statut privé tout ou partie de la copropriété. Il faut alors envisager de reloger la totalité ou une partie des habitants et de démolir tout ou partie des immeubles ou des ensembles concernés. Parfois, les bâtiments ne sont pas démolis, mais la copropriété est transformée en parc social. En tout état de cause, ces transformations en profondeur impliqueront un relogement. Les impacts sur les propriétaires occupants et les propriétaires bailleurs s'avèrent donc significatifs.

Nous travaillons beaucoup avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) sur cet axe de transformation du PIC. En effet, l'Anah traite plutôt les travaux d'urgence et les transformations maintenant le parc privé. En revanche, le basculement massif vers une démolition, partielle ou totale, puis une reconstruction ou une transformation en parc social, relève des missions de l'ANRU. Par conséquent, nous travaillons de concert vis-à-vis des territoires et des décisions de financement relatives à ces copropriétés.

Le deuxième axe est celui du redressement. Il s'applique aux copropriétés fragiles ou en voie de fragilisation. Nous agissons d'abord pour leur permettre de retrouver une gestion saine, pour qu'elles puissent ensuite engager une démarche de travaux. Ces démarches demeurent longues, mais elles le sont moins que dans le cas précédent.

La prévention constitue le troisième axe. Elle consiste à observer les copropriétés à partir du registre national, mais surtout en lien avec les territoires. La démarche cherche à s'assurer que des copropriétés ne présentent pas de signes de fragilité, notamment lorsqu'elles ne votent pas de travaux. Elle repose sur une observation assez précise du terrain.

Le registre présente donc l'intérêt de mieux connaître le parc et de partager cette connaissance avec les territoires, y compris en matière de prévention dans les copropriétés saines. Les politiques publiques locales peuvent ainsi entreprendre notamment une démarche de rénovation énergétique, afin de consommer moins d'énergie et d'émettre moins de gaz à effet de serre.

Le PIC est un dispositif à la carte. Il a reposé dès le début, en effet, sur deux postulats. Le premier a consisté à assurer avec les collectivités une observation des copropriétés et à identifier celles sur lesquelles la collectivité travaillerait. Le second a comporté un panel d'outils d'aide à la gestion de la copropriété, à la gestion urbaine de proximité et aux travaux. Ces aides permettent à la copropriété d'engager des travaux sur la base d'un plan de financement qui sécurise le parcours.

Nous avons ainsi cherché à présenter une offre d'outils en nouant des partenariats qui permettent à la collectivité de s'engager dans une stratégie d'intervention. Tous ces outils ne sont pas utilisés en intégralité pour chaque copropriété, mais ils peuvent être mixés selon le diagnostic porté : décision d'une opération de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) d'intérêt national, simple opération programmée d'amélioration de l'habitat (OPAH) - copropriété dégradée, plan de sauvegarde... Ces différents outils permettent de graduer l'intervention de l'Agence et de la collectivité. En effet, les aides de l'Anah doivent être complétées par la collectivité territoriale de façon à baisser au maximum le reste à charge du ménage, en matière de gestion comme de travaux.

L'Anah pilote donc le PIC, en lien avec le ministère du logement et plusieurs partenaires : l'ANRU sur l'axe de la transformation ; CDC Habitat, filiale logement social de la Caisse des dépôts et consignations, qui acquiert des biens dans les copropriétés, parfois à titre majoritaire ; Procivis, qui consent des prêts à des taux très peu élevés (0 % ou 1 %) ; Action Logement qui intervient dans des conditions similaires à celles de CDC Habitat...

Les montants prévus s'élevaient à 2 milliards d'euros sur dix ans, de 2018 à fin 2027, pour l'Anah et à 480 millions d'euros pour l'ANRU. Les autres partenaires ne s'étaient pas engagés formellement sur des montants financiers, mais l'objectif consistait à traiter 684 copropriétés en difficulté, soit 56 000 logements, et à transformer 128 copropriétés, soit 24 000 logements.

À date, le bilan se révèle plutôt positif. Le dispositif est monté progressivement en puissance, compte tenu du temps nécessaire à une collectivité pour s'engager dans une stratégie puis pour mobiliser une copropriété qui vient ensuite solliciter les aides de l'Agence.

J'achève ici ce propos introductif. Je pourrai communiquer des éléments plus précis et chiffrés en fonction de vos questions.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci pour ces premiers éléments.

Je souhaiterais revenir sur le PIC. Vous avez évoqué ses objectifs et commencé à aborder son bilan, mais quels sont les grands enseignements aujourd'hui ? En dehors de ce plan, quelles règles pouvons-nous poser en matière d'intervention sur ces copropriétés ?

J'aimerais aussi revenir sur plusieurs questions. Quelles projections établir concernant l'impact sur le volet copropriétés de MaPrimeRénov' de l'annulation d'un milliard d'euros de crédits ? Par ailleurs, est-il possible d'aller plus loin dans la collaboration avec les collectivités, qui constituent aujourd'hui l'acteur majeur dans l'identification des copropriétés fragiles ?

Enfin, quel est votre point de vue sur le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement ? Vous paraît-il intéressant ? Sur quels points pourrions-nous aller plus loin ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je répondrai d'abord à la question d'actualité relative à la réduction budgétaire qui impacte MaPrimeRénov' et donc le budget de l'Anah à hauteur d'un milliard d'euros en 2024. Cette baisse sera sans impact sur les territoires. Nous en saurons plus à l'issue du Conseil d'administration de l'Agence du 13 mars 2024.

Le budget initial voté en décembre dernier est très ambitieux. Il s'élève à 6,3 milliards d'euros, dont 3,7 milliards d'euros d'aides à la pierre dont l'attribution peut être déléguée aux collectivités territoriales. Celles-ci augmentent de 130 % par rapport au budget de 2023. En décembre dernier, le Conseil d'administration a choisi de conserver en réserve 800 millions d'euros sur ces 3,7 milliards d'euros. Ces fonds concernent notamment les copropriétés, le traitement de l'habitat indigne, mais aussi des aides plus simples à traiter. Cette mise en réserve est destinée à observer lors du premier semestre 2024 le comportement des territoires face aux augmentations très importantes des crédits qui leur seraient délégués.

La mise en réserve correspond à une pratique habituelle de l'Agence, dont le budget se trouve généralement en tension sur le parc privé. Chaque année, lors du Conseil d'administration de décembre, nous mettons donc systématiquement en réserve des crédits qui sont ensuite délégués en fonction des demandes de territoires pour des situations d'urgence (séisme, inondations...). La pratique permet aussi d'ajuster des redéploiements lors du deuxième semestre au bénéfice de territoires plus dynamiques que d'autres, qui peuvent ainsi bénéficier de crédits complémentaires.

Dès lors, ni les crédits délégués dans les territoires ni les volumes budgétés ne devraient être révisés. La question sera discutée ce 13 mars en Conseil d'administration, puis confirmée aux territoires à l'issue d'un Conseil d'administration supplémentaire. Celui-ci se tiendra dans le courant du deuxième trimestre et adoptera un budget rectificatif. La situation devrait être plutôt sereine, compte tenu des mesures de gestion anticipées dès décembre dernier.

Concernant le bilan du PIC, je partagerai avec vous quelques éléments quantitatifs et qualitatifs. Aujourd'hui, 577 759 copropriétés sont immatriculées dans le registre sur un total évalué à 679 000. Les copropriétés fragiles sont de l'ordre de 150 000.

L'Anah a financé 1 686 copropriétés depuis le lancement du Plan et traité 565 635 logements. Sur ce total, 226 copropriétés ont déjà été traitées en rénovation énergétique et 788 au titre de la lutte contre l'habitat indigne. 1 146 copropriétés ont déjà été financées dans le cadre du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété, pour un gain énergétique moyen mesuré de 47,2 %. Les chiffres peuvent être déclinés en nombre de logements.

Le budget annuel de l'Anah pour l'intervention en copropriétés est passé de 50 millions d'euros en 2017 à 323,1 millions d'euros en 2022. Pour 2023, la consolidation définitive est en cours. Nous pourrons vous communiquer les chiffres par écrit.

Sur le plan qualitatif, nous pouvons nous montrer très satisfaits. Plusieurs élus nous ont même indiqué que le PIC avait changé leur approche. En effet, nous n'agissons plus uniquement en observation. Au travers du Plan, l'action s'articule autour des trois axes évoqués précédemment : la prévention, le redressement et la transformation. Nous apportons des outils par le biais des aides à la gestion, à l'accompagnement et aux travaux. Ces aides permettent aux collectivités de réellement s'engager dans des stratégies fermes sur plusieurs années et d'accompagner les copropriétés en matière de redressement, de transformation et de prise de décision. Même pour celles qui sont saines, certaines collectivités nous disent avoir pu engager des démarches d'information sur les aides existantes, permettant ainsi de vraies prises de décisions en matière de travaux.

Ainsi, le Plan répond à l'ensemble des enjeux. Il permet aux collectivités, notamment aux 17 qui sont en suivi national, de disposer de stratégies efficaces pour le redressement des copropriétés. Elles nous le font savoir, tout d'abord dans le comité de pilotage du PIC, qui réunit chaque année autour du ministre du Logement les partenaires évoqués précédemment, et les 17 territoires en suivi national. Ceux-ci y expriment à la fois leur satisfaction et leurs attentes.

Depuis deux ou trois ans, les collectivités ont ainsi fortement insisté sur le besoin d'outils coercitifs plus efficaces à l'échelle des copropriétés. À cet égard, le projet de loi se révèle intéressant. Il en va de même pour ses avancées en matière de prêts collectifs. Ces deux attentes étaient formulées systématiquement lors du comité de pilotage, mais aussi lors de nos rencontres avec les préfets et les services déconcentrés. En effet, nous nous déplaçons à leur demande ou de notre propre initiative dans le cadre d'observations sur le terrain.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour ces éléments très riches.

Je voudrais d'abord revenir sur le repérage et le registre. En préparant cette commission d'enquête, nous avons constaté la difficulté à obtenir des chiffres fiables, consolidés et partagés. Vous avez émis l'hypothèse que les copropriétés non immatriculées étaient dotées de syndics bénévoles. Existe-t-il d'autres types de copropriétés non immatriculées ? Cette absence d'immatriculation est-elle un indicateur de fragilité ? Par ailleurs, certaines remarques ont été exprimées à l'égard du registre. Rassemble-t-il l'ensemble des éléments utiles, notamment sur les questions de paupérisation des copropriétés et des copropriétaires, y compris les phénomènes de suroccupation ?

La prévention est cruciale pour éviter des actions plus lourdes de redressement. J'ai donc été étonnée de constater, à la lecture d'un document de la région Île-de-France, que seules neuf veilles observatoires y étaient mises en place. Ce chiffre me semble extrêmement faible. J'aurai donc plusieurs questions à cet égard. Ce dispositif se développe-t-il ? Rencontre-t-il des limites ? Comment des outils tels que le Programme opérationnel de prévention et d'accompagnement des copropriétés (POPAC) fonctionnent-ils aujourd'hui ? Sont-ils pertinents en termes de prévention ou demandent-ils à être modifiés ?

Concernant le PIC, vous mentionniez un objectif de 684 copropriétés. Je mets ce chiffre en regard des 115 000 qui sont en difficulté. L'intervention dans le cadre du PIC présente l'intérêt de mettre en oeuvre des dispositifs en cohérence et en coordination avec le territoire. Cependant, au vu du développement des copropriétés fragiles ou en difficulté, comment le Plan se déploiera-t-il pour être à la hauteur des défis d'aujourd'hui et de demain, en matière notamment de rénovation énergétique ? Est-il bien calibré en termes de moyens financiers et humains ? De plus, est-il actualisé régulièrement et si oui, de quelle manière ?

Par ailleurs, comment les maires sont-ils sensibilisés pour s'intéresser à la question avant que ne se manifestent des dégradations de bâti extrêmement lourdes ? Comment sont-ils accompagnés ? En effet, les petites copropriétés qui font tout particulièrement l'objet de notre commission représentent un phénomène diffus et souvent peu connu des maires.

Enfin, pourriez-vous confirmer que les petites copropriétés représentent les trois quarts des 150 000 copropriétés fragiles que vous indiquiez ? Si oui, les outils dont dispose l'Anah sont-ils calibrés en conséquence ? Ces petites copropriétés demandent en effet une attention et une méthode particulières.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je commencerai par les questions relatives au repérage. Tout d'abord, le volume global des copropriétés que j'ai indiqué - un peu plus de 700 000 - repose sur des données d'études, issues notamment du Fichier des logements à la commune (FILOCOM). Nous ne sommes pas complètement sûrs qu'ils soient corrects. Cependant, nous pensons qu'ils sont proches de la réalité.

Depuis la création du registre en 2017, nous avons vu s'immatriculer progressivement les plus grosses copropriétés. Nous estimons donc que l'écart provient soit de copropriétés qui n'en sont pas, soit de copropriétés dotées de syndics bénévoles. Nous ne disposons pas d'éléments permettant de déterminer si ces copropriétés non immatriculées sont fragiles ou en cours de fragilisation, voire de dégradation. D'où les campagnes que nous menons au niveau national ou auprès des syndics, des agences immobilières et surtout des collectivités pour qu'elles relaient le message selon lequel l'enregistrement favorise leur identification.

En effet, le registre est en libre accès pour les usagers, les syndics et les collectivités territoriales. Il permet d'identifier les copropriétés sur le territoire et donne à la puissance publique une information sur la paupérisation, mesurée à partir du niveau d'endettement, puisque les informations remplies par les syndics sont relatives à la gestion. En revanche, nous ne disposons pas d'informations sur l'axe de la paupérisation sociale. Pour cette raison, la procédure d'attribution des aides de l'Anah prévoit des enquêtes sociales sur le terrain afin de déterminer l'état et l'occupation du bâti.

En matière de prévention, l'Anah dispose de deux outils, le VOC (Veille et observation des copropriétés) et le POPAC.

Je ne suis pas en mesure de vous indiquer aujourd'hui combien de VOC sont présents en Île-de-France, ni même sur le territoire français. Nous regarderons. En tout état de cause, cet outil de veille extrêmement intéressant est cofinancé par les collectivités. Il leur permet d'observer, à l'aide du registre, comment les copropriétés évoluent sur leur territoire.

Le POPAC est un dispositif de prévention. Les équipes mises en place se rendent auprès des copropriétaires pour les sensibiliser aux risques de fragilisation ou de dégradation, mais aussi pour faire réfléchir les copropriétés saines à des travaux de rénovation énergétique ou d'adaptation à la perte d'autonomie. Les évolutions relatives aux POPAC seront présentées lors du Conseil d'administration du 13 mars. Elles portent sur la possibilité de mobiliser des aides aux travaux dès le POPAC.

Les volumes fixés dans le PIC correspondaient à un objectif concernant les copropriétés confrontées aux plus grandes difficultés, conformément aux informations remontées par les services déconcentrés de l'État. Ces objectifs ne nous ont pas empêchés d'en traiter plus, en l'occurrence 1 686 pour un objectif de 684, et d'élargir notre intervention à d'autres zones géographiques que celles initialement identifiées.

Le Plan évolue en permanence et nous nous adaptons. Ainsi, les 17 sites du suivi national étaient moins nombreux à l'origine. Une ville comme Sarcelles a par exemple demandé à intégrer le dispositif. D'autres communes y réfléchissent aussi et pourront le rejoindre. Les aides évoluent également par le biais d'expérimentations territorialisées. Ainsi, les plus petites copropriétés - moins de vingt lots - qui le demanderaient pourraient bénéficier dans certaines conditions du dispositif MaPrimeRénov' Copropriété sans atteindre l'objectif national de gain énergétique de 35 %.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Merci. Je reviens sur vos propos qualifiant la copropriété de « mini-démocratie ». À ce sujet, quelle est votre vision sur les règles de vote ? Vous semblent-elles encore adaptées au phénomène de paupérisation des copropriétés ?

Par ailleurs, les élus et les collectivités évoquent assez régulièrement le relogement comme un frein dans les projets de rénovation des copropriétés. Le vivez-vous comme tel ? Surtout, jugez-vous suffisantes les solutions que vous expérimentez dans le cadre du PIC ? Un autre modèle permettrait-il de pallier ces difficultés ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Concernant les majorités de vote fixées par la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, la question est toujours très compliquée. Sans être spécialiste de cette loi, il me semble que certaines avancées permettent une prise de décision en assemblée générale dans les limites de la Constitution en matière de droit de la propriété. Cependant, chaque modification de la loi se révèle très difficile, si bien que les avancées ont été progressives. En tout état de cause, il me semble qu'elles se trouveront confrontées à un moment ou à un autre au droit de propriété.

Pour cette raison, je n'ai pas évoqué précédemment cet axe législatif. J'ai plutôt souligné les évolutions de métier et les changements d'approche. Je ne souhaiterais pas que mon propos soit considéré comme angélique, mais je pense que la société évolue vers une prise de conscience sur la transition écologique et le besoin de rénovation énergétique du bâti. Certaines collectivités territoriales - plutôt des métropoles - ont mis en place des dispositifs d'information vers les copropriétaires. Certains élus locaux organisent des réunions publiques où ils expliquent ce que nous évoquons ensemble aujourd'hui, mais aussi les dispositifs qu'ils ont mis en place pour accompagner les syndics dans des prises de décisions. Ils sont conscients que le processus durera au minimum un an et demi, voire plusieurs années, avant que la décision ne soit prise.

Pour le dire encore autrement, une dynamique de projet doit s'instaurer au sein des copropriétés. Certaines demeureront rétives, mais d'autres s'engageront. Les métropoles auxquelles je pense reçoivent aujourd'hui de très nombreux appels téléphoniques à la suite de leurs actions (réunions publiques, dispositifs de financement des travaux, actions d'accompagnement des syndics et des architectes de copropriétés, etc.). Le vote des travaux peut d'ailleurs s'étaler dans le temps.

J'emploie à dessein le terme de dynamique de projet, caractérisé par un diagnostic, une estimation du coût, un examen des aides publiques, qui peuvent être abondées, voire un calendrier de travaux étalé sur plusieurs années et la possibilité de capter un prêt, individuel ou demain collectif, pour financer le reste à charge. Ainsi la démarche évolue. Il convient d'espérer qu'elle se propage dans davantage de territoires.

Le relogement représente clairement un frein. Pour cette raison, j'évoquais précédemment les travaux d'urgence que nous finançons en cas de risque réel pour la sécurité des habitants. Certaines questions ont pu être posées à l'Anah sur le bienfondé de ces financements, parfois très élevés. De fait, les travaux de mise en sécurité interviennent en général dans des territoires où les marchés immobiliers sont très tendus et où la capacité de relogement en urgence est impossible. Par ailleurs, le financement de ces travaux d'urgence permet à des habitants très vulnérables socialement et économiquement de rester plus longtemps dans leur logement. L'objectif à terme demeure le redressement de la copropriété afin qu'elle puisse voter des travaux de confortation et de rénovation énergétique.

Si vous me le permettez, j'évoquerai un troisième point : le financement des arriérés de charges. Comme aujourd'hui, le projet de loi prévoit que les fonds publics destinés à la gestion, à l'animation ou au financement de travaux ne peuvent être captés pour éponger des dettes. Cependant, dans l'arsenal législatif et réglementaire existant, aucun dispositif ne permet de financer les arriérés de charge.

Les moyens mis en oeuvre permettent une renégociation du calendrier de la dette, par exemple avec les grands fournisseurs de fluides énergétiques, mais parfois cela ne suffit pas. Les dispositifs départementaux existants sont calibrés pour les locataires du parc social. Très peu s'adressent aux propriétaires occupants des copropriétés. Cela reste une vraie difficulté.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous poserai encore deux questions avant de repasser la parole à Marianne Margaté.

Les très petites copropriétés constituent l'un des sujets que nous souhaitons développer. Pourriez-vous aller plus loin les concernant ? En matière d'information et de formation, quelles actions pourrions-nous ou pourriez-vous mener, au-delà des campagnes existantes et de la multiplication de guichets au sein des territoires ?

Par ailleurs, comment l'Anah pourrait-elle aller plus loin dans l'accompagnement des collectivités ? En effet, les territoires qui avancent aujourd'hui sont volontaristes, ils engagent des actions et des budgets. D'autres ne s'engagent pas, souvent par manque d'information. Vous le savez, puisque la montée en puissance du PIC est passée par l'information et le développement des outils.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Concernant les petites copropriétés, je me suis effectivement plutôt attachée à présenter l'évolution des aides de l'Anah, votée très récemment par le Conseil d'administration.

Sur le volet information, France Rénov', le service public de la rénovation de l'habitat, institué par la loi Climat et résilience du 22 août 2021, monte en compétences sur la transition démographique, notamment la perte d'autonomie, et sur la copropriété.

De fait, la copropriété est un sujet très complexe : loi de 1965, puis loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, gestion de la copropriété au sens strict... Notre objectif n'est pas de transformer les espaces-conseil France Rénov' en spécialistes de la copropriété, mais de leur permettre de mieux orienter les ménages copropriétaires vers les interlocuteurs adéquats.

Ces interlocuteurs sont tout d'abord les Agences départementales d'information sur le logement (ADIL) qui détiennent dans leur quasi-totalité une très bonne connaissance de la copropriété. À cet égard, il est nécessaire de mettre en réseau les différents guichets existant sur le territoire, sans nécessairement créer partout un guichet unique de type « maison de l'habitat ».

Le deuxième interlocuteur est la collectivité, lorsqu'elle a décidé de mettre en place une OPAH, que celle-ci soit uniquement consacrée à la copropriété ou qu'elle comporte un volet dédié. Dans ce cadre, les opérateurs retenus par appel d'offres pour constituer l'équipe de suivi-animation sont généralement des spécialistes qui nouent une bonne relation avec l'espace-conseil France Rénov'.

De la sorte, le service public France Rénov' sera en mesure de répondre à n'importe quel administré du territoire, qu'il soit en maison individuelle, en copropriété, etc.

Pour les collectivités, le traitement est proche, mais l'angle un peu différent. La copropriété est un sujet complexe. Les services déconcentrés de l'État recherchent le regroupement des spécialistes de la copropriété afin d'agir au niveau intercommunal. En effet, le niveau communal ne parvient pas à rassembler un nombre suffisant d'experts.

Ainsi, dans le cadre d'OPAH complexes financées à 50 % par l'Anah, nous recommandons de créer une équipe permettant à une intercommunalité de prendre la compétence pour traiter de la copropriété et de l'habitat indigne. En matière d'habitat indigne, le besoin de regrouper les compétences est en effet particulièrement prégnant. Ces compétences sont rares ; on les trouve au sein des bureaux d'études, des services déconcentrés de l'État, de l'Anah...

Enfin, il faut former davantage. Il existe une filière complète autour de l'habitat privé, individuel et collectif. Elle couvre aussi bien les travaux que les prestations intellectuelles au sein des collectivités territoriales, des bureaux d'étude et des espaces-conseils France Rénov'. Il est indispensable de créer aussi des filières pour monter en compétences en matière de transition écologique. France Stratégies estime les besoins sur cette filière entre 250 et 300 000. L'Anah n'est pas compétente pour valider ces chiffres, mais les besoins de professionnels sont en tout état de cause très importants sur l'ensemble du territoire national.

Mme Marianne Margaté. - La complexité de la copropriété s'aiguise. Elle touche à la propriété privée, mais l'intervention publique se développe à tous les niveaux, de l'information et de la prévention jusqu'au redressement et au recyclage. Il est d'ailleurs demandé aux élus d'être de plus en plus présents.

Je ne sais pas si beaucoup d'intercommunalités se sont saisies de cet objet dans leur plan local de l'habitat, mais je pense que cela reste l'apanage des métropoles et des communes obligées d'affronter le sujet, comme Sarcelles.

De plus, la complexité s'accroît du fait de la coexistence entre propriétaires bailleurs et propriétaires occupants. Ces derniers ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts que les propriétaires bailleurs et peuvent aussi se paupériser. En outre, les nouveaux copropriétaires n'ont pas toujours estimé le poids des charges et des rénovations à venir. Mesurez-vous à cet égard une tension particulière ?

Par ailleurs, comment abordez-vous la question des marchands de sommeil qui s'implantent notamment dans les copropriétés les plus fragiles ?

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je crois que l'intervention publique sur les copropriétés, en particulier les plus fragiles, est très proche d'une politique de solidarité. La légitimité de l'action publique sur le parc privé est due au fait qu'il loge beaucoup de ménages vulnérables. Pour cette raison, l'Anah ne traitait à l'origine que les copropriétés les plus fragiles et les plus dégradées. La transition écologique l'a conduite à élargir son champ à des copropriétés saines. Cependant, son objectif initial consistait à permettre aux ménages très vulnérables qui n'étaient pas entrés dans le logement social d'améliorer leur logement et parfois de redresser la gestion de leur patrimoine.

Nous ne disposons pas d'un état des lieux des intercommunalités. Toutefois, le parc privé est de mieux en mieux connu grâce au registre et aux politiques publiques des collectivités. En effet, de plus en plus de collectivités mènent une action conséquente sur le parc privé. Je préciserai les chiffres, mais nous avons aujourd'hui 1 100 OPAH sur l'ensemble du territoire national contre environ 700 en 2017.

Selon les informations remontées du terrain, les votes des propriétaires bailleurs traduisaient jusqu'à la loi Climat et résilience une certaine réticence à engager des investissements dans le patrimoine. Ils tendent désormais à appuyer des décisions de rénovation plus rapides. Ces premières remontées proviennent d'équipes de suivi-animation dans les territoires et des syndics, mais nous ne disposons pas de chiffres.

À l'égard des marchands de sommeil, l'action n'est qu'incitative. La coercition n'est applicable qu'en matière d'habitat indigne et, demain, dans certaines situations d'expropriation dans les copropriétés. Nous ne pouvons empêcher quelqu'un d'acheter un logement, d'autant plus que nous ne connaissons pas a priori les intentions de l'acquéreur quant à l'utilisation de son bien. En revanche, lorsque nous commençons à intervenir sur une copropriété, nous pouvons mettre en oeuvre tous les leviers de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN) et surtout exclure du bénéfice des aides publiques un propriétaire identifié comme marchand de sommeil.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Quel lien établissez-vous entre la structure de gestion et la situation des copropriétés ? Peut-on considérer que les copropriétés fragilisées sont majoritairement gérées par des Associations syndicales libres (ASL) ou des syndics bénévoles ?

Par ailleurs, les ASL font-elles l'objet d'un suivi par l'Anah ? Serait-il pertinent de les immatriculer au registre national ? La même question se pose pour les Unions de syndicats.

Mme Valérie Mancret-Taylor. - Je ne sais pas répondre à la première question. Spontanément, je n'établirais pas de lien, mais je préfère examiner le sujet avec des spécialistes au sein de l'Agence. Nous reviendrons vers vous par écrit.

La question des ASL est bien identifiée au sein de l'Anah. Nous avons été sollicités par de nombreux territoires. Aujourd'hui, les ASL ne bénéficient pas des aides de l'Agence. Nous réfléchissons à une évolution de notre réglementation en faveur notamment de ces structures.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous avons épuisé avec vous une partie significative du sujet. Nous vous remercions encore pour votre disponibilité et la précision de vos réponses. Pour votre information, nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport avant le 31 juillet 2024.

La réunion est close à 18 h 50.

Mardi 12 mars 2024

- Présidence de Mme Amel Gacquerre, présidente -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Audition de M. David Rodrigues, juriste à l'association nationale de défense des consommateurs Consommation, logement et cadre de vie (CLCV), Mme Jocelyne Herbinski, secrétaire confédérale de la Confédération nationale du logement (CNL) et M. Stéphane Pavlovic, directeur de la Confédération générale du logement (CGL)

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Madame, Messieurs, mes chers collègues,

nous reprenons aujourd'hui les travaux de notre commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés.

Avec Madame Marianne Margaté, qui en est la rapporteure, nous sommes heureuses d'accueillir Monsieur Stéphane Pavlovic, directeur de la Confédération générale du logement, Madame Jocelyne Herbinski, secrétaire confédérale de la Confédération nationale pour le logement, et enfin Monsieur David Rodrigues, qui représente l'association nationale de la défense des consommateurs et usagers « Consommation, logement et cadre de vie », la CLCV.

Comme vous le savez, il existe environ 700 000 copropriétés en France. De nombreux concitoyens sont donc concernés et un certain nombre potentiellement touché par des phénomènes de paupérisation et de dégradation. Ainsi, 17 % des copropriétés immatriculées au registre national de la copropriété (RNIC) seraient fragiles ou en difficulté.

La paupérisation d'une copropriété a des effets très concrets pour les habitants : la dégradation de la qualité de vie, l'installation de marchands de sommeil, l'insalubrité et l'atteinte aux normes d'hygiène, et dans les cas les plus graves, des atteintes à la sécurité des habitants. Face à ces menaces, des dispositifs ont été mis en place pour mieux protéger les habitants et je rappelle qu'un certain nombre d'entre eux a été amélioré très récemment, notamment lors de l'examen par le Sénat du projet de loi sur l'habitat dégradé, dont je suis la rapporteure.

Aux côtés des pouvoirs publics, les associations de consommateurs sont souvent les porte-voix des habitants pour faire valoir leurs droits, voire des lanceurs d'alerte.

Dans ce cadre, j'aimerais en premier lieu vous interroger sur les différentes dynamiques qui conduisent à la paupérisation des copropriétés. Existe-t-il par exemple, selon vous, des angles morts dans la détection de ces copropriétés en fragilité ? Les outils de prévention sont-ils selon vous adaptés ?

Concernant les syndics, qui sont des acteurs centraux, quelles pistes d'amélioration pourriez-vous suggérer ? Y a-t-il de bonnes pratiques que vous voudriez mettre en avant ?

Par ailleurs, pensez-vous que la « boîte à outils » aujourd'hui à disposition des pouvoirs publics est assez complète ? Des améliorations peuvent-elles être apportées ?

Enfin, nous serions intéressés de savoir comment, à votre avis, mieux aider et accompagner les habitants.

Avant de vous laisser la parole pour un propos introductif d'environ dix minutes chacun, qui vous permettra de répondre en même temps à ces premières questions, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du Code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

David Rodrigues, Jocelyne Herbinski et Stéphane Pavlovic lèvent la main droite et disent « Je le jure » chacun à son tour.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie.

Madame Herbinski, nous vous donnons la parole.

Mme Jocelyne Herbinski. - Merci beaucoup de nous recevoir.

La Confédération nationale du logement souhaite faire part de plusieurs réflexions.

Le projet de la loi a apporté plusieurs réponses avec lesquelles nous sommes en adéquation. Toutefois, certains points, comme la question des marchands de sommeil, nous semblent en recul par rapport à la proposition initiale. Je développerai les points par ordre de priorité.

Tout d'abord, nous constatons souvent que les petites copropriétés ne disposent pas de syndic. Même lorsqu'existent des syndics bénévoles, les décisions se prennent parfois en fonction du copropriétaire le plus intéressé par son propre bien, sans que cela soit nécessairement partagé par les autres. Cela concerne notamment les petites copropriétés de centre-bourg ou de centre-ville. Bien des copropriétaires ne savent pas ce que signifie la copropriété. Leur approche est alors individuelle. Lorsque l'habitat y est un peu fragile en termes d'entretien régulier, à l'intérieur du logement comme dans les parties communes, les choix sont opérés en fonction des moyens financiers des occupants. Les marchands de sommeil peuvent aussi s'y implanter, par exemple sous forme de colocations tournantes, pour loger notamment des employés saisonniers ou non déclarés.

Les petites copropriétés ne sont pas seules à se trouver fragilisées ou dégradées, puisque de très grosses copropriétés font également l'objet des attentions de la puissance publique et se voient allouer des moyens.

En tout état de cause, nous constatons que les situations de fragilité sont aussi liées aux capacités financières des propriétaires occupants. Certains se trouvent en difficulté, alors qu'ils ne l'étaient pas auparavant, en raison de l'augmentation du coût de l'énergie. À cet égard, nous observons un manque d'accompagnement des syndics, surtout après la crise Covid. Les retards dans la tenue des assemblées générales ont parfois généré des délais dans la régularisation des charges, privant les occupants d'une connaissance d'augmentations significatives affectant certains postes. Cette situation perdure aussi en raison du renouvellement de contrats dont les coûts ont explosé. Ces augmentations successives viennent s'ajouter aux remboursements d'emprunts. Par conséquent, la situation est difficile pour les intéressés qui ne savent pas auprès de qui obtenir un accompagnement financier.

De plus, le manque de lisibilité des aides aggrave les difficultés. Certains publics ne connaissent pas tous leurs droits à en bénéficier. Nous devons parfois intervenir, car il est compliqué d'identifier les interlocuteurs adéquats en l'absence de prise en charge globale. À cet égard, nous souhaiterions un pôle public auquel pourrait s'adresser tout habitant, qu'il soit locataire ou propriétaire occupant, dès lors qu'il rencontre des difficultés à assumer la charge de son logement.

Par ailleurs, nous jugeons intéressante la proposition d'un prêt global et collectif. Cependant, nous avons compris que ce prêt serait accordé, quels que soient les revenus des copropriétaires. Nous alertons sur notre souhait de bien voir la cible concernée en bénéficier.

Le syndic d'intérêt collectif nous paraît également utile. Les bailleurs sociaux vendent aussi du locatif social et dans certaines copropriétés, les accédants ne connaissent ni le rôle du syndic ni le pouvoir décisionnaire de l'assemblée générale. Lors de la constitution de telles copropriétés, nous souhaitions donc que leurs occupants, locataires et accédants, puissent encore bénéficier des contrats qui avaient été négociés par les bailleurs sociaux. Le syndic d'intérêt collectif pourrait s'inscrire dans cette démarche.

Nous souhaitons aussi aller vers des prêts à taux zéro en matière de réhabilitation. Ils devraient cibler en priorité les logements non décents.

La prévention nous apparaît prioritaire.

Nous demandons l'abrogation de ce que nous appelons la « troisième ligne de quittance », c'est-à-dire la contribution forfaitaire réclamée aux locataires pendant quinze ans. Ces coûts sont élevés, surtout dans le contexte actuel affectant les tarifs de l'énergie.

Par ailleurs, le permis de louer représente pour nous un élément essentiel.

Nous souhaitons aussi la réquisition de logements vacants dans le cadre du relogement. Environ 2,5 millions de logements sont concernés. Certains d'entre eux ne sont pas loués depuis des décennies. Or ils permettraient d'assurer des relogements à proximité et de répondre à des situations d'urgence.

En matière de signalements, l'instauration d'un lieu centralisé de coordination entre tous les services nous semble une bonne solution. En effet, certaines situations s'aggravent faute de partage d'informations.

Enfin, il nous semblerait intéressant de renforcer les espaces de coordination et de concertation entre tous les occupants d'un immeuble. Certains logements appartiennent à des investisseurs - Pinel, notamment - dont les locataires n'ont pas toujours les coordonnées, les agences de location faisant écran. À cet égard, des malfaçons peuvent se produire dans de l'ancien comme dans du neuf. Il conviendrait donc de ne pas cibler uniquement l'ancien. De plus, la loi ne prévoit aucune possibilité de participation des locataires aux assemblées générales en cas d'Associations syndicales libres (ASL). Or la possibilité de discuter avec tous les résidents de sujets comme les espaces verts ou les garages constituerait une avancée.

M. David Rodrigues. - Merci pour votre invitation. Votre commission d'enquête témoigne d'un intérêt pour la copropriété qui est généralement un angle mort, souvent traité par voie d'amendements. Le dernier texte d'importance était la loi ALUR qui prévoyait d'intervenir sur le sujet. La loi ELAN l'a fait, mais de façon annexe, avec une ordonnance qui a modernisé le dispositif, mais qui de l'avis général manquait un peu d'ambition.

En parallèle, le projet de loi contient des mesures intéressantes sur la responsabilisation des syndics et le défaut d'interpellation du mandataire ad hoc, l'expropriation lorsque les arrêtés de mise en sécurité n'ont pas été levés passé un certain délai ou la participation du maire. Ces points impliquent l'autorité locale quant à l'intérêt qu'elle peut porter à la prévention des copropriétés en difficulté.

Je trouve toutefois regrettable que ce projet de loi soit examiné en procédure accélérée. Compte tenu de l'importance du sujet, deux lectures m'auraient paru justifiées. L'examen aurait même pu intervenir plus tardivement pour prendre en compte l'avancée de vos travaux.

Par ailleurs, interviennent les travaux du Plan urbanisme construction architecture (PUCA) qui ont une approche sociologique de la copropriété et de la prévention des difficultés. Or cet aspect sociologique constitue peut-être un angle mort. En effet, nous partons d'un axiome selon lequel le copropriétaire s'intéresse à la gestion de sa copropriété. C'est faux, car certains s'en désintéressent, ne sont pas initiés à la problématique ou n'y habitent pas. Le calendrier sur la performance énergétique rendra cependant les propriétaires bailleurs plus moteurs sur la réalisation de travaux, alors qu'ils freinaient auparavant.

Il est vrai que la situation des occupants en tant que tels n'est pas prise en compte. Or nous constatons que les copropriétés se trouvent en difficulté, car les problèmes financiers de leurs occupants s'accroissent, en raison de mutations sociologiques dans le quartier ou de manque d'anticipation de travaux.

De fait, nous avions proposé dans les petites copropriétés, qui peuvent être les plus fragiles, un élargissement du syndic bénévole aux ascendants ou aux descendants, voire au conjoint, comme au conseil syndical. Or nous nous heurtons à un blocage sur ce point. Il ne faut pas oublier que toutes les réglementations créées s'appliquent à l'ensemble des copropriétés. Nous manquons d'outils. Un bailleur pourrait mandater son locataire au conseil syndical avec l'adoubement de l'assemblée générale. Le droit de propriété ne constitue pas un obstacle puisque le bailleur est le propriétaire et l'assemblée générale souveraine. Le problème réside surtout chez les syndics qui souhaitent le moins d'interlocuteurs possible. C'est ainsi que les conseils de résidents ne peuvent se mettre en place dans les copropriétés Pinel, alors que les conseils syndicaux sont très peu nombreux.

Nous sommes donc confrontés à des angles morts, car il n'existe pas d'outils permettant de gérer efficacement une copropriété, soit parce que personne n'est sur place à même de s'y intéresser, soit parce que ceux qui le pourraient n'ont pas le droit de le faire.

La problématique de la copropriété renvoie à l'information préalable sur ce que signifie le fait d'être copropriétaire. La loi ALUR prévoyait la publication d'un arrêté créant une notice d'information annexée à l'acte de vente. Elle avait pour vocation de sensibiliser les futurs acquéreurs sur le passage à la copropriété. Nous assurons d'ailleurs ce travail avec les autres associations, notamment dans le cadre des accessions sociales à la propriété chez les bailleurs sociaux. De fait, une sensibilisation est nécessaire, car beaucoup d'acquéreurs ne sont pas informés. En l'occurrence, elle se fait en application de la loi, mais elle peut passer par le financement de projets de ce type avec la Fondation Abbé Pierre, la Fondation de France ou Soliha. Ces actions relèvent de la prévention des difficultés dans les copropriétés.

Concernant l'adaptation des outils de prévention, la question peut porter sur leur nature même ou sur leur utilisation. De fait, ils sont nombreux. Ainsi le mandataire ad hoc est peu utilisé. Certains professionnels manifestent une certaine réticence. Pourtant, des exemples montrent que les syndics ne sont pas toujours diligents quant au recouvrement des impayés. Sur le sujet, la problématique est celle de la bonne utilisation des signaux d'alerte.

Je ne dispose pas d'études sur le sujet, mais il me semble difficile de savoir par le biais du Registre d'immatriculation si la part des copropriétés en difficulté se trouve surreprésentée lorsqu'il y a un syndic bénévole ou non professionnel. J'ignore si des statistiques sont établies à cet égard. Au demeurant, se pose la question de la raison du passage de ces copropriétés en autogestion : l'autogestion est-elle choisie ou subie ? Dans le premier cas, la gestion peut très bien se passer, dans le second la situation peut s'avérer plus difficile. En tout état de cause, certains propriétaires ne savent même pas qu'ils sont en copropriété. Le cas type est celui de la maison, lorsqu'elle est divisée en deux logements.

La notion de syndic d'intérêt collectif me paraît très intéressante, sachant qu'un décret doit encore en préciser les compétences et les spécificités. Cependant, je peux imaginer que la FNAIM considérera que tous les syndics sont d'intérêt collectif et pourraient postuler à la fonction. Intellectuellement, le concept est très intéressant, mais je ne vois pas comment il se concrétisera dans les faits. Je m'interroge sur ce qui rendra ce nouveau syndic plus apte qu'un autre à traiter les copropriétés en difficulté. Cette aptitude pourrait reposer sur la spécialisation volontaire de petits cabinets, illustration d'une appétence particulière à la discussion avec tous les résidents. Cela exclurait d'office les grands cabinets où le turn-over est important. Par conséquent, je demeure aussi intéressé qu'attentiste.

Enfin, il convient de ne pas alourdir les charges des copropriétés. À cet égard, je me félicite de la réintroduction par le Sénat du plafonnement des frais de recouvrement qu'avait supprimé la loi ALUR.

En l'état actuel, les copropriétaires se trouvent captifs d'une disposition non négociée en assemblée générale. Certains se voient imposer des frais de recouvrement supérieurs au montant de leur impayé. De plus, les syndics ne sont pas incités à recouvrer efficacement les dettes. Des outils juridiques et amiables, tel le déclenchement d'un échéancier, permettent de recouvrer rapidement les impayés. Cependant, dans le système actuel, les syndics ont tout intérêt à laisser mûrir la situation, car leur système de rémunération est fondé sur les prestations exceptionnelles qu'ils facturent. La situation nuit à la prévention des difficultés et des dettes dans la copropriété.

M. Stéphane Pavlovic. - Je me joins à mes collègues pour vous remercier de cette invitation.

Au sein de la Confédération générale du logement, notre angle d'approche des copropriétés en difficulté se fonde sur les difficultés des usagers du logement. Le propos de cet exposé vise à vous faire comprendre que le copropriétaire, l'usager du logement, doit être au centre de tout. Le copropriétaire doit être remis au centre des dispositifs de traitement des copropriétés en difficulté.

L'autre idée-force, réaffirmée lors de chaque modification législative, consiste à s'assurer que les dispositifs créés sont faciles à mettre en oeuvre. De même, il convient de s'assurer de l'efficacité de ceux qui existent déjà. Les dispositifs de lutte contre la paupérisation sont nombreux. Pourtant, de nouveaux outils sont recherchés. L'exemple de l'éradication des marchands de sommeil en témoigne. Les dispositifs existants ne sont pas mis en oeuvre, faute de moyens financiers et humains. Le projet de texte en cours d'examen renforce les sanctions pénales contre les marchands de sommeil, mais seront-elles vraiment efficaces ? Je me demande si cette question est posée et si l'on dispose d'un recul sur le sujet.

Pour replacer l'usager au centre des dispositifs, nous nous attachons à l'objectif. Nous militons pour traiter les difficultés en amont afin de préserver les intérêts des copropriétaires. Or la prévention est assez absente des corpus législatifs envisagés. En revanche, des solutions ultimes sont prévues pour traiter les difficultés.

Nous reconnaissons qu'il n'est pas facile de mettre en oeuvre des dispositifs de prévention, mais certains mécanismes d'alerte en amont pourraient s'envisager, comme des dispositifs de dettes individuelles. Il en existe aujourd'hui à l'échelle de la copropriété, mais non à celle des individus. Des opérateurs pourraient aussi être sensibilisés à intervenir bien en amont dans les copropriétés. Les signaux d'alerte sont bien connus. Il s'agit des impayés et de l'état du bâti.

Le copropriétaire doit aussi être placé au centre en matière de traitement des difficultés. Nous estimons nécessaire un traitement social plus poussé lors du suivi des copropriétés en difficulté. Il importe d'éviter la solution ultime qui consiste à confier la copropriété à un opérateur chargé de rétablir tant bien que mal la situation en faisant partir les copropriétaires en situation d'impayés.

La question des coûts n'a pas été évoquée, mais elle constitue pour nous un prérequis. Lorsqu'une copropriété est en difficulté, différents acteurs interviennent pour la remettre à flot. Ce coût doit être envisagé. Il en va de même pour les coûts des logements et de l'entretien. Une politique publique efficace nécessite un spectre beaucoup plus large et une réflexion sur les différents coûts, pour ne pas réserver la copropriété à ceux qui ont le plus d'argent. Puisque l'on veut une France de propriétaires, il faut donner les moyens à ceux qui ont un pouvoir d'achat moins élevé de faire face et d'être en copropriété.

Je conclurai sous forme d'ouverture : existe-t-il une spécificité de la paupérisation en copropriété ? Certes, les modalités de gestion d'un immeuble en copropriété sont particulières, mais des points communs se retrouvent avec d'autres situations de paupérisation dans les résidences. Par conséquent, il nous semble que la paupérisation devrait s'envisager de façon plus globale, avec davantage d'envergure et de poids.

Très concrètement, même si cela peut choquer, nous traitons parfois des situations d'usagers dans des immeubles HLM en difficulté. Bien entendu, les impayés n'y génèrent pas la dégradation du bâti comme en copropriété, mais la dégradation du bâti y entraîne des situations de paupérisation. Nous observons cette situation dans le secteur HLM, même avec des bailleurs sociaux qui ont pignon sur rue. En matière de dégradation du bâti, les points communs sont alors nombreux avec les copropriétés. Par conséquent, il convient peut-être d'envisager l'éradication de la paupérisation de façon plus globale.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Un grand merci pour ces premiers éléments de réponse. Avant de donner la parole à Marianne Margaté, j'aimerais revenir sur quatre points qui mériteraient un approfondissement.

Le premier concerne l'intervention en amont, sur laquelle nous sommes tous d'accord. L'un d'entre vous a évoqué un traitement en amont des « difficultés à venir dans les copropriétés », et non des « copropriétés en difficulté ». À quelles difficultés faites-vous référence, vous qui représentez les consommateurs ? Comment les traitez-vous aujourd'hui ? Disposez-vous de moyens de détection ? Si oui, quels sont-ils ? Sinon, lesquels faudrait-il développer ?

En deuxième lieu, le cadre législatif existant, à savoir la loi de 1965, vous paraît-il toujours adapté dans le contexte de paupérisation et de diversité des occupants ? Une différenciation des règles selon les types de copropriétés est-elle envisageable ?

Par ailleurs, disposez-vous de statistiques permettant d'y voir plus clair sur la façon dont vous traitez le sujet ?

Enfin, vous avez abordé à plusieurs reprises la nécessaire information des occupants, propriétaires et locataires. Nous le savons, mais comment et par qui aller plus loin ? Disposez-vous d'exemples de réussite ?

M. David Rodrigues. - Nous intervenons en amont sur plusieurs axes, à commencer par la sensibilisation au fonctionnement de la copropriété. J'ai en tête une formation dans une copropriété en difficulté, à laquelle certains locataires ont même assisté. Nous organisons des formations à tous les stades, à destination des primo-accédants, comme des copropriétaires déjà bien établis. Nous avons aussi élaboré un fascicule avec la Chambre des notaires du Grand Paris qui est remis à leurs clients. Son but est précisément d'expliquer le fonctionnement d'une copropriété.

L'intervention passe également par la gestion, c'est-à-dire par la mise en place d'un syndic non professionnel et d'un conseil syndical. Surtout, nous essayons de sensibiliser les copropriétaires, notamment à la gestion prévisionnelle concernant les travaux importants.

Pendant longtemps, les copropriétés fonctionnaient avec des « provisions spéciales » facultatives. Désormais, un Fonds travaux est obligatoire, mais son taux de 5 % est trop bas, tout particulièrement pour les petites copropriétés. Or son objectif est précisément d'anticiper les travaux et donc d'éviter de mettre les copropriétaires en difficulté. En effet, les impayés sont souvent dus à un défaut d'anticipation.

Pour cette raison, nous demandions d'élever le taux du Fonds travaux à 20 voire 30 %, notamment pour les petites copropriétés telles que définies par la loi de 1965. Le caractère non remboursable du Fonds travaux, considéré comme un amortissement du bien, est cohérent, mais il représente un obstacle. De fait, les copropriétaires ne dépassent pas 5 % et utilisent le Fonds pour de petits travaux. J'ai bien compris que le système ne serait pas modifié. Je sensibilise donc plutôt sur les « avances pour insuffisance de trésorerie », autorisées par le décret de 1967 et remboursables. Cependant, cela représente plus de travail pour le syndic qui doit gérer d'une part le Fonds travaux, d'autre part ces avances.

Nous disposons donc d'outils d'anticipation, mais ils ne sont pas suffisamment adaptés pour les copropriétaires.

Concernant le cadre législatif, le principe d'unicité de la réglementation a déjà connu quelques entorses, comme le contrat type pour les copropriétés commerciales, puis le régime spécifique des petites copropriétés. Certains aménagements faciliteraient la gestion. Ainsi, les résidences services disposent d'organes exclusifs, comme les conseils de résidents. Pourquoi ne pas permettre aux copropriétés d'introduire de tels conseils sur décision de l'assemblée générale ? Pour autant, cela ne signifie pas qu'il faille sortir de la loi de 1965 ou y introduire n'importe quelle disposition.

Enfin, nous ne disposons pas de données statistiques et nous n'avons pas accès au Registre d'immatriculation.

M. Stéphane Pavlovic. - Nous n'estimons pas nécessaire de modifier le cadre législatif. Nous ne pensons pas que le mode de gouvernance ou le mode de gestion des copropriétés sont à l'origine des difficultés. Nous observons surtout des problèmes financiers et d'entretien, ou liés à la construction de l'immeuble, sans que l'on puisse dire lesquels entraînent les autres. Une construction mal faite peut générer des problèmes d'entretien et des coûts de travaux qui font basculer la copropriété. À l'inverse, les difficultés financières de nombreux copropriétaires entraîneront une absence de travaux et une dégradation du bâti. Des mécanismes permettent déjà de sortir du statut de la copropriété.

Selon nous, le problème est lié à des causes profondes. Par conséquent, nous considérons que le traitement des copropriétés en difficulté doit nécessairement passer par le traitement des copropriétaires en difficulté. Il importe de solvabiliser les copropriétaires d'une manière ou d'une autre et d'identifier rapidement des solutions extérieures.

Pour nous, l'accompagnement des copropriétaires le plus en amont possible représente une solution qui n'a pas vraiment été creusée et qui pourrait être efficace. Elle permettrait de rester dans le statut de la copropriété tout en traitant les causes. Un organisme pourrait accompagner des copropriétaires dans la recherche de solutions de financement ou dans un relogement si nécessaire. Une intervention sur le lot du copropriétaire ou une substitution avec maintien dans le logement seraient aussi concevables. Beaucoup de solutions peuvent s'envisager, à condition d'assurer un suivi très en amont.

Pour faire le lien avec le syndic d'intérêt collectif, nous nous interrogeons nous aussi sur le contenu de sa fonction par rapport aux syndics traditionnels. Cela dit, la question des intérêts est primordiale en copropriété. En effet, plusieurs intérêts s'y confrontent : ceux des copropriétaires entre eux, ceux du syndicat de copropriété vis-à-vis du syndic ou des copropriétaires individuels. Dans ces conditions, l'instauration d'un conciliateur à vocation sociale apparaît positive. Reste toutefois à en définir les contours.

Enfin, malheureusement, nous ne disposons pas non plus de statistiques.

Mme Jocelyne Herbinski. - Notre approche place aussi la priorité sur la formation des accédants à la propriété, surtout à l'égard des primo-accédants. Le besoin en est exprimé, mais il est difficile de savoir auprès de qui se renseigner en cas d'approche collective. Les horaires constituent aussi un obstacle, car les intéressés travaillent en journée. Nous ne disposons pas non plus de local pour créer de la mixité entre les statuts ou réunir les copropriétaires. Dès lors, les réunions se tiennent dans le hall et chez l'un des copropriétaires. L'exercice est d'autant plus difficile pour nous que les personnes concernées ne sont pas prêtes à se déplacer trop loin, surtout en soirée, pour se former ou s'investir. Or la copropriété n'existe qu'avec une dimension collective.

Concernant le cadre législatif, il me semble que la vente de logements sociaux crée des disparités en matière d'accession à la propriété. En effet, la vente de HLM est sécurisée pendant cinq ans, au lieu de quinze dans le cadre de l'accession sociale à la propriété. Or nous constatons que les accédants sont parfois en difficulté dès les premières années. Il est donc nécessaire de porter dès l'origine une attention particulière. Il convient aussi de comprendre l'esprit des accédants qui ne souhaitent pas être jugés dès le départ comme étant en difficulté, d'où l'importance d'une démarche d'alerte.

J'évoquerais aussi la place du règlement de copropriété. Nous nous apercevons que l'appropriation de ses conditions est parfois inexistante.

De plus, nous constatons localement une multiplication des outils au fur et à mesure de l'évolution de la copropriété : logements sociaux, copropriété, espaces gérés par la collectivité locale, création des ASL, qui s'ajoutent au syndic. Cette complexification n'est souvent pas anticipée. Elle constitue un frein à l'intérêt pour la copropriété. Elle oblige aussi à communiquer davantage d'informations et se révèle source de litiges.

Nous ne disposons pas non plus de données chiffrées.

La formation constitue bien une clé de réussite. Nous accompagnons les nouveaux propriétaires dans l'appropriation du règlement de copropriété. Celui-ci a été souvent conçu avant leur arrivée et ses modifications sont coûteuses. Il serait souhaitable d'associer les copropriétaires à l'élaboration de ce règlement.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - Merci pour cet échange très riche qui part de la vie réelle des habitants des copropriétés.

Je peux mesurer l'action que vous menez sur le terrain au plus près des habitants de ces copropriétés. Il me semble que certains subissent de plus en plus leur situation. La copropriété constitue une alchimie complexe qui peut vite s'enrayer. Le sentiment d'être coincé dans une copropriété n'aide pas à s'y investir. Je pense que la crise du logement aggravera ce cycle négatif, sur lequel nous devons porter toute notre attention.

Compte tenu du temps encore disponible, je ne poserai que quelques questions rapides.

Vous avez parlé de sensibilisation, d'information et de formation. Je souhaiterais savoir comment vous percevez le rôle de l'Agence nationale et des Agences départementales pour l'information sur le logement (ANIL et ADIL) dans le cadre de cet accompagnement.

Par ailleurs, êtes-vous en attente d'un partenariat plus étroit avec les communes ou les intercommunalités qui ont compétence en matière d'habitat ? Estimez-vous que l'échelon local ou territorial doive être mobilisé ?

M. David Rodrigues. - L'ANIL et les ADIL apparaissent incontournables. Elles sont la clé de voûte, notamment par rapport à l'ANAH. Elles disposent également d'un savoir-faire et sont des organismes d'État.

Les communes montrent aussi une volonté de s'impliquer dans la prévention des copropriétés en difficulté et dans l'accompagnement des copropriétaires. Nous parvenons à mettre en place des partenariats au niveau local sur des actions de formation et de sensibilisation, par exemple auprès de copropriétés situées dans les quartiers prioritaires de la ville. À mon sens, il convient de mobiliser cet échelon. Les élus connaissent mieux que personne les quartiers à prioriser.

Nous menons également des partenariats avec les bailleurs sociaux qui mettent en place des opérations de vente de leurs logements. Ils se rapprochent des associations telles que les nôtres pour former et informer les locataires sur des problématiques qu'ils n'auront plus nécessairement à gérer par la suite.

Mme Jocelyne Herbinski. - Les partenariats locaux sont malheureusement très hétérogènes. Il conviendrait de disposer de lieux bien identifiés, mais assez ouverts, y compris pour les associations que nous sommes. Il importe que la démarche soit partagée. Or nous agissons souvent sur un segment.

Nous siégeons au sein du conseil d'administration des ANIL et ADIL. Comme les collectivités locales, elles recherchent parfois les moyens nécessaires. Nous intervenons alors, mais sans contrepartie. Nous répondons à des sollicitations émanant des occupants des copropriétés, alors que la démarche pourrait être plus partenariale. Cela représente souvent un manque.

M. Stéphane Pavlovic. - Je me demande s'il ne faut pas initier une réflexion plus poussée. Votre commission d'enquête montre que les pouvoirs publics au niveau national envisagent de traiter le sujet. Par conséquent, un regard national est nécessaire. Cependant, les copropriétés sont situées dans les communes. Par conséquent, des acteurs locaux sont nécessaires. Il me semble que cette articulation entre un pilotage national et des acteurs locaux est toujours en cours.

Comme l'a indiqué David Rodrigues, des actions sont menées localement pour le traitement des copropriétés en difficulté. Les associations, les bailleurs sociaux et les grandes communes recherchent conjointement des solutions aux difficultés de telle ou telle copropriété.

En s'appuyant sur ces expériences, il conviendrait d'élaborer tout un système. En effet, il faut agir à tous les niveaux, à l'échelon national et local comme dans les copropriétés, soit en créant un nouveau réseau d'acteurs dédiés, soit en s'appuyant sur des acteurs existants. Les besoins devront être définis échelon par échelon : information des ADIL et des associations dans les copropriétés, syndics d'intérêt collectif, peut-être moyens institutionnalisés au niveau communal...

Tout reste à construire, en agissant bien à tous les échelons. Pour nous, un pilotage national et une harmonisation des pratiques locales sont nécessaires à un traitement efficace des difficultés. Elles nous paraissent indispensables à une appropriation, au-delà des seules solutions pragmatiques.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je passe la parole à Antoinette Guhl puis à Hussein Bourgi.

Mme Antoinette Guhl. - Merci pour vos témoignages très intéressants.

Pour aller très vite, je poserai deux questions.

Tout d'abord, que pensez-vous de la profession de syndic ? Présente-t-elle des abus que nous pourrions réguler ? Dans ce cas, quelles solutions préconiseriez-vous ?

En second lieu, vous évoquiez la faiblesse du Fonds travaux. Serait-il envisageable de prévoir un fonds au moment de l'acte d'achat, une quote-part qui serait affectée dès l'achat et alimenterait le Fonds travaux ?

M. Hussein Bourgi. - Merci pour vos interventions particulièrement instructives et riches.

Cependant, vos propos sur les bailleurs sociaux me laissent perplexe. Dans mon département de l'Hérault, ils sont quasiment tous exemplaires. En revanche, nous rencontrons beaucoup de difficultés avec les marchands de sommeil. Or j'ai l'impression que vous avez tous trois davantage axé vos propos sur les bailleurs sociaux que sur les marchands de sommeil.

L'exemple de « Font del Rey » témoigne des difficultés que nous rencontrons à l'égard de ces marchands de sommeil. Dans cette copropriété très dégradée de Montpellier, le propriétaire de 90 % des appartements était aussi syndic et mandataire de gestion. Aujourd'hui, la mairie de Montpellier assume un double préjudice, puisqu'elle rachète les logements et doit reloger 103 familles chez les bailleurs sociaux, au détriment d'autres demandeurs.

Par conséquent, je vous suggère de ne pas trop critiquer les bailleurs sociaux. Ils agissent comme ils peuvent.

M. David Rodrigues. - Je ne pense pas avoir critiqué les bailleurs sociaux. Je les ai cités à plusieurs reprises dans le cadre des opérations de vente et de l'information des locataires candidats à l'accession. Dans les copropriétés mixtes, les relations sont d'ailleurs plus faciles lorsque les fonctions de syndic sont assurées par des bailleurs sociaux.

Concernant les abus des syndics, la réglementation a heureusement beaucoup changé grâce au contrat type. Aujourd'hui, il s'agit plutôt d'anomalies de facturation indues (location de salle, départs anticipés...). Notre principale observation porte sur le caractère élevé des frais de recouvrement. Pour le reste, les problèmes sont plutôt liés à la bonne application des résolutions, aux retards dans la réalisation des travaux, au respect des délais de convocation... La question est donc celle de l'application de la loi, mais aussi des règles de responsabilité du syndic.

Il est aujourd'hui difficile d'engager sa responsabilité, car il lui faudrait s'assigner lui-même. Le président du conseil syndical peut heureusement agir au nom de la copropriété, mais j'estime dommage que l'assemblée générale ne puisse pas désigner une autre personne que le conseil syndical. En l'état, les copropriétaires qui agissent eux-mêmes doivent avancer les frais. Le conseil syndical constitue certes un contre-pouvoir vis-à-vis du syndic, mais il serait souhaitable d'établir aussi un contre-pouvoir des copropriétaires vis-à-vis du conseil syndical lui-même.

Enfin, nous attendons la mise en place de la commission de discipline des professionnels de l'immobilier, instituée par la loi ALUR en 2014 et complètement modifiée en 2018 par la loi ELAN. La CLCV ne veut pas de la commission « loi ELAN », dont la seule décision consisterait à transmettre, ou non, des dossiers à la DGCCRF. À titre de comparaison, les syndics sont la seule profession non ordinale à disposer d'un code de déontologie et d'une commission de sanction où sont représentées les associations de propriétaires et de consommateurs.

Nous demandons donc la mise en place de la commission de discipline avec un pouvoir de contrôle et de sanction (avertissement, blâme, interdiction temporaire et interdiction définitive d'exercice). En l'état actuel, les litiges liés à la discrimination ne relèveraient pas de cette commission telle qu'elle existe sur le papier.

M. Stéphane Pavlovic. - Je ne pense pas non plus avoir distribué de bons ou de mauvais points aux bailleurs sociaux. En revanche, nous constatons que les copropriétés ne présentent pas de spécificités particulières dans le phénomène de paupérisation. Je ne connais pas la situation de Montpellier, mais nous observons dans le secteur HLM des immeubles insalubres et voués à la démolition. Mes propos voulaient signaler que les phénomènes de paupérisation présentent peut-être des points communs et pourraient se traiter de façon générale. Ensuite, si des modèles fonctionnent dans certaines circonscriptions, ils pourraient se dupliquer ailleurs pour qu'il n'y ait plus de paupérisation dans le secteur HLM.

L'abondement du Fonds travaux au moment de la vente me semble présenter un risque d'iniquité. Alors que les contributions aux charges sont calculées en fonction des quotes-parts dans les lots, le dispositif créerait une distorsion par rapport à ceux qui n'ont pas acheté. L'idée de trouver des financements me paraît bonne, mais spontanément il me semble très difficile d'intégrer cette disposition-là dans la loi de 1965. Cependant, cela n'engage que moi.

Enfin, concernant les syndics, nous luttons encore beaucoup contre le montant élevé des prestations et des frais. À cet égard, notre association juge disproportionné le montant des frais d'état daté et de recouvrement. Des efforts pourraient être accomplis, particulièrement dans les copropriétés en difficulté.

Mme Jocelyne Herbinski. - Je ne reviens pas sur les propos de mes collègues sur les abus, puisque nous les observons aussi. Je ferai part d'une inquiétude face à la concentration des syndics, les syndics nationaux absorbant les locaux. À titre d'exemple, le maire de ma ville s'est étonné de l'absence de prise en compte des spécificités locales et des questions de prévention. La mise en place d'un conseil de discipline nous paraît toujours saine, dans un souci de sécurisation professionnelle et déontologique.

La proposition relative au Fonds travaux permettrait un affichage et une dotation. Ce serait peut-être plus facile que d'assurer un versement tous les mois. Une provision dès l'achat permettrait de définir le coût futur. La question est à donc examiner.

Notre position sur les marchands de sommeil est forte. Nous regrettons que certaines sanctions prévues dans le projet de loi aient été allégées par rapport à la proposition du Sénat.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - La situation n'est pas figée. Une commission mixte paritaire se réunira le 14 mars.

Mme Jocelyne Herbinski. - Le sujet est en effet important. Des dispositifs doivent permettre de réquisitionner les biens.

Enfin, il conviendrait de stopper certaines ponctions sur les organismes du logement social, confrontés à des difficultés de trésorerie et de fonds de roulement. Les contributions qui leur sont demandées dans le cadre des copropriétés dégradées ne sont pas neutres.

M. David Rodrigues. - Si le Fonds travaux est rattaché à la personne, l'acquéreur versera au « pot commun », mais cela se traduira par un décaissement pour le vendeur. L'opération sera donc blanche pour la copropriété, avec cependant une prise de conscience pour l'acquéreur. Elle pourrait alors susciter une volonté de porter le Fonds travaux au-delà de 5 % et de le réserver à des travaux importants. À défaut, il conviendrait de créer un fonds supplémentaire, calculé par exemple sur les deux derniers appels de fonds acquittés par le vendeur.

Par ailleurs, le Conseil national de la consommation avait prévu en 2007, je crois, de se pencher sur la concentration des syndics. Cela n'a pas été suivi d'effet. Cependant, il ne serait pas inintéressant d'étudier la question au niveau de l'État. Les cabinets grossissent, mais peut-être de nouveaux petits cabinets se créent-ils en parallèle.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je conclurai en vous remerciant pour la richesse de vos contributions. Nos travaux donneront lieu à la publication d'un rapport avant le 31 juillet 2024.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Mme Juliette Laganier, directrice générale de la Fédération Soliha, et Mme Estelle Baron, directrice du pôle Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Nous continuons cet après-midi les travaux de notre commission d'enquête sur la paupérisation des copropriétés et nous sommes heureux d'accueillir M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, Mme Juliette Laganier, directrice générale de la fédération Soliha, et Mme Estelle Baron, directrice du pôle Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris.

Votre présence à cette audition s'explique par l'engagement que vous portez contre le mal-logement et en faveur des plus précaires. Il existe des liens entre l'habitat indigne, la précarité et la paupérisation des copropriétés, même s'il s'agit d'une configuration spécifique. Nous savons qu'il y a en France environ 400 000 logements indignes, qui sont pour moitié occupés par leur propriétaire. De même, 115 000 copropriétés sont sans doute fragilisées, même si l'on peut penser que, parmi les 200 000 environ qui ne sont pas immatriculées, un nombre non négligeable est sans doute mal suivi.

L'habitat dégradé a des effets très concrets pour les habitants et leur qualité de vie. Il favorise l'installation de marchands de sommeil, l'insalubrité, le non-respect des normes d'hygiène et, dans les cas les plus graves, des atteintes à la sécurité des habitants, ce qu'a bien montré le film Les promesses de Thomas Kruithof, sorti en 2021.

Face à ces phénomènes, les pouvoirs publics se sont dotés de moyens pour agir et un certain nombre d'entre eux ont été améliorés très récemment lors de l'examen par le Sénat du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, dont je suis la rapporteure. La paupérisation, la fragilisation et la dégradation sont des phénomènes progressifs et j'aimerais vous entendre sur ces processus et les angles morts ou même les défaillances dans la détection, l'identification et la prévention de ces trajectoires.

Les outils existants sont-ils adaptés et suffisants ? De même, dans la lutte contre l'habitat indigne, la « boîte à outils » à disposition des pouvoirs publics est-elle complète ou des améliorations peuvent-elles être apportées ? Qu'en est-il, à votre connaissance, des dispositifs de redressement des copropriétés ?

Concernant la protection des occupants, les procédures d'expulsion et les solutions de relogement apportées en particulier aux plus précaires sont-elles adaptées aux situations de détresse auxquelles certains sont confrontés ?

Enfin, le rôle des associations n'a peut-être pas été assez abordé au cours de nos débats sur le projet de loi. Jugez-vous l'articulation entre les pouvoirs publics et les associations dont vous faites partie efficace ? Des points concrets pourraient-ils être améliorés pour faciliter l'accès à l'information et l'accompagnement des victimes, notamment le soutien qui peut leur être apporté contre les marchands de sommeil et pour aller en justice ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je précise également qu'il vous appartient, le cas échéant, d'indiquer vos éventuels liens d'intérêts ou conflits d'intérêts en relation avec l'objet de la commission d'enquête.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Manuel Domergue, Mme Juliette Laganier et Mme Estelle Baron prêtent serment.

Mme Juliette Laganier, directrice générale de la Fédération Soliha. - Notre réseau est constitué de 124 associations, réparties sur l'ensemble du territoire métropolitain et outre-mer. Nous oeuvrons au quotidien pour permettre à chacun de disposer d'un logement abordable, économique en énergie et adapté. Les 3 665 salariés engagés dans notre réseau accompagnent environ 2 500 ménages par an.

Nos actions se traduisent au travers de différentes formules d'intervention. Nos structures produisent du logement très social, de la gestion locative sociale, de la gestion de structures collectives comme les pensions de famille, des centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), de l'habitat inclusif pour les seniors ou encore de l'accompagnement social. Nous accompagnons également des collectivités locales dans la définition et la mise en place de programmes de rénovation de l'habitat, des particuliers dans leurs projets de rénovation et d'adaptation de leur logement et, enfin, des copropriétés, qu'elles soient saines ou dégradées.

À ce titre, plus de 1 000 copropriétés, soit 60 000 habitants, ont été accompagnées l'année dernière par les associations de notre mouvement. Nous intervenons sur des territoires très urbanisés ou plus ruraux. Nous oeuvrons selon des modalités variées, dans le cadre de la prévention, de la veille et de l'observation, mais aussi des programmes opérationnels de prévention et d'accompagnement des copropriétés (Popac) et de l'accompagnement à la réalisation de travaux, tant sur des copropriétés saines pour la rénovation énergétique que sur des copropriétés fragiles - qui ont entre 8 % et 12 % d'impayés. Nous proposons également un accompagnement au redressement ou à la lutte contre l'habitat indigne dans le cadre de copropriétés dégradées en centre ancien, en mobilisant des outils incitatifs et coercitifs au sein de copropriétés en difficulté.

Selon les associations que nous représentons, trois à cinq années sont nécessaires en moyenne pour accompagner une copropriété. La force de notre réseau est de mobiliser des équipes pluridisciplinaires, qui proposent à la fois un accompagnement technique, spécialisé sur les copropriétés, voire sur la lutte contre l'habitat indigne, mais aussi un soutien financier et juridique à l'analyse de la gestion et au redressement des copropriétés, et social.

Je veux insister sur trois points.

Premièrement, il faut sortir de l'idée reçue selon laquelle une copropriété est en difficulté, parce que ses occupants sont pauvres. Une copropriété en difficulté est une copropriété qui n'est pas en état de fonctionner et qui, dans la mesure où les ménages solvables ont la possibilité de la quitter, devient une solution de repli ou un piège pour des ménages propriétaires occupants ou locataires pauvres. La paupérisation de la copropriété est une conséquence des dysfonctionnements et non la cause. Preuve en est que dans les quartiers de la politique de la ville, certaines copropriétés accueillent des ménages modestes et sont très bien gérées. Mais au fur et à mesure de l'aggravation des dysfonctionnements - mauvaise maîtrise ou augmentation des charges -, les ménages les plus solvables préfèrent vendre et sont remplacés par des ménages sans autre solution de repli : il peut s'agir soit de copropriétaires pauvres qui ne peuvent revendre leur bien parce qu'il est trop dévalorisé et qui ne peuvent le quitter, soit de locataires à faibles ressources financières qui n'arrivent pas à accéder à du logement social. En effet, les ménages qui ne remplissent pas les barèmes de solvabilité des bailleurs sociaux ou qui restent longtemps sur liste d'attente finissent par trouver refuge dans un parc social privé dégradé, notamment dans des copropriétés.

Deuxièmement, les cadres législatifs et réglementaires actuels, notamment ceux apportés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) et la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur), sont globalement adaptés aux enjeux, même si leur mise en oeuvre n'est peut-être pas suffisante ou qu'ils sont insuffisamment coordonnés.

Il faut d'abord améliorer la prévention, dans l'esprit de la loi Alur, sur les enjeux de l'achat en copropriété et prolonger la réflexion sur le droit d'usage en valorisant les travaux déjà réalisés afin de préparer le financement des travaux à venir. Par ailleurs, nous constatons un manque de coordination et de suivi opérationnel entre les acteurs qui interviennent autour de la copropriété. Nous serions favorables à la mise en place de dispositifs tels que les pôles départementaux de lutte contre l'habitat indigne (PDLHI) à l'échelle des territoires, idéalement des départements.

Troisièmement, il est important de ne pas considérer la question de la copropriété de manière isolée, car elle est étroitement liée à la production et à la mise à disposition de l'offre de logements sociaux, notamment pour les ménages qui connaissent le plus de difficultés financières.

M. Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. - Cette audition a lieu dans une actualité parlementaire chargée. Elle suit également la publication du 29e rapport sur l'état du mal-logement en France de la Fondation Abbé Pierre, présenté le 1er février dernier, qui abordait notamment l'habitat indigne et la question des copropriétés.

Ce rapport donne la parole aux personnes qui sont victimes de ce type d'habitat et qui sont piégées dans ces copropriétés, qu'il s'agisse de propriétaires occupants ou de locataires, et ambitionne d'identifier les failles dans la mise en oeuvre de leurs droits, malgré un arsenal législatif fourni.

Au-delà des cas les plus emblématiques - je pense notamment à Clichy-sous-Bois ou aux quartiers du nord de Marseille -, des milliers de petites et moyennes copropriétés sont concernées. Il importe de prévenir leur dégradation avant qu'une action coercitive, particulièrement longue, difficile et coûteuse pour les pouvoirs publics, soit nécessaire.

Un paradoxe s'observe entre la montée du niveau de confort moyen des logements en France et la persistance d'habitats indignes dans des copropriétés - qui sont souvent difficiles à identifier, même si le registre des copropriétés devrait nous apporter une clarté bienvenue. Néanmoins, les actions entreprises semblent insuffisantes pour résorber le flux de dégradation des copropriétés.

Ce flux est de plusieurs ordres. Il est d'abord géographique. Depuis une vingtaine d'années, la mairie de Paris a réussi à résorber en partie l'habitat indigne avec des plans de rachats massifs et d'identification de 2 000 immeubles dégradés. Or la demande de logements est telle que ce flux s'est reporté en première, puis en deuxième couronne, à mesure du déploiement des dispositifs. L'éloignement des copropriétés dégradées des centres-villes les rend en outre plus difficiles à repérer.

S'y ajoutent des facteurs sociaux de dégradation : l'habitat indigne, notamment en copropriété, est la rencontre entre une dégradation d'un bâti et des parcours de ménages en difficulté. Or, le modèle du marchand de sommeil consiste précisément à attirer des personnes à faibles revenus et à faible recours aux droits pour trouver des locataires sans avoir à régler les charges ni à entretenir ou rénover le bâti.

Ces flux s'inscrivent dans une crise du logement et un contexte de précarisation de certains publics. La précarité administrative, en particulier, qui touche 700 000 à 800 000 personnes, fait de ceux-ci des proies faciles pour les marchands de sommeil. Il serait illusoire de croire qu'une simple action sur le bâti suffirait à endiguer ces causes structurelles, qui font de l'habitat indigne dans les copropriétés non pas un stock à résorber une fois pour toutes, mais un flux. Or ce flux risque de s'aggraver, puisque le nombre de personnes en situation de pauvreté a augmenté de 500 000 en 2022 et que la pénurie de logements, notamment sociaux, se poursuit.

Ce sont parfois des quartiers entiers qui se dégradent. Certes, les pouvoirs publics ont appréhendé cette déperdition de certains centres-villes et des plans ont été instaurés depuis une dizaine d'années, mais ils sont souvent insuffisants. En outre, des phénomènes de plus long terme, comme le changement climatique, fragilisent le bâti et appellent à une action plus volontariste encore. Je pense notamment aux vagues de chaleur, aux retraits-gonflements des sols argileux ou aux inondations.

Notre rapport a montré que certains professionnels ne jouaient pas leur rôle, notamment parce qu'ils étaient parfois insuffisamment contrôlés, formés ou scrupuleux, à toutes les étapes de la gestion immobilière - depuis les promoteurs jusqu'aux bailleurs privés, en passant par les syndics, les notaires ou les artisans. Certaines copropriétés quasiment neuves se dégradent ainsi très rapidement. Nous l'avons par exemple observé à Bayonne, où dans une résidence livrée en 2019, l'excès d'humidité a provoqué dès les mois suivants moisissures, dégradation des meubles et troubles respiratoires. Or les promoteurs multiplient ce type de construction à bas prix, sans offrir de solutions aux problèmes rencontrés par les habitants.

Plus que des améliorations législatives, c'est surtout l'ingénierie qui manque aux collectivités locales pour venir à bout de ces troubles. L'accompagnement des ménages, qu'ils soient propriétaires occupants ou locataires, doit aussi être renforcé. La Fondation Abbé Pierre finance certaines associations qui oeuvrent pour l'accompagnement aux droits liés à l'habitat.

Cet accompagnement, souvent coûteux, relève à la fois du rôle des collectivités et des associations - qui ont l'avantage sur les premières d'apparaître comme un tiers de confiance plus indépendant. Ainsi, l'association des Locaux-Moteurs, dans le Maine-et-Loire, va au-devant des personnes pour lutter contre le non-recours aux droits. Face à des rapports de force souvent inégaux avec les propriétaires, la Fondation Abbé Pierre accompagne également des ménages locataires, y compris au contentieux contre l'État ou des propriétaires bailleurs. Or ces dispositifs ne doivent pas reposer uniquement sur les financements propres du monde associatif. Ils devraient être déployés par les collectivités avec le soutien de l'État.

Des associations accompagnent également les locataires victimes de marchands de sommeil - qui ne répondent pas toujours au portrait caricatural que l'on s'en fait, mais qui sont parfois des bailleurs indélicats ou en difficulté -, comme l'association lyonnaise pour l'insertion par le logement (Alpil) ou l'association méditerranéenne pour l'insertion sociale par le logement (Ampil) à Marseille, qui ont réussi à faire reculer l'habitat indigne dans ces villes.

De plus, les collectivités locales sont souvent bien démunies pour faire appliquer la loi. Les services d'hygiène sont peu financés : dans certaines villes, le montant des dotations de l'État n'a pas été revalorisé depuis cinquante ans ! Ce service repose ainsi largement sur les ressources et sur le volontarisme des collectivités, avec des inégalités très fortes : si Saint-Denis triple le montant de la dotation de l'État pour son service d'hygiène, certaines villes, plus petites, n'en ont pas les moyens ou bien leurs élus locaux n'en font pas une priorité.

Un renforcement financier est donc nécessaire, incluant du personnel sur le terrain pour faire des visites à domicile afin d'accompagner les ménages, ce qui peut avoir des répercussions législatives. À ce titre nous avons fait passer un amendement, qui ne nous satisfait pas entièrement, à l'article 55 de la loi pour contrôler l'immigration, afin d'améliorer l'intégration qui prévoit que les personnes en situation irrégulière puissent recevoir un titre de séjour quand elles portent plainte contre leur marchand de sommeil. Néanmoins, cette régularisation s'arrête à la fin de la procédure. Nous préférerions qu'une carte de séjour de dix ans leur soit délivrée, comme c'est le cas pour les victimes de la traite, car la précarité administrative est une arme toute trouvée pour les marchands de sommeil.

Nous proposons également de créer une agence nationale des travaux d'office. Les dispositifs coercitifs, qui permettent par exemple d'enjoindre des travaux d'office ou de prendre des arrêtés de traitement d'insalubrité, sont très peu utilisés par les collectivités locales, parfois par prudence ou par peur de lancer des procédures contentieuses face à des propriétaires qui sont aussi des électeurs ou des personnalités locales mieux formées que les services locaux. Une agence nationale, au sein de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), permettrait de mieux outiller les collectivités qui voudraient procéder à des travaux d'office, mais qui n'osent pas le faire.

C'est avant tout sur le terrain que nous constatons des manques importants. Notre enquête met en avant la faiblesse des services sur l'habitat indigne dans des territoires entiers, notamment ruraux et semi-ruraux, où un seul secrétaire de mairie est chargé de quatre ou cinq communes. Or les copropriétés dégradées sont invisibles faute de dispositif pour les traiter.

Nous sommes aussi sensibles à la place des locataires dans la gouvernance des copropriétés. Ils devraient être mieux associés aux assemblées générales des copropriétés, sans remettre en cause le droit de propriété, car ils détiennent une expertise d'usage.

Nous nous inquiétons également de la naissance de nouvelles copropriétés dégradées à moyen terme, dans les cas de vente de logements sociaux et de création de résidences mixtes. Nous craignons que, dans des quartiers souvent un peu dégradés, les occupants de logements sociaux à bas revenus, devenus propriétaires, voient leur situation se détériorer d'ici dix ou vingt ans, et les immeubles HLM qui avaient pu être rénovés correctement ne pourraient plus être entretenus, parce qu'ils sont devenus des copropriétés. Par ailleurs, des résidences qui ont été financées via les dispositifs de défiscalisation Robien ou Scellier par exemple, sont déjà en difficulté, car leurs propriétaires habitent souvent loin et ne s'impliquent pas dans la vie de la copropriété.

Nous avons donc plusieurs facteurs d'inquiétude, même si l'on peut se féliciter du plan Initiative Copropriétés, des opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-IN) et de la prise de conscience, depuis une quinzaine d'années, des pouvoirs publics, tant de gauche que de droite, de l'enjeu que représentent les copropriétés dégradées.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Vous soulignez à raison que les cas de copropriétés dégradées les plus emblématiques sont ceux dont on parle le plus. Néanmoins, il importe à notre commission d'évoquer les petites copropriétés, dans les villes petites et moyennes comme dans les plus grandes. Je pense notamment à la ville de Lille, qui compte des rues entières de petites copropriétés.

Observez-vous des différences entre les phénomènes qui touchent les petites et les grandes copropriétés ? Les outils à disposition des petites copropriétés sont-ils suffisants ?

Enfin, vous avez évoqué une durée moyenne d'accompagnement de trois à cinq années. Quelles sont les conditions de la réussite de cet accompagnement ?

Mme Estelle Baron, directrice du pôle Conduite de projets de territoires pour Soliha Grand Paris. - L'économie d'échelle n'est pas du tout la même pour une petite copropriété que pour une grande. Dans une grosse copropriété, les travaux de rénovation ont un très fort impact à l'échelle de l'immeuble, mais l'investissement par logement est moindre, tandis que l'effort financier est bien plus important dans les petites copropriétés. Ces petites copropriétés se situent en outre souvent dans des centres anciens : la technicité et les matériaux souvent biosourcés employés pour leur rénovation sont bien plus coûteux que ceux utilisés pour les grands ensembles des années 1950 ou 1970, et le potentiel de rénovation ne donne pas lieu à un gain économique très important en matière de maîtrise des consommations. Il est souvent difficile à ces copropriétés d'atteindre les fameux 35 % de gains énergétiques nécessaires à l'obtention d'un financement au titre de la rénovation énergétique.

Les politiques publiques ont bien pris en compte l'enjeu de la rénovation énergétique, puisque, pour la première fois, toute copropriété peut être aidée à ce titre. Cependant, on ne sait pas faire de la rénovation énergétique sur un habitat dégradé. Il est nécessaire d'accompagner le retard à l'entretien avant d'améliorer les performances énergétiques de l'immeuble. Les petites propriétés cumulent ainsi un retard d'entretien et un faible potentiel de rénovation énergétique. Les outils financiers ne sont pas suffisants pour répondre aux enjeux.

Se pose également la question des intervenants à mobiliser sur ces copropriétés : il est souvent difficile ou très coûteux de trouver un syndic professionnel, compétent et disponible pour une copropriété de cinq logements seulement. C'est ce que nous apprend le registre d'immatriculation des copropriétés : beaucoup de copropriétés ne sont pas gérées ou mal gérées, elles le sont parfois de façon bénévole. Nous manquons donc d'indicateurs pour connaître leur situation.

Ensuite, il faut trouver les professionnels pour réaliser des travaux. Dans les territoires « détendus », il est compliqué de faire venir un professionnel pour un ravalement de façade sur une copropriété qui ne compte que cinq à dix logements.

Dans les secteurs détendus, enfin, la copropriété n'est pas le parcours résidentiel souhaité ou idéal des habitants, qui recherchent avant tout des pavillons. Pour certains d'entre eux, la copropriété est un habitat de relégation. Même si elle peut représenter une occasion de se rapprocher d'un centre urbain, elle n'offre souvent pas les conditions de confort attendues. Ainsi, la difficulté d'accès aux aides, le poids réel des travaux, le retard d'entretien et les spécificités des centres anciens se cumulent.

Enfin, les petits espaces sont souvent occupés par des ménages de plus petite taille et parfois plus modestes qui peinent davantage à supporter l'effort d'entretien attendu.

M. Manuel Domergue. - Malgré cet effet d'échelle, les petites copropriétés présentent certains avantages. Leur gouvernance peut être plus flexible, si on la compare à celle de très grandes copropriétés, comme Grigny 2, qui comptait 5 000 logements : les assemblées générales avaient lieu dans un stade !

Pour autant, certaines actions, moins spectaculaires que les opérations de rénovation de grande ampleur, comme l'animation de la gouvernance des copropriétés, peuvent faire l'objet d'un accompagnement bénévole par le tissu associatif.

Plusieurs expérimentations se sont révélées efficaces de ce point de vue. Dans l'Orne et dans d'autres départements où les copropriétés sont souvent de taille restreinte, les agences départementales d'information sur le logement (Adil) organisent des équipes mobiles qui se rendent auprès des copropriétaires pour leur présenter les dispositifs auxquels ils ont accès et les modalités de gouvernance. La Fondation Abbé Pierre a mis en oeuvre ce type d'actions avec plusieurs associations : il est donc positif que les Adil, articulées autour de l'Agence nationale pour l'information sur le logement (Anil), reproduisent ce modèle. C'est un espoir d'agir à temps, avant que la situation se dégrade. En matière de prévention, la connaissance des fonds de travaux prévus par la loi Alur, souvent peu respectés, permettrait de dégager des budgets bien en amont avant la dégradation des logements.

S'agissant de la rénovation énergétique, les obligations de rénover les logements locatifs considérés comme des passoires à différentes échéances, entre 2025 et 2028, qui s'appliquent dans des copropriétés uniquement pour les propriétaires bailleurs et non pour les propriétaires occupants, sont source d'incohérence. Ces opérations se gèrent en effet à l'échelle de la copropriété. Conformément aux recommandations de la Convention citoyenne pour le climat, nous serions favorables à ce que ces obligations portent sur l'immeuble entier et non simplement sur les propriétaires bailleurs, en instaurant, bien entendu, des échéances raisonnables. Au moment du ravalement de façade, qui fait partie des travaux obligatoires, il serait ainsi possible d'embarquer des opérations de rénovation énergétique au lieu d'attendre la dégradation du logement.

Les forfaits de l'Anah pour les copropriétés dans le cadre de MaPrimeRénov' ont été augmentés. Néanmoins, dans certains cas, ces aides sont insuffisantes pour les ménages modestes et le reste à charge est important. La Fondation Abbé Pierre cherche parfois des financeurs pour aider ces ménages. Or, lorsque certains propriétaires occupants n'ont pas les moyens de financer les travaux, c'est toute la copropriété qui est bloquée.

Les aides pour la rénovation énergétique des logements individuels de l'Anah ont également été rehaussées. Or certains ménages intermédiaires bénéficient de plus d'aides de l'Anah pour faire de la rénovation énergétique dans des maisons que des ménages modestes dans des copropriétés. Un rééquilibrage semble nécessaire. Les nouveaux barèmes devront être réévalués, car l'augmentation des coûts des travaux de rénovation pourrait avoir rendu cette revalorisation insuffisante - d'autant que ces opérations sont parfois couplées avec des travaux de sortie d'insalubrité ou d'indignité ou d'adaptation aux vagues de chaleur, au handicap ou à la perte d'autonomie. Tout cela peut aboutir à des montants de travaux inaccessibles pour les ménages modestes.

Mme Estelle Baron. - En effet, les financements à hauteur de 25 % du coût des travaux de MaPrimeRénov' sont destinés aux opérations de rénovation énergétique : ils ne prennent pas en compte l'ensemble des travaux d'entretien global, ce qui fait peser un reste à charge important sur les ménages. Dans le cas d'une réfection de toiture, seule l'isolation relève de la rénovation énergétique. Le reste des travaux, pourtant nécessaires, n'est pas intégré.

Il existe donc une distinction entre le financement des interventions sur l'habitat dégradé, qui fait l'objet d'un dispositif programmé, et les travaux de rénovation énergétique. Nous ne le déplorons pas forcément : l'accompagnement des pouvoirs publics est aussi utile quand on travaille sur l'habitat dégradé. Néanmoins, l'ensemble des copropriétés concernées ne peut être traité par ce seul dispositif, au vu de l'ampleur de la dégradation. Il faut donc s'interroger sur les moyens à disposition des copropriétés dégradées, notamment des plus petites, puisque les travaux et l'ingénierie d'accompagnement leur sont finalement plus coûteux.

Pour en revenir aux petites copropriétés, il faut aussi prendre en compte leur configuration. Certaines comprennent des commerces en pied d'immeuble, qui sont de gros porteurs de tantièmes de charges en copropriété. Ils pèsent très fortement dans le poids des décisions en assemble générale pour le financement des travaux, sans en tirer le même bénéfice en matière de maîtrise des consommations.

Par ailleurs, sur certains territoires, si la copropriété ne compte pas une majorité de propriétaires en résidence principale, celle-ci sort du champ d'intervention de l'Anah. Or, lorsqu'une majorité de tantièmes est détenue par des commerces ou qu'une partie des logements reste vacante, les propriétaires occupants sont peu nombreux et peinent à réaliser des travaux collectifs. Ils manquent d'outils pour réaliser des travaux privatifs : la solution technique vient du collectif, mais le collectif n'entre pas dans les critères d'aide et d'accompagnement actuels.

Mme Marianne Margaté, rapporteure. - La dégradation des copropriétés passe parfois sous le radar de certaines communes. Votre travail de terrain très précis peut donc être une source d'inspiration pour déployer plus largement les dispositifs que vous proposez. Nous faisons en effet face à un phénomène dont nous avons pris conscience depuis plusieurs années, mais qui sera amené à s'amplifier et dont nous mesurons encore mal les effets.

Le plan Initiative Copropriétés est à mi-parcours. Quel bilan en tirez-vous ?

Dans quelle mesure les problèmes de gouvernance contribuent-ils à la paupérisation des copropriétés ? Comment votre intervention permet-elle d'y répondre ?

Mme Estelle Baron. - Le plan Initiative Copropriétés fait partie des dispositifs programmés. Dès lors qu'une situation a été portée à la connaissance des collectivités, celles-ci ont pu enclencher un dispositif d'intervention pour accompagner le redressement de la copropriété. Ces dispositifs commencent à prendre toute leur ampleur, puisqu'il ne s'agit pas de traiter uniquement l'intervention sous un prisme technique ou social, mais de travailler au redressement du fonctionnement de la copropriété et de sa situation financière.

Ce sont des outils que nous maîtrisons depuis longtemps. Le plan Initiative Copropriétés en a valorisé certains, notamment l'aide à la gestion, qui permet de demander aux syndics d'accroître leur effort de gestion sur une copropriété qui en a besoin, tout en apportant une subvention publique pour éviter un surcoût pour la propriété.

Les difficultés à travailler avec les professionnels, qui ne sont pas toujours à la hauteur des enjeux d'intervention, ont été évoquées. Néanmoins, on ne peut actuellement venir en aide à une copropriété sans le concours du syndic et des habitants. Le syndic est un maillon essentiel au redressement de la copropriété : valoriser son rôle et renforcer sa capacité à investir dans une gestion de qualité contribue à enclencher un redressement intéressant et pérenne de la copropriété.

Cette aide à la gestion permet la valorisation de ce métier difficile et indispensable au redressement des copropriétés. Elle permet aux syndics de déployer des outils, des qualifications et des certifications de métier afin d'opérer dans un cadre beaucoup plus sécurisé, parfois pour répondre à un manque d'offre de services sur un territoire, sur certains secteurs ou pour certaines copropriétés. Nous ne disposons pas encore de ces outils-là. Certaines initiatives sont mises en oeuvre. Le syndic d'intérêt général a été évoqué dans le projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement : nous verrons ce qui en résultera.

Soyons attentifs à deux aspects. D'abord, le syndic est un métier qui ne s'improvise pas. Il répond à des enjeux complexes et est un maillon essentiel au fonctionnement de la copropriété, même s'il n'est pas toujours valorisé vis-à-vis des copropriétaires. Il nécessite des compétences techniques diverses dans des domaines variés, comme la comptabilité, les assurances, le gardiennage d'immeuble, la rénovation des ascenseurs, l'utilisation de certains logiciels, etc. Ainsi, certains syndics et collectivités ont cherché à mettre en place des référentiels de qualité, afin de définir des standards un peu plus contraignants que ceux proposés par les syndics de droit commun.

Ensuite, le plan Initiatives Copropriétés a amené les copropriétés à traiter d'autres thématiques, comme la gestion urbaine et sociale de proximité (Gusp). En effet, la copropriété fait se chevaucher l'échelle individuelle du logement et l'échelle collective de l'immeuble, ce qui soulève la question de l'animation. Celle-ci se pose différemment en fonction de la taille de la copropriété : si l'animation est souvent facilitée au sein des petites copropriétés, des tensions peuvent toutefois apparaître ; à l'inverse, dans les très grandes copropriétés, il peut être difficile d'impliquer suffisamment les copropriétaires pour qu'ils acceptent, par exemple, de voter des travaux dans un autre bâtiment que celui où ils habitent.

Ainsi, la réflexion est lancée, mais les outils et les financements restent faibles au regard de ce que les bailleurs sociaux peuvent mobiliser pour le parc social. Il est important de sensibiliser et d'accompagner les propriétaires à bien penser le collectif, en lien avec l'ensemble des habitants, y compris les locataires. En effet, on ne peut pas pérenniser une action publique si tous les occupants ne s'approprient pas un projet de rénovation dans sa dimension complète et que des actes de vandalisme sont commis dès la réalisation des premières opérations.

Le plan Initiative Copropriétés a dessiné de premières pistes de réflexion sur la gestion urbaine de proximité, en permettant le financement d'expertises ou de réflexions sur les questions de régulation juridique et judiciaire, notamment sur les scissions, qui pourraient contribuer à redonner aux copropriétés une dimension et une organisation plus facile à appréhender pour les copropriétaires, notamment au terme de leur accompagnement.

S'agissant de la durée de l'accompagnement, les dispositifs s'étendent sur trois à cinq ans, mais l'accompagnement prend bien plus de temps. Un an et demi est souvent nécessaire pour rencontrer les acteurs de la copropriété, faire un état des lieux, comprendre la dynamique de la copropriété et proposer un accompagnement qui répond aux besoins, aux contraintes et injonctions des pouvoirs publics et aux enjeux de redressement que nous aurons diagnostiqués. Ensuite, sept à huit années sont nécessaires pour aller au bout de la réalisation de travaux dans un ensemble immobilier sain : c'est l'enseignement des dispositifs sur la rénovation énergétique en copropriété.

Or, dans les copropriétés en difficulté, avant d'aboutir à un projet de rénovation technique, il faut réguler l'organisation financière et le fonctionnement. Cela nous demande souvent des temps d'accompagnement assez longs. Or les dispositifs publics ne permettent pas de construire ce temps long : ils nous amènent à travailler par tranches d'accompagnement et à remettre en question la poursuite de l'accompagnement. Il serait utile de revoir le calibrage de la durée du dispositif, en y réfléchissant dès l'étude pré-opérationnelle : nous éviterions ainsi de nous enfermer dans un carcan préalable limitant l'accompagnement à trois à cinq ans - même si le plan intercommunal de sauvegarde (PICS) a permis la prolongation des plans de sauvegarde de deux ans, ce qui est déjà une souplesse bienvenue pour notre accompagnement opérationnel au quotidien. Néanmoins, cela reste parfois insuffisant.

Mme Antoinette Guhl. - Vous avez évoqué les critères de qualité sur les services des syndics. Quelles collectivités ont travaillé sur cette question ?

S'agissant de la sociologie des ménages, je relève une certaine contradiction dans vos propos. Existe-t-il des statistiques sociologiques sur les ménages qui se retrouvent en habitat dégradé ? À quel moment les ménages plus aisés quittent-ils ces copropriétés ?

Mme Juliette Laganier. - Le risque de la paupérisation, c'est que des ménages se retrouvent captifs au sein de ces copropriétés. Néanmoins, il existe des copropriétés dans lesquelles les ménages ont des ressources financières faibles, sans pour autant qu'elles dysfonctionnent.

Mme Estelle Baron. - Ce qui fait la différence entre une copropriété d'occupation modeste qui fonctionne bien et une copropriété en difficulté, c'est la façon dont le dysfonctionnement de la copropriété va peser de plus en plus lourdement sur les ménages qui y vivent. Or les difficultés de ceux-ci s'accroissent lorsqu'ils deviennent captifs, puisque la valeur immobilière de leur bien diminue et qu'ils ne peuvent plus basculer vers un autre parcours résidentiel.

Dans une copropriété en difficulté, les parties communes sont très faiblement entretenues, mais les charges sont très élevées. Ce paradoxe s'explique par une dérive des charges. C'est un mécanisme insidieux. Un retard d'entretien rend l'entretien plus coûteux : en effet, lorsque les impayés s'accumulent, il est de plus en plus difficile d'avoir la trésorerie nécessaire à l'entretien de la copropriété. Les bons professionnels qui intervenaient de façon régulière répondent moins facilement aux demandes ou majorent leurs devis, puisqu'ils savent qu'ils seront payés avec du retard. En découle un surcoût pour le même niveau d'entretien.

Ce surcoût met en difficulté certains copropriétaires qui arrivaient tout juste à payer les charges d'entretien habituelles, et les impayés entraînent un défaut de trésorerie. Or si le syndic ne le traite pas rapidement, il sera contraint d'appeler davantage de charges pour obtenir le montant initialement souhaité : on entre dans une surenchère, le syndic appelant plus de charges pour faire un entretien de plus en plus médiocre. Ainsi, le coût des charges augmente, tandis que l'entretien des parties communes diminue. Or cette baisse du niveau d'entretien rendra plus coûteux les travaux dans ces parties communes lorsqu'ils seront nécessaires. L'entretien est pensé au cas par cas au lieu d'être correctement anticipé, sans réelle vision patrimoniale.

C'est finalement la double peine pour les personnes les plus modestes. Un rapport récent de l'association Action Tank Entreprise et Pauvreté aborde ce mécanisme de surcoût pour les ménages les plus modestes qui vivent dans les logements les plus consommateurs d'énergie et les plus éloignés des centres, qui ont le plus de frais ou encore les voitures les plus consommatrices. Il en est de même ici : le logement perd sa valeur vénale, les coûts d'entretien augmentent et la qualité de l'entretien est insuffisante.

C'est ainsi que l'on en arrive à des charges de 800 à 900 euros pour un ascenseur qui ne fonctionne pas et pour du ménage qui n'est pas fait. L'absence de service rendu peut pousser les copropriétaires, qui étaient jusque-là de bons payeurs, à entrer dans une logique de grève des charges : c'est le point de non-retour.

C'est donc un cercle vicieux qui s'autoalimente. Les copropriétaires se retrouvent captifs, tout en se trouvant, dans certains cas, dans un état de surendettement personnel important. Ils en viennent parfois à vendre leur appartement soit à perte, soit en restant endettés après la vente, la valeur de l'appartement ne couvrant pas complètement l'emprunt et les éventuelles dettes qu'ils ont pu contracter auprès de la banque, des impôts ou du syndic.

Le dysfonctionnement de l'immeuble fait supporter à des propriétaires déjà modestes une situation qu'ils ne seront pas en mesure de résorber sans l'aide d'intervenants compétents et spécifiquement formés à la maîtrise des charges, au recouvrement des impayés et au redressement technique de l'immeuble. Il peut s'agir des professionnels en place, du syndic ou des pouvoirs publics, qui peuvent octroyer des financements exceptionnels et dérogatoires au droit commun pour relancer le fonctionnement de la copropriété. Mais pour cela, il faut comprendre que l'on est dans une logique de flux et pas de stock.

Le plan Initiative Copropriétés a apporté des solutions intéressantes. Les Orcod-IN sont de puissants outils d'intervention, grâce à la taxe spéciale d'équipement qui permet l'acquisition foncière de certains lots. L'achat de logements aux propriétaires qui ne sont plus en capacité d'assumer leur statut met un terme à l'aggravation de leur endettement, et nous les relogeons ensuite dans le parc social.

La question de l'acquisition des logements à perte pour la puissance publique est donc importante. Cependant, nous ignorons comment faire du portage dans les copropriétés dites en difficulté. Dans les zones détendues ou dans le cas d'appartements à très faible valeur vénale, le coût du rachat du logement et des travaux dépasse celui de sa vente à terme. En effet, dans certaines copropriétés, la quote-part des travaux est supérieure à la valeur de l'appartement ! Certains appartements sont valorisés à 20 000 euros, alors que des quotes-parts de 30 000 euros sont nécessaires à la rénovation de l'immeuble dans son ensemble. Les structures capables de faire du portage foncier et d'attendre que les travaux soient réalisés et que l'immeuble soit redressé techniquement et financièrement pour le remettre sur le marché sont rares. Ces outils nous manquent, en dehors des dispositifs d'intérêt national et des zones tendues.

Par ailleurs, ce portage et cette maîtrise foncière ne sont possibles qu'à condition de reloger les ménages. Or il est très difficile de proposer des solutions de relogement, que ce soit pour les propriétaires-occupants en grande difficulté ou pour des locataires qui sont souvent sans droit ni titre de séjour, alors qu'ils sont la proie des marchands de sommeil. Sans la possibilité de régulariser, même temporairement, la situation des occupants, les bailleurs sociaux ne se portent pas facilement acquéreurs d'un logement géré par un marchand de sommeil avec des occupants sans droit ni titre. Il faut donc régulariser la situation des occupants avant de pouvoir mobiliser le portage. Cela suppose une ingénierie d'accompagnement et des coûts pour mobiliser les acteurs sociaux et le potentiel du parc social, ce qui n'est pas accessible à l'ensemble des territoires.

M. Manuel Domergue. - Il ne me semble pas que nos propos étaient contradictoires. Nous parlons ici des occupants, et pas seulement des propriétaires bailleurs, qui ne sont pas toujours les plus modestes dans les copropriétés dégradées.

Mme Baron a très justement décrit cette spirale qui commence avec de premiers impayés de charges pour donner lieu à un phénomène de passagers clandestins, où certains ont l'impression de payer pour les autres et s'arrêtent de payer. Le registre d'immatriculation des copropriétés révèle depuis deux ou trois ans une montée en flèche des impayés de charges dans les copropriétés. C'est une alerte importante qui doit nous permettre d'anticiper la future dégradation de copropriétés, liée à la crise économique et sociale, au covid, à l'inflation ou encore à la hausse des prix de l'énergie. À ce titre, le chèque énergie n'a pas été revalorisé depuis les chèques exceptionnels de 2022. C'est l'un des facteurs explicatifs de la montée des impayés. Il faudrait donc solvabiliser davantage les occupants de ces copropriétés, qu'ils soient locataires ou propriétaires occupants modestes, notamment pour qu'ils puissent payer leurs charges.

Par ailleurs, en matière de reste à charge, les aides sont très inégales en fonction des collectivités. Elles sont plus importantes dans les territoires du plan Initiatives Copropriétés. Des territoires volontaristes ou plus riches proposent aux copropriétés des aides avantageuses, notamment sur la rénovation énergétique. À Paris, un reste à charge zéro est annoncé pour les plus modestes. Néanmoins, ce n'est pas le cas dans la grande majorité des villes. Si des dispositifs publics ne remédient pas à ces inégalités de traitement, c'est l'assurance d'une dégradation du fonctionnement des copropriétés.

Les aides personnelles au logement (APL) pour l'accession et l'allocation logement pour les prêts travaux à destination des ménages modestes leur permettaient de payer leurs travaux ou leurs charges de remboursement d'emprunt quand ils accédaient à la propriété. Or nous nous sommes privés de ces outils pour quelques économies budgétaires, qui se paient ensuite par des dégradations de la situation des ménages, mais aussi des copropriétés.

Nous avons constaté une montée en puissance du plan Initiative Copropriétés. La hausse des travaux de rénovation énergétique dans les copropriétés depuis deux ans fait partie des rares indicateurs positifs sur l'immobilier. C'est l'une des conséquences de cette priorisation : il faut désormais l'accompagner sur le long terme.

Cependant, la première évaluation par la Cour des comptes du plan Initiative Copropriétés révélait des difficultés à suivre quantitativement ses progrès en raison notamment de doubles comptes : il est donc possible que cette montée en puissance ne soit pas aussi impressionnante que les chiffres le laissent croire.

Mme Amel Gacquerre, présidente. - Je vous remercie pour vos riches contributions.

La réunion est close à 19 heures.