Dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes par M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

Huissiers, veuillez introduire M. le Premier président. (M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, pénètre dans l'hémicycle)

Monsieur le Premier président, c'est un grand plaisir, à titre personnel mais aussi institutionnel, de vous accueillir à la tribune du Sénat. Les relations entre la Cour des comptes et le Sénat sont anciennes mais jamais leur intensité n'a été aussi forte depuis leur consécration au travers de l'article 47-2 de la Constitution. Je m'en félicite.

Cette évolution s'explique par l'affirmation par la Cour de ses compétences et sa volonté de tenir toujours davantage et en toute indépendance son rôle d'information devant le Parlement mais aussi, de plus en plus, devant l'opinion publique. Ces missions participent à nourrir la confiance des citoyens en leurs institutions.

Le Sénat vous demande régulièrement assistance, notamment les commissions des finances et des affaires sociales. Il a pris l'initiative de tenir des réunions pour suite à donner associant représentants de la Cour, rapporteurs de la commission des finances et représentants des organismes contrôlés. Ce que l'on sait moins est que les comptes des assemblées sont désormais certifiés par la Cour, qui n'a émis aucune réserve.

Le 11 octobre dernier, j'avais dit mon souhait d'un Sénat plus modeste qui ne doit craindre aucun regard extérieur, notamment celui de la cour -dans le respect, bien sûr, de la séparation des pouvoirs. Je prendrai prochainement l'initiative de faire appel à l'expertise de la Cour pour améliorer notre dispositif de contrôle interne, examiner le statut juridique et les conditions de fonctionnement de certains services, rendre plus lisibles les conditions de fonctionnement administratives et financières de notre assemblée. Il en va de l'exigence de clarté et de sincérité des comptes comme de la transparence de la gestion publique, qui fondent la confiance de nos concitoyens. (Applaudissements)

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.  - (M. le Premier président remet à M. le président du Sénat le rapport annuel de la Cour) Le rapport annuel de la Cour est l'expression la plus forte de la mission constitutionnelle d'information des citoyens ; sa remise, chaque année depuis 1832, est un moment solennel pour notre institution. Je l'ai remis hier au président de la République et je viens de le faire à l'Assemblée nationale.

Nos nombreuses publications concourent à cette mission. Ce rapport est accompagné, au cours de l'année, de divers rapports thématiques. La Lolf et la révision constitutionnelle de 2008 ont élargi notre mission d'assistance au Parlement.

En 2011, la Cour a remis six rapports annuels sur les finances publiques ; à la demande de vos commissions, sept communications en application de la Lolf et de la Lolf-SS. Si je me réjouis que ces rapports alimentent le travail du Parlement, je suis attaché à ce que la Cour exerce sa liberté de programmation ; de fait, la majeure partie de ses activités relève de sa propre initiative.

Le rapport 2012 couvre un spectre très large. Il comprend deux tomes, l'un consacré à des observations et recommandations nouvelles, l'autre aux résultats de ses travaux de suivi.

Dans de nombreux domaines, des évolutions positives sont relevées -plan « cancer », contrat de reclassement professionnel ou gestion des juridictions administratives. Dans d'autres, les évolutions constatées doivent être prolongées -réforme portuaire de 2008, grands chantiers culturels, France Télévisions. Dans d'autres enfin, la Cour constate que ses recommandations n'ont pas été suffisamment prises en compte -régime des intermittents du spectacle, gestion des pensions des fonctionnaires de l'État, prime à l'aménagement du territoire, politique de périnatalité. La Cour des comptes, ce travail l'illustre, est un déclencheur de réformes et s'efforce de faire des recommandations opérationnelles.

Il y a un mois, j'ai rappelé les orientations que doivent prendre nos finances publiques : la France doit s'éloigner aussi rapidement que possible de la zone dangereuse où elle est entrée du fait de son endettement ; elle doit assurer la crédibilité de ses engagements en en précisant les modalités ; elle doit éliminer les déficits récurrents de ses dépenses sociales ; l'effort de redressement doit concerner tous les acteurs publics, les dépenses comme les recettes, davantage les premières que les secondes.

Les préoccupations de la Cour des comptes ne sont pas purement comptables. « La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur », disait Paul Valéry. Il ne pensait sans doute pas aux comptes publics... Reste que le redressement de ces derniers est la condition de la souveraineté.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Très bien !

M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.  - La crise explique un tiers du déficit ; la France est entrée dans la crise avec un déficit structurel de 3,7 points de PIB. Les cinq points d'aujourd'hui, c'est 100 milliards, qu'il faut faire disparaître à raison d'un par an. En 2011, un effort a été engagé à hauteur de 0,5 point de PIB ; c'est encourageant, mais le double serait nécessaire. Les dépenses ont progressé de 1,4 % en volume, contre 2,2 % par an ces dix dernières années ; l'amélioration structurelle résulte pour l'essentiel de la hausse des prélèvements obligatoires à hauteur de 0,6 point de PIB. D'après le Gouvernement, nous en sommes à 5,7 % de déficit : c'est moins qu'en 2009 et 2010, mais c'est encore trop élevé ; 110 milliards de dépenses n'ont pas été couvertes, soit l'équivalent des budgets cumulés de l'enseignement scolaire, de la justice et de la défense... Avec un tel déficit, la dette publique continue à augmenter à un rythme qui ne sera plus soutenable.

Les efforts devront donc être plus importants et ils seront plus difficiles. La plus grande part du chemin restera à parcourir en 2013 et 2014. La Cour des comptes avait jugé, en juin, trop optimistes les prévisions de croissance ; les estimations semblent aujourd'hui plus réalistes. Le projet de loi de finances présenté ce matin en conseil des ministres conforte les analyses de la Cour : presque toutes les marges de manoeuvre du budget 2012 ont disparu. Le solde primaire en 2012 resterait négatif à 1,7 %, alors qu'il serait positif en Allemagne de 1,3 %. La dette française poursuivra son augmentation à près de 90 % du PIB. La mobilisation des recettes a ses limites : le volet dépenses doit donc être réduit.

L'effort doit être ciblé, les dépenses inutiles réduites, voire supprimées. L'État finance 1 300 dispositifs d'intervention. Qui peut prétendre qu'ils sont tous efficaces ? L'effort doit concerner aussi les collectivités territoriales et la protection sociale. Certes, les finances locales pèsent peu dans la dégradation de la situation et l'endettement est bien maîtrisé. (On le confirme à gauche) Néanmoins, les dépenses locales augmentent rapidement, de même que la fiscalité locale. La poursuite d'un tel rythme n'est pas compatible avec un effort structurel de redressement. La masse salariale devrait en particulier être davantage maîtrisée, grâce notamment à une meilleure articulation entre communes et intercommunalités.

Les contraintes les plus fortes pèsent sur les dépenses sociales, 46 % des dépenses publiques. Leur progression trop rapide exclut un retour à l'équilibre avant un terme éloigné. Des réformes structurelles d'ampleur s'imposent sans remettre en cause la qualité de notre protection sociale ; l'effort doit porter en priorité sur l'assurance maladie.

La résorption du déficit structurel doit être conduite aussi vite que possible ; des réformes structurelles sont indispensables, accompagnées de mesures renforçant notre compétitivité et assurant un juste partage des efforts. Il faut écarter le risque d'une brutale cure d'austérité, d'un remède de cheval qui nous serait imposé de l'extérieur -autrement dit, une mise sous tutelle.

La Cour des comptes recommande de réduire les dépenses fiscales qui ont augmenté de 60 % depuis 2004 pour s'établir à 73 milliards d'euros. L'effort doit être amplifié et viser à les réduire de 15 milliards de moins. De nombreuses niches ont été identifiées comme inefficaces -je pense par exemple aux défiscalisations Girardin outre-mer, qui pourraient être remplacées par d'autres modes d'action publique.

La Cour des comptes rend compte du contrôle de la Banque de France, qui devrait, dans la gestion de son portefeuille, accorder plus d'importance au long terme. La vente d'or de 2004 à 2009 le démontre. La gestion a fait des progrès mais il reste un réservoir de gains de productivité...

Le logement social, maintenant : le recentrage de l'effort de construction produit des résultats décevants ; seuls 25 % de logements ont été construits dans les zones les plus tendues. Un nouveau zonage devrait être adopté et une meilleure connaissance du parc recherchée.

La Cour aborde également la lutte contre la fraude. L'appareil répressif est encore trop peu efficace. Ainsi, la fraude à la TVA sur le marché des quotas de carbone a coûté 1,6 milliard à l'État entre l'automne 2008 et le printemps 2009. Elle révèle le manque de réactivité de l'administration et l'insuffisante régulation d'un marché dont les potentialités frauduleuses ont été négligées.

La Cour des comptes a examiné le réseau des sous-préfectures. La plupart d'entre elles sont sans activités précise. La gestion courante se détériore, les charges immobilières sont pesantes et les ressources humaines sans perspectives. Pourtant, les marges d'évolution sont importantes sans que la présence de l'État ne disparaisse. Le réseau doit se moderniser, le découpage territorial s'adapter. Le parc immobilier doit être rationnalisé.

La prime à l'aménagement du territoire, gérée par l'État, est devenue marginale par rapport à l'action des collectivités territoriales ; la Cour propose de la supprimer. Le recours aux aides d'urgence à l'agriculture devrait en outre être modernisé.

S'agissant plus particulièrement des collectivités, la décentralisation du réseau routier a coûté plus cher que prévu ; elle reste à approfondir. La Cour a aussi étudié les ressources humaines et leurs bonnes pratiques.

Santé et enseignement ne sont pas oubliés. Mais je vous laisse découvrir ce rapport de plus de 1 600 pages qui, je le souhaite, alimentera vos débats et nourrira votre réflexion. L'expertise de la Cour est à votre entière disposition. (Applaudissements)

M. le président.  - Le Sénat vous donne acte du dépôt du rapport annuel.

M. Philippe Marini, président de la commission des finances.  - Une nouvelle fois, la remise du rapport de la Cour satisfera les attentes de ceux qui militent pour une saine gestion des deniers publics. Bien sûr, la commission des finances ne se privera pas d'examiner les observations de la Cour ; nous avons commencé le travail ce matin, dès sa mise en ligne...

Certains des sujets abordés nous permettront de prendre de nouvelles initiatives. Ainsi, l'an dernier, nous avions prêté une grande attention aux remarques sur le Centre national de la fonction publique territoriale. Nous avions écouté les arguments des uns et des autres, puis déposé une proposition de loi, malgré des résistances assez fortes. Je suis heureux de dire que le sujet est désormais derrière nous. Il est vrai que certaines réformes sont difficiles à faire admettre à ceux dont elles affectent les intérêts ou habitudes...

Ce rapport ne constitue que l'un des volets de l'intense collaboration entre le Parlement et la Cour des comptes. Au cours de 2011, nous avons reçu les résultats de cinq enquêtes que nous avions demandées au titre de l'article 58-2 de la Lolf. Les sujets en étaient : la fusion de la DGI et de la DGCP, la gestion de l'agence de l'outre-mer pour la mobilité, la réforme des offices agricoles, la gestion du patrimoine immobilier des hôpitaux et la réforme de la tutelle des majeurs. A chaque fois, nous organisons une audition pour suite à donner.

Pour 2012, compte tenu des échéances électorales, nous avons modifié l'échéancier des enquêtes et nous vous avons saisi de cinq nouvelles demandes : le CNC, l'entretien du réseau ferré national, la comptabilisation des engagements hors bilan de l'État, la gestion du patrimoine immobilier des CHU et les frais de justice. Nous vous avons saisi également d'une demande de transmission d'un relevé d'observations définitives sur le CNDS. Le choix de ces enquêtes se fait par consensus au sein de notre commission.

Je crois pouvoir dire que nous avons pris ensemble de bonnes habitudes de travail. La Cour nous aide puissamment à remplir notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement. Quelques marges de progression sont pourtant possibles.

Depuis 2007, nous examinons avec une attention particulière les documents transmis par la Cour. En mai 2011, nous avons ainsi organisé une audition pour suite à donner à deux référés de la Cour relatifs à la gestion de l'établissement public « Parcs nationaux de France » et à la gestion et au pilotage des parcs nationaux. Ce sujet a donné lieu à la publication d'un rapport d'information.

La commission, par le biais de ses rapporteurs spéciaux, entend rebondir sur les observations de la Cour. Le délai de transmission des référés est de deux mois, délai qui me parait raisonnable ; je suis sûr que vous veillerez à le faire respecter. S'agissant des rapports particuliers, aucun délai spécifique n'est prévu par les textes ; je souhaiterais que nous pussions convenir ensemble d'un délai de un à deux mois. Je forme aussi le voeu que le Parlement conserve un droit de priorité sur les éléments d'information qui lui permettent d'exercer pleinement sa mission de contrôle. De notre côté, nous redoublerons d'efforts pour diffuser plus rapidement les enquêtes remises par la Cour -il est bon de battre le fer quand il est chaud.

Je terminerai par l'essentiel : que la conjugaison de nos actions nous permette de progresser encore dans la défense de l'intérêt général. (Applaudissements à droite)

présidence de Mme Bariza Khiari,vice-présidente

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales.  - A mon tour, je veux saluer la qualité des travaux de la Cour des comptes.

La synthèse des travaux que vous venez de présenter est impressionnante. Nous en examinerons le contenu de façon approfondie, croyez-le, notamment sur le logement social ou le patrimoine des hôpitaux. Nous examinerons aussi les suites données à vos observations précédentes, notamment en ce qui concerne le plan « cancer » ou l'accompagnement des salariés licenciés pour motif économique. La mise en oeuvre du contrat de sécurisation professionnelle est encore modeste ; il reste beaucoup à faire pour les personnes les plus éloignées de l'emploi. La cour est plus critique sur le contrat de professionnalisation ; acteurs et moyens de la formation professionnelle ne sont pas suffisamment mobilisés.

Nous nous saisirons du sujet de la périnatalité. Comment accepter les chiffres que vous citez en matière de mortalité infantile et maternelle ? Nous avons identifié ce sujet comme une priorité. C'est pourquoi nous avons saisi la Cour des comptes sur cette question.

Nous souhaitons que les bonnes relations tissées avec vous perdurent et se renforcent. Nous voulions vous saisir de l'insertion professionnelle des personnes handicapées et de la validation des acquis de l'expérience, mais nous n'avons pas pu nous mettre d'accord. Vous avez accepté en revanche notre demande d'enquête sur la politique de vaccination qui, après l'épisode de la grippe H1N1, doit être évaluée ; nous constatons un recul dans ce domaine.

Nous vous avions demandé deux études cette année, l'une sur les spécificités du régime d'assurance maladie d'Alsace-Moselle, qui est à l'équilibre, et une autre sur les dépenses prises en charge par l'assurance maladie mais qui ne correspondent pas stricto sensu à des remboursements de soins. Deux rapports seront prochainement présentés par la commission, respectivement par Mme Schillinger et M. Daudigny.

Nous avons aussi, avec la Cour, des rendez-vous réguliers : rapport sur l'application de la loi de financement, rapport de certification des comptes de la sécurité sociale, rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques. Les débats de l'automne dernier sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances s'en sont fait l'écho. La commission des affaires sociales a repris plusieurs des sujets évoqués pour y travailler.

Vous insistez sur la nécessaire équité des efforts demandés aux Français. Le Gouvernement fait le choix rigoureusement inverse en décidant d'augmenter la TVA, impôt qui pèse indistinctement sur tous les Français.

Je forme le voeu que 2012 marque la poursuite de notre fructueuse collaboration pour le plus grand bien de nos concitoyennes et de nos concitoyens. (Applaudissements à gauche)

Mme la présidente.  - Huissiers, veuillez reconduire M. le Premier président. (M. le Premier président quitte l'hémicycle)

La séance est suspendue à 19 h 20.

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présidence de M. Didier Guillaume,vice-président

La séance reprend à 21 h 30.