Lutte contre les discriminations (Urgence)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

Rappel au Règlement

Mme Annie David.  - Mon rappel au règlement concernant la tenue de nos débats et se fonde sur l'article 36 alinéa 3 de notre règlement.

Madame la ministre, lors de l'examen du présent projet de loi à l'Assemblée nationale, vous avez affirmé disposer d'un document de la Commission européenne approuvant, dans l'ensemble, le projet de transposition que vous nous présentez aujourd'hui. Vous avez précisément dit : « la Commission européenne a émis un avis favorable à un avant-projet que nous lui avons envoyé ».Je suis surprise pour au moins deux raisons.

D'abord, lorsque l'on compare les textes des différentes directives avec le projet de loi, on se rend bien compte qu'ils ne sont pas similaires et la transposition, dans sa rédaction actuelle, ne suit pas toutes les recommandations de la Commission, notamment concernant l'assistance des victimes et leur représentation par les associations. Cette nouvelle transposition, incomplète à plus d'un égard, pourrait donc déboucher, selon de nombreuses associations, sur une nouvelle injonction européenne.

Ensuite, si vous disposez d'un document de cette nature, dont le contenu semble éclairer la délibération parlementaire, je regrette que vous ne nous l'ayez pas présenté, préférant, « communiquer cet avis par écrit » après les débats donc. Je demande une suspension de séance pour que nous puissions, avant le début des travaux, avoir connaissance de ce document.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - Comme je l'ai dit aux députés, le travail avec la Commission ne s'arrête pas avec les documents officiels, que nous tentons toujours d'améliorer. Nous attendons que nous soit communiqué le « classement sans suite » de cette mesure, et c'est encore en cours.

Mme Annie David.  - Vous aviez dit que vous l'aviez ! La Commission, avez-vous affirmé, avait émis un avis favorable. Nous avons besoin de cet avis.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - C'est un avis oral qui nous a été donné. Ensuite, le Gouvernement continue de travailler et le « classement sans suite », vous l'aurez dès l'adoption de la loi.

Discussion générale

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité.  - J'ai l'honneur et le grand plaisir de vous présenter ce projet de loi qui poursuit la mise en conformité du droit français avec le droit communautaire relatif à l'égalité de traitement et à la lutte contre les discriminations.

Il s'agit d'une part, de compléter la transposition de trois directives communautaires relatives à l'égalité de traitement, dont la Commission estime qu'elle a été insuffisante. Il s'agit d'autre part, de transposer la directive du Conseil du 13 décembre 2004 mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès à des biens et services et la fourniture de biens et services.

Dans la perspective de la Présidence française de l'Union européenne, le Gouvernement a engagé des efforts très importants pour réduire le nombre de directives en retard de transposition dans le droit français. Ces efforts commencent à porter leurs fruits puisque, au 10 novembre 2007, seulement 1,1 % des directives communautaires serait en retard de transposition. Nous satisfaisons donc, pour la troisième année consécutive, à l'objectif fixé par le Conseil européen de Stockholm d'un taux de directives en retard de transposition inférieur à 1,5 % du total. Après avoir longtemps été parmi les lanternes rouges de l'Europe, notre pays se situait ainsi, au second semestre de 2007, au dixième rang, sur vingt-sept, des États les plus rapides à transposer. Bien sûr nos efforts doivent se poursuivre.

Ce projet de loi vise avant tout à mettre un terme à trois procédures d'action en manquement, lancées par la Commission à l'encontre de la France, pour transposition insuffisante. Il anticipe également sur notre futur travail de transposition puisqu'il introduit en droit français une large part des dispositions de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relatives à l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail, qui procède à la refonte de directives antérieures et qui doit être transposée avant le 15 août 2008.

Ce projet de loi introduit trois séries de nouvelles dispositions dans le droit français. En premier lieu, il précise, à la demande de la Commission, certaines définitions : celle de la discrimination directe et indirecte, mais aussi celle des faits constitutifs de harcèlement, au sens civil et non pénal du terme. Il assimile par ailleurs à une discrimination le fait d'enjoindre à quelqu'un de pratiquer une discrimination, ce qui permettra de donner à ces deux comportements les mêmes conséquences juridiques. Tenu par le délai de mise en conformité imposé par la Commission, le Gouvernement a opéré une transposition littérale de ces définitions.

En deuxième lieu, ce texte affirme de manière explicite que certaines discriminations sont interdites, en reprenant précisément, là encore, les termes des directives communautaires : interdiction des discriminations fondées sur la race ou l'origine ethnique en matière de biens et services, de protection sociale, de santé, d'avantages sociaux et d'éducation ; interdiction des discriminations fondées sur le sexe, l'appartenance ou non appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, la religion, l'âge, le handicap, l'orientation sexuelle ou les convictions en matière de travail et d'emploi ; interdiction des discriminations pratiquées en raison de la maternité ou de la grossesse, sauf à ce qu'il s'agisse d'en assurer la protection ; interdiction des discriminations fondées sur le sexe en matière d'accès aux biens et services et de fourniture de biens et services. Tout en posant ces principes, le projet de loi précise, dans le strict respect des directives transposées, les dérogations autorisées au principe d'égalité de traitement. Il en va ainsi, notamment, des différences faites pour répondre à une exigence professionnelle essentielle, pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.

Enfin, en troisième lieu, le projet de loi renforce les garanties accordées aux victimes de discriminations. En particulier, il instaure une protection contre les rétorsions qui peuvent frapper les personnes qui témoignent d'une discrimination. Il aménage, en outre, les règles de charge de la preuve au profit des personnes qui engagent une action en justice pour faire reconnaître une discrimination. Car rien n'est plus difficile à prouver devant un juge que l'existence d'une discrimination.

L'ensemble des dispositions introduites sera d'application générale et immédiate. Il s'imposera tout autant aux personnes privées qu'aux collectivités publiques. Dans le domaine professionnel, il vaudra donc de la même manière pour les personnes employées en vertu d'un contrat de droit privé, et pour les fonctionnaires, y compris les magistrats, les militaires et les fonctionnaires des assemblées parlementaires.

Ce texte se donne pour seul objet de transposer certaines dispositions communautaires. Je sais, pour en avoir discuté avec la commission des affaires sociales et la délégation aux droits des femmes, que cette transposition peut apparaître insatisfaisante dans sa rédaction.

En aucun cas, il ne s'agit de revenir sur des acquis.

Les délais imposés ne nous permettaient pas de faire de ce texte un instrument d'approfondissement ou de réorientation de notre politique de lutte contre les discriminations, mais nous vous présenterons bientôt une loi sur le statut du beau-parent, ainsi qu'une loi sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dans le prolongement de la conférence du 26 novembre dernier. Il faudra également ratifier la convention des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées, et nous veillerons bien sûr à la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005.

Un nouveau plan a été adopté pour la période 2008-2010 en matière de lutte contre les violences faites aux femmes. A ma demande, le groupe de travail chargé de l'articulation entre droit civil et pénal élargira son périmètre à la question du harcèlement sexuel.

Notre engagement en faveur de l'égalité des chances sera au coeur de la présidence française de l'Union européenne. Nous serons tout aussi mobilisés que nous l'étions en 2007, année européenne de l'égalité des chances ; nous organiserons, fin septembre, un sommet européen sur le sujet. Par ailleurs, nous soutiendrons la Commission dans la mise en oeuvre des mesures qu'elle devrait proposer au cours du second semestre 2008.

Le rapport de Mme Dini et celui de Mme Hummel, au nom de la Délégation aux droits des femmes, se rejoignent sur la difficulté qu'il y a à concilier la logique du droit communautaire avec celle du droit français, d'où le dépôt de plusieurs amendements visant à rectifier les définitions transposées littéralement du droit communautaire. Le Gouvernement ne peut entrer dans un tel débat, même si je comprends vos réticences. Les directives s'imposent désormais à notre droit interne : nous devons être vigilants lors de l'adoption des textes communautaires et influer davantage sur leur élaboration.

S'agissant de l'obligation d'une transcription mot à mot, la Commission européenne a relevé que la « formulation adoptée dans la directive est importante afin de déterminer les situations de discrimination à travers la méthode comparative, dans le passé, le présent ou le futur ». La définition communautaire de la discrimination directe constitue une garantie importante : si cette temporalité n'était pas reprise, la Commission n'hésiterait guère à saisir la Cour de justice... Le Luxembourg, l'Espagne ou l'Italie ont déjà intégré le conditionnel dans leur définition de la discrimination directe.

Certaines associations nous reprochent de ne pas aller au-delà de nos obligations communautaires. Je condamne toute forme de discrimination, mais, de fait, l'article 2 vise les discriminations fondées sur la religion, l'âge, le handicap et l'orientation sexuelle uniquement lorsqu'elles s'exercent dans le champ du travail et de l'emploi. Sachant que la Commission européenne envisage de refondre l'ensemble des directives, le Gouvernement n'a pas jugé souhaitable d'aller au-delà sans consulter au préalable nos partenaires. S'il devait y avoir de réels blocages au niveau européen, il serait alors temps pour nous d'aller plus loin -après une étude d'impact approfondie nous assurant qu'il n'y aurait pas d'effets pervers ou inattendus. Par ailleurs, les exceptions possibles à la non-discrimination doivent être soigneusement expertisées, ce qui n'a pu être le cas pour ce texte.

Cet exercice volontairement circonscrit ne préjuge pas d'autres avancées si, à l'issue de la présidence française, nous n'avons pu porter suffisamment ce dossier au niveau communautaire.

Faut-il prendre en compte la paternité au même titre que la maternité ? L'objectif des directives est de traiter les mères plus favorablement que les pères. La transposition ne peut aller contre cette volonté, sous peine de nous exposer à de nouvelles procédures d'infraction.

La transposition mot à mot des directives, notamment pour la définition de la discrimination ou du harcèlement, doit mettre fin aux procédures en cours. Je mesure bien combien cet exercice peut vous paraître contraint, mais le Gouvernement ne souhaite pas exposer notre pays au risque de nouvelles mises en demeure... J'espère qu'au terme de nos échanges, vous pourrez mieux appréhender la logique qui a prévalu à la construction de ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Muguette Dini, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - Ce projet de loi transpose partiellement ou intégralement cinq directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations ; les trois premières ont déjà fait l'objet d'une transposition, mais la Commission européenne l'a jugé incomplète et a engagé trois actions en manquement contre l'État français.

S'il est légitime que le Gouvernement souhaite soigner l'image européenne de la France trois mois avant de prendre la présidence de l'Union et se mettre à l'abri de procédures judiciaires, nous ne devons pas pour autant fermer les yeux sur le contenu du texte. Or, certains points soulèvent des interrogations, que m'ont confirmées des professeurs de droit ou des membres de la Cour de cassation.

Les deux premières directives ont été adressées à la France voilà huit ans, et auraient dû être entièrement transposées voilà cinq ans. Pourquoi ces directives n'ont-elles pas été transposées correctement et dans les délais ? Contiennent-elles des points incompatibles avec notre droit ?

Ce projet de loi reprend les définitions communautaires des notions de discrimination et de harcèlement ; il interdit les discriminations fondées sur le sexe en matière d'accès aux biens et services ; il généralise l'aménagement de la charge de la preuve à tous les contentieux qui concernent les discriminations ; il prévoit, enfin, que les interdictions en matière de discrimination s'appliquent à toutes les personnes publiques ou privées, y compris celles exerçant une activité professionnelle indépendante. L'Assemblée nationale a, par ailleurs, prévu que les cinq premiers articles du projet de loi et les articles correspondants du code du travail seraient affichés sur les lieux de travail.

C'est donc un progrès, mais en apparence seulement. Le texte fait un amalgame entre l'inégalité de traitement et la discrimination. Selon les directives, « constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait ». Le texte laisse ainsi penser qu'une inégalité de traitement est toujours due à une discrimination.

Or, le droit français distingue clairement les deux, la Cour de cassation rappelant régulièrement qu'« une différence de traitement entre plusieurs salariés d'une même entreprise ne constitue pas une discrimination ». Deux secrétaires, une femme et un homme, travaillent dans la même entreprise. Ils font le même travail et ont le même niveau de compétence, mais la femme est moins bien payée. Deux voies juridiques s'offrent alors à elle pour obtenir l'égalité de traitement. Soit elle choisit d'insister sur le fait qu'elle est une femme, et en tant que telle, victime d'une discrimination : c'est la voie du droit communautaire.

Soit elle se réfère au principe d'égalité de traitement, en vertu duquel les salariés placés dans une situation identique doivent être payés de façon identique. Le résultat sera le même, certes, mais l'état d'esprit sera très différent et ses effets sur les rapports sociaux ne seront pas les mêmes. D'un côté, on insiste sur ses caractéristiques propres, de sexe, d'origine ethnique, d'orientation sexuelle, pour se placer en victime et réclamer l'égalité ; de l'autre, le droit encourage à invoquer un principe commun à tous, l'égalité de traitement, confortant une posture positive et constructive.

Avec la lutte contre les discriminations, veut-on inciter au repli sur soi, à la mise en exergue des identités particulières, à l'appartenance à une communauté, ou veut-on insister sur les valeurs et les principes communs ? Encouragera-t-on le communautarisme, comme dans les pays anglo-saxons, ou bien veut-on rester fidèle à notre conception latine du « vivre ensemble » ? Je crains que ce texte ne nous entraîne sur le chemin du communautarisme et je regrette que nos principes n'aient pas été mieux défendus à Bruxelles. Ceci étant, nous pouvons encore limiter les défauts de ces directives.

Ce projet de loi fait courir le risque de l'insécurité juridique, tant par le flou de certaines définitions, que par leur juxtaposition avec celles de notre droit actuel.

La définition de la discrimination directe par exemple, prévoit que « constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou à une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne le serait ».

L'emploi du conditionnel est inquiétant, car il est source de condamnations fondées sur des hypothèses invérifiables : comment prouver qu'il y a discrimination sans éléments objectifs de comparaison ?

Même chose avec la définition de la discrimination indirecte qui évoque « une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner [...] un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes... ». On pourrait être sanctionné pour avoir instauré une disposition, un critère ou une pratique qui ne créerait pas de discrimination, mais qui serait, d'après le juge, « susceptible » de le faire : on frôle le procès d'intention...

Le texte reprend la définition communautaire du harcèlement sexuel, sans supprimer celle en vigueur dans notre droit. La coexistence de deux définitions pose un problème d'égalité devant la loi : des individus placés dans des situations semblables pourront être jugés différemment selon la définition invoquée par l'avocat et retenue par les magistrats.

La définition communautaire du harcèlement sexuel est extrêmement large : « tout agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». C'est si large, que le juge devra préciser ce qu'il en est, donc dire la loi.

Ce texte, en l'état, n'est donc guère satisfaisant.

Nous n'aurions pas le choix, parce que la Commission européenne ne voudrait pas transiger. Je souhaite évidemment, comme tous les parlementaires, que la France aborde la présidence de l'Union dans les meilleures conditions. Cependant, l'avis de la Commission européenne n'est pas celui de la Cour de Justice, à qui il revient de trancher les différends. Or, en l'espèce, la position de la Commission européenne ne me paraît pas très respectueuse du traité européen. L'article 249 de ce traité dispose que « la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

Le résultat à atteindre ici, c'est le recul des discriminations, et la directive élargit effectivement le champ d'interdiction des discriminations. Cependant, la forme et les moyens sont laissés aux États membres : il est de notre devoir d'y réfléchir et de notre responsabilité d'en débattre, pour qu'ils soient les plus appropriés à notre histoire et à notre droit.

Or, la tonalité communautariste du projet de loi et le pouvoir considérable qu'il confie au juge sont très éloignés de notre tradition historique et juridique : il n'est pas du tout certain que cela renforce la lutte contre les discriminations.

Que pourra donc nous reprocher la Commission européenne si, comme nous y invite le traité européen et en toute bonne foi, nous modifions la forme et les moyens proposés par la directive, pour en renforcer l'effectivité, c'est-à-dire pour mieux lutter contre les discriminations ? Quand bien même la Commission maintiendrait son recours en manquement, l'image de la France pendant la présidence de l'Union serait indemne puisque la Cour de Justice ne rendrait pas sa décision avant 2010, pour autant que ce jugement nous soit défavorable, ce que je ne crois pas.

Cette exigence, qui nous pousse à adapter le mieux possible le droit communautaire aux valeurs de notre pays et à ne pas céder aux objections de la Commission européenne quand celles-ci ne nous paraissent pas fondées, sera utile au Gouvernement lorsqu'il négociera les prochaines directives sur les discriminations ou sur d'autres sujets.

Nos amendements vont peut-être compliquer temporairement les relations du Gouvernement avec la Commission européenne, mais je suis convaincue qu'ils ne feront aucun tort à la présidence française de l'Union, et qu'ils donneront au Gouvernement plus de force pour défendre, en Europe, les valeurs universalistes de notre pays dans la lutte contre les discriminations !

C'est pourquoi, la commission des affaires sociales vous propose d'adopter ce texte, sous réserve des amendements qu'elle a approuvés à l'unanimité ! (Applaudissements à droite et sur divers autres bancs)

Mme Christiane Hummel, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - Je me réjouis que la commission des affaires sociales demande son avis à la délégation : sur les cinq directives, trois concernent directement l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.

La délégation a formulé six recommandations.

Elle a d'abord constaté que la transposition est urgente et que la Commission européenne est particulièrement exigeante, ce qui pousse le Gouvernement à transposer au plus près les directives, quitte à laisser coexister plusieurs définitions qui ne sont pas identiques. C'est peut-être pratique, mais c'est aussi une source d'insécurité juridique et la délégation recommande au Gouvernement de parvenir au plus vite à un droit homogène.

Seconde recommandation, le Gouvernement doit s'attacher à appliquer le droit actuel autant qu'à perfectionner la norme : la France ne doit pas être le champion des réformes symboliques ! La nouvelle définition de la discrimination directe peut être un levier pour les « tests de discrimination », dont le président de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) nous a dit qu'ils étaient trop strictement encadrés. La définition de la discrimination indirecte, de son côté, aidera le juge à dépasser l'apparence de l'égalité de traitement, pour vérifier son effectivité. Ces définitions marquent un progrès, mais il faudra en encadrer l'application.

Il faudra veiller à ce que certaines formulations, tel le conditionnel « ne le serait », n'alimentent pas dérives et procès d'intention.

Notre quatrième recommandation concerne les dérogations, autorisées pour les professions de comédien, de mannequin ou de modèle. La rédaction est trop rigide. Plutôt que sur une liste de professions, il faut s'appuyer sur la combinaison des deux critères inscrits dans le texte, l'objectif légitime et l'exigence proportionnée. L'amendement n°5 rectifié de la commission traduit fidèlement notre préconisation.

Enfin, deux dispositions suscitent des réserves, voire des objections. Le principe de l'égalité entre les sexes pour l'accès aux biens et services, d'abord : il ne faudrait pas en déduire une interdiction absolue de dispenser des enseignements à des élèves regroupés selon le sexe car ce serait mettre en péril les établissements privés non mixtes et aussi les équipes masculines ou féminines dans les compétitions sportives. Mais notre délégation est très attachée à l'objectif de mixité et demande au Gouvernement de veiller à la bonne utilisation de cette dérogation -des motifs culturels ou religieux ne sauraient être invoqués et compromettre la participation des jeunes filles aux activités sportives scolaires. Nous nous élevons aussi contre des enseignements distincts qui reproduiraient des stéréotypes sexués. (Mme Annie David approuve)

Enfin, nous nous interrogeons sur la dispense accordée aux médias et à la publicité. L'objectif plus ou moins avoué, parce que guère avouable, n'est-il pas d'autoriser des représentations discriminatoires de la femme ? Nous exprimons nos plus expresses réserves ; cette disposition est contraire à nos positions et à l'axe de réflexion assigné par le Gouvernement à la commission Reiser. Nous proposerons la suppression de cette exception. Sous réserve de la prise en compte de nos recommandations, la délégation est favorable à l'adoption du projet de loi qui, malgré ses défauts, devrait faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes, à laquelle nous savons Mme la ministre attachée. (Applaudissements à droite)

Mme Gisèle Gautier, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - Les discriminations fondées sur le genre sont fréquentes, même si les femmes n'en ont pas toujours conscience et si elles osent rarement s'en plaindre.

Selon le président de la Halde, les femmes, sans prononcer le terme de discrimination, expriment dans les sondages le sentiment d'être moins bien traitées que les hommes. Elles sont très peu nombreuses à saisir la Haute autorité mais les inégalités existent bel et bien. A la conférence sur l'égalité professionnelle et salariale organisée par le Gouvernement, l'écart de salaire a été estimé à environ 25 %. En dépit de l'arsenal législatif, les différences de traitement subsistent. Je félicite donc le Gouvernement de passer à la sanction, à partir de 2009.

Le projet de loi a pour seul objet de transposer des directives européennes et la marge de manoeuvre du législateur est faible. Les définitions européennes ici reprises, discrimination directe et discrimination indirecte, sont intéressantes car la discrimination prend parfois des formes insidieuses. Mais les définitions européennes se superposent aux définitions du droit français et l'ensemble est au bout du compte un peu lourd, voire confus... Il faut parvenir à une meilleure cohérence entre les dispositions existantes, et surtout ne pas se contenter de faire une loi mais veiller à son application concrète.

Je veux évoquer quelques éléments du texte qui me préoccupent. L'autorisation de regrouper les élèves par sexe ne doit pas remettre en cause la mixité ; et nous voulons éviter la reproduction de stéréotypes sexués. Quant à l'exception accordée aux médias et à la publicité, elle laisse à penser qu'une représentation sexiste et discriminatoire de la femme serait admissible ! Tout au contraire, nous luttons contre les atteintes récurrentes à la dignité humaine en cette matière. Certaines publicités sont choquantes. Cette exception nous paraît donc incompréhensible et je défendrai un amendement de suppression.

Enfin, sujet connexe, la réorganisation administrative des délégations régionales et départementales aux droits des femmes nous inquiète. Ces structures sont-elles menacées ? Seront-elles absorbées par l'administration de la jeunesse et des sports ? N'oublions pas les spécificités de leur action ! Je souhaite que Mme la ministre nous donne des précisions à ce sujet. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Notre législation pénale et de la réparation doit faciliter le travail de la justice. Or, nous avons délibéré des heures infinies pour parvenir aux définitions actuelles de notre droit -je songe au harcèlement. Je ne comprends pas : il me semblait que la France possédait une législation très élaborée !

S'il nous faut désormais reprendre mot pour mot le texte de la Commission européenne, il ne s'agit plus de directives. Autant faire des règlements et les appliquer directement, ce serait plus simple ! Nous avons aussi, dans ces matières sensibles, un vrai problème de cohérence des termes avec le droit européen.

Mais j'en viens au présent texte. Le 21 novembre dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi prévoyant la réforme d'ensemble des règles de prescription en matière civile. Pléthoriques, complexes et inadaptées, elles sont source d'insécurité juridique, de contentieux et de malaise en raison de l'impression d'arbitraire qu'elles suscitent. La technicité du sujet ne doit pas masquer son importance. La réforme adoptée possède trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive, le délai de droit commun passant de trente à cinq ans ; la simplification de leur décompte ; l'autorisation encadrée de leur aménagement contractuel. Elle a été soigneusement préparée. Une mission d'information conduite par MM. Yung, Portelli et moi-même a réalisé plus de trente auditions qui débouchèrent sur des recommandations que j'ai pris l'initiative de traduire en une proposition de loi. Son contenu a été enrichi par son rapporteur, M. Béteille, par M. Dreysfus-Schmidt et par d'autres de nos collègues, ainsi que par le Gouvernement.

Conséquemment, cette réforme a recueilli un large consensus puisqu'elle a été votée par tous les groupes à l'exception du groupe CRC, qui s'est abstenu. Pourtant, le travail du Sénat a été violemment mis en cause dans la presse. Se faisant l'écho d'un collectif comprenant notamment des syndicats de salariés, de magistrats et d'avocats, des journalistes et des personnalités ont accusé notre assemblée de « s'en prendre discrètement à tous les discriminés », singulièrement aux victimes de discriminations au travail. Selon eux, avec la réduction de trente à cinq ans du délai de droit commun de la prescription extinctive « les victimes n'auraient plus que cinq ans pour porter plainte et, si le préjudice est reconnu, les indemnités ne porteraient plus que sur les cinq dernières années ». Et je vous ai épargné les phrases les plus assassines à l'égard de votre commission et de son rapporteur !

Plusieurs députés ont relayé ces inquiétudes lors de l'examen par l'Assemblée nationale du présent projet de loi. Nous sommes tombés des nues, car l'intention des nombreux sénateurs qui ont voté la proposition de loi n'était évidemment pas de réduire les droits des victimes de discrimination. De plus, nous n'avions pas travaillé en catimini ! Comment expliquer une telle explosion de protestations, alors que des mois de débats n'avaient entraîné aucune réaction ?

Les incidences de la proposition de loi sur les délais pour agir et le droit à réparation des victimes ne sont d'ailleurs pas celles qu'a décrites la presse. Si la durée du délai de droit commun de la prescription extinctive se trouve réduite de trente à cinq ans, ce délai ne commence à courir qu'à compter du jour où « le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Or, en la matière, le point de départ de la prescription importe plus que sa durée. Un salarié victime d'une discrimination pourrait ainsi invoquer des faits vieux de plusieurs dizaines d'années dès lors qu'il en aurait eu connaissance tardivement. En outre, l'action devant le conseil de prud'hommes n'est pas une action en paiement de salaires mais une action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination. Il s'agit donc d'une question d'évaluation du montant des dommages et intérêts, indépendante de celle de la recevabilité de la demande et, en la matière, le principe est la réparation intégrale du préjudice, quels que soient les délais pour agir.

L'incompréhension à l'égard de ce texte était donc totale. Par souci d'apaisement, nous nous sommes entretenus, Laurent Béteille, Richard Yung et moi-même, avec des représentants du collectif. Ces échanges ont permis de dissiper tout malentendu sur les intentions du Sénat. Ils nous ont aussi amenés à proposer une rédaction garantissant les droits des victimes de discrimination au travail. Tel est l'objet des deux amendements identiques n°s8 et 22 que nous avons déposés.

Si la proposition de loi sur les prescriptions avait été votée rapidement à l'Assemblée nationale, nous aurions pu attendre : ce n'est pas le cas. Nous attachons la plus grande importance à ces amendements étant donné le climat instauré. Nous devons rassurer le plus rapidement possible, sans attendre que l'Assemblée nationale se saisisse de ce texte. Le Sénat a été injustement mis en cause, nous souhaitons qu'il lui soit donné acte de sa bonne foi. Nous souhaitons non moins ardemment que la réforme d'ensemble du droit de la prescription civile puisse être définitivement adoptée avant la fin de l'été. Elle s'avère nécessaire, consensuelle et urgente si le Gouvernement souhaite toujours, comme l'avait souligné Mme le garde des sceaux, qu'elle constitue la première étape de la réforme du droit des obligations. Plusieurs propositions de lois déposées par des députés, dont l'utilité n'est pas toujours aussi évidente que celle de la réforme des règles de prescription en matière civile, ont été ou sont sur le point d'être adoptées définitivement. Nous aimerions que la réciproque fût vraie et que les initiatives du Sénat aboutissent elles aussi rapidement. Nous allons voter ces jours-ci plusieurs propositions de lois émanant de l'Assemblée, tel le texte -fondamental !- sur les mini-motos... La réforme d'ensemble des prescriptions ou celle de la législation funéraire que propose le Sénat méritent autant de considération ! (Applaudissements à droite)

Mme Jacqueline Alquier.  - L'objet du projet de loi est de mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Il transpose la directive mettant en oeuvre le principe de l'égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans l'accès et la fourniture de biens et services et complète la transposition de trois directives relatives à l'égalité de traitement. Une nouvelle fois, c'est dans l'urgence et sans véritable concertation avec les associations que nous travaillons. Tel est en effet le mode de fonctionnement de ce gouvernement qui fait passer tous les textes importants en urgence et empile les lois qui ne s'appliquent finalement pas faute des moyens ou des décrets nécessaires.

Nous travaillons sous la pression de l'Europe. Il aura fallu trois procédures d'action en manquement lancées par la Commission européenne pour arriver à l'examen de ce projet de loi. C'est dire l'empressement du Gouvernement et sa volonté à agir dans ce domaine ! Pourtant, il reste bien du chemin à parcourir pour que l'égalité de traitement entre dans les moeurs et n'ait plus besoin de faire l'objet de lois, règlements et conventions.

Quelques chiffres : la Halde a enregistré 6 222 réclamations en 2007 contre 4 058 l'année précédente, soit une progression de plus de 50 %. L'emploi est le premier domaine concerné, devant le fonctionnement des services publics, les biens et services privés, le logement et l'éducation. L'origine est le critère de discrimination le plus souvent évoqué, suivi par la santé et le handicap. L'âge est l'un des premiers critères retenus en matière d'embauche. Comment faire quand le Gouvernement nous oblige à travailler plus, plus longtemps, pour gagner plus, mais aussi pour avoir droit à nos retraites, alors que les entreprises veulent des salariés jeunes ?

Une enquête du Bureau International du Travail sur « les discriminations à partir de l'origine dans les embauches en France » montre que seulement 10 % des employeurs ont respecté tout au long du processus de recrutement une égalité de traitement entre les candidats. Plus de 85 % de la discrimination intervient avant que le postulant ait obtenu un entretien ! La Halde dénonce le défaut d'accords anti-discrimination dans les entreprises. Dans 76 % des cas, l'action de l'employeur se limite à informer les salariés, et 8 % seulement des employeurs associent les syndicats à une politique d'égalité des chances. Ces résultats sont particulièrement décevants alors que l'accord interprofessionnel sur la diversité de 2006 avait fait l'unanimité.

Les testings sur le logement ont révélé une forte discrimination des agences immobilières, alors que 38 % des victimes ne parlent pas des discriminations subies. On s'étonnera de la persistance de tels comportements dans nos sociétés !

Certes, les situations en Europe sont très différentes d'un État à l'autre. Mais la France ne fait pas vraiment figure d'exemple ! Pourquoi cette résistance, alors que les dispositions auxquelles on nous demande de nous adapter depuis 2005 améliorent la protection de nos concitoyens ? On sent la même mauvaise volonté que celle mise par le Gouvernement à publier le décret relatif au CV anonyme alors que la disposition législative a été votée en 2006, la même qu'il met à donner les moyens d'application à la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées et à faire appliquer celle du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations ou celle du 23 mars 2006 concernant l'égalité salariale entre les femmes et les hommes. Car les textes ont été nombreux depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui affirme que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » !

L'Union Européenne s'est engagée depuis 2000 dans des actions en faveur de l'égalité de traitement qui se traduisent dans les directives. La France doit réagir pour être un pays moteur dans la lutte contre les discriminations, et non l'État qui traîne les pieds et qu'il faut rappeler à l'ordre. L'occasion était belle de faire le point sur notre politique en matière de discriminations, de comprendre pourquoi la situation reste préoccupante alors que nous nous sommes dotés d'outils, de réfléchir au problème de société qu'est la discrimination -bref, d'avoir un véritable débat, et non une transposition a minima, dans l'urgence et en catimini, qui n'est pas sans poser problème dans la forme et sur le fond.

Si, à première vue, le texte semble se conformer aux exigences européennes, il présente cependant des insuffisances et remet même en cause une partie de notre droit du travail. Il a été mal écrit et, à l'Assemblée nationale, la rapporteure a dû l'améliorer par de nombreux amendements ; il est imprécis et pas toujours conforme aux directives : à transcrire a minima, autant transcrire au plus près !

Ce projet de loi ajoute de la complexité et de la confusion au droit existant. Faute d'un travail d'harmonisation, des critères différents -entre le code pénal et le code du travail, par exemple- persisteront. Ainsi Louis Schweitzer, président de la Halde, lors de son audition devant la délégation aux droits des femmes, a cité l'apparence physique, qui constitue un motif de discrimination prohibé par le droit français mais non par les directives européennes. Il a déploré que les règles applicables varient en fonction du motif de la discrimination, estimant qu'un effort d'harmonisation aurait été le bienvenu.

Ce texte ne précise pas certaines notions juridiques dans les codes auxquels il renvoie et oublie d'intégrer dans le code pénal plusieurs avancées de la directive. Des définitions continueront à coexister dans notre droit. Ce projet de loi semble n'avoir été écrit que pour rattraper un retard dérangeant à la veille de la prochaine présidence française de l'Union européenne et non pour définir un droit lisible et accessible.

En outre, ce texte se situe en deçà des exigences européennes en oubliant d'ouvrir la possibilité pour les associations de lutte contre les discriminations d'agir auprès des tribunaux si la victime est un agent de la fonction publique. C'est pourtant une exigence expresse de la directive, et nous espérons que la position de la commission des affaires sociales sera reprise par le Gouvernement. Si les associations peuvent agir au pénal ou devant les prud'hommes, elles ne peuvent toujours pas le faire devant la justice administrative.

Enfin, le texte va au-delà des exigences européennes et introduit des régressions inadmissibles. La mise en oeuvre des directives ne peut pourtant en aucun cas constituer un motif d'abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres. Le projet de loi transpose certaines limitations au principe d'égalité de traitement alors que notre droit du travail les limite strictement. L'article 2 permet la ségrégation sexuelle à l'école ; pourtant, jamais la Commission européenne n'a demandé à la France, qui pratique la mixité depuis longtemps, de transposer une disposition qui risque d'être exploitée par les communautaristes, les intégristes et les réactionnaires les plus misogynes !

Les deux définitions de la discrimination données par les directives n'ont pas été synthétisées. Le champ d'application des discriminations liées à l'origine et à la race concerne tous les domaines de la vie courante, alors que pour les autres, il est restreint aux domaines de l'emploi et du travail. Précipitation ou volonté de mettre en concurrence les victimes en hiérarchisant les discriminations ? Dans l'article 3, l'ajout de la notion « de bonne foi » au texte protégeant d'actes de représailles les personnes ayant témoigné en justice en réduit la portée et risque d'induire des contentieux. Le texte autorise également les différences dans le contenu des médias et de la publicité ; ces derniers relaient pourtant souvent des stéréotypes relatifs à l'image de la femme.

Au-delà des groupes politiques, ce projet de loi laisse la plupart d'entre nous insatisfaits. La rapporteure pour la commission des affaires sociales, Muguette Dini, a évoqué les difficultés de fond qu'il soulève : amalgame entre inégalité de traitement et discrimination, et insécurité juridique. Les recommandations faites par la Délégation aux droits des femmes confirment la nécessité d'améliorer la cohérence des régimes juridiques ainsi que l'application des lois, et d'abroger les dispositions régressives dans un domaine où bien du retard s'accumule. Nous présenterons une série d'amendements visant à pallier les insuffisances de ce texte, à lui donner plus de cohérence, à en retirer ce qui ne va pas dans le bon sens. Notre vote tiendra compte du sort qui leur sera réservé. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Henneron.  - L'Union européenne est le fer de lance de la lutte contre les discriminations. Dès le traité de Rome, le principe général d'égalité ou de non-discrimination a été posé comme pierre angulaire de l'ordre juridique européen, et depuis de multiples textes ont fixé un niveau minimum de protection contre un grand nombre de discriminations.

Nous devons poursuivre cette lutte tout en assurant le respect des règles communautaires. La Commission européenne a souligné notre retard dans la transposition de plusieurs directives et nous a reproché le caractère incomplet de certaines dispositions transposées. Je tiens cependant à souligner les efforts accomplis ces dernières années et à saluer la détermination du Gouvernement actuel à rattraper notre retard.

Notre société repose sur des valeurs de tolérance et de respect des origines, de l'identité et des choix de vie de chacun, qui trouvent leur source dans le principe d'égalité consacré par notre devise nationale et par les textes fondateurs de notre droit. Plusieurs lois emblématiques ont été adoptées récemment. Les lois du 9 mai 2001 et du 23 mars 2006 traitent de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. La loi du 16 novembre 2001 contre les discriminations a introduit la possibilité d'ester en justice pour les organisations syndicales et les associations, progrès indéniable dans la lutte contre les discriminations à l'emploi. La loi du 30 décembre 2004 a créé la Halde, qui donne des recommandations à l'État et nous informe chaque année de l'état des discriminations en France. La loi du 11 février 2005 concernant les personnes handicapées les protège contre les discriminations dans le travail. Enfin, la loi du 31 mars 2006 traite de l'égalité des chances.

Pourtant, la bataille pour l'égalité est toujours à poursuivre dans la patrie des droits de l'homme. En 2006, la Halde a dressé une liste des discriminations classées selon leur fréquence, qui commence par les discriminations liées à l'origine, puis à la santé ou au handicap, à l'âge, au sexe, à l'activité syndicale, à la situation de famille, à l'orientation sexuelle, aux opinions politiques et à la religion, pour finir par l'apparence physique. C'est l'emploi qui cristallise le plus de pratiques discriminatoires, devant les biens et les services privés, l'éducation ou le logement. Quel triste tableau !

Les publics les plus fragiles cumulent les risques de discrimination sur le marché de l'emploi, dans l'accès au logement ou aux loisirs et dans l'ensemble de leur vie quotidienne. Ces inégalités compromettent notre cohésion sociale et sont à l'origine d'un sentiment d'exclusion qui s'exprime dangereusement dans les communautarismes. Les jeunes Français issus de l'immigration sont les premiers concernés : 11 % d'entre eux, titulaires d'un diplôme de second cycle, sont au chômage contre 5 % pour la moyenne nationale. Selon le Bureau international du travail, 70 % des employeurs français favoriseraient un candidat portant un nom français par rapport à un candidat portant un nom à consonance étrangère. Le lieu de résidence lui-même devient un élément discriminant. Des enquêtes avec envoi de CV factices ont témoigné des discriminations à l'embauche dont les personnes en situation de handicap ou issues de l'immigration sont les premières victimes.

Étant membre de la délégation au droit des femmes, je vous citerai quelques chiffres concernant l'égalité professionnelle. Les salaires des hommes dépassent de 26 % en moyenne ceux des femmes ; près de 31 % des femmes actives occupent un emploi à temps partiel. Le taux de chômage féminin est plus élevé que celui des hommes. Le « plafond de verre » freine l'ascension des femmes dans la hiérarchie : le chemin est encore long pour parvenir à l'égalité... En tant qu'élus, nous avons tous eu connaissance d'inégalités subies par les femmes en matière d'emploi et de déroulement de carrière. La Halde a également constaté que le harcèlement moral devient de plus en plus fréquent sur le lieu de travail et s'appuie sur le durcissement des possibilités d'embauche et la peur du chômage. Il revient aux pouvoirs publics de désigner et de sanctionner les comportements et les infractions discriminatoires.

La nécessité de transposer certaines directives communautaires constitue un aiguillon pour poursuivre la lutte contre les discriminations en France. Ce texte donne des définitions précises des discriminations directes et indirectes ainsi que du harcèlement.

Il étend le champ des discriminations interdites, en fixant leur liste, et protège les victimes contre les mesures de rétorsion.

Le groupe UMP soutient ce texte dont l'adoption s'impose à la veille de la présidence française.

Tout en comprenant des contraintes inhérentes à la transposition, notre commission s'inquiète des dérives que pourrait induire ce texte très protecteur. Qu'en pense le Gouvernement ?

La répression des actes de discrimination est indispensable, mais il serait naïf de croire qu'elle suffise à les éradiquer : pour changer les mentalités, il faut une action de longue haleine, notamment à l'école. (Applaudissements à droite)

Mme Annie David.  - Ce projet de loi aurait pu fournir l'occasion d'un grand moment pour notre pays, que nous aurions pu doter d'outils juridiques performants au service des milliers de nos concitoyennes et concitoyens victimes de discriminations diverses mais toujours douloureuses. Chaque jour, des dizaines d'entre eux ou d'entre elles se voient refuser un poste en raison de leurs origines, des dizaines peinent à se loger faute d'avoir le bon nom de famille ou se voient refuser l'accès à des lieux de festivité en raison de leur couleur de peau. Des centaines de nos concitoyens ne peuvent progresser dans l'entreprise à cause de leur engagement syndical. Tant d'autres s'entendent dire que l'expérience acquise au cours des quinze dernières années est incompatible avec le poste proposé ! Et combien ne peuvent obtenir un prêt en raison de leur état de santé, combien ne sont pas embauchées car elles sont des femmes, ou à des salaires inférieurs, après des questions relatives aux projets de maternité ?

Ce débat aurait pu fournir l'occasion d'un bilan des textes existants. En matière d'emploi, les inégalités persistent, qui devraient inciter le Gouvernement à mieux appliquer les dispositions en vigueur. C'est d'ailleurs l'une des recommandations de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes.

La liste des discriminations est longue, d'autant plus que l'État y participe. Je pense notamment à la non équivalence de certains diplômes de médecine, dénoncée par la Halde, mais que votre Gouvernement a refusé de lever lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Je pense aussi au droit de vote des résidents extracommunautaires régulièrement installés en France, toujours exclus du processus démocratique. Ils participent à la vie de la société civile, mais perdent leur droit lorsqu'il s'agit de choisir un exécutif local. Pourtant, un candidat à l'élection présidentielle s'est déclaré favorable à leur vote. Bien qu'il ait affirmé : « je dis ce que je fais et je fais ce que je dis », il a oublié cette promesse une fois élu !

Ce que je viens de décrire ne provient pas de mon imagination, mais d'une enquête réalisée en France sous l'égide du Bureau international du travail et de la Direction de l'animation, de la recherche et des études statistiques (Dares) entre fin 2005 et mi-2006. Remise en mars 2007, elle nous apprend que : « près de quatre fois sur cinq, un candidat à l'embauche d'origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d'origine maghrébine ou noir ». On peut regretter que les recommandations de la Halde et du Bureau international du travail, consécutives à cette étude, n'aient pas toutes été suivies par le Gouvernement.

En 2006, la Halde a reçu 4 000 réclamations, un nombre impressionnant mais qui sous-estime la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, quand l'existence de cette autorité est largement méconnue, quand ses missions et ses moyens ne lui permettent pas de satisfaire les attentes ? Selon son rapport pour 2006, 35 % des réclamations étaient liés à l'origine, 16 % à l'état de santé, 6 % à l'âge, 5 % au sexe et 3 % à l'activité syndicale des intéressés. Le champ des discriminations est donc vaste. Il est également évolutif, avec l'émergence de nouvelles formes ou l'accroissement, par exemple, du harcèlement au travail. Cette évolution a été notée par M. Schweitzer, président de la Halde, qui a souligné « l'importance des réclamations portant » sur ce harcèlement, qu'il provienne de l'employeur ou des collègues. Votre texte reste muet quant aux recommandations de la Halde sur ce sujet !

Puisque les discriminations évoluent, notre législation doit en faire autant. Tel n'est manifestement pas le cas. Les sanctions de la Commission européenne sont là pour nous le rappeler, avec deux mises en demeure, un avis motivé, puis un ultimatum. Dans son rapport, Mme Dini a noté : « le texte vise donc avant tout, de l'aveu même du Gouvernement, à mettre la France à l'abri de ces procédures judiciaires ». L'objectif n'est pas contestable, mais il ne saurait être légitimement le seul. Votre transposition minimaliste manque d'ambition, car ce texte n'est que la conséquence de l'ultimatum européen. En commission, Mme Létard a dit que la transposition devait éviter de nouvelles sanctions contre la France, alors qu'elle prend la présidence de l'Union européenne. Bref, il faut sauvegarder les apparences. Peu importent les huit ans de retard, ce qui compte, c'est d'être prêt le jour J, lorsque tous les regards seront braqués sur notre pays ! Peu importe alors que ni les associations, ni les organisations syndicales n'aient été consultées, alors que leurs représentants auraient pu apporter aux rédacteurs du texte un peu du vécu des milliers de nos concitoyennes et concitoyens pour qui la discrimination est une souffrance quotidienne. Peu importe si cette transposition se superpose aux textes existants, alors que la délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les hommes et les femmes déplore que ce dispositif ajoute à la complexité juridique, dans un domaine où il est pourtant indispensable qu'il soit compris par les justiciables.

La délégation invite le Gouvernement à mieux harmoniser les critères de discrimination utilisés en droit français, qu'ils soient ou non issus des règles européennes. Je partage l'opinion de Mme Hummel : la solution retenue par le Gouvernement est sans doute la plus rapide et la plus prudente, mais il reste à rendre la lutte contre les discriminations plus accessible et plus compréhensible par les victimes.

Que la cause en soit l'urgence ou le manque de concertation, le Gouvernement se contente d'une transposition a minima, bien qu'elle ne soit pas systématiquement rigoureuse. Ainsi, la définition européenne du harcèlement sexuel n'est pas intégralement reprise, ce que je regrette.

Les gouvernements disposent d'une certaine latitude, puisque l'article 6 précise : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l'égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive ». De plus, vous disposiez de quelques mois : vous auriez donc pu enrichir votre texte, par exemple pour conforter la Halde, étoffer ses missions, accroître ses ressources ou établir des représentations régionales. A ce propos, je déplore la censure de la commission des finances sur mon amendement tendant à créer des délégations régionales de la Halde : je ne pourrai pas le défendre tout à l'heure. On ne trouve rien non plus sur l'égalité professionnelle, malgré l'accablant rapport récemment publié par le Conseil économique et social, où il apparaît que les femmes demeurent moins bien payées que les hommes, qu'elles occupent des postes plus flexibles et plus précaires.

Je regrette que vous ayez utilisé le mot « race », qui laisse supposer l'existence de races, cette idée au nom de laquelle tant de crimes ont déjà été commis.

En l'état, ce texte ne résoudra pas les difficultés que rencontrent nos concitoyens. Il sera d'autant moins efficace que votre majorité a réduit de trente à cinq ans les délais de la prescription civile. J'ai entendu les propos de M. Hyest à ce sujet, mais le délai de cinq ans est trop bref. « Ce que je donne d'une main, je le reprends de l'autre », a fortiori lorsque l'article premier hiérarchise de fait les discriminations.

Pour que ce projet de loi soit créateur de droits, le groupe CRC a déposé un certain nombre d'amendements. Notre position finale sera déterminée par le sort que vous leur réserverez. (Applaudissements à gauche)

Mme Bariza Khiari.  - Au-delà de nos divergences, je tiens tout d'abord à remercier Mme Dini pour la qualité de son rapport, qui a l'immense mérite de donner à réfléchir. Notre collègue a posé les questions essentielles et elle est allée au fond des choses.

Depuis quelques années, les études portant sur la lutte contre les discriminations se succèdent à un rythme soutenu. Cette problématique, autrefois évacuée, s'est imposée à tous les acteurs de notre société. Face à ce foisonnement d'initiatives, il y a quelque chose de surprenant et de paradoxal à constater la timidité voire l'ambiguïté des avancées législatives. J'en veux pour preuve l'adoption, par voie parlementaire du CV anonyme, introduit dans la loi pour l'égalité des chances par un amendement About.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - Où est le décret ?

Mme Bariza Khiari.  - Cette mesure, que j'ai défendue dans cet hémicycle, n'a toujours pas de réalité faute de décret d'application !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - C'est bien regrettable.

Mme Bariza Khiari.  - Voilà donc un domaine où le Gouvernement fait preuve de timidité, pour ne pas dire d'absence de volontarisme, alors même que le CV anonyme est un outil d'égalité républicaine qui trouverait toute sa place dans notre tradition méritocratique.

L'ambiguïté du Gouvernement est manifeste quand, à l'occasion de la loi sur l'immigration, et au motif de lutter contre les discriminations, il proposé la création de statistiques ethnoraciales. Cette initiative, heureusement écartée par le Conseil constitutionnel, est la caricature d'une certaine pensée en matière de lutte contre les discriminations : faire porter la responsabilité des inégalités sur des considérations ethniques et créer ainsi les conditions de l'ethnicisation de la question sociale ; préparer les instruments nécessaires à une politique de quotas et créer ainsi les conditions d'une concurrence entre les différentes communautés.

Mais cette mauvaise volonté doit s'accommoder des obligations européennes. La création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations est issue d'une obligation européenne et non pas d'une volonté politique nationale. C'est à coup d'éperons européens, et non de mobilisation nationale, que nous sommes obligés de débattre de cette question, afin de ne pas risquer de procédure judiciaire pendant la présidence française de l'Union. C'est dans ces circonstances que le Parlement hérite d'un projet de loi transposé à la hâte et qu'il lui revient de débattre en urgence. Or, étant donné les difficultés de forme et de fond posées par ce texte, une navette parlementaire complète aurait été nécessaire.

Depuis la loi de 2001 relative à la lutte contre les discriminations, et la création de la Halde, notre droit s'était appliqué à uniformiser les dispositifs mettant au même niveau les peines encourues et les procédures à suivre, quel que soit le motif de la discrimination.

La transposition pose un problème de lisibilité et aussi de principe : la hiérarchisation et la différenciation des discriminations vont à l'encontre de la tradition de notre droit qui fait de l'égalité un principe commun d'unité. C'est d'ailleurs fortement soutiré par Mme le rapporteur qui évoque de possibles dérives communautaires. C'est ainsi qu'en première lecture l'Assemblée nationale a adopté une disposition autorisant l'organisation d'enseignement non mixte. Cette disposition, contraire à nos pratiques et nos valeurs, ne figure dans aucune des directives à transposer !

Autre exemple, la possibilité pour les sociétés d'assurance de mettre en place des tarifs différenciés selon les sexes et en fonction des prestations. Cette disposition a été transposée dans notre droit interne en décembre 2007, sans susciter plus de débat. Or cette exception ne devait pas figurer dans la directive et que ce n'est qu'après un intense lobbying des assureurs qu'elle y a été intégrée. Dès lors, et bien que l'article L111-7 du code des assurances encadre ces possibilités de dérogations, il faut s'interroger sur le bien-fondé de cette exception. Sachant que les jeunes conductrices ont moins d'accidents de voiture que les jeunes conducteurs, on pourrait justifier qu'elles puissent bénéficier d'un tarif inférieur. Cette inégalité de traitement serait plus juste qu'un tarif commun. Un raisonnement similaire peut être tenu concernant l'assurance-vie.

Cet exemple touche directement à la distinction délicate entre l'inégalité de traitement et la discrimination. On peut arguer que le tarif différencié, établi à partir de données actuarielles, de tables de risques, et à partir de données extérieures au conducteur, constitue une discrimination dans la mesure où il méconnaît le comportement individuel de la personne. Il faudra un jour s'interroger sur la prise en considération de données statistiques, présentées comme prédictives, dans la loi. D'aucuns soutiennent que le tarif différencié est non seulement juste mais optimal dans la mesure où il est légitimé par les calculs de risque. Selon ce raisonnement, l'inégalité de traitement n'est plus une discrimination, alors que l'égalité de traitement en serait une.

Il est vrai également que l'introduction dans notre droit de la notion de discrimination ne va pas sans produire des tensions fortes avec notre conception de l'égalité républicaine.

Dans votre rapport, madame Dini, vous soulevez à juste titre les problèmes posés par l'absence de codification des définitions portant sur les discriminations directes, et indirectes. Je conteste pour ma part la logique de différenciation entre les discriminations. En instituant des régimes de protection différenciés, le projet de loi, qui se contente de « copier-coller » les directives, établit une hiérarchie entre les discriminations.

Notre code pénal retient quinze motifs de discrimination. En matière civile, ne seront retenus que sept critères de discriminations. Cette dissymétrie sera source de confusion. Je note aussi l'absence du critère portant sur l'état de santé, qui représente aujourd'hui un motif important des saisines de la Halde.

Je partage certaines de vos réserves, madame le rapporteur, sans toutefois vous suivre concernant l'aménagement de la charge de la preuve, que vous présentez comme la généralisation d'une présomption de culpabilité. Les études attestant de l'ampleur des pratiques discriminatoires sont légion ; les dernières en date étant celle du Bureau international du travail de mai 2007 et celle de l'Insee, de février 2008. Nous sommes dans une société où les pratiques discriminatoires sont massives et, en dépit de nos efforts, elles sont encore considérées comme naturelles. Il suffit de compter, sur les doigts d'une main, les plaintes au pénal qui aboutissent en matière de discrimination, en dépit d'un arsenal juridique conséquent. La généralisation de l'aménagement de la charge de la preuve, quel que soit le motif de la discrimination, constitue une avancée importante, indispensable pour que les employeurs et les bailleurs réfléchissent et abandonnent leurs mauvaises pratiques.

C'est également dans cet esprit que je défendrai un amendement portant sur l'intégration d'un nouveau chapitre dans le bilan social des entreprises portant sur la lutte contre les discriminations.

J'avais souhaité déposer un amendement au code des marchés publics, afin que l'engagement d'une entreprise en faveur de la lutte contre les discriminations, devienne, tout comme son engagement en matière de développement durable, l'un des critères d'attribution d'un marché. Or, le code des marchés publics n'est plus modifiable par voie parlementaire. Ses dispositions autrefois législatives sont devenues réglementaires.

Nous avons déposé un amendement visant à la suppression du mot « race » qui est apparu dans notre droit sous Vichy. Utiliser ce terme, même pour prohiber les discriminations, concourt à légitimer son existence alors même que la biologie et la génétique ont conclu à l'inexistence de toute race dans l'espèce humaine.

M. Michel Dreyfus-Schmidt.  - Très bien !

Mme Bariza Khiari.  - Certes, la suppression du mot « race » ne fera pas disparaître le racisme, mais notre droit cessera d'entretenir la force du préjugé.

Enfin, je défendrai un amendement qui s'inscrit dans une réflexion plus générale sur les emplois dits fermés. Aujourd'hui, 600 000 emplois du secteur privé et libéral sont, en droit, inaccessibles aux étrangers extracommunautaires. Ces réglementations restrictives datent des années 30, années de fortes tensions xénophobes. Les médecins, les vétérinaires, les avocats, les pharmaciens, suivis des autres ordres, étaient fort bien représentés au Parlement et ont obtenu le vote de ces mesures protectionnistes. Il s'est même trouvé un parlementaire, dont je ne souhaite pas retenir le nom, qui déposa un amendement visant à interdire l'accès à ces emplois aux français naturalisés de la quatrième génération !

Les fondements de ces restrictions législatives et réglementaires sont historiquement datés, économiquement obsolètes, et moralement condamnables. Elles constituent des obstacles administratifs humiliants et inutiles : un étranger ayant obtenu son diplôme d'architecte en France doit s'engager dans une démarche dérogatoire pour obtenir son inscription à l'ordre ! Il suffirait de supprimer la condition de nationalité, tout en préservant la condition de diplôme français, pour donner une nouvelle orientation à notre lutte contre les discriminations.

Le Parlement devra un jour se pencher sur l'ensemble des emplois fermés. Il n'est pas normal qu'une sage-femme, qu'un géomètre, parce qu'étrangers, ne puissent pas exercer leur métier dans notre pays, alors qu'ils disposent d'un diplôme français. Les discriminations légales entraînant les discriminations illégales, leur périmètre doit être restreint aux emplois ayant une portée de sécurité nationale.

Je déplore comme vous, madame le rapporteur, que nous n'ayons pu faire valoir en amont nos valeurs lors des négociations communautaires. De ce fait, la vision anglo-saxonne libérale communautariste l'emporte sur une conception républicaine de l'égalité et des rapports sociaux. (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales.  - On le regrette d'autant plus que c'est dû à un gouvernement socialiste !

Mme Bariza Khiari.  - Nous sommes tous un peu coupables...

M. Roger Madec.  - Si les objectifs poursuivis par ce texte ne peuvent que recueillir le consensus de tous les groupes politiques, il est inachevé et doit être amélioré.

Tout d'abord, il est particulièrement choquant qu'il rétablisse une hiérarchie entre les discriminations, alors que, depuis 2001, le législateur s'est attaché à uniformiser les dispositifs tant pour les procédures judiciaires que pour les peines encourues.

Ainsi l'article 2 crée des protections supplémentaires pour les victimes de discrimination liée à la race, notamment en matière de protection sociale, de santé et d'éducation, domaines actuellement non explicitement couverts par les lois anti-discrimination sans les étendre aux autres victimes de discriminations, notamment celles liées au handicap ou à l'orientation sexuelle. Je m'interroge sur la constitutionnalité d'une telle disposition qui permettrait une différence de traitement entre les victimes.

En matière de discrimination liée à l'orientation sexuelle, les associations spécialisées nous indiquent que de nombreuses personnes homosexuelles ainsi que la plupart des personnes séropositives déclarent être ou avoir été victimes d'un événement discriminatoire. Selon une étude de la Halde, « l'homophobie dans l'entreprise », réalisée auprès de 1 413 salariés se déclarant gay ou lesbiennes et rendue publique au début du mois de mars, 85 % des personnes qui ont répondu disent avoir déjà une fois ressenti une homophobie implicite sous différentes formes, 40 % ont déjà été directement victimes d'insultes, de dégradation, de violences physiques...

Ce projet de loi est inachevé puisqu'il réduit la portée de la directive. Celle-ci impose de permettre aux associations d'ester en justice. En l'état actuel du droit, les associations peuvent agir devant les juridictions pénales et prudhommales sans pouvoir le faire devant le tribunal administratif. Les agents de la fonction publique victimes de discrimination ne peuvent donc recevoir l'assistance juridique d'une association en cas de confit devant la justice administrative. Le groupe socialiste proposera des amendements pour y remédier.

Enfin, je regrette que le projet de loi ne codifie que partiellement les dispositions nouvelles. Aujourd'hui, les mesures relatives à la lutte contre les discriminations sont disséminées dans différents textes de loi ou codes. Cette organisation de la loi rend peu lisible notre droit aux victimes de discriminations.

Le groupe socialiste proposera des amendements pour améliorer ce projet de loi. Face à un texte qui donne l'impression d'être inachevé, nous serons attentifs à l'examen des amendements. (Applaudissements à gauche)

La discussion générale est close.

Mme Valérie Létard, secrétaire d'État.  - Madame Dini, sur la comparaison hypothétique et l'emploi du conditionnel, la Cour de justice des communautés européennes a déjà tranché et, dans plus de 95 % des cas, la Commission gagne devant cette Cour. De fortes amendes sont en jeu, qui engageraient les finances publiques ...

Madame Alquier, nous avons soumis ce projet de loi à la Halde et aux partenaires sociaux -Commission nationale de la négociation collective, Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes- et plusieurs associations. Nous avons donc procédé à toute la concertation possible compte tenu des délais et de l'urgence.

Il est vrai, mesdames Dini et Hummel, que la discrimination et l'inégalité de traitement ne sont pas la même chose. Le projet de loi fait bien la différence et utilise les deux expressions à des fins différentes. Nous n'abandonnons rien de notre tradition juridique et du principe d'égalité qui la sous-tend. La directive et le projet de loi complètent le cadre juridique existant mais ne s'y substituent pas.

Ce qui a trait à la comparaison hypothétique est imposé par la directive et nous n'avons pas le choix. C'est sans conséquence sur la façon dont la Halde pourra pratiquer le testing, qui est précisée dans la loi du 30 décembre 2004, modifiée en 2006 et à laquelle nous ne touchons pas. Dans le droit français, nous procédons déjà par comparaison hypothétique pour les reconstitutions de carrière ou les indemnisations en matière de responsabilité hospitalière.

Madame Khiari, le mot « race » figure à l'article premier de notre Constitution, ainsi que dans la loi du 30 décembre 2004. Enfin, les directives indiquent clairement que l'usage de ce mot ne signifie en aucun cas l'adhésion aux théories racistes.

Le projet de loi ne remet pas en cause le principe de mixité dans l'éducation nationale, il préserve seulement la liberté d'organisation de tous les établissements d'enseignement. C'est la conséquence du principe de liberté d'enseignement, à valeur constitutionnelle. Notre pays a toujours réussi à concilier la mixité à l'école publique avec le principe de liberté d'enseignement. La disposition proposée permet de continuer à assurer cette conciliation et de préserver les libertés acquises, sans constituer un recul.

Mesdames Hummel et Gautier, le contenu des médias et de la publicité est explicitement laissé hors champ de la directive 2004-113.Cette dérogation rend d'autant plus nécessaire un travail sur l'image de la femme dans les médias. La commission Reiser fera à ce sujet des propositions concrètes, élaborées en partenariat avec les professionnels des médias, propositions qui pourront avoir une issue législative.

Madame Dini, s'agissant du harcèlement sexuel, l'article L 122-46 du code du travail n'a pas été modifié car il a des conséquences pénales. Nous avons voulu maintenir une définition pénale autonome car les conséquences d'un procès pénal ne sont pas celles d'un procès civil. Un groupe de travail s'occupe d'améliorer la définition pénale. Les associations nous ont fortement encouragés à former un groupe de travail sur les violences faites aux femmes.

Madame Alquier et monsieur Madec, la question des associations relève du décret. La règle nouvelle s'appliquera aux fonctionnaires. Nous conservons le critère de cinq ans que l'on retrouve à de multiples endroits dans notre droit. C'est une garantie pour les victimes, celle d'être assistées par des acteurs expérimentés.

Je comprends, monsieur Hyest, que vous souhaitiez lever un malentendu sur la portée de la proposition de loi dont vous êtes l'un des coauteurs. Il semble préférable d'en débattre lors du passage de votre texte devant les députés. Pour garantir la lisibilité de la future réforme sur la prescription, il serait bon de ne pas en éparpiller le contenu.

Madame Henneron, je voudrais rappeler le rôle de la Halde en matière de prévention, par exemple lorsqu'elle diffuse les bonnes pratiques qu'elle a constatées. Le Gouvernement met cet été à la disposition des employeurs un nouveau rapport de situation comparée et il proposera le principe d'une sanction financière pour les entreprises qui n'auront rien fait d'ici le 31 décembre 2009.

Madame David, l'étude de la Dares et du BIT présente en effet des chiffres alarmants quant aux discriminations liées à l'origine. En la matière, ce projet de loi couvre tous les domaines : accès aux biens et services, emploi, éducation, santé, protection sociale.

Mesdames Alquier et Khiari, les partenaires sociaux ont prévu, dans l'accord interprofessionnel sur la diversité du 19 octobre 2006, un bilan des expérimentations en matière de CV anonymes. Le Gouvernement souhaite tirer les enseignements de ce bilan pour prendre les textes d'application de la loi instaurant ce type de CV car nous ne pouvons nous passer, en ce domaine, de l'expertise des partenaires sociaux.

Madame Gautier, la modification de l'organisation administrative de l'État a pour objet d'améliorer la qualité de nos administrations, qui devront toutes s'adapter aux exigences de la modernisation. Elle nous incite à imaginer des solutions nouvelles, à réduire la mosaïque des petites structures pour en faciliter le fonctionnement avec une gestion mutualisée de leurs moyens. A ce jour, rien n'est arrêté définitivement sur le positionnement du Service des droits des femmes et de l'égalité, et de son réseau déconcentré. Il est impératif d'en conserver la spécificité et de préserver la lisibilité de son action à ces deux niveaux, quelles que soient les configurations adoptées.

Au niveau central, l'intégration de ce service dans une grande direction est envisagée. Mais cette hypothèse n'est pas incompatible avec le maintien, voire même le renforcement d'une politique transversale et interministérielle de l'égalité entre les hommes et les femmes.

Au niveau régional, la circulaire du Premier ministre du 19 mars a prévu huit structures administratives. Des aménagements sont néanmoins possibles avec cette configuration et nous avons deux pistes de réflexion : le rattachement auprès du Préfet, dans l'équipe du Secrétariat général pour les affaires régionales ; l'intégration dans la direction régionale de la cohésion sociale en maintenant une entité chargée des droits des femmes et de l'égalité qui soit visible et qui aurait en charge la poursuite de l'approche intégrée de l'égalité dans toutes les politique publiques.

Dans les départements, rien n'est arrêté, mais les mêmes préoccupations m'animent et je m'attacherai à ce que la politique de l'égalité continue d'être portée par tous les ministères, au niveau central et sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements à droite)

La séance est suspendue à 19 heures.

présidence de M. Philippe Richert,vice-président

La séance reprend à 21 h 35.