Urbanisme commercial

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'urbanisme commercial.

Demande de réserve

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.  - Je demande la réserve des amendements nos4, 5, 2 et 3, qui traitent des critères de saisine des CDAC, après l'article 8.

Je demande aussi la réserve sur les amendements nos43, 103, 55, 59, 41 et 60, ainsi que de l'amendement à l'article 2 que la commission vient d'adopter sur la commission consultative sur l'aménagement commercial. Il me parait plus opportun d'en discuter après l'article 5.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.  - Avis favorable.

La réserve est de droit.

Discussion générale

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement.  - Depuis plus de trente ans, les législateurs et les ministres ont tenté de résoudre le problème de l'urbanisme commercial. Les lois se sont succédé sans trouver d'équilibre entre les grandes et petites surfaces, les centres-villes et les périphéries. Le sujet est donc complexe. Tous les maires font le même constat : la multiplication des supermarchés en périphérie et la difficulté du maintien des commerces en centre-ville.

La loi de modernisation économique (LME) n'a pas permis une meilleure cohérence urbaine. Le but de ce texte était économique et commercial et pas à visée urbanistique.

Les équipements commerciaux sont de grands consommateurs de foncier urbain et entraînent d'importants déplacements ; or ils sont souvent mal intégrés. Ce n'est pas seulement une question d'architecture. Le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, qui transfère les autorisations d'ouvertures commerciales du code du commerce au code de l'urbanisme.

Les élus doivent disposer de l'ensemble des outils pertinents dans leurs documents d'urbanisme : transport, commerce, habitat, etc.

En fonction des situations locales, les problèmes sont différents. Dans ma ville, Châlons-en-Champagne, j'ai une double problématique : l'équilibre entre centre-ville et périphérie et le risque d'évasion commerciale vers Reims. Nous devons développer notre périphérie pour éviter l'évasion tout en maintenant le commerce en centre-ville.

Aujourd'hui, les maires disposent d'outils importants. Le projet urbain permet d'équilibrer les territoires. Dans ma ville, nous avons eu en centre-ville une action très dynamique. M. Ollier, quant à lui, utilise le droit de préemption urbain régulièrement pour organiser le commerce en centre-ville.

Renforcer les documents d'urbanisme nous permettra d'asseoir les pouvoirs des élus. Seules des règles d'urbanisme doivent guider nos choix et non des objectifs économiques.

Les choix économiques et commerciaux ne peuvent figurer dans les règles d'urbanisme. Pour le Gouvernement, l'introduction de la question de la typologie pose problème. N'est-ce pas introduire dans un document d'urbanisme des questions économiques ou commerciales ? La discussion nous permettra d'aboutir à un consensus sur le sujet, je l'espère...

Deuxième question importante, celle des surfaces. Les débats LME ont été longs sur les seuils. Beaucoup de sénateurs voudraient les revoir. Nous passons d'un seuil de 1 000 m² de surface de vente à 1 000 m² de surface hors oeuvre nette (Shon), soit une diminution de la surface de vente. Pour le Gouvernement, on ne peut revenir à 300 m² sans encourir les foudres de Bruxelles.

Un schéma de cohérence territoriale (Scot) n'est pas la bonne échelle pour apprécier l'impact d'une petite construction.

Autre sujet sur lequel nous ne sommes pas d'accord : la période transitoire. Tant que les documents d'urbanisme n'ont pas été élaborés, le droit issu de la LME doit rester applicable.

Il nous faudra essayer de trouver une solution équilibrée, même si le sujet est délicat.

Je salue le travail accompli par la commission, malgré nos désaccords. Elle a même passé les frontières pour voir si ce texte était compatible avec la législation européenne. Ce travail s'est fait souvent au détriment du Gouvernement. Ce n'est pas un drame ! Nous allons essayer de rapprocher nos points de vue durant l'examen de ce texte. Le Gouvernement souhaite que l'urbanisme commercial intègre les documents d'urbanisme. La France ne peut plus continuer à avoir des urbanismes sectoriels ; il faut réunifier l'ensemble. Nous avons commencé avec le Grenelle de l'environnement, nous continuons aujourd'hui et nous poursuivrons demain.

L'urbanisme commercial doit devenir une composante essentielle de l'urbanisme. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie.  - Notre incapacité collective au cours des trente dernières années à penser le commerce a produit des entrées de villes d'une profonde laideur, tandis que les centres-villes se vidaient de leurs commerces.

M. Roland Courteau.  - C'est vrai.

M. Dominique Braye, rapporteur.  - Nous avons été incapables de changer la donne. Nous devons certes être modestes mais aussi volontaires et déterminés ; il faut renoncer aux demi-mesures pour mettre un terme à cette évolution. Cette proposition de loi peut être l'outil qui permettra de faire changer les choses. Pourquoi notre pays serait-il incapable de régler ce problème que de nombreux pays européens ont réglé depuis longtemps ? Allez dans les pays du nord de l'Europe pour voir des villes où il fait bon vivre !

Le respect du droit européen impose d'abandonner les critères économiques en matière commerciale. Il n'est plus possible de discriminer les commerces en fonction de leurs destinations.

La Commission européenne est sourcilleuse sur toutes ces questions, notamment en ce qui concerne les seuils de surfaces.

Cette proposition de loi réalise l'intégration de l'urbanisme commercial dans le droit commun de l'urbanisme. Désormais, une seule autorisation d'urbanisme (permis de construire, permis d'aménager ou déclaration préalable selon la nature du projet) sera nécessaire. Pour réaliser cette intégration, ce texte s'appuie sur les Scot et les documents d'aménagement commercial (DAC), volet connexe des Scot. À terme, tous les territoires disposeront d'un outil d'aménagement commercial.

Le DAC délimitera les secteurs d'implantation : centralités urbaines et secteurs périphériques où les implantations de grande taille seront autorisées ; ailleurs, elles seront interdites.

Les règles du DAC s'imposeront aux demandes individuelles : il faut donc qu'il soit précis, en particulier sur le zonage.

Enfin, dans la période transitoire au cours de laquelle les DAC seront élaborés, des commissions régionales d'aménagement commercial, les Crac, devraient donner leur accord préalable à la délivrance des permis de construire pour les implantations de plus de 1 000 m². Les critères de décisions de ces Crac, majoritairement composées d'élus, seront plus stricts que ceux des actuelles Cdac.

Voilà l'économie de ce texte à grands traits.

Premier enjeu : le régime de transition. Dans l'attente de la généralisation des DAC, le Gouvernement préfère prolonger les commissions départementales (Cdac) plutôt que de créer des Crac. Où est la cohérence de ce texte si, d'un côté, on claironne qu'il est nécessaire d'intégrer l'urbanisme commercial dans le droit de l'urbanisme et que, de l'autre, on maintient encore pendant cinq ans un régime à bout de souffle ? De plus, dans les Crac, les élus seront majoritaires.

Enfin, les critères de décision des Crac sont plus stricts que dans les Cdac. Les 4 millions de m² accordés en 2009 et 2010 nous imposent d'intervenir rapidement !

Certaines enseignes, comme Bricorama, voient leur chiffre d'affaires stagner alors que le nombre de leurs implantations a considérablement augmenté au risque de voir se développer des friches commerciales.

Deuxième gros enjeu de nos débats : la question de la typologie des secteurs d'activité commerciale.

Les implantations commerciales seront à l'avenir autorisées en fonction de la conformité du permis de construire. Le maire devra se borner à vérifier si le projet satisfait aux règles d'urbanisme. Cela me convient, mais à une seule condition : que les DAC disposent d'outils assez forts pour réguler les implantations commerciales. Constatant que rien, dans la boîte à outils du DAC, ne lui permettait de renforcer le pouvoir de contrôle des élus, j'ai proposé à la commission de l'économie d'encadrer les conditions susceptibles d'être fixées par le document d'aménagement commercial. Cet encadrement ne pouvait se faire que selon deux voies. La première est celle de l'abaissement des seuils de surface. La commission de l'économie a partiellement suivi ce chemin en exprimant ces seuils en SHON plutôt qu'en surface de vente, ce qui correspond à une baisse des seuils 20 %. La seconde, plus novatrice, est celle d'une régulation des implantations sur la base d'une typologie des secteurs d'activité commerciale. Le DAC pourra poser, dans les secteurs périphériques, des règles de localisation différentes selon la catégorie de commerce considérée (alimentation, équipement de la personne, équipement de la maison, loisir-culture).

Cette disposition, adoptée à l'unanimité par la commission, n'est ni contraire à la liberté d'établissement -la Commission européenne a même déclaré ce texte « exemplaire »-, ni susceptible d'être détournée par certains élus.

Monsieur le ministre, si vous êtes en mesure de nous proposer une autre solution qui réponde au problème de l'agonie des centres-villes, nous sommes preneurs ! Restons modestes, mais soyons déterminés pour mettre fin à l'anarchie actuelle. Nous ne pouvons nous faire les apôtres d'un immobilisme coupable !

J'ai la conviction que, si on ne donne pas au DAC les outils puissants que je vous propose d'adopter, l'aménagement du territoire sera une fois de plus, et pour longtemps, sacrifié. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Claude Merceron.  - Depuis le début des années 1960, l'urbanisme commercial a vu le développement des grandes surfaces. On a voulu doter chaque quartier de la ville d'une fonction déterminée, selon le voeu exprimé par Le Corbusier.

Cette conception irréaliste a conduit à la désertification des centres-villes.

Depuis quarante ans des métastases commerciales se sont développées en périphérie. Face à cette situation, nous avons tenté, en vain, depuis la loi Royer et jusqu'à la loi Raffarin de 2006, de contrôler les implantations commerciales. Mais la tendance s'est inversée, puisque la loi LME de 2008 a relevé les seuils d'autorisation pour les implantations commerciales, privilégiant ainsi une lecture économique et concurrentielle par rapport à une conception soucieuse d'un aménagement et d'un développement urbains harmonieux et durables.

L'adoption fin 2009 de la proposition de loi de M. Sueur sur les entrées de ville a fait évoluer les esprits.

La présente proposition de loi vise à favoriser un développement harmonieux du commerce urbain, en limitant l'étalement urbain, en tenant compte de l'offre de transports, en promouvant la diversité commerciale et en revitalisant les centres-villes.

Je salue le travail de la commission, notamment celui de M. Braye, qui a amélioré le texte de l'Assemblée nationale.

J'espère que vous entendrez les propositions du groupe centriste : la loi doit être de qualité, elle ne doit pas se perdre dans les détails. La clarté du texte est essentielle afin que les DAC soient irréprochables. Le respect des libertés des élus locaux est indispensable. Respecter la liberté des maires ne signifie pas que nous ne devons rien exiger d'eux.

Le groupe de l'Union Centriste attache une importance particulière à trois principes majeurs, qui ont dicté les amendements déposés sur ce texte.

Premièrement, la loi doit être de qualité. Plus la loi se perd dans les détails, moins elle est cohérente et applicable en pratique.

Deuxième principe : le respect de la liberté des élus locaux. Mais respecter la liberté des maires, cela ne veut pas dire pour autant ne rien exiger d'eux !

Enfin, nous devons nous attacher à poursuivre un aménagement commercial durable. Or, ce ne sera le cas que si celui-ci porte sur l'amélioration de l'existant, par opposition à la construction de zones toujours nouvelles, prises sur des espaces naturels et agricoles.

Nous soutiendrons cette proposition de loi dans la mesure où nous pourrons obtenir des réponses satisfaisantes aux préoccupations que je viens d'exprimer. (Applaudissements au centre et à droite)

M. François Patriat.  - M. le rapporteur a vanté avec conviction ce qui s'apparente, au regard de ses insuffisances et de ses contradictions, à une proposition de loi de repentir...

Au début de la législature, la majorité a dérégulé à tout va ; la LME libéralisait le commerce pour faire baisser les prix. Or, depuis un an, le prix d'achat du lait aux producteurs s'est effondré, alors que le prix de vente n'a pas baissé -le litre est aujourd'hui acheté 0,29 euro et revendu 0,73 euro ; même chose pour le porc -2,11 euros le kilo à l'achat, 6,58 à la vente- ou le poulet -2,11 contre 11,50. Ces chiffres sont tirés d'une enquête de l'association UFC-Que choisir. Les distributeurs justifient les hausses de prix par le cours des matières premières, mais on les sait plus prompts à répercuter les hausses que les baisses...

Depuis 2007, toutes les enseignes de hard discount ont progressé. La LME a fait exploser les surfaces commerciales, sans faire baisser les prix. C'est ce que nous redoutions. Engagez donc ce débat avec humilité.

Les quelques verrous consentis en 2008 n'ont pas permis aux élus d'éviter l'anarchie. Constructions, agrandissements parfois illégaux se sont multipliés. Et les cafouillages réglementaires initiaux ont entretenu le flou pendant un an, au grand bénéfice des grandes surfaces.

Cette proposition de loi est une tentative pour rectifier le tir, mais les droits européen et national autoriseraient à doter les territoires d'outils plus performants. Le droit européen interdit les autorisations sur critères économiques, mais non selon des critères d'intérêt général ou d'aménagement équilibré... Comme à l'ordinaire, le Gouvernement en a une vision restrictive. Invoquer la liberté d'installation et la concurrence ne tient pas ; c'est oublier que des enseignes différentes sont alimentées par la même centrale d'achat...

Intégrer le droit de l'urbanisme commercial dans le droit commun de l'urbanisme et généraliser les DAC, c'est en apparence redonner la main aux élus, leur permettre de définir des règles pour l'implantation de surfaces supérieures à 1 000 m² dans certains secteurs. Mais partout ailleurs tout est permis. Je regrette que nos amendements n'aient pas été reçus, qui introduisaient de vrais outils de régulation : l'abaissement du seuil et la validation des permis de construire par le président du Scot. Et ne vous réfugiez pas derrière Bruxelles : aucun texte européen ne fixe de seuil !

La majorité sénatoriale a introduit en outre des dispositions qui pourraient avoir des effets pervers et entériner des situations de monopole. Dans les secteurs où seront autorisées les surfaces supérieures à 1 000 m², les élus pourront distinguer plusieurs types de commerces ; c'est de facto leur donner la possibilité d'interdire certains commerces et d'ouvrir la porte aux pressions des aux lobbys locaux. Comme l'a dit M. Mézard, c'est un facteur de complexité et d'incertitude. L'absence de régulation des implantations inférieures à 1 000 m² conduit à l'anarchie et fait craindre à terme faillites et nouvelles friches commerciales. Avec la multiplication des hard discounters de surface intermédiaire en centre ville, artisans et petits commerçants vont souffrir ; après les villages, les villes moyennes seront vidées de leur animation.

On continue à confondre autorisation de construire et autorisation d'implantation. Nos amendements visent à y remédier.

Cette proposition de loi confirme une vision ultralibérale du territoire. Nous ne la voterons pas. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Paul Émorine, président de la commission de l'économie.  - En application de l'article 29 bis du Règlement, je vous propose de modifier l'ordre du jour de l'après-midi du jeudi 31 mars pour y intégrer la suite de l'examen de ce texte.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Avis favorable.

Il en est ainsi décidé.