Commémoration de tous les morts pour la France le 11 novembre (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions de la CMP sur le projet de loi fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.

Discussion générale

M. Pierre Charon, en remplacement de M. Marcel-Pierre Cléach, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Réunie le 31 janvier, la CMP est parvenue à un accord sur le texte que le Sénat avait adopté le 24 janvier. L'alinéa 2 de l'article premier précise que l'hommage rendu le 11 novembre ne se substitue pas aux autres journées de commémoration nationale ; l'article 3 est présenté comme le souhaitait le Sénat. Ce texte est porteur de sens.

Je tiens à remercier le président Carrère, ainsi que vous-même, monsieur le ministre.

La question de la mémoire, l'hommage, la reconnaissance de la Nation doivent transcender les polémiques politiciennes. Tous ceux qui sont tombés pour la France ont mérité que la Nation leur rende hommage ; ils méritent notre vote unanime. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères applaudit aussi)

M. Patrick Ollier, ministre auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement.  - Je vous prie d'excuser M. le ministre de la défense, qui est à Singapour, ainsi que le secrétaire d'État chargé des anciens combattants.

Ce projet de loi avait été annoncé par le président de la République le 11 novembre sous l'Arc de triomphe. Sa promesse est en passe d'être tenue à la satisfaction des anciens combattants, des familles et des militaires d'active. Je vous remercie pour votre mobilisation et votre vote unanime de première lecture. Je tiens à remercier particulièrement MM. Cléach, Charon et le président Carrère qui a contribué à faire progresser le consensus.

Cette version précise que le texte s'applique sur tout le territoire et que le 11 novembre ne se substitue pas aux autres commémorations ; il n'a jamais été question de les supprimer ni de les hiérarchiser. En outre, le 11 novembre demeure le jour anniversaire de l'Armistice. La disparition du dernier Poilu et le centenaire de la Grande guerre exigeaient une nouvelle approche. S'ajoute la nécessité d'honorer la quatrième génération du feu, pour laquelle il n'est pas question de créer une journée commémorative spécifique qui ferait courir le risque de la division et de l'oubli.

L'esprit nouveau de commémoration du 11 novembre est un appel à l'unité. Il met en avant le sens de l'engagement de nos soldats pour les valeurs qui nous sont chères, dans des combats dignes de leurs aînés, en Lybie ou en Côte d'Ivoire pour soutenir l'aspiration des peuples à la liberté, ou en Afghanistan pour combattre l'obscurantisme et pour la paix. Plus un mort pour la France ne sera menacé par l'oubli. Parce que la France se fait une certaine idée de son rôle dans le monde, elle doit être exemplaire.

Le Gouvernement vous engage à adopter unanimement ce projet de loi. (Applaudissements)

M. Alain Néri.  - Ce projet répond à une préoccupation ancienne et légitime : pérenniser le 11 novembre au-delà de la disparition du dernier Poilu, après la disparition récente du dernier ancien combattant de la Première guerre mondiale, un Australien. Le dernier soldat français de la Grande guerre, Lazare Ponticelli, est décédé en mars 2008.

Nous avions approuvé le principe du texte, mais un seul point nous chagrinait : nous appréhendions de nous voir diriger vers un Memorial Day risquant de diluer la mémoire des autres conflits au sein d'une commémoration unique. Prudence est mère de sûreté : le 8 mai 1945 est passé aux oubliettes...

M. Roland Courteau.  - Oh oui !

M. Alain Néri.  - ...sous la responsabilité d'un président de la République. Nous avions entendu les propos de Nicolas Sarkozy, ceux du ministre des anciens combattants, mais mieux valait écrire ce qui semblait aller de soi... Les paroles s'envolent, les écrits restent !

M. Roland Courteau.  - Très bien !

M. Alain Néri.  - Ainsi sera gravé dans le marbre de la loi le respect de toutes les journées commémoratives, par un amendement adopté à l'unanimité sur mon initiative, suivi à l'unanimité par les députés. Nous allons donc voter le texte incorporant cet amendement de précision, de garantie, et de précaution.

« Honorer la quatrième génération du feu », avez-vous dit : vous avez raison. Pour ceux qui sacrifient leur jeunesse à la République, c'est toujours avec crainte, c'est toujours un déchirement que de partir au combat. Retrouvera-t-on son village, sa famille ? Si nous ne créons pas de journée spécifique, la mémoire se dilue...

M. Roland Courteau.  - C'est sûr !

M. Alain Néri.  - Première génération : les Poilus ; deuxième génération, celle de 39-45 : hommage soit rendu aux Résistants et aux combattants qui ont rétabli la République, Vichy c'était l'État français ! Vous êtes passé de celle-ci à la quatrième : n'oublions pas la troisième !

M. Robert Tropeano.  - C'est nous !

M. Alain Néri.  - Comme les deux premières, elle a répondu à la mobilisation générale, mais fragmentée tous les deux mois par l'appel régulier du contingent envoyé en Algérie. Elle mériterait une journée de recueillement, de mémoire et d'hommage. Je souhaite que l'on se rappelle rapidement le sacrifice de ceux qui ont eu 20 ans dans les Aurès et ceux qui ont restauré la République en s'opposant au putsch des généraux félons d'Alger... (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) On parlait de pacification, de maintien de l'ordre. On parlait d'événements : il a fallu attendre le 10 juin 1999 pour que l'Assemblée nationale reconnaisse enfin la réalité de la guerre d'Algérie. Il est temps que la Nation crée enfin une journée de commémoration qui devrait être fixée au 19 mars : nous approchons du 50e anniversaire du cessez-le-feu. Le plus jeune des survivants a 70 ans, le plus ancien 95. Il est temps de leur rendre un hommage avant qu'il ne soit posthume ! (« Très bien ! » sur les bancs socialistes)

Dès lors que la commission mixte paritaire a retenu mon amendement, nous voterons ses conclusions par un vote que j'espère unanime. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Cukierman.  - Le 24 janvier, nous n'avions pas voté le texte en raison d'un désaccord de fond. La précision apportée par la CMP pour conserver les journées existantes était indispensable ; elle ne saurait suffire. Il aurait fallu un débat plus approfondi sur les conflits. Rendre hommage à tous les morts de toutes les guerres entretient la confusion. Tous les conflits n'ont pas les mêmes causes ni la même signification. Il ne s'agit pas pour nous de faire un tri entre de bonnes et de mauvaises guerres, de les « hiérarchiser » selon une démarche chère au ministre de l'intérieur dans un autre domaine : tout soldat envoyé à la guerre par le gouvernement de la République est mort au nom de la France. Mais l'amalgame entre des engagements multiples et de nature variée empêche de réfléchir.

Nous refusons une mémoire collective qui fonderait tout sur la dénonciation abstraite de toute guerre. Peut-être cette vision aseptisée est-elle le but recherché : une journée de commémoration basée sur une méconnaissance organisée de l'histoire par les jeunes générations. Pendant que le président de la République présente ce texte, il diminue la place de l'enseignement de l'histoire, au point d'en faire une discipline optionnelle dans les filières scientifiques.

Le problème est donc moins simple que ce que l'on nous dit et la méthode franchement inadéquate. Nous refusons d'amalgamer tous les conflits, toutes les interventions extérieures. C'est pourquoi le groupe CRC s'opposera à l'adoption de ce texte.

M. Robert Tropeano.  - La CMP s'est prononcée sur un mode consensuel, approuvant le texte du Sénat. Dès notre première lecture, nous avions enrichi le texte d'un alinéa pérennisant les autres journées commémoratives. Nous avons ainsi écarté le risque du Memorial Day. Il y aura désormais la journée de tous les morts pour la France, mais aussi la journée pour les morts de la Seconde guerre mondiale, pour l'Indochine, pour l'Afrique du nord. Comme M. Néri, je souhaite que le 19 mars soit institué jour commémoratif pour la guerre d'Algérie.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères - Très bien !

M. Robert Tropeano.  - Rendons aussi hommage aux harkis, aux civils tués, aux femmes et enfants assassinés dans la barbarie.

Le calendrier commémoratif est très chargé ? Nous sommes certes passés en quelques années de six journées commémoratives à douze, mais cela n'a rien d'excessif : la reconnaissance ne se marchande pas. Il serait malvenu d'opposer ces commémorations, toutes inspirées par l'idéal de liberté. En outre, le devoir de reconnaissance est un instrument d?unité nationale. La Grande guerre reste symbolique du sacrifice pour la patrie. C'est à ce titre qu'elle constitue le point d'orgue de la mémoire nationale, sans diminuer les autres souvenirs. Chaque 11 novembre, nous partageons la douleur de ceux dont un proche est mort pour la France, pour la paix et la démocratie. Ainsi, « ceux de 14 », comme disait Maurice Genevoix, ne seront pas oubliés ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et socialistes)

Mme Leila Aïchi.  - Nous examinons aujourd'hui un texte identique à celui que nous avions adopté : le 31 janvier, le bicamérisme a montré ses vertus démocratiques. Ce succès est d'autant plus remarquable que la nouvelle majorité du Sénat a connu bien des déboires.

Comme écologiste, je suis plutôt favorable à ce texte qui fait oeuvre de pédagogie. Il ne s'agit pas de célébrer une boucherie qui massacra 1,4 million de Français et 20 millions d'Européens, une barbarie d'État qui a nié l'individu transformé en chair à canon. La « Der des der » fut aussi monstrueuse que stérile ; vingt ans après un traité inique, la longue nuit retombait sur l'Europe. Il s'agit de témoigner notre reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui sacrifient leur propre existence afin que les autres puissent vivre.

Le 11 novembre, nous saluerons la mémoire des soldats tombés en opérations extérieures, car nous sommes très attachés au principe de non-discrimination des morts pour la France et nous approuvons les interventions qui visent au maintien de la paix. Ce doit aussi être l'occasion de reconnaître le courage et la lucidité des désobéissants qui ont refusé d'être sacrifiés sur l'autel des nationalismes. Et ainsi, de méditer sur le sens du devoir et de l'engagement. Nous avons longtemps commémoré ceux qui se sont sacrifiés pour la victoire. Commémorons aujourd'hui ceux qui se sacrifient pour la paix, la démocratie et les droits humains dans les régions les plus chaotiques. Au cours des années 1990, quelque 700 travailleurs humanitaires ont sacrifié leur vie. Récemment, la mort de Gilles Jacquier illustre le prix de la liberté d'informer. Ces morts aussi méritent une journée ! (Applaudissements sur les bancs socialistes et RDSE)

M. Ronan Kerdraon.  - Depuis la loi du 24 octobre 1922, la France commémore le 11 novembre. Nous n'avions aucune opposition de principe à honorer ce jour tous ceux qui sont morts pour la France. D'ailleurs, nous nous retrouvons pour assurer la fidélité indéfectible à tous les anciens combattants. Toutefois, nous craignions de priver chaque commémoration de sa spécificité : nous refusions un Memorial Day. C'est le sens de l'amendement déposé par M. Néri. Dès lors qu'il a été retenu par la commission mixte paritaire, le texte de celle-ci nous satisfait. Nous témoignerons ainsi notre reconnaissance envers les femmes et les hommes morts pour la France.

Lorsque nous avions critiqué l'urgence déclarée sur ce texte, on nous avait opposé le centenaire de la Grande guerre... qui devrait n'intervenir qu'en 2014, dans plus de deux ans ! Dommage que nous ayons été privés d'une réflexion de fond sur notre politique de la mémoire. On se souvient des polémiques suscitées par la décision de Jacques Chirac de fixer la commémoration de la guerre d'Algérie au 5 décembre plutôt qu'au 19 mars comme il serait logique.

La politique de mémoire doit s'adapter. Grâce à l'implication de tous, la cohésion sociale aurait pu être confortée. Commémorer, c'est se remémorer ensemble et ainsi construire une conscience collective. Les professeurs d'histoire ont un rôle majeur à jouer pour rendre l'histoire intelligible, pour situer les dates et les lieux, comme Oradour-sur-Glane ou Péronne.

Dans l'immédiat, nous nous contenterons de ce texte incomplet. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du groupe RDSE)

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Madame Aïchi, la commission a décidé de créer un groupe de travail sur l'hommage dû aux non-militaires. Elle déposera une proposition de loi en ce sens. Monsieur Charon, merci d'avoir suppléé M. Cléach, empêché.

Le Sénat s'apprête à confirmer son vote du 24 janvier, ce dont je me félicite en saluant l'esprit d'écoute grâce auquel nous avons abouti à un large consensus. Ce texte équilibré inscrit dans notre mémoire collective le rôle des valeurs républicaines et patriotiques auxquelles nous sommes attachés. Il était impensable que la représentation nationale se divise sur un texte de cette nature. Peut-être qu'une préparation plus approfondie aurait apporté un consensus plus large encore. Nous devons conserver l'état d'esprit des commémorations devant le monument aux morts : aucun enfant n'y est mis de côté avec sa brassée de fleurs ! (Applaudissements)

Vote sur l'ensemble

M. Jean Boyer.  - M. Tropeano a payé de son sang dans les Aurès. Moi aussi je suis parti sur la Grande Bleue à 20 ans. Là-bas, nous ne regardions pas ce qui pouvait nous diviser ; nous portions les couleurs de la France

Tout a été dit et bien dit. Une commune est symbolisée par la mairie, l'église, l'école -et le monument aux morts. La commémoration doit être un message de paix ! Comme l'a dit Victor Hugo, « tous ceux qui glorieusement sont morts pour la patrie ont droit que la foule vienne et se rassemble ». Ce qui pourrait nous diviser doit nous réunir. Il est bon qu'une journée rappelle que tous sont morts pour la France. (Applaudissements)

M. Robert del Picchia.  - Je n'étais pas en Algérie, mais ma famille a eu beaucoup de combattants.

Le texte de la commission mixte paritaire est bien le résultat d'un consensus qui honore le travail parlementaire. Il crée un rendez-vous de la Nation avec son histoire pour rendre un hommage collectif à tous ceux qui se sont sacrifiés pour les valeurs de la France. Cette commémoration ne se substitue pas aux autres.

Au delà des polémiques sur le calendrier, ce texte renforcera l'unité nationale, notre bien le plus précieux, l'héritage que nous devons transmettre. L'UMP le votera.

M. Pierre Charon, rapporteur.  - Très bien !

Les conclusions de la CMP sont adoptées.

Prochaine séance demain, mardi 14 février 2012, à 14 h 30.

La séance est levée à 19 h 35.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

ORDRE DU JOUR

du mardi 14 février 2012

Séance publique

À 14 HEURES 30

Proposition de loi visant à assurer l'aménagement numérique du territoire (n° 118, 2011-2012)

Rapport de M. Hervé Maurey, fait au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (n° 321, 2011-2012)

Texte de la commission (n° 322, 2011-2012)

DE 17 HEURES À 17 HEURES 45

Questions cribles thématiques sur l'indemnisation des victimes de maladies et d'accidents professionnels

DE 18 HEURES À 19 HEURES 15, LE SOIR ET, ÉVENTUELLEMENT, LA NUIT

Suite de l'ordre du jour de l'après-midi

EN OUTRE, À 19 HEURES

Désignation :

- des vingt-sept membres des missions communes d'information :

 sur les dispositifs médicaux implantables et les interventions à visée esthétique

 sur les pesticides et leur impact sur la santé et l'environnement

 sur les inondations qui se sont produites dans le Var et, plus largement, dans le sud-est de la France au mois de novembre 2011

 sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation

- des vingt et un membres de la commission d'enquête sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques