Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Décès d'un ancien sénateur

Dépôt d'un rapport

Rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française

Prescription en matière civile

Discussion générale

Discussion des articles

Article premier

Articles additionnels

Article 7

Article 9

Article 18

Interventions sur l'ensemble

Recherche en milieu polaire (Question orale avec débat)

Marché vitivinicole

Discussion générale

Interventions sur l'ensemble




SÉANCE

du mercredi 21 novembre 2007

25e séance de la session ordinaire 2007-2008

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

La séance est ouverte à 15 heures.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Décès d'un ancien sénateur

M. le président. - J'ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue André Bettencourt, sénateur honoraire, membre honoraire du Parlement, qui fut sénateur de la Seine-Maritime de 1977 à 1995.

Dépôt d'un rapport

M. le président. - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article L. 111-10-1 du code de la sécurité sociale, le rapport sur l'état des sommes restant dues au 30 juin 2007 par l'État aux régimes obligatoires de base de sécurité sociale.

Acte est donné du dépôt de ce rapport qui sera transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu'à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.

Rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française

M. le président. - M. le Président du Sénat a reçu de M. le Président de l'Assemblée de la Polynésie française, par lettre en date du 19 novembre 2007, les rapports et avis de l'Assemblée de la Polynésie française sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Turquie sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements ; le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d'une part, et la République d'Albanie d'autre part ; le projet de loi autorisant l'approbation de la décision des représentants des gouvernements des États membres, réunis au sein du Conseil, concernant les privilèges et immunités accordés à l'Agence européenne de défense et son personnel, signée à Bruxelles le 10 novembre 2004 et le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Pologne dans le domaine de la culture et de l'éducation.

Acte est donné de cette communication.

Prescription en matière civile

M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière civile, présentée par M. Jean-Jacques Hyest.

Discussion générale

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Cette proposition de loi, qui -fait rare !- porte sur un pan entier du code, s'inscrit dans la réflexion menée avec le ministère de la justice sur la réforme du droit civil. Suite à la modification du régime des successions et des libéralités par ordonnance, nous proposons aujourd'hui de moderniser et de simplifier les règles de la prescription civile.

Ce texte reprend les conclusions de la mission d'information, créée en février 2007 par la commission des lois, dont MM. Portelli et Yung étaient rapporteurs. La mission, outre qu'elle avait procédé à un grand nombre d'auditions, s'était appuyée sur l'ambitieux projet universitaire de réforme du droit des obligations initié par M. Philippe Malaurie et celui, plus modeste, du ministère de la justice fondé sur les recommandations de la Cour de cassation et destiné à faire l'objet d'une ordonnance pour aboutir à des propositions consensuelles. Nous avons écarté de cette proposition de loi tout ce qui touche au droit pénal pour éviter que l'on nous reproche, comme certains le font aujourd'hui, de vouloir effacer les délits.

La prescription est un principe fondamental du droit. On distingue la prescription acquisitive, qui fixe les délais dans lesquels on acquiert un droit, de la prescription extinctive, qui détermine les délais dans lesquels on est, par exemple, libéré d'une dette. Elle répond à un impératif de sécurité juridique en empêchant les actions en justice tardives. Elle joue également un rôle probatoire en suppléant la disparition éventuelle de preuves et en évitant à celui qui s'en prévaut d'avoir à les conserver trop longtemps.

Les règles qui régissent la prescription sont complexes, pléthoriques et inadaptées. Ainsi, la responsabilité professionnelle d'un architecte, dont la succession avait été réglée, a été mise en cause quarante ans après les faits et ses ayants droit de la deuxième génération ont dû en répondre. Cette situation est inacceptable.

La multiplicité des délais de prescription -ils varient d'un mois à trente ans- alimente le contentieux et le sentiment d'arbitraire. Le délai de l'action en nullité d'une convention est de cinq ans lorsque la nullité est relative, mais de trente ans lorsqu'elle est absolue sans que nullités absolue et relative soient toujours clairement définies. De même, le délai de prescription de l'action civile en responsabilité contractuelle est de trente ans, mais celui de l'action civile en responsabilité extracontractuelle varie de dix à vingt ans. Du fait de cette distinction, le passager d'un autobus blessé à la suite d'une collision entre cet autobus et un autre véhicule dispose de dix ans pour agir contre le conducteur de ce véhicule et de trente ans pour agir contre son transporteur afin d'être indemnisé d'un même préjudice...

Ensuite, les modalités de computation des délais de prescription sont complexes en raison des incertitudes entourant leur point de départ et des possibilités multiples d'interruption ou de suspension de leur cours.

La détermination des délais de forclusion demeure, pour reprendre les mots d'un grand auteur, « l'un des grands mystères du droit français ».

En tant qu'élu rural, je sais qu'il convient de rester prudent en matière de prescription acquisitive. En revanche, la prescription extinctive doit être réformée. En effet, le délai de droit commun de trente ans est inadapté à la multiplication des transactions juridiques. Une durée aussi longue n'est plus nécessaire car les acteurs juridiques sont mieux informés. Son coût, induit par l'obligation de conserver les preuves, est également dénoncé. Au reste, nombre d'Etats européens retiennent des durées plus courtes : trois ans en Allemagne, six ans au Royaume-Uni qui, par parenthèse, compte aller plus loin.

Les règles de prescription constituant un élément de la concurrence entre les systèmes juridiques, il convient de les réformer.

Nous proposons tout d'abord de réduire le nombre et les délais de la prescription acquisitive. Le délai serait de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières, contre trente ans actuellement, ce qui aurait l'avantage de ne plus soumettre les actions en nullité à des délais différents selon que la nullité encourue est absolue ou relative. Les durées de prescription plus courtes actuellement prévues par le code civil seraient conservées, sous réserve d'une simplification. Ainsi, nous proposons de supprimer le critère du lieu de domiciliation du propriétaire pour la prescription acquisitive en matière immobilière, laquelle serait désormais de dix ans dans tous les cas.

Le texte modifiait en revanche plus substantiellement les délais de prescription plus longs prévus par le code civil. Certains étaient maintenus, d'autres supprimés, d'autres enfin réformées. Notamment, un délai unique de dix ans était prévu pour la prescription des actions en responsabilité civile tendant à la réparation de dommages corporels, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre responsabilité contractuelle et extracontractuelle. Néanmoins, était conservé un délai de prescription de vingt ans pour l'action en réparation des préjudices résultant de tortures ou d'actes de barbarie, de violences ou d'agressions sexuelles sur un mineur, issu d'une législation récente.

Il était en outre prévu de porter de quatre à cinq ans le délai de prescription des dettes des personnes publiques, connu sous le nom de « déchéance quadriennale », la prescription, compte tenu des délais, étant dans les faits de cinq ans. La commission a cependant considéré que cette question méritait une pleine concertation entre les acteurs.

Le souci de simplifier les règles relatives au cours de la prescription conduisait à faire de la négociation de bonne foi entre les parties une cause de suspension de la prescription libératoire, indispensable si l'on veut faciliter les mesures alternatives au procès ; à transformer la citation en justice en une cause de suspension de la prescription -alors qu'elle a actuellement un effet interruptif- et à conférer de même un effet suspensif à la désignation d'un expert en référé ; à supprimer les interversions de prescription, qui ont cet effet invraisemblable, après l'interruption d'un court délai de prescription fondé sur une présomption de paiement ou lorsqu'il s'agit d'une créance périodique, de faire courir non plus ce délai mais le délai de prescription de droit commun.

Était en outre entériné le principe qui veut que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de la créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. Pourquoi mettre dans la loi, me direz-vous, ce qu'a consacré la jurisprudence ? C'est que la jurisprudence est sujette à fluctuations -il est vrai que l'on peut aujourd'hui douter que la loi en soit à l'abri, du moins dans certains domaines... (M. Dreyfus-Schmidt le confirme)

Était consacrée, de même, la possibilité, encadrée, d'un aménagement contractuel de la prescription extinctive. Il y avait là matière à débat : est-ce d'ordre public ou bien le droit des contrats permet-il de déroger aux délais prévus par le code ? Nous avions considéré qu'il était loisible de fixer une durée allant de un à dix ans, sauf pour les contrats d'adhésion où existe un déséquilibre entre les parties.

Le sujet, difficile d'accès pour l'opinion publique, est certes moins médiatique que d'autres. Mais il emporte, Mme la ministre le sait, des conséquences importantes pour la vie des affaires, les professionnels et la sécurité juridique : la modernisation de cette partie de notre droit s'imposait, en attendant celle, à venir, du droit des contrats et obligations. Je me réjouis que la commission ait retenu la plupart des mesures que nous avions présentées. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Laurent Béteille, rapporteur de la commission des lois.  - Ce texte est le fruit des travaux de la mission d'information sur les délais de prescription en matière civile et pénale, présidée par M. Hyest. Notre code civil présentait de fait des dispositions obsolètes, datant de l'époque napoléonienne, faites pour un pays rural, où il était difficile de se déplacer. Il était d'autant plus nécessaire de s'y pencher à nouveau que, le législateur ayant considéré le délai de droit commun inapplicable en bien des matières, il a régulièrement ajouté des délais nouveaux qui portent la prescription, en de nombreux domaines, d'un mois à trente ans. Résultat, l'homme de la rue, lorsqu'il souscrit une obligation, ne peut plus savoir sans l'aide d'un avocat quel délai de prescription s'applique.

Les travaux de MM. Malaury et Catala et le rapport d'information ont inspiré ce texte, qui a reçu le plein accord de la commission. Les modifications qu'elle lui a apportées procèdent soit d'un souci pédagogique, soit de celui de revenir aux règles jurisprudentielles, à deux exceptions près : elle a souhaité maintenir l'effet interruptif de la demande de mise en justice et ne pas modifier les règles de la prescription pour dettes des personnes publiques. Même si l'objectif d'unifier le délai de prescription en matière administrative et civile paraît louable, ce n'est pas tant les délais que les régimes qu'il convient d'aligner, en s'assurant que le point de départ est bien le même. Or, la règle de l'annualité budgétaire, en matière administrative, peut allonger la prescription de onze mois selon que le fait générateur intervient en janvier ou décembre. Toucher à ces régimes aurait dépassé notre mission.

Le texte distingue entre prescription acquisitive, qui permet au possesseur d'un bien d'en devenir propriétaire, et prescription extinctive, qui met fin à la possibilité d'une action : les délais en sont naturellement différents.

Nous avons mis à part les délais dits prefix, qui relèvent de dispositions faisant le plus souvent exception aux règles générales. Compte tenu du nombre d'exceptions, il aurait fallu poser la question de l'alignement sur le régime général au cas par cas, ce qui sortait, là encore, du cadre de notre mission.

Dans un souci de simplification, le texte réduit le nombre de prescriptions extinctives particulières. Il ramène à cinq ans, soit le délai de droit commun, les prescriptions pour créances périodiques. De même, il n'y a pas de raison de maintenir des délais différents : pourquoi six mois pour les créances pour action des maîtres et instituteurs des sciences et arts pour les leçons données au mois, un an pour celles des maîtres de pension, deux ans pour celles des médecins et avocats ? Il fallait sortir de ce maquis inextricable.

En revanche, pour protéger les personnes en situation de faiblesse, nous n'avons pas jugé utile de supprimer de délai de prescription pour action marchande envers des non marchands, qui reste de deux ans, non plus que celui pour exécution des décisions rendues, comme les sentences arbitrales, qui reste de dix ans.

Pour sécuriser les règles du cours de la prescription, le texte consacre la jurisprudence relative au point de départ de la prescription extinctive, qui prend en compte non pas le fait générateur, parfois inconnu du créancier, mais le jour où celui-ci a connaissance ou devrait avoir connaissance de la créance. Dans un souci de sécurisation, il propose également un délai butoir pour la prescription extinctive, laquelle ne pourrait intervenir au-delà de vingt ans.

On ne peut plus, vingt ans après, venir poursuivre un débiteur alors que, vraisemblablement, les pièces justificatives ont été détruites. On encourage ainsi les créanciers à agir dans des délais raisonnables. Cela dit, des dérogations sont nécessaires en matière de dommages corporels parce que ceux-ci peuvent s'aggraver au cours des années.

La commission propose aussi de préciser les conditions dans lesquelles la prescription est suspendue en cas de négociations entre les parties ou de recours à une mesure d'instruction par le juge.

Sous le bénéfice de ces observations, elle vous propose d'adopter cette proposition de loi. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.- L'action législative dans le domaine du droit et de la justice, dense depuis le début de la législature, s'enrichit aujourd'hui d'une proposition de loi sénatoriale et je m'en réjouis car cette initiative parlementaire donne tout son sens à la fonction du législateur. J'en remercie particulièrement le président Jean-Jacques Hyest.

Le droit de la prescription est devenu particulièrement complexe, instable, avec des dispositions dérogatoires qui se superposent. En 2004, la Cour de cassation suggérait de faire passer la prescription de droit commun de trente à dix ans et en septembre 2005, le groupe de travail du professeur Pierre Catala proposait de fixer le droit commun à trois ans. Aujourd'hui, si la réforme est sur le point d'aboutir, c'est surtout grâce à votre engagement, monsieur le président Hyest. En février 2007, sous votre impulsion, la commission des lois a créé une mission d'information qui a effectué un travail de grande ampleur. Vous avez aussi bénéficié du précieux concours de deux rapporteurs, les sénateurs Hugues Portelli et Richard Yung.

La mission a auditionné une trentaine de personnalités qualifiées avant de formuler ses recommandations. C'est un travail qui honore le Sénat et montre, une nouvelle fois, que celui-ci, formidable source d'analyse et de proposition, est tourné vers l'avenir et est l'un des acteurs principaux de la simplification du droit.

La présente proposition de loi, ambitieuse, propose une remise à plat de l'ensemble du droit commun de la prescription. Ce n'est pas une énième réforme de ce droit, c'est une réforme en profondeur. Nous sommes aujourd'hui arrivés à un paradoxe. Si, juridiquement, la prescription répond à un souci de sécurité en garantissant qu'aucune action de justice n'est plus possible, aujourd'hui, ce principe n'a plus aucune lisibilité, les réformes se sont succédé et le système a perdu de sa pertinence. Pour redonner toute sa cohérence au droit de la prescription, la réforme doit avoir trois finalités principales : réduire les délais de prescription ; les unifier ; clarifier et moderniser les régimes de la prescription.

Le délai de droit commun de la prescription est fixé à trente ans. Comment faire reconnaître la légitimité d'un droit trente ans après les faits ? Quelles preuves pouvez-vous apporter à l'appui de votre prétention ? Trente ans après, une action en justice n'a plus de sens, elle n'a même aucune chance d'aboutir. Ce délai de trente ans, qui remonte aux origines du code civil en 1804, répondait aux contraintes d'une société où l'accès à l'information était difficile, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui où l'information judiciaire circule presque en temps réel. Les voies d'accès à la justice se sont développées, et les notaires, les avocats ou les huissiers assurent une mission de conseil, de même que les associations d'aide aux victimes ou les associations de consommateurs. Il existe aussi de nombreux sites juridiques sur Internet où les particuliers peuvent rechercher une information.

Ce délai de trente ans n'est plus non plus adapté aux réalités économiques de notre pays. Les entreprises doivent conserver leurs archives pendant trente ans et cela a un coût non négligeable qui freine leur compétitivité.

La proposition de loi prévoit de fixer le délai de droit commun de la prescription à cinq ans. C'est suffisant pour permettre à un créancier d'exercer une action et cela permet aussi d'assurer la stabilité du patrimoine sans craindre une action tardive. En Allemagne, la prescription est passée de trente ans à trois ans, en Grande-Bretagne, le délai est de six ans, il est de dix ans en Italie et en Suède. Cette proposition de loi va donc dans le sens d'un grand mouvement européen.

II faut aussi unifier les délais de prescription. En matière de droit des obligations, la Cour de cassation a recensé plus de 250 délais de prescription, allant de un mois à trente ans. II faut mettre un terme à ce foisonnement. La proposition de loi donne un champ d'application large au délai de droit commun, pour aller dans le sens de la simplification et de la clarté. Permettez-moi un exemple. Deux personnes sont victimes d'un même dommage. Si la première est liée par un contrat avec l'auteur du dommage, elle dispose d'un délai de trente ans pour agir, si la seconde n'a pas de contrat, elle ne dispose que de dix ans pour demander réparation. C'est une atteinte au principe d'égalité.

La proposition de loi permettra d'y mettre un terme, mais elle maintient cependant quelques dérogations, notamment en matière de droit de la filiation. Une exception au principe général, particulièrement importante, concerne les actes de torture et de barbarie, les violences ou les agressions sexuelles à l'encontre des mineurs. L'action en responsabilité civile peut être aujourd'hui exercée pendant vingt ans et la proposition de loi maintient ce régime dérogatoire par souci de mieux protéger les jeunes victimes car l'harmonisation du droit ne doit pas se faire au détriment de la protection de la personne humaine.

Le troisième objectif est la clarification du régime de la prescription et votre proposition de loi s'y attache avec succès. Pour rendre plus lisible ce droit, il faut modifier le plan du code civil, notamment le titre du Livre Troisième actuellement consacré à la prescription et à la possession. Il faut aussi supprimer des règles devenues trop complexes, notamment en matière d'acquisition immobilière. Si le possesseur est de bonne foi, la prescription peut être de vingt ou de dix ans en fonction du lieu de domiciliation du véritable propriétaire. Cette règle est obsolète, la distance n'étant plus un obstacle à l'information, et la proposition de loi propose un délai unique de dix ans.

Enfin, elle prend mieux en compte les modes alternatifs de résolution des conflits, prévoyant de suspendre le cours de la prescription lorsque les parties ont recours à la médiation. La suspension laisse un temps pour la négociation et évite une saisine immédiate des tribunaux. Le règlement amiable des conflits est une excellente solution qu'il faut préserver.

Je ne peux que rendre hommage, une nouvelle fois, au travail du président Hyest et du sénateur Béteille et j''accueille favorablement les dispositions proposées. On peut néanmoins aller plus loin sur quelques points et le Gouvernement vous propose plusieurs amendements. Je vous en citerai deux. Nous vous proposons de compléter le dispositif que vous avez retenu en faveur des victimes de dommages corporels en l'étendant aux victimes par ricochet et aux dommages matériels résultant d'un même accident. Nous souhaitons également que les règles de prescription s'appliquent pareillement aux époux et aux personnes liées par un pacte civil de solidarité. Ce sont des amendements consensuels qui vont dans le sens de la simplification du droit et d'une meilleure protection de nos concitoyens.

Cette proposition de loi est à l'image du travail de la mission sénatoriale, elle est cohérente, moderne et innovante et elle répond aux attentes des Français qui souhaitent que le droit soit plus accessible. Le Gouvernement la soutient. C'est la première étape de la modernisation de notre droit des obligations. Cette modernisation se poursuivra par la réforme du droit des contrats, puis par une refonte du droit de la responsabilité délictuelle. Ces travaux sont engagés. Ils permettront de disposer d'un droit civil rénové en profondeur. (Applaudissements à droite et au centre)

M. François Zocchetto. - Cette proposition de loi reprend un certain nombre des recommandations de la mission dont nos collègues Hugues Portelli et Richard Yung ont été les rapporteurs. La commission s'est demandé s'il fallait aussi d'intéresser à la prescription pénale. (Mme Borvo Cohen-Seat s'exclame) Cette proposition de loi s'en tient à la prescription civile, dont la réforme est nécessaire parce que sa durée actuelle de droit commun, de trente ans, est inadaptée aux sociétés contemporaines dans lequel l'accès à l'information est plus aisé et plus rapide. De plus, la multiplication excessive des délais particuliers, notamment pour la prescription extinctive, a rendu cette matière complexe et inintelligible. Le groupe de travail présidé par Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, recensait plus de 250 délais de prescription différents.

Les points de départ, les régimes de suspension et d'interruption, sont si différents et pléthoriques qu'il est extrêmement difficile aujourd'hui de savoir quelles sont les règles applicables. Cette complexité provoque une insécurité juridique, source abondante de contentieux qui peut générer un sentiment d'arbitraire.

Plusieurs rapports ont avancé des pistes de réflexion comme le projet Catala qui a réuni des universitaires, des magistrats et des avocats français ou le groupe de travail présidé par le président Weber ainsi qu'il a été dit. Si les solutions proposées ne sont pas toutes accueillies favorablement, le constat est unanime : une réforme du droit de la prescription est indispensable, car il s'agit d'un principe fondamental qui permet d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. Or, aujourd'hui, l'état du droit ne permet pas de le garantir.

La commission des lois s'est permis de réécrire cette proposition de loi, sous la présidence, il est vrai, de son auteur, M. Hyest. Mais l'essentiel des réformes a été conservé, le but étant d'abréger les délais, de diminuer le nombre des prescriptions, de simplifier le cours de la prescription et de faciliter les aménagements contractuels de la prescription.

Par rapport au texte initial, notre rapporteur propose de changer les structures du code civil en introduisant deux nouveaux titres : les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives. Cette réforme permettra une utile clarification des différents régimes en vigueur. Car si des règles communes régissent les prescriptions acquisitives et les prescriptions extinctives, la multiplication des exceptions, notamment pour les prescriptions extinctives, justifient cette proposition de loi.

Concernant la réduction des délais, les prescriptions extinctives passeront au droit commun : cinq ans au lieu de trente ans, ce qui n'est pas rien. Pour les prescriptions acquisitives, le délai est maintenu à trente ans, sauf en matière immobilière où il est proposé une durée abrégée de dix ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut bonne foi et juste titre !

M. François Zocchetto. - Certes ! Cette évolution législative est conforme avec la législation de nos voisins. Il ne faut pas négliger l'importance de la concurrence des systèmes juridiques européens. Nous devons retrouver une réelle attractivité en ce domaine, d'où cette substantielle réduction des délais.

Ainsi, en Allemagne, le délai de droit commun est passé de trente à trois ans, en Angleterre, il est de six ans et en Italie de dix ans.

S'il est difficile d'aboutir à une unification parfaite, nous nous félicitons des différentes initiatives européennes et internationales. Ainsi en est-il de l'Institut national pour l'unification du droit privé qui a posé les principes relatifs aux contrats du commerce international.

Cette proposition de loi prévoit également de rationaliser les prescriptions en réduisant le nombre des délais dérogatoires. La commission des lois souhaite mettre fin au régime particulier dit « présomptives de paiement ». En revanche, des délais plus longs sont maintenus pour l'exécution des décisions de justice et l'exercice des actions en responsabilité pour les dommages corporels ou causés par un ouvrage, pour l'action en réparation des préjudices résultant d'actes de torture ou de barbarie ou de violences ou d'agressions sexuelles sur mineurs, ainsi que pour les actions réelles immobilières.

Enfin, il convient de conserver le délai biennal de prescription de l'action des professionnels contre les consommateurs pour les biens ou services qu'ils leur fournissent.

Ce texte prévoit aussi de supprimer les règles d'interversion des délais et d'instaurer un délai butoir. Cette proposition avait été évoquée par l'avant-projet Catala mais n'avait pas reçu l'approbation de l'ensemble de la doctrine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais si !

M. François Zocchetto. - Le rapport Catala y était favorable, mais la doctrine l'avait critiqué, tout comme la Cour de cassation qui s'était déclaré hostile au délai butoir et avait jugé cette proposition constitutionnellement douteuse.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Tout à fait !

M. François Zocchetto. - Peut être parviendrons-nous à lui faire partager notre point de vue.

En résumé, ces mesures étaient attendues, surtout pour les délais, et même si elles ne font pas l'unanimité, elles permettent de simplifier le droit. Il aurait été possible d'aller plus loin en instaurant un délai de droit commun de cinq ans pour l'ensemble des prescriptions extinctives. Nous aurions pu aussi supprimer les délais préfix, jugés arbitraires. Mais nous posons aujourd'hui une première pierre à cet édifice de refondation du droit de la prescription. Il nous faudra en outre engager une réforme de la prescription pénale. La encore, la multiplication des dérogations, la diversité des régimes, des points départ, des cas de suspension ou d'interruption prévus par le législateur, rendent les prescriptions en matière pénale très peu cohérentes, sources d'insécurité juridique et d'un contentieux abondant.

Comme le rappelle le rapport d'information, l'analyse de M. Jean Danet consacrée à la prescription livre, sur la base des arrêts de la Cour de cassation publiés au bulletin entre 1958 et 2004, des indicateurs intéressants. Le pourcentage des cassations prononcées sur la question de la prescription s'élève à 37 %. En outre, ce taux tend à augmenter puisqu'il représente 46 % des pourvois fondés sur ce moyen, signe d'une complexité croissante du droit de la prescription. Le contentieux porte principalement sur le point de départ du délai de prescription et sur les causes d'interruption.

Or, la prescription est un des éléments constitutifs de notre droit pénal et le corollaire de deux autres principes fondamentaux de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : le droit à un procès équitable et le droit pour chacun d'être jugé dans un délai raisonnable.

Enfin, je tiens à saluer le travail de notre commission des lois. A l'heure où l'on parle beaucoup de la réforme des institutions et de la revalorisation des pouvoirs du Parlement, les différents travaux menés sur cette question montrent que le Parlement, notamment le Sénat, peut jouer un rôle majeur dans le processus législatif.

Le groupe UC-UDF votera sans hésiter cette proposition de loi. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cette proposition de loi a été déposée l'an dernier par le président de la commission des lois du Sénat.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Cette année !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Soit ! Elle est le produit d'observations anciennes. Mon collègue Yung aurait mieux parlé de ce texte que moi, car il a fait partie de la mission d'information de la commission des lois sur la nécessaire simplification de la prescription extinctive en matière civile. Car c'est de cela, et de cela seul, qu'il s'agit maintenant. Certes, Mme le garde des sceaux a fait allusion dans son discours à une prescription en matière pénale, mais il n'en est pas question dans le texte dont nous sommes saisis.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - J'ai parlé de l'action civile des victimes !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Certains avaient subodoré qu'il s'agissait de remettre en cause les règles de prescription en matière d'abus de biens sociaux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Non !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Il n'en a jamais été question. Mais la presse nous a tous interrogés sur ce point.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il n'y a que cela qui les intéresse !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cette proposition de loi ne traite absolument pas du droit pénal et le groupe socialiste la votera sous réserve qu'un de nos amendements soit adopté. Tel n'aurait pas été le cas si nous avions examiné les délais de prescription pénale, car les choses sont beaucoup plus compliquées.

C'est dès 1996 qu'aux Presses Universitaires de Toulouse, le professeur Alain Benabent stigmatisait Le chaos du droit de la prescription extinctive. En 2004, Mme le professeur Fauvarque-Cosson publiait ses Variations sur le processus d'harmonisation du droit à travers l'exemple de la prescription extinctive et la même année, Mme le professeur Lasserre-Kiesow titrait sa réflexion au Jurisclasseur : La prescription, les lois et la faux du temps.

Conformément aux voeux émis par le Président de la République Jacques Chirac - éminent spécialiste en matière de prescription - lors des célébrations du bicentenaire du code civil, une commission d'universitaires dirigée par le Professeur Pierre Catala a élaboré un avant-projet de réforme du Livre III du Titre III du code civil intitulé Des contrats ou des obligations conventionnelles en général. En ce qui concerne la prescription, l'avant-projet de réforme a été remis au garde des sceaux, M. Pascal Clément, le 22 septembre 2005 et a fait l'objet d'un important colloque à la Sorbonne le 25 octobre 2005.

En ce qui concerne la prescription, le professeur Malaurie a signé l'exposé des motifs concernant le livre III du code civil.

Ces éléments ont servi de base au travail de la mission d'information de la commission des lois, conduite par le président Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, qui a procédé à de nombreuses auditions entre février et juin 2007. Ils ont inspiré la présente proposition de loi, qui propose la réduction de la durée et du nombre des délais de la prescription extinctive, la simplification et la clarification des modalités de décompte et l'extension encadrée des possibilités d'aménagement contractuel. Elle permet aux parties d'allonger, dans la limite de dix ans, ou de réduire, dans la limite d'un an, la durée de la prescription, avec possibilité d'ajouter aux causes d'interruption ou de suspension de la prescription.

Ce dernier point motive nos réserves : nous craignons que la loi cesse de protéger le faible contre le fort, pour reprendre l'expression de Lamennais. Ce souci avait déjà conduit le rapporteur et la commission à prohiber toute possibilité d'aménagement contractuel dans le cadre des contrats d'assurance et des contrats conclus entre un consommateur et un professionnel. Nous proposons, par un amendement, que ces dispositions ne soient pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages. Le droit actuel doit perdurer. II ne faudrait pas que l'employeur puisse imposer à son salarié une durée de prescription inférieure à cinq ans ni que le bailleur professionnel puisse imposer à ses locataires une durée supérieure à cinq ans. Sous cette réserve, le groupe socialiste votera ce texte.

Je regrette également la suppression de l'article 2279 du Code civil.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il ne disparaît pas !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Les juristes auront du mal à s'y faire. Le texte ne change pas, mais on touche au plus célèbre article du code.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Le plus célèbre, c'est l'article 1382 !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - et 1384, bien connus chez nous grâce aux Galeries Belfortaises... Selon cette disposition, en matière mobilière, la possession de bonne foi vaut titre de propriété. Cette modification, loin d'être révolutionnaire, me semble inutile.

M. Hugues Portelli. - Ce texte apporte des modifications attendues au droit de la prescription civile. Nous devons saluer l'excellente initiative de notre président de la commission des lois, qui consacre une partie des propositions de l'avant-projet Catala sur la réforme du droit des obligations et de la prescription ainsi que les recommandations de la mission d'information de notre Haute Assemblée.

La nécessité de cette réforme fait l'objet d'un large consensus prétorien et doctrinal, tant en matière pénale que civile, fiscale et commerciale. Ce texte vise uniquement la prescription civile, dans l'attente d'une intervention du législateur en matière pénale. Ces deux domaines relèvent d'une logique différente : en matière civile, la finalité de la prescription est libératoire et acquisitive, ce qui induit une réduction des délais, alors qu'en matière pénale la prescription s'apparente à une forme d'oubli contre laquelle le législateur lutte de plus en plus.

La prescription civile souffre de sa longueur excessive et de la multiplicité de ses délais, ainsi que de l'imprécision de son régime d'application. Le délai de prescription de droit commun est actuellement de trente ans. Nos voisins de l'Union européenne, pour s'adapter à l'évolution des échanges et à l'accélération des transactions commerciales, l'ont ramené à trois ans en Allemagne et à six au Royaume-Uni. Ce texte prévoit de le réduire à cinq ans en matière d'action mobilière et personnelle, tout en préservant le délai de trente ans en matière immobilière. Il fixe un délai unique de dix ans pour l'usucapion, c'est-à-dire la prescription acquisitive en matière immobilière. Cette simplification rendra notre droit civil et commercial plus compétitif et adapté à une harmonisation à l'échelle communautaire.

Le nombre élevé de délais en vigueur rend le droit de la prescription incompréhensible pour les justiciables et difficilement maniable pour les praticiens. Les dérogations aux délais de droit commun vont de trois mois à trente ans ! Si l'instauration d'un délai unique n'est pas envisageable compte tenu de la diversité des situations juridiques, ce texte tente de ramener une grande partie des délais au nouveau droit commun de cinq ans, en préservant toutefois les dispositions spécifiques prévoyant des durées plus courtes. Cette généralisation ne peut qu'avoir un effet bénéfique pour la pratique juridique et réduire le nombre de contentieux en la matière, notamment devant la Cour de cassation.

La réduction de la confusion régnant entre des notions proches de la prescription comme les délais préfix, de forclusion et de garantie paraît nécessaire. Ce texte les soumet au même régime juridique que celui de la prescription dite ordinaire. Il prône par ailleurs la suppression des interversions de prescription et fait de la citation en justice une cause de suspension du délai, au même titre que la désignation d'un expert en référé, la médiation et la négociation de bonne foi. Il s'inspire également du dispositif de « délai butoir » institué dans des Etats voisins, au terme duquel le droit d'agir du créancier est définitivement éteint. Il innove en donnant plus de place à la liberté contractuelle et prévoit, dans son chapitre 3, une possibilité pour les parties d'aménager les délais sans dépasser dix ans ni descendre en deçà d'un an. La prescription des contrats d'adhésion, tels les contrats d'assurance et ceux conclus entre les professionnels et les consommateurs, échappe à la volonté des parties par souci de protection des non-professionnels.

Cette proposition de loi, qui apporte des solutions concrètes aux difficultés en matière de prescription civile, fait l'objet d'un large consensus politique et doctrinal dans l'attente d'un travail législatif d'une qualité équivalente pour le droit des obligations, s'inspirant des travaux de l'avant-projet « Catala ». Le groupe UMP soutient sans réserve ce texte qui permettra d'harmoniser les droits nationaux des pays européens. Il serait souhaitable, cependant, que la France ne se contente pas de rattraper son retard en la matière mais fasse oeuvre d'anticipation, innove et serve de référence comme il y a deux siècles avec le code civil. (Applaudissements à droite.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La nécessité d'une réforme des délais de prescription est évidente. Avec deux cent cinquante délais différents, la situation est inextricable. Plusieurs propositions ont été formulées par la Cour de cassation en 2001, 2002 et 2004, qui ont inspiré un projet de réforme du ministère de la justice. Le 22 septembre 2005, un avant-projet de loi de réforme des obligations et du droit de la prescription, élaboré par des professeurs de droit sous l'égide de Pierre Catala, a été présenté au garde des sceaux de l'époque. Cette réforme, qui prévoyait de réduire à dix ans le délai de droit commun de la prescription, est restée lettre morte jusqu'en février dernier, lorsque notre commission des lois a constitué une mission d'information et confié à nos collègues Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung le soin d'effectuer des propositions. Leur rapport, rendu en juin, contient sept recommandations en matière pénale, dix en matière civile. S'inspirant de ces recommandations et des propositions de l'avant-projet de loi de 2005, le président Hyest a déposé cette proposition de loi qui réduit à cinq ans le délai de droit commun, ce qui pose quelques problèmes.

Ce texte propose également de modifier les règles de la négociation de bonne foi entre les parties. Le recours à la médiation et la citation en justice deviennent des causes de suspension, et non plus d'interruption de la prescription. Cette proposition de loi consacre les solutions jurisprudentielles prévoyant que la prescription ne court pas tant que le créancier ignore l'existence ou l'étendue de sa créance ou tant qu'il se trouve dans l'impossibilité d'agir. Enfin, elle autorise, sous certaines conditions, un aménagement contractuel de la prescription. La commission des lois a entièrement réécrit le texte mais en a conservé le fond, à deux exceptions près : elle maintient l'effet interruptif de la demande en justice et laisse inchangées les règles relatives à la prescription des dettes des personnes publiques.

Elle instaure un délai butoir de vingt ans en matière de prescription extinctive, le délai de trente ans étant, selon le rapporteur, « inadapté au nombre et à la rapidité, croissants, des transactions juridiques ». Ces propos rejoignent ceux du professeur Malaurie, qui préconise un délai de prescription de droit commun de trois ans, comme en Allemagne, afin de garantir « le stimulant » nécessaire à l'activité économique, « la concurrence internationale » ou de retrouver « notre vitalité, condition de la croissance ».

Étrangement, ou non, le Président de la République et la garde des sceaux défendaient récemment la dépénalisation du droit des affaires en dénonçant le « risque pénal excessif qui entrave l'activité économique ». Le droit de la prescription serait-il devenu un enjeu économique ? Cette proposition de loi amorce-t-elle une réforme de la prescription en matière ?

Le délai de droit commun de cinq ans prévu par le texte est trop court. La prescription répond à un impératif de sécurité juridique. Elle sanctionne la négligence du titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif : cinq années passant très vite, ce dernier risque de ne pas avoir eu le temps d'exercer son droit ! Un délai de dix ans serait plus raisonnable.

Paradoxalement, la tendance est à un raccourcissement des délais de prescription en matière civile, alors que le législateur ne cesse de les allonger en matière pénale, multipliant les dérogations à la règle générale.

La proposition de loi prévoit encore de réduire de dix à cinq ans le délai en matière commerciale, en réponse à une demande des acteurs économiques. Une telle position n'est guère étonnante... Nous proposons pour notre part de maintenir le délai actuel. Nous défendrons également dans ce texte, comme vous nous y invitiez, notre amendement fixant à dix ans le délai au-delà duquel les sommes de contrats d'assurance vie non réclamés sont affectées au Fonds de réserve des retraites. Enfin, notre amendement proposant d'allonger le délai de prescription à l'intention des personnes victimes de maladies professionnelles a subi le couperet de l'article 40. On ne s'intéresse guère au sort des plus faibles...

Cette proposition de loi appelle donc un certain nombre de réserves. Si nos amendements ne sont pas retenus, nous nous abstiendrons.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Nous ne légiférons ni hors délais, ni hors sol ! L'ensemble des agents économiques que nous avons auditionnés -associations de consommateurs, représentants des chefs d'entreprise- souhaitent une réduction des délais de prescription. Le point de départ du délai est également important : on ne peut faire valoir ses droits qu'une fois que l'on a connaissance des faits. Notre position est équilibrée : bien des universitaires auraient souhaité plus court !

Cette proposition de loi traite exclusivement du domaine civil. L'allongement permanent des délais est sans doute utile en matière pénale mais, en matière civile, il faut au contraire une réduction généralisée. Il n'y a là aucune arrière-pensée : chacun sait qu'une réforme du droit de la prescription, comme de celui des contrats et des obligations, est nécessaire pour compléter la modernisation, par voie législative, de notre droit civil, après les réformes du droit de la famille, des successions et des libéralités.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Nous ne sommes plus sous Napoléon !

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

I. - Les articles 2270 et 2270-2 du code civil deviennent respectivement les articles 1792-4-1 et 1792-4-2 du même code.

II. - Le titre XX du livre troisième du même code est ainsi rédigé :

« TITRE XX

« DE LA PRESCRIPTION EXTINCTIVE

« CHAPITRE I

« Dispositions générales

« Art. 2219. - La prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps.

« Art. 2220. - Les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.

« Art. 2221. - La prescription extinctive est soumise à la loi régissant le droit qu'elle affecte.

« Art. 2222. - La loi qui allonge la durée d'une prescription ou d'un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. Elle s'applique lorsque le délai de prescription ou le délai de forclusion n'était pas expiré à la date de son entrée en vigueur. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé.

« En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

« Art. 2223. - Les dispositions du présent titre ne font pas obstacle à l'application des règles spéciales prévues par d'autres lois.

« CHAPITRE II

« Des délais et du point de départ de la prescription extinctive

« Section 1

« Du délai de droit commun et de son point de départ

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« Section 2

« De quelques délais et points de départ particuliers

« Art. 2225. - L'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.

« Art. 2226. - Les actions en responsabilité civile tendant à la réparation d'un dommage corporel se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage.

« Toutefois, en cas de préjudice causé par des tortures ou des actes de barbarie, ou par des violences ou des agressions sexuelles commises contre un mineur, l'action en responsabilité civile est prescrite par vingt ans.

« Art. 2227. - Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

« CHAPITRE III

« Du cours de la prescription extinctive

« Section 1

« Dispositions générales

« Art. 2228. - La prescription se compte par jours, et non par heures.

« Art. 2229. - Elle est acquise lorsque le dernier jour du terme est accompli.

« Art. 2230. - La suspension de la prescription en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru.

« Art. 2231. - L'interruption efface le délai de prescription acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien.

« Art. 2232. - Le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

« Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables dans les cas mentionnés aux articles 2226, 2227 et 2233, au premier alinéa de l'article 2241 et à l'article 2244. Elles ne s'appliquent pas non plus aux actions relatives à l'état des personnes.

« Section 2

« Des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription

« Art. 2233. - La prescription ne court pas :

« A l'égard d'une créance qui dépend d'une condition, jusqu'à ce que la condition arrive ;

« A l'égard d'une action en garantie, jusqu'à ce que l'éviction ait lieu ;

« A l'égard d'une créance à terme, jusqu'à ce que ce terme soit arrivé.

« Art. 2234. - La prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

« Art. 2235. - Elle ne court pas ou est suspendue contre les mineurs non émancipés et les majeurs en tutelle sauf pour les actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, pensions alimentaires, loyers, fermages, charges locatives, intérêts des sommes prêtées et, généralement, les actions en paiement de tout ce qui est payable par années ou à des termes périodiques plus courts.

« Art. 2236. - Elle ne court pas ou est suspendue entre époux.

« Art. 2237. - Elle ne court pas ou est suspendue contre l'héritier acceptant à concurrence de l'actif net, à l'égard des créances qu'il a contre la succession.

« Art. 2238. - La prescription est suspendue à compter du jour où, après la survenance d'un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou, à défaut d'accord écrit, à compter du jour de la première réunion de médiation.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter de la date à laquelle soit l'une des parties ou les deux, soit le médiateur déclarent que la médiation est terminée.

« Art. 2239. - La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès.

« Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée.

« Section 3

« Des causes d'interruption de la prescription

« Art. 2240. - La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.

« Art. 2241. - La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.

« Il en est de même lorsqu'elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l'acte de saisine de la juridiction est annulé par l'effet d'un vice de procédure.

« Art. 2242. - L'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.

« Art. 2243. - L'interruption est non avenue si le demandeur se désiste de sa demande ou laisse périmer l'instance, ou si sa demande est définitivement rejetée.

« Art. 2244. - Le délai de prescription ou le délai de forclusion est également interrompu par un acte d'exécution forcée.

« Art. 2245. - L'interpellation faite à l'un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d'exécution forcée, ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait, interrompt le délai de prescription contre tous les autres, même contre leurs héritiers.

« En revanche, l'interpellation faite à l'un des héritiers d'un débiteur solidaire, ou la reconnaissance de cet héritier, n'interrompt pas le délai de prescription à l'égard des autres cohéritiers, même en cas de créance hypothécaire, si l'obligation est divisible. Cette interpellation ou cette reconnaissance n'interrompt le délai de prescription, à l'égard des autres codébiteurs, que pour la part dont cet héritier est tenu.

« Pour interrompre le délai de prescription pour le tout, à l'égard des autres codébiteurs, il faut l'interpellation faite à tous les héritiers du débiteur décédé, ou la reconnaissance de tous ces héritiers.

« Art. 2246. - L'interpellation faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance, interrompt le délai de prescription contre la caution.

« CHAPITRE IV

« Des conditions de la prescription extinctive

« Section 1

« De l'invocation de la prescription

« Art. 2247. - Les juges ne peuvent pas suppléer d'office le moyen résultant de la prescription.

« Art. 2248. - Sauf renonciation, la prescription peut être opposée en tout état de cause, même devant la cour d'appel.

« Art. 2249. - Le paiement effectué pour éteindre une dette ne peut être répété au seul motif que le délai de prescription était expiré.

« Section 2

« De la renonciation à la prescription

« Art. 2250. - Seule une prescription acquise est susceptible de renonciation.

« Art. 2251. - La renonciation à la prescription est expresse ou tacite.

« La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription.

« Art. 2252. - Celui qui ne peut exercer par lui-même ses droits ne peut renoncer seul à la prescription acquise.

« Art. 2253. - Les créanciers, ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce.

« Section 3

« De l'aménagement conventionnel de la prescription

« Art. 2254. - La durée de la prescription peut être abrégée ou allongée par accord des parties. Elle ne peut toutefois être réduite à moins d'un an ni étendue à plus de dix ans.

« Les parties peuvent également, d'un commun accord, ajouter aux causes de suspension ou d'interruption de la prescription prévues par la loi.

M. le président. - Amendement n°9, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Rédiger ainsi le texte proposé par cet article pour l'article 2224 du code civil :

« Art. 2224. - Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par dix ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu les faits lui permettant de l'exercer. »

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous proposons un délai de droit commun de dix ans.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Avis défavorable. Un délai de cinq ans, comme en matière de créance périodique, nous paraît raisonnable. S'agissant du point de départ, il faut sanctionner la négligence du créancier.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Mêmes arguments. L'expression « aurait dû connaître » laisse au juge une marge d'appréciation. Un délai de cinq ans, conforme à la tendance européenne, est raisonnable. Défavorable.

L'amendement n°9 n'est pas adopté.

M. le président. - Amendement n°1, présenté par le Gouvernement.

Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2226 du code civil :

« L'action en responsabilité née à raison d'un évènement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Il s'agit d'étendre le délai de dix ans aux victimes par ricochet, souvent les proches parents d'une victime d'un dommage corporel. On évite ainsi de saisir deux fois le juge pour un même dommage. C'est une mesure de bon sens.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cet amendement complète très utilement le texte, dans l'intérêt des victimes et de la bonne administration de la justice. Avis favorable.

L'amendement n°1 est adopté.

M. le président. - Amendement n°2, présenté par le Gouvernement.

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2236 du code civil par les mots :

ainsi qu'entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Il s'agit d'étendre aux signataires d'un Pacs le bénéfice de la suspension du délai de prescription qui joue actuellement entre époux.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Une fois de plus, nous alignons les dispositions du Pacs sur celles du mariage... Favorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Très favorable ! (Sourires)

L'amendement n°2 est adopté.

M. le président. - Amendement n°3, présenté par le Gouvernement.

I - Dans le premier alinéa du texte proposé par le II de cet article pour l'article 2238 du code civil, après les mots :

à la médiation

insérer les mots :

ou à la conciliation

et après les mots :

à compter du jour de la première réunion de médiation

ajouter les mots :

ou de conciliation

II - Dans le second alinéa du même texte, après les mots :

soit le médiateur

insérer les mots :

ou le conciliateur

et après le mot :

médiation

insérer les mots :

ou la conciliation

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous voulons harmoniser les délais de prescription pour les médiations et pour les conciliations, afin d'encourager les modes alternatifs de résolution des conflits en garantissant aux parties une suspension de la prescription pendant leurs négociations.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cela complète utilement le texte. Rien n'empêchera les parties à un contrat de convenir librement les clauses de suspension. La commission veut fixer par défaut des règles intelligibles pour tout le monde.

L'amendement n°3 est adopté.

M. le Président. - Amendement n°8, présenté par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Compléter le texte proposé par le II de cet article pour l'article 2254 du code civil par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables aux actions en paiement ou en répétition des salaires, arrérages de rente, loyers et charges locatives afférents à des baux d'habitation, et fermages. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Cet amendement a été approuvé ce matin par la commission.

Le délai de prescription actuel des créances périodiques est de cinq ans. Il ne doit pas pouvoir être allongé ou raccourci contractuellement, au détriment de la partie faible à un contrat. Concrètement, il s'agit d'éviter qu'un employeur impose à ses salariés un délai de prescription de l'action en paiement ou en répétition des salaires d'un an ou qu'un bailleur professionnel impose à ses locataires une durée de prescription de l'action en paiement ou en répétition des loyers de dix ans.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - La commission a déjà interdit toute modification du délai des contrats du droit des assurances et de la consommation à cause de l'inégalité flagrante entre les parties. Cet amendement complète le texte dans le même esprit. Nous remercions M. Dreyfus-Schmidt de sa vigilance.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je m'associe à ces observations et à ces remerciements.

L'amendement n°8 est adopté.

L'article premier est adopté, ainsi que les articles 2 à 6.

Articles additionnels

M. le Président. - Amendement n°4, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le premier alinéa de l'article 10 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Lorsque l'action civile est exercée devant une juridiction répressive, elle se prescrit selon les règles de l'action publique. Lorsqu'elle est exercée devant une juridiction civile, elle se prescrit selon les règles du code civil. »

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - L'action civile pourrait être prescrite avant l'action publique. Ce n'est pas satisfaisant. Nous proposons de les aligner.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Cet amendement définit une règle générale très utile.

L'amendement n°4 est adopté et devient un article additionnel.

M. le Président. - Amendement n°6, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter de la manifestation du dommage. »

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Nous voulons, conformément aux conclusions du Grenelle de l'environnement, créer un délai de prescription spécifique à cette matière.

M. le Président. - Sous-amendement n°13 à l'amendement n°6 rectifié du Gouvernement, présenté par M. Béteille au nom de la commission.

I. Dans le texte proposé par l'amendement n° 6 pour l'article L. 152-1 du code de l'environnement, remplacer les mots :

trente ans

par les mots :

dix ans

II. Compléter ce même texte par un alinéa ainsi rédigé :

« L'article 2232 du code civil n'est pas applicable à la prescription prévue à l'alinéa précédent. »

M. Laurent Béteille, rapporteur. - La commission est perplexe. Imaginez qu'à cause d'une négligence un artisan provoque une pollution du sol et que celle-ci ne soit découverte que trente ans après. Soixante ans après, on poursuivrait ses héritiers ! Notre sous-amendement réduit donc ce délai à dix ans à partir de la manifestation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - La directive du 21 avril 2004, en cours de transposition, prévoit un délai de trente ans.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission Sa transposition ne sera pas facile ! Elle a déjà plus de trois ans ; elle est importante ou pas ? Il faudrait savoir si le délai court à partir de la manifestation du dommage ou de sa création. Faisons en sorte que les directives soient raisonnables et compréhensibles !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Et applicables !

M. Laurent Béteille, rapporteur. - L'amendement du Gouvernement est important parce qu'il retient la manifestation du dommage et non le fait générateur. Il faut trouver une solution raisonnable : comptons sur les députés et le Gouvernement.

Le sous-amendement n°13 est retiré.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Je ne reconnais pas dans les propos du rapporteur ce qui s'est dit ce matin : nous avons été unanimes à repousser l'amendement du Gouvernement, jugé absurde. Je ne me rappelle même pas qu'un sous-amendement ait été adopté. (Protestations sur le banc de la commission)

Mettons que ma mémoire m'abuse. Reste que nous avons eu des mots très durs contre cet amendement. La commission doit rester fidèle à elle-même.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission Nous ne savions pas, ce matin, qu'il y avait une directive en ce sens...

M. François Zocchetto. - On est dans une situation absurde : l'amendement du Gouvernement va à l'encontre de ce que nous cherchons à faire avec ce texte : réduire les délais de prescription.

Ensuite, s'agissant de dommage environnemental, une action publique sera engagée le plus souvent contre le délit ou la contravention. Deux délais coexisteraient, de cinq ans en matière pénale et de trente ans en matière civile. Loin de moi de ne pas vouloir respecter les normes européennes mais cet amendement manque singulièrement de cohérence !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Comment la contradiction a-t-elle été levée dans les pays qui ont déjà transposé ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Il faut rappeler la chronologie à M. Dreyfus-Schmidt. Ce matin, lorsque nous avons examiné l'amendement du Gouvernement, celui-ci ne faisait pas état de la directive mais du Grenelle de l'environnement : nous adoptions en conséquence le sous-amendement, avec l'idée qu'un délai de dix ans à partir de la constatation du dommage suffisait. Cet après-midi, Mme le garde des sceaux nous renvoie à la directive qui impose un délai de trente ans. La prudence est de rigueur, on risque une poursuite en manquement. Il est normal, dans ces conditions, de retirer le sous-amendement : nous avons l'information qui nous manquait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Trente ans à compter de la manifestation du dommage ? S'il est constaté au bout de trente ans, le délai complet sera de soixante ans : c'est absurde, comme la commission l'a unanimement dit ce matin !

M. François Zocchetto. - Pour un dommage environnemental, le délai ne sera pas le même selon que l'action sera engagée devant une juridiction répressive ou civile. Le contrevenant aura tout intérêt à ce que la plainte aille au pénal, c'est bien cela ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - La solution serait que le délai commence à compter du fait générateur, plutôt que de la manifestation du dommage.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - D'accord !

M. le président. - C'est donc l'amendement n°6 rectifié, présenté par le Gouvernement.

Après l'article 6, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le titre V du livre Ier du code de l'environnement est complété par un chapitre II intitulé « Actions en réparation » et constitué d'un article L. 152-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 152-1. - Les obligations financières liées à la réparation des dommages causés à l'environnement par les installations, travaux, ouvrages et activités régis par le présent code se prescrivent par trente ans à compter du fait générateur du dommage. »

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Nos remarques étaient justifiées !

L'amendement n°6 rectifié est adopté, il devient article additionnel.

Article 7

L'article L. 110-4 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Au I, le mot : « dix » est remplacé par le mot : « cinq » ;

2° Au III, les mots : « conformément à l'article 2277 du code civil » sont supprimés.

M. le président. - Amendement n°10, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

Supprimer cet article.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La réduction à trois ans du délai de prescription en matière commerciale ne protège pas suffisamment la partie faible du contrat.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Nous réduisons les délais de prescription au civil à cinq ans. N'allons pas faire une exception pour les professionnels, alors qu'ils sont mieux à même de s'organiser. Nous étions plutôt enclins à réduire ce délai à trois ans, comme le proposait le rapport Catala-Malaurie, mais nous avons choisi cinq ans par souci de cohérence. Avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Le délai sera de cinq ans pour les particuliers, mais de dix pour les commerçants, alors qu'ils peuvent mieux s'organiser ? Avis défavorable.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Je suis -par cohérence- favorable à un délai de dix ans pour les particuliers !

L'amendement n°10 n'est pas adopté.

L'article 7 est adopté, de même que l'article 8.

Article 9

A la fin du huitième alinéa (7°) de l'article L. 135-7 du code de la sécurité sociale, les mots : « au terme de la prescription fixée par l'article 2262 du code civil » sont remplacés par les mots : « n'ayant fait l'objet de la part des ayants droits d'aucune opération ou réclamation depuis trente années. »

M. le président. - Amendement n°11, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe CRC.

I. - Dans cet article, remplacer les mots :

trente années

par les mots :

dix années

II. - Ajouter un alinéa ainsi rédigé :

Dans le dernier alinéa (5°) de l'article L. 1126-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les mots : « trente années » sont remplacés par les mots : « dix années ».

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La dernière loi de financement de la sécurité sociale alloue au fonds de réserve des retraites, après un délai de trente ans, les montants de contrats d'assurance vie non réclamés. Nous réduisons ce délai à dix ans : c'est une proposition du médiateur de la République et une demande des associations de consommateurs.

Lorsque nous avons présenté cet amendement, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés, le rapporteur nous a invités à attendre la discussion d'aujourd'hui. Le délai de trente ans est d'autant moins nécessaire qu'avec les règles nouvelles, la plupart des bénéficiaires seront retrouvés...

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Le CRC veut allonger les délais de prescription, sauf ici, quand elle est acquisitive, nous préférons en rester à trente ans : avis défavorable.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Même avis.

L'amendement n°11 n'est pas adopté.

L'article 9 est adopté, de même que les articles 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 17

Article 18

I. - Les conséquences financières résultant pour l'État et ses établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. - Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics de l'application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.

M. le président. - Amendement n°5, présenté par le Gouvernement.

Supprimer cet article.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Je lève le gage.

M. Laurent Béteille, rapporteur. - Favorable.

L'amendement n°5 est adopté ; l'article 18 est supprimé.

L'article 19 est adopté.

Interventions sur l'ensemble

M. Alain Gournac. - Les règles de la prescription civile sont sources de confusion et d'insécurité juridique -les délais sont trop nombreux, leur décompte délicat et leur qualification aléatoire- et inadaptées à l'environnement juridique actuel. Cette proposition de loi comporte des avancées significatives. Le groupe UMP se réjouit de son inscription à l'ordre du jour réservé du Sénat et remercie tout particulièrement l'auteur du texte et président de la commission, M. Hyest, le rapporteur, M. Béteille, et les deux rapporteurs de la mission d'information, MM. Portelli et Yung. Cette initiative témoigne du souci constant de la Haute assemblée de simplifier les règles de droit. Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Nathalie Goulet. - Toute modernisation du système juridique est bienvenue. Toutefois, beaucoup reste à faire pour réconcilier les Français avec leur justice. Il faudrait notamment réduire les délais de procédure et réfléchir à une meilleure indemnisation des avocats commis d'office. Je profite de l'occasion pour attirer l'attention de Mme la garde des sceaux sur les délais de prescription fixés par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique. En matière de diffamation sur internet, sujet auquel je suis particulièrement sensible,...

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C'est du droit pénal ! Nous ne nous penchons que sur la prescription civile !

Mme Nathalie Goulet. - ...la victime dispose seulement de trois mois pour faire cesser la diffamation ou insérer un droit de réponse. Ces dispositions sont totalement inapplicables !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. - Juste !

Mme Nathalie Goulet. - Vous ne pouvez pas, en trois mois, trouver le serveur et obtenir l'insertion d'un droit de réponse.

Cela dit, le groupe RDSE votera ce texte.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. - Compte tenu du sort favorable réservé à l'amendement n°8, le groupe socialiste approuvera ce texte.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Aucun de nos amendements n'ayant été retenu, nous nous abstiendrons.

Les conclusions de la commission, modifiées, sont adoptées.

Recherche en milieu polaire (Question orale avec débat)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Christian Gaudin à Mme la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la recherche en milieu polaire, contribution de la science au développement durable.

M. Christian Gaudin, auteur de la question. - Je remercie M. le Président du Sénat et le président du groupe UC-UDF d'avoir accepté que l'on débatte de la recherche en milieu polaire alors que la France, en cette quatrième année polaire internationale, révise ses politiques à l'aune du développement durable. Alors que le Président de la République a lancé une réflexion sur la réforme des institutions, je veux souligner combien la formule de la question orale avec débat, propre au Sénat, participe de la mission de contrôle à laquelle le Président Poncelet est si attachée. L'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, l'OPECST, s'inscrit dans cette démarche de contrôle en s'inspirant des meilleures pratiques internationales. Ainsi, le rapporteur recourt à la contribution d'experts étrangers, organise des auditions publiques contradictoires et mesure l'audience de ses rapports dans les publications de référence et auprès du Gouvernement.

Madame la ministre, huit mois après la publication du rapport sur la place de la France dans les enjeux de la recherche en milieu polaire, je souhaite vous interroger sur les suites que vous comptez donner à ce travail.

La recherche fondamentale, et plus particulièrement celle menée dans les milieux polaires, a fortement contribué à la réflexion sur le développement durable. Les découvertes réalisées aux pôles ont permis la prise de conscience d'aujourd'hui. Parmi elles, on peut citer la découverte de l'affaiblissement de la couche d'ozone en Antarctique en 1987, la mise en évidence du réchauffement climatique à partir des forages glaciaires au Groenland et en Antarctique, l'impact d'une hausse de la température sur la biodiversité -une hausse de 0,3°C entraîne, par exemple, une diminution de 10 % de certaines populations de manchots !

Un exemple moins connu illustrera la contribution au développement durable de la recherche fondamentale en milieu polaire.

Maupertuis préférait une heure de conversation avec un indigène de la Terra australis incognita plutôt qu'avec le plus grand savant d'Europe. Eh bien, je vous propose d'en rencontrer un : le pétoncle austral (sourires), cousin de la coquille Saint-Jacques, mieux connue de nos assiettes. (Sourires) J'ai obtenu le prêt de deux coquilles de pétoncle : j'en ai fait parvenir une au ministre, l'autre au président de séance.

M. le président. - Je l'ai en main.

M. Christian Gaudin. - La coquille du pétoncle, comme les arbres sur terre, est susceptible de servir de thermomètre. L'espacement entre chaque strie sur sa coquille permet de connaître la vitesse de la croissance une année donnée, croissance liée à la température. Par ailleurs, l'analyse chimique de la coquille permet de reconstituer la température. En effet, pour se former, le calcaire, dont est constitué la coquille, a besoin d'oxygène, lequel est présent sous deux formes dans la nature, l'oxygène 16 et l'oxygène 18, qui se retrouvent en densité différente selon la température.

En recherchant leur quantité dans la coquille, on fait de celle-ci un thermomètre isotopique. Ce sont là les mêmes techniques que celles que l'on emploie pour restituer le climat du passé via les forages glaciaires ou l'étude des sédiments océaniques.

La coquille de pétoncle austral, qui existe depuis trente millions d'années, n'a pas épuisé toutes ses richesses. Elle permet de mesurer la salinité de l'eau, de rechercher la présence de métaux, d'étudier la circulation océanique. Des recherches peuvent être menées sur des coquilles fossiles pour reconstituer les événements climatiques du passé, avec une précision au demi-degré. Le lien entre pôle nord et pôle sud détermine pour beaucoup l'évolution des climats. L'augmentation de l'insolation dans l'hémisphère nord déclenche le passage d'une période glaciaire à une période interglaciaire, phénomène qui se transmet, via la circulation océanique, à l'Antarctique. La formation des eaux froides profondes est le moteur de cette circulation. Or, c'est dans ces eaux que vit le pétoncle. Vous voyez que le champ d'investigation est immense. Mais pour calibrer la technique, il faut savoir comment l'animal grandit, se nourrit... et donc l'examiner in situ, dans l'un des lieux les plus froids et les plus hostiles de la planète. Qui nous dit qu'une telle recherche n'aboutira pas à de nouvelles découvertes, à l'image des avancées en matière de cancer et de maladies nosocomiales obtenues grâce à la recherche sur l'estomac du manchot ?

La recherche sur la biodiversité est une entreprise majeure, hélas insuffisamment connue. Elle est intimement liée à la recherche sur le climat et aux sciences de l'univers. L'exemple que je viens de vous donner illustre l'excellence des équipes de recherche françaises, qui méritent d'être mieux soutenues. La recherche de haut niveau a un coût, que n'ignorent pas nos concurrents. Nos équipes doivent pouvoir s'équiper et recruter selon les standards internationaux.

Comment le gouvernement prévoit-il d'articuler la recherche fondamentale avec la stratégie nationale de développement durable ? L'ambition pour le développement durable ne doit-elle pas être ambition pour la recherche ? L'expertise, à force de se vouloir indépendante, pourrait bien en venir à ignorer la reconnaissance acquise par les travaux scientifiques. Chacun connaît la parabole de l'insensé qui bâtit sa maison sur le sable quand l'homme sage la bâtit sur le roc. Ne bâtissons pas une stratégie de développement durable sur le sable de la peur de l'avenir et des progrès scientifiques. Bâtissons-là sur le roc d'une recherche de haut niveau.

Comment le gouvernement compte-t-il mettre à niveau notre présence dans les régions polaires ?

La plupart de nos partenaires ont haussé la recherche en milieu polaire au rang politique. Le polaire s'inscrit pour eux sur le même plan symbolique que l'espace ou le nucléaire civil. Un haut niveau scientifique est pour eux le symbole d'une nation développée, tenant son rang international et les succès en cette matière sont prisés pour le prestige qu'ils confèrent. Ce n'est pas autrement que l'on doit considérer l'installation d'une base américaine permanente au pôle sud depuis 1957, la récente revendication sous-marine du pôle nord par la Russie ou l'investissement de plus en plus important consenti par la Chine qui veut s'installer sur le dôme A, sommet de l'Antarctique et lieu dont on extraira sans doute la glace la plus ancienne, vieille peut-être de un million deux cent mille ans. Ce n'est pas un hasard non plus, si le nom de Vostok, mot dont je n'apprendrai pas le sens à la russophone que vous êtes, madame la ministre, est à la fois celui d'un des navires de Fabian von Bellingshausen, qui découvrit le continent Antarctique en 1820, et celui du programme spatial qui permit à Youri Gagarine d'être le premier homme dans l'espace.

Je regrette que la France n'ait pas encore pris conscience de ce qui se jouait aux hautes latitudes. Nous sommes le grand pays présent aux pôles qui dispose des moyens logistiques les plus faibles : pas de moyens aériens ; pas de navire brise-glaces ; une base Dumont-d'Urville qui a besoin d'une urgente rénovation ; un Institut polaire dont le budget est phagocyté par le financement du Marion-Dufresne, excellent navire scientifique au demeurant... Quand nos partenaires allemands nous proposent de partager un nouveau brise-glaces européen, l'Aurora Boréalis, pour marquer la présence de l'Europe en Arctique et contribuer à la construction de l'Europe scientifique, nous devons passer notre tour, faute de moyens budgétaires... Ce projet est pourtant conforme tant à nos ambitions qu'à nos intérêts. Quels moyens supplémentaires entendez-vous engager, madame la ministre, pour permettre à la France de jouer toute sa place dans ces régions ?

Qu'en est-il de notre volonté de construire une « Europe polaire », comme nous avons construit l'Europe spatiale ? En ce domaine, notre pays a déjà fait beaucoup. Au nord, nous avons, pour créer une réelle synergie, fusionné notre station de recherche du Svalbard avec la station allemande. Mais cette initiative reste en manque de reconnaissance politique. Vous marqueriez fortement les esprits, madame la ministre, en inaugurant conjointement avec votre collègue allemande cette station commune. Le deuxième pilier de la dynamique européenne est au sud, avec la station franco-italienne Concordia. Seuls quatre pays, qui seront bientôt rejoints par la Chine, appartiennent au club très fermé des pays ayant une station permanente au coeur du continent Antarctique : les États-Unis, la Russie, l'Italie et la France.

Notre ambition ne doit-elle pas être aujourd'hui de conduire des coopérations croisées, au nord comme au sud, avec nos deux partenaires européens ? L'Europe polaire, comme l'Europe spatiale, sera d'abord intergouvernementale. Elle a besoin de votre impulsion. Alors que le projet européen reste synonyme pour bon nombre de nos concitoyens, de réglementation sur le fromage au lait cru ou de TVA dans la restauration, n'est-ce pas une formidable opportunité ?

La prochaine présidence de l'Union européenne devrait nous être l'occasion de prendre des initiatives et de lancer de nouveaux chantiers en matière de recherche aux pôles. Nos partenaires y sont prêts, les circonstances le demandent, les citoyens y adhéreront : n'attendons plus !

Cette ambition exige de se poser la question de notre organisation administrative dans les régions polaires. Comment expliquer, alors que nous retrouvons, au nord comme au sud, les mêmes partenaires et les mêmes concurrents, l'absence d'un pilotage unique ? Confier ce rôle à l'Institut polaire serait une option, créer un ambassadeur en mission aux régions polaires en serait une autre, qui permettrait d'unifier notre présence dans les instances concernées.

Au sud, où réside l'essentiel de nos moyens, les fonctionnaires des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) et l'Institut Paul-Émile Victor (IPEV) cohabitent parfois avec difficulté. Ces divergences ont pu être préjudiciables à notre action. S'il ne serait pas pertinent, tant en termes scientifiques, politiques que du point de vue des coopérations internationales, de revenir à la subordination de l'IPEV aux TAAF, il serait souhaitable de favoriser une meilleure collaboration en rapprochant les objectifs tout en distinguant plus clairement les missions et les responsabilités.

Des progrès peuvent être accomplis dans la coordination de l'action scientifique. Organisme de petite dimension et de création encore récente, l'IPEV n'a pas forcément atteint son équilibre. Ma conviction est que le recentrer et le renforcer est la plus solution la mieux adaptée.

Mon rapport met en lumière le risque que fait peser le financement et la gestion du Marion-Dufresne sur l'objet même de l'IPEV. Si elle devait représenter durablement plus de la moitié de son budget, l'IPEV se transformerait progressivement en simple gestionnaire de ce seul navire océanographique. Les dotations du ministère, bien que croissantes, ne parviennent pas à empêcher le phagocytage. Il convient de réagir dès aujourd'hui pour replacer ce navire dans le contexte plus général de la gestion des très grands équipements scientifiques, tout en prenant en compte son rôle particulier dans la desserte de souveraineté des terres australes françaises.

Ce recentrement des missions de l'Institut ne va pas sans renforcement. Le modèle de l'agence de moyens semble à cet égard pertinent, l'IPEV ne disposant pas de ses propres laboratoires mais ayant pour mission de mettre à la disposition de la communauté scientifique nationale les moyens de poursuivre des recherches dans les régions polaires. Car il n'y a pas à proprement parler de science polaire mais des recherches conduites en milieu polaire. Les laboratoires présents aux hautes latitudes sont tous engagés dans une démarche thématique plus large. L'astronomie en est le meilleur exemple. La station Concordia est sans doute parmi les endroits du monde les plus adaptés à l'observation spatiale, vraisemblablement supérieure, sous certains aspects, aux grands télescopes du Chili et au moins complémentaire. Des recherches du plus haut niveau ont lieu en Antarctique sur les neutrinos stellaires et l'origine de l'univers, à travers l'étude du fond cosmologique. Nous avons une formidable carte à jouer, mais nous en sommes encore insuffisamment conscients ! Si l'Institut polaire est susceptible de fournir l'accès aux pôles, il n'est pas doté de tous les moyens nécessaires pour coordonner pleinement la recherche menée dans ces régions. Or, il est loin d'être un simple pourvoyeur de moyens, puisqu'il effectue la sélection des programmes scientifiques.

Mais il ne se voit pas reconnaître pleinement la mission de définir et de coordonner une politique de recherche aux pôles, ce qui a une conséquence directe sur la liaison entre les laboratoires de métropole et le terrain. Aux hautes latitudes l'Institut polaire fournit les moyens nécessaires, mais en métropole les laboratoires ne bénéficient pas toujours d'une programmation cohérente pour leurs budgets, personnels ou équipements.

En matière de formation à la recherche et de recrutement, l'Institut polaire n'intervient pas en principe ; pourtant c'est lui qui a la possibilité d'envoyer un jeune scientifique en hivernage ou en mission estivale et qui finance certains programmes auxquels participent des doctorants. Son équivalent américain a, lui, les moyens financiers de recruter en post-doctorat de brillants jeunes docteurs français que l'on retrouve d'ailleurs, par vidéoconférence interposée, à la station Pôle sud ! Les difficultés de coordination ont un impact direct sur notre crédibilité internationale et sur le niveau des recherches que nous sommes susceptibles de mener à bien.

Nous devons prendre conscience des enjeux politiques et scientifiques des recherches menées en milieu polaire. Elles ont apporté et apporteront à l'avenir une contribution décisive à notre connaissance des changements climatiques et des risques que représente un appauvrissement de la biodiversité pour nos sociétés. Ces recherches ont changé et changeront notre manière de vivre et de voir le monde. Quelle place le gouvernement leur fera-t-il dans sa stratégie nationale de développement durable ? Comment comptez-vous prendre en considération les aspects stratégiques et politiques de ce qui se joue aux hautes latitudes ? Comment comptez-vous permettre à notre pays de se donner les moyens de l'excellence scientifique ? Quelles réformes entreprendrez-vous pour assurer un pilotage et une coordination efficace de notre présence dans ces régions ?

Le grand navigateur anglais James Cook, qui fut le premier à franchir le cercle polaire austral et à réaliser une circumnavigation de l'Antarctique, n'avait cependant pas pu atteindre le continent. Il aurait déclaré à son retour : « Si quelqu'un a le courage et la volonté d'apporter une réponse à cette question en allant encore plus loin que moi, je ne lui envierai pas la gloire d'une telle découverte, mais je me permettrai néanmoins d'affirmer que le monde n'en tirera aucun profit ».C'est la beauté de la démarche scientifique et de l'aventure humaine que d'avoir montré son erreur.

Il y a tout juste deux ans, le 25 novembre 2007, je rejoignais le grand continent blanc, celui des extrêmes, pour cinq semaines. J'ai vu de mes yeux ce que je viens d'évoquer et je garde au plus profond de moi le regard de ces treize premiers hivernants de la base Concordia qui y avaient passé neuf mois, coupés du monde. Ces pionniers nous ouvrent un avenir scientifique de premier ordre. (Applaudissements à droite).

M. le président. - Merci de ce témoignage passionnant.

M. Raymond Couderc. - Dans l'enceinte du Sénat, le 1er mars dernier, a été solennellement prononcée l'ouverture de la quatrième année polaire internationale. Ces années internationales, qui permettent d'engager des actions scientifiques déterminantes, sont nées du constat que l'observation du milieu polaire ne peut se faire efficacement que par le biais d'une coordination internationale. En 1882, la première était consacrée à l'étude du climat et de la géophysique aux pôles. En 1932, la deuxième permettait d'accomplir des progrès dans les domaines de la météorologie et du magnétisme. La troisième édition, en 1958, appelée « année géophysique internationale » impliqua 61 pays et fut l'une des plus grandes expériences de coopération scientifique internationale. Elle rencontra un tel succès qu'elle déboucha sur la signature du traité de l'Atlantique, en 1959, traité qui réserve le continent antarctique à la science et aux seules activités pacifiques, dans l'intérêt de l'humanité toute entière. La recherche en milieu polaire a donc bénéficié de la dynamique impulsée par les trois dernières années polaires internationales.

Mais celle qui vient de s'ouvrir est certainement différente car, dorénavant, les travaux polaires ont un enjeu majeur : comprendre l'actuel réchauffement climatique pour y trouver des solutions. Les années à venir seront déterminantes et les régions polaires sont les seules au monde à pouvoir nous raconter de manière précise l'histoire climatique de notre planète. Les minuscules bulles d'air enfermées dans les glaces nous racontent quand, comment et pourquoi l'environnement de la terre a fluctué au fil des siècles et des millénaires. Elles sont les témoins des changements majeurs du climat et de la biodiversité et on peut remonter à près de 850 000 ans grâce aux informations contenues dans la glace de l'Antarctique. Nous avons donc la chance de disposer sous les blanches étendues des pôles d'un patrimoine scientifique exceptionnel. Les forages en Antarctique ont démontré le lien extrêmement fort entre la température et deux gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone et le méthane. Ils ont montré que les concentrations actuelles sont survenues plus brutalement et sont plus fortes que celles des phases de réchauffement précédentes, ce qui prouve l'impact de l'action de l'homme. La recherche climatique dans les régions polaires doit être soutenue car elle conduira à de nouvelles découvertes.

Les pôles sont également les témoins privilégiés du présent. Les températures moyennes arctiques ont crû près de deux fois plus vite que la moyenne mondiale au cours des cent dernières années et, en trente ans, la superficie de la calotte glaciaire arctique a diminué d'un tiers. Le pôle nord subit donc déjà sévèrement les conséquences du réchauffement dans sa biodiversité et dans l'organisation de ses sociétés humaines. La glace se faisant moins épaisse, la pêche et la chasse sur la banquise du Groenland ne se pratiquent plus aussi longuement qu'auparavant : deux mois à peine, contre six il y a encore une dizaine d'années. Les modes de vie des populations sont affectés. Les changements climatiques, en rendant plus accessibles les ressources des sous-sols, risquent de favoriser une course internationale aux richesses énergétiques et minérales dans leurs régions, détruisant leurs modes de vie et leurs cultures. Aussi était-il important que la quatrième année polaire internationale inscrive pour la première fois dans ses objectifs de recherche les menaces pesant sur les populations autochtones. Plusieurs espèces d'animaux ou de mammifères marins font l'objet d'un suivi pour étudier leurs réactions aux variations de leur environnement. Les programmes abordent aussi la question de l'impact de la pollution sur l'écosystème fragile des pôles.

Nous devons absolument soutenir ces recherches, notre implication passée nous y oblige. La France a en effet une très belle et très longue tradition de recherche dans les régions polaires, depuis le 18ème siècle. Grâce à ses expéditions scientifiques et à ses explorateurs -Dumont d'Urville, Charcot ou, plus récemment, Paul-Émile Victor-, la France peut se prévaloir d'une présence privilégiée dans les pôles, notamment en Antarctique. Nous y disposons de plusieurs bases scientifiques menant une activité d'observatoire mondialement reconnue, dans les sciences de la vie comme dans les sciences de l'univers. Nous devons nous montrer fiers de cet héritage et fidèles à cette tradition d'exploration. Car si la présence française dans les terres polaires est l'héritage d'une histoire, elle donne également à notre pays la responsabilité de préserver ces écosystèmes uniques. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a pris sa place dans la préparation de l'année polaire en demandant à notre collègue Christian Gaudin de rendre un rapport sur les enjeux de la recherche aux hautes latitudes. Je me fonde sur les propositions de cet excellent rapport pour exprimer, Madame le ministre, notre souhait de voir renforcée la position de la France dans ses activités de recherche polaire.

Il faut développer notre présence en Arctique tout en maintenant une forte position au sud car certains thèmes doivent être traités dans les deux pôles et, surtout, les principaux enjeux politiques et économiques liés au changement climatique se situent en Arctique. Au sud, il faut renforcer notre soutien financier aux équipes de recherche qui doivent rester au plus haut niveau international alors que la concurrence se fait plus forte. Ce soutien doit notamment prendre en compte les besoins logistiques de nos équipes, dont les bases sont mal équipées. La rénovation de Dumont-d'Urville devient urgente, et il est globalement nécessaire d'accroître les moyens financiers de notre opérateur polaire, l'institut Paul-Émile Victor, lequel pourrait se voir confier la mission de définir les grands axes de recherche.

Je souhaite, Madame le ministre, connaître votre avis sur le développement d'une coopération européenne, et notamment sur la constitution d'un triangle France-Italie-Allemagne pour les questions polaires. Au coeur de l'Antarctique, la station Concordia bénéficie de conditions d'observation de l'espace uniques au monde, qui en font potentiellement l'un des meilleurs sites astronomiques sur terre. Il faut donc lui permettre de démontrer ses capacités dans un premier temps, avant de devenir un projet de plus grande ampleur. Le rapport de Christian Gaudin souligne la nécessité de réfléchir à sa complémentarité avec Dumont-d'Urville, située sur la côte. Quelle stratégie est envisagée sur ce point ?

Il est nécessaire de communiquer davantage sur la recherche en milieu polaire. Une meilleure compréhension des phénomènes et de leurs causes doit mener à une réelle prise de conscience du rôle de la recherche, bien sûr, mais aussi et surtout des changements de comportement et de société nécessaires pour relever le défi d'aujourd'hui. Il faut encourager nos jeunes à entreprendre des études scientifiques. La recherche polaire, qui permet de découvrir un monde fascinant et extrême, est idéale pour susciter des vocations. Je salue la communauté des chercheurs et explorateurs qui, étudiant avec passion les régions polaires, unissent leurs voix pour nous alerter depuis des années sur les risques que nous courons. Sachons les écouter et pensons aux générations futures en leur donnant les moyens de poursuivre leurs recherches. (Applaudissements à droite).

M. Gérard Le Cam. - La question de notre collègue Christian Gaudin, bien qu'il s'agisse de recherche en milieu polaire, est d'une brûlante actualité (Sourires). La semaine dernière, en Espagne, les membres du Groupement intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC) ont une nouvelle fois alerté les dirigeants de tous les Etats du monde sur les conséquences « soudaines et irréversibles » du réchauffement climatique.

La recherche en milieu polaire est un apport essentiel à la connaissance de la biodiversité et de l'évolution du climat. Elle permet de le reconstituer par modélisation, sur plus d'un million d'années, afin de montrer l'impact de l'homme sur son environnement et de comprendre les grandes tendances actuelles. L'intitulé d'un chapitre de l'excellent rapport de notre collègue, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), en résumait la problématique : Comprendre les climats anciens pour comprendre le futur du climat.

Insister sur l'importance de la recherche en milieu polaire, c'est aussi s'interroger sur les liens entre le développement durable et la recherche fondamentale. A cet égard, le Grenelle de l'environnement a rappelé que le diagnostic fait sur la dégradation de notre environnement et les décisions permettant d'y remédier ne sauraient exister sans connaissances scientifiques. Mais le rapport de M. Gaudin estime aussi que cette recherche n'a pas été prioritaire depuis une vingtaine d'années, tous gouvernements confondus.

Les grandes nations comme les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Allemagne, le Royaume-Uni ou l'Italie sont présentes sur les deux pôles. C'est un impératif pour tout pays qui souhaite améliorer ses capacités scientifiques. La France, en revanche, n'est pas à la hauteur des enjeux stratégiques de ces régions. Ses moyens financiers ne lui permettent pas d'assumer toutes ses responsabilités, d'assurer le parfait fonctionnement de ses bases, ni de préserver l'excellence de ses personnels. L'absence de politique globale explique les difficultés de coordination entre les ministères, ainsi qu'une ligne directrice floue en matière de coopération internationale, notamment européenne.

Votre budget n'accorde pas à la recherche le soutien significatif qu'elle mérite, Madame la ministre. A l'heure où Albert Fert, notre récent prix Nobel de physique, s'inquiète du nouveau mode de financement de la recherche que vous mettez en place, nous souhaitons des réponses concrètes sur les moyens que vous allez consacrer à la recherche en milieu polaire. (MM. Christian Gaudin et Cointat applaudissent)

Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.  - Je souhaite d'abord remercier le Sénat d'avoir inscrit à l'ordre du jour réservé cette question orale avec débat et je rends hommage au travail de M. Gaudin qui a publié, au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, un rapport remarqué sur l'Année polaire internationale.

Avant d'aborder le fond du débat, je souhaite répondre à M. Le Cam sur le budget consacré à la recherche cette année. Si vous étiez venu à l'invitation que j'ai adressée à tous les sénateurs, vous auriez entendu mardi dernier au ministère le discours de M. Fert qui n'était pas exactement celui que vous décriviez il y a un instant. Il reconnaît en effet les mérites d'une recherche sur projets et la légitimité d'une politique stratégique dans le cadre des grands organismes. Il a également dit son souhait de voir muscler la recherche partenariale et de voir les entreprises privées investir davantage dans la recherche. Or ce sont précisément les quatre piliers de notre politique en la matière : des universités puissantes et autonomes, des organismes de recherche d'excellence correctement évalués, une recherche sur projet dynamique et une recherche privée encouragée grâce au crédit d'impôt recherche. Le budget consacré à la recherche augmentera de 934 millions en 2008, soit bien plus que prévu par le Pacte pour la recherche de 2006. Le Président de la République et le Premier ministre ont en effet décidé de faire de la recherche et de l'université des priorités afin que la connaissance soit le moteur d'une croissance durable.

J'en viens à l'Année polaire internationale (API) : c'est un sujet passionnant et stratégique, car en rassemblant la communauté scientifique internationale autour de programmes ambitieux, coordonnés au niveau mondial, l'API fait avancer les connaissances sur les régions polaires où se trouvent une partie des réponses aux questions que la planète se pose sur l'évolution de son environnement.

Pour cette quatrième année polaire internationale, un premier bilan très positif peut être dressé. L'Agence nationale de la recherche aura soutenu vingt projets API pour un montant de 8,8 millions auxquels il faut ajouter les projets directement financés par l'Institut polaire Paul-Emile Victor (IPEV), ou par l'Institut national des sciences de l'univers (INSU). Avec les contributions du CNES, le soutien aux activités scientifiques des équipes françaises à l'occasion de l'API se monte à 15,5 millions. La France figure donc parmi les contributeurs les plus importants pour les activités scientifiques en milieu polaire.

Toutes les disciplines scientifiques sont concernées, des sciences humaines et sociales aux sciences biologiques et aux sciences de l'univers, comme l'astronomie. L'Année polaire internationale, c'est aussi l'opportunité de développer un dialogue direct entre les scientifiques et le public autour de problématiques qui concernent le futur de nos sociétés et d'intéresser les jeunes aux études scientifiques. Un effort particulier est fait par l'ANR qui abonde jusqu'à 5 % les projets labellisés API afin de financer des projets de vulgarisations scientifiques. Ces actions de communications ont été confiées à l'IPEV.

Ce succès n'est finalement pas étonnant car il s'inscrit dans la longue tradition de la recherche polaire française et il traduit aussi le renouveau des générations de chercheurs basé sur l'excellence, les équipes françaises se plaçant dans plus d'un quart des projets labellisés par le comité de l'Année polaire internationale. Cette excellence française prend parfois la forme incongrue d'une coquille de pétoncle, comme l'a rappelé M. Gaudin, et comme j'ai pu personnellement le vérifier le 26 octobre, en visitant les laboratoires de l'Ifremer et de l'Institut européen de la mer situés à Brest. C'est dans ces laboratoires que des équipes françaises et internationales de chercheurs viennent étudier la composition de la coquille de pétoncle afin d'en déduire les évolutions passées du climat. La coquille Saint-Jacques et sa cousine australe présentent, en plus de leur qualité gustative, une grande valeur scientifique. Mais pour tirer des enseignements de ces recherches, nous devons relever deux défis. Le premier est celui de l'organisation de la recherche afin de permettre les découvertes futures et l'avancement de la connaissance. Il convient de privilégier quatre piliers : des universités puissantes et autonomes, des organismes menant une politique scientifique d'excellence, une recherche sur des projets dynamiques, enfin, une recherche privée plus active. Ces quatre piliers, qui bénéficieront de l'expertise de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur, sont complémentaires. Le pétoncle austral est un excellent exemple de la bonne coordination qui doit exister entre opérateurs de recherche et agences de moyens, comme l'INSU et l'IPEV, pour faire émerger des thématiques interdisciplinaires alliant des modèles biologiques à des sujets beaucoup plus généraux tels que la modification du climat.

Le second défi que nous devons relever est celui du lien qui unit science et société, qui permet la transmission des savoirs scientifiques aux citoyens mais surtout qui aide à la décision des pouvoirs publics et des acteurs économiques. Le cas du GIEC est exemplaire car il a su imposer sa légitimité. Les différents scénarios d'évolution du climat élaborés par le GIEC éclairent aujourd'hui l'ensemble des décisions publiques ou privées, nationales et internationales, de prévention des effets des changements climatiques. Ses travaux permettent de réaffirmer l'excellence de la recherche française en milieu polaire. Est-il besoin de rappeler la part prépondérante prise par les scientifiques, les techniciens et les logisticiens français dans les travaux du forage glaciaire profond Epica qui a permis de recueillir les échantillons de glace nous révélant 800 000 ans d'histoire climatique ? Je me réjouis du prix Nobel de la paix obtenu par le GIEC car il récompense la contribution des chercheurs français au sein du groupe d'experts et notamment celle de Jean Jouzel, glaciologue et spécialiste du réchauffement climatique, médaille d'or du CNRS en 2002. Cette qualité est aussi démontrée par les standards scientifiques internationaux des publications, qui placent notre pays au cinquième rang mondial sur l'Antarctique et au premier rang mondial sur le Subantarctique, devant les États-Unis. C'est assez rare pour le faire remarquer.

Mais le changement climatique n'est pas le seul grand thème sociétal actuel. La biodiversité, l'écotoxicologie sont aussi au coeur des préoccupations des citoyens comme en témoigne le Grenelle de l'environnement. C'est pourquoi la recherche conduite dans ces zones polaires fragiles ne doit pas être opportuniste mais confrontée à celle menée dans le reste du monde. Je me félicite d'ailleurs que vous ayez utilisée la notion de « recherche en milieu polaire » et non de « recherche polaire ».

L'excellence de la recherche française en milieu polaire c'est aussi une agence de moyens, rompue à la logistique de ces milieux extrêmes : l'Institut polaire Paul-Emile Victor qui développe des programmes de recherche de premier plan appuyés sur une technologie et une logistique polaire unique. Conscient de la qualité de cet institut et de la priorité des recherches en milieu polaire, le ministère a décidé d'augmenter de 5 % son budget, augmentation qui s'ajoute à celle accordée pour l'Année polaire internationale et qui démontre l'intérêt de l'État pour la recherche en milieu polaire. Seule la mise en commun de moyens nationaux permet d'organiser des campagnes de grande envergure dans des milieux extrêmes et de dresser un véritable état des lieux dans des domaines en évolution rapide.

En ce qui concerne le navire Marion-Dufresne, je tiens à féliciter les équipes de l'IPEV qui l'utilisent plus de 200 jours par an. Doté d'équipements scientifiques uniques au monde, ce fleuron de la flotte européenne devrait figurer sur une ligne budgétaire dédiée aux très grands investissements de recherche afin d'assurer son fonctionnement avec plus de sérénité. En outre, un comité stratégique de la flotte océanographique devrait être créé dès l'année prochaine et l'avenir du Marion-Dufresne II sera l'un de ses premiers sujets de réflexion.

La recherche en milieu polaire est par essence internationale car les territoires sont internationaux et les milieux extrêmes. Il ne peut donc y avoir de recherche isolée en milieu polaire au risque de se transformer en aventure hasardeuse. Vous savez ce qu'il en est, monsieur Gaudin, vous qui êtes le seul sénateur à vous être rendu en antarctique...

M. Christian Gaudin. - Le seul parlementaire !

Mme Valérie Pécresse, ministre. - Cette recherche de pointe doit avoir une organisation solide dans un cadre européen. La France, par le biais de l'IPEV, avec le soutien de ses partenaires allemand et italien, a pris l'initiative de la constitution d'un Europolar qui regroupe dix-neuf pays, y compris la Russie, et vingt-cinq institutions. Bénéficiant du soutien de l'Europe, ce projet jette les bases de ce qui pourrait devenir une entité polaire européenne.

Après avoir effectué un inventaire des forces européennes, le consortium présidé par Gérard Jugie, le directeur de l'Institut Paul-Emile Victor, définira les objectifs de cette institution dans laquelle la France aura toute sa place. Elle en constitue déjà un élément prépondérant avec une base arctique commune avec l'Allemagne, et une base antarctique avec l'Italie. J'irai au printemps prochain inaugurer la station franco-allemande avec mon homologue allemand, Annette Schavan. La station antarctique franco-italienne est régulièrement citée en exemple par les parties contractantes au traité sur l'Antarctique, pour ses bonnes pratiques de partage des installations et en raison des exigences purement scientifiques à la base du projet Concordia. Nos partenaires allemands ont demandé à s'y inscrire, ce dont nous discutons avec les Italiens. Lors de la présidence française de l'Union européenne au second semestre 2008, j'aurai l'occasion de renforcer le dynamisme européen dans le domaine de la recherche.

L'exploration scientifique polaire relève d'enjeux stratégiques cruciaux pour notre pays. Le premier est celui de la souveraineté maritime, qui fait l'objet du programme d'extension de notre zone économique exclusive, appelé Extraplac, c'est-à-dire extension raisonnée du plateau continental. La France, présente sur tous les océans du globe, est en mesure de revendiquer des surfaces importantes, de plus d'un million de kilomètres carrés, devant la commission des limites du plateau continental (CLPC) des Nations unies, avant le 13 mai 2009. En vertu de notre souveraineté terrestre, il nous faudra exploiter de manière raisonnée ces territoires fragiles, sur lesquels nous devrons faire respecter les lois de la République et les traités internationaux.

Le deuxième enjeu est celui de la biodiversité. Pour ce qui est des écosystèmes, la France est la seule grande puissance économique et scientifique à disposer d'une implantation originale allant de l'Équateur aux hautes latitudes, passant du subantarctique à l'Antarctique côtier et, plus récemment, au sein du continent avec nos collègues italiens. Tous nos territoires, et en particulier les Terres australes et Antarctiques Françaises, peuvent accroître notre capacité à répondre aux interrogations de la société sur le climat ou encore la biodiversité. J'appelle d'ailleurs de tous mes voeux la mise en oeuvre des recommandations du comité consultatif du mécanisme international d'expertise scientifique sur la biodiversité et la création d'un groupe intergouvernemental d'experts sur la biodiversité, à l'image du GIEC.

Je voudrais pour conclure remercier le sénateur Christian Gaudin, et plus généralement les membres de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, pour le travail remarquable accompli depuis des années. Je citerai les rapports récents sur les biotechnologies ou les nanotechnologies, qui doivent nourrir le débat public actuel trop souvent alimenté, voire pollué, par des peurs irraisonnées. La mission de cet office est essentielle au bon fonctionnement de nos institutions comme de notre système de recherche. (Applaudissements à droite et au centre.)

La séance est suspendue à 18 h 5.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.

Marché vitivinicole

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la commission des affaires économiques sur la proposition de résolution présentée en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements.

Discussion générale

M. Gérard César, auteur de la proposition de résolution et rapporteur de la commission des affaires économiques.  - En juillet, la commission des affaires économiques adoptait à l'unanimité une proposition de résolution très critique sur la réforme de l'organisation commune de marché (OCM) vitivinicole. Si nous revenons aujourd'hui sur le sujet, c'est que la phase finale de négociation est en cours à Bruxelles, et que le Gouvernement a besoin d'y être soutenu, tant les enjeux sont grands pour la filière et les rapports de force tendus.

L'Europe du vin traverse une véritable crise : la montée en puissance des pays producteurs du nouveau monde et la diminution de la consommation sur notre continent entraînent des surproductions chroniques et une baisse des prix, donc des revenus des producteurs.

Les propositions de réforme de la Commission européenne, d'inspiration très libérale, ont suscité une vive hostilité : la commission des affaires économiques a ainsi adopté en juin le rapport d'information très critique que j'avais présenté. Après nous avoir assuré qu'elle avait entendu ces reproches, Mme Fischer Boel, Commissaire européen, a présenté en juillet une version révisée de ses propositions, mais qui ne revenait pas sur les points fondamentaux de la réforme.

En réaction, notre commission a adopté à l'unanimité une proposition de résolution réaffirmant notre hostilité au projet de réforme et proposant des mesures alternatives. Fort de ce texte, je me suis rendu plusieurs fois à Bruxelles avec M. Roland Courteau pour y rencontrer Mme Fischer Boel, sa directrice de cabinet, le directeur général de la « DG agri », et enfin le rapporteur du Parlement européen sur le texte qui partage les positions françaises. Mais les responsables de la Commission restent réticents à toute inflexion notable du projet de réforme. Malgré certaines avancées sur l'obligation d'arrachage -deux cents mille hectares, contre quatre cents initialement- ou les actions de promotion, nos interlocuteurs ne nous ont pas semblé prêts à évoluer sur la distillation de crise, les prestations viniques ou l'enrichissement.

Les responsables du ministère de l'agriculture chargés du dossier ont confirmé à notre groupe de travail « vigne et vin » que les négociations en cours sont extrêmement serrées entre une Commission qui cherche à préserver son projet de réforme initiale et des États membres défendant des positions qui vont de la libéralisation totale du secteur au maintien d'une véritable OCM.

Au milieu, la France défend un modèle d'organisation de marché équilibré et durable. La Commission européenne souhaite parvenir à un compromis sous présidence portugaise, d'ici la fin 2007, ce qui implique des concessions de part et d'autre. Il nous a donc semblé utile de soutenir les représentants français via cette proposition de résolution, que nous examinons le jour même où la commission agriculture du Parlement européen débat du sujet.

L'importance et la spécificité de la filière commandent en effet le maintien d'une OCM particulière. Concernant la gestion du potentiel de production, la résolution prend acte de la réduction des surfaces visées par l'arrachage et reconnaît l'opportunité de maintenir un dispositif régional d'incitation à l'arrachage incitatif, reposant sur le volontariat. La régularisation des dizaines de milliers d'hectares illicitement plantés en Espagne et en Italie apporterait déjà une première réponse à la surproduction. En revanche, l'ouverture des droits à planter est totalement contradictoire avec la politique d'arrachage et risquerait de provoquer de nouvelles surproductions.

S'agissant des mécanismes de régulation des marchés, ce texte réaffirme notre hostilité à la suppression des différents régimes de distillation et insiste sur notre attachement à des dispositifs visant à prévenir et gérer les périodes de crise, récurrentes dans la filière vitivinicole. Il réaffirme également la nécessité de maintenir, sur financement communautaire, un dispositif de prestations viniques pour garantir des pratiques vitivinicoles durables, respectueuses de l'environnement et des nappes phréatiques.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche. - Absolument.

M. Gérard César, rapporteur. - Nous prenons acte du projet de la Commission d'affecter une partie significative du budget de l'OCM à l'abondement d'enveloppes dont la gestion serait réservée aux États membres, mais nous plaidons pour un gel de leur répartition entre États.

Profondément hostile à l'interdiction de la chaptalisation, notre texte propose de maintenir la pratique ancestrale de l'enrichissement dans les régions où elle est traditionnelle comme alternative à l'adjonction de moûts concentrés.

Enfin, les crédits consacrés à la promotion sont ridicules : 3 millions d'euros pour le marché européen, qui représente 70 % de la consommation mondiale ! La proposition de résolution demande la création d'instruments de suivi du marché, la mise en place d'une campagne d'information et de promotion et des crédits pour reprendre des parts de marché dans les pays tiers.

La viticulture européenne est en danger, mais elle reste la première au monde, en termes de production, de consommation et de prestige. Nous pouvons la maintenir à ce niveau d'excellence si nous nous en donnons les moyens : notre proposition de résolution, enrichie des apports de MM. Courteau et de Le Cam, adoptée à l'unanimité par notre commission, entend y contribuer. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Roland Courteau. - La réforme de l'OCM vitivinicole intervient dans un contexte de crise particulièrement sévère : certains de nos viticulteurs perdent jusqu'à 1000 euros par hectare et doivent se résoudre à l'arrachage, véritable crève-coeur, ou solliciter le RMI. Il faut mettre fin à ce marasme : il en va de la vie ou de la mort de pans entiers de notre économie et de nos territoires.

Pourtant, grâce à des efforts de qualité, notre viticulture a largement les moyens de ses ambitions. La diversité et la complémentarité de ses productions, son image d'authenticité, son ancrage dans de remarquables terroirs comptent parmi ses meilleurs atouts. Ce ne sont pas mes collègues Dussaut, Rainaud, Tropéano ou Domeizel qui me contrediront !

M. Roland Courteau. - Les causes de la crise sont connues : baisse de la consommation en France, diminution des exportations, affaiblissement des mécanismes de régulation du marché. L'actuelle OCM a montré ses limites : il faut la réformer en profondeur. Nous devons conserver une OCM spécifique pour la filière, dotée d'instruments de soutien adaptés. Je souscris aux propos de notre rapporteur.

La Commission européenne a certes fait des propositions de réforme. Mais certaines sont ultralibérales et les autres dénuées d'ambition. Elle doit revoir sa copie. Ce n'est pas la première fois que l'Europe fait fausse route : elle a imposé des friches dans les grandes cultures et on voit aujourd'hui à quelles hausses de prix cela nous a menés.

Point numéro un dans l'échelle des dangers des propositions de la Commission sur l'OCM Vin : la libéralisation des plantations à l'horizon 2013. Voilà bien une mesure à caractère ultralibéral, qui menace l'existence même des appellations d'origine et des indications géographiques. Cette proposition menace aussi les vins de table : la liberté de planter conduira à des plantations massives dans les pays qui bénéficient d'une législation fiscale et sociale plus avantageuse. Il faut assurer la maîtrise du potentiel de production, par un encadrement des plantations. C'est une priorité absolue, ni négociable, ni amendable.

Comment ne pas relever cette incohérence -à moins que ce ne soit un acte trop bien réfléchi- d'inciter à l'arrachage de 200 000 hectares, dans un premier temps, pour laisser, dans un deuxième temps, la liberté totale de planter. Ainsi disparaîtront un grand nombre d'exploitations familiales qui, en 2013, laisseront leur place à de grands groupes financiers. Serait-ce là l'objectif poursuivi par la Commission européenne ? Cette proposition est du même tonneau (sourires) que celle qui, dans les premières esquisses, visaient à autoriser la vinification des moûts importés ou le mélange de vins communautaires !

On parle d'arrachage. Priorité aurait dû être donnée au règlement en urgence du dossier des 120 000 ou 150 000 hectares de plantations illicites. Le directeur général de l'agriculture nous a bien dit, au cours de notre rencontre à Bruxelles, que le processus était engagé avec l'Espagne et devrait se poursuivre ensuite avec l'Italie. J'espérais mieux et plus vite, d'autant que ce dossier ne date pas d'hier. L'arrachage, j'y insiste, ne doit pas être une fin en soi, mais un dispositif suffisamment encadré et intelligent pour éviter de trop grandes coupes dans notre potentiel de production, la disparition des vignes en zone difficile ainsi que le mitage des vignes et les atteintes aux paysages. Je regrette que notre proposition sur l'arrachage temporaire se soit perdue dans les sables.

On me dit que l'arrachage, véritable crève-coeur, peut aussi être un moyen d'accompagnement social pour des viticulteurs en difficulté. Sans doute, mais ne pouvait-on régler ce problème social autrement qu'en détruisant une partie du potentiel de production ? Surtout lorsqu'on affiche l'ambition de rester le premier pays viticole du monde. Cet accompagnement social peut aussi être conforté par des formules de préretraite d'un niveau tout autre que l'actuel mais, comme il s'agit d'un cofinancement, il faut que des crédits nationaux soient disponibles. L'Union européenne l'avait proposé pour un montant de 18 000 euros par an, cofinancés à parts égales par l'Europe et par les États membres. Quelle est votre position, monsieur le ministre, sur cette question ?

J'insiste également sur l'absolue nécessité de s'appuyer sur un dispositif obligatoire de gestion de crise, propre à assurer, en cas de conjoncture difficile, l'équilibre entre l'offre et la demande, y compris par la mise en place d'outils de régulation de marché. Vouloir les supprimer relève d'un calcul erroné de la part de la Commission : a-t-elle seulement réfléchi aux conséquences des surplus d'offre conjoncturels ? Ces mesures auraient été inefficaces dans le passé ? C'est qu'elles étaient facultatives et tardives. Nous avions soulevé ce problème dans notre rapport de 2002. Il faut vraiment un filet de protection face aux aléas conjoncturels !

Le calcul est tout aussi erroné quand la Commission propose de supprimer les prestations viniques et les financements communautaires. Elle semble privilégier la recherche d'économies sur les exigences environnementales. Comment la commissaire Fischer-Boel ose-t-elle dire que l'épandage des marcs et des lies serait une solution ?

Autre projet inquiétant : la libéralisation de l'étiquetage. La Commission envisage de donner la possibilité aux vins sans indication géographique d'utiliser la mention du cépage et du millésime afin de concurrencer les vins des pays tiers sur le marché mondial. On risque ainsi de déstabiliser la filière de production, en suscitant la confusion dans l'esprit du consommateur qui aurait toutes les difficultés à faire la différence entre les vins agréés et les autres, produits sans discipline. Déjà difficile, la lisibilité de l'étiquetage y perdrait encore ! Et on créerait une concurrence déloyale entre deux types de produits, alors que les uns respectent un cahier des charges qualitatif strict et que les autres disposent de grandes libertés. En outre, on favoriserait ainsi l'apparition de mélanges de vins de différents pays de la Communauté, avec indication de cépage mais à la composition incertaine. Et il y a fort à craindre que l'on ait une surproduction de vins de table avec indication de cépage, ce qui aurait pour effet mécanique de faire chuter les cours de tous les vins. L'on aurait alors un marché des vins de cépage à deux vitesses et à deux prix, et le marché s'orienterait vers le moins rémunérateur pour le producteur. Il est vrai que la consommation de vin, et notamment de vins de cépage, s'accroît dans le monde. C'est justement pour en bénéficier qu'ont été créés les vins de pays.

Sur la chaptalisation, le Languedoc-Roussillon serait plutôt enclin à suivre la Commission : on pourrait ainsi retirer du marché 4 à 5 millions d'hectolitres. Mais j'ai bien compris que je ne suis pas majoritaire sur ce dossier et qu'un grand nombre de mes collègues, élus d'autres régions, veulent maintenir un régime traditionnel. Toutefois, au nom de l'équité, je demande le maintien des aides à l'enrichissement par moûts concentrés rectifiés. Qu'en pense le Gouvernement ?

Concernant l'abondement d'enveloppes nationales, il est absolument nécessaire que la clef de répartition soit maintenue. Ce point non plus n'est pas négociable. Les instruments finançables dans ce cadre doivent surtout concerner les actions de recherche et de développement, les mesures de modernisation de la filière -mot que je préfère à celui de restructuration- ou encore le soutien aux organisations de producteurs. Sur ce point, j'avais proposé à la commission des affaires économiques, en juillet dernier, un amendement à une précédente proposition de résolution. Pour produire du vin demain, il faut améliorer notre capacité à vendre, avec des investissements, pour redonner plus de compétences, plus de poids à l'exportation.

Je m'inquiète aussi du transfert du Conseil vers la Commission européenne de compétences en matière oenologique. Le Gouvernement doit absolument s'opposer à un transfert aussi dangereux pour la viticulture européenne.

Je suis stupéfait de la faiblesse des sommes qui sont consacrées à la promotion intracommunautaire. Comment peut-on négliger à ce point un marché européen qui représente près de 80 % du marché mondial ? Comme le rapporteur, je demande une revalorisation substantielle de ces financements afin de mener à l'échelle européenne des campagnes de communication pour une consommation responsable et modérée. Même remarque à propos des crédits affectés à la promotion vers les pays tiers : 120 millions, c'est trop peu !

Le salut de la viticulture française et européenne se trouve à l'exportation car la demande mondiale progresse. À l'horizon 2010, l'augmentation de la consommation sur dix ans sera de 20 % aux États-Unis et de 20 à 30 % en Russie ou en Chine. Voilà l'occasion de saluer l'inauguration, à Shanghai, de la Maison du Languedoc-Roussillon !

Plusieurs entreprises audoises ont également signé des accords avec la Chine. Avec l'augmentation de la consommation dans le monde, de telles initiatives apportent une note d'optimisme : le marché vitivinicole demeure un marché d'avenir.

Je me félicite, enfin, que l'idée fasse son chemin qu'une consommation de vin, modérée et responsable, a des effets bénéfiques sur la santé, dans le cadre d'une alimentation équilibrée. Nous le disions en 2002 dans notre rapport sur l'avenir de la viticulture française : il est temps de diffuser plus largement ce message, parce que nous disposons d'études qui l'attestent, et que les consommateurs sont prêts à l'entendre. Nous proposons à notre commission de réaliser une synthèse des études relatives aux effets sur la santé de chaque type de boisson.

La réforme proposée par la Commission européenne ne nous fera pas reconquérir des marchés, elle risque plutôt de bouleverser, par son libéralisme, les équilibres de la filière. Aux côtés de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal, la France doit jouer un rôle de leader, animer un front uni dans cette négociation ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Élisabeth Lamure. - La France serait-elle la France sans sa diversité, à laquelle nous sommes tous attachés ? Le projet de réforme du secteur viticole, qui a soulevé un tollé chez les viticulteurs et qu'on ne saurait accepter, divise les Vingt-sept. Les pays producteurs le repoussent, alors que les autres États membres souhaitent aller encore plus loin pour réduire les crédits alloués à ce secteur par l'Union.

Les stocks européens augmentent, sous l'effet d'une perte de parts de marché plutôt que d'une baisse de la consommation qui, au niveau mondial, augmente de 5 % par an. La nouvelle OCM vitivinicole ne devrait pas promouvoir l'arrachage, mais plutôt une politique de communication, de promotion, d'accompagnement, pour une adaptation des produits aux consommateurs.

La France, premier pays viticole de l'UE, doit faire entendre sa voix pour s'opposer aux dispositions de la réforme qui vont contre les intérêts de la viticulture française et européenne. Vice-présidente du groupe d'étude vigne et vin du Sénat, et sénatrice d'un département de viticulture, le Rhône, en tant qu'élue locale du Beaujolais, je plaide pour le maintien d'une OCM spécifique au secteur vitivinicole !

Devant nos observations, la Commission européenne n'a que très partiellement amendé ses propositions de réforme. Elle a retenu un objectif d'arrachage de 400 000 hectares, au lieu de 200 000 hectares. Elle a prévu des outils pour éviter la disparition des vignes de coteaux, le mitage des vignes, l'atteinte aux paysages. Le volet promotion est enfin pris en considération, mais les moyens qui lui sont consacrés sont insuffisants.

La France possède, avec les AOC, un atout commercial certain pour gagner des marchés dans le monde. Il faut protéger nos appellations. Le marché mondial du vin se développe, faisons mieux connaître le travail des vignerons français, fruit de traditions et savoir-faire ancestraux. Aussi souhaitons-nous une revalorisation des crédits affectés à la promotion vers les pays tiers, ainsi que la possibilité de les utiliser en vue de financer directement les projets d'entreprises.

Suite à nos observations, la Commission européenne ne propose plus de lever l'interdiction de vinifier des moûts importés, ni d`autoriser le coupage entre vins communautaires et non communautaires. Malheureusement, elle veut supprimer le régime des droits de plantation à partir de 2013 : cette dérégulation complète serait très dangereuse. Sans ces droits de plantation, le marché se déséquilibrera rapidement, la production des nouveaux vignobles s'ajoutant d'un coup à celle des vignobles existants, avec un risque de surproduction et de délocalisation des vignes pour profiter de la réputation de certaines zones.

Autre sujet très controversé, l'interdiction de la chaptalisation, pratique traditionnelle dans de nombreuses régions de l'Union européenne. Cette méthode permet de doser très finement l'augmentation du degré d'alcool souhaité, et rentre dans le processus qualitatif. Son abandon accroîtrait le coût pour les producteurs, qui devraient recourir à des moûts concentrés, dont la majeure partie proviendrait de l'étranger.

Enfin, il est impératif de conserver, en cas de crise conjoncturelle, un dispositif de distillation de crise obligatoire, complété par des instruments préventifs propres à amortir les chocs conjoncturels du secteur et les conséquences des aléas climatiques. La suppression de toutes les distillations empêcherait toute régulation, ce serait absurde.

La Commission européenne veut supprimer le régime des prestations viniques, système obligatoire de traitement des sous-produits. Ce mécanisme préserve pourtant la qualité des vins en évitant le sur-pressurage des raisins et la filtration excessive des lies, tout en évitant la dispersion dans la nature et dans l'atmosphère des sous-produits de vinification, très polluants. A l'heure où l'Union européenne s'oriente résolument vers des modes de production respectueux de l'environnement et qu'elle est en passe d'adopter une directive visant à garantir l'absence de pollution des sols, il serait pour le moins malvenu que la viticulture communautaire s'engage sur une telle voie !

Le projet de réforme de la Commission européenne remet en cause tous les efforts du monde viticole pour la qualité. Dans ma Région Rhône-Alpes, les vins de table représentaient près de la moitié de la production jusque dans les années 1980 ; la récolte est aujourd'hui composée de 90 % de produits sous signe de qualité, dont 70 % en AOC !

Loin de résoudre la crise viticole, ce projet de réforme nous menace d'un désastre économique, social et territorial. Les seuls bénéficiaires de cette réforme seront les pays producteurs du nouveau monde, les sociétés de négoce international, la grande distribution et sans doute aussi les spéculateurs fonciers !

M. Jacques Blanc. - Eh oui !

Mme Élisabeth Lamure. - L'heure est grave. L'avenir de la viticulture française, et de milliers de vignerons est en jeu. Avant toute décision engageant la France, nous vous demandons, monsieur le ministre, de vous engager solennellement, devant notre Haute assemblée, à vous battre pour une politique européenne du vin ambitieuse, tournée vers la reconquête des marchés. Nous comptons sur votre détermination ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Gérard Le Cam. - Les occasions sont plutôt rares de nous voir unanimes contre les atteintes graves de la politique libérale de la Commission européenne : la cause du Vin, -avec un grand V-, a su réunir nos forces !

Il faut dire que, sous couvert de mettre un terme à la crise vitivinicole, les instances européennes promeuvent un vin de masse, standardisé sans identification géographique.

Le règlement communautaire conjugue poursuite de la politique d'arrachage et libéralisation des droits de plantation, ce qui est loin d'être paradoxal. Il s'agit d'imposer le dogme de la compétitivité à nos viticulteurs au détriment de la qualité des vins, du savoir-faire et du lien entre vin et son terroir. La diminution du nombre d'hectares de vignes arrachées -200 000, contre 400 000 initialement-, présentée par la Commissaire européenne Fischer Boel comme un recul de Bruxelles, n'y changera rien. En effet, dans un marché mondial du vin porteur, promouvoir l'arrachage revient à démissionner devant la concurrence mondiale. Cette politique coûteuse -plus d'un milliard d'euros !- ne s'accompagne pas de mesures structurelles. Contrairement aux autres producteurs, l'Europe, et surtout la France, a diminué sa production -51,7 millions d'hectolitres en 2006, contre 52,1 en 2005- alors que la consommation mondiale, notamment en Europe du Nord et dans les nouveaux États membres, a crû de 1,4 % en 2006. Nous pourrions donc être confrontés, comme nous l'avons constaté pour d'autres produits, à une crise de sous-production dans dix ans. Libéraliser les droits de plantation, ce serait tomber dans l'excès inverse. Nous espérons que le Gouvernement suivra l'avis de la commission des affaires économiques.

Le règlement européen propose également de supprimer les outils de gestion du marché, notamment les aides à la distillation des sous-produits viniques, à la production d'alcool de bouche, à la distillation des vins issus de variétés à double classement, au stockage privé ainsi que les restitutions à l'exportation. Il est pourtant nécessaire de conserver un dispositif de crise, comme le préconise notre commission, car ces outils ont permis à de nombreux producteurs de surmonter leurs difficultés.

La Commission poursuit son objectif d'alignement de nos productions sur les pratiques extracommunautaires en matière de pratiques oenologiques. Les importations de moûts destinés à la vinification et à l'assemblage de vins de l'Union et de vins importés, que Bruxelles voulait autoriser, restent finalement interdites, ce dont nous nous réjouissons. En revanche, peuvent être utilisées pour les vins destinés à l'exportation les pratiques oenologiques reconnues par l'Organisation internationale de la vigne et du vin, institution plus rassurante que l'OMC mais qui a revu à la baisse ses exigences. Nous craignons que cette dérogation, à laquelle est favorable une partie de la profession qui désire exporter des vins de moindre qualité, soit détournée. Pour parer cet écueil, il est fondamental de conserver la dénomination « vin » aux produits fabriqués de manière traditionnelle issus de la fermentation de raisins frais et de moûts frais de raisins, afin de les différencier des vins de fruits, des vins intercontinentaux et assemblages de vins fractionnels et des vins aromatisés. D'où l'amendement que nous avions déposé et que nous avons finalement retiré pour nous rallier à la position de la commission : il existe une bonne définition du vin qu'il convient de défendre.

M. Gérard César, rapporteur. - Juste !

M. Gérard Le Cam. - S'agissant de la chaptalisation, il semble difficile d'interdire l'ajout de sucre de canne ou de betterave dans le vin, pratique très répandue dans les vignobles du Nord et difficilement contrôlable. Cependant, il est fondamental de maintenir l'aide aux viticulteurs qui utilisent les moûts de raisins concentrés. (M. Jacques Blanc approuve) Enfin, la détermination des pratiques oenologiques et l'étiquetage doivent relever de la compétence exclusive du Conseil européen, et nous nous réjouissons que notre commission ait repris un de nos amendements affirmant notre opposition à tout transfert de compétence à la Commission.

La réforme proposée est dangereuse pour nos vignobles et nos vignerons. Loin d'offrir une solution à la crise, elle favorisera, par la promotion d'une viticulture de masse standardisée, la concentration de la production dans quelques grandes exploitations. La France peinera à faire entendre sa voix face à une Commission résolue, mais le consensus qui s'est dessiné au Sénat est de bon augure. Nous ne devons pas accepter que le vin, produit d'une longue histoire, disparaisse. Il suffit d'écouter Baudelaire pour s'en convaincre :

« Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,

De peine, de sueur et de soleil cuisant

Pour engendrer ma vie et pour me donner l'âme :

Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant ». (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Roland Courteau. - Que c'est beau !

Mme Muguette Dini. - Au sein de l'Europe, premier exportateur et importateur au monde, la France occupe une place à part. Premier producteur mondial, elle est le berceau de la civilisation du vin. Dans Mythologies, Roland Barthes écrivait que « le vin est senti par la nation française comme un bien qui lui est propre, au même titre que ses 360 espèces de fromages et sa culture ». Ce capital, nous devons le préserver en procédant aux adaptations indispensables eu égard aux crises récurrentes que traverse la filière depuis quelques années.

L'organisation commune du marché (OCM) vitivinicole, instaurée en 1962, doit être réformée. Lors de sa dernière révision, entrée en vigueur le 1er août 2000, on a cherché à favoriser les restructurations et la reconversion et à réduire les soutiens au marché qui se transformaient en aides permanentes. Cela n'a permis ni de réduire le déséquilibre entre offre et demande, ni d'éviter une surproduction -plusieurs millions d'hectolitres de vin ont dû être distillés-, ni de conquérir de nouvelles part de marché dans les pays émergents. Les instruments de distillation, censés résoudre les surplus de production, ont été détournés par les producteurs, qui ont pris l'habitude d'y souscrire en fonction du prix de la distillation par rapport à celui du marché. Ainsi, pour parler d'un vignoble que je connais bien, comme Mme Lamure, 200 à 300 exploitations sont en grande difficulté et 40 au bord de la faillite dans le Beaujolais alors que la fête du Beaujolais nouveau bat son plein et que le département du Rhône a adopté une batterie de mesures en faveur de ce secteur en concertation avec la profession.

Après un an de négociations, Mme Fischer Boel a considérablement amendé le projet de réforme de l'OCM qu'elle avait présenté le 22 juin 2006 : l'arrachage reste volontaire et limité à 200 000 ha ; pour inciter les viticulteurs à se retirer, la prime sera la première année augmentée de 30 %, puis dégressive pendant cinq ans ; les États-membres pourront aménager l'arrachage « pour éviter des difficultés d'ordre social ou environnemental » ; le plan intègre une politique de promotion, dont l'absence avait été vivement critiquée ; enfin, l'interdiction d'importer des moûts destinés à la vinification et de mélanger des vins européens avec des vins importés est maintenue.

La Commission prévoit des transferts de fonds du budget affecté au développement rural en faveur de la viticulture, ainsi que des aides, à l'installation, à la commercialisation, à la formation, aux organisations de production, à l'entretien des paysages à valeur culturelle, à la retraite anticipée. Les régions vinicoles, passant en paiement unique, seront soumises à l'écoconditionnalité. L'arrachage, la restructuration des vignes, la vendange en vert devront « satisfaire à des exigences minimales en matière d'environnement ».

Malgré la vive opposition des gouvernements et des organisations professionnelles, Mme Fischer Boel entend supprimer le régime des droits de plantation à compter du 1er janvier 2014, afin de « permettre aux viticulteurs compétitifs d'accroître leur production ».

Il faut ajouter la suppression de la distillation de crise, de la distillation alcool de bouche, de la distillation des sous-produits, de l'aide au stockage privé et de l'interdiction de l'enrichissement par ajout de sucre.

Même s'il est moins radical que le précédent, ce projet n'est pas satisfaisant. Il est incohérent en matière de gestion du potentiel de production. D'un côté, on s'emploie à réduire les capacités de production en procédant à un arrachage massif ; de l'autre, on favorise leur extension en supprimant le régime d'encadrement des droits à plantation et replantation. Sans compter que la libéralisation des droits de plantation pourrait être néfaste à l'économie vitivinicole de chaque région et à l'organisation de l'ensemble de la profession. Dans les secteurs de vignes à appellation, elle pourrait conduire à des plantations sans contrôle et favoriser les choix individuels là où la gestion collective a toujours prévalu ; dans les secteurs hors appellation, elle pourrait entraîner l'apparition d'un vignoble de vin de table en bordure de l'aire d'appellation.

Comme M. César, et avec l'ensemble des membres du groupe UC-UDF, je suis fermement opposée à la libéralisation des droits à plantation ainsi qu'à tout traitement différencié entre vins de table et vins d'appellation.

Je me félicite néanmoins des dernières avancées du comité spécial agricole du 5 novembre, qui laisse espérer un compromis sur le futur régime d'arrachage.

Sur le régime des distillations, je trouve également inutile, voire dangereux, eu égard aux aléas naturels et économiques qui font peser sur les exploitations des risques lourds, de se priver d'un outil de régulation du marché, qui permet d'agir sur les stocks en cas d'excédents conjoncturels. Mieux vaut réfléchir aux moyens de le réformer.

Le coût des distillations est de 537 millions sur un budget vitivinicole communautaire de 1,3 milliard. Depuis 25 ans, 15 % de la production concernée a fait l'objet d'une distillation. La distillation dite de crise, qui devrait être exceptionnelle, tend à devenir monnaie courante. Il est donc indispensable de renforcer la distillation préventive, et surtout de la rendre obligatoire.

Mais ce n'est pas l'unique mécanisme de gestion des excédents. M. César suggère une palette de mesures auxquelles je souscris pleinement.

Pour soutenir la qualité, la définition des appellations d'origine et des indications géographiques devrait être modifiée afin de garantir l'obligation de vinifier des vins dans l'aire de l'appellation et de maintenir un lien fort avec le terroir. Il est également indispensable de distinguer clairement, par le biais de l'étiquetage, les vins AOP et IGP, soumis à de strictes contraintes de production, des autres vins. Il importe également, afin de préserver l'équilibre historique du système viticole français, que les vins d'appellation d'origine existants soient automatiquement reconnus, enregistrés et protégés comme indication géographique.

Enfin, une politique ambitieuse de reconquête des marchés, notamment émergeants, s'impose, pour laquelle la filière viticole a besoin de plus de moyens.

Je félicite M. César de son initiative et j'espère, monsieur le ministre, que le vote de cette résolution, que je souhaite unanime, vous confortera dans vos positions lors des prochaines échéances. (Applaudissements à droite et sur le banc de la commission)

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - (Applaudissements sur les bancs de l'UMP) Je suis conforté avant même votre vote... En un temps, pas si lointain, où je siégeais sur ces bancs, j'ai pu mesurer la précision, la compétence et le souci de suivi, tant de l'action du Gouvernement que de celle de la Commission européenne, de votre Haute assemblée. Je n'étais pas ministre de l'agriculture depuis plus de quelques heures que vous avez été, monsieur César, le premier parlementaire à frapper à ma porte pour me présenter votre rapport d'expertise. Vous avez proposé une première résolution. Aujourd'hui, alors que les négociations entrent dans la dernière ligne droite, vous en proposez une seconde, à laquelle j'adhère pleinement : ses conclusions affirment avec force les priorités à défendre. Sachez que je le ferai jusqu'au bout. Dès demain matin, à Bruxelles, c'est muni de votre texte que je rencontrerai Mme Fischer Boel. Je sais, en tant qu'ancien commissaire européen, que lorsqu'un ministre s'exprime en s'appuyant sur l'unanimité des parlementaires et de la profession de son pays, cela compte.

Mme Fischer-Boel a proposé, le 4 juillet dernier, un projet de réforme de l'OCM vitivinicole visant à redonner à la viticulture européenne toute sa compétitivité sur un marché mondial en expansion. A l'heure où les nouveaux marchés, comme les États-Unis et le Japon, sont en progression continue, où de nouveaux marchés émergent, comme la Chine ou l'Inde, nous pouvons partager cet objectif. La viticulture européenne, riche d'une grande histoire et d'une longue tradition de qualité, est capable de se lancer dans la course. Avec plus de 7 milliards, les vins et spiritueux représentent le premier poste excédentaire de nos exportations agroalimentaires.

Mais je reste beaucoup plus réservé, voire totalement opposé, sur certaines des voies préconisées. Desserrer des contraintes, moderniser nos dispositifs, n'est pas céder au libéralisme sans règle. (M. Jacques Blanc approuve) J'ai eu l'occasion de défendre cette position auprès de M. Silva, qui préside les travaux en cours, je l'ai fait avant-hier en Italie, je le ferai demain auprès de mon homologue hongrois. Cette position, je tiens à le souligner, a fait l'objet de discussions suivies avec les professionnels, associés de près à son élaboration.

Le maintien du régime actuel des droits de plantation est pour moi essentiel. (M. Courteau approuve)

Il serait paradoxal de nous priver, à l'heure où l'on programme un vaste plan d'arrachage et tant que le secteur européen de la viticulture ne sera pas suffisamment adapté, d'un outil majeur de maîtrise de la production, laquelle n'a de sens que si l'ensemble de cette production est concerné -tous les types de vin et tous les pays producteurs. Il est donc hors de question d'accepter le maintien du dispositif pour certains vins seulement, ou certains États membres. C'est un point sur lequel il ne nous sera pas possible de transiger.

Autre instrument structurel : l'arrachage, encore nécessaire, dans certains cas, pour adapter l'offre à la demande. Il doit être maîtrisé et raisonné, afin de poursuivre un objectif cohérent, défini par zones de production. La mesure d'accompagnement doit être incitative, fondée sur le volontariat.

Il n'est pas possible d'engager une action structurelle sur le vignoble sans régler auparavant le problème des plantations illicites pratiquées dans certains États membres. Comme le prévoit la Commission, les vignes plantées avant le 1er septembre 1998 doivent s'acquitter de droits majorés, et les vignes plantées après cette date doivent être arrachées. Nous sommes loin du compte.

Il faut conserver des outils de régulation des marchés : la production viticole étant fluctuante, nous devons pouvoir faire face aux crises cycliques. La distillation de crise, qui n'est bien sûr pas un but en soi, est un outil efficace, notamment dès lors qu'elle peut être rendue obligatoire, par le biais d'accords interprofessionnels.

Je suis ouvert à la discussion sur les modalités d'encadrement et de financement de cette mesure dans le cadre des enveloppes nationales, mais il est indispensable de garantir son efficacité. Je demanderai à la commissaire Marianne Fischer Boel que cette mesure soit réintroduite dans le projet de la Commission.

Monsieur César, vous refusez la suppression de la chaptalisation, proposée par la Commission. Cette méthode fait en effet partie des pratiques traditionnelles dans plusieurs régions de France et d'Europe. Je suis ouvert à un développement des méthodes soustractives autorisées par l'Office international du vin mais l'ajout de saccharose doit rester possible, au côté de l'ajout de moût concentré rectifié.

M. Jacques Blanc. - Le moins possible !

M. Michel Barnier, ministre. - II est certainement possible de discuter des marges d'enrichissement tolérables mais il n'est pas possible de remettre en question des pratiques anciennes, qui ont cours dans des régions viticoles de première importance comme le Bordelais et la Bourgogne.

La mention du cépage est aujourd'hui réservée aux vins à indication géographique (IG) et je suis réservé sur son extension aux vins sans indication géographique, car il ne faut pas contrarier les efforts des producteurs français de vins avec IG, tout en étant vigilant sur l'information et la protection des consommateurs. (M.Courteau approuve) Une extension de la mention de cépage ne peut être envisagée qu'avec des garanties très fortes sur ses conditions d'usage. Un système parfaitement fiable de cahier des charges communautaire et d'agrément national devra être mis en place.

Les prestations viniques, distillations des sous-produits, jouent un rôle à la fois qualitatif -elles évitent le sur-pressurage du raisin- et environnemental. La Commission a rayé ces bienfaits d'un trait de plume, de façon contradictoire avec ses objectifs affichés de défense de la qualité et de l'environnement : cela n'est pas acceptable. Il faut continuer à favoriser cette pratique, même si nous devons réfléchir à diminuer son coût.

Dans les tout premiers jours qui ont suivi ma nomination, j'ai obtenu une amélioration de la clé de répartition déterminant le montant des enveloppes nationales, lesquelles joueront un rôle essentiel dans la nouvelle OCM. La France disposera en régime de croisière d'une enveloppe de 200 millions environ. II est toutefois indispensable que la liste des opérations finançables soit complétée en y ajoutant des actions de recherche-développement et des actions de restructuration des entreprises, y compris d'aval. Cela complèterait le dispositif auquel travaillent les professionnels par la mise en place d'un fonds d'investissement national pour les entreprises viticoles.

Le projet de nouvelle OCM accorde une place centrale aux actions de promotion : c'est une bonne chose, mais il faut aller plus loin et faire que les entreprises puissent être éligibles aux programmes de promotion sur les pays tiers, pour lesquels la France percevra une enveloppe annuelle spécifique de 32 millions. En outre, il faut introduire la possibilité d'actions collectives de communication sur le marché intérieur, afin de soutenir une consommation responsable de vin. Enfin, les études de marché doivent pouvoir entrer dans ces financements.

Le projet de la Commission prévoit le transfert à terme de 400 millions du premier vers le deuxième pilier, soit un tiers du budget total de l'OCM. C'est exagéré, compte tenu des missions qui devront, à budget constant, être par ailleurs financées dans le cadre de l'enveloppe nationale. En outre, le transfert de fonds vers le second pilier ne doit pas constituer une perte pour les filières viticoles : ces nouveaux fonds pour le second pilier doivent pouvoir être ciblés vers des actions concernant la viticulture. Cela vaudra également pour la réforme de la PAC : si transfert il doit y avoir vers le deuxième pilier - je n'y suis pas favorable - , ce transfert doit être appliqué à l'agriculture.

Sur ces différents sujets, vos recommandations rejoignent les positions que je défends. La négociation est difficile et nous faisons tout pour aboutir à une solution acceptable par tous. La nouvelle OCM doit être le cadre d'un développement équilibré et durable de la viticulture européenne. Pour cela, elle doit assouplir sans démanteler, elle doit libérer sans fragiliser, elle doit être offensive et efficace. Dans la perspective de ce cadre communautaire renouvelé, le Président de la République m'a confié, au plan national, la mission de bâtir un plan de modernisation de la viticulture. J'en ai lancé les travaux le 11 octobre dernier, en invitant les professionnels à travailler autour de trois grands thèmes : la recherche-développement et le transfert de connaissances ; la compétitivité des entreprises, exploitations viticoles et entreprises d'aval ; l'organisation et la gouvernance de la filière. Sur ces trois sujets, les groupes de travail me feront leurs premières propositions à la fin de l'année de façon qu'un ensemble cohérent de mesures puisse être élaboré avant la fin du premier trimestre 2008. Vous pouvez compter sur ma détermination. (Applaudissements)

M. le président. - Le Sénat a apprécié vos propos. La discussion générale est close et je n'ai été saisi d'aucun amendement.

Interventions sur l'ensemble

M. Jacques Blanc. - En tant que Languedocien-roussillonnais et en tant que membre de la Délégation pour l'Union européenne, je tiens à rendre hommage à l'auteur de cette proposition de résolution, car c'est rendre service à l'Europe que de défendre des positions aussi fermes. Je me réjouis du consensus de toutes les sensibilités, tant politiques que territoriales, qui donnera du poids aux arguments du ministre dans la négociation.

Comment pourrait-on en même temps prôner l'arrachage et libérer les plantations ? Le Languedoc-Roussillon qui a beaucoup arraché ne comprendrait pas qu'on libère ailleurs. Et pourtant je suis un libéral ! L'arrachage ne peut être qu'une réponse très maîtrisée - à laquelle nous sommes de toute façon opposés. J'espère qu'on permettra aux régions qui ont arraché de se lancer dans des productions alternatives, pour les biocarburants par exemple, car rien n'est pire que la friche.

Je ne partage pas l'analyse de M. César sur la chaptalisation : dans ma région, elle est interdite. J'ai trop connu de mauvais vins allemands par exemple, améliorés par la saccharose. J'étais partisan de l'interdiction, mais comme je ne veux pas mettre à mal le consensus qui s'annonce, je m'écrase, comme on dit chez moi (Sourires).

M. Gérard César, rapporteur. - Et je vous en remercie !

M. Jacques Blanc. - Nous devons tous faire des efforts !

Un point a été insuffisamment abordé, à mon sens. Dans le domaine de la promotion, osons dire clairement que le vin, consommé de façon modéré, n'est pas dangereux pour la santé.

M. Roland Courteau. - Je l'ai dit !

M. Jacques Blanc. Eh bien, nous nous retrouvons ici même si sur le terrain, c'est parfois un peu dur. (On s'amuse) Nous devons nous serrer les coudes pour aller à Bruxelles ! Selon l'étude scientifique menée par le professeur Rossi à l'Institut européen Vin et Santé, le vin, bu dans des conditions maitrisées, est bon pour la santé. Je veux également rendre hommage au grand député Paul-Henri Cugnenc qui a su mobiliser les plus hautes autorités médicales non pas pour faire plaisir aux viticulteurs mais pour affirmer une vérité scientifiquement démontrée. Nous savons en outre que le vin est facteur de convivialité et de bonheur, qu'il permet le développement durable de nos paysages et qu'il fait partie intégrante de notre culture française et européenne ! (Applaudissements à droite)

M. Dominique Mortemousque. - Ce soir, je suis interpellé : après le rapport de grande qualité présenté par M. César, un consensus se dessine. Dans le Périgord, les vignerons de Bergerac vont mal, ils ont perdu le fil conducteur.

Après les interventions des uns et des autres, et celle, passionnée, de notre collègue Blanc, si vous ne partez pas galvanisé à Bruxelles, monsieur le ministre, pour retourner la position de la Commission européenne, nous ne serons pas contents.... Ce soir, nous vous faisons confiance et le groupe UMP votera avec enthousiasme cette proposition de résolution. (Applaudissements à droite)

M. le président. - Vous comprendrez que pour le représentant du département du Rhône que je suis, la tâche soit facilitée. (Sourires)

La proposition de résolution est adoptée à l'unanimité.

M. le président. - En vertu de l'article 73-10 du Règlement, la résolution qui vient d'être adoptée sera transmise au Gouvernement et à l'Assemblée nationale.

Prochaine séance, jeudi 22 novembre 2007 à 11 heures.

La séance est levée à 23 h 5.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du jeudi 22 novembre 2007

Séance publique

À 11 HEURES, À 15 HEURES ET, ÉVENTUELLEMENT, LE SOIR

Discussion du projet de loi de finances pour 2008, adopté par l'Assemblée nationale (n° 90, 2007-2008).

Rapport (n° 91, 2007-2008) de M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation.

- Discussion générale.

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Hubert Haenel un rapport d'information fait au nom de la délégation pour l'Union européenne sur le dialogue avec la Commission européenne sur la subsidiarité ;

- M. Gérard César un rapport fait au nom de la commission des Affaires économiques sur sa proposition de résolution (n° 68 rect.) présentée en application de l'article 73 bis du Règlement sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune du marché vitivinicole et modifiant certains règlements (n° E-3587).