Le 14 Juillet et l'Empire

par Gaston Monnerville, député de la Guyane, président de la commission de la France d’outre-mer à l’Assemblée consultative

Pour les démocrates de France, le 14 juillet est la fête de la Liberté, de leur liberté.

Pour nous, fils d’Outre-mer, il est plus et mieux encore ; il est commémoration de la libération de l’Homme.

Le 14 juillet 1789, la France s’est libérée d’un régime politique et social qui étouffait les aspirations de la Nation. Geste magnifique, mais non inédit, car d’autres peuples avaient déjà connu pareils sursauts de dignité et avaient conquis leur liberté.

Ce qui fait la caractéristique du geste français et qui lui donne une immense portée, Albert Bayet l’a déjà noté, c’est que le révolutionnaire de 1789 ne se contenta pas de se libérer. En même temps que lui-même, il a voulu libérer l’Homme. Sans distinction de confession, de couleur ou de race.

Voilà la vraie grandeur de l’événement.

Nous sentons tout le poids de cet acte. Par la Déclaration des Droits de l’Homme, la France proclamait sa volonté de défendre partout la personne humaine, les valeurs humaines. Déclaration qui prenait tout son sens si l’on songe au corollaire généreux qu’elle imposait aussitôt : l’abolition de l’esclavage dans les terres françaises d’Outre-Mer. La chute de la Bastille parisienne symbolisait et entraînait celle de toutes les bastilles et singulièrement celle de la servitude injuste qui pesait sur les hommes de race noire.

Aussi ne pensons-nous jamais au Quatorze Juillet sans une ferveur grave. Pour nous, il est l’évocation du courage civique - le plus rare - des hommes de la première Révolution, qui inaugurèrent l’ère de la liberté dans nos pays sacrifiés. Il fait surgir dans nos esprits qui se souviennent le nom d’un La Fayette qui, déjà en Amérique, et dès la conquête de l’indépendance de ce continent, proposait à Washington de consacrer ses efforts à la libération des noirs des Antilles et de la Guyane et inaugurait dans cette dernière colonie un essai d’émancipation des esclaves, alors que personne n’y pensait encore. " Si c’est un projet bizarre, écrivait-il à Washington, j’aime mieux être fou de cette manière que d’être jugé sage pour une conduite opposée. " 

Il évoque aussi la pure image de l’Abbé Grégoire, qui lutta contre tous les préjugés raciaux et consacra les richesses de sa pensée et de son cœur à la défense de l’émancipation des Noirs ; l’Abbé Grégoire, courageux Conventionnel dont la vie confirme cette opinion de Robespierre : " La justice et la liberté ne sont qu’une seule et même chose, et ceux-là ne sont jamais libres qui ne savent pas être justes. "

Le Quatorze Juillet nous est cher à un second titre. Nous ne le séparons pas du souvenir des républicains de 1848, qui, reprenant la réforme si généreusement amorcée par ceux de 1789, abolirent définitivement l’esclavage, et, à ce bienfait, en ajoutèrent un autre également précieux : le droit d’expression, par l’instauration du suffrage universel aux colonies comme en France. Victor Hugo, humaniste et apôtre de la fraternité des hommes, défenseur puissant de toutes les minorités opprimées ; Lamartine, perméable à toutes les misères humaines et âme fraternelle pour tous les déshérités ; Victor Schoelcher, le Wilber-force français, combattant tenace de la cause de la libération des Noirs.

Le Quatorze Juillet est pour nous, enfin, l’évocation des hommes de la Troisième République, qui apportèrent à nos pères l’instruction gratuite et obligatoire et qui, en même temps qu’ils étendaient sans doute le domaine colonial de la France, élargissaient le champ des connaissances intellectuelles de ses originaires. Ils parachevaient ainsi l’émancipation commencée dès la première révolution, puisqu’aussi bien la véritable libération de l’homme est moins physique que spirituelle. 

C’est dire que les fils d’Outre-Mer confondent en un même symbole le Quatorze Juillet et la République. Ils représentent à ses yeux à la fois la libération civique, la libération politique, la libération spirituelle de l’être humain. Aussi, combien grande fut notre tristesse, lorsqu’en 1940, le Gouvernement de Vichy décréta le Quatorze Juillet jour de deuil national. Deuil de la liberté ! Tous les Français auraient dû comprendre ; tous les Français d’Outre-Mer comprirent aussitôt. Le nouveau régime, celui de la tyrannie, de l’oppression, négateur de toute liberté, ne pouvait leur convenir. 

Le devoir était simple : le combattre et libérer la France de la gangue qui l’étouffait, déchirer le masque qui la défigurait, lui redonner la lumineuse figure d’une nation compréhensive, humaine et libre.

Alors la Résistance s’est levée dans toutes les parties de la Patrie française ; et c’est sa victoire qui illumine le 14 juillet 1945, celui de la France libérée retrouvant son enthousiasme, et sa foi dans l’avenir de la Liberté.