Contrefaçon

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de lutte contre la contrefaçon.

Discussion générale

Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, des finances et de l'emploi.  - Nous connaissons tous le plus vieux métier du monde : celui d'avocat. Mais la contrefaçon aussi est fort ancienne : le musée de la Contrefaçon expose ainsi le bouchon d'une amphore gallo-romaine, qui imite une marque célèbre de l'époque, la marque Sestius.

Le métier de contrefacteur nous donne le vertige. Par l'ampleur de la contrefaçon : ce ne sont pas quelques amphores, mais quinze tonnes de faux bocaux de salades tunisiennes qui ont été interceptées l'année dernière au port de Marseille. Les textiles, les sacs, les montres ne sont donc pas seuls à être concernés ; la contrefaçon touche tous les secteurs de l'économie marchande, depuis les médicaments jusqu'aux jouets, en passant par les pièces de rechange pour les automobiles et les avions. Elle pourrait représenter jusqu'à 10 % du commerce mondial, pour des profits compris entre 250 et 400 milliards d'euros par an, soit l'ensemble des prestations sociales que reçoivent les Français.

Ce phénomène est en pleine expansion. Expansion quantitative : en trois ans, le nombre d'articles saisis par les douanes françaises a triplé. Expansion qualitative : désormais, la contrefaçon concerne aussi les biens immatériels, comme les créations musicales ou artistiques, qui peuvent être piratées sur Internet. Expansion géographique, enfin : à la Chine, la Thaïlande ou Taïwan, s'ajoutent désormais des pays comme le Pakistan, la Turquie ou l'Italie. La mondialisation de l'économie se double d'une mondialisation de la contrefaçon, qui peut nous laisser craindre une véritable contrefaçon de la mondialisation, où des fantômes siglés parcourent la planète et s'échangent au rabais.

La contrefaçon est un danger pour l'esprit : en privant les entreprises qui ont investi de longues années dans la recherche et le développement des fruits de leur travail, elle décourage les autres de poursuivre leurs efforts d'innovation. A quoi bon se mettre en quatre pour déposer de nouveaux brevets si des plagiaires viennent empocher la mise ?

La contrefaçon est un danger pour le corps : la bonne santé des consommateurs est menacée par la contrefaçon de médicaments.

La contrefaçon est un danger pour la société : elle nuit à l'ordre public en favorisant l'essor du travail clandestin et des réseaux mafieux.

La contrefaçon est un danger pour l'économie : en France, elle serait responsable de la perte de 30 000 emplois par an.

Enfin, la contrefaçon donne le vertige parce qu'elle engendre dans les esprits la plus totale confusion. Comment reconnaître l'original de la copie ? Quel est le juste prix ? Où est le vrai, où est le faux ? Les consommateurs perdent leurs repères et les entreprises leur identité. Platon déjà dénonçait dans Le Sophiste les producteurs d'illusions, les marchands de copies, les trafiquants d'images.

Il est donc plus que jamais nécessaire de renforcer la lutte contre la contrefaçon. Le comité national anti-contrefaçon, que nous avons réuni la semaine dernière avec Hervé Novelli, a montré le consensus qui règne aujourd'hui sur le sujet, de la part des institutions publiques comme des partenaires privés. C'est pourquoi je suis heureuse de venir défendre devant vous ce projet de loi destiné à inscrire dans notre droit interne un certain nombre de textes communautaires sur le sujet. Hervé Novelli, qui a grandement contribué à la préparation de ce texte, me remplacera sur ce banc pour la discussion des articles, car je dois m'envoler pour la Chine, où je discuterai en particulier de ce sujet. Notre projet de loi propose une série de mesures qui devraient grandement faciliter la tâche de nos services administratifs et judiciaires, tout en restant dans le champ du droit civil.

Il faut d'abord prouver qu'il s'agit d'une contrefaçon ; pour cela, le titulaire de droits dispose déjà de la saisie-contrefaçon, une disposition que nombre d'étrangers nous envient. Cette pierre angulaire de notre arsenal juridique a prouvé son efficacité et nous nous attacherons à l'étoffer.

Pour limiter les dégâts occasionnés, il faut agir vite. Nous allons renforcer les mesures provisoires qui peuvent être prononcées à l'encontre des contrefacteurs, comme la saisie conservatoire des biens ou le blocage des comptes bancaires, et instaurer d'autres mesures provisoires à l'encontre cette fois des intermédiaires, notamment ceux qui sévissent sur Internet. Les titulaires de droits de propriété intellectuelle pourront désormais demander au juge de faire rappeler des circuits commerciaux les marchandises contrefaites.

Pour démanteler plus aisément les réseaux, ce projet de loi consacre le droit d'information, qui permet d'exiger que les personnes interpellées fournissent des informations sur l'origine de leur marchandise et leurs réseaux de distribution.

Pour juger efficacement les cas de contrefaçons, notre droit prévoit déjà la spécialisation de certains contentieux de propriété industrielle, par exemple dans les domaines des produits semi-conducteurs ou des marques communautaires. Notre projet de loi met en oeuvre le règlement 6/2002 de la Communauté, afin de spécialiser également les actions relatives aux dessins et modèles communautaires.

Il est vrai, monsieur le Rapporteur, que le principe de spécialisation des juridictions pourrait être étendu à tous les droits de propriété individuelle. Je vous remercie de cet amendement auquel le gouvernement sera favorable.

Pour évaluer les dommages subis par les victimes, le juge prendra en compte les bénéfices réalisés par le contrefacteur. A défaut, celles-ci pourront demander des dommages et intérêts forfaitaires. Par son caractère dissuasif, cette nouvelle disposition représente un progrès essentiel.

Combattre la contrefaçon, c'est défendre la propriété industrielle. Dans le domaine du médicament, les brevets de produits pharmaceutiques destinés à l'exportation vers des pays en voie de développement pourront faire l'objet de licences obligatoires : pourquoi contrefaire mal et vendre cher quand on peut faire légalement  et vendre dans de bonnes conditions? Nous traduisons ainsi dans notre droit un règlement adopté en 2006 par le Conseil et le Parlement européen, lui-même démarqué d'une décision prise par l'OMC en 2003 pour appliquer la Déclaration de Doha du 14 novembre 2001, sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce -les fameux ADPIC. La chaîne qui court de Doha à Bruxelles peut sembler complexe, mais elle est simple et humaine et la France est fière de contribuer à une initiative généreuse et conforme à sa tradition humaniste : la mondialisation concerne les marchandises, elle englobe aussi les valeurs, comme on le voit concrètement ici. Cependant, le titulaire du brevet pourra s'opposer à la réimportation des médicaments, ce qui assure un bon équilibre entre ses intérêts et les besoins des pays en voie de développement.

La lutte contre la contrefaçon se poursuit au niveau national : avec Mme Albanel, j'ai confié à Denis Olivennes une mission consacrée à la lutte contre le téléchargement illicite dont j'attends des propositions concrètes contre cette réplication illicite et sans limite d'une oeuvre de l'esprit.

Le prochain budget allègera la propriété intellectuelle : un taux réduit de 15 % s'appliquera aux revenus tirés des cessions de brevets, de manière à supprimer l'écart de coût fiscal entre l'octroi de licence et la cession de brevet. La réduction accordée aux PME sur les principales redevances de dépôt de brevets passera simultanément de 25 à 50 %.

La lutte contre la contrefaçon se joue pour l'essentiel aux niveaux européen et international car pour échapper aux contrôles, la pratique se répand d'envois en petites quantités, par la poste ou le fret express. Un projet de texte communautaire d'harmonisation des mesures pénales en matière de défense des droits de propriété intellectuelle est en cours de discussion, et la France participe activement aux négociations. La création d'un système juridictionnel unifié pour le contentieux des brevets en Europe serait essentielle pour améliorer la compétitivité de nos entreprises. Nous souhaitons que cette question soit traitée rapidement.

En juin dernier, au G 8 d'Heiligendamm, nous avons proposé de créer une structure internationale, un véritable « GAFI contrefaçon », destiné à protéger et à promouvoir l'innovation. Des mesures de coopération douanière et d'assistance technique des pays en développement devraient être mises en place, tandis que l'OCDE prolonge le processus dit d'Heiligendamm.

Pensons à nos entreprises, pensons à nos créateurs, pensons à nos enfants et ne cédons pas au vertige de la contrefaçon. Certains marchands remettront vite les pieds sur terre quand nous aurons supprimé ou limité leurs trafics illicites. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois. - Le texte transpose une directive de 2004, en grande partie inspirée du droit français.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. - Pour une fois...

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Mme la ministre y a insisté, la contrefaçon, jadis artisanale et limitée, emporte aujourd'hui de très lourdes conséquences : elle entraîne des suppressions d'emplois ainsi que des pertes de produits fiscaux ; elle pénalise l'innovation ; elle compromet la sécurité du consommateur. Jamais celui-ci ne réalise une bonne affaire car le rapport qualité-prix se révèle toujours déplorable. Je connais une famille qui a ainsi ramené un petit appareil ménager portant le logo d'une marque fort connue mais qui est tombé en panne au bout de trois jours et que personne n'a pu ou voulu réparer. Je suis toujours surpris par les affiches de Roissy qui attirent l'attention sur les risques pénaux encourus au lieu de mettre en évidence la médiocrité du rapport qualité-prix.

Les produits contrefaisants sont dangereux. Au mieux, un faux médicament ne soigne pas, au pis il aggrave le mal. Des jouets dangereux mettent les enfants en péril. Les faux cosmétiques ignorent les allergies ; les lunettes de soleil ne filtrent rien ; enfin, les fausses pièces de rechange nuisent aux automobiles et en font une menace pour les piétons.

Cette directive, qu'il était temps de transposer, est donc bienvenue. Les Etats-membres doivent mettre en place des mesures conservatoires et provisoires efficaces et non contradictoires. Notre droit y pourvoit certes mais seulement par la voie du référé ; le contrefacteur peut alors s'organiser pour faire disparaître des preuves.

Les nouvelles dispositions concernent la propriété intellectuelle, les marques, les dessins et modèles, mais aussi la protection des systèmes d'information, les obtentions végétales ou certaines appellations d'origine. Il sera en outre possible de rechercher l'origine des produits et celle des réseaux de distribution ; c'est une avancée importante, qui permettra de recueillir des informations, non plus seulement sur les parties à la procédure mais aussi sur des tiers.

L'amélioration de la réparation du préjudice doit aussi être notée. Les montants alloués aujourd'hui par la jurisprudence française dissuadent souvent les entreprises de saisir les tribunaux, au regard de la lourdeur et du coût des procédures. De plus, la justice ne peut évaluer qu'un préjudice théorique tenant compte de la capacité de l'entreprise victime à produire les produits copiés. Le nouveau calcul forfaitaire est dès lors une bonne chose.

La commission des lois proposera des mesures complémentaires. La référence à la notion d' « échelle commerciale », reprise de la directive, plutôt floue, est à ses yeux une complication inutile ; les entreprises ne se lancent dans une procédure qu'en cas d'attaque commerciale d'une certaine ampleur. Nous suggérons également de renforcer les sanctions existantes lorsque la contrefaçon porte atteinte à l'intégrité, à la sécurité et à la santé des personnes.

Nous insistons en outre sur la nécessité de poursuivre la spécialisation de nos juridictions. Le processus est en marche, mais de façon un peu anarchique. Un seul TGI est à ce jour compétent pour les marques communautaires, sept le sont pour les brevets... mais dix pour les obtentions végétales. Nous approuvons sur ce point les recommandations qu'a faites notre collègue M. Cointat dans son rapport sur l'évolution des métiers de la justice. Nous devons faire en sorte qu'à l'avenir seuls quelques tribunaux spécialisés traitent de la propriété intellectuelle.

Nous proposerons enfin d'étendre les compétences des Douanes à tous les droits de propriété intellectuelle ; de sanctionner, au-delà d'une simple contravention, le transit sur notre territoire de marchandises contrefaisantes ; de permettre la destruction des marchandises dans un délai raisonnable ; de faire enfin en sorte que la partie qui gagne son procès et obtient réparation ne participe pas aux frais de recouvrement.

Restera au gouvernement à prendre en temps et heure les décrets d'application... (Applaudissements au centre et à droite et sur les bancs socialistes)

Mme Michelle Demessine. - Ce texte transpose la directive du 29 avril 2004. Si nous ne contestons pas le renforcement de la protection des détenteurs de droits de propriété intellectuelle, nous notons que la lutte contre la contrefaçon ne saurait se réduire à des modifications législatives ; le comportement des entreprises, des pouvoirs publics, des consommateurs doit évoluer.

Le projet de loi a une véritable portée politique en ce qu'il ne traite de la contrefaçon que d'un point de vue économique, hexagonal. Le phénomène, dit-on, fait perdre à la France plus de 6 milliards d'euros et 30 000 emplois chaque année ; c'est dire qu'il n'est plus artisanal mais industriel. Planétaire et organisé, il profite des failles d'une économie mondialisée. Mais les pays développés ne peuvent fermer les yeux sur les liens qui existent entre contrefaçon, délocalisations et exploitation des travailleurs de certaines économies émergentes. Les entreprises ont leur part de responsabilité lorsque, dans le luxe par exemple, elles étiquettent en France des produits fabriqués dans les pays en développement par de la main-d'oeuvre surexploitée. Et ces derniers pays, une fois en possession du savoir-faire et de la technologie, disposent de tous les outils nécessaires à la contrefaçon.

C'est dire que la lutte contre ce phénomène ne peut être cantonnée au champ judiciaire, mais doit intégrer les processus de délocalisation et la refonte de notre modèle d'échanges. Malheureusement, le texte se place exclusivement du côté des entreprises victimes ; les consommateurs en sont les grands absents.

La contrefaçon touche tous les secteurs, le luxe bien sûr, mais aussi les médicaments, les jouets, les lunettes de soleil, les pièces détachées pour l'automobile. Elle menace désormais la santé et la sécurité publique.

Tout cela, ce projet ne le prend pas en compte. Le rapporteur, en revanche, s'est saisi du problème et propose un amendement visant à aggraver les sanctions lorsque la contrefaçon porte atteinte à la santé ou à la sécurité des personnes, la peine maximale passant de trois à cinq ans d'emprisonnement ou de 300 000 à 500 000 euros d'amende.

Cependant, si je ne conteste pas la nécessité de renforcer la lutte contre la contrefaçon lorsqu'existe un danger pour le consommateur, j'estime que le durcissement de la sanction et la création de circonstances aggravantes ne peuvent constituer la seule réponse. Le choix est hélas toujours le même : au lieu de s'attaquer aux causes, on réprime toujours plus.

La contrefaçon est souvent liée au crime organisé et au blanchiment. Croyez-vous que cet amendement, s'il est adopté, inquiètera ceux qui sont à la tête de ces réseaux ? Augmenter les moyens des services de police et des douanes serait à coup sûr plus efficace. Mais ce débat est récurrent, et nos points de vue restent divergents.

J'ajoute que le renforcement de la lutte contre la contrefaçon peut avoir des effets pervers. C'est le cas dans l'agriculture, pour les obtentions végétales. La loi du 12 mars 2006 entérine le principe du brevetage des semences, portant atteinte au droit des agriculteurs de réutiliser les semences de leur propre récolte. Aggraver les sanctions contre la contrefaçon va verrouiller le dispositif : la situation dans laquelle vont se trouver les agriculteurs aurait mérité à elle seule un débat.

Ce texte renforce les procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge, modifie le calcul des dédommagements et introduit un droit d'information destiné à lutter contre les réseaux de contrefaçon. Les deux premiers points constituent une véritable révolution de notre organisation judiciaire. La directive impose aux États-membres de créer des procédures rapides de mise en place de mesures provisoires et conservatoires efficaces. Actuellement, seul le référé le permet. La directive, dans son article 9.4, prescrit aux États-membres de veiller à ce que « ces mesures provisoires puissent, dans les cas appropriés, être adoptées sans que le défendeur soit entendu. ». Le projet introduit donc de nouvelles procédures accélérées et simplifiées de saisine du juge qui, n'étant pas contradictoires, ne permettent pas d'assurer l'égalité des armes entre les parties au procès. Les magistrats entendus par le rapporteur ont soulevé le problème de l'extension de telles procédures, contraires aux droits de la défense.

Le nouveau calcul de la réparation du préjudice pose lui aussi problème. Le texte, qui reprend les termes de l'article 13.1 de la directive, prévoit que les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur seront pris en compte par le tribunal pour évaluer le préjudice résultant de la contrefaçon, et que le tribunal pourra allouer, à titre de dommages et intérêts, une somme forfaitaire ne pouvant être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé une autorisation. Or, la jurisprudence, se fondant sur l'article 1382 du code civil, a toujours refusé de prendre en compte ces bénéfices dans le calcul des dommages et intérêts, lesquels doivent réparer le préjudice sans qu'il en résulte pour la victime ni perte ni profit. Le principe d'une réparation stricte et intégrale semble incompatible tant avec la prise en compte des bénéfices injustement réalisés qu'avec l'indemnisation forfaitaire.

Si renforcer la lutte contre la contrefaçon est d'autant plus nécessaire que la santé et la sécurité des consommateurs sont en jeu, les principes fondamentaux de notre droit doivent cependant être préservés.

Surtout, l'action en amont des services de police et des douanes pour le démantèlement des réseaux est tout aussi importante que la répression. La disparition des frontières, qui facilite le transit de marchandises contrefaisantes, ne justifie pas les suppressions d'emplois dans les services des douanes. Il est pourtant question de 638 suppressions nouvelles entre 2006 et 2008.

La lutte contre la contrefaçon doit reposer sur un partenariat entre pouvoirs publics, entreprises et consommateurs. La ville de Saint-Denis, suivant l'exemple de Saint-Ouen, de Nice ou de Saint-Tropez, a ainsi signé, hier, une convention avec l'Unifab par laquelle elle s'engage à lutter contre les produits contrefaisants vendus aux abords du Stade de France durant la coupe du monde de rugby, à sensibiliser les consommateurs, les commerçants et les habitants à la nécessité de coopérer avec la police, la gendarmerie, les douanes et les services fiscaux.

Parce que le groupe CRC considère que l'on ne peut s'en tenir à une simple transposition et que la lutte contre la contrefaçon appelle un débat de fond, il s'abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Dommage que vous n'ayez pas déposé d'amendement. Nous l'aurions amélioré.

M. Richard Yung. - De nombreuses saisies ont fait, cet été, l'actualité. La plus symptomatique est peut-être la découverte de milliers de tubes de dentifrice Colgate dans les grandes surfaces américaines, en provenance de Chine, contenant un produit hautement toxique qui a fait quelque quarante victimes. En juillet, les douaniers niçois saisissaient 15 000 articles de sport. Le 29 août, à l'aéroport de Rome, c'était le tour de 300 000 articles d'habillement et jouets.

Pourtant, alors que le phénomène est quotidien, la plupart de nos concitoyens le considèrent comme bénin. Un sondage Ifop de 2006 révèle que 35 % d'entre eux déclarent ouvertement acheter, sans états d'âme, des produits contrefaisants. C'est un classique des dîners en ville que d'exhiber, retour de Hong Kong, sa belle Rolex à quinze euros !

Il nous revient donc de renverser cette appréciation en poursuivant les campagnes de sensibilisation et de prévention. Lutter contre la contrefaçon, ce n'est pas seulement réduire l'offre, c'est aussi changer les mentalités et faire comprendre qu'elle est un délit dont les conséquences sont très graves, que celui qui s'y prête commet une injustice et une infraction.

Effet de la mondialisation, les contrefacteurs usent aujourd'hui de nouveaux canaux. Organisés en de véritables filières, dotés d'outils de production de masse, parfois à la pointe de la technologie, ils sont souvent liés aux réseaux mafieux. Le phénomène n'est pas nouveau, mais le volume et la valeur de la production ont changé. Il coûte 30 000 emplois à la France et 250 000 euros de pertes à l'échelle mondiale. La nature de cette production évolue. Longtemps cantonnée aux produits de luxe, aux montres, aux carrés de soie, elle s'étend aujourd'hui à l'habillement, aux nouvelles technologies, aux médicaments, aux pièces détachées... La géographie elle aussi a bougé : des pays autrefois contrefacteurs, comme le Japon et la Corée, sont aujourd'hui très impliqués dans la lutte contre la contrefaçon. La Chine, en revanche, reste un champion toutes catégories : elle est à l'origine des deux tiers de la production saisie dans l'Union européenne. D'où l'importance de la visite de Mme Lagarde. On peut cependant espérer qu'à mesure que Pékin développera son portefeuille de marques -360 000 brevets ont été déposés l'an dernier-, que des pays comme la Thaïlande ou la Birmanie ne manqueront pas de contrefaire, son attitude change du tout au tout.

C'est ce qui s'est passé avec le Japon, longtemps contrefacteur et maintenant à la pointe de la lutte contre cette pratique.

Les incidences économiques de la contrefaçon sont les plus évidentes mais ses conséquences pour les consommateurs sont les plus dangereuses : le non-respect des normes de fabrication et de sécurité met en cause leur sécurité et leur santé. Bien que le niveau général des contrefaçons semble s'améliorer, les produits contrefaisants restent de moins bonne qualité que les produits contrefaits. La plupart des médicaments contrefaisants sont, par exemple, dépourvus de tout principe actif et, plus grave encore, contiennent souvent des produits nocifs. C'est là un secteur important de la contrefaçon car la marge bénéficiaire y est des plus élevées, au point de remplacer le trafic de drogue.

Le commerce de marchandises contrefaisantes participe aussi au financement de nombreuses organisations mafieuses et terroristes : les guérilleros colombiens pratiquent la contrefaçon pour blanchir l'argent du trafic de drogues.

Pendant longtemps, en Europe, la contrefaçon a été sanctionnée par la peine capitale et la Chine, pour montrer sa bonne volonté, a fusillé encore de temps en temps une dizaine de contrefacteurs. Heureusement, le système français de lutte contre la contrefaçon se fonde d'abord sur des actions de prévention. Il comprend également une procédure tout à fait singulière, la saisie-contrefaçon qui, de l'avis de la plupart des juristes, constitue « une arme redoutable et un moyen de preuve particulièrement efficace » qu'il serait bon de généraliser dans l'Union européenne. Toutefois, si notre arsenal juridique en matière de propriété intellectuelle est déjà très protecteur, certains textes communautaires montrent que la législation française est perfectible. Il est donc impératif de les transposer.

Il se murmure que la France aurait fait des progrès incontestables en matière de transposition des directives, mais la directive du 29 avril 2004 aurait dû être transposée avant le 29 avril 2006 ! Quant à la directive du 6 juillet 1998, elle aurait dû être transposée avant le 20 juillet 2000

Ce projet de loi, particulièrement technique, punit plus sévèrement la contrefaçon opérée à des fins commerciales ; il transpose la directive du 6 juillet 1998 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques. Le texte met aussi en oeuvre deux règlements européens sur les dessins et modèles communautaires et sur l'octroi de licences obligatoires pour les brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés aux pays en voie de développement, sujet important qui a fait l'objet de nombreux débats, notamment à l'OMC. Le texte prévoit des mesures provisoires et conservatoires : interdiction de la poursuite de la contrefaçon, constitution de garanties destinées à assurer l'indemnisation éventuelle du demandeur, saisie conservatoire, dommages et intérêts provisionnels. A l'avenir, les victimes pourront donc saisir le juge par le biais d'un référé ou d'une requête afin de demander l'application de ces mesures avant même l'engagement d'une action au fond.

La directive de 2004 introduit aussi une procédure inspirée de la saisie-contrefaçon à la française dans les législations européennes. Le droit d'information, aujourd'hui prévu par le droit allemand, constitue la principale innovation du texte. Concrètement, le juge pourra ordonner la communication d'informations concernant l'origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services contrefaisants.

L'avancée la plus significative concerne l'amélioration de la réparation du préjudice né de la contrefaçon, qui constitue le maillon faible de notre dispositif juridique. Actuellement, pour évaluer ce préjudice, le juge tient compte du gain manqué, des profits perdus et de l'atteinte à l'image de marque. Ce système est insuffisant et aléatoire car l'indemnisation n'est régie par aucun texte législatif. En outre, la victime est indemnisée en fonction du préjudice réellement subi, c'est-à-dire des gains dont elle a été privée et non en fonction des bénéfices réalisés par le contrefacteur : si le contrefacteur vend 1 000 produits contrefaisants alors que la victime a la capacité de produire seulement 100 produits, cette dernière ne sera indemnisée que sur la base de 100. C'est un encouragement au vice !

Les nouvelles dispositions devraient permettre de contrecarrer la pratique très répandue du forum shopping, qui permet à un requérant de choisir parmi les juridictions compétentes celle qui sera la plus clémente. Frapper au portefeuille : on ne peut qu'approuver.

Je soutiens la spécialisation des juridictions dans le domaine de la propriété intellectuelle. La commission a déposé un amendement sur ce point et j'en ai déposé un similaire. Cela placera la France, avec l'Allemagne et la Grande-Bretagne, en tête des pays qui défendent la propriété industrielle. En ces domaines, la coopération européenne et internationale est devenue cruciale.et, lorsqu'elle présidera l'Union européenne, la France pourrait proposer la création d'un réseau européen chargé de lutter contre la contrefaçon sur le modèle du Comité national d'action contre la contrefaçon. Je vous suggère aussi, monsieur le ministre, de reprendre à votre compte la proposition de l'excellent rapport de MM. Levy et Jouyet sur la mise en place d'un groupe international de lutte contre la contrefaçon, dont la structure et le fonctionnement seraient calqués sur ceux du Groupe d'action financière. Le problème du brevet européen est posé : la France a fait des propositions qu'il faut faire aboutir

Après ces observations, nous voterons le présent projet de loi amendé.

Mme Jacqueline Gourault. - Ce texte ne peut que recevoir notre approbation, car le fléau de la contrefaçon représente un manque à gagner non négligeable pour notre économie et pour l'économie mondiale. Jadis artisanal et très localisé, c'est devenu aujourd'hui un phénomène industriel et planétaire aux lourdes conséquences puisque la contrefaçon représenterait 10 % du marché mondial. Les entreprises de l'Union européenne engagées dans des activités internationales perdent entre 400 et 800 millions d'euros dans le marché intérieur et autour de 2 milliards à l'extérieur. Le secteur informatique est particulièrement touché. La France, à elle seule, perdrait chaque année plus de 6 milliards d'euros et plus de 30 000 emplois.

La contrefaçon a profondément évolué : au départ, elle ne concernait que les produits de luxe, aujourd'hui elle touche tous les domaines et la quasi-totalité des biens de consommation d'où des problèmes de sécurité pour les usagers. Ainsi, plus de 32 millions de fausses cigarettes et 11 millions de vêtements et accessoires de mode ont été saisis par les douanes européennes en 2006.

Ma région, qui est aussi la vôtre, monsieur le ministre...

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. - J'en suis heureux !

Mme Jacqueline Gourault. - ...bénéficie d'une forte implantation des industries pharmaceutiques et cosmétiques. La survie de ce bassin d'emploi dépend du maintien de ces entreprises à fort potentiel d'embauche. J'attache donc une grande importance à la lutte contre la contrefaçon car elle a donné naissance à une économie parallèle qui paralyse l'innovation et étouffe les investissements au détriment de l'emploi.

Prenant acte de l'ampleur du phénomène et du bouleversement induit par les technologies de l'information, l'Union européenne a proposé aux États-membres de transposer la directive du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle afin de rendre plus efficace la lutte contre ce fléau. Vous nous proposez donc une transposition qui concerne tous les droits de la propriété intellectuelle, y compris ceux qui jusqu'ici n'étaient pas concernés comme les certificats d'obtention végétale ou les appellations d'origine.

Ce projet de loi comporte également création d'un droit d'information nécessaire au démantèlement des réseaux de contrefaçon, et renforcement des moyens de preuve avant une meilleure indemnisation du préjudice. Mais la question de l'indemnisation pose un problème de compatibilité avec le droit français de la responsabilité civile qui est réparateur et non punitif. De plus, je suis réservée sur les amendements de notre rapporteur qui suppriment la notion « d'échelle commerciale » qui permet de limiter les dispositions prises « aux seules atteintes aux droits commises en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial, direct ou indirect ».

Notre but doit être de lutter contre la contrefaçon sans pour autant pénaliser les simples individus qui auraient enfreint un des droits visés pour ses propres besoins et sans en retirer d'avantage économique ou commercial. Certes, la notion d'échelle commerciale n'est peut-être pas claire, mais n'était-il pas préférable d'affiner la définition ? En supprimant cette notion, on ne pourra pas mettre en oeuvre des mesures exceptionnelles de saisie-contrefaçon ou d'autres mesures conservatoires. Ne risque-t-on pas de recours abusif si aucun critère de valeur ne permet aux juridictions d'apprécier correctement le bien-fondé des plaintes ? Que pense le gouvernement de cette suppression.

Notre rapporteur propose également de conférer aux tribunaux de grande instance la compétence exclusive de juger tous les contentieux liés à la propriété intellectuelle et il souhaite que certain d'entre eux soient spécialisés, ce que nous approuvons, car certains contentieux sont hautement complexes et techniques. Comme l'avaient dit nos collègues Charles Gautier et Pierre Fauchon dans leur rapport sur les impératifs d'une justice de qualité, il faudra engager une réforme ambitieuse de la formation des magistrats et de l'organisation judiciaire.

Comme le dit M. Béteille, la lutte contre la contrefaçon concerne tous les services de l'État et les fournisseurs d'accès à Internet ainsi que les plates-formes de courtage en ligne devront être davantage responsabilisés. Internet donne en effet aux contrefacteurs un moyen idéal pour développer leurs activités. Compte tenu de la rapidité et de la fluidité des échanges, il nous faudra accroître nos capacités de réaction. Qu'est-il prévu, monsieur le ministre, pour accompagner les services douaniers et judiciaires face à ces évolutions ?

Outre les outils juridiques qui permettent de lutter efficacement contre les réseaux, les campagnes de sensibilisation améliorent l'information du public sur les risques liés à la contrefaçon et sur ses conséquences économiques. Mais après la campagne de communication « Contrefaçon, non merci » menée par le Comité national anti-contrefaçon (CNAC) en mars, 37 % des personnes interrogées considéraient que ce n'était pas grave d'acheter des produits de contrefaçon. Il faut donc poursuivre !

Enfin, les différentes initiatives internationales doivent être soutenues, notamment les coopérations bilatérales avec les pays où sont fabriqués les produits de contrefaçon. Comme je vous l'ai déjà dit, notre groupe est ravi de soutenir ce texte. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Christian Cambon. - « La contrefaçon est une activité criminelle à part entière, elle n'est pas en périphérie des autres activités criminelles mais bien au coeur de celles-ci » disait le secrétaire général d'Interpol, devant la Commission des relations internationales de la Chambre des représentants des Etats-Unis, en 2006.

Ce texte traite bien d'un problème majeur auquel tous les pays du monde sont confrontés. Clandestines, internationales et évolutives, les activités de contrefaçon sont particulièrement destructrices pour nos économies et dangereuses pour les consommateurs. Rien n'est épargné et tous les secteurs économiques sont touchés. Le trafic des marchandises contrefaites touche, en effet, non seulement l'industrie de luxe, mais également les divers produits de consommation courante.

L'opinion publique ignore encore l'ampleur et les conséquences dans sa vie quotidienne de ce véritable fléau, au point que 35 % de nos concitoyens déclarent acheter sans scrupule de tels produits. Or, l'augmentation des contrefaçons de médicaments, de pièces détachées de véhicules et de produits alimentaires représente un réel danger pour les consommateurs car ils n'offrent aucune garantie de qualité et de sécurité. Ainsi en est-il pour les faux médicaments : les douanes ont découvert de l'aspirine à base de talc sur un marché du Burkina Faso, des collyres fabriqués avec de l'eau croupie au Nigeria, des pommades composées de sciure et de café au Mexique ! Et que dire d'un sirop préparé avec de l'antigel qui a causé la mort de quatre-vingt-neuf personnes en Haïti en 1995 et, celle de trente nourrissons en Inde trois ans plus tard ?

Selon l'OMS, près de 30 % des médicaments consommés dans les pays en voie de développement sont contrefaits. Sur le million de personnes qui meurent chaque année du paludisme, 200 000 pourraient être sauvées si des médicaments authentiques étaient distribués. La contrefaçon de médicaments rapporterait 60 milliards d'euros en 2010, soit deux fois plus qu'aujourd'hui. De plus, Internet a considérablement aggravé la situation dans les pays industrialisés où stimulants et coupe-faim contrefaits se sont multipliés pour faire de trop nombreuses victimes. La lutte contre ce fléau passe par l'information et la sensibilisation du grand public.

La contrefaçon a également des effets désastreux sur l'économie : pertes de parts de marché, concurrence déloyale, perturbation des réseaux de distribution. Elle serait responsable de la perte de 30 000 à 50 000 emplois par an en France ! Cette économie parallèle, particulièrement nuisible aux entreprises, décourage l'innovation, la création et la recherche, domaines sur lesquels repose la croissance des pays développés.

Le commerce des produits contrefaits représenterait désormais 10 % du commerce mondial contre 5 % en 2000. En 2004, 35 % des logiciels européens étaient piratés, soit un manque à gagner annuel de 10 milliards, et la France arrive en tête de peloton avec un taux de 45 % ! Une récente étude estime qu'en réduisant de dix points la contrefaçon de logiciels, 30 000 emplois seraient créés en quatre ans.

Les produits contrefaits sont de plus en plus difficilement détectables, l'offre se diversifie. L'implication des réseaux criminels, voire mafieux, dans le trafic mondial n'est plus à démontrer. Selon Interpol, « la propriété intellectuelle est en train de devenir la méthode de financement préférée des terroristes ». Autre constat alarmant : l'extension des zones géographiques impliquées ; à l'Asie du Sud-Est, au bassin méditerranéen et à l'Europe du Sud s'ajoutent désormais des pays de l'Europe centrale et de l'Est. Une mobilisation sans faille s'impose.

La France s'est très tôt dotée d'instruments juridiques efficaces, qui la plaçaient à l'avant-garde de la lutte contre la contrefaçon et pour la protection de la propriété intellectuelle. Les premières lois protectrices datent de 1791 et notre arsenal juridique expose aujourd'hui le contrefacteur à de lourdes sanctions civiles, pénales, douanières. Malheureusement, l'habileté scélérate des contrefacteurs et leur inventivité sont sans limite et nous avons pris du retard. Dernière à transposer la directive européenne, la France est devenue un refuge privilégié de ces criminels...

La contrefaçon est soumise à trois types de sanctions. Civiles, tout d'abord : dommages et intérêts, destruction de la marchandise, publication de la décision. Pénales, ensuite : de 300 000 à 500 000 euros d'amende et de trois à cinq ans d'emprisonnement. Douanières, enfin, saisies d'office, retenue, mais aussi amendes d'une à deux fois la valeur du produit authentique.

Avec ce projet de loi, nous franchissons une nouvelle étape et le gouvernement montre sa détermination face au fléau. Il s'agit ici essentiellement de transposer la directive d'avril 2004, très largement inspirée par la France - je songe à notre procédure de saisie-contrefaçon, particulièrement efficace en matière de propriété intellectuelle. Il est paradoxal que nous soyons l'un des derniers pays à transposer cette réglementation européenne... Le texte comporte trois avancées majeures. Il prévoit un renforcement des procédures simplifiées et accélérées de saisine du juge civil, en particulier les requêtes non contradictoires, aujourd'hui limitées à la saisie-contrefaçon. Il crée un droit d'information destiné à contraindre les personnes en possession de marchandises contrefaisantes à fournir des informations sur l'origine de fabrication et le réseau de distribution. En ce qui concerne la réparation du préjudice, désormais les dommages et intérêts prendront en compte les bénéfices injustement réalisés par le contrefacteur ou donneront lieu à un forfait déterminé sur la base minimale des redevances que le titulaire de droits aurait dû percevoir. Et tous les types de propriété intellectuelle sont mentionnés, dessins et modèles, brevets, marques, propriété littéraire et artistique...

Défendre la propriété industrielle est essentiel car l'innovation et la créativité sont au coeur même de la création de valeur et de la croissance économique. Notre commission des lois a proposé de compléter la transposition en adoptant des mesures complémentaires importantes : étendre aux droits du producteur de bases de données les mesures prévues à l'article 39 de la directive ; faire assumer la totalité des frais d'exécution forcée au contrefacteur condamné ; supprimer la notion « d'échelle communautaire » difficile à apprécier et donc inutile ; rationaliser l'organisation judiciaire en spécialisant certains tribunaux de grande instance ; sanctionner plus sévèrement les contrefaçons dangereuses pour la santé et la sécurité en créant une circonstance aggravante ; accroître les pouvoirs des douanes et des services judiciaires. Je me réjouis de ces apports de notre Haute Assemblée, qui démontre là encore sa capacité d'initiative. Je proposerai du reste à la fin de ce débat d'instituer au Sénat un groupe d'étude comme il en existe un à l'Assemblée nationale, afin de suivre la mise en oeuvre de ce texte et, le cas échéant, de suggérer de nouvelles mesures susceptibles de briser définitivement ce fléau.

Enfin, j'appelle de mes voeux un renforcement de la coopération internationale : la contrefaçon ne connaît pas de frontière. Les contacts bilatéraux avec les pays les plus sensibles doivent s'intensifier. Mme Lagarde, en route pour la Chine, a dit son intention d'évoquer le problème avec son homologue, je l'en félicite. L'Union européenne vient d'engager un programme d'assistance technique de quatre ans avec la Chine pour améliorer le respect des droits de la propriété industrielle dans ce pays. La visite de M. Novelli à Dubaï a également marqué une étape décisive : la protection des marques françaises sera désormais inscrite à l'ordre du jour du Comité de suivi franco-émirien qui vient d'être créé. L'action communautaire doit viser à mobiliser certains Etats insuffisamment actifs et sensibiliser les nouveaux membres. Lors de la destruction de 15 000 montres à Nice le 27 juillet, M. Woerth a proposé la création d'un Gafi européen consacré à la contrefaçon.

Il est de notre devoir à tous de protéger les plus faibles contre cette activité criminelle qui nuit au bien-être économique et social des nations et met en danger la santé et la sécurité des consommateurs. Ce texte comporte de réelles avancées et notre groupe le soutiendra. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. - C'est avec émotion que je m'exprime pour la première fois à cette tribune. Je veux d'abord saluer le travail du Sénat et de sa commission. Votre rapporteur a posé de façon claire et exhaustive les enjeux. Les interventions ont laissé apparaître l'amorce d'un consensus, sur ce sujet d'intérêt national.

La lutte contre la contrefaçon s'impose car c'est le pendant de la politique de promotion de l'innovation. Je salue l'action de M. Longuet, qui fut à l'origine de la procédure de saisie-contrefaçon, qui a été reprise dans la directive. Aujourd'hui, dans l'économie mondialisée, ce qui fait la différence, c'est l'innovation, qui permet la conquête de nouveaux marchés. Le rôle de la propriété intellectuelle est primordial pour valoriser les avantages compétitifs, les partenariats technologiques, les actifs immatériels.

La contrefaçon ralentit l'innovation en privant les entreprises de la valorisation de leur créativité : elle constitue un frein majeur à l'innovation, la croissance, l'emploi. Toute atteinte de ce type pèse sur les plans de croissance et d'investissement d'une entreprise, sur son chiffre d'affaires, ses parts de marché, ses bénéfices.

Et le préjudice moral, qui porte atteinte à l'image de l'entreprise, dresse une barrière à l'exportation.

L'OCDE a récemment analysé la situation de la Chine : alors que les dépenses de recherche la placent au cinquième rang mondial, cette puissance n'est pas devenue innovante, car la propriété intellectuelle n'y est pas défendue. Comment un innovateur pourrait-il avoir l'impression de goûter les fruits de son travail si ses droits ne sont pas respectés ? C'est un signal adressé aux économies concentrées sur les copies : elles chassent l'innovation de leur marché. M. le sénateur Young fait la même analyse.

Assurant la sécurité juridique des entreprises pour la défense de leur propriété industrielle, ce projet de loi s'intègre dans la politique des pouvoirs publics en faveur de l'innovation : le crédit d'impôt recherche, que vous examinerez avec la loi de finances pour 2008, la fusion de l'OSEO avec l'Agence de l'innovation industrielle, l'assouplissement du droit des brevets et la prochaine ratification des accords de Londres relèvent de la même logique. Le message que je souhaite faire passer aujourd'hui est le suivant : autant que de lutte contre la contrefaçon, ce texte traite d'innovation, donc de croissance.

J'en viens aux interventions. Monsieur le rapporteur, vous avez souhaité une spécialisation accrue des juridictions chargées de la propriété intellectuelle. Nous pourrions ainsi accélérer le règlement des litiges. Vous avez également plaidé pour l'introduction de circonstances aggravantes lorsque la contrefaçon menace la santé humaine ou animale. Cette proposition est opportune, mais n'oublions pas ceci : quel que soit son objet, la contrefaçon est intrinsèquement néfaste. Quant à l'imputation forcée des frais de recouvrement entre les créanciers et les débiteurs, je compte vous donner satisfaction par voie réglementaire. Enfin, je veillerai à la publication accélérée des décrets d'application, mais nous devons travailler de concert avec le ministère de la justice.

Monsieur Cambon, vous avez eu raison d'évoquer la coopération internationale. Comme l'a dit Mme Lagarde, nous conduisons une action bilatérale en ce sens. Ainsi, des comités bilatéraux existent avec la Russie et l'Italie. D'ailleurs, le comité franco-italien se réunira de nouveau prochainement. D'accord avec M. Young, je souhaite la création d'un Gafi-contrefaçon : ce sera sans doute un objectif de la présidence française de l'Union européenne.

Mme Demessine a quelque peu noirci le tableau des suppressions d'emplois dans les douanes : l'administration centrale est seule concernée, pas l'action sur le terrain. Je souhaite également la rassurer à propos des agriculteurs : grâce au « privilège d'obtenteur », notre droit autorise à utiliser les produits cultivés, sans rien devoir aux détenteurs de brevets des premières semences.

J'ai écouté avec une attention particulière Mme Gourault : nous sommes élus de la même région et je suis très attentif au pôle pharmacie-cosmétiques de la région Centre. À propos d'Internet, nous proposerons des mesures complémentaires après la publication du rapport sur ce sujet, en octobre.

Avec Mme Lagarde, je suis fier de défendre ce texte qui, j'en suis convaincu, recueillera un large assentiment au sein de la Haute Assemblée. Il plonge aux racines du droit de la propriété intellectuelle, donc de l'innovation, elle-même gage de croissance future. (Applaudissements à droite.)

La discussion générale est close.