Entrepreneurs indépendants à responsabilité limitée (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la CMP sur le projet de loi relatif à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Discussion générale

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour le Sénat de la CMP.  - L'examen de ce texte aura été particulièrement rapide : trois mois pour une innovation juridique majeure, grâce à laquelle l'entrepreneur individuel sera mieux protégé.

La CMP a trouvé la voie d'un compromis positif : le bicamérisme montre ainsi qu'il a un sens. Nos échanges ont été confiants et fructueux avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.

La question de l'opposabilité a été la plus débattue. Le Sénat était revenu au texte initial du projet de loi : l'Assemblée nationale réduisait l'assiette au seul gain effectué, ce qui posait un problème constitutionnel et une difficulté économique. Les banquiers sont des créanciers et aussi les fournisseurs de crédit à d'autres entreprises.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a proposé une solution intermédiaire, qui suppose une information réelle des créanciers concernés, qui ne peut se faire par une simple publication dans un journal d'annonces légales. Il reviendra au pouvoir réglementaire de prévoir les modalités de cette information. L'affaire est d'importance car elle touche à la constitutionnalité de l'opposabilité.

Aucun argument juridique ne s'oppose à l'existence de plusieurs patrimoines d'affectation. non plus qu'à la possibilité de créer plusieurs entreprises individuelles. J'ai néanmoins proposé, compte tenu des inquiétudes qui s'éraient manifestées, de reporter la décision en 2013.

Je me félicite que le Sénat ait conditionné l'application de ce statut d'entrepreneur individuel à la publication de l'ordonnance propre à adapter les procédures collectives. Si nous avions eu plus de temps, nous aurions pu nous passer de cette ordonnance et légiférer nous-mêmes !

Il me reste à souhaiter longue vie à l'entrepreneur individuel à responsabilité limitée, que nous allons porter sur les fonts baptismaux législatifs.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.  - Vous mettez aujourd'hui un terme à un combat de trente ans en faveur de l'entreprise et de l'entreprenariat. Le 8 avril, vous avez adopté un texte qui mettait fin à un scandale français : la possibilité qu'un entrepreneur se retrouve à la rue après faillite. Cette barbarie, digne du XIXe siècle, était inadmissible au XXIe siècle. Vous avez rompu avec le dogme biséculaire de l'unicité des patrimoines de l'entrepreneur. Je vous remercie du signe fort ainsi donné à ceux qui désirent passer à l'acte d'entreprendre.

Le rapporteur se plaint d'avoir manqué de temps. J'y vois une marque de vos talents.

M. Nicolas About.  - Comme c'est habile...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ne recommencez pas !

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Je remercie aussi M. Houel, rapporteur pour avis.

Je ne reviens pas sur l'opposabilité immédiate de la déclaration d'affectation antérieure : la solution de la CMP est une bonne solution. Le Gouvernement s'engage à prévoir une information individuelle.

Alors que l'esprit d'entreprise se développe dans notre pays, il est bon que les plus jeunes de nos concitoyens puissent s'inscrire dans la création d'entreprise. L'article premier bis AA est donc bienvenu.

Vous voulez conditionner l'entrée en vigueur de ce texte à la publication de l'ordonnance qui permettra d'adapter les procédures collectives au patrimoine affecté. Nous ferons en sorte que dès le 1er janvier prochain les premières entreprises individuelles à responsabilité limitée voient le jour.

Dès le début de l'année, un entrepreneur pourra créer son EIRL en ligne sur le site www.guichet-entreprise.fr.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Il est en effet indispensable de promouvoir cette réforme ; cela suppose que l'on simplifie au maximum les démarches administratives des entrepreneurs qui voudront s'impliquer. Vos débats et vos amendements ont permis d'élaborer un texte qui marque un tournant historique dans notre droit des entreprises. (Applaudissements à droite)

M. Michel Houel.  - L'introduction dans notre droit d'un patrimoine d'affectation est une demande ancienne ; je me réjouis qu'elle aboutisse enfin, après 30 ans d'attente. Les pronostics pessimistes ont été déjoués. Je salue tous ceux à qui nous le devons : le Gouvernement d'abord, dont le texte initial était solide. Avec la rigueur qui le caractérise, le président Hyest a tempéré des dispositions qu'un enthousiasme naïf avait introduites dans le texte.

Le Gouvernement avait annoncé l'appui d'Oséo. J'ai souhaité aller plus loin en intégrant la réforme d'Oséo qui ne devait intervenir que dans le cadre de la loi de modernisation bancaire. Je me réjouis que la CMP ait travaillé dans un esprit de consensus et adopté pour la plupart les rédactions auxquelles nous tenons. Ce texte est donc satisfaisant et je vous encourage à le voter. L'extension aux agriculteurs suppose que ceux-ci aient accès à Oséo ; nous espérons que ce sera bientôt le cas. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Daniel Marsin.  - Ce texte très attendu concerne 3 millions de personnes. Il facilitera la création d'entreprises par les chômeurs quinquagénaires qui désespèrent d'être de nouveau salariés. Rien n'empêchera le détournement des dispositions ainsi adoptées : les banques pourront toujours avoir des exigences supérieures à celles que prévoit ce texte. Le premier problème des entrepreneurs individuels était l'accès au crédit bancaire et ils risquent fort de se voir demander une caution équivalente à l'emprunt sollicité.

Je regrette qu'une fois encore ce soit l'argent public qui, par l'intermédiaire d'Oséo, donne aux banques les cautions exigées. Créer son entreprise c'est de plus en plus une manière d'affronter des difficultés économiques.

Si je vois bien en quoi ce projet de loi constitue une avancée considérable, la majorité de mes collèges du RDSE ne sont pas convaincus de son efficacité et s'abstiendront.

M. Jean Louis Masson.  - Ce texte confortera l'esprit d'entreprise, ce dont nous avons grand besoin en France. Nombre d'agriculteurs de mon département m'ont interrogé sur ce texte, qui a suscité un intérêt dont l'intensité m'a surpris. . Il ne me paraît pas sain d'adopter une position intermédiaire, comme l'a fait la CMP, sur l'opposabilité rétroactive C'est le seul point de ce texte sur lequel je sois réservé.

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - La CMP n'a pas modifié notre appréciation. Cette petite révolution juridique aurait dû s'accompagner d'un mécanisme garantissant vraiment la protection du patrimoine personnel. Rien n'empêchera les banques de demander des protections supplémentaires.

Le texte final ne nous satisfait pas plus que l'initial.

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État.  - Quel dommage !

Mme Josiane Mathon-Poinat.  - L'information des créanciers n'est pas garantie de façon suffisante. Le renvoi au décret - seule solution pour sortir d'un blocage de la CMP- est loin de nous satisfaire. Le temps n'a pas été pris d'évaluer les conséquences des modifications fondamentales apportées au code civil et au code de commerce. Comment empêcher les parents d'instrumentaliser leur progéniture ?

Nous voterons contre ce texte.

M. Richard Yung.  - Des progrès significatifs ont été réalisés en CMP. Le président Hyest s'est rendu...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. - Non ! J'ai gagné !

M. Richard Yung.  - ...a été convaincu par mes arguments sur l'opposabilité.

La question du patrimoine personnel est un vrai problème. Autant le risque fait partie du travail du créateur d'entreprise, autant la perte des biens personnels est un risque excessif. On n'a pas à tomber dans le ruisseau et encourir l'opprobre parce que l'on a fait faillite.

Les moyens existent déjà. L'insaisissabilité existe, elle n'a pas bien fonctionné ; conformément à un défaut français, on crée encore un nouveau statut. Je ne vois pas comment les créateurs d'entreprise s'y retrouveront.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Ils seront conseillés!

M. Richard Yung.  - Ils ne sont pas très riches...

Notre pays est champion européen en matière de création d'entreprises. Mais nous n'avons pas le système bancaire propre à les faire croître : au-delà d'une demi-douzaine de salariés, ces petites entreprises cessent de se développer. Nous savons bien que les banques continueront à demander les garanties, d'une manière ou d'une autre...

Nous sommes réservés pour des raisons de fond.

D'abord, une fois de plus, on crée une niche fiscale. Les montants en cause ne sont pas énormes, entre 50 et 100 millions, mais ce n'est pas un bon message à envoyer au pays en ces temps d'austérité.

Ensuite et surtout se développe une précarité accrue dans le monde du travail. Certains employeurs font pression pour que leurs salariés se mettent en entreprise individuelle pour assumer eux-mêmes les risques de l'entreprise. N'oublions pas que le revenu moyen mensuel des auto-entrepreneurs est de l'ordre de 800 euros...

Viennent enfin les deux cavaliers ne sont pas ceux de l'Apocalypse, mais tout de même : la réforme d'Oséo n'est pas un petit morceau. Quant à la transcription de la directive, que de retard !

Vous comprendrez donc que nous ne voterons pas ce texte.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur.  - Dommage !

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

M. François Zocchetto.  - A l'origine, nous étions dubitatifs sur ce texte. Il existait déjà de nombreuses procédures pour satisfaire ceux qui voulaient créer des entreprises. Néanmoins, si ce projet de loi permet d'encourager la création d'entreprise ou le développement d'entreprises existantes, pourquoi pas ? Il ne faut pourtant pas qu'il permette à certains entrepreneurs d'organiser leur insolvabilité. La position du sénat, ardemment défendue par le président Hyest, a heureusement été retenue par la CMP -celle de la rapporteure de l'Assemblée nationale était incompréhensible et dangereuse. Les personnes détentrices de créances nées antérieurement à la création de l'EIRL seront désormais informées, l'organisation de cette information relevant du pouvoir réglementaire. Si nous avons l'assurance que le décret ne se contentera pas de prévoir une simple publication dans un journal d'annonces légales, nous voterons ce texte.

M. Claude Bérit-Débat.  - Durant mon activité professionnelle et l'exercice de mes mandats, j'ai pu constater les multiples drames vécus par les petits entrepreneurs du fait du principe d'unicité du patrimoine. J'attendais trop de ce texte, sans doute. Il a certes été amélioré par le Sénat et par la CMP ; le principe d'insaisissabilité a notamment été confirmé, et le report à 2013 de la possibilité de constituer plusieurs patrimoines affectés est bienvenu ; il fallait se donner le temps de la réflexion. Mais je ne suis pas convaincu qu'on ait mesuré toutes les difficultés qui résultent de cette possibilité. La question de l'information des créanciers devra être attentivement examinée ; j'espère que le décret sera conforme à la volonté des parlementaires. Avec plusieurs patrimoines affectés, on risque de cumuler les désavantages sans répondre aux réels besoins des entrepreneurs. C'est davantage la pérennisation de leur activité qui leur importe que la diversification de celle-ci. J'ajoute que quand on parle d'entrepreneurs, on raisonne comme s'ils étaient tous patrons de PME ; or on s'adresse le plus souvent à des artisans qui ont un ou deux salariés, voire aucun.

Enfin, les banques pourront persévérer dans leurs pratiques antérieures, la fiscalité n'a pas été modifiée, tandis qu'Oséo est réformé à la hussarde. C'est pourquoi le groupe socialiste votera contre.

Les conclusions de la CMP sont adoptées.