Les Jordaens du Sénat - Les signes du Zodiaque (extraits)

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Plus fécond encore que Rubens, exécutant aussi rapide que Rubens, souvent plus sonore et plus fougueux que Rubens, Jordaens s’était amassé rapidement une belle fortune. Comme Rubens, il voulut avoir son hôtel dans cette ville d’Anvers où il était né en 1593. Il en fit les plans, et, en 1641, il en posa la première pierre, dans la rue Haute. « Il peupla, nous dit M. Van den Branden, ses vastes salons et ses nombreuses chambres de sculptures, de tapisseries et de meubles… »

« La salle principale de l’Hôtel, dit d’autre part M. P. Génard, avait la forme d’une croix grecque, et les plafonds et les portes étaient ornés de splendides compositions de la main même du maître. »

« Pour les deux chambres de derrière, côté sud, donnant sur le jardin, – ajouterons-nous avec M. Van den Branden, – il peignit des plafonds représentant les Douze Apôtres, les Douze Signes du Zodiaque, Suzanne épiée par les vieillards, l’Olympe, l’Offrande à Apollon, etc. »

Ce sont ces Douze Signes du Zodiaque, que nous possédons.


Comment les possédons-nous ? C’est ce que nous allons expliquer brièvement, en nous appuyant sur divers documents conservés aux Archives Nationales et qui font partie des Archives du Sénat Conservateur du premier Empire.

Cétait en l’an XI.

La galerie du Luxembourg, fermée au public en 1780, lorsque le Palais avait été donné en apanage au comte de Provence, puis rouverte comme Musée en 1799, sur la demande de Chaptal, venait d’être aménagée par Chalgrin, l’architecte du Sénat, sur les indications du conservateur, J. Naigeon, pour recevoir les tableaux des Écoles française, flamande et italienne. On avait démoli les plafonds, les cloisons, qui avaient surchargé le comble. Les plates-formes, posées au niveau du grand entablement qui reçoivent le pied des chevrons, et entièrement vermoulues, avaient été remplacées. Des jours latéraux obliques avaient été pratiqués dans les retombées de la voûte. Et cette voûte, on pensait la décorer.

Justement, le contrôleur des travaux, qui secondait Chalgrin, Baraguey, avait remarqué chez un marchand de tableaux, « le citoyen Langlier », douze toiles de Jordaens, à la perspective plafonnante, qui, à ses yeux, rempliraient admirablement le but. Il les marchanda. On les lui fit 6.000 francs. C’était beaucoup, selon lui. On lui objecta qu’on les avait payées 14.000 francs. Finalement, il en proposa en ces termes l’acquisition à la Commission administrative du Sénat Conservateur, le 19 frimaire an XI (10 décembre 1802) :

  « Citoyens,

 « J’ai vû, chés un Marchand, douze Tableaux de Jacques Jordans, contemporain et élève de Rubens ; c’est un de ceux qui a le plus coopéré à l’exécution des ouvrages de ce grand Peintre ; sa touche et son coloris sont aussi vigoureux et souvent plus brillants ; enfin, je pense que les Tableaux de cet artiste ne déshonoreraient point ceux de son Maître. Ils représentent les douze mois de l’année, et, comme ils sont faits pour décorer un plafond, ce serait à la décoration de la voûte de votre Galerie qu’ils pourraient être destinés. En voici à peu près les dimensions, huit de 6 sur 5 pieds et quatre de 5 sur 4 pieds.

 « J’estime que ces tableaux valent au moins 1.000 francs chacun ; je suis persuadé qu’on les aurait pour deux à 300 francs, si le Marchand ignore pour qui ils sont destinés.


 « Dans le cas donc où cette acquisition conviendrait à la Commission, elle chargerait son conservateur de voir ces tableaux et d’en faire le prix. On me les a offert pour 6.000 francs. Ils viennent de la galerie d’un Prince allemand, et ils ont été achetés 14.000 francs.

      « BARAGUEY. »

La Commission voulut avoir l’avis du conservateur du Musée. Naigeon le lui donna sans tarder, le 26 frimaire, c'est-à-dire le 18 décembre, dans un rapport ainsi conçu :


 « J’ai été chez le cen Langlier voir les 12 tableaux de Jourdaens que le cen Baraguey vous a annoncés dans la dernière séance, représentant les Signes du Zodiaque, figure de grandeur naturelle, tel que le contrôleur vous les a désignés. Ces peintures décoraient le plafond d’une Galerie d’un château près de la Flandre qui a été détruit. Ces tableaux peints à l’effet n’ont pas toute la finesse de ton que l’on trouve ordinairement dans ce maître ; mais le coloris en est vigoureux et peut se soutenir à côté de celui de Rubens.

 « En distribuant ces 12 tableaux avec goût au plafond de la galerie, en continuant les ornements analogues qui y sont pour remplir les vuides, cela produira un bel effet et ajoutera de la magnificience à ce monument.


 « En conséquence, j’ai l’honneur de proposer à la Commission d’en ordonner l’acquisition si le prix en est résonable.

      « NAIGEON. »

La Commission accepta. En conséquence, Baraguey retourna voir « le citoyen Langlier ». Il fut assez heureux pour obtenir de lui les douze Jordaens pour 4.500 francs.


Il l’annonce en ces termes aux administrateurs du Sénat, le 3 nivôse an II (24 décembre 1802) :

  « Citoyens,

 « J’ay l’honneur de prévenir la Commission administrative que d’après son arrêté, j’ay terminé l’acquisition de douze tableaux de Jacques Jordans. Je les ay obtenus pour la somme de quatre mille cinq cent francs dont moitié sera payable comptant, et l’autre moitié à la fin de pluviose.


 « Si la Commission adopte ces dispositions, j’ay fait venir le citoyen Langlier, et je la prie de les luy confirmer.

      « BARAGUEY. »

Le marché fut conclu et les toiles livrées au Sénat.


Mais, il ne suffisait pas de les avoir achetées. Il fallait les mettre en place. C’est un spécialiste, « le citoyen Belot », qui demeurait alors, 43, rue de l’Arbre-Sec, qui s’en chargea.

Avant de les maroufler, une question se posa.


Laquelle commencerait la série en allant de l’entrée de la galerie, où l’on accédait par la rue de Vaugirard, vers l’entrée sud, réservée plus spécialement au Sénat Conservateur ?


Affaire de calendrier.


L’année astrologique commençait en mars, lorsque le soleil entre dans le signe du Bélier.

Pour beaucoup, l’année devrait commencer le 23 décembre, quand le soleil entre dans le signe du Capricorne et alors que la durée du jour augmente.

L’année civile commence, depuis l’établissement du calendrier Grégorien, en 1582, le premier janvier.


Le Calendrier républicain, en vigueur à ce moment, commençait l’ère nouvelle le 22 septembre 1792, deux jours après la victoire de Valmy, un jour après l’abolition de la royauté par la Convention, et au moment où le soleil allait entrer dans le signe de la Balance.


C’est avec la Balance, qu’on commença l’agencement des signes du Zodiaque, pour finir avec la Vierge, en août.


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