Loi de programmation militaire

Discussion générale

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.

M. Hervé Morin, ministre de la défense.  - Alors que nous venons de célébrer hier notre fête nationale, occasion de rappeler le lien qui unit la Nation et ses armées, cette loi de programmation militaire atteste la priorité que le Gouvernement et le Président de la République accordent à la défense.

Depuis deux ans, nous avons lancé le plus important mouvement de transformation que la défense ait connu depuis sa professionnalisation, avec la nouvelle gouvernance, la nouvelle carte militaire, la rationalisation de l'administration et du soutien et la création de bases de défense. J'ajoute que 100 millions d'euros seront consacrés au développement durable grâce à la filière de déconstruction du matériel militaire. Parallèlement, les procédures d'exportation ont été modifiées, puisqu'il faut aujourd'hui moins de 40 jours pour obtenir une autorisation, contre 80 en 2007. Grâce au plan d'égalité des chances, 450 jeunes défavorisés bénéficieront de l'infrastructure des lycées militaires. Enfin, alors que le ministère de la défense employait moins de 5 % de personnes handicapées, on en recense plus de 6 % aujourd'hui, et il y en aura 7 % à la fin de l'année prochaine. (M. Nicolas About s'en réjouit)

Depuis deux ans, nous adaptons notre stratégie et notre fonctionnement aux réalités du monde. La loi de programmation en est la clef de voûte. Je remercie particulièrement le président, les rapporteurs et les membres de la commission de la défense et des forces armées pour leur esprit constructif.

Ambitieux, ce projet de loi constitue la première étape de 377 milliards d'euros destinés à la défense entre 2009 et 2014. Parmi les 186 milliards liés à cette loi, 102 milliards sont destinés à l'équipement des forces.

Ce texte est équilibré, notamment pour la protection du secret de la défense nationale, le travail avec les parlementaires ayant permis de conforter à la fois le rôle de la CCSDN et la sécurité des investigations judiciaires.

Enfin, la loi de programmation militaire est cohérente avec notre vision de la défense, issue du Livre blanc, qui reste notre feuille de route.

Ainsi, nous poursuivons la modernisation de la dissuasion, qui demeure « l'assurance vie » de la Nation, avec un programme d'alerte avancée qui sera pleinement opérationnel en 2020.

Le renseignement est notre première protection face aux nouvelles menaces comme le terrorisme, la prolifération nucléaire et les cyber-attaques. Nous développerons donc la nouvelle fonction stratégique « connaissance et anticipation », notamment avec 700 postes supplémentaires dans les services de renseignement, le lancement du système multinational d'imagerie spatiale (Musis) -qui succédera au programme Helios- le lancement du satellite d'écoute électromagnétique Ceres et le développement du drone de moyenne altitude et longue endurance (Male).

Ensuite, le Livre blanc identifie un nouvel arc de crise, allant de l'océan Atlantique à l'océan Indien, pour lequel nous devons renforcer nos capacités d'intervention : nous allons recevoir 60 Rafale F3 ; nous disposerons en outre de dix-huit frégates de premier rang après l'admission au service actif des deux frégates Horizon en 2009 et 2010, puis des frégates multi-mission (Fremm) à partir de 2012.

Le Barracuda renforcera notre capacité de projection en 2017 ; 24 milliards sont prévus pour l'armement terrestre, 23 Tigre seront achetés ; enfin, vous avez vu défiler hier les premiers VBCI : nos troupes en recevront 550 exemplaires.

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) nécessite un effort financier soutenu. La loi de finances initiale a augmenté la dotation de 8 %, la portant à 2,9 milliards. La loi de programmation la stabilisera durablement à 3 milliards : plus d'argent avec un plus petit format, cela représente plus pour chaque équipement. Nos matériels sont très sollicités, certains vieillissent et les récents sont plus coûteux : l'heure de vol du Tigre est dix fois plus chère que celle de la Gazelle. Même si 1,5 milliard est prévu sur la durée de la programmation, la problématique du MCO va au-delà de l'argent : il faut aussi réformer l'organisation et les structures, d'où la montée en puissance du SIAé, d'où la nouvelle politique de gestion des parcs, d'où la création d'un service de soutien pour l'ensemble du matériel, d'où la contractualisation et le développement du contrôle de gestion. Cette question est vraiment centrale.

Pour répondre aux nouveaux défis, nos armées auront à intervenir plus souvent en coalition, ce qui impose de renforcer l'interopérabilité. De manière complémentaire à notre engagement au sein de l'Otan, la construction de l'Europe de la défense doit nous permettre de mener de façon autonome des opérations significatives.

De ces nouvelles priorités découle une nouvelle organisation du ministère. Le conseil des ministres a adopté lundi le décret qui permettra une organisation plus intégrée, le chef d'état-major des armées assurant la responsabilité de toute la programmation et de la budgétisation. Cette loi de programmation est ainsi la première à n'être pas construite bottom up, en additionnant les demandes exprimées par chacun, mais top down, en déclinant les priorités définies. Le symbole de cette nouvelle gouvernance est le site unique de Balard, opérationnel en 2014.

Le soutien et l'administration générale sont rationalisés. Pas moins de 38 chantiers sont en cours. La réforme des achats permettra de 50 à 100 millions d'économies. C'est aussi la modernisation des services de paye. Elle passe également par une externalisation maîtrisée, par une agence interarmées de reconversion du personnel et la réunification des centres de recrutement. Nous avons aussi lancé la réforme du système d'information et de communication pour regrouper le budget informatique sous une autorité unique. Le ministère, qui consacre 1,2 milliard aux systèmes informatiques, table sur une économie de 300 millions d'euros.

La nouvelle carte militaire, fruit d'une formidable concertation, est la conséquence de cette nouvelle organisation. Les onze bases de défense expérimentales regroupent 50 000 hommes, plus 6 000 civils ou militaires en soutien. Cette expérimentation est très positive et nous pensons désormais aller vers 60 à 70 bases plutôt qu'aux 90 initialement envisagées. Les mentalités ont évolué, ce qui permettra d'accélérer les calendriers de la fusion des commissariats et de la généralisation des bases.

Je mesure l'effort important que cela représente. C'est pourquoi nous avons prévu un plan massif d'accompagnement : 140 millions. Nous avons d'ores et déjà quatre fois plus de demandes de pécule de départ.

M. Didier Boulaud.  - C'est plutôt inquiétant.

M. Hervé Morin, ministre.  - Ils sont 2 010 à avoir trouvé une nouvelle affectation. Nous avions prévu 1 100 reclassements dans la fonction publique, nous en sommes à 1 350.

Parce qu'il n'est de richesse que d'hommes, nous avons revalorisé la fonction militaire, réévalué la grille indiciaire et consacré 300 millions à la promotion interne et à l'amélioration des soldes. La place des civils n'est pas négligée et certains pourront commander des groupements de soutien des bases de défense.

Nous avons également accompli un important effort en faveur du logement. La renégociation du contrat avec la SNI ayant permis de dégager 240 millions, nous pourrons offrir 7 000 logements supplémentaires dans le sud de la France et en région parisienne.

Une défense pleinement intégrée à la vie de la cité, c'est aussi une défense qui participe au plan de relance. Nous avons déjà engagé 1,3 milliard sur 1,7 milliard, assurant ainsi 25 % du plan de charge des chantiers de Saint-Nazaire. Le commerce extérieur a connu une excellente année 2008 et nous espérons accomplir un nouveau bond en 2009. J'ai lancé une vaste réforme du contrôle et des autorisations d'exportation. Les délais d'examen ont été ramenés à moins de 40 jours et désormais, le taux d'ajournement est inférieur à 7 %. Nous avons lancé une procédure globale d'autorisation et, en adoptant la liste globale européenne, mis nos entreprises à égalité avec leurs concurrentes -on en parlait depuis vingt ans. Le plan en faveur des PME, ce trésor technique et d'inventivité, n'est pas moins ambitieux. La DGA a créé un service particulier, elles ont un guichet unique. Désormais, elles bénéficient plus de la programmation amont et la sous-traitance est prévue dans les cahiers des charges. Enfin, le nouveau régime d'appui à l'innovation a été lancé en Aquitaine.

La défense ne doit pas être loin des préoccupations de nos compatriotes. Nous aurons recruté 250 emplois en 2009 et en recruterons 240 en 2010. Le plan pour l'égalité des chances, ce sont 170 jeunes de milieu modeste scolarisés dans des lycées et écoles militaires où ils bénéficient d'un encadrement de qualité. Ils seront 380 à la rentrée prochaine et 450 en 2010. Des classes-tampons mettront ceux que tentent les grandes écoles à égalité avec les enfants de milieux favorisés. Désormais, les armées, y compris leurs officiers, seront à l'image de la République. Je suis heureux, enfin, de la prochaine réouverture de l'école des mousses. Fermée il y a quelques années, elle accueillera 150 jeunes.

Outre le bilan carbone, le plan de développement durable mobilisera quatre unités. Nous allons inaugurer des panneaux solaires à Istres et 100 millions permettront de lancer la filière de démantèlement et de déconstruction des équipements militaires réformés -nous pourrions trouver des crédits supplémentaires dans le grand emprunt.

Je souhaite aussi créer un grand pôle universitaire et scientifique pour donner à la recherche française sur les questions de défense une qualité et une visibilité à la hauteur de la réputation de nos armées. C'est aussi cela, faire entendre la voix de la France dans les choix internationaux. (M. Robert del Picchia approuve)

Enfin, nous devons faire preuve de responsabilité. Après les députés le mois dernier, vous examinerez le projet de loi visant à indemniser les victimes des essais nucléaires français. Ce texte permettra à la France d'être en paix avec elle-même, comme l'ont déjà fait la Grande-Bretagne et les États-Unis. J'espère que nous trouverons une fenêtre parlementaire pour inscrire ce texte très attendu.

Si ce projet de loi participe d'un vaste mouvement de réforme, les fondements de la culture de défense demeurent intangibles : dévouement, courage et sens de l'action collective. Cet outil ne serait rien sans la qualité des femmes et des hommes, civils comme militaires, qui le servent quotidiennement, et auxquels nous avons rendu hommage hier.

M. Alain Gournac.  - C'était magnifique !

M. Hervé Morin, ministre.  - Par leur amour de la France et leur professionnalisme, ils montrent aux Français combien ils peuvent être fiers de leur défense et compter sur leurs armées.

Cette réforme engage notre responsabilité envers les générations futures : la défense est gardienne de notre héritage et porteuse de nos valeurs. Grâce à elle, nous construisons l'avenir de notre pays pour qu'il conserve toute sa place parmi les grandes nations et participe aux grands équilibres du monde. (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Josselin de Rohan, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.  - (Applaudissements sur les bancs UMP) Le vote d'une loi de programmation militaire marque toujours une étape majeure pour notre politique de défense, qu'il s'agit d'inscrire dans une indispensable vision à moyen terme tout en assurant la cohérence entre les objectifs et les moyens. Ce texte répond bien à cette exigence. Il ne prévoit pas une simple continuation de la précédente loi de programmation militaire, mais fait suite à la réflexion menée dans un cadre dépassant très largement les seuls responsables de la défense, et dont a découlé le Livre blanc.

Nous poursuivons principalement trois ambitions. Tout d'abord, il nous faut adapter notre outil de défense. Même si des ajustements ont constamment été opérés dans les dix ou douze dernières années, le cadrage stratégique de notre politique méritait d'être entièrement réactualisé. Depuis le précédent Livre blanc, la réalité du monde multipolaire s'est affirmée, modifiant les rapports entre États, et générant des tensions et des crises. Nous devons tirer les enseignements de nos engagements militaires dans des opérations très diverses, y compris dans des régions du monde en dehors de notre champ d'intervention traditionnel.

Il nous faut aussi prendre en compte les vulnérabilités nouvelles susceptibles d'affecter le territoire et les populations par une vision plus globale anticipant tous les risques quelles que soient leur nature et leur origine. Les perspectives en matière de défense doivent également être considérées à la lumière du développement des opérations de l'Union européenne, des résultats obtenus lors de la présidence française et de la réflexion menée sur l'articulation entre notre ambition européenne et notre position dans l'Alliance atlantique, à laquelle appartiennent également vingt de nos partenaires.

La deuxième ambition consiste à permettre à la France de continuer à assumer ses responsabilités en matière de sécurité internationale. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, il lui faut intervenir dans le règlement de crises hors d'Europe et témoigner sa solidarité avec ses alliés de l'Union européenne et de l'Alliance atlantique. L'accentuation prévue de l'effort de défense traduit un choix clair et courageux pour maintenir la France parmi les nations dotées d'une capacité d'action militaire au plan international.

Enfin, ce texte entend poursuivre la modernisation de notre outil de défense dans un cadre financièrement soutenable. La loi de programmation qui s'est achevée il y a six mois aura été avant tout une loi de redressement : les crédits ont été consommés à près de 98 %. Sur les quatre derniers exercices, nous avons consacré 15,5 milliards d'euros par an aux dépenses d'équipement, soit 30 % de plus qu'au cours de la période 1998-2001. Parallèlement, la professionnalisation a été consolidée et la capacité opérationnelle des armées attestée sur les théâtres d'opérations. Mais nous avons sévèrement décroché de l'objectif de réalisation du modèle et, en dépit d'un effort financier très conséquent, l'écart a continué de se creuser dans l'avancement des programmes d'équipement, en raison du surcoût lié à l'entretien des matériels et à plusieurs programmes, et de difficultés industrielles. Le glissement des programmes et la réévaluation des coûts d'acquisition et d'entretien rendaient une remise à plat inévitable, effectuée dans le cadre du Livre blanc.

Cette loi de programmation s'inscrira dans un cadre plus souple que par le passé. L'horizon 2020 n'est pas assorti d'un nouveau modèle, mais de grands objectifs opérationnels et de capacités susceptibles d'être régulièrement réactualisés. La loi de programmation sera révisée au bout de quatre ans, avec un point d'étape en 2010 lors de la loi triennale de programmation des finances publiques. La volonté d'accroître les ressources allouées à la défense se traduit par une augmentation du budget de la mission, auquel s'ajoutent les crédits du plan de relance et les recettes exceptionnelles provenant de cessions immobilières et de fréquences : 31 milliards d'euros annuels hors pensions, soit 4,5 % de plus qu'en 2008, sont prévus pour les six prochaines années. Il s'agit donc bien d'une priorité quand la règle générale est la croissance zéro. C'est un point très positif.

Enfin, au sein de cette enveloppe en progression, est prévu un profond redéploiement des crédits. Le ministère de la défense n'a cessé de se réformer depuis la professionnalisation, mais cet effort doit être poursuivi, en priorité pour les structures d'administration générale et de soutien sur lesquelles 75 % des réductions d'effectifs doivent être concentrées. La part des dépenses de personnel et de fonctionnement devrait passer de 50 à 43 % des ressources hors pensions. La part du budget d'équipement augmentera en conséquence et représentera en moyenne 17 milliards d'euros par an, soit 10 % de plus qu'en 2008.

Les gains ainsi réalisés permettront également de poursuivre l'amélioration de la condition des personnels, tant militaires que civils, grâce à de nouvelles grilles indiciaires et à des mesures indemnitaires. Le provisionnement des opérations extérieures sera porté à 630 millions d'euros en 2011, contre seulement 24 millions en 2001.

De nouveaux équilibres vont s'établir au sein de notre outil de défense. Les choix effectués permettent à la France de conserver, dans le cadre d'un format resserré et concentré, un éventail de capacités en accord avec ses responsabilités internationales. Avec le maintien des moyens de la dissuasion et l'accentuation des capacités de connaissance et d'anticipation, notamment grâce à la progression du budget spatial militaire qui passera de 500 à 800 millions d'euros, ce texte montre que la France entend conserver les moyens de son autonomie stratégique, renforçant ainsi sa spécificité en Europe.

C'est sur les moyens d'intervention que les incidences de la contraction du format sont les plus sensibles, particulièrement sur ceux liés au combat terrestre de haute intensité et sur la flotte de surface, avec la diminution du nombre de frégates et le report de la décision sur un éventuel second porte-avions. Toutefois, les matériels de nouvelle génération attendus disposeront de capacités opérationnelles renforcées par rapport à leurs prédécesseurs. Un effort très important portera sur des programmes moins emblématiques, mais essentiels en termes de capacités militaires tels les nouveaux capteurs optiques ou radars, les moyens de communication et de transmission de données et les armements de précision. Les dotations pour l'entretien des matériels, déjà très fortement réévaluées au cours de la précédente loi de programmation, seront majorées. Les moyens consacrés à la recherche seront consolidés plus que véritablement augmentés. Cela doit d'autant plus nous inciter à mutualiser la recherche européenne, dans le cadre de l'Agence européenne de défense ou de projets bilatéraux ou multilatéraux.

Le cadre général de notre politique de défense pour les prochaines années a recueilli l'approbation de la majorité de la commission, mais il faut évoquer certains défis auxquels elle sera confrontée et sur lesquels il faudra être particulièrement vigilant. La dégradation du contexte économique et financier fait courir un risque à l'augmentation des ressources. Dans l'immédiat, le Gouvernement a choisi d'accélérer, et non de freiner, la réalisation de la programmation. Les crédits prévus pour 2009 et 2010 ont été majorés par le plan de relance, et tout est fait pour qu'ils soient consommés et participent au soutien d'un secteur très important pour notre économie. Nous souhaitons que l'attention particulière portée à la défense soit maintenue lorsque les conditions économiques auront changé et que le remboursement des avances s'effectue selon le calendrier prévu, de manière échelonnée.

Le deuxième défi est celui des recettes exceptionnelles. (M. Didier Boulaud s'exclame) Nous avons pris acte de la mise en place, à l'automne, de la structure nécessaire à la cession des immeubles parisiens du ministère, et des avances budgétaires permettant de pallier le retard prévisible des ventes immobilières et de fréquences. L'essentiel est que le volume global des ressources exceptionnelles ne soit pas remis en cause.

Le troisième défi est celui de la réorganisation du ministère et de la déflation des effectifs, dégageant les marges nécessaires. Faute de véritable mobilisation, le recrutement des militaires engagés servira de variable d'ajustement, au détriment de nos capacités opérationnelles.

Enfin, le quatrième défi sera de maîtriser d'éventuels surcoûts en cours de programmation. Un comité ministériel d'investissement et un comité financier évalueront le coût et la soutenabilité des programmes d'armement.

Sur plusieurs programmes, néanmoins, la programmation est établie sur la base de cibles et cadences de livraison qui n'ont pas encore été consolidées. L'équilibre économique du programme Rafale sera ainsi conditionné par les résultats à l'exportation ; malgré une mobilisation au plus haut niveau, cet aléa demeure.

La poursuite du programme A400M est une autre incertitude : l'enveloppe devra couvrir son financement ainsi qu'une large gamme de mesures destinées à atténuer l'aggravation du déficit en transport aérien.

Le maintien en condition opérationnelle des équipements constitue lui aussi un enjeu majeur. La maîtrise de coûts en pleine progression est indispensable au respect des équilibres financiers prévus dans le projet de loi.

Enfin, à l'issue de la revue de la structure de commandement de l'Otan, nous devrons dégager un effectif plus important que prévu pour servir dans les états-majors alliés. Il n'y a pas de raison que ce surcoût soit entièrement supporté par la loi de programmation militaire.

Le projet de loi comporte d'importantes dispositions législatives. Il fallait assouplir les conditions de créations de filiales par DCNS, qui voit s'ouvrir de réelles perspectives de développement. (M. Jean-Pierre Godefroy s'émeut) L'Assemblée nationale a apporté des garanties sur le maintien des droits sociaux des personnels transférés. DCNS doit rapidement bénéficier de conditions identiques à celles des autres entreprises publiques.

L'inscription de la Société nationale des poudres et des explosifs (SNPE) au rang des entreprises privatisables lui permettra d'évoluer en consolidant ses activités dans les domaines de la propulsion et des poudres et explosifs. La commission a approuvé le principe de la privatisation, même s'il appartient au Gouvernement d'en apprécier le moment et les modalités.

Enfin, la question de la protection du secret de la défense nationale a donné lieu à malentendus : il s'agit de permettre -et non de limiter- des perquisitions pouvant toucher au secret de la défense nationale, en leur donnant un cadre juridique reposant, à l'instar de la procédure actuelle de déclassification, sur l'intervention de la commission consultative du secret de la défense nationale. Dans son avis du 5 avril 2007, le Conseil d'État a souligné les obstacles à la conduite de perquisitions lorsque sont en jeu des documents classifiés, et l'impossibilité pour le juge d'accéder à certains lieux. Il fallait un cadre juridique clair. L'Assemblée nationale, après de longs débats, est parvenue à un texte équilibré, même si le rôle du président de la commission consultative aurait gagné à être mieux mis en évidence. (M. Alain Gournac le confirme) Tout comme la commission des lois, nous avons cependant préféré nous en tenir au texte de l'Assemblée.

M. Didier Boulaud.  - Conforme !

M. Josselin de Rohan, rapporteur.  - A ce stade, des modifications de détail prolongeraient inutilement la navette, alors que ce texte, déposé en octobre 2008, est très attendu. Il doit être adopté définitivement, alors que s'élabore le projet de budget pour 2010.

En programmant, pour les six prochaines années, une augmentation des moyens, nous adressons un signe clair à la communauté de la défense. Cet engagement financier de la Nation donne tout leur sens aux efforts de réorganisation et d'adaptation que civils et militaires accomplissent avec résolution et discipline. C'est également un signe important pour nos personnels engagés sur les théâtres d'opérations, auxquels nous devons tous rendre hommage. (Applaudissements à droite)

M. François Trucy, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - (Applaudissements à droite) Si l'intégrité d'un territoire, la liberté et l'indépendance d'une nation sont des biens fondamentaux, les lois de programmation militaires et les budgets consacrés à la défense nationale sont des textes essentiels. Pour que la France conserve son rang dans le concert des nations et contribue au maintien d'une paix mondiale plus que jamais menacée, notre programmation militaire doit être à la hauteur. Si la France veut préserver la sécurité sur son propre territoire, et partout où vivent et travaillent nos compatriotes, nos armées doivent être opérationnelles.

La loi de programmation militaire est issue du Livre blanc, de la révision des programmes de défense, de la révision générale des politiques publiques, et de la réorganisation générale des armées lancée par le ministère de la défense. Le rapport qui lui est annexé reprend les conclusions du Livre blanc sur les orientations de la politique de défense, décrit la programmation des équipements, décompose l'enveloppe financière : c'est un travail énorme, que notre commission a particulièrement apprécié.

Parmi les dispositions législatives figurent la révision de l'ordonnance de janvier 1959, la création d'un Conseil de défense et de sécurité nationale et, en son sein, d'un Conseil national du renseignement.

La loi est évolutive : elle prévoit un rapport d'étape en 2010, une révision au terme de quatre ans et une nouvelle loi de programmation pour 2013-2018, ce qui lui permettra de s'adapter aux évolutions stratégiques, politiques et économiques. Elle mécontentera ceux qui croient encore viable le modèle Armées 2015, mais conviendra aux réalistes, dont le Sénat, qui ne se paye pas de mots.

La loi est cohérente : avec les études qui l'ont précédée, avec les leçons tirées de l'exécution de certaines lois de programmation précédentes, avec les priorités du Livre Blanc. Elle trace les perspectives du financement des équipements militaires à l'horizon 2020, garantissant la poursuite des programmes au-delà de 2014. Elle est en concordance avec le plan de relance.

La loi de programmation militaire est sincère dans l'exposition de ses ressources humaines et financières. Mais le défi sera difficile à relever, car il faudra respecter les engagements financiers, ainsi que la déflation des effectifs prévue. Une gestion rigoureuse des programmes d'équipement suppose une bonne exécution des contrats par les industriels. Il faudra également gager les surcoûts indispensables à la modernisation des équipements militaires.

La moitié des crédits prévus par l'État dans le cadre du plan de relance concerne la défense. C'était un sacré pari. Regroupés dans une mission spécifique, créée pour deux ans, ces crédits seront réservés à un programme exceptionnel d'investissement public. La charge sera intégralement engagée sur le territoire national. Le ministre a rappelé les programmes concernés. Une question toutefois : quid de l'équipement de la direction du renseignement militaire (DRM) ?

La gestion des effectifs s'articule autour de cinq priorités : la réduction des effectifs, le maintien des recrutements, le soutien à la condition militaire et à l'action sociale des armées, la fidélisation des contrats, les reclassements en sortie de contrat.

La loi de programmation oblige à préserver l'équilibre entre les suppressions d'emplois et les recrutements. L'armée accueille chaque année entre 20 000 et 30 000 militaires et civils ; il est indispensable de préserver l'attractivité des contrats. Il ne suffit pas de dire, comme font les services de communication des armées, que celles-ci offrent des centaines de métiers passionnants : il faut que cela reste vrai. Or la diminution en cours d'année de certains crédits de fonctionnement ne peut que réduire les activités qui rendent ces métiers attractifs. Il est également nécessaire d'améliorer la condition militaire et d'encourager l'action sociale des armées, car, dans une armée professionnelle le poids des familles est lourd. Les lois de finances précédentes y ont pourvu, mais il faut poursuivre cet effort afin de fidéliser les nouvelles recrues. Beaucoup de militaires s'inquiètent aujourd'hui de leur avenir.

Enfin, les armées doivent offrir des perspectives à l'issue des contrats. La loi prévoit des indemnisations et des pécules, mais elle élargit surtout pour les militaires l'accès aux emplois publics. Cependant, même si ces passerelles ne concernent que les titulaires d'environ 1 100 équivalents temps plein sur un total de 6 300 supprimés chaque année, n'est-il pas trop optimiste de prévoir que la moitié d'entre eux seront versés à la fonction publique d'État, l'autre moitié à la fonction publique territoriale, si l'on songe aux baisses drastiques d'effectifs résultant de la RGPP ? D'ailleurs, pour garantir le succès de ces reclassements, il faut prévoir des mesures d'accompagnement.

Nous félicitons le ministère pour ce projet de loi qui est assurément le fruit d'un travail considérable. (On ironise à gauche) La réorganisation de nos armées, la réalisation des bases de la défense, la consolidation de nos capacités opérationnelles : tous ces objectifs devraient être atteints. C'est pourquoi la commission des finances, à une exception près, a approuvé ce texte et souhaite que le Sénat en fasse autant. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances.  - La commission des finances, comme à son habitude, a examiné sans complaisance ce projet de loi et s'est notamment interrogée sur son équilibre financier. Si le texte nous avait paru irréaliste, nous l'aurions dit. Mais ce n'est pas le cas, malgré les aléas auxquels l'action politique ne peut échapper.

M. Hervé Morin, ministre.  - Sans aléas, il n'y a pas de vie !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - La principale qualité de ce projet de loi est sa sincérité. (M. Didier Boulaud s'esclaffe) Il eût été facile de prétendre que le « modèle d'armée 2015 », défini en 1997 puis en 2003, était encore accessible et de laisser à la législature suivante le soin de revoir les objectifs à la baisse. Le Gouvernement a le courage de reconnaître que 35 milliards d'euros manqueront en 2015 pour réaliser ce modèle, et rompt ainsi avec une politique d'affichage.

Quels sont les aléas auxquels nous sommes confrontés ? Il y a d'abord de faux aléas. A l'Assemblée nationale, l'opposition a insisté sur les incertitudes liées aux ressources exceptionnelles et à la déflation des effectifs, mettant même en cause la sincérité du projet de loi. Mais cette opinion est parfaitement infondée. En ce qui concerne les ressources exceptionnelles, il faut distinguer le court et le long terme. A court terme, M. le ministre a lui-même reconnu que les ressources provenant des cessions de fréquences hertziennes ne seront pas disponibles dès 2009. En outre, la société de portage que doivent créer la Caisse des dépôts et consignations et la Sovafim ne sera mise en place qu'en octobre prochain. Mais ce retard n'est pas de nature à compromettre l'équilibre du projet de loi, même au cas où le produit des cessions immobilières n'aurait pas été perçu avant l'automne. Sur 1,6 milliard d'euros de ressources exceptionnelles prévues pour 2009, 360 millions ont déjà été perçus, essentiellement sous la forme d'une soulte de la Société nationale immobilière. La diminution de l'inflation devrait permettre d'économiser environ 300 millions d'euros. En outre, le ministère de la défense devrait être autorisé à consommer plusieurs centaines de millions d'euros de crédits reportés de 2008 à 2009. Compte tenu du fait que les ressources exceptionnelles représentent seulement 5 % des crédits de la mission « Défense », certaines dépenses pourraient être reportées à 2010.

M. Didier Boulaud.  - Au diable l'avarice !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - Il est vrai qu'à long terme, on peut craindre que le produit des cessions de biens immobiliers en province, initialement évalué à 400 millions d'euros, ne soit très inférieur à cause de la crise immobilière...

M. Didier Boulaud.  - Mince !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - On fit d'ailleurs cette estimation avant de décider de céder des biens aux collectivités locales pour un euro symbolique. Mais les pertes ne s'élèveraient qu'à quelques centaines de millions d'euros d'ici à 2014.

M. Didier Boulaud.  - On en a les moyens !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - Rien aujourd'hui ne permet de penser qu'à l'échéance du projet de loi, les ressources exceptionnelles ne seront pas globalement disponibles.

De même, il paraît peu vraisemblable que l'équilibre du présent projet de loi soit remis en cause par une déflation des effectifs moins rapide que prévu. Le ministère de la défense n'est pas dans la même situation qu'une entreprise cherchant à réduire ses effectifs : une armée, par la nature des choses, connaît d'importants flux d'entrées et de sorties.

Quels sont donc les véritables aléas ? Le risque principal, passé jusqu'ici inaperçu, tient à l'effet conjugué des modalités d'indexation retenues et de l'inflation moins forte que prévu. Ce projet de loi de programmation, comme les précédents, est défini en euros constants. On pourrait s'en féliciter, les crédits étant ainsi protégés de l'inflation. Mais le présent texte innove en programmant non seulement les dépenses d'équipement, mais aussi les dépenses de personnel, qui ne dépendent pas de l'inflation et représentent environ un tiers des dépenses totales. Ainsi, dans le cas où l'inflation serait moins forte que prévu, le ministère de la défense ferait des économies sur les deux tiers de ses dépenses, mais pas sur le tiers restant, ce qui se solderait par une perte de pouvoir d'achat. Inversement, une inflation plus forte que prévu augmenterait son pouvoir d'achat : c'est le contraire de ce qui se passe pour la ménagère. La faible inflation en 2009 et 2010 pourrait donc diminuer d'environ 2 milliards d'euros le pouvoir d'achat de la mission « Défense » d'ici 2014. Mais rien ne permet d'exclure d'ici là une forte inflation.

Un autre aléa, moins important, tient au fait que les crédits de paiement en 2009 et 2010 sont légèrement supérieurs à ce que prévoit le présent projet de loi. C'est une bonne chose, mais cela nous laisse dans l'incertitude pour l'avenir : faut-il considérer qu'il s'agit de ressources définitivement acquises, ou de l'anticipation de ressources qui auraient dû être perçues plus tôt ?

Le projet de loi prévoit la livraison d'environ 50 Rafale d'ici 2014, mais, si les résultats à l'exportation sont moins bons, cela pèsera sur notre budget. S'agissant des opérations extérieures, le texte prévoit d'augmenter considérablement les crédits qui leur sont dévolus dans la loi de finances : il faut se féliciter de cet effort de sincérité. Mais il est probable que leur coût restera supérieur au montant prévu. Le projet de loi prévoit que ce surcoût sera financé par la réserve de précaution créée par la Lolf, mais la rédaction retenue est ambiguë : elle ne précise pas si la réserve de précaution utilisée sera celle des autres ministères. Dans ces conditions, il ne paraît pas impossible que le surcoût des opérations extérieures continue à être financé en partie par les crédits de la mission « Défense ». (Marques d'ironie à gauche)

En outre, on ne sait ce qui se passera lors de la révision du projet de loi en 2012. Les dépenses doivent normalement augmenter de 1 % par an en volume à partir de 2012, mais elles pourraient rester stables si les finances publiques sont toujours aussi dégradées. Les crédits s'en trouveraient diminués d'environ un milliard d'euros entre 2012 et 2014.

Je passe sur les aléas classiques liés au cours du pétrole, au coût de l'entretien du matériel, à l'évolution de la masse salariale, au possible dérapage du coût de certains programmes -souvenons-nous de l'A400M- ou à des commandes de matériel imprévues. Il demeure que ce présent projet de loi paraît plus réaliste que les précédents.

M. Didier Boulaud.  - Surtout le dernier !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - La crise économique ne facilite pas les choses. Mais selon les estimations de la commission des finances, si toutes nos craintes se réalisaient, il ne manquerait que 7 milliards d'euros d'ici à 2014, dont la moitié imputable à la crise économique, alors qu'il a manqué 13 milliards d'euros pour réaliser la loi de programmation 1997-2002 et 8 milliards d'euros pour réaliser la suivante.

M. Hervé Morin, ministre.  - Ce qui ne représente que 4 %.

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - Certes.

M. Didier Boulaud.  - La faute à Madoff !

M. Charles Guené, rapporteur pour avis.  - Sensible au réalisme et à la sincérité de ce projet de loi, la commission des finances lui a donné un avis favorable. (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois.  - La commission des lois a été saisie, pour avis, des articles 12, 13 et 14 qui modifient les dispositions du code de procédure pénale, du code pénal et du code de la défense, relatives aux perquisitions judiciaires et au secret de la défense nationale. Répondant aux incertitudes de notre droit relevées par le Conseil d'État dans son avis du 5 avril 2007, ces articles s'efforcent d'établir un équilibre entre deux objectifs constitutionnels : la nécessité de protéger le secret de la défense nationale et celle de disposer de moyens efficaces pour rechercher les auteurs d'infraction.

Alors que le droit en vigueur ne mentionne que les documents classifiés, le projet de loi introduit la référence aux lieux dans lesquels se trouveraient de tels documents ainsi qu'aux lieux qui seraient en eux-mêmes classifiés. Il distingue ainsi les lieux classifiés, les lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale et les lieux neutres où sont incidemment découverts des éléments classifiés.

C'est dans la création des lieux classifiés que le projet de loi est le plus novateur et susceptible d'interrogations, tant nous pouvions craindre la création de lieux sanctuarisés interdits à toute visite, en quelque sorte des zones de non-droit. Cette nouvelle notion répond directement à une observation du Conseil d'État qui fait expressément référence au risque encouru par le juge du seul fait de sa présence dans un de ces lieux. Ainsi, l'article 13 qui les institue, les définit clairement comme des lieux « auxquels il ne peut être accédé sans que, à raison des installations et des activités qu'ils abritent, cet accès donne par lui-même connaissance d'un secret de la défense nationale ».

Le texte, tel qu'il a été amendé par l'Assemblée nationale, devrait apaiser les inquiétudes. La décision de classification résulterait d'un arrêté du Premier ministre, arrêté lui-même soumis à deux conditions. D'une part, seule la décision de classification ferait l'objet d'une publication au Journal officiel dans laquelle figurerait la liste de ces lieux. En revanche, leur délimitation précise ne saurait être rendue publique et devrait donc figurer nécessairement à l'annexe qui constituera elle-même un document classifié. Cette publication présente un double avantage : elle écartera le soupçon de classification de pure circonstance, liée par exemple à l'ouverture d'une information judiciaire ; elle permettra de connaître précisément le nombre de lieux classifiés. D'autre part, la décision de classification devrait être prise après avis de la commission consultative du secret de la défense nationale, commission dont l'impartialité est saluée par tous ses interlocuteurs et dont les avis ont, jusqu'à présent, dans leur quasi-totalité, été suivis par le Gouvernement. Enfin, la classification devrait être prise pour une durée de cinq ans afin d'inviter le Premier ministre à vérifier le bien-fondé de sa décision. L'éventuelle prolongation devrait faire l'objet d'une nouvelle procédure et serait rendue publique. Le nombre de lieux classifiés devrait être extrêmement réduit, au nombre de dix-neuf d'après les précisions que vous nous avez apportées, monsieur le ministre. En outre, compte tenu des contraintes lourdes qui régissent l'accès aux lieux classifiés, ceux-ci devraient, en principe, être étroitement circonscrits au sein des espaces protégés.

J'en viens aux lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale. Cette notion, issue des travaux de l'Assemblée nationale, a remplacé la notion imprécise de lieux « susceptibles d'abriter des éléments couverts par le secret de la défense nationale » et elle a le mérite d'interdire une interprétation très extensive. Les députés ont également souhaité que le choix de ces lieux fasse l'objet d'une procédure précise comportant trois garanties fixées par le législateur. Premièrement, ces lieux seront mentionnés dans une liste établie de façon précise et limitative par arrêté du Premier ministre. Deuxièmement, cette liste sera régulièrement actualisée et communiquée à la commission consultative ainsi qu'au ministre de la justice, qui devraient la rendre accessible au magistrat de façon sécurisée. Troisièmement, les conditions de délimitation des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale seront déterminées par décret en Conseil d'État.

Enfin, restent les lieux neutres qui sont tous ceux qui ne relèvent pas des deux catégories précédentes et où, vraisemblablement, les informations classifiées se trouveront de façon irrégulière et seront découvertes fortuitement.

Compte tenu des garanties apportées par l'Assemblée nationale, il convient de maintenir le texte amendé. Au regard de l'État de droit, la loi interdit désormais juridiquement l'existence de lieux totalement sanctuarisés, la définition des lieux classifiés et des lieux abritant des éléments couverts par le secret de la défense nationale conduisant à considérer tout autre lieu comme un lieu neutre.

L'Assemblée nationale a mieux encadré la procédure de perquisition afin de préserver les compétences et les moyens d'action du magistrat, et de garantir la protection du secret de la défense nationale.

La perquisition intervenant dans les lieux classifiés, soumise à des conditions très strictes, ne pourrait être réalisée que par le magistrat lui-même et en présence d'un membre de la commission consultative. En outre, préalablement à la perquisition, le magistrat doit adresser au président de cette commission une décision écrite et motivée, indiquant la nature de l'infraction sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de cette dernière. La perquisition ne serait possible qu'après une déclassification provisoire des lieux par l'autorité administrative.

Pour les lieux abritant un secret de défense nationale, l'Assemblée nationale a profondément modifié les modalités d'intervention du président de la CCSDN. D'abord, l'information préalable du juge serait limitée aux seules « informations utiles » à l'accomplissement de sa mission. Cependant, ces informations ne doivent pas être entendues de manière restrictive, mais dans le cadre d'un dialogue constructif entre l'autorité judiciaire et le président de la commission. Ce président, ou son représentant, serait tenu de se transporter « sans délai » sur les lieux. Enfin, les informations relatives à la nature de l'infraction sur laquelle portent les investigations ne lui seraient communiquées qu'au commencement de la perquisition, à l'instant même où elles seraient également transmises au chef d'établissement, à son délégué, ou un responsable du lieu.

Pour les perquisitions amenant la découverte fortuite de documents classifiés dans des lieux neutres, si le magistrat ne se trouve pas sur les lieux, il est immédiatement averti par l'officier de police judiciaire et doit en informer le président de la commission consultative. L'Assemblée nationale a prévu la mise sous scellés des éléments classifiés par le magistrat ou l'officier de police judiciaire, sans que ces derniers puissent en prendre connaissance, et leur remise ou leur transmission au président de la commission, chargé d'en assurer la garde.

Le déroulement de la perquisition obéit aux mêmes principes de protection du secret de la défense nationale. Le dispositif proposé par le Gouvernement, sous réserve de quelques modifications, a été conservé par l'Assemblée nationale. Il comporte plusieurs garanties au regard de la sauvegarde de ce secret. Seul le président de la commission consultative pourrait prendre connaissance d'éléments classifiés découverts sur les lieux. Le magistrat ne peut saisir que les éléments classifiés relatifs aux infractions sur lesquelles portent ses investigations. Les éléments classifiés saisis seraient inventoriés par le président de la commission consultative, puis placés sous scellés par ses soins.

Je regrette que des dispositions, modifiant le code de procédure pénale et le code pénal, aient été incluses dans un projet de loi de programmation militaire. Pour autant, compte tenu des améliorations apportées par l'Assemblée nationale, les articles 12 à 14 assurent un équilibre satisfaisant entre les deux objectifs constitutionnels précités. En outre, le cadre juridique fixé exclura à l'avenir l'existence de lieux sanctuarisés et non identifiés, puisque le juge sera autorisé à y accéder. Les procédures de perquisition sont proches de celles retenues pour les perquisitions au cabinet ou au domicile d'un avocat. Enfin, le dispositif proposé accorde une place accrue à la commission consultative dont l'indépendance et l'impartialité n'ont jamais été remises en cause depuis sa création en 1998.

En conséquence, votre commission des lois vous invite à adopter sans modification ces articles 12,13 et 14. (Applaudissements à droite)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Depuis deux ans, une vaste réforme modifie l'organisation de notre défense et ce projet de loi de programmation en constitue la clef de voûte. L'enjeu, important pour notre sécurité mais aussi pour l'emploi et l'industrie, aurait mérité que les conditions d'un vrai débat soient réunies, tant en commission qu'en séance publique. Tel n'a pas été le cas. Après le passage de la TVA à 5,5 % dans la restauration, cela fait deux fois, en l'espace de quelques jours seulement, que des dispositions aux conséquences considérables sont examinées par le Sénat dans des conditions insatisfaisantes.

M. Didier Boulaud.  - C'est la revalorisation du rôle du Parlement !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Cela ne peut pas durer ! On ne peut pas continuer à attendre de nous des votes conformes pour éviter un accident de parcours lors d'une seconde lecture à l'Assemblée nationale. On attend de nous que nous votions la loi, pas que nous confirmions les votes de l'Assemblée. Ce n'est pas ce projet de loi qui est en cause, monsieur le ministre, ni le travail colossal qui a été accompli en amont, mais nos conditions de travail.

Je tenais à le dire car il aurait été souhaitable que les craintes émises à propos de l'article 5 et, plus largement, à propos du concept de sécurité nationale, soient levées. C'est une des innovations majeures introduites par le Livre blanc. Il s'agit de proposer une stratégie de sécurité nationale répondant à toutes les menaces contre la vie de la Nation. C'est une bonne chose, mais des réserves se sont exprimées, car associer sécurité intérieure et extérieure évoque de mauvais souvenirs. En fait, toute la pensée libérale et démocrate-chrétienne va à l'encontre de cette association. Nous savons trop à quelles terribles dérives l'ingérence des militaires dans la société a mené, notamment en Amérique latine, durant des décennies. Sans porter de jugement hâtif sur une situation complexe, les récents évènements au Honduras témoignent du fait que cette menace existe toujours. (On apprécie sur les bancs du CRC-SPG) Un débat moins réduit dans le temps aurait permis de rassurer, de lever ces réserves.

De même, il aurait été souhaitable que nous puissions, nous aussi, prendre le temps de débattre des articles 12, 13 et 14. Les dispositions votées par l'Assemblée nationale ont permis de trouver un juste équilibre entre la sauvegarde du secret défense et la recherche des auteurs d'infractions, et je me réjouis du fait que cette rédaction redonne à l'exécutif toutes les prérogatives qui doivent lui revenir en matière de secret défense.

Là encore, ce n'est pas le texte qui est en cause, c'est la forme qui aurait pu être améliorée. Le fond, en revanche, est à la hauteur de l'enjeu.

L'enjeu, c'est la sécurité de demain. Il faut la financer et c'est ce qu'autorise ce texte, puisqu'il constitue la première étape d'un effort de 377 milliards d'ici à 2020. Sur la période 2009-2014, 186 milliards seront affectés à la mission « Défense », dont 102 milliards pour l'équipement des forces.

Depuis la fin de la guerre froide, le monde a changé, les menaces ont changé. Mais la sécurité de demain passe toujours par la dissuasion. Elle n'est plus suffisante, mais elle doit rester « l'assurance vie de la Nation ». C'est ce que permettra cette loi de programmation, en maintenant notre effort dans ce domaine et en le renforçant, par le lancement d'un programme d'alerte avancée.

A ce sujet, nous devons prévoir un programme d'alerte spatiale qui serait un élément essentiel du futur système d'alerte globale avancée. Pour l'alerte spatiale, le démonstrateur Spirale, dont les deux satellites ont été lancés en février, confirme la faisabilité de ce projet. Mais afin que ce démonstrateur puisse jouer tout son rôle, il faut prévoir des investissements : 700 millions seraient nécessaires pour que le projet soit opérationnel en 2016. C'est peu, comparé aux dizaines de milliards que les États-Unis dépensent depuis 1982 pour construire leur bouclier antimissile. C'est peu, alors que la France pourrait proposer à l'Europe une protection antimissile autonome. J'espère que les orientations qui seront arrêtées permettront de dégager les moyens nécessaires.

Aujourd'hui, le programme « Recherche duale » doit définir une nouvelle stratégie. Depuis cinq ans, nous assistons à la reconduction des crédits à deux seuls opérateurs, le Cnes et le CEA. Mon collègue Christian Gaudin avait dit, lors de la dernière loi de finances, que cette situation n'était pas satisfaisante et il avait proposé la création d'un programme « Recherche spatiale » pour financer spécifiquement les travaux du Centre national de recherche. En reprenant le système Spirale, ce système d'alerte spatiale pourra avantageusement contribuer à la surveillance spatiale et aérienne ainsi qu'à l'observation de phénomènes naturels ou de sites industriels.

Depuis le lancement du premier satellite russe, le 4 octobre 1957, l'espace a pris une importance considérable dans nos systèmes de défense. C'est sans aucun doute l'un des principaux enjeux stratégiques de demain, et la France ne doit pas prendre de retard dans ce domaine. Aujourd'hui, ce système est vulnérable. Pour le protéger, il faudrait donner à l'espace toute la place institutionnelle qu'il mérite. Peut-être pourrait-on envisager qu'à côté de l'air, de la mer et de la terre, l'espace dispose, lui aussi, d'un état-major dédié.

Face aux nouvelles menaces, la sécurité de demain passe aussi par le renseignement. C'est pourquoi la loi de programmation militaire érige la connaissance et l'anticipation en nouvelle fonction stratégique. Concrètement, elle prévoit de créer 700 postes dans les services de renseignement, de lancer, avec nos partenaires européens, le programme Musis et de mettre en orbite un satellite d'écoute électromagnétique.

Un des grands enjeux de la défense de demain tient à l'amélioration de la disponibilité. Là encore, cette loi de programmation est à la hauteur de cet enjeu en permettant la montée en puissance du service industriel de l'aéronautique créé début 2008 et le regroupement géographique des parcs selon leur emploi.

Cette optimisation passe aussi par l'extension des nouveaux modes de contractualisation avec les industriels de défense -DCNS, Dassault, etc.- et par le développement du contrôle de gestion sur toute la filière.

La coopération avec nos alliés sera essentielle pour assurer notre sécurité. Le Livre blanc est très clair : avec nos partenaires européens et atlantiques, nous avons bien plus que des intérêts communs : nous avons un destin commun, qui doit se traduire par une véritable ambition européenne en matière de défense.

Sous la présidence française de l'Union, l'Europe de la défense a été relancée autour de projets concrets, comme un Erasmus militaire pour les officiers, un groupe aéronaval européen, une flotte européenne de transport, ou encore un réseau de surveillance maritime des côtes européennes. Cette évolution n'a pas échappé à nos partenaires. Depuis quelque temps, le Royaume-Uni se rapproche de l'Union européenne en matière de défense.

Le Livre blanc rappelle que cette défense européenne devrait être à terme en mesure de mener des opérations militaires autonomes et importantes. Cette autonomie n'est pas concurrente de l'Alliance atlantique. Bien au contraire, elle la renforce car l'Union européenne et l'Alliance Atlantique doivent être complémentaires. Cette idée rejoint d'ailleurs la doctrine défense de la famille centriste, inscrite dans le marbre par Jean Lecanuet. En rapprochant nos équipements de ceux de nos partenaires, en facilitant l'interopérabilité, en donnant à notre industrie de défense les moyens de nouer plus facilement des partenariats avec des entreprises européennes, cette loi de programmation nous satisfait pleinement.

Enfin, il faut que les femmes et les hommes qui assurent notre sécurité obtiennent les meilleures conditions matérielles, organisationnelles et financières possibles. Il faut qu'en cours d'intervention leur protection soit maximale et qu'ils puissent exercer leur métier dans les meilleures conditions. L'immense réforme de notre défense a demandé beaucoup d'efforts à tous les personnels. Heureusement, un vaste plan d'accompagnement a été prévu : 140 millions par an pour les aides au départ, à la mobilité et à la formation.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure !

M. Yves Pozzo di Borgo.  - En revanche, comment comptez-vous accompagner les territoires affectés par la réforme de la carte militaire ? Mêmes interrogations sur les cessions d'emprises militaires avant leur dépollution. A l'heure du Grenelle de l'environnement, l'État ne peut laisser le secteur privé effectuer seul ce travail de dépollution.

Avec la loi de programmation militaire nous pourrons bâtir une nouvelle défense. La majorité du groupe de l'Union Centriste la soutiendra. (Applaudissements au centre et à droite)

Mme la présidente.  - Je demande à tous les orateurs de respecter leur temps de parole.

Mme Michelle Demessine.  - En ce lendemain de 14 juillet, notre grande fête nationale républicaine qui célèbre la cohésion de la Nation et de ses armées, nous abordons, enfin, l'examen de cette loi de programmation militaire 2009-2014 qui fixe les principes de notre politique de défense et donne à nos armées les moyens nécessaires à l'exercice des missions que leur confie la Nation. Il est toutefois paradoxal d'examiner ce texte aujourd'hui, avec huit mois de retard, alors que la première annuité est déjà largement entamée et que le ministère de l'économie et des finances prépare la seconde.

M. Hervé Morin, ministre.  - Nous aussi !

Mme Michelle Demessine.  - Le Gouvernement nous demande de débattre de décisions qui sont déjà prises, et la majorité du Sénat, jugeant peut-être que la comédie a assez duré, nous invite à ne pas débattre en acceptant le texte de l'Assemblée nationale. (M. Josselin de Rohan, rapporteur, proteste)

Cela étant dit, nous critiquons aussi votre projet de loi car, sur le fond, il met en oeuvre des conceptions avec lesquelles nous sommes en profond désaccord.

En premier lieu, ce texte traduit la nouvelle stratégie de défense et de sécurité nationale définie par le Livre blanc de l'année dernière. Nous avions eu l'occasion, en son temps, de dire toutes les réserves que nous inspirait cette nouvelle stratégie. Nous nous opposons donc très vivement aux nouveaux concepts qui sous-tendent certaines analyses stratégiques et prospectives du Livre blanc. Celles-ci traduisent une conception d'un ordre mondial basé sur la domination et impliquent des modifications stratégiques et institutionnelles que nous récusons.

M. Hervé Morin, ministre.  - C'est le contraire qui m'aurait étonné !

Mme Michelle Demessine.  - La pleine réintégration dans le commandement militaire de l'Otan et le nouveau concept de sécurité nationale modifient considérablement l'approche de la défense nationale qui, jusqu'à présent, emportait l'adhésion de tous. La décision du Président de la République de réintégrer le commandement militaire de l'Otan est une réorientation stratégique qui révèle sa vision atlantiste de l'ordre mondial. C'est un gage d'alignement donné aux États-Unis afin de normaliser nos relations avec ce pays. Mais les raisons invoquées par le Président de la République sont injustifiées. Il ne s'agit en effet pas de renforcer l'influence de la France au sein de l'Alliance atlantique car nous savons tous que le poids de notre pays dépend plus de sa volonté politique, de ses capacités et de son savoir-faire militaires, que de son statut dans le commandement militaire intégré. La nomination de deux de nos généraux à la tête des commandements de l'Otan n'y changera rien : ils ne pourront qu'appliquer les concepts stratégiques conçus à Washington.

A l'en croire, le Président de la République voulait aussi rassurer nos partenaires européens en affirmant que nous ne voulions pas concurrencer l'Otan tout en les amenant à participer à l'Europe de la défense. Là encore, il n'y a pas de quoi pavoiser, devant les réactions de nos partenaires et les maigres résultats des six mois de présidence française. Nous n'avons enregistré aucune avancée sur la politique européenne de sécurité et de défense ni sur les créations d'un état-major permanent de conduite et de planification des opérations et d'une Agence européenne de l'armement dotée d'une réelle autorité. La réintégration du commandement intégré de l'Otan a donné un signal négatif à ceux des pays européens qui se satisfont d'une défense à moindre coût sous le parapluie de l'Otan et qui ne veulent pas d'une politique autonome de sécurité et de défense pour l'Europe.

Le statut spécifique de la France nous procurait une réelle autonomie de décision par rapport aux États-Unis et garantissait que nous voulions élaborer en Europe une politique commune de sécurité et de défense. La loi de programmation militaire qui entérine cette réorientation stratégique nous fera perdre ces précieux atouts.

La définition dans le Livre blanc d'un arc de crise allant de l'Atlantique à l'Océan Indien, avec la création d'une base à Abu Dhabi, est également lourde de conséquence. Il s'agit en effet de la première base française créée à l'étranger depuis la fin de la période coloniale. Avec cette implantation, la France a franchi un cap stratégique, souscrivant ainsi officiellement au rôle de sous-traitant des États-Unis dans la défense occidentale du golfe arabo-persique, au prix, sans nul doute, de la perte de son autonomie de décision.

Il est inacceptable que, dans un pays démocratique comme le nôtre, la décision stratégique d'implanter une nouvelle base à l'étranger n'ait pas fait l'objet d'un débat devant la représentation nationale. En outre, les accords de défense signés avec les Émirats, dont les parlementaires connaissent l'existence mais pas le contenu, nous feraient courir un risque majeur. Si l'on en croit des informations récemment parues dans la presse, nous risquerions en effet d'être entraînés quasi mécaniquement dans un affrontement nucléaire régional. (M. le ministre s'exclame)

Pour éviter ces ambiguïtés, il est indispensable, tout en préservant une confidentialité bien compréhensible, que les commissions parlementaires compétentes soient informées du contenu de ces accords de défense.

Nous sommes également très réservés au sujet de la cinquième fonction stratégique, les interventions extérieures, qui devraient être strictement circonscrites aux opérations de stabilisation ou de rétablissement de la paix autorisées par le Conseil de sécurité de l'Onu. Ces interventions coûtent de plus en plus cher -852 millions d'euros en 2008. Le Parlement doit se prononcer sur l'opportunité et la durée de ces missions !

Sur la dissuasion nucléaire, nous avons un désaccord fondamental. Vous en faites la clef de voûte de notre sécurité, quand nous y voyons un danger pour le monde et une incitation à la prolifération. Et la dissuasion nucléaire accapare trop de moyens budgétaires, la sécurité de notre personnel en mission s'en ressent. La France se doit de prendre des initiatives plus fortes que celle du Président de la République à Cherbourg l'an dernier. Il faut parvenir rapidement au désarmement multilatéral, et sans attendre abaisser le seuil de notre armement à la stricte suffisance.

M. Hervé Morin, ministre.  - On y est déjà !

Mme Michelle Demessine.  - La nouvelle stratégie, celle du Livre blanc, est à l'article 5 presque un cavalier législatif. Elle amalgame deux notions, défense nationale et sécurité intérieure, diluées dans un concept unique. Elle mélange toutes les menaces et tous les risques, sans hiérarchisation. Elle procède d'une vision strictement occidentale, conforme au « choc des civilisations » cher à l'ancienne administration américaine. Elle s'inspire trop directement des nouveaux concepts stratégiques de l'Otan. Un officier général français vient du reste d'être nommé à la tête du commandement de Norfolk pour travailler à la transformation des concepts de l'Otan.

Les risques que vous décrivez englobent tout à la fois la prolifération nucléaire, les attentats terroristes, les attaques informatiques, la lutte pour l'accès aux ressources naturelles, les pandémies, les catastrophes naturelles... Mais les solutions proposées sont essentiellement sécuritaires et militaires ; elles ne s'attaquent pas aux causes profondes. Les menaces, multiformes et diffuses, viennent de partout, y compris de l'intérieur, de certains quartiers ou de certaines catégories de la population. Nous dénonçons cette dérive !

Cette nouvelle stratégie induit un changement profond dans l'organisation des pouvoirs publics, en modifiant l'ordonnance de 1959 et en créant un Conseil de défense et de sécurité nationale. Vous touchez à l'équilibre même de nos institutions ! Nous nous opposons fermement à cet accroissement du champ des compétences du Président de la République. L'extension du secret de la défense nationale à des lieux modifie aussi nos équilibres institutionnels et n'a pas sa place dans une loi de programmation militaire. Cette nouvelle disposition semble surtout destinée à protéger des secrets d'État dans des affaires politiquement sensibles, plutôt que des informations concernant la défense nationale. Vous tirez les enseignements d'investigations judiciaires trop poussées à votre goût dans les affaires récentes, frégates de Taïwan, Clearstream, perquisition à l'Élysée à propos de l'assassinat du juge Borrel... La mesure va au-delà des recommandations de la commission consultative du secret de la défense nationale et de l'avis du Conseil d'État. Avec la nouvelle catégorie juridique des « lieux classifiés », vous étendez le secret défense, mais surtout vous restreignez gravement les pouvoirs d'investigation des magistrats en imposant l'habilitation du ministre de tutelle. Le pouvoir exécutif a toute latitude pour décider à tout moment de la classification d'un lieu ! Tout cela s'ajoute à la suppression prochaine de la fonction de juge d'instruction : on comprend que les magistrats soient inquiets de cette reprise en main.

Cette loi de programmation militaire n'est pas simplement la traduction des grandes orientations du Livre blanc. Elle contient aussi des mesures qui tendent à moderniser l'outil militaire, à le rendre plus efficace, plus mobile. Nous ne contestons pas les programmes d'équipement ; mais nous critiquons la façon dont cette loi sera financée.

Pour mieux équiper nos forces et revaloriser la condition militaire, vous organisez le plus grand plan social que notre pays ait connu et vous comptez sur des recettes exceptionnelles bien aléatoires. Vous prévoyez une « déflation » de 7 000 postes par an, principalement dans le soutien, l'administration et les personnels civils, sans oublier la perte de 16 000 emplois due à l'externalisation de certains services. Ces objectifs sont irréalistes en période de crise. Ils procèdent d'une application toute mécanique des principes de la RGPP. Et croyez-vous vraiment vendre pour un milliard d'euros d'immeubles parisiens ? Pensez-vous que les opérateurs de téléphonie vont se jeter sur les fréquences hertziennes et vous en offrir 600 millions d'euros ?

La privatisation de deux de nos industries stratégiques nous choque aussi grandement. DCNS, fleuron national de la construction navale, entrerait dans le droit commun des privatisations. Le démantèlement d'une entreprise intégrée se profile, derrière la création de filiales dans lesquelles l'État serait minoritaire. En quoi préservez-vous nos bases industrielles et technologiques de défense ? La privatisation de la Société nationale des poudres et des explosifs serait peut-être encore plus risquée ; cette entreprise fabrique des carburants utilisés pour les missiles balistiques ou pour les lanceurs spatiaux civils. Il n'est pas envisageable, « action spécifique » ou non, qu'un secteur industriel aussi sensible dépende pour une large part d'intérêts privés ! Cette orientation est révélatrice de la politique industrielle sans fil conducteur clair que vous menez aussi au plan européen. Vous voulez participer à tout prix au Monopoly européen dans ce secteur en privilégiant les prises de participation, les acquisitions, les alliances capitalistiques. Mieux vaudrait garder la maîtrise de la puissance publique et développer des coopérations et des partenariats où chacun conserve ses atouts nationaux.

Cette loi de programmation militaire, qui prétend adapter nos armées aux réalités d'aujourd'hui, le fait selon des conceptions stratégiques que nous ne partageons pas et par des moyens que nous condamnons. En conséquence, le groupe CRC-SPG votera contre votre projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe CRC-SPG)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Le projet de loi de programmation militaire a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 29 octobre 2008 et il est regrettable que sa discussion devant le Sénat intervienne aussi tard et dans la précipitation. Entre-temps, la crise économique a bouleversé les perspectives économiques et financières ! Du reste, l'exécution de cette programmation militaire est subordonnée à la maîtrise des finances publiques, ce qui ne laisse pas de nous inquiéter.

Le Parlement ne trouve pas son compte dans ce simulacre de débat. Une session extraordinaire, au creux de l'été, conduit le Gouvernement à demander au Sénat de voter conforme un texte amendé à la va vite par l'Assemblée nationale. Il serait navrant que le fait majoritaire, instrumentalisé d'en haut, ressuscite le vote bloqué ! Le Sénat est réduit à jouer le rôle d'une simple chambre d'enregistrement, y compris sur le rapport annexé qui reprend les orientations du Livre blanc de juin 2008, lequel imprime un réel tournant politique à la politique de défense.

Cette absence de débat sur le fond nuit au consensus, toujours souhaitable quand il s'agit de défense nationale. Je crois y avoir apporté ma pierre dans les années 70, en ralliant la gauche à la dissuasion nucléaire, au nom de l'indépendance nationale. L'attitude du Président de la République et du Gouvernement vis-à-vis du Sénat me choque, car le consensus national sur la défense a été jusqu'à présent un atout précieux pour la crédibilité de celle-ci.

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Vous gâchez cet atout bien à la légère, par votre refus du débat comme par le contenu de votre politique, en rupture avec le souci de l'indépendance nationale.

Certes ce projet de loi de programmation a quelques avantages. Pour autant que les crédits prévus seront effectivement inscrits en lois de finances, il donne à nos armées la visibilité nécessaire et comble une partie de leur retard d'équipement. Mais il faut pour en juger se projeter à l'horizon 2020 et même au-delà... Or aujourd'hui, nos soldats, d'un grand professionnalisme, accomplissent leurs missions avec des matériels à bout de souffle.

Une déflation annuelle de 7 800 postes est censée gager l'investissement ; mais comment seront opérées les reconversions, notamment dans une fonction publique où un départ à la retraite sur deux ne sera pas remplacé ?

M. Didier Boulaud.  - Exact !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Et comment éviter l'inversion de la pyramide des âges de nos militaires ?

La programmation pérennise la dissuasion. C'est, à mes yeux, un mérite non négligeable. A Prague, le Président Obama a ouvert des perspectives nouvelles à la réduction des armements nucléaires. Faut-il rappeler cependant les 1 700 à 2 200 -demain 1 500 à 1 650- têtes nucléaires déployées par les États-Unis et la Russie, les stocks de têtes stratégiques de ces pays ainsi que les armes nucléaires tactiques ?

On aboutit à un total de 10 000 têtes nucléaires. A Prague, le Président Obama a douté voir un jour le désarmement. La Chine, l'Inde, le Pakistan ont la bombe, et quand d'autres pays développent leur arsenal, il est légitime que la France se donne les moyens de calibrer sa dissuasion à un format de stricte suffisance, surtout compte tenu du fait qu'après vingt ans les systèmes perdent de leur fiabilité.

Si j'approuve certains aspects, je refuse une inspiration qui rompt avec l'indépendance. Le concept fourre-tout de mondialisation est censé justifier notre retour dans l'Otan sans qu'une défense européenne ait pris préalablement corps. Mais la mondialisation ne procède pas seulement de facteurs techniques comme la facilité des communications, elle vient de l'emprise croissante du capital financier qui bouleverse la géographie des puissances. Des pays anciennement avancés comme la France voient leur tissu industriel se déliter, tandis que l'on assiste à une montée de la Chine et de l'Inde ainsi qu'à un retour de la Russie. Des tensions se développent, ainsi sur les hydrocarbures, les matières premières, les inégalités se creusent. En résultent des replis identitaires, ethniques ou religieux qui nourrissent des conflits asymétriques, rendus plus dangereux par la dissémination.

Alors, quelle sortie de crise ? Nous ne devons pas nous mettre à la remorque d'autres puissances. Mais ce n'est pas le choix fait par le Livre blanc, qui met en avant le multilatéralisme. Certes, le Président de la République mentionne l'indépendance dans la préface, mais c'est en deuxième lieu, après nos obligations internationales. Et lorsque l'on approuve par principe l'élargissement de l'Otan, que devient sa gouvernabilité ? L'avoir complètement réintégré est symptomatique de notre nouvelle posture.

Il est inquiétant que l'Alliance se voit reconnaître la mission de gérer les crises au nom d'intérêts stratégiques communs -une communauté d'intérêts à démontrer. La France et les États-Unis n'ont pas toujours la même politique dans le Golfe ; l'Asie centrale n'a jamais été notre priorité, contrairement aux États-Unis.

L'Otan n'a pas à devenir une Onu bis. L'ambition européenne se trouve mise en avant sans que ses progrès aient assuré une contrepartie au retour dans l'Otan. L'état-major de Mons n'a que les moyens que l'Otan lui accorde et nos amis britanniques veillent à éviter toute montée en puissance.

M. Didier Boulaud.  - Eh oui !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Les intérêts de sécurité communs ? Beaucoup de nos partenaires voient en l'Otan les moyens de s'en remettre aux États-Unis.

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Ils évoluent.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Je ne le vois pas.

M. Didier Boulaud.  - Même à la loupe !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Si nos voisins parlent d'un pôle européen, la plupart s'en remettent aux armes de l'Otan ou militent pour le désarmement de l'Europe ! Vous prétendiez aboutir à une défense européenne autonome mais vous aboutissez au résultat inverse.

En désignant comme ennemi prioritaire le terrorisme d'inspiration djihadiste, on nous amène à confondre défense et sécurité intérieure. Elles ne doivent pourtant pas l'être ; aux termes de l'article 15 de la Constitution, le Président de la République préside les conseils de défense mais non ceux de sécurité intérieure : la Constitution n'autorise pas cette extension de ses pouvoirs. Confondre action militaire et policière a plus d'inconvénients que d'avantages. On glisse de l'esprit de défense vers la sécurité nationale. Votre concept de défense nationale l'est fort peu, qui nous met dans le sillage des États-Unis, lesquels modifient leur politique sans prendre le temps de consulter leurs alliés. Ces méandres nous échappent largement. De Bush à Obama, vous retardez d'un président !

M. Didier Boulaud.  - Exact !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Illustrant ces dérives, le texte sur la protection du secret de défense nationale est une usine à gaz. Il aurait fallu que la loi apporte publiquement une définition simple mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

La définition de nos zones de sécurité prioritaire commence par l'arc de crise qui va de la Mauritanie au Pakistan, mais est-il judicieux de confondre l'Atlas et l'Hindou-Kouch et de parler d'Afpak ? Il faut distinguer le conflit israélo-palestinien de la question iranienne sur laquelle la diplomatie française gagnerait à imiter le pragmatisme du Président Obama, car une guerre en Iran précipiterait les dangers que l'on veut éviter.

M. Didier Boulaud.  - Très juste !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - L'Afrique, reléguée au troisième rang, n'aurait qu'une base, sans doute à Dakar. Mais une grande partie des francophones résident en Afrique centrale, dont les richesses attirent les convoitises et dont les États sont fragiles. On ne peut se dissimuler qu'il conviendrait d'y maintenir des forces prépositionnées.

Tout cela témoigne d'un rétrécissement de l'ambition nationale. Il en est de même avec la privatisation de la SNPE ou la création de filiales minoritaires de la DCNS alors que l'État doit contrôler la fabrication de ses missiles stratégiques.

Comment, à la longue, le consensus national sur la défense résistera-t-il à une telle accumulation d'analyses superficielles et d'orientations dangereuses ? Certes, tout n'est pas mauvais, et je serai vigilant sur l'application, mais l'adhésion ne peut aller qu'à une politique conforme à l'intérêt national.

Certains membres de mon groupe privilégieront les moyens offerts par cette loi de programme ; d'autres, plus sensibles à la désinvolture avec laquelle le Gouvernement traite le Sénat et à la réorientation de la politique extérieure, s'abstiendront ou voteront contre. Quelle défense indépendante après avoir réintégré le giron de l'Otan que le général de Gaulle nous avait fait quitter il y a 43 ans ? Il faudra nous convaincre ; nous jugerons votre politique aux actes. (Applaudissements et « très bien » à gauche)

M. Daniel Reiner.  - Le 14 juillet, le pays se rassemble et, comme chaque année, on vient « voir et complimenter l'armée française ».

M. Hervé Morin, ministre.  - Et après il y a le 15 !

M. Daniel Reiner.  - Membre permanent du Conseil de sécurité de l'Onu, notre pays se doit de tenir son rang et d'affecter à la défense une part significative de son PNB. L'examen d'une loi de programmation doit être utile et affirmer cette volonté aux yeux de l'étranger, éclairer nos industriels et conforter le lien armée-Nation, si facile à distendre depuis la fin de la conscription. Votre loi de programmation 2009-2014 était attendue depuis longtemps ; elle méritait un large débat. Dommage qu'il soit escamoté par la volonté de la majorité sénatoriale de l'adopter conforme.

Cette loi vient après d'autres et ne peut ignorer les exercices précédents. Celle de 1996-2002, inspirée du Livre blanc de 1994 a intégré la suppression du service militaire et engagé la restructuration de l'industrie de défense.

M. Didier Boulaud.  - Très bien !

M. Daniel Reiner.  - Celle de 2002-2008 était, disait-on, volontariste. Trop ambitieuse, elle n'a pu atteindre les objectifs affichés. Les moyens n'ont pas suivi, et l'affirmation chaque année par chaque arme qu'elle avait pu assurer l'essentiel de ses missions, relevait de l'effet rhétorique.

Elle n'a pas non plus atteint son objectif pour les équipements, en dépit de la satisfaction de circonstance affichée année après année par la ministre de la défense au moment des lois de finances initiales. L'écart a grandi, jusqu'à la découverte de cette fameuse « bosse » qu'il faut aujourd'hui araser. Les rapports des commissions des affaires étrangères et des finances sur ce sujet sont plus critiques que ne viennent de l'être les rapporteurs au micro...

Le modèle d'armée 2015, séduisant sur le papier, s'est révélé inatteignable. Le groupe socialiste l'avait dit en son temps. Il n'est pas satisfait pour autant d'avoir eu raison, et l'on peut toujours espérer que les leçons du passé servent à bâtir une loi de programmation raisonnable, dans le cadre des moyens financiers que la Nation peut accorder à sa défense. Nous n'attendons pas un exercice déclamatoire, mais une programmation réaliste. Or le modèle que vous nous proposez aujourd'hui ressemble comme un petit frère au précédent, mais très amaigri après la cure RGPP.

Il était nécessaire de discuter du modèle d'armée : armée de projection ou de protection du territoire, ou apte à toutes ces tâches ? L'insuffisance des ressources financières est venue à bout du modèle 2015. Le nouveau modèle disposera-t-il des ressources nécessaires ? J'entends les déclarations et les promesses, qui n'engagent, comme on sait, que ceux qui les reçoivent.

Les budgets affichés pour cette loi s'élèvent à 30 milliards d'euros par an, augmentés pendant cinq ans de recettes exceptionnelles. Cela représente pour l'équipement une moyenne annuelle de 17 à 18 milliards. En 2002, le Gouvernement de votre majorité avait annoncé un effort de 14 à 15 milliards, équivalent à celui annoncé en 1996. Dans les deux cas, ces montants n'ont pu être atteints, même en période de croissance. Il faudrait être bien optimiste pour prévoir le contraire dans le contexte budgétaire actuel et avec un niveau d'endettement qualifié cet après-midi de « montagne de dettes » par le président de la commission des finances.

Votre volontarisme ne suffira pas, et il n'est guère raisonnable de maintenir dans ce texte des chiffres calculés avant la crise, à moins qu'il ne s'agisse d'une loi d'affichage de plus. J'espère en outre que le plan de relance de la défense ne sera pas seulement une anticipation de court terme rapidement touchée par la régulation budgétaire, qui s'est souvent exercée ces dernières années en priorité sur ces dépenses-là... Les engagements non tenus se sont traduits par des retards dans la réalisation des programmes et dans les livraisons, par des réductions de volumes et des augmentations de coûts qui désolent les unités et désespèrent les industries. Mieux vaudrait faire des choix et annoncer moins plutôt que de ne pas tenir ses engagements.

A l'exception des moyens de la dissuasion nucléaire, qui paraissent sanctuarisés -mais il faudrait y regarder de plus près-, le rapporteur du programme 146 que je suis ne peut que constater que les insuffisances capacitaires relevées au début de la dernière loi de programmation n'ont pas disparu. Ainsi des programmes d'hélicoptères de combat Tigre et de transports NH 90, dont on parle depuis vingt ans : les premiers Tigre viennent à peine d'être livrés et les NH 90 sont attendus pour 2011. Quant à l'avion de transport A400M, chacun sait ici, après avoir lu l'excellent rapport de nos collègues Masseret et Jacques Gautier, que la première livraison attendue cette année n'est plus à l'ordre du jour.

En outre, la disponibilité des matériels majeurs est affectée par l'insuffisance du renouvellement des pièces de rechange. C'est vrai de nos sous-marins comme de nos avions de combat. L'objectif de 240 appareils de combat avec un taux de disponibilité de 70 % est-il réellement atteignable ? Quel est ce taux aujourd'hui ? Allez-vous encore réduire le nombre de ces appareils ? La cadence de livraison du Rafale envisagée par la présente loi conduirait, si elle était prolongée, à la livraison du dernier appareil en 2036... (M. Didier Boulaud s'exclame)

Quant aux programmes de cohérence opérationnelle, considérés parfois à tort comme mineurs, ils sont constamment l'objet d'arbitrages défavorables. Destinés à parfaire l'équipement de nos unités engagées dans les opérations extérieures, ils font pourtant preuve de leur efficacité et pourraient inspirer la réalisation de programmes de matériels simples et fiables, rapidement adaptables aux divers théâtres d'opérations. Il y a là peut-être une source d'économie.

Monsieur le ministre, je plaide pour que l'on n'inscrive que ce que l'on pourra réellement faire, en qualité, en quantité et en temps, et que l'on renonce à ce que nos moyens ne permettent pas. Si cette loi faisait preuve de ce courage, cela constituerait un vrai progrès. Nous croyons, parmi d'autres, qu'elle n'a pas cette qualité. Ce projet ne choisit pas et voudrait à nouveau tout faire, ou du moins le faire croire. Ainsi, il s'agirait, selon vous, d'une armée de projection de 30 000 hommes en moins de six mois... mais sans moyens de projection.

Ces budgets, ces équipements n'ont de sens et de valeur que par les hommes qui les servent. Nous saluons tous ici régulièrement leur professionnalisme, leur dévouement, leur courage et leur capacité d'adaptation. Depuis la suppression du service militaire, ils ont eu à faire preuve d'une certaine flexibilité : la définition d'une armée « modèle 2015 » a été abandonnée, puis la RGPP, objet politique maI identifié, a exigé une réduction drastique de près de 54 000 emplois militaires en six ans, une nouvelle organisation du soutien et un déploiement des garnisons resserré autour des bases de défense. Attention à ne pas mettre la barre trop haut, ou plus exactement trop bas, avec 275 000 emplois en 2014 pour les trois armes et leur soutien et 7 à 8 000 suppressions d'emplois par an !

Le plus surprenant n'est pas tant la crainte de ne pas atteindre ce seuil, mais plutôt la réponse des personnels. Les volontaires au départ semblent plus nombreux que la déflation prévue. Cela mérite une analyse sociologique plus fine car l'armée doit attirer des vocations.

Mme la présidente.  - Veuillez conclure.

M. Daniel Reiner.  - J'y viens, mais un budget de 377 milliards d'euros mérite bien une à deux minutes supplémentaires !

Comment ne pas craindre qu'une sous-estimation de la masse salariale ne fasse échouer un équilibre financier si délicat ? 13 000 soldats sont engagés en permanence dans des missions extérieures, 35 000 participent à des missions de présence et de souveraineté, et près de 2 000 assurent des missions de sûreté sur le territoire national. Pensez-vous que cette cure d'amaigrissement permettra de maintenir une armée opérationnelle ?

Cette loi présente des défauts majeurs : la réorientation stratégique qui la sous-tend, des moyens financiers surévalués, une déflation d'effectifs qui s'apparente à une saignée. La majorité à laquelle appartient votre Gouvernement est responsable de la question militaire depuis sept ans, voire quatorze. La programmation précédente et celle-ci s'exercent sous votre responsabilité, et les lacunes capacitaires sont le résultat de votre action. Comment aujourd'hui pourrions-nous vous faire confiance ? (Applaudissements à gauche)

La séance est suspendue à 19 h 40.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.