Prescription en matière civile

M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, présentée par M. Jean-Jacques Hyest.

Discussion générale

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Cette proposition de loi, qui -fait rare !- porte sur un pan entier du code, s'inscrit dans la réflexion menée avec le ministère de la justice sur la réforme du droit civil. Suite à la modification du régime des successions et des libéralités par ordonnance, nous proposons aujourd'hui de moderniser et de simplifier les règles de la prescription civile.

Ce texte reprend les conclusions de la mission d'information, créée en février 2007 par la commission des lois, dont MM. Portelli et Yung étaient rapporteurs. La mission, outre qu'elle avait procédé à un grand nombre d'auditions, s'était appuyée sur l'ambitieux projet universitaire de réforme du droit des obligations initié par M. Philippe Malaurie et celui, plus modeste, du ministère de la justice fondé sur les recommandations de la Cour de cassation et destiné à faire l'objet d'une ordonnance pour aboutir à des propositions consensuelles. Nous avons écarté de cette proposition de loi tout ce qui touche au droit pénal pour éviter que l'on nous reproche, comme certains le font aujourd'hui, de vouloir effacer les délits.

La prescription est un principe fondamental du droit. On distingue la prescription acquisitive, qui fixe les délais dans lesquels on acquiert un droit, de la prescription extinctive, qui détermine les délais dans lesquels on est, par exemple, libéré d'une dette. Elle répond à un impératif de sécurité juridique en empêchant les actions en justice tardives. Elle joue également un rôle probatoire en suppléant la disparition éventuelle de preuves et en évitant à celui qui s'en prévaut d'avoir à les conserver trop longtemps.

Les règles qui régissent la prescription sont complexes, pléthoriques et inadaptées. Ainsi, la responsabilité professionnelle d'un architecte, dont la succession avait été réglée, a été mise en cause quarante ans après les faits et ses ayants droit de la deuxième génération ont dû en répondre. Cette situation est inacceptable.

La multiplicité des délais de prescription -ils varient d'un mois à trente ans- alimente le contentieux et le sentiment d'arbitraire. Le délai de l'action en nullité d'une convention est de cinq ans lorsque la nullité est relative, mais de trente ans lorsqu'elle est absolue sans que nullités absolue et relative soient toujours clairement définies. De même, le délai de prescription de l'action civile en responsabilité contractuelle est de trente ans, mais celui de l'action civile en responsabilité extracontractuelle varie de dix à vingt ans. Du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision entre cet autobus et un autre véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur de ce véhicule et de trente ans pour agir contre son transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice...

Ensuite, les modalités de computation des délais de prescription sont complexes en raison des incertitudes entourant leur point de départ et des possibilités multiples d'interruption ou de suspension de leur cours.

La détermination des délais de forclusion demeure, pour reprendre les mots d'un grand auteur, « l'un des grands mystères du droit français ».

En tant qu'élu rural, je sais qu'il convient de rester prudent en matière de prescription acquisitive. En revanche, la prescription extinctive doit être réformée. En effet, le délai de droit commun de trente ans est inadapté à la multiplication des transactions juridiques. Une durée aussi longue n'est plus nécessaire car les acteurs juridiques sont mieux informés. Son coût, induit par l'obligation de conserver les preuves, est également dénoncé. Au reste, nombre d'Etats européens retiennent des durées plus courtes : trois ans en Allemagne, six ans au Royaume-Uni qui, par parenthèse, compte aller plus loin.

Les règles de prescription constituant un élément de la concurrence entre les systèmes juridiques, il convient de les réformer.

Nous proposons tout d'abord de réduire le nombre et les délais de la prescription acquisitive. Le délai serait de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, contre trente ans actuellement, ce qui aurait l'avantage de ne plus soumettre les actions en nullité à des délais différents selon que la nullité encourue est absolue ou relative. Les durées de prescription plus courtes actuellement prévues par le code civil seraient conservées, sous réserve d'une simplification. Ainsi, nous proposons de supprimer le critère du lieu de domiciliation du propriétaire pour la prescription acquisitive en matière immobilière, laquelle serait désormais de dix ans dans tous les cas.

Le texte modifiait en revanche plus substantiellement les délais de prescription plus longs prévus par le code civil. Certains étaient maintenus, d'autres supprimés, d'autres enfin réformées. Notamment, un délai unique de dix ans était prévu pour la prescription des actions en responsabilité civile tendant à la réparation de dommages corporels, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Néanmoins, était conservé un délai de prescription de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant de tortures ou d'actes de barbarie, de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur, issu d'une législation récente.

Il était en outre prévu de porter de quatre à cinq ans le délai de prescription des dettes des personnes publiques, connu sous le nom de « déchéance quadriennale », la prescription, compte tenu des délais, étant dans les faits de cinq ans. La commission a cependant considéré que cette question méritait une pleine concertation entre les acteurs.

Le souci de simplifier les règles relatives au cours de la prescription conduisait à faire de la négociation de bonne foi entre les parties une cause de suspension de la prescription libératoire, indispensable si l'on veut faciliter les mesures alternatives au procès ; à transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription -alors qu'elle a actuellement un effet interruptif- et à conférer de même un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé ; à supprimer les interversions de prescription, qui ont cet effet invraisemblable, après l'interruption d'un court délai de prescription fondé sur une présomption de paiement ou lorsqu'il s'agit d'une créance périodique, de faire courir non plus ce délai mais le délai de prescription de droit commun.

Était en outre entériné le principe qui veut que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Pourquoi mettre dans la loi, me direz-vous, ce qu'a consacré la jurisprudence ? C'est que la jurisprudence est sujette à fluctuations -il est vrai que l'on peut aujourd'hui douter que la loi en soit à l'abri, du moins dans certains domaines... (M. Dreyfus-Schmidt le confirme)

Était consacrée, de même, la possibilité, encadrée, d'un aménagement contractuel de la prescription extinctive. Il y avait là matière à débat : est-ce d'ordre public ou bien le droit des contrats permet-il de déroger aux délais prévus par le code ? Nous avions considéré qu'il était loisible de fixer une durée allant de un à dix ans, sauf pour les contrats d'adhésion où existe un déséquilibre entre les parties.

Le sujet, difficile d'accès pour l'opinion publique, est certes moins médiatique que d'autres. Mais il emporte, Mme la ministre le sait, des conséquences importantes pour la vie des affaires, les professionnels et la sécurité juridique : la modernisation de cette partie de notre droit s'imposait, en attendant celle, à venir, du droit des contrats et obligations. Je me réjouis que la commission ait retenu la plupart des mesures que nous avions présentées. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Ce texte est le fruit des travaux de la mission d'information sur les délais de prescription en matière civile et pénale, présidée par M. Hyest. Notre code civil présentait de fait des dispositions obsolètes, datant de l'époque napoléonienne, faites pour un pays rural, où il était difficile de se déplacer. Il était d'autant plus nécessaire de s'y pencher à nouveau que, le législateur ayant considéré le délai de droit commun inapplicable en bien des matières, il a régulièrement ajouté des délais nouveaux qui portent la prescription, en de nombreux domaines, d'un mois à trente ans. Résultat, l'homme de la rue, lorsqu'il souscrit une obligation, ne peut plus savoir sans l'aide d'un avocat quel délai de prescription s'applique.

Les travaux de MM. Malaury et Catala et le rapport d'information ont inspiré ce texte, qui a reçu le plein accord de la commission. Les modifications qu'elle lui a apportées procèdent soit d'un souci pédagogique, soit de celui de revenir aux règles jurisprudentielles, à deux exceptions près : elle a souhaité maintenir l'effet interruptif de la demande de mise en justice et ne pas modifier les règles de la prescription pour dettes des personnes publiques. Même si l'objectif d'unifier le délai de prescription en matière administrative et civile paraît louable, ce n'est pas tant les délais que les régimes qu'il convient d'aligner, en s'assurant que le point de départ est bien le même. Or, la règle de l'annualité budgétaire, en matière administrative, peut allonger la prescription de onze mois selon que le fait générateur intervient en janvier ou décembre. Toucher à ces régimes aurait dépassé notre mission.

Le texte distingue entre prescription acquisitive, qui permet au possesseur d'un bien d'en devenir propriétaire, et prescription extinctive, qui met fin à la possibilité d'une action : les délais en sont naturellement différents.

Nous avons mis à part les délais dits prefix, qui relèvent de dispositions faisant le plus souvent exception aux règles générales. Compte tenu du nombre d'exceptions, il aurait fallu poser la question de l'alignement sur le régime général au cas par cas, ce qui sortait, là encore, du cadre de notre mission.

Dans un souci de simplification, le texte réduit le nombre de prescriptions extinctives particulières. Il ramène à cinq ans, soit le délai de droit commun, les prescriptions pour créances périodiques. De même, il n'y a pas de raison de maintenir des délais différents : pourquoi six mois pour les créances pour action des maîtres et instituteurs des sciences et arts pour les leçons données au mois, un an pour celles des maîtres de pension, deux ans pour celles des médecins et avocats ? Il fallait sortir de ce maquis inextricable.

En revanche, pour protéger les personnes en situation de faiblesse, nous n'avons pas jugé utile de supprimer de délai de prescription pour action marchande envers des non marchands, qui reste de deux ans, non plus que celui pour exécution des décisions rendues, comme les sentences arbitrales, qui reste de dix ans.

Pour sécuriser les règles du cours de la prescription, le texte consacre la jurisprudence relative au point de départ de la prescription extinctive, qui prend en compte non pas le fait générateur, parfois inconnu du créancier, mais le jour où celui-ci a connaissance ou devrait avoir connaissance de la créance. Dans un souci de sécurisation, il propose également un délai butoir pour la prescription extinctive, laquelle ne pourrait intervenir au-delà de vingt ans.

On ne peut plus, vingt ans après, venir poursuivre un débiteur alors que, vraisemblablement, les pièces justificatives ont été détruites. On encourage ainsi les créanciers à agir dans des délais raisonnables. Cela dit, des dérogations sont nécessaires en matière de dommages corporels parce que ceux-ci peuvent s'aggraver au cours des années.

La commission propose aussi de préciser les conditions dans lesquelles la prescription est suspendue en cas de négociations entre les parties ou de recours à une mesure d'instruction par le juge.

Sous le bénéfice de ces observations, elle vous propose d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.- L'action législative dans le domaine du droit et de la justice, dense depuis le début de la législature, s'enrichit aujourd'hui d'une proposition de loi sénatoriale et je m'en réjouis car cette initiative parlementaire donne tout son sens à la fonction du législateur. J'en remercie particulièrement le président Jean-Jacques Hyest.

Le droit de la prescription est devenu particulièrement complexe, instable, avec des dispositions dérogatoires qui se superposent. En 2004, la Cour de cassation suggérait de faire passer la prescription de droit commun de trente à dix ans et en septembre 2005, le groupe de travail du professeur Pierre Catala proposait de fixer le droit commun à trois ans. Aujourd'hui, si la réforme est sur le point d'aboutir, c'est surtout grâce à votre engagement, monsieur le président Hyest. En février 2007, sous votre impulsion, la commission des lois a créé une mission d'information qui a effectué un travail de grande ampleur. Vous avez aussi bénéficié du précieux concours de deux rapporteurs, les sénateurs Hugues Portelli et Richard Yung.

La mission a auditionné une trentaine de personnalités qualifiées avant de formuler ses recommandations. C'est un travail qui honore le Sénat et montre, une nouvelle fois, que celui-ci, formidable source d'analyse et de proposition, est tourné vers l'avenir et est l'un des acteurs principaux de la simplification du droit.

La présente proposition de loi, ambitieuse, propose une remise à plat de l'ensemble du droit commun de la prescription. Ce n'est pas une énième réforme de ce droit, c'est une réforme en profondeur. Nous sommes aujourd'hui arrivés à un paradoxe. Si, juridiquement, la prescription répond à un souci de sécurité en garantissant qu'aucune action de justice n'est plus possible, aujourd'hui, ce principe n'a plus aucune lisibilité, les réformes se sont succédé et le système a perdu de sa pertinence. Pour redonner toute sa cohérence au droit de la prescription, la réforme doit avoir trois finalités principales : réduire les délais de prescription ; les unifier ; clarifier et moderniser les régimes de la prescription.

Le délai de droit commun de la prescription est fixé à trente ans. Comment faire reconnaître la légitimité d'un droit trente ans après les faits ? Quelles preuves pouvez-vous apporter à l'appui de votre prétention ? Trente ans après, une action en justice n'a plus de sens, elle n'a même aucune chance d'aboutir. Ce délai de trente ans, qui remonte aux origines du code civil en 1804, répondait aux contraintes d'une société où l'accès à l'information était difficile, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui où l'information judiciaire circule presque en temps réel. Les voies d'accès à la justice se sont développées, et les notaires, les avocats ou les huissiers assurent une mission de conseil, de même que les associations d'aide aux victimes ou les associations de consommateurs. Il existe aussi de nombreux sites juridiques sur Internet où les particuliers peuvent rechercher une information.

Ce délai de trente ans n'est plus non plus adapté aux réalités économiques de notre pays. Les entreprises doivent conserver leurs archives pendant trente ans et cela a un coût non négligeable qui freine leur compétitivité.

La proposition de loi prévoit de fixer le délai de droit commun de la prescription à cinq ans. C'est suffisant pour permettre à un créancier d'exercer une action et cela permet aussi d'assurer la stabilité du patrimoine sans craindre une action tardive. En Allemagne, la prescription est passée de trente ans à trois ans, en Grande-Bretagne, le délai est de six ans, il est de dix ans en Italie et en Suède. Cette proposition de loi va donc dans le sens d'un grand mouvement européen.

II faut aussi unifier les délais de prescription. En matière de droit des obligations, la Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription, allant de un mois à trente ans. II faut mettre un terme à ce foisonnement. La proposition de loi donne un champ d'application large au délai de droit commun, pour aller dans le sens de la simplification et de la clarté. Permettez-moi un exemple. Deux personnes sont victimes d'un même dommage. Si la première est liée par un contrat avec l'auteur du dommage, elle dispose d'un délai de trente ans pour agir, si la seconde n'a pas de contrat, elle ne dispose que de dix ans pour demander réparation. C'est une atteinte au principe d'égalité.

La proposition de loi permettra d'y mettre un terme, mais elle maintient cependant quelques dérogations, notamment en matière de droit de la filiation. Une exception au principe général, particulièrement importante, concerne les actes de torture et de barbarie, les violences ou les agressions sexuelles à l'encontre des mineurs. L'action en responsabilité civile peut être aujourd'hui exercée pendant vingt ans et la proposition de loi maintient ce régime dérogatoire par souci de mieux protéger les jeunes victimes car l'harmonisation du droit ne doit pas se faire au détriment de la protection de la personne humaine.

Le troisième objectif est la clarification du régime de la prescription et votre proposition de loi s'y attache avec succès. Pour rendre plus lisible ce droit, il faut modifier le plan du code civil, notamment le titre du Livre Troisième actuellement consacré à la prescription et à la possession. Il faut aussi supprimer des règles devenues trop complexes, notamment en matière d'acquisition immobilière. Si le possesseur est de bonne foi, la prescription peut être de vingt ou de dix ans en fonction du lieu de domiciliation du véritable propriétaire. Cette règle est obsolète, la distance n'étant plus un obstacle à l'information, et la proposition de loi propose un délai unique de dix ans.

Enfin, elle prend mieux en compte les modes alternatifs de résolution des conflits, prévoyant de suspendre le cours de la prescription lorsque les parties ont recours à la médiation. La suspension laisse un temps pour la négociation et évite une saisine immédiate des tribunaux. Le règlement amiable des conflits est une excellente solution qu'il faut préserver.

Je ne peux que rendre hommage, une nouvelle fois, au travail du président Hyest et du sénateur Béteille et j''accueille favorablement les dispositions proposées. On peut néanmoins aller plus loin sur quelques points et le Gouvernement vous propose plusieurs amendements. Je vous en citerai deux. Nous vous proposons de compléter le dispositif que vous avez retenu en faveur des victimes de dommages corporels en l'étendant aux victimes par ricochet et aux dommages matériels résultant d'un même accident. Nous souhaitons également que les règles de prescription s'appliquent pareillement aux époux et aux personnes liées par un pacte civil de solidarité. Ce sont des amendements consensuels qui vont dans le sens de la simplification du droit et d'une meilleure protection de nos concitoyens.

Cette proposition de loi est à l'image du travail de la mission sénatoriale, elle est cohérente, moderne et innovante et elle répond aux attentes des Français qui souhaitent que le droit soit plus accessible. Le Gouvernement la soutient. C'est la première étape de la modernisation de notre droit des obligations. Cette modernisation se poursuivra par la réforme du droit des contrats, puis par une refonte du droit de la responsabilité délictuelle. Ces travaux sont engagés. Ils permettront de disposer d'un droit civil rénové en profondeur. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Zocchetto. - Cette proposition de loi reprend un certain nombre des recommandations de la mission dont nos collègues Hugues Portelli et Richard Yung ont été les rapporteurs. La commission s'est demandé s'il fallait aussi d'intéresser à la prescription pénale. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Cette proposition de loi s'en tient à la prescription civile, dont la réforme est nécessaire parce que sa durée actuelle de droit commun, de trente ans, est inadaptée aux sociétés contemporaines dans lequel l'accès à l'information est plus aisé et plus rapide. De plus, la multiplication excessive des délais particuliers, notamment pour la prescription extinctive, a rendu cette matière complexe et inintelligible. Le groupe de travail présidé par Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, recensait plus de 250 délais de prescription différents.

Les points de départ, les régimes de suspension et d'interruption, sont si différents et pléthoriques qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui de savoir quelles sont les règles applicables. Cette complexité provoque une insécurité juridique, source abondante de contentieux qui peut générer un sentiment d'arbitraire.

Plusieurs rapports ont avancé des pistes de réflexion comme le projet Catala qui a réuni des universitaires, des magistrats et des avocats français ou le groupe de travail présidé par le président Weber ainsi qu'il a été dit. Si les solutions proposées ne sont pas toutes accueillies favorablement, le constat est unanime : une réforme du droit de la prescription est indispensable, car il s'agit d'un principe fondamental qui permet d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. Or, aujourd'hui, l'état du droit ne permet pas de le garantir.

La commission des lois s'est permis de réécrire cette proposition de loi, sous la présidence, il est vrai, de son auteur, M. Hyest. Mais l'essentiel des réformes a été conservé, le but étant d'abréger les délais, de diminuer le nombre des prescriptions, de simplifier le cours de la prescription et de faciliter les aménagements contractuels de la prescription.

Par rapport au texte initial, notre rapporteur propose de changer les structures du code civil en introduisant deux nouveaux titres : les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives. Cette réforme permettra une utile clarification des différents régimes en vigueur. Car si des règles communes régissent les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives, la multiplication des exceptions, notamment pour les prescriptions extinctives, justifient cette proposition de loi.

Concernant la réduction des délais, les prescriptions extinctives passeront au droit commun : cinq ans au lieu de trente ans, ce qui n'est pas rien. Pour les prescriptions acquisitives, le délai est maintenu à trente ans, sauf en matière immobilière où il est proposé une durée abrégée de dix ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut bonne foi et juste titre !

M. François Zocchetto. - Certes ! Cette évolution législative est conforme avec la législation de nos voisins. Il ne faut pas négliger l'importance de la concurrence des systèmes juridiques européens. Nous devons retrouver une réelle attractivité en ce domaine, d'où cette substantielle réduction des délais.

Ainsi, en Allemagne, le délai de droit commun est passé de trente à trois ans, en Angleterre, il est de six ans et en Italie de dix ans.

S'il est difficile d'aboutir à une unification parfaite, nous nous félicitons des différentes initiatives européennes et internationales. Ainsi en est-il de l'Institut national pour l'unification du droit privé qui a posé les principes relatifs aux contrats du commerce international.

Cette proposition de loi prévoit également de rationaliser les prescriptions en réduisant le nombre des délais dérogatoires. La commission des lois souhaite mettre fin au régime particulier dit « présomptives de paiement ». En revanche, des délais plus longs sont maintenus pour l'exécution des décisions de justice et l'exercice des actions en responsabilité pour les dommages corporels ou causés par un ouvrage, pour l'action en réparation des préjudices résultant d'actes de torture ou de barbarie ou de violences ou d'agressions sexuelles sur mineurs, ainsi que pour les actions réelles immobilières.

Enfin, il convient de conserver le délai biennal de prescription de l'action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu'ils leur fournissent.

Ce texte prévoit aussi de supprimer les règles d'interversion des délais et d'instaurer un délai butoir. Cette proposition avait été évoquée par l'avant-projet Catala mais n'avait pas reçu l'approbation de l'ensemble de la doctrine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais si !

M. François Zocchetto. - Le rapport Catala y était favorable, mais la doctrine l'avait critiqué, tout comme la Cour de cassation qui s'était déclaré hostile au délai butoir et avait jugé cette proposition constitutionnellement douteuse.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Tout à fait !

M. François Zocchetto. - Peut être parviendrons-nous à lui faire partager notre point de vue.

En résumé, ces mesures étaient attendues, surtout pour les délais, et même si elles ne font pas l'unanimité, elles permettent de simplifier le droit. Il aurait été possible d'aller plus loin en instaurant un délai de droit commun de cinq ans pour l'ensemble des prescriptions extinctives. Nous aurions pu aussi supprimer les délais préfix, jugés arbitraires. Mais nous posons aujourd'hui une première pierre à cet édifice de refondation du droit de la prescription. Il nous faudra en outre engager une réforme de la prescription pénale. La encore, la multiplication des dérogations, la diversité des régimes, des points départ, des cas de suspension ou d'interruption prévus par le législateur, rendent les prescriptions en matière pénale très peu cohérentes, sources d'insécurité juridique et d'un contentieux abondant.

Comme le rappelle le rapport d'information, l'analyse de M. Jean Danet consacrée à la prescription livre, sur la base des arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin entre 1958 et 2004, des indicateurs intéressants. Le pourcentage des cassations prononcées sur la question de la prescription s'élève à 37 %. En outre, ce taux tend à augmenter puisqu'il représente 46 % des pourvois fondés sur ce moyen, signe d'une complexité croissante du droit de la prescription. Le contentieux porte principalement sur le point de départ du délai de prescription et sur les causes d'interruption.

Or, la prescription est un des éléments constitutifs de notre droit pénal et le corollaire de deux autres principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : le droit à un procès équitable et le droit pour chacun d'être jugé dans un délai raisonnable.

Enfin, je tiens à saluer le travail de notre commission des lois. A l'heure où l'on parle beaucoup de la réforme des institutions et de la revalorisation des pouvoirs du Parlement, les différents travaux menés sur cette question montrent que le Parlement, notamment le Sénat, peut jouer un rôle majeur dans le processus législatif.

Le groupe UC-UDF votera sans hésiter cette proposition de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cette proposition de loi a été déposée l'an dernier par le président de la commission des lois du Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Cette année !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Soit ! Elle est le produit d'observations anciennes. Mon collègue Yung aurait mieux parlé de ce texte que moi, car il a fait partie de la mission d'information de la commission des lois sur la nécessaire simplification de la prescription extinctive en matière civile. Car c'est de cela, et de cela seul, qu'il s'agit maintenant. Certes, Mme le garde des sceaux a fait allusion dans son discours à une prescription en matière pénale, mais il n'en est pas question dans le texte dont nous sommes saisis.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - J'ai parlé de l'action civile des victimes !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Certains avaient subodoré qu'il s'agissait de remettre en cause les règles de prescription en matière d'abus de biens sociaux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Non !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Il n'en a jamais été question. Mais la presse nous a tous interrogés sur ce point.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il n'y a que cela qui les intéresse !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cette proposition de loi ne traite absolument pas du droit pénal et le groupe socialiste la votera sous réserve qu'un de nos amendements soit adopté. Tel n'aurait pas été le cas si nous avions examiné les délais de prescription pénale, car les choses sont beaucoup plus compliquées.

C'est dès 1996 qu'aux Presses Universitaires de Toulouse, le professeur Alain Benabent stigmatisait Le chaos du droit de la prescription extinctive. En 2004, Mme le professeur Fauvarque-Cosson publiait ses Variations sur le processus d'harmonisation du droit à travers l'exemple de la prescription extinctive et la même année, Mme le professeur Lasserre-Kiesow titrait sa réflexion au Jurisclasseur : La prescription, les lois et la faux du temps.

Conformément aux voeux émis par le Président de la République Jacques Chirac - éminent spécialiste en matière de prescription - lors des célébrations du bicentenaire du code civil, une commission d'universitaires dirigée par le Professeur Pierre Catala a élaboré un avant-projet de réforme du Livre III du Titre III du code civil intitulé Des contrats ou des obligations conventionnelles en général. En ce qui concerne la prescription, l'avant-projet de réforme a été remis au garde des sceaux, M. Pascal Clément, le 22 septembre 2005 et a fait l'objet d'un important colloque à la Sorbonne le 25 octobre 2005.

En ce qui concerne la prescription, le professeur Malaurie a signé l'exposé des motifs concernant le livre III du code civil.

Ces éléments ont servi de base au travail de la mission d'information de la commission des lois, conduite par le président Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui a procédé à de nombreuses auditions entre février et juin 2007. Ils ont inspiré la présente proposition de loi, qui propose la réduction de la durée et du nombre des délais de la prescription extinctive, la simplification et la clarification des modalités de décompte et l'extension encadrée des possibilités d'aménagement contractuel. Elle permet aux parties d'allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d'un an, la durée de la prescription, avec possibilité d'ajouter aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription.

Ce dernier point motive nos réserves : nous craignons que la loi cesse de protéger le faible contre le fort, pour reprendre l'expression de Lamennais. Ce souci avait déjà conduit le rapporteur et la commission à prohiber toute possibilité d'aménagement contractuel dans le cadre des contrats d'assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel. Nous proposons, par un amendement, que ces dispositions ne soient pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages. Le droit actuel doit perdurer. II ne faudrait pas que l'employeur puisse imposer à son salarié une durée de prescription inférieure à cinq ans ni que le bailleur professionnel puisse imposer à ses locataires une durée supérieure à cinq ans. Sous cette réserve, le groupe socialiste votera ce texte.

Je regrette également la suppression de l'article 2279 du Code civil.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il ne disparaît pas !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Les juristes auront du mal à s'y faire. Le texte ne change pas, mais on touche au plus célèbre article du code.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Le plus célèbre, c'est l'article 1382 !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - et 1384, bien connus chez nous grâce aux Galeries Belfortaises... Selon cette disposition, en matière mobilière, la possession de bonne foi vaut titre de propriété. Cette modification, loin d'être révolutionnaire, me semble inutile.

M. Hugues Portelli. - Ce texte apporte des modifications attendues au droit de la prescription civile. Nous devons saluer l'excellente initiative de notre président de la commission des lois, qui consacre une partie des propositions de l'avant-projet Catala sur la réforme du droit des obligations et de la prescription ainsi que les recommandations de la mission d'information de notre Haute Assemblée.

La nécessité de cette réforme fait l'objet d'un large consensus prétorien et doctrinal, tant en matière pénale que civile, fiscale et commerciale. Ce texte vise uniquement la prescription civile, dans l'attente d'une intervention du législateur en matière pénale. Ces deux domaines relèvent d'une logique différente : en matière civile, la finalité de la prescription est libératoire et acquisitive, ce qui induit une réduction des délais, alors qu'en matière pénale la prescription s'apparente à une forme d'oubli contre laquelle le législateur lutte de plus en plus.

La prescription civile souffre de sa longueur excessive et de la multiplicité de ses délais, ainsi que de l'imprécision de son régime d'application. Le délai de prescription de droit commun est actuellement de trente ans. Nos voisins de l'Union européenne, pour s'adapter à l'évolution des échanges et à l'accélération des transactions commerciales, l'ont ramené à trois ans en Allemagne et à six au Royaume-Uni. Ce texte prévoit de le réduire à cinq ans en matière d'action mobilière et personnelle, tout en préservant le délai de trente ans en matière immobilière. Il fixe un délai unique de dix ans pour l'usucapion, c'est-à-dire la prescription acquisitive en matière immobilière. Cette simplification rendra notre droit civil et commercial plus compétitif et adapté à une harmonisation à l'échelle communautaire.

Le nombre élevé de délais en vigueur rend le droit de la prescription incompréhensible pour les justiciables et difficilement maniable pour les praticiens. Les dérogations aux délais de droit commun vont de trois mois à trente ans ! Si l'instauration d'un délai unique n'est pas envisageable compte tenu de la diversité des situations juridiques, ce texte tente de ramener une grande partie des délais au nouveau droit commun de cinq ans, en préservant toutefois les dispositions spécifiques prévoyant des durées plus courtes. Cette généralisation ne peut qu'avoir un effet bénéfique pour la pratique juridique et réduire le nombre de contentieux en la matière, notamment devant la Cour de cassation.

La réduction de la confusion régnant entre des notions proches de la prescription comme les délais préfix, de forclusion et de garantie paraît nécessaire. Ce texte les soumet au même régime juridique que celui de la prescription dite ordinaire. Il prône par ailleurs la suppression des interversions de prescription et fait de la citation en justice une cause de suspension du délai, au même titre que la désignation d'un expert en référé, la médiation et la négociation de bonne foi. Il s'inspire également du dispositif de « délai butoir » institué dans des Etats voisins, au terme duquel le droit d'agir du créancier est définitivement éteint. Il innove en donnant plus de place à la liberté contractuelle et prévoit, dans son chapitre 3, une possibilité pour les parties d'aménager les délais sans dépasser dix ans ni descendre en deçà d'un an. La prescription des contrats d'adhésion, tels les contrats d'assurance et ceux conclus entre les professionnels et les consommateurs, échappe à la volonté des parties par souci de protection des non-professionnels.

Cette proposition de loi, qui apporte des solutions concrètes aux difficultés en matière de prescription civile, fait l'objet d'un large consensus politique et doctrinal dans l'attente d'un travail législatif d'une qualité équivalente pour le droit des obligations, s'inspirant des travaux de l'avant-projet « Catala ». Le groupe UMP soutient sans réserve ce texte qui permettra d'harmoniser les droits nationaux des pays européens. Il serait souhaitable, cependant, que la France ne se contente pas de rattraper son retard en la matière mais fasse oeuvre d'anticipation, innove et serve de référence comme il y a deux siècles avec le code civil. (Applaudissements à droite.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La nécessité d'une réforme des délais de prescription est évidente. Avec deux cent cinquante délais différents, la situation est inextricable. Plusieurs propositions ont été formulées par la Cour de cassation en 2001, 2002 et 2004, qui ont inspiré un projet de réforme du ministère de la justice. Le 22 septembre 2005, un avant-projet de loi de réforme des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de Pierre Catala, a été présenté au garde des sceaux de l'époque. Cette réforme, qui prévoyait de réduire à dix ans le délai de droit commun de la prescription, est restée lettre morte jusqu'en février dernier, lorsque notre commission des lois a constitué une mission d'information et confié à nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung le soin d'effectuer des propositions. Leur rapport, rendu en juin, contient sept recommandations en matière pénale, dix en matière civile. S'inspirant de ces recommandations et des propositions de l'avant-projet de loi de 2005, le président Hyest a déposé cette proposition de loi qui réduit à cinq ans le délai de droit commun, ce qui pose quelques problèmes.

Ce texte propose également de modifier les règles de la négociation de bonne foi entre les parties. Le recours à la médiation et la citation en justice deviennent des causes de suspension, et non plus d'interruption de la prescription. Cette proposition de loi consacre les solutions jurisprudentielles prévoyant que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de sa créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir. Enfin, elle autorise, sous certaines conditions, un aménagement contractuel de la prescription. La commission des lois a entièrement réécrit le texte mais en a conservé le fond, à deux exceptions près : elle maintient l'effet interruptif de la demande en justice et laisse inchangées les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques.

Elle instaure un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive, le délai de trente ans étant, selon le rapporteur, « inadapté au nombre et à la rapidité, croissants, des transactions juridiques ». Ces propos rejoignent ceux du professeur Malaurie, qui préconise un délai de prescription de droit commun de trois ans, comme en Allemagne, afin de garantir « le stimulant » nécessaire à l'activité économique, « la concurrence internationale » ou de retrouver « notre vitalité, condition de la croissance ».

Étrangement, ou non, le Président de la République et la garde des sceaux défendaient récemment la dépénalisation du droit des affaires en dénonçant le « risque pénal excessif qui entrave l'activité économique ». Le droit de la prescription serait-il devenu un enjeu économique ? Cette proposition de loi amorce-t-elle une réforme de la prescription en matière ?

Le délai de droit commun de cinq ans prévu par le texte est trop court. La prescription répond à un impératif de sécurité juridique. Elle sanctionne la négligence du titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif : cinq années passant très vite, ce dernier risque de ne pas avoir eu le temps d'exercer son droit ! Un délai de dix ans serait plus raisonnable.

Paradoxalement, la tendance est à un raccourcissement des délais de prescription en matière civile, alors que le législateur ne cesse de les allonger en matière pénale, multipliant les dérogations à la règle générale.

La proposition de loi prévoit encore de réduire de dix à cinq ans le délai en matière commerciale, en réponse à une demande des acteurs économiques. Une telle position n'est guère étonnante... Nous proposons pour notre part de maintenir le délai actuel. Nous défendrons également dans ce texte, comme vous nous y invitiez, notre amendement fixant à dix ans le délai au-delà duquel les sommes de contrats d'assurance vie non réclamés sont affectées au Fonds de réserve des retraites. Enfin, notre amendement proposant d'allonger le délai de prescription à l'intention des personnes victimes de maladies professionnelles a subi le couperet de l'article 40. On ne s'intéresse guère au sort des plus faibles...

Cette proposition de loi appelle donc un certain nombre de réserves. Si nos amendements ne sont pas retenus, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Nous ne légiférons ni hors délais, ni hors sol ! L'ensemble des agents économiques que nous avons auditionnés -associations de consommateurs, représentants des chefs d'entreprise- souhaitent une réduction des délais de prescription. Le point de départ du délai est également important : on ne peut faire valoir ses droits qu'une fois que l'on a connaissance des faits. Notre position est équilibrée : bien des universitaires auraient souhaité plus court !

Cette proposition de loi traite exclusivement du domaine civil. L'allongement permanent des délais est sans doute utile en matière pénale mais, en matière civile, il faut au contraire une réduction généralisée. Il n'y a là aucune arrière-pensée : chacun sait qu'une réforme du droit de la prescription, comme de celui des contrats et des obligations, est nécessaire pour compléter la modernisation, par voie législative, de notre droit civil, après les réformes du droit de la famille, des successions et des libéralités.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Nous ne sommes plus sous Napoléon !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

I. - Les articles 2270 et 2270-2 du code civil deviennent respectivement les articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du même code.

II. - Le titre XX du livre troisième du même code est ainsi rédigé :

« TITRE XX

« DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE

« CHAPITRE I

« Dispositions générales

« Art. 2219. - La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

« Art. 2220. - Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.

« Art. 2221. - La prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte.

« Art. 2222. - La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

« En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

« Art. 2223. - Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois.

« CHAPITRE II

« Des délais et du point de départ de la prescription extinctive

« Section 1

« Du délai de droit commun et de son point de départ

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« Section 2

« De quelques délais et points de départ particuliers

« Art. 2225. - L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

« Art. 2226. - Les actions en responsabilité civile tendant à la réparation d'un dommage corporel se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

« Toutefois, en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans.

« Art. 2227. - Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« CHAPITRE III

« Du cours de la prescription extinctive

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 2228. - La prescription se compte par jours, et non par heures.

« Art. 2229. - Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.

« Art. 2230. - La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.

« Art. 2231. - L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.

« Art. 2232. - Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

« Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2227 et 2233, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Elles ne s'appliquent pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.

« Section 2

« Des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription

« Art. 2233. - La prescription ne court pas :

« A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;

« A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

« A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.

« Art. 2234. - La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

« Art. 2235. - Elle ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

« Art. 2236. - Elle ne court pas ou est suspendue entre époux.

« Art. 2237. - Elle ne court pas ou est suspendue contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession.

« Art. 2238. - La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent que la médiation est terminée.

« Art. 2239. - La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

« Section 3

« Des causes d'interruption de la prescription

« Art. 2240. - La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

« Art. 2241. - La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

« Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.

« Art. 2242. - L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

« Art. 2243. - L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.

« Art. 2244. - Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par un acte d'exécution forcée.

« Art. 2245. - L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée, ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

« En revanche, l'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, n'interrompt pas le délai de prescription à l'égard des autres cohéritiers, même en cas de créance hypothécaire, si l'obligation est divisible. Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt le délai de prescription, à l'égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu.

« Pour interrompre le délai de prescription pour le tout, à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé, ou la reconnaissance de tous ces héritiers.

« Art. 2246. - L'interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt le délai de prescription contre la caution.

« CHAPITRE IV

« Des conditions de la prescription extinctive

« Section 1

« De l'invocation de la prescription

« Art. 2247. - Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.

« Art. 2248. - Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel.

« Art. 2249. - Le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré.

« Section 2

« De la renonciation à la prescription

« Art. 2250. - Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.

« Art. 2251. - La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.

« La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.

« Art. 2252. - Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise.

« Art. 2253. - Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.

« Section 3

« De l'aménagement conventionnel de la prescription

« Art. 2254. - La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans.

« Les parties peuvent également, d'un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de la prescription prévues par la loi.

M. le président. - Amendement n°9, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Rédiger ainsi le texte proposé par cet article pour l'article 2224 du code civil :

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par dix ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous proposons un délai de droit commun de dix ans.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Avis défavorable. Un délai de cinq ans, comme en matière de créance périodique, nous paraît raisonnable. S'agissant du point de départ, il faut sanctionner la négligence du créancier.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Mêmes arguments. L'expression « aurait dû connaître » laisse au juge une marge d'appréciation. Un délai de cinq ans, conforme à la tendance européenne, est raisonnable. Défavorable.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2226 du code civil :

« L'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Il s'agit d'étendre le délai de dix ans aux victimes par ricochet, souvent les proches parents d'une victime d'un dommage corporel. On évite ainsi de saisir deux fois le juge pour un même dommage. C'est une mesure de bon sens.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cet amendement complète très utilement le texte, dans l'intérêt des victimes et de la bonne administration de la justice. Avis favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2236 du code civil par les mots :

ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Il s'agit d'étendre aux signataires d'un Pacs le bénéfice de la suspension du délai de prescription qui joue actuellement entre époux.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Une fois de plus, nous alignons les dispositions du Pacs sur celles du mariage... Favorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Très favorable ! (Sourires)

L'amendement n°2 est adopté.

M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

I - Dans le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2238 du code civil, après les mots :

à la médiation

insérer les mots :

ou à la conciliation

et après les mots :

à compter du jour de la première réunion de médiation

ajouter les mots :

ou de conciliation

II - Dans le second alinéa du même texte, après les mots :

soit le médiateur

insérer les mots :

ou le conciliateur

et après le mot :

médiation

insérer les mots :

ou la conciliation

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous voulons harmoniser les délais de prescription pour les médiations et pour les conciliations, afin d'encourager les modes alternatifs de résolution des conflits en garantissant aux parties une suspension de la prescription pendant leurs négociations.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cela complète utilement le texte. Rien n'empêchera les parties à un contrat de convenir librement les clauses de suspension. La commission veut fixer par défaut des règles intelligibles pour tout le monde.

L'amendement n°3 est adopté.

M. le Président. - Amendement n°8, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2254 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cet amendement a été approuvé ce matin par la commission.

Le délai de prescription actuel des créances périodiques est de cinq ans. Il ne doit pas pouvoir être allongé ou raccourci contractuellement, au détriment de la partie faible à un contrat. Concrètement, il s'agit d'éviter qu'un employeur impose à ses salariés un délai de prescription de l'action en paiement ou en répétition des salaires d'un an ou qu'un bailleur professionnel impose à ses locataires une durée de prescription de l'action en paiement ou en répétition des loyers de dix ans.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - La commission a déjà interdit toute modification du délai des contrats du droit des assurances et de la consommation à cause de l'inégalité flagrante entre les parties. Cet amendement complète le texte dans le même esprit. Nous remercions M. Dreyfus-Schmidt de sa vigilance.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je m'associe à ces observations et à ces remerciements.

L'amendement n°8 est adopté.

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2 à 6.

Articles additionnels

M. le Président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil. »

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - L'action civile pourrait être prescrite avant l'action publique. Ce n'est pas satisfaisant. Nous proposons de les aligner.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cet amendement définit une règle générale très utile.

L'amendement n°4 est adopté et devient un article additionnel.

M. le Président. - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter de la manifestation du dommage. »

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous voulons, conformément aux conclusions du Grenelle de l'environnement, créer un délai de prescription spécifique à cette matière.

M. le Président. - Sous-amendement n°13 à l'amendement n°6 rectifié du Gouvernement, présenté par M. Béteille au nom de la commission.

I. Dans le texte proposé par l'amendement n° 6 pour l'article L. 152-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

trente ans

par les mots :

dix ans

II. Compléter ce même texte par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article 2232 du code civil n'est pas applicable à la prescription prévue à l'alinéa précédent. »

M. Laurent Béteille, rapporteur. - La commission est perplexe. Imaginez qu'à cause d'une négligence un artisan provoque une pollution du sol et que celle-ci ne soit découverte que trente ans après. Soixante ans après, on poursuivrait ses héritiers ! Notre sous-amendement réduit donc ce délai à dix ans à partir de la manifestation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La directive du 21 avril 2004, en cours de transposition, prévoit un délai de trente ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission Sa transposition ne sera pas facile ! Elle a déjà plus de trois ans ; elle est importante ou pas ? Il faudrait savoir si le délai court à partir de la manifestation du dommage ou de sa création. Faisons en sorte que les directives soient raisonnables et compréhensibles !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Et applicables !

M. Laurent Béteille, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement est important parce qu'il retient la manifestation du dommage et non le fait générateur. Il faut trouver une solution raisonnable : comptons sur les députés et le Gouvernement.

Le sous-amendement n°13 est retiré.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Je ne reconnais pas dans les propos du rapporteur ce qui s'est dit ce matin : nous avons été unanimes à repousser l'amendement du Gouvernement, jugé absurde. Je ne me rappelle même pas qu'un sous-amendement ait été adopté. (Protestations sur le banc de la commission)

Mettons que ma mémoire m'abuse. Reste que nous avons eu des mots très durs contre cet amendement. La commission doit rester fidèle à elle-même.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission Nous ne savions pas, ce matin, qu'il y avait une directive en ce sens...

M. François Zocchetto. - On est dans une situation absurde : l'amendement du Gouvernement va à l'encontre de ce que nous cherchons à faire avec ce texte : réduire les délais de prescription.

Ensuite, s'agissant de dommage environnemental, une action publique sera engagée le plus souvent contre le délit ou la contravention. Deux délais coexisteraient, de cinq ans en matière pénale et de trente ans en matière civile. Loin de moi de ne pas vouloir respecter les normes européennes mais cet amendement manque singulièrement de cohérence !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Comment la contradiction a-t-elle été levée dans les pays qui ont déjà transposé ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut rappeler la chronologie à M. Dreyfus-Schmidt. Ce matin, lorsque nous avons examiné l'amendement du Gouvernement, celui-ci ne faisait pas état de la directive mais du Grenelle de l'environnement : nous adoptions en conséquence le sous-amendement, avec l'idée qu'un délai de dix ans à partir de la constatation du dommage suffisait. Cet après-midi, Mme le garde des sceaux nous renvoie à la directive qui impose un délai de trente ans. La prudence est de rigueur, on risque une poursuite en manquement. Il est normal, dans ces conditions, de retirer le sous-amendement : nous avons l'information qui nous manquait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Trente ans à compter de la manifestation du dommage ? S'il est constaté au bout de trente ans, le délai complet sera de soixante ans : c'est absurde, comme la commission l'a unanimement dit ce matin !

M. François Zocchetto. - Pour un dommage environnemental, le délai ne sera pas le même selon que l'action sera engagée devant une juridiction répressive ou civile. Le contrevenant aura tout intérêt à ce que la plainte aille au pénal, c'est bien cela ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La solution serait que le délai commence à compter du fait générateur, plutôt que de la manifestation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - D'accord !

M. le président. - C'est donc l'amendement n°6 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter du fait générateur du dommage. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Nos remarques étaient justifiées !

L'amendement n°6 rectifié est adopté, il devient article additionnel.

Article 7

L'article L. 110-4 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au I, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Au III, les mots : « conformément à l'article 2277 du code civil » sont supprimés.

M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La réduction à trois ans du délai de prescription en matière commerciale ne protège pas suffisamment la partie faible du contrat.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Nous réduisons les délais de prescription au civil à cinq ans. N'allons pas faire une exception pour les professionnels, alors qu'ils sont mieux à même de s'organiser. Nous étions plutôt enclins à réduire ce délai à trois ans, comme le proposait le rapport Catala-Malaurie, mais nous avons choisi cinq ans par souci de cohérence. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le délai sera de cinq ans pour les particuliers, mais de dix pour les commerçants, alors qu'ils peuvent mieux s'organiser ? Avis défavorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je suis -par cohérence- favorable à un délai de dix ans pour les particuliers !

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

L'article 7 est adopté, de même que l'article 8.

Article 9

A la fin du huitième alinéa (7°) de l'article L. 135-7 du code de la sécurité sociale, les mots : « au terme de la prescription fixée par l'article 2262 du code civil » sont remplacés par les mots : « n'ayant fait l'objet de la part des ayants droits d'aucune opération ou réclamation depuis trente années. »

M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

I. - Dans cet article, remplacer les mots :

trente années

par les mots :

dix années

II. - Ajouter un alinéa ainsi rédigé :

Dans le dernier alinéa (5°) de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les mots : « trente années » sont remplacés par les mots : « dix années ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La dernière loi de financement de la sécurité sociale alloue au fonds de réserve des retraites, après un délai de trente ans, les montants de contrats d'assurance vie non réclamés. Nous réduisons ce délai à dix ans : c'est une proposition du médiateur de la République et une demande des associations de consommateurs.

Lorsque nous avons présenté cet amendement, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés, le rapporteur nous a invités à attendre la discussion d'aujourd'hui. Le délai de trente ans est d'autant moins nécessaire qu'avec les règles nouvelles, la plupart des bénéficiaires seront retrouvés...

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Le CRC veut allonger les délais de prescription, sauf ici, quand elle est acquisitive, nous préférons en rester à trente ans : avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

L'article 9 est adopté, de même que les articles 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17

Article 18

I. - Les conséquences financières résultant pour l'État et ses établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. - Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

M. le président. - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je lève le gage.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Favorable.

L'amendement n°5 est adopté ; l'article 18 est supprimé.

L'article 19 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Alain Gournac. - Les règles de la prescription civile sont sources de confusion et d'insécurité juridique -les délais sont trop nombreux, leur décompte délicat et leur qualification aléatoire- et inadaptées à l'environnement juridique actuel. Cette proposition de loi comporte des avancées significatives. Le groupe UMP se réjouit de son inscription à l'ordre du jour réservé du Sénat et remercie tout particulièrement l'auteur du texte et président de la commission, M. Hyest, le rapporteur, M. Béteille, et les deux rapporteurs de la mission d'information, MM. Portelli et Yung. Cette initiative témoigne du souci constant de la Haute assemblée de simplifier les règles de droit. Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Nathalie Goulet. - Toute modernisation du système juridique est bienvenue. Toutefois, beaucoup reste à faire pour réconcilier les Français avec leur justice. Il faudrait notamment réduire les délais de procédure et réfléchir à une meilleure indemnisation des avocats commis d'office. Je profite de l'occasion pour attirer l'attention de Mme la garde des sceaux sur les délais de prescription fixés par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. En matière de diffamation sur internet, sujet auquel je suis particulièrement sensible,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est du droit pénal ! Nous ne nous penchons que sur la prescription civile !

Mme Nathalie Goulet. - ...la victime dispose seulement de trois mois pour faire cesser la diffamation ou insérer un droit de réponse. Ces dispositions sont totalement inapplicables !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Juste !

Mme Nathalie Goulet. - Vous ne pouvez pas, en trois mois, trouver le serveur et obtenir l'insertion d'un droit de réponse.

Cela dit, le groupe RDSE votera ce texte.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Compte tenu du sort favorable réservé à l'amendement n°8, le groupe socialiste approuvera ce texte.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Aucun de nos amendements n'ayant été retenu, nous nous abstiendrons.

Les conclusions de la commission, modifiées, sont adoptées.