Hommage solennel au Président René Monory

M. le président.  - (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent) Il est des disparitions dont la force symbolique marque une assemblée telle que la nôtre. Celle de René Monory, notre ancien président -je le dis devant son épouse, sa famille-, est de celles-ci.

René Monory nous a quittés le 11 avril dernier. C'est avec une vive émotion et une grande tristesse que notre assemblée s'incline devant celui qui fut son président durant six années, de 1992 à 1998, et qui a tant apporté au Sénat dont il fut l'un des membres durant trois décennies.

Un hommage émouvant lui a été rendu à l'occasion de ses obsèques, le jeudi 16 avril, au milieu de ses concitoyens, dans sa chère ville de Loudun dont il a été le maire tant d'années durant.

J'ai eu à cette occasion le douloureux privilège de prononcer, au nom du Sénat auquel il a tant apporté, son éloge funèbre en présence de M. le Président de la République et des plus hautes personnalités de l'État.

J'ai aussi vu les habitants de sa ville se presser en foule dans l'église où avait lieu la cérémonie et autour des grands écrans où elle était retransmise pour rendre un dernier hommage à leur ancien maire.

En ces moments lourds d'émotions, la nation et la ville se sont unies dans un même recueillement et une même attitude de reconnaissance envers un homme hors du commun.

Il est vrai que la vie de René Monory fut un destin sans guère de précédent dans notre vie politique. Il fut à la fois un élu local visionnaire, un homme d'État remarquable et un président du Sénat qui a contribué à faire entrer notre Haute assemblée dans le XXIe siècle. Il nous laisse le souvenir d'une oeuvre exemplaire.

René Monory aura toujours conservé de ses origines et de sa formation un goût inlassable, oui, inlassable, du travail et de l'effort. Il y ajoutera, sa vie durant, une capacité d'initiative, une force d'imagination et un dynamisme hors du commun.

Après avoir développé l'entreprise familiale jusqu'à en faire une des plus prospères de la région, son attention aux autres, sa générosité, son goût pour l'action le conduisirent à se mettre très tôt au service de ses concitoyens de Loudun. Il entra en politique par la porte municipale. Il exerça ainsi sans discontinuer, avec un enthousiasme toujours renouvelé, de 1959 à 1999, les fonctions de maire de Loudun, qui étaient les plus chères à son coeur.

Conseiller général de la Vienne dès 1961, il occupa, là aussi, ces fonctions jusqu'en 2004 au sein de l'assemblée départementale, dont il fut le président incontesté durant un quart de siècle. Il a laissé une empreinte profonde dans ce département car c'était un homme de territoire, un porteur de projet, un fondateur inspiré.

René Monory fut un élu local visionnaire. Il a été un bâtisseur déterminé à changer le cours des choses, comme l'illustre l'exceptionnelle réalisation du Futuroscope.

Ce fut en effet une idée de génie que d'avoir osé et réalisé ce pari, envers et contre tous, quand personne ne croyait possible d'ériger cette cité du futur au milieu des champs de la Vienne. Ce site futuriste, associant au parc européen de l'image, la formation de haut niveau et les technologies nouvelles, fut le fruit de l'imagination lumineuse et de la détermination à toute épreuve qui caractérisaient le « vulgarisateur d'idées nouvelles » qu'était René Monory.

Les plus hautes autorités de l'État n'avaient pas attendu le succès du Futuroscope pour distinguer les qualités exceptionnelles de René Monory.

Si son engagement local avait conduit René Monory à être élu, dès 1968, sénateur de la Vienne, son mandat de parlementaire fut interrompu à deux reprises pour lui permettre d'exercer de 1977 à 1981, puis de 1986 à 1988, des responsabilités ministérielles au sein des gouvernements dirigés respectivement par Raymond Barre, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, et par Jacques Chirac, sous la présidence de François Mitterrand.

Ministre de l'industrie, du commerce et de l'artisanat en 1977, il fut dès l'année suivante appelé à occuper les éminentes responsabilités de ministre de l'économie et des finances, avant d'exercer, de 1986 à 1988, les lourdes fonctions de ministre de l'éducation nationale.

Dans ses fonctions gouvernementales successives, René Monory démontra sans cesse son pragmatisme et son efficacité, mis au service de sa personnalité atypique et de son dynamisme à toute épreuve. Rappelons-nous qu'au ministère de l'économie et des finances, dans un contexte économique pourtant difficile, il conduisit avec détermination une politique de libération des prix, tout en favorisant les investissements de l'épargne dans l'industrie et en imaginant un système d'épargne populaire, les Sicav, auxquelles son nom reste encore attaché.

En 1988, après l'élection présidentielle, René Monory rejoignit le Palais du Luxembourg. Élu de la famille centriste, européen convaincu, acteur majeur, aussi, de la construction de l'Union pour un mouvement populaire, cet homme de fidélité, tourné vers le futur, fut un sénateur de premier plan. Nous connaissions et apprécions tous son indépendance d'esprit. Sa personnalité et son parcours politique pouvaient impressionner mais il avait gardé une simplicité souriante et un intérêt pour les autres qui font qu'il a toujours été proche de ses collègues.

Il démontra, au sein de notre assemblée, toutes ses qualités en exerçant notamment les importantes fonctions de rapporteur général du budget. Toujours ouvert aux idées neuves et manifestant une attention scrupuleuse face aux évolutions de la dépense publique, il fut aussi l'un des premiers à mesurer l'ampleur des bouleversements induits par la mondialisation, notamment par une prise de conscience aiguë de la nécessité de créer une monnaie unique pour l'Europe.

C'est en octobre 1992 que René Monory fut élu à la présidence du Sénat, succédant ainsi au président Alain Poher, qui avait exercé sans discontinuer ces fonctions depuis 1968.

Durant les six années où il exerça les fonctions éminentes de président du Sénat, il n'eut de cesse que soit donnée de notre assemblée l'image d'une institution moderne et ouverte sur le monde. Il développa ses moyens d'action au plan international. Il incita à une réflexion constante sur l'avenir.

Ce passionné des nouvelles technologies fit entrer très tôt l'informatique et internet au Sénat. Si aujourd'hui, le site internet du Sénat peut afficher 20 millions de visites par an, c'est en grande partie à l'initiative de précurseur de René Monory que nous le devons.

Il fut au Sénat, au début des années 1990, sachons nous en souvenir, un des grands acteurs de la relance des politiques d'aménagement du territoire. Permettez-moi, de manière personnelle, de dire aussi que ce fut pour moi un honneur et une expérience irremplaçable d'être l'un de ses vice-présidents. Il était un grand politique qui a toujours su rester humain et je garde en mémoire le souvenir d'échanges passionnants avec lui, notamment autour du texte relatif à l'aménagement du territoire.

René Monory a beaucoup apporté à notre Haute assemblée. Il a été, pour le Sénat, un modernisateur. Nous devons, mes chers collègues, à l'homme pragmatique et généreux, avisé et compétent qu'il était, une grande reconnaissance.

Le président Monory, homme de caractère, de décision et d'imagination, était un homme engagé au sens plein du terme. Je ne peux d'ailleurs évoquer son souvenir, comme tous ceux qui l'ont connu dans cet hémicycle, sans revoir sa haute et puissante silhouette se déplacer dans nos travées, saluant les uns et les autres d'une poignée de main ou d'un hochement de tête complice avec, toujours, une lueur au fond des yeux.

Je renouvelle à Mme Monory, son épouse, à sa famille et à tous ses proches, aujourd'hui dans la douleur, les condoléances très sincères et très émues de l'ensemble des sénatrices et des sénateurs de la République. Permettez-moi d'y ajouter ma peine personnelle et ma gratitude pour l'oeuvre que René Monory a accomplie pour le Sénat de la République et pour la France.

M. Michel Barnier, ministre de l'agriculture et de la pêche.  - Le Gouvernement s'associe à l'hommage que le Sénat rend à René Monory, ancien président du Sénat et ancien sénateur de la Vienne. Nous saluons aujourd'hui la mémoire d'un véritable homme d'État, qui a fortement imprimé sa marque à la Haute assemblée.

Le président Larcher a rappelé l'itinéraire et le parcours exceptionnels de René Monory depuis sa ville de Loudun, en passant par les gouvernements de Raymond Barre et de Jacques Chirac, jusqu'à son élection à la présidence du Sénat. Ce parcours est emblématique de ce que sont la République et la France dans leurs meilleurs aspects. Ce Sénat qu'il a présidé, modernisé -je peux en témoigner pour avoir siégé parmi vous un certain temps sous sa présidence-, ouvert sur l'extérieur, sur les nouvelles technologies et sur l'avenir, il y a consacré la plus grande part de sa carrière nationale.

Quelle plus belle incarnation de notre idéal républicain que l'ascension sociale et politique de René Monory, avançant d'un pas volontaire vers son destin qui le verra passer du jeune réfractaire au STO simplement titulaire d'un certificat d'études jusqu'au rang de deuxième personnage de l'État ? Et quel meilleur ambassadeur de la vocation du Sénat à représenter les collectivités de la République que cet éminent élu local qui n'a cessé de s'impliquer, de s'engager et de travailler pour imaginer des projets d'avenir, tel le Futuroscope, et façonner les territoires dont ses concitoyens lui ont maintes fois confié les destinées ?

La grande compétence que lui reconnaissaient ses électeurs n'a pas échappé aux plus hauts responsables politiques de son temps, qui lui ont confié l'économie, puis l'éducation nationale de notre pays. Dans des contextes chaque fois difficiles, il a toujours fait face avec volonté et intelligence. Avec l'ouverture d'esprit comme méthode et le bon sens pour boussole, il avait très souvent une grande longueur d'avance sur l'évolution du monde et les défis à venir.

Avec sa disparition, la République dit adieu à un serviteur de talent, et le Sénat, à l'une des personnalités qui auront le plus marqué son histoire. A son épouse, à sa famille, à tous ses anciens collègues et amis politiques de son groupe, aux électeurs et citoyens de la Vienne, j'exprime au nom du Gouvernement nos condoléances très sincères et le témoignage de notre fidélité.

M. le président.  - Mes chers collègues, je vous invite à partager un moment de recueillement à la mémoire du président René Monory. (Mmes et MM. les sénateurs observent une minute de silence)

Nous interrompons la séance quelques instants en signe de deuil.

La séance, suspendue à 15 h 20, reprend à 15 h 30.