Violences faites aux femmes (Proposition de résolution)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution relative à l'application de certaines dispositions de la loi du 9 juillet 2010, concernant les violences faites aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Je remercie Mme la présidente de la Délégation aux droits des femmes d'avoir permis l'inscription de cette proposition de résolution à l'ordre du jour.

Le 29 mars 2005, le Sénat a adopté à l'unanimité notre proposition de loi et celle du groupe CRC tendant à lutter contre les violences faites aux femmes ou au sein des couples. C'était une première au Parlement. Enfin, nous osions regarder la vérité en face ! Enfin, nous osions faire tomber les tabous ! Nous avons érigé en priorité nationale la lutte contre ce fléau. Il était temps. La législation était alors bien lacunaire. Sans doute préférait-on ignorer un mal qui dérange...

Nombre d'associations ont salué la loi du 4 avril 2006. Le voile du silence s'est enfin déchiré ; la parole des victimes s'est enfin libérée ; les victimes osent enfin porter plainte.

En juin 2007, nous avons déposé une deuxième proposition de loi, puis une troisième, en novembre, pour compléter le dispositif. La dernière a abouti à la loi du 9 juillet 2010. L'article 13 de la loi de 2006 dispose que le Gouvernement dépose tous les deux ans un rapport sur la politique nationale en la matière. Ces rapports sont très importants pour mesurer l'évolution de la situation : quels sont les besoins en structures de soins pour les auteurs ou d'hébergements pour les victimes ? La justice prononce-t-elle des mesures d'éloignement ? Six ans après cette loi, nous devrions disposer de trois rapports ; mais le Gouvernement n'en a déposé qu'un seul, en 2009. Les associations manquent de structures, les magistrats ne peuvent éloigner les auteurs de violences faute de logements ; on ne compte qu'une dizaine de centres de soins ! Combien de temps devrons-nous encore attendre ?

La loi du 9 juillet dispose, dans son article 21, que le Gouvernement dépose un rapport avant le 30 juin 2011 sur la formation des acteurs de toute la chaîne des intervenants -qu'ils soient médecins, avocats, personnels ou soignants. C'est vital pour la prévention. Quand le rapport sera-t-il remis ?

Les violences conjugales et sexuelles sont parmi les plus traumatisantes : 60 % à 80 % des victimes développent des troubles psychosomatiques chroniques, parfois leur vie durant. Sous-estimer ces violences et leurs conséquences, c'est abandonner les victimes à leur sort ; sans soins spécifiques, elles sont vulnérables et tentent de se réparer comme elles le peuvent avec des stratégies de survie qui sont souvent facteurs d'exclusion. L'OMS souligne qu'avoir subi des violences dans son enfance est un des principaux facteurs de risque de subir ou de commettre soi-même des violences. Si rien n'est fait, la violence engendre la violence dans un cycle sans fin. La mémoire traumatique est une machine à remonter le temps ; les victimes développent des conduites d'évitement, des phobies, des conduites à risques... D'où l'importance de la formation, pour bien accueillir, bien protéger, bien accompagner.

Mesure phare de la loi de 2010, l'ordonnance de protection est très diversement appliquée. Dans les départements où des partenariats ont été établis entre magistrats, travailleurs sociaux et associations, cela se passe bien. Moins bien, là où les magistrats manquent de moyens... Et certains semblent réticents. Les délais sont longs, de quatre à cinq semaines, alors que la loi de 2010 dispose que le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence une ordonnance de protection. Parfois, le délai n'est que de 72 heures. Mais en Île-de-France, il peut atteindre dans des cas très particuliers cinq à six mois ! Heureusement que les associations prennent le relais ! Il faut informer largement sur cette procédure et raccourcir les délais. Ses effets positifs sont immédiats, tant pour protéger la victime que sur l'auteur des violences.

Pour changer les mentalités, la loi de 2006 devrait être relayée par d'autres dynamiques. Il faut agir en amont, dès l'école. Il faut un vrai travail d'éducation sur l'égalité entre les sexes, le respect mutuel, la lutte contre les préjugés sexistes. Le sexisme, c'est la tendance à vouloir inscrire la différence dans « un rapport hiérarchique de domination où le masculin l'emporte sur le féminin », une construction purement humaine, donc, qui peut et doit être déconstruite ! L'information est dispensée « à tous les stades de la scolarité », dit la loi ; mais les chefs d'établissement n'ont reçu aucune instruction à ce sujet. Quel contenu, quelle fréquence, sous quelle forme ? Ils ne le savent pas. La circulaire du 17 février 2003, par exemple, encadre l'éducation à la sexualité, mais rien pour les violences faites aux femmes, alors que les enfants sont enfermés, dès leur plus jeune âge, dans des représentations stéréotypées.

L'article 24 de la loi de 2010 institue une journée nationale de sensibilisation aux violences faites aux femmes, fixée au 25 novembre. Plus on sensibilisera, plus on alertera et plus vite on fera reculer ce fléau. Mais le dernier 25 novembre est passé presque inaperçu -bien que certains parlementaires aient porté le ruban blanc symbolique et que certaines collectivités et associations se soient mobilisées. Les pouvoirs publics doivent donner à cette journée le relief particulier voulu par le législateur.

Il faut faire évoluer les mentalités. En 2010, 174 personnes sont mortes, victimes des violences de leur conjoint ou partenaire ou ex ; six enfants sont morts en même temps que leurs mères. En incluant les suicides des auteurs et les homicides commis sur des collatéraux, on a déploré 240 décès. Combien d'autres connaissent encore l'enfer ?

Je conclue en saluant l'immense travail des associations.

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.  - Nous les subventionnons...

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Attention à ne pas les décourager en lésinant sur les subventions. Sans elles, comment ferions-nous ? (Applaudissements à gauche ; Mme Muguette Dini applaudit aussi)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - Je me réjouis que ce débat ait été inscrit à ma demande à l'ordre du jour.

Ces violences ont longtemps été occultées : l'ampleur de ce phénomène de masse n'a été révélée que récemment. En 2008 et 2009, 663 000 femmes ont été victimes de violences conjugales.

La législation, récente, est principalement issue de propositions parlementaires. Il faut voter des lois, mais aussi s'assurer de leur bonne application. (M. Roland Courteau approuve) Je déplore à ce titre que les rapports prévus n'aient pas été déposés par le Gouvernement, qu'il s'agisse de l'application de l'ordonnance de protection aux ressortissants algériens, de la formation des acteurs ou de la création d'un Observatoire national à l'instar de celui qui existe fort utilement en Seine-Saint-Denis.

La loi du 9 juillet 2010 est applicable -les décrets ont été publiés- mais n'est pas véritablement appliquée, faute de moyens. Encore un effet de la RGPP...

Les deux mécanismes de protection de la victime sont peu utilisés, qu'il s'agisse de l'ordonnance de protection, encore mal connue et dont le délai de délivrance est trop long -26 jours en moyenne- ou des dispositifs de surveillance électronique. Le recours au bracelet électronique est trop rare. L'expérimentation du dispositif anti-rapprochement a pris du retard. Le dispositif « femmes en très grand danger », qui repose sur la distribution aux victimes de téléphones portables préprogrammés, est prometteur -on l'a vu à Bobigny. Sera-t-il étendu à l'ensemble du territoire ?

Le nombre de places d'hébergement d'urgence est insuffisant et les structures généralistes sont mal adaptées. Les initiatives locales montrent pourtant que l'on peut aller plus loin -je pense à celle prise conjointement par des maires de la boucle nord des Hauts-de-Seine et l'association Escale. Elles ne dispensent toutefois pas l'État de jouer son rôle.

La prévention doit se faire en direction des hommes violents d'abord ; des enfants, témoins ou victimes de ces violences, ensuite, pour éviter qu'ils ne reproduisent ces comportements ; de la société, enfin, en promouvant le respect mutuel dès l'école. (M. Roland Courteau approuve) Il faut aussi veiller à l'image de la femme et aux représentations sexistes dans les médias. C'est en promouvant une culture de l'égalité entre femmes et hommes que nous ferons changer les comportements ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Vincent Placé.  - Contre les violences faites aux femmes, tout n'a pas été fait. Tous les deux jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint. La situation, dramatique, est due à un manque de volontarisme politique. Quand il est là, on peut agir ; le conseil régional d'Île-de-France a ainsi obtenu qu'un quota de logements sociaux soit réservé aux femmes contraintes de dé-cohabiter pour cause de violence de leurs partenaires. (Mme Isabelle Debré le confirme)

Il faut soutenir le travail remarquable des associations. Menaces, chantages, séquestrations, viols ou tentatives de meurtre concernent deux millions de femmes en France. Strangulation, défenestration, immolation : les mots sont durs, la réalité aussi. La violence conjugale serait la première cause de décès et d'invalidité, avant la route, et même la guerre chez les femmes de 16 à 44 ans. Il y a pire, si je puis dire : quand un homme humilie, insulte, ridiculise ou isole sa compagne, il anéantit sa dignité.

D'où l'importance d'appliquer la loi -j'espère que notre nouvelle commission contribuera à ce qu'elle le soit. D'après une enquête de victimisation, le taux de révélation de ces actes serait limité à 9 % ! (M. Roland Courteau renchérit) C'est dire que le système est encore aveugle à la souffrance des victimes. D'où l'importance de la formation des acteurs, au sein de la police ou des services sociaux, sans oublier les professionnels de la petite enfance et de l'éducation. Des leviers d'action existent pour renforcer l'égalité femme-homme, assurer la sécurité de nos concitoyennes et de leurs proches, protéger les droits humains. Cet engagement est un combat permanent cher à tout écologiste.

« Femme, réveille-toi ! Le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits », disait Olympe de Gouges. Moi, je veux dire : « Homme, réveille-toi » pour que l'égalité soit une réalité ! (Applaudissements à gauche)

Mme Muguette Dini.  - Merci à M. Courteau pour son initiative. Une circulaire très complète a été adressée le 1er décembre sur la loi de 2010, mais les résultats restent insuffisants.

Il y a trois types de réponse à ce fléau : par la législation, par la mobilisation des professionnels, par l'évolution des mentalités -l'école et les médias jouent un rôle majeur pour faire évoluer les mentalités.

Toute loi restera lettre morte si les policiers, les gendarmes, les magistrats les professionnels de santé et d'éducation ne s'en emparent pas. Beaucoup reste à faire. L'accueil et l'écoute dans la police et la gendarmerie peuvent être considérablement améliorés. (Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve)

La doctrine sur la loi de 2010 est édifiante : « certaines dispositions laissent perplexe », dit la Gazette du Palais ; « certaines mesures sont excessives » lit-on aussi -visant en particulier le bracelet électronique ou la garde à vue d'office. Ces commentaires démontrent que l'implication des magistrats est loin d'être convaincante.

Quant aux professionnels de santé, ils hésitent trop souvent à poser des questions aux patients ; et ils n'ont que peu de temps à consacrer à une écoute qui peut les déranger.

L'école, enfin, est aussi confrontée à la violence sexiste. Là aussi, le déni existe. Les tensions actuelles entre filles et garçons sont le produit d'un phénomène que l'on n'a pas su ni voulu traiter. La représentation de la femme soumise, femme-objet, persiste et se renforce même chez les adolescents d'aujourd'hui. Comment combattre le déni de la violence sexiste ? Les chefs d'établissements craignent une médiatisation nuisible à leur image... (M. Roland Courteau approuve)

La construction de la virilité passe trop souvent par le dénigrement des filles, ramenées à leur apparence physique. Dans les cours de récréation, la violence est parfois le seul moyen de communication ; la représentation de la sexualité y est caricaturale, en raison de la pornographie mais aussi de la représentation de la femme dans la société. Les filles surinvestissent leur apparence physique au risque de ne pas se construire pour elles-mêmes ; elles ont intégré le rapport de domination, et en viennent à considérer les violences verbales ou physiques comme normales !

Il faut renforcer les initiatives pour promouvoir dès l'école l'égalité entre les sexes. La formation des professionnels de la communauté éducative est indispensable. Toute action permettant d'avancer est bienvenue : le groupe UCR soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Michelle Meunier.  - Décidément, il en faut, de la ténacité, pour tenter de faire avancer la cause des femmes dans le pays des droits de l'homme ! Les femmes sont trop souvent enfermées dans un rôle de conjointe ou de mère : les stéréotypes ont la vie dure ! Enfermer la femme dans la sphère domestique permet aux hommes de s'en dégager pour vaquer à des occupations plus plaisantes et plus valorisantes... Il n'y aura pas d'égalité sans effort ni renoncement de la part des hommes. L'éducation produit une transmission de représentation, dans une société de consommation où l'on offre des poupées aux petites filles et des pistolets aux petits garçons !

Condamnées à assurer la bonne marche du ménage, les femmes subissent des violences de la part de conjoints qui les détruisent pour mieux affirmer leur domination. Subir la violence d'un conjoint -et non d'un inconnu- plonge les victimes dans une détresse toute particulière. Oser porter plainte contre le père de ses enfants n'est pas chose aisée... Elles ont le sentiment d'être responsables de la violence et sont plongées dans l'isolement et le doute. C'est un cercle infernal.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - En effet !

Mme Michelle Meunier.  - Seuls 8 % des cas de violence débouchent sur une plainte, dit-on. Mais leurs requêtes, souvent premier contact avec la justice, sont encore trop souvent rejetées ! Cela les enferme dans leur prison et les expose à une violence redoublée. La plupart du temps, les violences les plus graves ont lieu au moment de la séparation ou de son annonce : il ne fait pas bon tenter d'échapper aux griffes du tyran !

Pourquoi une si faible application des textes ? Peu de tribunaux se sont emparés du sujet. Les ordonnances de protection sont rarement accordées, sous divers prétextes, complexité, manque de preuves, crainte de se tromper... Le juge aux affaires familiales est dans un rôle qui lui est peu familier. D'où l'importance de la formation.

La sensibilisation est à développer aussi auprès des professionnels de santé, qui accompagnent les femmes et les enfants ; auprès des policiers et gendarmes -en Loire-Atlantique, ils ont été dotés d'une fiche-guide servant à recueillir une plainte pour violence conjugale. C'est une question de moyens, certes, mais c'est surtout une question de volonté politique.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Les deux !

Mme Michelle Meunier.  - Il faut rester vigilants et tenaces, pour construire enfin la société égalitaire que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Laborde.  - Les violences faites aux femmes doivent faire l'objet d'une lutte permanente. Le silence des victimes ne doit pas conduire à taire ce fléau, qui fait encore tant de morts. La loi du 9 juillet 2010 offre une réponse globale, associant protection, prévention et répression. Elle fournit aux victimes un bouclier contre l'auteur des violences. Cependant, l'apparente réussite de l'ordonnance de protection est affaiblie par les délais : 26 jours de trop, pendant lesquels ces femmes risquent la mort ! Les femmes étrangères victimes ont théoriquement droit à un titre de séjour -les préfectures ne sont pas censées ignorer la loi !

La formation des professionnels est indispensable, notamment à l'école, et s'est révélée efficace. L'entourage a aussi un rôle à jouer pour aider la femme à prendre conscience de son statut de victime.

Les campagnes médiatiques doivent accompagner la prise de conscience des citoyens quant aux politiques publiques conduites en la matière : un meilleur taux de réponse inciterait les victimes à déposer plainte.

Trois rapports auraient dû être déposés au Parlement, mais ils n'arrivent pas vite. Le 25 novembre est journée de sensibilisation -la première en 2011 n'a pas été bien marquante.

Pour neutraliser la domination au sein du couple, il faut construire une société plus égalitaire. Enfin, je veux saluer le travail des associations, qui ne peuvent ni ne doivent toutefois se substituer à nos institutions.

Les membres du groupe RDSE voteront la proposition de résolution. (Applaudissements à gauche)

Mme Chantal Jouanno.  - Le Sénat a particulièrement contribué à briser le silence coupable qui entourait la violence au sein des couples. Pour l'intérêt général, il sait dépasser les clivages politiques. Continuons à ne pas instrumentaliser des sujets aussi graves...

La loi de 2010, grand progrès symbolique, a créé un délit de harcèlement au sein du couple, ce travail méthodique de sape et de négation de la personne qui conduit la femme à assumer la responsabilité de la violence subie.

L'ordonnance de protection rompt la barrière du silence. Il y a bien un double message : le respect de la personne humaine a sa place dans la sphère privée ; les victimes doivent être incitées à déposer plainte. Elles ne sont que 8 % à le faire et seulement 37 % des plaintes déposées sont jugées recevables. Trente-sept pour cent de 8 % ! Comment mettre fin à cette loi du silence ?

Nous ne pouvons voter la proposition de résolution, à cause de son alinéa 9 : comment pouvez-vous prétendre que ce gouvernement n'a pas suffisamment agi, alors qu'il a porté la loi de 2003 contre les mariages forcés, qu'il a imposé en 2004 que ce soit le mari violent qui quitte le domicile et non la victime, qu'il a augmenté de 30 % les moyens de lutte contre ces violences ? Avez-vous oublié la loi de 2006, reconnaissant le viol au sein du couple ?

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - À notre initiative !

Mme Chantal Jouanno.  - Comment tenir votre discours devant Mme Bachelot-Narquin ?

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Tout ce que nous faisons est mal !

Mme Chantal Jouanno.  - Vous auriez pu, monsieur Courteau, vous préoccuper de sujets comme les violences sexistes ou la prostitution qu'il faudra bien abolir. N'oublions pas non plus la garde des enfants. Nous aurions pu nous retrouver sur la question de la prévention, sur l'éducation sexuelle à l'école. La circulaire du 2 décembre dernier a demandé que celle-ci ne soit plus présentée de façon purement technique.

M. Roland Courteau.  - Vous n'avez pas lu notre proposition de résolution !

Mme Chantal Jouanno.  - Les violences contre les femmes résultent d'une idéologie sociale de domination masculine.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Nous ne disons pas autre chose !

Mme Chantal Jouanno.  - J'ai beaucoup travaillé sur l'hyper-sexualisation de ce qui est présenté aux enfants. Le mouvement d'égalité des années 1970 s'est arrêté et l'on fait machine arrière : on retrouve des jouets, des vêtements, des magazines pour enfant hypersexués, dès le plus jeune âge. Le porno chic a vécu mais la publicité reprend les codes de la pornographie. L'image de la femme est dévalorisée, surtout chez les jeunes. Tandis que notre droit pose le principe de l'égalité, la société crée un nouveau corset. Comment éduquer à l'égalité, quand les jeux ou les émissions télévisées vont en sens contraire ? On trouve sur internet un jeu où il s'agit de violer un maximum de petites filles !

Enfin, sur un tel sujet, je regrette la faible affluence dans cet hémicycle.

M. André Dulait.  - Très bien !

Mme Bernadette Bourzai.  - La loi de 2006 a été un vrai progrès législatif, grâce à l'obstination de M. Courteau. Désormais, la loi concerne toutes les formes de cohabitation ; le domicile conjugal n'est plus un lieu de non-droit. Hélas, la loi n'a pas été soutenue par une volonté politique suffisante.

La principale innovation législative est l'ordonnance de protection, hélas peu et inégalement utilisée, avec des délais allant de quelques jours à plus de trois semaines. Les associations manquent de lieux d'accueil, et la médiation conjugale reste une pratique fréquente. La loi a libéré la parole des femmes, y compris en milieu rural : une association corrézienne qui rayonne sur tout le Massif central reçoit quotidiennement des appels !

Malgré l'article 23 de la loi, aucune instruction n'a été envoyée aux établissements scolaires pour organiser l'éducation à l'égalité : la RGPP est passée par là... Nous attendons aussi l'observatoire national annoncé. Bien que la France ait signé la Convention d'Istanbul, elle n'a pas encore ratifié ce texte qui impose d'aider les victimes et d'organiser une prévention. La France s'honorerait à le faire au plus vite. (Applaudissements à gauche)

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale.  - Je l'ai dit le 24 novembre 2011, je l'ai réaffirmé devant l'Assemblée nationale le 6 décembre 2011 à propos de la résolution sur la prostitution : les violences faites aux femmes ne sont pas des faits divers, ce sont des faits majeurs ! J'assume cette répétition, quand 3 millions de femmes sont victimes de violences chaque année, que plus de 70 000 sont violées, qu'une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Ces chiffres sont insupportables !

Les statistiques ? Nous n'en avons que depuis une dizaine d'années. Les violences se nourrissent des stéréotypes sexistes, ancrés dans la société : les femmes gagnent 20 % de moins que les hommes ; les rôles familiaux sont très déséquilibrés ; la vie politique est principalement masculine -sauf aujourd'hui...

Grâce à l'instance placée auprès du Premier ministre, la réalité est aujourd'hui mieux connue. Monsieur Courteau, le Gouvernement a remis au Parlement un rapport sur la création d'un observatoire qui prône le rattachement à l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale. La demande d'ouvrir l'ordonnance de protection aux personnes de nationalité algérienne fait l'objet d?études complémentaires. L'Institut national d'études démographiques (Ined) vient de lancer une enquête de grande envergure sur les violences interpersonnelles.

La prévention ? Il faut en effet agir en amont. Vous ne pouvez prétendre que le Gouvernement n'aurait rien fait : le projet d'établissement inclut l'éducation à l'égalité ; une campagne nationale a été lancée. Madame Bourzai, l'article 121 du code de l'éducation est précis ; le Bulletin officiel de l'éducation nationale a publié le 21 mai un texte accordant une priorité à la culture de l'égalité entre filles et garçons. Une convention interministérielle porte sur ce sujet.

Mme Jouanno a raison d'insister sur l'image des femmes dans les médias. Je lui ai d'ailleurs confié une mission sur l'hyper-sexualisation des filles dans la publicité. J'ai également pérennisé la commission sur l'image de la femme dans les médias. Contraintes et incitations sont mises en place dans les entreprises pour favoriser l'égalité hommes-femmes, et un label d'égalité a récemment été remis à seize organismes. Nous encourageons la conciliation entre vie familiale et professionnelle. Pour donner l'exemple, un quota de 40 % de femmes sera progressivement appliqué dans les hauts postes de la fonction publique, afin de briser le plafond de verre.

Les ordonnances de protection ? Ce n'est pas 160 mais 600 qui ont été rendues. Faut-il imposer, à marche forcée, un dispositif nouveau au mépris des droits de la défense ? Nous devons tout faire pour raccourcir les délais.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Quand même !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Mais aussi respecter les droits du défendeur, qui est habituellement informé par lettre recommandée. Le groupe de travail d'aide aux victimes note un raccourcissement de 26 à 21 jours. Cela n'est pas suffisant mais cela montre que les juridictions s'adaptent. Cet outil a créé une rupture sachant, madame Gonthier-Maurin, que les effectifs de la justice échappent à la RGPP et qu'ils sont en constante progression. A Bobigny, un protocole sur la délivrance de l'ordonnance de protection est mis à disposition du public. Nous formons les acteurs de la justice en insistant beaucoup sur les phénomènes d'emprise. En 2012, des coordonnateurs régionaux interviendront à l'ENM.

Le dispositif électronique anti-rapprochements est expérimenté dans trois départements et l'État a financé les téléphones portables préprogrammés. La journée de sensibilisation du 25 novembre est une priorité intergouvernementale : le ruban blanc a été arboré par tous les ministres.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Cela ne suffit pas !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Je regrette que les députés de l'opposition aient refusé de porter ce ruban, au motif que c'était moi qui le leur demandais...

Mme Michelle Meunier.  - Je l'ai porté.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - Moi aussi. Nous sommes au Sénat, ici !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Une campagne d'information a popularisé le numéro de téléphone 39-19, devenu gratuit depuis les portables.

Je salue ceux qui ont dépassé les clivages politiques pour participer à cette journée, au côté des associations. Le Gouvernement a décidé une subvention de 3,5 millions pour aider les associations intervenant dans ce champ et, sur cette somme, 1,2 million concerne spécifiquement les femmes victimes de violences. Je ne puis donc laisser M. Placé -qui n'a pas jugé bon d'entendre ma réponse- prétendre que ce gouvernement manquerait de volontarisme. Nous avons un plan ambitieux de 31 millions d'euros pour des mesures nouvelles comme l'accueil de jour, l'aide au relogement et au retour à ?emploi. Pour la première fois, ce plan vise les agressions sexistes au travail, ainsi que la prostitution, un sujet auquel je suis attachée. Je rappelle que les personnes prostituées sont avant tout des victimes et qu'elles exercent à 90 % sous la contrainte.

M. Roland Courteau, auteur de la proposition de résolution.  - C'est vrai !

Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre.  - Au XXIe siècle, femmes et hommes doivent vivre dans l'égalité.

La lutte contre les violences faites aux femmes est politiquement consensuelle. Le bilan du Gouvernement est bon. Je ne peux souscrire aux affirmations fallacieuses figurant dans l'exposé des motifs. Pourtant, la gravité du sujet invite à dépasser les clivages : je m'en remets donc à la sagesse de la Haute assemblée. (Applaudissements)

La proposition de résolution est adoptée. (Applaudissements à gauche)

La séance, suspendue à 16 h 45, reprend à 16 h 55.