Jardins d'éveil (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de Mme Françoise Cartron à Mme la secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité sur l'expérimentation des jardins d'éveil.

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Au printemps dernier, madame la secrétaire d'État, vous annonciez de nouvelles structures d'accueil consacrées aux enfants de 2 ans, les jardins d'éveil ; 8 000 places devaient être créées entre 2008 et 2012. Cette annonce faisait suite aux rapports parlementaires de Mme Tabarot et de nos collègues Mme Papon et M. Martin. Il faut préciser que le Gouvernement et la majorité critiquent vivement la scolarisation des enfants de 2 ans à l'école maternelle...

Mais six mois après l'annonce de la création des jardins d'éveil et deux mois après la rentrée scolaire, où en sommes-nous ? Très peu de places ont été créées, tandis que la scolarisation des enfants de 2 ans devient de plus en plus difficile. Pour l'heure, cette novation a surtout contribué à affaiblir les possibilités d'accueil des plus petits à l'école. Mais, nous l'avons bien compris, il s'agissait précisément de creuser une première brèche dans le modèle français de l'école maternelle.

M. Claude Domeizel.  - Eh oui !

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Nous ne pouvons l'accepter. C'est pourquoi j'ai souhaité que nous dressions un premier bilan de l'expérimentation et que nous revenions sur les présupposés idéologiques de cette création. Vous annonciez 8 000 places sur la période 2009-2012 et des jardins d'éveil devaient ouvrir dès cette rentrée. Or dans ma région, l'Aquitaine, aucun n'a encore vu le jour. Ailleurs, les structures mises en place restent très marginales : 300 places environ, semble-t-il. On est loin d'une adhésion enthousiaste. A Paris, la municipalité a vu dans cette initiative une concurrence inacceptable pour l'école maternelle, ne répondant nullement aux besoins de garde des enfants de 2 ans. Dans le même temps, l'académie a encore réduit le nombre de places en maternelle : seulement 327 élèves de 2 ans scolarisés dans la capitale cette année, contre 528 en 2008. C'est pourquoi la municipalité a adopté un voeu pour s'opposer à l'expérimentation des jardins d'éveil, dont les financements incomberaient à la ville. Ce cas n'est pas isolé, de nombreuses collectivités ont la même réaction. Ne tentez pas de caricaturer cette opposition en la présentant comme politique, car des élus de toutes sensibilités partagent ce point de vue.

Le 30 septembre dernier, un collectif baptisé « Pas de bébés à la consigne ! », regroupant une trentaine de syndicats et d'associations familiales et professionnelles, a mis en garde le Gouvernement contre les lacunes de l'accueil des tout-petits en crèche et en maternelle. Les deux principales associations de parents d'élèves regrettent de ne pas avoir été consultées et estiment que la nouvelle structure répond moins bien que l'école maternelle aux besoins des enfants. Cette méfiance s'explique aussi par les incertitudes entourant les jardins d'accueil. Le jardin d'éveil sera-t-il « une structure adaptée aux moins de 3 ans », comme le suggéraient les rapports parlementaires ? Y aura-t-il un aménagement fonctionnel des locaux ? L'espace sera-t-il conçu à l'échelle des petits ? Tout reste flou, ambigu. Vous avez, comme les auteurs des rapports, envisagé des jardins situés dans les locaux mêmes des écoles maternelles. Aujourd'hui, on nous parle d'un adossement aux structures d'accueil collectif existantes.

En prévoyant d'installer le jardin d'éveil au sein même de l'école, vous accréditiez l'idée que les instituteurs n'ont pas à s'occuper des jeunes enfants. Aujourd'hui, les enfants de 2 ans, mais demain, peut-être, ceux de 3, 4 ou 5 ans... Et la scolarisation pré-élémentaire sera finalement remise en cause. Les locaux scolaires sont, dites-vous, inadaptés aux plus jeunes. Mais comment faire mieux avec 23 millions d'euros pour 2009-2012 ? Malheureusement pour vous, l'installation des jardins d'éveil dans les écoles rencontre l'opposition farouche des enseignants et le ministre de l'éducation nationale lui-même s'est finalement prononcé contre. Où allez-vous alors les installer ? Avec quel argent ? Seules les communes les plus riches pourront s'offrir de telles structures : le principe d'égalité est bien chahuté...

En ce qui concerne l'encadrement et les effectifs, on ne perçoit pas non plus l'apport des jardins d'éveil. Les rapports parlementaires mettaient l'accent sur les effectifs trop élevés dans les petites sections de maternelle. Les tout-petits ont certes besoin d'être accueillis dans des structures restreintes, où leur sécurité affective est assurée. Mais ce constat ne disqualifie en rien l'école maternelle. Si les classes sont surchargées, c'est à cause des suppressions de postes. On prive l'école de moyens pour ensuite constater, faussement navré, son échec. Améliorons le taux d'encadrement des classes de 2 et 3 ans et le problème sera résolu ! Du reste, dans les jardins d'éveil, il est prévu deux adultes pour 24 enfants, ce qui n'est guère éloigné des réalités de l'école maternelle.

On nous dit que les jardins d'éveil ne sont pas destinés à concurrencer l'école maternelle pour les plus de 3 ans ; mais les enfants y resteront dix-huit mois, autrement dit jusqu'à 3 ans et demi, âge auquel ils auraient plus de profit à être scolarisés. Le plus grand flou entoure aussi les contenus. Une « préparation à la scolarisation », nous dit-on, avec davantage d'activités libres, mieux adaptées aux enfants de 2 ans. Quelle ignorance de l'enseignement à l'école maternelle, qui tend à la socialisation de l'enfant et au développement de ses capacités intellectuelles ou physiques. La création des jardins d'éveil va de pair avec une mise en cause de l'école maternelle, que reflète parfaitement le rapport de Mme Papon et M. Martin.

Les parents seraient réticents à scolariser les enfants de deux ans.

L'idée de créer les jardins d'éveil s'appuie sur un constat démographique bien réel : de moins en moins d'enfants de 2 à 3 ans sont scolarisés. Dans son rapport sur l'accueil du jeune enfant pour 2008, l'Observatoire national de la petite enfance estime qu'entre les rentrées 2007 et 2008, l'école maternelle française a perdu environ 500 classes et 16 000 élèves. Selon ce même conseil, cette baisse de fréquentation s'expliquerait par la moindre scolarisation des enfants de 2 ans. Seulement 160 000 enfants de moins de 3 ans fréquentaient une école maternelle en 2007-2008, contre 250 000 en 2001. En Aquitaine, le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est passé de 35 % en 2000 à 18 %.

De ce constat, faut-il conclure que les familles répugnent à scolariser les enfants de 2 ans ? Non, bien sûr ! Je cite une nouvelle fois le rapport de l'Observatoire national de la petite enfance : «L'accueil des enfants dès 2 ans en maternelle se fait en fonction des places disponibles et dépend fortement des effectifs des enfants âgés de 3 à 5 ans ». En d'autres termes, les enfants de 2 ans sont une variable d'ajustement de la politique de l'éducation. C'est d'ailleurs ainsi que peuvent s'expliquer les très faibles taux de scolarisation des moins de 3 ans dans des départements à forte croissance démographique comme la Seine-Saint-Denis. Les parents souhaitent toujours autant inscrire leurs enfants en maternelle dès 2 ans, particulièrement dans les quartiers défavorisés ; c'est la politique du chiffre menée depuis sept ans qui les en empêche.

L'école serait inadaptée, voire nocive pour les jeunes enfants. Les rapports parlementaires ont largement contribué à répandre cette idée que la scolarisation précoce serait trop contraignante et ne répondrait pas aux besoins de sécurité affective des plus jeunes. J'ai été très choquée par cette affirmation qui va totalement contre ce que j'ai constaté durant des années en tant que directrice d'école maternelle.

Pour plus de sûreté, j'ai tenu à auditionner des spécialistes reconnus de la petite enfance. Mme Agnès Florin, professeur en psychologie de l'enfant et de l'éducation à l'université de Nantes, nous a fourni de nombreuses références à des études longitudinales démontrant les effets positifs de la scolarisation précoce. Les suivis de cohortes menés sur 10 000 enfants par le ministère de l'éducation nationale ainsi que le suivi de 600 enfants de la petite section de maternelle au CM2 par Agnès Florin ont prouvé le bienfait de la scolarisation à 2 ans, notamment en matière d'acquisition du langage et d'accès à la pensée abstraite. L'effet est également positif pour les résultats académiques à moyen terme. C'est encore plus remarquable pour les enfants non francophones, issus de milieux défavorisés. Ces effets positifs sont connus de longue date par les enseignants. C'est pourquoi la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 prévoyait que l'accueil en maternelle des enfants de 2 ans serait étendu en priorité aux écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales ou de montagne.

Les études montrent que l'école maternelle ne présente pas de résultats moins bons que ceux des autres modes d'accueil en matière d'attachement et de sécurité affective. En revanche, les études sur le développement de l'enfant démontrent que le changement trop fréquent de structure d'accueil, ce que ne manqueront pas de provoquer les jardins d'éveil, a des effets très négatifs.

Troisième constat du rapport sénatorial : l'accueil des enfants de 2 ans ne requiert pas l'intervention de professeurs des écoles. Nous avons tous en mémoire les propos malheureux de Xavier Darcos : « Est-ce qu'il est vraiment logique, alors que nous sommes si soucieux de la bonne utilisation des crédits de l'État, que nous fassions passer des concours à bac + 5 à des personnes dont la fonction va être essentiellement de faire faire des siestes à des enfants ou de leur changer les couches ? ». (Exclamations indignées à gauche)

M. René-Pierre Signé.  - Scandaleux !

M. le président.  - N'exagérons rien.

Mme Françoise Cartron.  - Cette affirmation caricaturale témoigne d'une double ignorance : des réalités du métier d'enseignant en maternelle et du degré de professionnalisme nécessaire à l'enseignement des tout-petits.

En fait, ces constats biaisés justifiant la création des jardins d'éveil marquent la volonté de désengagement financier de l'État. Dans un rapport de mars 2009, l'Igas prévoit qu'une place en jardin d'éveil reviendrait à environ 7 500 euros par an ; la Cnaf va même jusqu'à 8 600 euros. Or le coût d'un élève de maternelle était estimé à 4 970 euros par an en 2007. Quel intérêt, alors, de créer une structure au contenu flou qui revient plus cher ? C'est que l'État trouve son intérêt dans le bouleversement du mode de financement : il se désengage d'un service public en en faisant assumer la charge aux collectivités et aux usagers.

Les économies générées par les jardins d'éveil seront minimes mais on accroîtra l'incohérence des politiques d'accueil des jeunes enfants. Dans son rapport de 2008 sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, la Cour des comptes soulignait une « évolution peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public » des deniers consacrés à la garde des jeunes enfants. Elle opposait le coût par enfant de 13 368 euros pour la Paje (prestation accueil jeune enfant) à celui de 4 570 euros pour l'accueil à l'école maternelle. Concernant la scolarisation à 2 ans, la Cour rappelait le Gouvernement à l'ordre : « Quelles que soient les motivations pédagogiques ou financières ayant conduit le ministère de l'éducation nationale à se désengager de la scolarisation des enfants de 2 ans, il conviendrait que les objectifs de l'État soient clairement explicités et que les différents acteurs concernés par la garde des jeunes enfants déterminent conjointement, sous la coordination de l'État, les besoins pour l'avenir et les réponses à apporter ».

Voilà ce qui aurait dû être fait avant la création dans la précipitation de cette nouvelle structure. Celle-ci est tout à fait cohérente avec le reste des politiques menées par ce gouvernement : une déstructuration du service public, avec une volonté idéologique de réduire les coûts. Mais c'est l'avenir des jeunes enfants qui est en jeu. A une école publique gratuite, à l'efficacité reconnue, notamment pour les plus défavorises, vous substituez une structure payante qui ne sera pas accessible à tous.

Cette diversion masque mal les besoins et demandes croissants des familles en matière d'accueil des jeunes enfants. Les places en crèche manquent cruellement partout sur notre territoire. Voilà une première urgence. Aujourd'hui, l'école maternelle peut et doit s'améliorer pour mieux remplir ses missions.

Je voudrais, madame la ministre, obtenir un bilan chiffré des premières créations de jardins d'éveil et des précisions sur le contenu éducatif de cette structure, les modalités d'accueil et d'encadrement qui y seront appliqués ainsi que la formation requise pour les professionnels qui y travailleront. Enfin, je souhaite que vous nous précisiez les financements nécessaires à la création et au fonctionnement de ces nouvelles structures. A qui incomberont-ils ? Quel sera le statut du personnel ?

Tout ceci en ayant en mémoire la phrase prononcée hier à Saint-Dizier par le Président de la République : « Les collectivités territoriales ne peuvent plus continuer à créer plus d'emplois que l'État n'en supprime ». Voilà un bel exemple de travaux pratiques pour nous ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, CRC et RDSE)

Mme Muguette Dini.  - Le 11 mai dernier, vous lanciez dans une petite commune de la Marne, madame la ministre, un plan en faveur de la création des jardins d'éveil, un nouveau mode de garde dédié aux enfants de 2 à 3 ans. Je me réjouis d'un tel projet, dont je regrette le lancement tardif : j'avais proposé la création de ces structures, que je nommais « jardins-passerelles », en 2005, lors de l'examen du projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école, une proposition rejetée par le ministre de l'éducation nationale de l'époque. Mais on a toujours tort d'avoir raison trop tôt ! (Exclamations amusées sur de nombreux bancs)

Le jardin d'éveil répond à l'intérêt des 2-3 ans. Il s'agit très clairement d'une structure adaptée à la maturité psychique et physique de cette tranche d'âge charnière, où l'enfant s'avère déjà grand pour la crèche mais encore petit pour l'école maternelle. L'enfant de 2 ans a un très fort besoin de protection, de sécurité que l'école et son mode de fonctionnement ne sont pas équipés pour satisfaire. Toutes les récentes études et les professionnels de la petite enfance s'accordent à dire que la scolarisation précoce du jeune enfant a des conséquences problématiques sur le développement de ce dernier. C'est un point que nous retrouvons dans le rapport très exhaustif de nos collègues, Monique Papon et Pierre Martin.

L'école ne peut pas respecter les rythmes individuels du tout-petit de 2 ans, liés au sommeil, aux repas, à la propreté et à son besoin d'isolement. L'école peut entraver l'acquisition du langage, pourtant essentielle pour le développement de la personnalité et de la structuration des échanges avec autrui. Le langage s'acquiert convenablement par le contact entre l'enfant et un nombre significatif d'adultes, ce qui n'est aucunement le cas dans une salle de 25 enfants pour 2 adultes ! (Exclamations dubitatives à gauche) Le développement cognitif des moins de 3 ans n'est pas celui des apprentissages du type scolaire, un fossé accentué par le fait que les classes mélangent des âges différents. Les petits sont alors sacrifiés aux plus grands.

Le jardin d'éveil correspond davantage aux attentes des parents. Pendant très longtemps, une large partie de la demande de scolarisation à 2 ans a reposé sur un besoin d'assurance des familles, face aux incertitudes de l'avenir. La scolarisation précoce représentait un gage de bon départ dans le parcours scolaire. Les parents savent aujourd'hui qu'il n'en est rien. Le risque est même de provoquer l'inverse. La scolarisation en maternelle des 2-3 ans résulte d'une confrontation entre une offre pauvre et une demande importante en matière de modes de garde.

Le recensement de 1982 avait montré que les solutions adoptées par les parents dépendaient des facteurs suivants : les équipements en structures de garde, les données démographiques locales, les ressources du ménage, les traditions familiales et régionales. Cela se vérifie encore aujourd'hui puisque ce sont les départements ruraux, moins bien dotés en offres de garde que les autres, qui scolarisent le plus les jeunes enfants. Pour les parents, il s'agit donc bien d'une scolarisation par défaut.

A la lecture des sondages, il est clair que la grande majorité des parents sont réticents à l'entrée à l'école dès l'âge de 2 ans.

M. René-Pierre Signé.  - Nous n'avons pas les mêmes !

Mme Muguette Dini.  - Ils plébiscitent la crèche ou les assistantes maternelles.

Le jardin d'éveil pourrait convenir à beaucoup de communes : les élus ont compris l'intérêt que présente ce nouveau mode d'accueil pour les enfants et les familles. Mais les contraintes de personnel et de locaux imposées par le cahier des charges leur paraissent trop importantes. Comment les communes pourront-elles assumer cette nouvelle charge salariale ? (Plusieurs sénateurs socialistes, ainsi que Mme Françoise Laborde, font entendre les mêmes inquiétudes) Peut-on espérer qu'une partie des crédits affectés au personnel de l'éducation nationale en charge des enfants de 2 ans sera versée aux communes ? (M. Serge Lagauche s'amuse de cette supposition) J'avais déjà posé cette question l'an dernier à M. Darcos, lors de la discussion budgétaire, et il m'avait dit non, sans plus de détail.

Vous l'aurez compris : je suis favorable à ces jardins d'éveil.

M. Nicolas About.  - Très bien !

M. René-Pierre Signé.  - Nous l'avions compris, en effet !

Mme Muguette Dini.  - Mais il ne s'agit que d'une réponse parmi d'autres aux besoins de garde des enfants. Il manque à ce jour environ 400 000 places d'accueil ; ce ne sont pas les 8 000 places créées dans les jardins d'éveil d'ici 2012 qui combleront ce déficit.

Si l'on ne veut plus contraindre les parents, particulièrement les mères, à quitter leur emploi pour garder leurs enfants, il faut continuer à développer les crèches, et surtout soutenir les assistantes maternelles. C'est l'une des conclusions auxquelles M. Juilhard a abouti dans son excellent rapport sur l'accueil des jeunes enfants en milieu rural. Le recours à une assistante maternelle est le mode de garde le moins onéreux, tous financeurs compris.

M. René-Pierre Signé.  - Il n'est pas incompatible avec les autres !

Mme Muguette Dini.  - Les regroupements d'assistantes maternelles constituent une véritable innovation, expérimentée de manière très concluante par M. Arthuis en Mayenne. C'est un dispositif encadré juridiquement par l'article 108 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009. Les projets se multiplient, notamment dans le Rhône et dans l'Orne, pour répondre à la demande de parents qui travaillent à temps partiel ou en horaires décalés. Mais la convention type élaborée par la caisse nationale des allocations familiales et validée par vos services, madame la ministre, est un véritable carcan administratif et normatif qui rend impossible tout regroupement futur et risque de tuer ceux qui existent déjà.

M. René-Pierre Signé.  - Dix minutes !

Mme Muguette Dini.  - En période de restriction budgétaire, cette solution d'accueil financièrement abordable pour les collectivités et répondant aux besoins des parents et de leurs jeunes enfants doit être encouragée. Dans le cadre du prochain PLFSS, la commission des affaires sociales proposera, par le biais de son rapporteur M. Lardeux, un amendement autorisant la délégation de l'accueil des enfants au sein de maisons d'assistantes maternelles, que MM. Arthuis, Juilhard, Lambert et moi-même soutiendrons, ainsi que plusieurs autres membres du groupe de l'Union centriste.

Je compte sur vous, madame la ministre, pour que ces modes de garde innovants se développent et vous remercie par avance de vos réponses.

Mon cher collègue, j'ai parlé neuf minutes et vingt quatre secondes ! (Rires et applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Luc Fichet.  - La création des jardins d'éveil est une idée lumineuse qui, sous couleur d'améliorer la prise en charge de nos bambins, vise à transférer des charges d'investissement aux communes déjà exsangues. La loi du 16 juin 1881, défendue par Jules Ferry, définit l'école maternelle publique comme une école gratuite et laïque. Celle du 30 octobre 1886 confirme son rôle de premier niveau de l'école primaire. Si j'ai tenu à rappeler ces faits anciens, c'est parce que nous sommes à un tournant de l'histoire : la suppression de l'école maternelle est en marche. Au niveau national, le taux de scolarisation des enfants de 2 ans est passé de 35,4 % en 2000 à 20,9 % en 2008, à cause de l'insuffisance des créations de postes et de la suppression en deux ans de 670 emplois stagiaires et de 3 000 emplois d'enseignants Rased dans le premier degré. Les enfants sont souvent entre trente et quarante par classe.

Dans l'académie de Rennes, les écoles maternelles ont accueilli 1 145 élèves de moins cette année, dont la moitié dans le Finistère. Cette baisse concerne principalement les enfants de 2 ans dont l'accueil est délibérément limité. Dans mon département, pour la première fois, les enfants de moins de 3 ans n'ont pas été comptabilisés dans les effectifs des maternelles. Ces dernières années, le rectorat faisait savoir que les augmentations d'effectifs en petite section ne conduiraient pas à l'ouverture de classes ; désormais, on craint des fermetures.

Tout le monde est inquiet : les parents, comme en témoigne le succès du collectif des « maternelles en danger » (marques d'ironie à droite) et de la campagne « Touche pas à ma maternelle » de la FCPE, les syndicats d'enseignants et les élus. Près de 700 communes ont voté une motion de soutien au collectif précité. Les zones rurales, moins pourvues d'établissements d'accueil collectif et où l'école maternelle est la solution idéale, sont particulièrement touchées. Mais les maires ne baissent pas les bras : la mairie de Brest organise par exemple, le 28 octobre, une journée sur la scolarisation des moins de 3 ans. Il est grand temps que le Gouvernement entende leur voix !

Ce débat concerne d'abord nos enfants car la scolarisation précoce favorise la réussite scolaire.

Mme Monique Papon.  - Non !

M. Jean-Luc Fichet.  - Mais si : le taux de réussite scolaire élevé en Bretagne s'explique par la présence de nombreux enfants de moins de 3 ans en maternelle.

M. Nicolas About.  - Voilà une affirmation gratuite ! Et la réussite à Polytechnique ?

M. René-Pierre Signé.  - Des enquêtes prouvent ce que dit notre collègue !

M. Jean-Luc Fichet.  - Ce débat concerne aussi les parents, soucieux de l'éducation de leurs enfants. Les mères souhaitent aussi pouvoir continuer à travailler en plaçant leurs enfants en maternelle. En outre, comme le reconnaissait la Cour des comptes le 18 novembre 2008, ce mode de garde est moins coûteux pour les familles que le placement en établissement d'accueil.

Ce débat concerne enfin les collectivités locales, notamment dans les campagnes. Les petites communes ne peuvent pas créer de jardins d'éveil ! Je ne comprends pas, madame la ministre, que vous fermiez les yeux devant la réalité ! Il y a bientôt un an, les élus ont exprimé leur colère à l'occasion de l'assemblée générale de l'AMF. Je vous mets en garde : votre entêtement attise leur colère, comme vous risquez de le constater dans les prochains jours lors d'une nouvelle assemblée. Le premier souci des élus, c'est de garder leurs enfants sur leur territoire. Mais vous les mettez face à un mur, en leur imposant des investissements impossibles et en doublant le coût de l'accueil des enfants, qui passera de 4 500 euros par enfant pour une maternelle à 8 000 euros en moyenne.

En supprimant des places en maternelle pour les moins de 3 ans et en rendant les jardins d'éveil obligatoires, l'État se défausse une nouvelle fois de ses responsabilités sur les communes.

M. René-Pierre Signé.  - Et sur les ménages !

M. Jean-Luc Fichet.  - En effet. Le premier bilan des jardins d'éveil n'est guère encourageant. Cette structure a été mise en place dans la précipitation : aucun bilan des classes passerelles n'a eu lieu. Les jardins d'éveil, payants, ne seront pas accessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Faut-il rappeler que l'école est gratuite ? Ce que vous mettez en place, c'est un système concurrentiel qui ne sera pas universel.

Que dire de la formation a minima du personnel d'encadrement ? Quelle est sa mission, son projet éducatif ? Qui en définit le contenu ? Ces questions demeurent sans réponse.

Nous, socialistes, demandons l'ouverture d'une véritable concertation, exigée par tous les acteurs et par la Cour des comptes. Celle-ci n'est pas tendre pour le Gouvernement, estimant que la politique du ministère de l'éducation nationale est « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public ». Madame la ministre, hormis le souci de faire des économies, quelles sont donc les raisons qui vous poussent à créer ces jardins d'éveil ? Quel service supplémentaire apporteront-ils aux enfants, aux familles et à la dynamique de nos territoires, dont nos enfants sont l'avenir ? (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - A mi-chemin entre la crèche et la maternelle, le jardin d'éveil est destiné à diversifier l'offre de garde proposée aux parents d'enfants âgés de 2 à 3 ans. Les avantages de cette formule sont indéniables : coût inférieur à celui d'une crèche ou d'une assistance maternelle, structure d'accueil qui favorise la socialisation. Il ne s'agit pas de scolariser les enfants mais de les préparer à la vie en société, en leur donnant le choix de leurs activités et en leur apprenant les règles de vie.

Mais ces missions sont précisément celles des crèches municipales et familiales. Vous prévoyez d'ouvrir très bientôt 8 000 places d'accueil en jardin d'éveil à titre expérimental, avec l'objectif global de créer au moins 200 000 places de garde supplémentaires d'ici 2012. Mais 2012, c'est demain ! On ne peut que se féliciter de cette ambition, si du moins le Gouvernement s'en donne les moyens.

La France est aujourd'hui championne d'Europe de la natalité. Les parents ont du mal à trouver un mode de garde pour leurs jeunes enfants et à concilier vie privée et vie professionnelle, que ce soit dans les campagnes ou dans les villes. Tous les ménages sont concernés, particulièrement les plus modestes qui doivent arbitrer entre le besoin de toucher deux revenus et la nécessité de sacrifier un des deux emplois, le plus souvent celui de la femme, pour assurer la garde de l'enfant.

Notre pays manque d'équipements collectifs destinés aux moins de 3 ans.

En 2005, 32 % des enfants de moins de 2 ans étaient accueillis dans un établissement collectif en France, contre 73 % au Danemark et 39 % en Espagne. Il manquerait actuellement de 300 à 400 000 places. Cette pénurie de places contraint les parents qui optent pour le congé parental à le prendre durant trois ans, durée ressentie comme un obstacle dans le monde de l'entreprise. Le congé parental, créé à l'origine pour favoriser l'épanouissement personnel, est désormais vécu comme un choix forcé : selon les chiffres du ministère du travail, un tiers de ses bénéficiaires s'arrête de travailler parce qu'ils n'ont pas trouvé de mode de garde.

Dans ces conditions, le jardin d'éveil apparaît comme une structure particulièrement adaptée pour les enfants entre 2 et 3 ans, la scolarisation des enfants de 2 ans en maternelle restant très conflictuelle en raison du manque de postes d'enseignants. Permettez-moi néanmoins, madame la ministre, de vous faire part des inquiétudes des parents et des élus locaux. Pourquoi favoriser une offre d'accueil concurrente à celle des crèches municipales quand il faudrait, au contraire, développer l'accueil dans leurs sections réservées aux plus grands ? La question du personnel, ensuite, se pose en qualité comme en quantité. Le jardin d'éveil offrirait, presque comme à la maternelle, un adulte pour douze enfants alors que l'on compte un adulte pour cinq ou huit enfants à la crèche. Autre motif d'inquiétude, les jardins d'éveil, parce qu'ils peuvent être rattachés à une maternelle, un centre de loisirs ou une crèche, présenteraient de grandes disparités. En cas de rattachement à une école, n'y a-t-il pas un risque de préscolarisation dans les faits et les esprits, entre autres des parents, créant une nouvelle forme d'élitisme ? Enfin, plus alarmant, la généralisation des jardins d'éveil pourrait remettre en cause la gratuité de la scolarisation précoce, nécessaire aux familles défavorisées, qui concerne 21 % des enfants de 2 ans.

A mes yeux, la généralisation de cette nouvelle structure représente une forme de privatisation de l'école maternelle, un nouveau transfert de compétences aux collectivités territoriales et, au final, un désengagement de l'État qui se soldera par une aggravation des inégalités territoriales. En cette période de crise, un service public d'accueil de la petite enfance gratuit et de qualité est plus que jamais nécessaire.

Madame la ministre, ma question est simple : comment garantirez-vous que les jardins d'éveil ne concurrenceront pas l'école maternelle quand ils peuvent accueillir des enfants de 2 ans pour dix-huit mois ? (Applaudissements à gauche)

M. Nicolas About.  - Bonne question !

Mme Monique Papon.  - Je me réjouis de l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de la création des jardins d'éveil. Je souhaite que ce débat ait lieu dans la sérénité (« Très bien ! » sur les bancs UMP ; exclamations de surprise à gauche) et que nous ayons tous à l'esprit l'intérêt des enfants et de leur famille.

Madame la ministre, je salue l'expérimentation que vous avez lancée sur les jardins d'éveil à l'heure où l'on peut constater ses premières réalisations.

M. René-Pierre Signé.  - Des réalisations, mais pas des réussites !

Mme Monique Papon.  - Au reste, je continue d'être sollicitée par des acteurs qui souhaitent créer cette nouvelle structure d'accueil. Celle-ci ne relève en rien d'une « solution hasardeuse », contrairement à ce qu'a affirmé Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Je n'ai pas dit ça !

Mme Monique Papon.  - Pourquoi le groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, dont j'étais rapporteur, avait-il proposé sa création pour les enfants de 2 à 3 ans ?

Dans un contexte de pénurie de modes de garde, l'école maternelle, qui remplit un rôle emblématique de passerelle entre la famille et l'école élémentaire en France, a fourni un service aux parents avec la prise en charge des jeunes enfants à partir des années 1960. Ce fait est davantage lié à des conditions historiques -une baisse démographique- qu'à une politique volontariste. De fait, il faut attendre la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 pour que l'accueil des enfants de moins de 3 ans à la maternelle, qui se développe dans les années 1970, trouve une traduction législative, limitée d'ailleurs en ce que sa généralisation est rejetée. Mais l'école maternelle s'adresse-t-elle vraiment aux enfants de 2 ans ? Les personnes que le groupe de travail a auditionnées dressent un bilan mitigé d'une scolarisation aussi précoce. Celle-ci semble peu adaptée à l'enfant de 2 ans qui doit passer du stade de grand bébé à celui de petit écolier.

L'enfant de 2 ans a ses propres rythmes. Par exemple, il a souvent besoin de dormir à deux moments de la journée.

M. René-Pierre Signé.  - C'est possible en maternelle !

Mme Monique Papon.  - Certes, cet enfant est curieux mais sa capacité de concentration est faible. De plus, la condition posée à l'entrée en maternelle est que l'enfant soit propre. Or cette acquisition ne doit pas se faire sous la contrainte. Il faut, pour reprendre l'expression de Mme Claire Brisset, ancienne Défenseure des enfants, « respecter le temps du bébé ». En outre, le milieu scolaire ne favorisait pas l'acquisition du langage chez les tout-petits...

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - Exact !

Mme Monique Papon.  - ...qui ont besoin d'une relation privilégiée avec un adulte pour entrer dans ce champ d'apprentissage. La maternelle, aux dires des personnes auditionnées, ne semble donc pas adaptée aux enfants de 2 ans tant en raison des effectifs des classes, de l'inadaptation des locaux, du manque de souplesse des horaires que du niveau d'encadrement ou de la formation des personnels. Les enfants scolarisés à 2 ans en tirent-ils un bénéfice scolaire ultérieur ? D'après les études les plus récentes de l'éducation nationale, la scolarisation précoce ne contribue que très marginalement à la réduction des inégalités sociales et à la prévention de l'échec scolaire.

Voilà les raisons qui justifient la création d'une structure adaptée pour les enfants de 2 à 3 ans. Il s'agit également d'accroître l'offre de garde, conformément aux promesses du Président de la République. En effet, les enfants de moins de 3 ans sont d'abord gardés à domicile, puis par une assistance maternelle et, enfin, dans un établissement. D'après une enquête Sofres, menée pour le magazine Parents en 2006, seules 35 % des mères sont favorables à une généralisation de l'accueil des enfants de 2 ans à l'école. Les motivations qui conduisent certains parents à choisir l'école maternelle dès 2 ans sont diverses : objectif de socialisation, perspective d'un bénéfice purement scolaire, insuffisance et coût élevé des modes de garde. Mais l'école maternelle ne saurait en aucun cas pallier un déficit de structures d'accueil. Les parents sont avant tout attachés à une offre diversifiée. Aussi, le groupe de travail a-t-il proposé de constituer un triptyque d'accueil de la petite enfance fondé sur une approche chronologique du temps de l'enfance : destiner en priorité les établissements d'accueil de type crèche collective et familiale aux seuls bébés ; promouvoir de nouvelles structures d'accueil éducatif pour les jeunes enfants âgés de 2 à 3 ans ; assurer une scolarisation réussie des enfants à partir de 3 ans.

En tant que rapporteur du groupe de travail, je souhaite le succès de votre expérimentation, madame le ministre, ainsi que son développement sur l'ensemble du territoire national ! (Applaudissements à droite)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Il y un an, était publié au Sénat un rapport d'information, fruit des travaux du groupe de réflexion sur la scolarisation des jeunes enfants, conduit par Mme Papon et M. Martin, et auquel j'avais participé. Ce rapport, dont j'avais alors dénoncé les conclusions ainsi qu'une partie du constat, préconisait la création de « jardins d'éveil » et, de fait, la fin de la scolarisation des 2 ans. Proposition dans l'air du temps : quelques mois plus tôt, la députée UMP Michèle Tabarot proposait elle aussi de créer des jardins d'éveil. Deux rapports qui apportaient de l'eau au moulin du ministre Xavier Darcos, hostile à la scolarisation des 2 ans. Ses propos sur les enseignants des écoles maternelles avaient traduit, outre du mépris, une profonde méconnaissance de leur travail. Un travail formidable et passionnant dont notre groupe de réflexion sénatorial avait pourtant pu être le témoin privilégié lors de sa visite d'une classe de très petite section à l'école maternelle des Grésillons à Gennevilliers, exemple qui se raréfie, hélas, puisque la scolarisation des 2 ans est en diminution depuis 2000.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la décision du Gouvernement d'expérimenter 8 000 places en jardins d'éveil payants à destination des 2-3 ans, dans l'objectif de créer au moins 200 000 offres de garde supplémentaires d'ici à 2012. L'objectif ne cesse d'ailleurs d'être revu à la baisse puisqu'en en 2008, vous annonciez 350 000 places d'ici à 2012. Entre temps, la promesse de campagne de Nicolas Sarkozy de garantir aux parents, d'ici à la fin du quinquennat, un « droit de garde opposable » est passée à la trappe.

Pour justifier la création de cette nouvelle structure, vous parlez de « diversification des solutions d'accueil » qui, pourtant, ne manquent pas : accueil individuel chez les assistantes maternelles, accueil collectif en établissement -crèches traditionnelles, parentales, ou de personnel, haltes-garderies, jardins d'enfants, établissements multi-accueil, crèches familiales, micro-crèches même, créées à titre expérimental en 2007 à destination des zones rurales et pour lesquelles vous avez assoupli les règles d'encadrement en personnel...

Ce qui fait en réalité défaut, ce sont les places manquantes, 200 000 à 400 000 selon les estimations. L'objectif des 75 000 places nouvelles entre 2000 et 2007 n'a pas été atteint et seules 32 280 seront créées d'ici à 2011.

En termes d'encadrement, le jardin d'éveil ne remplira, de surcroît, que des conditions a minima, alors que l'amplitude horaire sera semblable à celle d'un établissement d'accueil du jeune enfant. De fait, la définition du taux d'encadrement est très floue, mentionnant « une fourchette de 8 à 12 enfants pour un adulte, selon les moments de la journée et les coopérations possibles avec d'autres structures d'accueil ». Soit seulement deux adultes pour 24 enfants. Dans les crèches, il est de un adulte pour cinq enfants qui ne marchent pas et un pour huit quand ils marchent. Quid de l'encadrement au moment des repas ? La lettre circulaire évoque, sans plus de précision, que « l'organisation des plannings devra permettre de renforcer le personnel au moment du repas ». Quid des liens avec la PMI ? Tout ceci explique sans doute pourquoi les candidats ne se sont pas bousculés depuis l'appel à candidature lancé en avril.

Cette nouvelle structure, nous dites-vous, doit aussi être une réponse « aux contraintes et aux besoins des parents et des territoires ». En quoi une structure réservée aux seuls 2-3 ans répondra-t-elle aux besoins des parents ? Quand les deux travaillent, le problème du mode de garde ne se pose pas à partir de 2 ans mais dès les premiers mois qui suivent la naissance. En France, les deux tiers des enfants de moins de 6 ans ont deux parents actifs. Parmi ces couples, 36 % des mères travaillent à temps partiel : 23 % d'entre elles souhaiteraient travailler davantage et 13 % sont à temps partiel par manque de places de garde ou parce que c'est trop cher. Et pourquoi créer une nouvelle structure à destination des seuls 2-3 ans alors même que l'école maternelle se fait fort, depuis le début de sa création, d'accueillir ces enfants, du moins si on lui en donne encore les moyens...

Car c'est bien de cela dont il est question. La scolarisation des 2 ans est en chute libre : 35 % en 2000, 18 % en 2008. Cette statistique s'accompagne d'une disparité extrême entre les territoires. Non pas que les parents ne lui soient devenus hostiles, mais les écoles, faute de moyens, de personnels suffisants, de places disponibles, subissent l'effet de la reprise démographique : plus il y a d'enfants de 3 à 5 ans à scolariser, plus l'offre de scolarisation des 2 ans en pâtit. Ce phénomène d'éviction, combiné aux restrictions budgétaires, touche aussi la scolarisation des 3 ans, nés en fin d'année.

La conséquence en est un transfert du financement de cet accueil vers les collectivités territoriales, les caisses d'allocations familiales et les familles. Pour le Gouvernement, et le budget de l'éducation nationale, ce sont autant de postes économisés en maternelle -on évoque le chiffre de 10 000. Cette évolution est pourtant jugée « peu cohérente au regard de la bonne utilisation de l'argent public » par la Cour des comptes, dans son rapport 2008 sur les comptes de la sécurité sociale. En effet, le coût moyen d'un enfant scolarisé en école maternelle est trois fois moins élevé que celui d'un enfant placé en crèche. Pour le jardin d'éveil, le prix de revient annuel ne devrait pas dépasser, en moyenne, 8 000 euros, somme prise en charge par la CAF, le porteur de projet et les familles, en fonction des revenus. Le mouvement de transfert de financement s'amplifie.

Nous sommes là dans une logique purement comptable, guidée par la RGPP. Et la boucle est bouclée, quand on sait qu'il est prévu d'installer les jardins d'éveil dans des « locaux communaux » afin « d'optimiser les moyens existants ». Mais de quels bâtiments parlons-nous sinon de ceux des écoles maternelles ? Les centres de loisirs ? Ils sont souvent installés dans ces écoles. Les crèches familiales gérées par les municipalités ? Elles sont déjà au maximum de leur capacité.

Est-ce à dire que nous verrons des écoles maternelles publiques fermées pour faire place à des jardins d'éveil payants qui ne remplaceront en aucune façon la maternelle, ni même la crèche en matière de besoins éducatifs du petit enfant ? Dans mon département, les Hauts-de-Seine, c'est déjà le cas à Levallois-Perret où la municipalité fut précurseur. Dès 2005, elle a ouvert trois « jardins de découverte », gérés par la caisse des écoles, implantés dans les locaux des centres de loisirs maternelle. Parallèlement, la mairie a annoncé la fermeture d'une école maternelle et la fermeture de deux classes dans une autre. Bilan : une baisse continue du nombre de places et de classes en maternelles publiques, passées de 87 en 2004 à 78 à la rentrée 2009, avec pour conséquence directe une remontée des effectifs dans toutes les écoles.

Enfin, pour justifier la création de ces jardins d'éveil, vous expliquez que l'enfant de 2 ans, qualifié de bébé, n'a pas sa place à l'école maternelle. Vous citez des experts, mais d'autres sont d'avis contraire, qui relèvent les effets positifs de la scolarisation précoce sur la scolarité, même s'ils s'amoindrissent dans le temps. Je crois, pour ma part, que l'accès de la maternelle aux 2 ans doit absolument rester une possibilité offerte aux parents, fonction de la maturité des enfants, du cadre familial... De nombreux travaux ont montré que beaucoup de choses se jouent chez l'enfant entre 2 et 4 ans. C'est une période d'intense activité, d'acquisitions concernant le langage, la pensée logique, de construction de la personnalité, de conscience de soi dans la relation aux autres : un moment propice où peuvent se mettre en place -ou non- des mécanismes, se construire des apprentissages. L'école maternelle a donc un rôle formidable à jouer : c'est là que l'enfant apprend à apprendre, apprend à devenir élève. Et l'on sait l'importance que cela aura dans son devenir scolaire.

Cependant, la question des tout-petits n'est qu'un des éléments de la réflexion concernant la maternelle. Cet outil précieux ne demande qu'à être amélioré pour réduire les inégalités et non fabriquer de l'inégalité scolaire. Il faut tout au contraire relancer l'école maternelle. Ce qui implique de s'interroger sur la question des effectifs, de la classe, des locaux, des rythmes, des pédagogies employées. Ce qui suppose de garantir aux enseignants une formation de haut niveau, spécifique, initiale et continue, en lien avec la recherche. Enfin, il faut assurer la complémentarité avec un service public de la petite enfance de 0 à 2 ans. Ce lien entre les structures d'accueil et les écoles a existé mais il s'amenuise, quand il n'a pas totalement disparu, faute de moyens.

Ce n'est donc pas moins d'école maternelle qu'il faut, mais plus et mieux. (Applaudissements à gauche et sur plusieurs bancs au centre)

M. René-Pierre Signé.  - L'école maternelle était jusqu'alors une école destinée aux enfants entre 2 et 6 ans. Gratuite, elle accueillait 35 % des enfants de 2 ans et la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans. Depuis, les chiffres se sont dégradés, sans que l'école soit en cause, pour des raisons qui ont été dénoncées. Mais elle reste un élément important du système éducatif français et a pour but d'assurer l'éveil et la socialisation des jeunes enfants.

Dès le XVllle siècle, en 1771, un pasteur vosgien avait crée une « école des commençants » ; ce n'était, sans doute, à cette époque, qu'une garderie. Mais l'idée fût reprise en Angleterre et en France où, sous l'impulsion de Pauline Kergomard, cette structure évolua rapidement dans un sens pédagogique pour prendre, dès 1881, le nom d'écoles maternelles.

Les écoles maternelles sont donc anciennes, elles datent d'avant les écoles primaires et les lois Jules Ferry. Elles furent mixtes, mixité longtemps refusée aux autres lieux d'enseignement, et la nécessité d'un enseignement s'imposa rapidement pour adjoindre à cette garderie un rôle d'éducation et de promotion sociale.

Votre proposition de jardin d'éveil va à contre sens de l'histoire. Le Gouvernement veut pallier la faiblesse de l'offre de garde pour les moins de 3 ans. La France compte à peine un million de places pour 2,4 millions d'enfants. La pénurie d'enseignants, le manque d'intérêt pour la préscolarisation à 2 ans justifient ce projet substitutif à l'école.

Des structures à mi-chemin entre la crèche et l'école, c'est donc l'expérience lancée en cette rentrée 2009. Ces jardins d'éveil, en partie pris en charge par les communes, payantes pour les familles, se posent en concurrentes de l'école maternelle publique, gratuite et égalitaire. Ces jardins d'éveil n'assureront pas l'éveil des enfants. Ce n'est ni dans leur esprit ni dans leur rôle. Ils sonneront le glas de l'école à 2 ans et pire encore puisqu'ils pourront accueillir des enfants jusqu'à 3 ans et demi.

D'autres questions se posent. Hormis les vaticinations sur la surveillance des siestes et le changement des couches, que M. Darcos doit sans nul doute regretter, que peut-on reprocher à l'école maternelle ? La préscolarisation dès l'âge de 2 ans est elle utile ? Des travaux des pédagogues, des pédiatres, des anthropologues qui s'intéressent à l'éveil de l'enfant l'affirment. Or, dans l'évolution de l'enfant, le rôle des familles est évidemment déterminant. L'école maternelle intervient à bon escient pour pallier la carence de l'éducation parentale dans certaines familles qui ne peuvent que peu enseigner car on leur a peu appris. Elle n'y réussit sans doute que partiellement mais elle n'est pas sans mérite ni sans résultat.

Il est parfaitement admis, sauf par quelques détracteurs de la promotion sociale, que le rôle assuré par l'école maternelle est primordial, d'autant que la qualité des enseignants ajoute encore à son excellence. Ce sont les enfants des milieux les plus éloignés de l'école qui seront les premières victimes de cet abandon.

Éveiller le plus tôt possible l'intelligence d'un enfant, savoir l'intéresser à l'acquisition de connaissances nouvelles, ouvrir plus largement sa vision du monde, lui permettre d'exercer précocement son jugement, voire son sens critique, lui créer de nouveaux centres d'intérêt, autant d'actions indispensables et combien nécessaires. L'ensemencement des cerveaux par une pédagogie adaptée est le secret de la réussite non seulement scolaire mais aussi sociale.

Tous les pédagogues et tous les sociologues l'affirment.

L'ascenseur social, si souvent évoqué, qui semble s'être grippé aujourd'hui, ne peut fonctionner qu'à partir de l'école maternelle qui va réduire les inégalités culturelles.

J'en viens aux questions pratiques : l'admission dans ces jardins d'éveil ne sera pas gratuite, de 150 à 400 euros par famille selon les revenus. Que feront les maires, et plus encore ceux des petites communes, qui ont tant de difficulté à gérer crèches et écoles ? Où trouveront-ils des locaux ?

Quels seront les formations ou les diplômes exigés pour les personnels d'encadrement qui doivent avoir au minimum quelques notions dans le domaine éducatif de la petite enfance. Or, tous les CAP ou les Bafa petite enfance, quel que soit leur intérêt, sont assez loin d'atteindre les compétences des enseignants. Le jardin d'éveil, se substituant à l'école maternelle gratuite, oubliant la complémentarité entre école maternelle et école primaire, va mettre en place un fonctionnement a minima, un service au rabais, bien loin des ambitions du service public. En outre, ce projet prévoit un abaissement des normes d'encadrement des enfants qui sont pratiquées actuellement dans les crèches : un adulte pour douze enfants au lieu d'un pour huit. Ces jardins, à mi chemin entre crèche et école, seront donc retirés du système éducatif : il est vrai que suppression du nombre d'enseignants oblige !

La nécessité de créer des structures de garde pour les enfants, pour urgente qu'elle soit, ne doit tout de même pas entraîner la détérioration d'un système éducatif bien rodé. C'est une atteinte grave au premier lieu de socialisation et de préparation encouragée à la réussite sociale. La suppression des petites classes de maternelle et leur remplacement par des jardins d'éveil parait essentiellement guidée par des objectifs financiers puisque le coût est transféré aux familles et aux communes. La scolarisation tardive de certains élèves issus des milieux les plus fragiles augmentera inévitablement l'échec scolaire. Il en résultera un nombre plus élevé d'enfants en difficulté.

La scolarisation des jeunes enfants ne devrait en aucun cas devenir une variable d'ajustement budgétaire, d'autant que le coût par enfant sera plus élevé qu'à l'école maternelle. Le choix de développer des jardins d'éveil est donc illogique et ne se justifie ni socialement ni économiquement. Voilà pourquoi nous sommes en désaccord profond avec vous, madame la ministre. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Martin.  - A l'occasion de cette question orale, je m'associe aux propos de Monique Papon qui étaient emprunts de beaucoup de bons sens. Je souhaite lever certaines ambigüités qui entourent le développement de cette nouvelle formule d'accueil des jeunes enfants

Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, dont j'ai été co-rapporteur, ont conduit à proposer la création d'un lieu d'éducation et d'éveil destiné aux enfants de 2 à 3 ans. Nous n'étions pas les seuls à faire cette proposition. Ainsi, Mme Michèle Tabarot, députée, a présenté un rapport sur le développement de l'offre d'accueil de la petite enfance. Partant d'un postulat différent du nôtre, elle a estimé que les modes de garde des enfants de 2 à 3 ans devraient être étendus par la création de jardins d'éveil. En 2001, Mme Ségolène Royal, alors ministre délégué à la famille, à l'enfance et aux personnes handicapées, avait annoncé son intention de créer des jardins d'enfants éducatifs, destinés aux enfants de 2 à 3 ans ! C'est une référence ! (Sourires) Pour ce faire, le Fonds d'aide à l'investissement pour la petite enfance avait été abondé, mais ces structures ne se sont pas développées pour autant.

Il est important d'offrir aux familles des lieux autres que la classe pour l'accueil des moins de 3 ans. Telle est la conviction du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants de la commission de la culture et de l'éducation. Je tiens à remercier Mme la ministre de concrétiser la proposition qui avait donné son titre au rapport d'information de notre groupe de travail : « Accueil des jeunes enfants : pour un nouveau service public ».

Permettez-moi de rappeler que notre proposition n'avait pas pour corollaire la remise en cause ou la fin annoncée de l'école maternelle. Nous attribuer une telle intention reviendrait à ne pas prendre en considération la réalité de notre réflexion.

M. René-Pierre Signé.  - C'est la fin de la maternelle à 2 ans !

M. Pierre Martin.  - Nous n'avions pas voulu, au sein de la commission de la culture, engager un débat sur l'école maternelle mais nous nous étions interrogés sur le bien-fondé d'une entrée à 2 ans dans le système scolaire. Le rapport d'information insistait sur la nécessité de « conforter le rôle de première école qui est au coeur de la mission de l'école maternelle ». Comme tous mes concitoyens, je suis profondément attaché à cette forme d'école pré-élémentaire. Cependant, la prise en charge des enfants de 2 à 3 ans ne relève pas de la sphère scolaire. (Mme la ministre approuve) Il convient donc d'élargir, par l'expérimentation, l'accueil des jeunes enfants. Je ne peux ainsi partager la présentation que vous faites, madame Cartron, des jardins d'éveil. Les travaux du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants avaient mis en parallèle la création des jardins d'éveil et le principe d'une école maternelle pour tous à partir de 3 ans.

M. René-Pierre Signé.  - L'école maternelle a été créée avant l'école primaire !

M. Pierre Martin.  - Les choses évoluent... Nous veillerons donc à ce que ces jardins d'éveil soient exclusivement réservés aux enfants de 2 à 3 ans.

Nous avions aussi formulé des recommandations concernant l'école maternelle. Dans le cadre de la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, nous avions demandé à ce que les compétences nécessaires à l'enseignement en école maternelle soient mieux prises en compte. Le groupe de travail avait insisté sur la formation professionnelle des enseignants des écoles maternelles, souvent jugée insuffisante pour ce niveau d'enseignement. Je me félicite donc que le ministre de l'éducation nationale ait annoncé, dans le cadre des mesures destinées à donner un nouvel élan à l'école maternelle, un plan de formation des enseignants des écoles maternelles.

Les jardins d'éveil doivent être une structure intermédiaire originale entre la crèche et l'école et répondre à un cahier des charges précis. Le groupe de travail a ainsi formulé quelques orientations pour garantir les conditions d'accueil du jeune enfant : un contenu pédagogique, des effectifs réduits, un personnel formé aux spécificités de la petite enfance, une souplesse de fonctionnement, une amplitude horaire.

Nous avions proposé un assouplissement des normes d'encadrement des structures d'accueil du jeune enfant, afin de parvenir à un adulte pour quinze enfants. Cette recommandation avait en effet été émise lors de certaines auditions d'enseignants par le groupe de travail. Il n'existe aucune norme en matière d'effectifs pour l'école maternelle.

De plus, la création des jardins d'éveil permettra de développer l'emploi dans le secteur de la petite enfance en privilégiant le recrutement d'éducateurs de jeunes enfants dont la formation est la plus adaptée à cette tranche d'âge. Les éducateurs de jeunes enfants sont en effet tout à fait à même de proposer des activités autour de la motricité, du jeu et du langage. Nous avions aussi souhaité que la formation de ces éducateurs soit complétée par des rencontres avec les enseignants des écoles maternelles.

J'entends un certain nombre de critiques sur les moyens disponibles pour la mise en oeuvre des jardins d'éveil. Des marges de manoeuvre existent et des communes mais aussi d'autres partenaires de la petite enfance et de l'éducation sont prêts à s'investir dans votre projet, madame la ministre. Nous avions donc envisagé un recensement des locaux vacants, notamment dans les écoles maternelles ou dans les crèches, pour permettre une mise en oeuvre sans constructions supplémentaires et rapide de ces jardins d'éveil.

Certes, les collectivités territoriales sont appelées à être partenaires des jardins d'éveil, mais ne le sont-elles pas déjà des crèches et des écoles maternelles ?

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Bien sûr !

M. Pierre Martin.  - Les deux acteurs principaux du financement des écoles maternelles sont l'État et les collectivités territoriales. D'ailleurs, la scolarisation actuelle des moins de 3 ans est marquée par de fortes disparités territoriales. Si on veut faire entrer son enfant à l'école maternelle dès 2 ans, il est préférable d'habiter en milieu rural ou dans une ville moyenne, en Bretagne par exemple, plutôt que dans une grande métropole.

Enfin, une proposition me tient vraiment à coeur. Le projet que vous portez aujourd'hui ne peut se concevoir sans un lien privilégié avec l'école maternelle, et donc avec l'éducation nationale. Les univers professionnels vont pouvoir être décloisonnés. La création des jardins d'éveil est menée dans le cadre d'une expérimentation dont nous devrons tirer les conclusions. Nous vous accompagnerons, madame la ministre, dans la mise en oeuvre de ce projet. En tant que rapporteur du groupe de travail sur la scolarisation des jeunes enfants, je souhaite sa réalisation.

Lors de notre mission, notre seul souci a été l'intérêt de l'enfant. Nous l'avons fait en dehors de toute idéologie et nous pensions que c'était une solution et nous espérons que cela devienne, grâce à l'expérimentation, la solution. J'espère que le partenariat mis en place avec l'éducation nationale, les collectivités, les parents et les assistantes maternelles permettra d'innover en faveur des jeunes enfants. (Applaudissements à droite)

M. Claude Bérit-Débat.  - La création des jardins d'éveil illustre les impasses de la politique gouvernementale. Que nous propose-t-on ? D'un point de vue pédagogique, rien, ou si peu. L'ouverture des jardins d'éveil est en effet autorisée sans projet éducatif digne de ce nom. Lorsqu'on veut réellement renforcer l'égalité des chances éducatives entre les enfants, le moins que l'on puisse faire, c'est de se fixer des objectifs pédagogiques précis.

Apparemment, le Gouvernement n'a pas cette conception. Les jardins d'éveil n'ont d'autre but que de substituer à l'école maternelle un mode de garde sans apprentissage. C'est d'autant plus regrettable que la scolarisation en école maternelle a des effets positifs reconnus sur la socialisation des jeunes enfants, notamment de ceux issus de milieux défavorisés.

Tout porte à croire que les jardins d'éveil sont un moyen commode de justifier la réduction du nombre d'enseignants en école maternelle. Il y avait les critères de Maastricht, qu'on ne respecte plus depuis longtemps ; il y a aujourd'hui le dogme gouvernemental du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. Si l'État fait des économies sur le dos des enseignants et de l'éducation des futurs citoyens, il persiste dans son habitude de les faire payer par les collectivités territoriales. Une place en maternelle coûte en moyenne 4 500 euros, une place en jardin d'éveil 8 000, financée par l'État et la commune respectivement à hauteur de 3 200 et de 2 900 euros, le reste étant à la charge des familles à proportion de leurs moyens. Autrement dit, les communes seront contraintes de supporter de nouvelles dépenses pour financer les économies budgétaires de l'État. Alors que la future réforme des collectivités locales laisse présager mise au pas politique et subordination financière, alors qu'on va supprimer la taxe professionnelle, la création des jardins d'éveil est une véritable provocation. La mécanique est décidément bien rodée. Cette création est d'autant plus inique que les communes font déjà beaucoup pour la petite enfance, elles financent crèches et micro-crèches, haltes garderies, réseaux d'assistantes maternelles, sans compter les maternelles et les écoles primaires, les services de restauration ou les activités périscolaires. Les jardins d'éveil vont les obliger à recruter du personnel, ce qui ne manque pas de sel à l'heure où le Président de la République stigmatise la création de 36 000 postes dans les collectivités locales en 2008.

Une fois de plus, les communes sont prises entre le marteau et l'enclume. Ce qui est d'autant plus insupportable que personne ne comprend l'utilité des jardins d'éveil. En matière d'éducation, l'État devrait être exemplaire ; il ne l'est pas. Puisqu'une expérimentation est en cours, le Gouvernement doit tirer la conclusion qui s'impose : donner à l'éducation nationale les moyens de son ambition, cesser de la considérer comme un coût qu'il faut désormais externaliser à tout prix. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Élus et parents ne se sont pas précipités sur ces structures bancales et superflues que sont les jardins d'éveil. Mme Cartron a eu raison de souligner qu'ils sont des coquilles vides, de la poudre aux yeux, dont l'objectif est d'ouvrir une brèche dans notre modèle d'école maternelle.

En cinq rentrées, un véritable plan social a touché l'éducation nationale : 52 000 postes ont disparu, plus particulièrement au détriment des enfants de moins de 5 ans. Je veux alerter le gouvernement Sarkozy, pardon, Fillon, sur l'accueil de ces enfants dans les communes rurales. De plus en plus de familles essuient des refus sur des critères d'âge, critères qui sont un vrai casse-tête pour les maires et les directeurs d'école. Les règles s'appliquent aujourd'hui avec une rigueur jamais connue. Sur les 200 communes de mon département des Alpes-de-Haute-Provence, 108 ont une ou plusieurs écoles primaires, 30 un accueil en maternelle. C'est dire que la moitié d'entre elles n'ont pas d'école et que huit sur dix n'ont pas de maternelle. Et ce n'est pas un cas unique.

L'accueil des jeunes enfants est un facteur d'épanouissement pour eux, c'est aussi un élément de l'attractivité des territoires. Vous me direz que les enfants peuvent être scolarisés dans l'école maternelle la plus proche ; mais je doute qu'ils reviendront dans l'école primaire de leur commune de résidence lorsqu'ils auront 6 ans. L'article 113-1 du code de l'éducation dispose qu'« en l'absence d'école et de classe maternelle, les enfants de moins de 5 ans sont admis à l'école élémentaire dans une section enfantine » : rien ne s'oppose à leur accueil dans ces conditions. La pratique est d'ailleurs largement répandue, dans le droit fil de l'article 29 de la loi du 4 février 1995, selon lequel « l'État se doit de garantir une offre d'accès au service public adapté aux caractéristiques des territoires et concourir à leur attractivité et au maintien des équilibres ». Tout est dit. Le durcissement des règles est contraire à l'esprit de cette disposition. Et voilà comment on réduit les effectifs d'enseignants dans le cadre de la RGPP !

Plutôt que vanter les hypothétiques mérites des jardins d'éveil, le Gouvernement ferait mieux de répondre à ses obligations en matière d'accueil des moins de 5 ans, notamment en milieu rural. (Applaudissements à gauche)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - J'ai beaucoup de plaisir à répondre à la question de Mme Cartron. J'étais hier à Stockholm où, dans le cadre de la présidence suédoise, nous avons parlé démographie et diversification des modes de garde. Le taux de natalité en France est de loin le premier de l'Union, s'établissant à 2,08 enfants par femme...

M. Serge Lagauche.  - Grâce aux immigrés !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ... contre une moyenne européenne de 1,5. Si notre pays assure le renouvellement de ses générations, ce n'est pas le fruit du hasard ; la France consacre 4,7 % de son PIB -deux fois et demi plus que ses voisins- à la politique familiale, soit 88 milliards d'euros.

Fiscalité, prestations familiales, allocations familiales mais aussi modes d'accueil des jeunes enfants. Les objectifs de Barcelone fixent un seuil de 30 % pour l'accueil des enfants de 3 mois à 3 ans ; nous sommes à 48 %. Pour les enfants de 3 à 6 ans, l'objectif est de 90 % ; nous sommes à 99 % ! (Exclamations à gauche)

Mme Françoise Cartron, auteur de la question.  - Les maternelles !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Le Gouvernement et la majorité sont viscéralement attachés à l'école maternelle. Pourquoi n'avoir pas prévu le droit à la scolarité dès 2 ans dans la loi du 10 juillet 1989, quand la gauche était au pouvoir ?

M. René-Pierre Signé.  - Les avancées sont progressives.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - La loi prévoit la scolarisation à 3 ans, éventuellement 2 ans dans les quartiers défavorisés. Nous avons fait le choix de la diversité des modes d'accueil.

L'excellent rapport de Mme Papon et de M. Martin pose le principe fondateur de l'intérêt supérieur de l'enfant, et donc de la qualité de l'accueil des tout-petits. Un enfant de 2 ans est un bébé. (Protestations sur les bancs socialistes)

Mme Christiane Demontès.  - Ce n'est pas vrai !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Certains ne sont pas encore propres.

M. René-Pierre Signé.  - Le dialogue commence in utero !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Ne vous en déplaise, nous n'avons nullement l'intention de supprimer l'école maternelle, dont nous sommes fiers : (applaudissements à droite) 99 % des parents font le choix de la maternelle !

M. Claude Bérit-Débat.  - Les chiffres sont têtus.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il s'agit pour nous de répondre aux attentes des parents, des professionnels de la petite enfance, de territoires diversifiés. Moi-même élue d'une circonscription rurale, je suis particulièrement consciente de la nécessité de diversifier les modes d'accueil. Nous avons créé 100 000 places supplémentaires chez les assistantes maternelles (M. Serge Lagauche s'exclame) et, grâce au prochain PLFSS, nous leur accorderons un prêt à taux zéro pour les aider à s'installer, 76 000 places en crèche collective, 4 000 en crèche d'entreprise, 4 500 en crèche hospitalière...

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Une ligne budgétaire spécifique prévoit 1 500 places dans 215 quartiers prioritaires. A travers la convention d'objectifs et de gestion signée avec la Cnaf, en cette période de crise, nous avons engagé 1,3 milliard pour 200 000 places supplémentaires : c'est une augmentation du Fonds national d'action sociale de 7,5 % par an pendant quatre ans !

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Les CAF ont déjà reçu 380 dossiers : nous allons donc créer 3 600 places pour répondre notamment aux besoins de ces femmes qui ne peuvent pas répondre à un entretien d'embauche faute de mode de garde ! Bref, le Gouvernement et la majorité agissent pour développer les modes de garde.

La quasi-totalité des rapports des pédopsychiatres démontrent que la préscolarisation n'est pas bonne pour les enfants. (On le conteste à gauche) Les associations familiales sont contre. C'est pourquoi la préscolarisation a reculé !

A la suite du rapport du Sénat, nous avons lancé une expérimentation sur 8 000 places de jardin d'éveil. Le cahier des charges n'a pas trois mois, et déjà des communes se sont engagées : 300 places ont déjà été enregistrées.

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas beaucoup.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Ces jardins d'éveil -dont le premier a été inauguré dans le Tarn-et-Garonne- accueillent des enfants de 2 à 3 ans, dans de petits modules de 12 à 24 enfants. Le coût pour la collectivité est de 7 500 euros, la participation de la branche famille de 3 200 euros par place en fonctionnement et de 1 100 euros en investissement. Nous participons financièrement à leur mise en place, notamment pour assurer un taux d'encadrement de trois adultes minimum pour 24 enfants -bien plus qu'en maternelle ! Là encore, nous privilégions la qualité de l'encadrement.

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas la même qualité !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Nous permettons aux élus d'utiliser les locaux disponibles. Dans la Marne, j'ai ainsi inauguré un jardin d'éveil dans un bureau de poste vacant, qui correspondait parfaitement aux besoins ! (On se gausse sur les bancs socialistes)

M. René-Pierre Signé.  - Ce n'est pas possible dans toutes les communes.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Lorsque le maire installe le jardin d'éveil dans les locaux du groupe scolaire, tout le monde y gagne : les parents, dont les enfants sont sur un même site, les professionnels de la petite enfance, les élus. Nous apportons qualité, fonctionnalité, mutualisation des moyens et baisse des coûts.

Désengagement de l'État, dites-vous ?

M. René-Pierre Signé.  - C'est vrai !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Les communes financent pourtant déjà les places de crèche et l'accueil des jeunes enfants !

M. René-Pierre Signé.  - Mais l'école est gratuite, elle !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - En disant qu'une place en maternelle coûte moins cher, vous battez en brèche votre propre argument ! Nous mettons plus d'argent dans les jardins d'éveil pour assurer un meilleur accueil des bébés. (Applaudissements à droite)

M. René-Pierre Signé.  - Les familles payent !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - La pédagogie, dites-vous ? L'encadrement sera assuré par un personnel formé et qualifié. M. Darcos n'a pas manqué de respect aux enseignants en affirmant qu'enseignement et accompagnement de la petite enfance sont deux métiers différents, même s'ils sont complémentaires !

A son entrée en maternelle, un enfant peut maîtriser 200 ou 2 000 mots : tous n'appréhendent pas le vocabulaire de la même façon. J'ai demandé à un professeur de sociolinguistique, M. Bentolila, un projet sur l'apprentissage linguistique, qui sera rendu fin décembre et expérimenté dans les jardins d'éveil. Chaque jardin d'éveil rendra un rapport d'activité annuel.

J'ai mis en place en amont un comité de pilotage, beaucoup consulté ; j'ai moi-même reçu les syndicats d'enseignants. Pour éviter tout amalgame, j'ai souhaité qu'il n'y ait aucun rapport, même technique, entre les jardins d'éveil et l'éducation nationale.

Et pourtant, les syndicats qui, au début, exprimaient des craintes m'ont finalement demandé si des partenariats étaient envisageables ! Après un an, et à condition que le jardin d'éveil le souhaite, des activités communes pourront être organisées avec l'école maternelle voisine...

M. René-Pierre Signé.  - C'est reconnaître l'importance de l'école !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ...mais il faut attendre les premiers bilans pour envisager ces conventions.

Je voulais vous rassurer...

M. Claude Bérit-Débat et Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Vous n'y êtes pas parvenue !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il est trop tôt pour établir un bilan, mais je vous renvoie à la méthodologie, que j'ai rédigée avec un soin extrême. Allez sur le terrain... (Protestations à gauche)

M. Claude Domeizel.  - Nous en venons !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - ... là où existent déjà des jardins d'éveil.

M. René-Pierre Signé.  - Ils sont rares.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Allez dans le Tarn-et-Garonne, à Nègrepelisse, commune plutôt de gauche, et à Caussade, commune plutôt de droite, dans le département dirigé par M. Baylet : cette synthèse vous convaincra ! (Applaudissements à droite)

M. Claude Domeizel.  - Vous dites que 99 % des enfants de 3 à 6 ans sont scolarisés : je suis moi aussi sur le terrain, mais il semble que nous ne rencontrons pas les mêmes gens ! Concernant les financements, vous évoquez les collectivités, les familles et « nous » : je crois que vous confondez le budget de l'État et celui de la CAF. C'est la caisse qui finance, pas l'État.

Mme Françoise Laborde.  - Je suis perplexe. Nous nous jetons des rapports et des chiffres à la figure : il serait bon que nous puissions disposer des mêmes documents... J'ai été enseignante en maternelle et directrice d'école en petite section ; je suis partagée. M. Bentolila, dans un stage auquel je participais, faisait remarquer que le langage s'apprend entre pairs ; les enfants qui parlent mieux aident ceux qui s'expriment moins bien.

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Il serait sans doute préférable que nous disposions tous des mêmes informations mais il existe une telle diversité de littérature et d'études dans notre démocratie que la chose, à mon avis, ne se produira jamais.

Monsieur Collin, invitez vos collègues dans votre département, emmenez-les à Nègrepelisse et à Caussade, ils verront des jardins d'éveil qui fonctionnent !

Mme Françoise Cartron.  - Madame la ministre, je vous invite en retour dans une école maternelle de ZEP qui accueille les enfants de 2 ans et demi. Je ne suis pas favorable à la scolarisation de tous les enfants de 2 ans mais dans certains cas, c'est une bonne réponse.

La séance est suspendue à 20 h 5.

présidence de M. Jean-Léonce Dupont,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.