Inégalités sociales dans l'éducation (Questions cribles)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur l'aggravation des inégalités sociales dans le système scolaire.

L'auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d'une durée d'une minute au maximum peut être présentée par l'auteur de la question, ou par un membre de son groupe politique.

Retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat, ce débat sera rediffusé ce soir sur France 3, après l'émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddei.

Mme Françoise Laborde.  - Les projets de réussite éducative sont issus de la loi de juillet 2005. Ce programme est un élément fondamental pour combattre les inégalités sociales et compléter trois autres dispositifs éducatifs. Beaucoup de collectivités se sont engagées dans ce dispositif qui joue un grand rôle dans la vie locale. De nombreux projets ont vu le jour ces dernières années. Cependant, depuis plusieurs mois, les moyens se réduisent comme peau de chagrin, avec des baisses de 35 % en 2010 et de 20 % pour 2011 ! Que restera-t-il de cette dynamique ? Il faut donner à ces projets les moyens de leur ambition.

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.  - Les programmes sont en effet importants car ils prennent en charge des jeunes de façon globale. Depuis mon arrivée à ce ministère, je veille à ce que ce programme s'articule avec tous les autres, notamment vis-à-vis de l'accompagnement éducatif pour prendre en charge les jeunes après 16 heures.

Avec le ministre de la ville, nous avons voulu une répartition claire des rôles de chacun : au ministre de l'éducation nationale de s'occuper de l'enseignement, au ministre de la ville de prendre en compte les jeunes après les heures scolaires et aux collectivités de mettre à leur disposition les ressources locales.

Nous voulons fixer de nouvelles priorités pour l'accompagnement individuel des exclus de l'école. C'est tout l'enjeu des renégociations actuelles.

Mme Françoise Laborde.  - Ma question était plus basique : je pensais à la santé et au quotidien des parents et des enfants. Trop d'enfants dorment dans leur voiture ou vivent dans moins de dix mètres carrés.

M. Jacques Legendre.  - La dernière enquête Pisa de l'OCDE compare les élèves de 15 ans dans trois domaines : la lecture, les mathématiques et la culture scientifique. Cette enquête montre le poids des origines sociales dans la réussite et le creusement des écarts en dix ans.

En outre, l'efficacité ne se mesure pas seulement en termes budgétaires : il faut donc dépenser mieux. Déjà, les programmes du primaire ont été recentrés sur la lecture, mais le système éducatif doit encore évoluer : qu'entend faire le Gouvernement en ce sens ? (Applaudissements à droite)

M. Luc Chatel, ministre.  - Cette enquête est très instructive car elle permet de comparer notre pays à 64 autres. Nous nous situons à la fin du premier tiers.

La France est caractérisée par le grand nombre d'élèves en grande difficulté, mais aussi par le faible nombre d'élèves accédant à l'excellence. Notre politique va dans la bonne direction, car elle reprend celle des pays qui obtiennent de bons résultats. Si nous voulons relever le défi de la qualité, il faut organiser des temps de différenciation en développant l'aide personnalisée.

Il en va de même pour les enfants handicapés. Faisons également davantage confiance aux acteurs du terrain ! C'est le sens de l'autonomie que nous mettons en place dans les établissements.

M. Jacques Legendre.  - J'avais mis l'accent sur les élèves décrocheurs. La commission s'est récemment rendue en Ontario : elle est convaincue qu'il vaut mieux rattraper les élèves décrocheurs quand ils sont encore à l'école.

M. Yannick Bodin.  - Les conclusions de l'enquête dont nous venons de parler sont alarmantes : 20 % des élèves ne comprennent pas les textes écrits. Les quelques mesures annoncées n'y changent rien ; loin de tirer les leçons de l'enquête de 2003, le Gouvernement a laissé la situation se dégrader.

En prenant en compte divers indicateurs, ce rapport démontre qu'en France, il est plus difficile pour les jeunes défavorisés de réussir à l'école ; l'origine sociale est un facteur déterminant. Les écarts se creusent entre les élèves : le système est conçu pour les élites. Votre politique y concourt et abandonne la grande masse à son sort.

Quelles mesures entend prendre le Gouvernement pour réduire les inégalités et éviter qu'en 2012, la France ne recule une nouvelle fois dans le classement international ?

M. Luc Chatel, ministre.  - Vous avez utilisé un ton polémique : je ferai de même ! Vous avez fait référence à la politique du Gouvernement : les élèves dont il est question sont entrés dans le système éducatif façonné par la gauche. (Exclamations à gauche)

Comme vous, je note les carences du système : c'est pourquoi nous avons mis en place les internats d'excellence afin de permettre aux élèves des milieux défavorisés de réussir ; 4 000 élèves en bénéficient.

Vous essayez d'opposer élite et élèves en difficulté. Nous devons relever l'ensemble. En Finlande, 15 % des élèves font partie de l'élite ; nous n'atteignons pas 10 % en France.

Nous devons aussi tout faire pour aider les plus faibles à réussir. Telle est notre politique pour inverser une tendance structurelle.

M. Yannick Bodin.  - Un instant, j'ai craint que vous n'alliez reprocher sa politique à Charlemagne ! Les internats d'excellence peuvent constituer une solution pour les élèves en difficulté. Est-ce à dire qu'il y aura autant de places en internat d'excellence que d'élèves en difficulté ? Il faudrait des centaines d'établissements ! Ces internats ne sont que de l'affichage. A leurs portes, des centaines de milliers d'élèves attendent ! (Applaudissements à gauche)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Si l'expérimentation Clair fonctionne, elle n'a pas vocation à remplacer l'éducation prioritaire. Votre ministère a annoncé l'élargissement de ce dispositif. En quoi Clair est-il plus performant ? Serait-ce parce qu'il fait prévaloir la logique d'établissement ?

Alors que les acteurs de cette éducation prioritaire demandent sa relance, vous réduisez les crédits. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Luc Chatel, ministre.  - L'éducation nationale investit chaque année plus d'un milliard dans l'éducation prioritaire. Cette politique aurait besoin d'un toilettage ; plus de treize dispositifs se superposent : un véritable mille-feuille ! (Exclamations à gauche)

C'est un constat, pas une critique !

En faisant davantage confiance aux acteurs locaux, on obtient de meilleurs résultats, notamment en matière de violence. Nous avons expérimenté le dispositif Clair : le chef d'établissement pourra recruter en fonction de son projet pédagogique. Les professeurs s'engagent sur cinq ans. Nous avons besoin de stabilité et nous connaissons mieux ces personnes.

Les collèges RAR ont vocation à devenir Clair progressivement.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Le toilettage, on sait ce que ça veut dire en langage RGPP : on le voit notamment dans les Hauts-de-Seine ! Votre politique n'est pas la bonne car elle abandonne la mixité sociale pour favoriser la formation d'élites. Vos choix ne permettent pas de lutter contre les inégalités scolaires ! (Applaudissements sur les bancs CRC)

Mme Jacqueline Gourault.  - La reconnaissance des talents ne devrait pas dépendre de la naissance. Pourtant, jamais notre école n'a été aussi inégalitaire : 79 % des élèves provenant de catégories sociales favorisées obtiennent un bac général contre 18 % de ceux issus des catégories sociales défavorisées.

Ces inégalités sont amplifiées dans le recrutement des grandes écoles. Le nombre d'élèves qui ne comprennent pas les textes écrits a beaucoup augmenté entre les deux études de l'OCDE. Nous allons vers une école à deux vitesses.

M. Roland Courteau.  - On y est !

Mme Jacqueline Gourault.  - Le nombre et la formation des enseignants sont en cause. (Approbations à gauche) Chaque gouvernement a sa responsabilité mais quid des postes supprimés, quid de la formation abandonnée ? Certes, le président de la République veut rouvrir le chantier de la formation mais il aurait mieux fait de ne pas le fermer ! (Vives approbations à gauche)

Quand allez-vous donner des objectifs simples pour préparer l'école de demain ? (Applaudissements au centre et sur les bancs socialistes)

M. Luc Chatel, ministre.  - Vous avez raison de vous indigner contre le nombre d'élèves qui quittent le système éducatif sans qualification, qui maîtrisent mal les fondamentaux. Mais ce nombre n'a jamais été aussi peu élevé ! (On le conteste à gauche) Quelle était la situation avant le collège unique, avant les bacs professionnels ?

Certes, 20 % des élèves maîtrisent insuffisamment les fondamentaux. Nous avons mobilisé avec le plan sur l'illettrisme dès la maternelle. Un élève issu d'un milieu favorisé en maternelle maîtrise 700 mots, celui qui vient d'un milieu défavorisés 150 ; le second a beaucoup moins de chance de pouvoir apprendre à lire correctement que le premier. Le rôle de l'école est d'inverser cette tendance.

Enfin il y aura, à la rentrée 2011, plus de professeurs que dans les années 1990, pour moins d'élèves. (Applaudissements à droite)

Mme Jacqueline Gourault.  Nous divergeons sur les chiffres... Ne le prenez pas en mauvaise part : vous avez parlé d'enseigner l'anglais à 3 ans, alors que les Français attendent que leurs enfants réussissent aujourd'hui à l'école comme du temps de la IIIe République...

M. Luc Chatel, ministre.  - Combien d'élèves avaient alors le bac ?

Mme Jacqueline Gourault.  - ...Il faut que la France devienne un pays de têtes bien pleines et biens faites, pour préparer l'avenir.

M. Alain Dufaut.  - La Chambre régionale des comptes a dénoncé le risque de ghettos scolaires. Dans mon département, l'assouplissement, sinon la suppression, de la carte scolaire a abouti à un écrémage des meilleurs élèves, à l'accentuation de la ghettoïsation des établissements. Un collège ambition réussite a même fermé. C'est un véritable fiasco. Dans les collèges du centre l'hétérogénéité des classes se combine à un absentéisme croissant et à un manque de moyens. J'ai attiré sur ce sujet l'attention des responsables de l'éducation nationale, sans succès. J'ai déposé une proposition de loi, en septembre 2009, pour instituer une forme de mixité à l'envers. Que comptez-vous faire ?

M. Luc Chatel, ministre.  - La carte scolaire, à la demande du président de la République, a été assouplie, pas supprimée, afin de venir en aide aux élèves boursiers, handicapés et issus de milieux défavorisés, pour éviter la ghettoïsation, au détriment des élèves en difficulté. L'éducation nationale ne ferme pas de collège sans avis du conseil général.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Des sanctions !

M. Luc Chatel, ministre.  - Il y a bien eu concertation entre l'inspection d'académie et le conseil général. Les deux établissements ayant accueilli les élèves du collège fermé ont bénéficié des moyens de celui-ci. Leur attractivité n'en a pas souffert, au contraire, et l'absentéisme y a baissé ! Je comprends que ce soit une décision difficile à prendre pour les élus, mais nous devons répartir les moyens pour rendre notre système public plus performant.

M. Alain Dufaut.  - Je siège aux conseils d'administration de ces établissements, où la situation n'est pas aussi idyllique qu'on a bien voulu vous l'indiquer. Je ne remets pas en cause l'assouplissement de la carte scolaire mais je considère que si la mixité sociale ne se décrète pas, elle peut être favorisée grâce à des moyens adaptés. (Quelques applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Françoise Cartron.  - La dernière enquête quadriennale de l'Observatoire de la vie étudiante montre que les élèves issus des classes populaires sont moins nombreux dans l'enseignement supérieur qu'il y a quatre ans, avec 31 % contre 35 %.

M. Roland Courteau.  - Et là, la gauche n'y est pour rien !

Mme Françoise Cartron.  - Vous abusez de la rhétorique de l'excellence, à un moment où un enfant d'ouvrier sur deux n'obtient pas le bac. La scolarisation entre 2 et 3 ans a régressé, surtout dans les zones d'éducation prioritaires. Vous prétendez lutter contre l'échec mais vous supprimez des Rased et nombre d'enseignants absents ne sont pas remplacés. La suppression de la carte scolaire a accéléré la ghettoïsation des établissements.

Vous vous êtes aussi attaqués à la formation des enseignants, la mastérisation n'est qu'un gâchis ! Le président de la République a parlé d'éléments de la formation à revoir : dites-nous en plus et parlez clair ! (Applaudissements à gauche)

M. Luc Chatel, ministre.  - Nous nous sommes attaqués aux inégalités sociales, puisque l'objectif de 30 % de boursiers en classes préparatoires est déjà dépassé. Grâce à la réforme du lycée, nous accompagnons davantage les choix d'orientation des élèves, domaine où l'inégalité est criante. Tout au long de la vie au lycée, l'orientation choisie préserve les passerelles, avec des tutorats. Il faut détecter les talents.

Mme Françoise Cartron.  - Très intéressant, mais vous n'avez pas répondu à ma question sur la formation. La mastérisation est un échec. Que comptez-vous faire ?

M. Philippe Darniche.  - Les inégalités de l'enseignement ne cessent de s'aggraver, malgré l'accès massif au bac et à l'enseignement supérieur : 160 000 jeunes quittent chaque année l'école sans qualification.

La France a d'excellents mathématiciens mais le niveau des élèves baisse en calcul.

Les premières victimes sont les enfants engagés dans des filières sans débouchés ; l'ascenseur social est en panne car les fondamentaux ne sont pas suffisamment maîtrisés. Il faut en revenir aux méthodes d'enseignement qui ont fait leurs preuves.

M. Luc Chatel, ministre.  - Après 1968, le système éducatif a oublié qu'enseigner, c'était transmettre le savoir. (Marques d'approbation à droite) L'apogée a été atteint avec la loi Jospin qui place l'élève au centre, oubliant la relation maître/élèves. (Exclamations à gauche)

M. Roland Courteau.  - Toujours la faute aux autres !

M. Luc Chatel, ministre.  - Nous avons rétabli les fondamentaux. Xavier Darcos a réformé l'enseignement primaire, j'ai réintroduit le calcul mental, qui développe la mémoire et l'agilité de l'esprit.

M. Bruno Sido.  - Ça, c'est bien !

M. Luc Chatel, ministre.  - Dans le domaine de la lecture, nous privilégions les meilleures pédagogies. Éduquer, c'est d'abord transmettre le savoir ! (Applaudissements sur les bancs UMP)

M. Philippe Darniche.  - Nous devons recruter des bénévoles pour aider les élèves le soir. Cette tâche relève en son principe de l'école de la République.

La séance est suspendue à 17 heures 50.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 18 heures 10.