Débat sur la pollution en Méditerranée

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la pollution en Méditerranée : état et perspectives à l'horizon 2030.

M. Bruno Sido, président de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) .  - Merci au président du Sénat pour ce débat qui fait suite au rapport de M. Courteau, adopté par l'office. Je me réjouis que la réforme constitutionnelle nous permette de nous faire entendre une nouvelle fois, après le débat sur la politique européenne de l'espace, autour du rapport de Mme Procaccia.

La Méditerranée est très menacée par des pollutions de tous ordres et cette problématique se situe entre l'Europe et les pays des rives sud et est, d'où la nécessité de relancer l'Union pour la Méditerranée (UPM) dont l'action est inhibée par les suites des « printemps arabes » : même si l'orient est compliqué, avançons, avec des idées simples et fortes pour faire gagner la lutte contre la pollution de cet espace commun et précieux.

présidence de M. Jean-Patrick Courtois,vice-président

M. Roland Courteau, rapporteur de l' OPECST .  - J'avais effectivement présenté un rapport sur cette question il y a deux ans. Le bilan de mon étude, précédée de l'audition de 200 chercheurs et acteurs de terrain, est préoccupant. La Méditerranée est plus fragile que les océans, son eau se régénère en un siècle. Elle est victime de diverses pollutions chimiques, comme les PCB présents dans les lits des fleuves et que les crues mêlent à la mer, d'apports de nitrates, de phosphates, de produits pharmaceutiques, de phyto-toxines. Je pense à la pollution par les micro-plastiques, les fibres de vêtements, véritable bombe à retardement. On produit 300 millions de tonnes de plastique par an dans le monde. Les résidus sont nombreux ; les poissons, les oiseaux et les tortues se méprennent et les ingèrent. De fait, ces sacs se fragmentent et ressemblent à s'y méprendre à du plancton. C'est ainsi qu'ils se retrouvent dans la chaîne alimentaire. Les Français utilisent 18 milliards de sacs en plastique par an. Des pays les ont interdits, d'autres les ont taxés. En France, la loi d'orientation agricole de 2006 avait prévu de s'attaquer aux sacs en plastique, mais son décret d'application avait été jugé par Bruxelles non conforme à la directive européenne sur les emballages. Le projet de loi de finances 2010 a permis l'adoption d'une TGAP sur les sacs de caisse à usage unique à compter de 2014. Le décret doit s'appliquer à tous les sacs en plastique à usage unique. Nous y reviendrons.

A ces menaces telluriques, il faut ajouter les plateformes pétrolières vétustes et les rejets d'hydrocarbures par les bateaux. Comment ne pas s'insurger contre ces capitaines, véritables voyous des mers, qui dégazent au large dans l'indifférence générale ?

De nouveaux bateaux sont disponibles : leurs circuits de sécurité sont directement accessibles en cas de naufrage : il est important que ces dispositifs soient généralisés sur tous les navires afin de réduire les conséquences d'un accident en mer non seulement dans les régions polaires, comme l'a demandé la France à l'organisation maritime internationale (OMI), mais aussi aux mers semi-fermées comme la Méditerranée.

Avec le réchauffement climatique, les courants risquent de se modifier et le phytoplancton de disparaître.

J'ai été frappé de la diversité et de la richesse des études sur la Méditerranée mais j'ai constaté qu'elles étaient cloisonnées et relativement mal coordonnées. Depuis la parution de mon rapport, des progrès ont cependant été réalisés. Je me réjouis du programme Mistrals, qui regroupe 13 organismes de recherche français.

Quelques questions restent cependant en suspens : il faut progresser dans la Mare nostrum scientifique. Les pays de la Méditerranée peuvent-ils se regrouper pour bénéficier d'aide européenne, à l'instar des pays de la Baltique qui ont obtenu 50 millions d'euros dans le cadre du 7e programme cadre ? Les axes de recherches sur le milieu marin et les pollutions, habituels parents pauvres des allocations de crédits par rapport au changement climatique, doivent être renforcés.

Les scientifiques ont montré que plus le milieu naturel est intact, plus il réussira à s'adapter au réchauffement climatique. Nous devons donc protéger le milieu et réaffirmer les aires maritimes protégées en France, mais aussi sur tout le pourtour européen. En France, nous avons le parc marin de Porquerolles et celui de la côte vermeille, si cher à Christian Bourquin. A l'étranger, il en existe un trop faible nombre. En outre, le déséquilibre est évident entre le nord et le sud de la Méditerranée.

Les avancées constatées lors de l'audition publique que j'ai organisée en avril dernier -comme la réunion des ambassadeurs près l'UPM- sont lentes, très lentes. J'avais proposé de créer, au sein de l'UPM, une agence de l'environnement de la Méditerranée, fonctionnant sur la base du volontariat et selon des règles de majorité simplifiées. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre ? (Applaudissements à gauche et au centre ; M. Bruno Sido, président de l'OPECST, applaudit aussi)

Mme Laurence Rossignol .  - Je rends hommage à la qualité du travail de M. Courteau. Le rapport était un cri d'alarme, avez-vous dit. J'espère qu'il trouvera un écho favorable car le constat est terrible. Oui, comme l'a dit un ancien président de la République, la maison brûle : les pollutions vont plus vite que la lutte engagée contre elles. Des micro et des macro déchets se répandent sur les plages, dans les eaux... 80 % des déchets proviennent de la terre. C'est donc là, en amont, que nous devons chercher les solutions.

Je m'inquiète aussi de l'impact des nouveaux déchets électroniques. Selon Greenpeace, le Ghana est la destination actuelle à la mode pour ces déchets. Un dixième de la production mondiale de plastique finit dans les océans.

Le rapporteur l'a souligné, les Français utilisent 18 milliards de sacs plastiques par an. Vous préconisez des recherches mondiales pour venir en aide à la Méditerranée. Les déchets sont toujours toxiques, on le sait. Seuls 3 % des molécules ont été décelées, ce qui est particulièrement inquiétant.

Que dire aussi des pollutions pharmaceutiques, très peu connues et qui se transmettent à la chaîne alimentaire ? L'épuration de l'eau doit encore s'améliorer. Cette question touche aussi les eaux du robinet. Or, on ne sait pas faire aujourd'hui, notamment pour les perturbateurs endocriniens qui jouent un rôle dans le développement des pubertés précoces.

La moitié des eaux usées sont rejetées en Méditerranée sans être traitées. Selon le WWF, les dégazages représentent 50 Erika par an, soit l'équivalent d'un naufrage par semaine en Méditerranée.

La destruction de la biodiversité est sans équivalent. Tout cela doit nous alerter car, comme le dit le proverbe chinois, « la perle vient d'une vulgaire huître ».

Un mot sur la surpêche, qui déséquilibre la chaîne alimentaire et détruit les fonds marins.

La Méditerranée rassemble des pays aux niveaux de développement différents, elle en sépare et en rapproche. Des financements innovants doivent être mis en place.

La France doit mettre la fiscalité environnementale au coeur de l'Europe. Mais l'UPM ne dispose pas de moyens financiers propres ! Comment imaginer une gouvernance sans argent ? La Méditerranée représente un apport économique vital pour certains pays. Tout doit être fait pour sauver ses eaux.

Merci à l'OPECST, dont je salue les travaux, ce qui me permet aussi parfois de les critiquer. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Isabelle Pasquet .  - L'OPECST a mené des travaux intéressants mais le constat dressé par le rapport de M. Courteau en 2011, confirmé par la table ronde organisée cette année, est alarmant : la Méditerranée, espace patrimonial unique, est en danger.

Aujourd'hui, les pollutions sont le fait de l'activité humaine. La Méditerranée est le nouvel Eldorado pour les exploitations d'hydrocarbures, ce qui détruit le milieu marin.

La transition énergétique nous impose de développer des énergies renouvelables et propres. La France a voulu l'UPM, six projets ont été définis comme mobilisateurs, dont la dépollution de la Méditerranée. Mais ces partenariats se sont enlisés et les écarts entre pays se sont accentués ; la méfiance prévaut désormais. De plus, la gouvernance était intergouvernementale et les peuples n'y ont jamais été associés. Les présidents des parlements des pays membres de l'UPM, réunis pour la première fois le 7 avril à Marseille, l'ont solennellement déclaré : la coopération euro-méditerranéenne sera parlementaire et citoyenne ou ne sera pas. Ils sont à juste titre alarmés, faisant écho à la résolution votée au Parlement européen à l'initiative de l'actuel ministre de l'éducation : l'UPM doit voir les moyens mis au service de ses grands projets considérablement renforcés.

Un changement d'orientation s'impose donc.

La pêche doit être soutenable, la Méditerranée ne peut pas être un terrain de jeu pour les sociétés pétrolières, l'harmonisation des conditions sociales sur les navires doit se faire par le haut. Il faut en finir avec le dumping fiscal, social, environnemental. La vocation intermodale du port de Marseille, porte d'entrée de l'Europe du nord, doit être réaffirmée. De ce point de vue, la dévitalisation du centre de tri de Miramas fut contreproductive.

Une réflexion sur la transition énergétique doit favoriser l'implantation des éoliennes en pleine mer dans les zones adéquates. La politique agricole doit exclure l'utilisation massive des pesticides De même faut-il, pour réduire les déchets, changer de modèle économique. Notre flotte océanographique doit être renouvelée. La construction d'une association euro-méditerranéenne doit voir le jour, ainsi que des coopérations avec tous les pays sur le pourtour méditerranéen.

Les propositions de M. Courteau sont intéressantes mais pas suffisantes. La création d'une énième agence, sur la base du volontariat, aboutira à une UPM à deux vitesses. Rien ne se fera si l'Europe ne s'associe pas à cet effort.

La Méditerranée joue un rôle géopolitique majeur. Les présidents des parlements européens, réunis à Marseille le 7 avril, ont appelé l'Union européenne et la Ligue des États arabes à prendre leurs responsabilités dans le règlement définitif du conflit au Proche-Orient et la reconnaissance de l'État palestinien. L'attitude européenne sur cette question sera décisive. (Applaudissements à gauche)

Mme Chantal Jouanno .  - Ce débat n'est pas le premier, ni le dernier. L'excellent rapport de M. Courteau est un cri d'alarme, que nous avons entendu. Il montre que la Méditerranée est un bien public mondial...

M. Roland Courteau.  - Absolument !

Mme Chantal Jouanno.  - Votre préoccupation sur la biodiversité est fondamentale. 8 % des espèces marines connues sont en Méditerranée, dont un quart endémiques. Plus de 5 000 molécules utilisées en pharmacopée et en cosmétologie proviennent des milieux marins. La Méditerranée est également un espace géopolitique majeur.

Face à ce bien public mondial, la méconnaissance du milieu marin est réelle et l'indifférence générale préoccupante. Jean-Louis Borloo avait tiré le signal d'alarme, lors du Grenelle de la mer. La disparition de la Comex est une perte pour la France et pour l'Europe.

Les pollutions émergentes et l'exposition aux produits chimiques font l'objet de recherches. Où en est-on, monsieur le ministre ? Les espèces invasives sont un fléau pour les communes touristiques. La surpêche du thon et d'espèces pélagiques, comme les anchois et les sardines, expliquerait l'arrivée de millions de tonnes de méduses en Namibie...

M. Bruno Sido, président de l'OPECST.  - Même chose en Bretagne !

Mme Chantal Jouanno.  - Quelle est votre position sur le chalutage et la surpêche, monsieur le ministre ?

L'indifférence est inquiétante. Certes, la France est un relatif bon élève, voire un leader, pour la protection de la biodiversité, l'assainissement en particulier...

M. Roland Courteau.  - C'est vrai !

Mme Chantal Jouanno.  - ...mais il reste beaucoup à faire.

L'UPM se heurte à des difficultés politiques, certes, mais il faudrait relancer le processus. Un accord sur l'eau a failli être signé mais il a manqué une signature. Elle seule a la dimension pour affronter les défis colossaux qui sont devant nous.

Défi du gigantisme. Le transport en Méditerranée a connu une croissance importante. Il faudrait prévoir la traçabilité des containers, savoir ce qu'ils contiennent, surtout quand ce sont des produits chimiques.

L'urbanisation du littoral est un autre défi, d'autant plus redoutable que les eaux vont monter du fait du réchauffement climatique. Or, les populations se situent sur les rivages en Méditerranée. Quid des migrations ? Que se passera-t-il au Caire avec les décharges en bord de mer ?

M. Roland Courteau.  - Bonne question !

Mme Chantal Jouanno.  - Qui concerne tous les pays riverains ! Défi de l'énergie : 60 plateformes pétrolières se caractérisent par leur vétusté. Êtes-vous prêt à décréter un moratoire sur de nouvelles plateformes ?

Que penser de celle qui doit voir le jour en Catalogne ? Une politique de protection pourrait avoir des impacts considérables sur le milieu marin. On voit nettement, lorsque l'on pratique la plongée, la différence entre les zones protégées et celles qui pâtissent de la surpêche, où les filets sont à 15 mètres des côtes, comme à Malte.

Merci pour ce débat, qui nous concerne tous. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes, RDSE et quelques bancs UMP)

M. Bruno Sido, président de l'OPECST  - Très bien !

M. Jean-Claude Requier .  - Il est des causes nobles. Oui, la Méditerranée, cette Mare nostrum, appartient au patrimoine commun. Or, elle est malade.

Nous sommes unanimes pour dire qu'il faut préserver la Méditerranée alors que les pollutions se multiplient. L'ampleur des dégâts est considérable. Nous devons changer la donne, comme l'a montré très justement M. Courteau. Les pollutions sont dues en grande partie à nos activités terrestres. Dans le Languedoc-Roussillon, cher à Christian Bourquin, l'urbanisation due au tourisme s'est considérablement accrue, depuis la mission confiée au préfet Racine par le général de Gaulle aux tout débuts de la Datar, et ce phénomène a entraîné diverses pollutions. Facteurs naturels et anthropiques se conjuguent pour les répandre au sein de l'espace méditerranéen. Il faut aussi mettre en valeur les innovations et les bonnes pratiques, soutenues par les collectivités territoriales.

Dans le domaine des pollutions agricoles, un travail collaboratif a permis d'enregistrer des progrès. Pour éviter la diffusion des résidus dans l'eau, l'enherbement donne de bons résultats.

Si la pression sur le thon demeure, l'avenir n'est pas sombre. Les navires et les circuits de vente s'adaptent. La pêche a les capacités pour devenir plus durable. Pour la Commission européenne, les réserves stratégiques sont encore importantes.

Nos plages, où les sports de loisir se développent, sont des pépinières d'emplois. A Banyuls-sur-Mer, le projet Biodiversarium vise à identifier les substances naturelles susceptibles d'être valorisées. A Mèze et Gruissan, on cherche à utiliser les algues pour fabriquer des biocarburants. Reste qu'il demeure bien des progrès à réaliser.

Ce sont les collaborations qui engendreront une nouvelle gouvernance de la Méditerranée. Je citerai la création du conseil de la façade maritime de Méditerranée ou encore la création du parc naturel du Golfe du Lion, en 2011, qui permettra, pour la première fois, aux acteurs locaux de faire du travail commun.

Renforcer la coopération entre tous les États riverains est également une exigence. Les États du sud doivent progresser en matière d'épuration. Créer une agence de protection de l'environnement au sein de l'UPM, comme le propose le rapporteur, est une bonne idée.

Pour peu que la dimension économique soit entreprise dans la logique de développement durable, la mer peut être une chance pour le développement économique dans le cadre de la politique maritime intégrée.

M. Ronan Dantec .  - Je salue l'excellent travail de M. Courteau, avec son rapport. Un cri d'alarme avant qu'il ne soit trop tard. La Méditerranée est un berceau de civilisation où, dans l'imaginaire collectif, Sinbad croise Ulysse. C'est aussi un trésor de biodiversité : 7 à 8 % des espèces marines pour 0,3% des eaux !

Mais les sources de pollution y sont nombreuses. Je n'en referai pas la liste. Je m'en tiendrai à quelques questions concernant le littoral français. Les écologistes se félicitent de l'annulation du permis exclusif de recherche d'hydrocarbure Rhône Maritime. Mais la création d'une zone économique exclusive (ZEE), par décret, sans concertation, fait craindre que ne soit autorisée l'installation de zones de forage. L'Espagne, qui a créé sa propre ZEE recoupant en partie la zone française, a déjà accordé douze permis de forage. Comment la France gerera-t-elle les pourparlers avec l'Espagne et le risque de voir apparaître des plateformes sur la côte catalane, voire en France ?

Je veux dire notre opposition au projet de centre d'essais techniques pour l'industrie pétrolière, qui se situe près du parc naturel de Port Cros. Et quid des boues rouges de l'usine de Gardanne qui se déversent dans les calanques, désormais parc national ?

La mer Méditerranée, trait d'union entre plusieurs continents, rend la coopération indispensable. La création d'aires marines protégées n'a de sens que dans un cadre supra national. L'appel de Paris pour la haute mer en témoigne. Sur le traitement de l'eau, il convient d'encourager les projets bilatéraux. L'AFD contribue au développement des réseaux d'assainissement au sud. Il existe aussi des projets menés en coopération par les collectivités : je pense au projet innovant lancé par le Syndicat d'assainissement de l'agglomération parisienne, Nogent-sur-Marne et trois fédérations de villes libanaises.

Il n'y a pas de raison de céder au pessimisme. On peut aussi s'inspirer de ce qui se fait au sud. J'en veux pour preuve l'initiative de villes tunisiennes littorales qui ont anticipé la montée des eaux qui résultera du réchauffement climatique.

Les États riverains de la Méditerranée sont interdépendants. Les États du sud, où nous transférons des industries polluantes comme le textile pour produire à bas coût, nourrissent la consommation au nord. C'est le modèle qui a provoqué la catastrophe de Dacca. Soutenir le processus démocratique en cours sur la rive sud est essentiel -et les associations de protection de l'environnement auront un rôle à jouer.

Les réponses que nous saurons apporter diront beaucoup de notre avenir commun.

Mme Hélène Masson-Maret. .  - Merci au président Courteau pour son excellent rapport qui a passionné la méditerranéenne que je suis.

Il est difficile d'anticiper à dix ans sur la pollution en Méditerranée mais le fait est que la situation s'est considérablement dégradée.

Le rapport développe certains scénarios catastrophiques qui tirent la sonnette d'alarme.

Mer entourée de montagnes, souvent comparée à un grand lac, la Méditerranée abrite 8 % des espèces maritimes. Mais cette biodiversité est très fragile. Les vents du nord poussent les polluants vers la rive sud, où la population a explosé au cours des dernières années. Le développement des mégapoles comme Le Caire et Istanbul, qui dépassent les dix millions d'habitants, et de très grandes villes côtières entraîne un accroissement des pollutions ménagères et de raréfaction des ressources en eau. 180 millions d'habitants disposent de moins de 1 000 mètres cubes par an, soit le « seuil de pauvreté» en la matière.

La Méditerranée est la destination touristique la plus fréquentée au monde : 40 % du total, même si on a pu noter en 2012 une baisse de 10 %, et même de 30 % de touristes en provenance de France. La multiplication des pollutions industrielles est également dramatique, comme l'accroissement du trafic maritime qu'a évoqué Mme Jouanno. Le réchauffement climatique provoquera dans le bassin méditerranéen une diminution des apports en eaux douces, plus polluées qu'auparavant, et la salinité bouleversera le bon fonctionnement de la chaîne alimentaire.

Il est urgent d'adopter des propositions concrètes.

Mais il n'est pas facile d'harmoniser des politiques dans un espace qui réunit des identités si diverses.

La prise de conscience internationale remonte à la convention de Barcelone, qui comprend un protocole tellurique, essentiel sachant que la pollution de source terrestre compte pour 85 %. Or, on peut avoir sur elle une action efficace. C'est à quoi s'emploient le plan d'action pour la Méditerranée, depuis 1975, et plus récemment l'initiative Horizon 2020 et l'UPM, preuve que ces sujets sont au coeur des préoccupations européennes et des riverains. Ce qui caractérise cette action, c'est qu'elle reconnaît la nécessité d'aider les pays limitrophes.

L'UPM, créée en 2008 par Nicolas Sarkozy, a placé la protection de la Méditerranée au coeur des préoccupations des gouvernements. Les pollutions méconnaissent les frontières. Hommage soit rendu à la France, qui intervient activement au sud et a noué des accords bilatéraux sur les pollutions accidentelles, comme l'accord Ramoge franco-monégasque-italien, dont la nouvelle version a été adoptée le 26 novembre 2012, ou le Lion plan, qui organise la coopération entre la France et l'Espagne pour lutter contre les pollutions marines accidentelles -l'exercice organisé le 6 juin a été concluant.

Mais la Méditerranée n'a pas de culture de la catastrophe maritime. Qu'arriverait-il si un drame comme celui de l'Amoco Cadix survenait ? Notable est aussi l'accord Pelagos, qui crée une aire d'importance méditerranéenne protégée, sous l'égide du PNUE. Côté français, Pelagos se porte bien : 25 communes et Nice ont signé l'accord. Il y a donc des actions concrètes intéressantes : il ne faut pas baisser les bras. En Italie, 26 municipalités ont adhéré. Les contrats de baie sont également efficaces. Ils rassemblent les acteurs du littoral pour préserver la qualité des eaux. Dans les Alpes-Maritimes, deux contrats ont été signés récemment, celui des Golfes de Lérins, le 3 juin dernier. Voilà qui témoigne d'une collaboration rationnelle entre services de l'État et collectivités territoriales.

Je salue l'initiative de Martin Schulz, président du Parlement européen et de l'assemblée parlementaire de l'UPM, qui a reçu des parlementaires de l'Union il y a deux mois à Marseille. C'était la première rencontre de haut niveau depuis le sommet de l'UPM en 2008, et le premier sommet politique après les révolutions arabes.

Des structures opérationnelles existent : il faut les utiliser et les renforcer. La France doit intervenir davantage encore au sud et militer pour une harmonisation des législations. Si nous faisons de gros efforts sans que nos voisins nous suivent, le résultat sera peu fructueux. Il faut réagir face au drame annoncé en 2030. J'insiste sur l'exigence d'honorer les engagements pris pour 2013, en assurant leurs financements. L'avenir est entre nos mains. (Applaudissements à droite ; M. Roland Courteau applaudit aussi)

Mme Odette Herviaux .  - Samedi marquait la journée mondiale des océans, quelques mois après Rio+20 qui a mis en lumière l'urgence d'une mobilisation internationale. Les cris d'alarme se multiplient et convergent : la dimension maritime doit être intégrée dans les trois piliers du développement durable. Saluons donc l'appel de Paris pour la haute mer, qui fixe un cap ambitieux. La Méditerranée, zone de confluences et de métissages mais fragile car fermée, subit les effets de la multiplication du trafic maritime et du tourisme de masse. Des mesures d'urgence s'imposent.

Parlementaire bretonne, j'ai été très impliquée dans la réforme portuaire. Le trafic maritime, si nécessaire à notre économie, reste à l'origine de multiples pollutions. Si la Méditerranée ne déplore qu'un accident pétrolier majeur, au large de Gênes, la vigilance est de mise. Estimés entre 100 000 et 200 000 tonnes par an, les rejets volontaires contribuent à la dégradation des eaux et des écosystèmes. L'insuffisance des équipements et le laxisme de certains États sont responsables. (M. Roland Courteau approuve) Si les eaux françaises sont épargnées, celles des pays européens du sud le sont moins. La course au gigantisme naval, qu'il s'agisse des porte-containers ou des navires de croisière qui contiennent à eux seuls plus de fioul que l'Erika, exige des mesures de prévention ambitieuses. Renforcer l'imagerie satellitaire est certes utile mais priorité doit être donnée à la prévention des catastrophes et à la réduction de leur impact.

Cela suppose l'uniformisation des systèmes d'information, la lutte contre les dumpings sociaux et écologiques pour une harmonisation par le haut des réglementations et la promotion de la sécurité passive embarquée qui devrait être généralisée.

Le pavillon européen aurait pu aussi être un instrument. N'oublions pas que les gens de mer devraient être les premiers acteurs d'un trafic maritime éco-responsable.

La sécurité passive embarquée, si elle avait existé, aurait économisé des millions d'euros dans les catastrophes de l'Erika et du Prestige.

C'est une approche ambitieuse et exigeante qu'il nous faut continuer à défendre, pour un développement durable reposant sur ses trois piliers : économique, écologique et social, dans le cadre d'une politique maritime intégrée. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Frédéric Cuvillier, ministre délégué auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche .  - A mon tour d'adresser mes félicitations à M. Courteau, en le remerciant d'avoir pris l'initiative de ce débat. Votre rapport, qui fait référence monsieur Courteau, dresse un constat et lance un cri d'alarme.

La France est active sur ces questions insuffisamment connues, dans la perspective d'une politique maritime intégrée. Nous avons lancé les Assises de la mer et du littoral pour construire la réflexion avec les territoires et les acteurs, et décliner notre stratégie. Cette approche répond à vos préoccupations. Dans cette nouvelle ambition maritime, le bassin méditerranéen est central. Je l'ai indiqué à Athènes, où j'avais répondu à l'invitation de Mme Damanaki, lors du colloque sur l'enjeu des politiques intégrées en Méditerranée, qui nous fut l'occasion d'échanger afin de donner un rôle moteur à l'Europe.

Je me suis rendu sur le littoral méditerranéen. Lors de la réunion du comité de façade maritime, à Marseille, les enjeux que vous avez évoqués ont été au coeur des réflexions.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Notre stratégie va à une meilleure qualité des eaux terrestres et urbaines. Les conclusions sur l'évaluation de la politique de l'eau seront bientôt rendues. Les efforts de l'Agence de l'eau Méditerranée-Corse seront, dans cette bataille, essentiels. De 2013 à 2018, 100 millions par an seront consacrés à la protection de la Méditerranée et à la réalisation de certains programmes. Ainsi de l'amélioration de la qualité des eaux. J'ai rencontré les ostréiculteurs de l'Étang de Thau. Mais il faut aussi améliorer nos connaissances sur la contamination de la chaîne et le déversement en mer des molécules. Y a-t-il un lien avec la disparition des sardines et des anchois ?Il faut donner à la recherche les moyens de s'y atteler. Il faut, enfin, réduire les pollutions quotidiennes arrivant à la mer. Car les grands accidents occupent le devant de la scène, mais ces pollutions insidieuses sont tout autant préoccupantes. Nous agissons pour la restauration biologiques des sites littoraux dégradés et le renforcement de la continuité terre-mer, ainsi que pour la sensibilisation des acteurs. La directive-cadre de 2008 a pour objectif de parvenir à un bon état des eaux marines d'ici 2020. Nous avons mis en place un plan d'action pour la Méditerranée. Nombre des objectifs approuvés répondront, monsieur Courteau, à votre cri d'alarme.

Mais on ne peut s'en tenir au seul cadre juridique. Il faut apurer le passé et lutter contre la pollution des milieux aquatiques par les micropolluants. Un appel à projet sera lancé en 2013 pour des bassins versants pilotes.

Une réflexion est en cours sur l'abaissement du seuil de rejet de PCB dans les sédiments de dragage, qui aidera aussi à avancer.

Vous avez évoqué les boues rouges, sur le site de Gardanne. Les rejets solides seront interdits en 2015 ; pour les rejets liquides, avec le risque de remise en cause du site, il faudra un suivi particulier pour vérifier la conformité des installations à la directive sur l'eau. Je sais le sujet très sensible pour le parc des Calanques et que la population s'est émue. Le conseil d'administration du parc va bientôt se réunir et nous serons très attentifs à ses conclusions.

Le constat sur les sacs plastiques est ancien. L'action est engagée dans notre pays, où l'on est passé de 10 milliards à 700 millions de sacs en 2011. Mais d'autres pays riverains consomment encore beaucoup de ces sacs. Il faut rester mobilisé.

Les aires marines protégées sont essentielles : cinq sont identifiées au titre de la convention de Barcelone. Ce classement est un véritable label pour les sites emblématiques. Nous avons également 50 sites Natura 2000 et certaines aires exceptionnelles, comme le parc naturel de Port Cros.

En Corse, l'extension de la réserve de Scandola pourrait être envisagée, comme la création d'un parc marin, mais il faut avoir conscience que la situation financière est difficile.

Le réseau Natura 2000 au large pourrait voir le jour en 2015 à la suite de la campagne d'acquisition des connaissances en cours.

L'impulsion existe mais elle ne suffit pas pour garantir une protection optimale de l'espace méditerranéen. Des initiatives sont prises, qui ne sont pas toutes spécifiques à la Méditerranée ; nous transposons actuellement plusieurs dispositions dans la loi Dadue. Malheureusement, le débat parlementaire sur ces questions, plutôt consensuel, est souvent trop rapide et ne permet pas de sensibiliser les citoyens à des enjeux qui sont majeurs. Parmi ces dispositions, je pense à la responsabilité de l'État côtier dans la surveillance du milieu maritime, qui a été considérablement accrue. En Méditerranée, plus de 500 inspections de navires étrangers ont été effectuées l'an passé dans nos ports -un record. Les Cross recueillent, depuis 2012, toutes les informations relatives au trafic, aux incidents et accidents en mer et les notifient au système européen ad hoc. La France entend réglementer le passage dans les bouches de Bonifacio à la suite de leur classement par l?OMI en zone particulièrement vulnérable ; les moyens de pilotage nécessaires devront être dégagés.

Le Cross Med cordonne les missions de recherche et de constatation des infractions de rejet d'hydrocarbures. Les signalements ont été divisés par deux, passant à 185 en 2012. C'est une bonne nouvelle, les rejets illicites au large de la ZEE ont diminué. Ce résultat est dû à l'obligation d'enregistrement des déchets par les capitaines, à l'efficacité de la détection par satellite et au caractère dissuasif des sanctions. La France a signé deux accords de coopération avec ses voisins en cas de pollution marine.

Mme Herviaux m'a demandé si la prévention des pollutions accidentelles était suffisante et elle a fait référence au gigantisme des navires. Il s'agit effectivement d'un enjeu majeur. La France a présenté un amendement en ce sens au texte en cours de rédaction à l'ONU ; la présidence norvégienne du groupe de travail ad hoc va prochainement ouvrir les discussions. Il faudra vérifier le caractère opérationnel du dispositif pour la Méditerranée.

La France ne dispose d'aucune installation d'exploitation gazière et pétrolière en Méditerranée. Aucun acte nouveau ne sera pris dans le dossier, les demandes de renouvellement de permis sont considérées comme irrecevables. Pour autant, il existe des plateformes à l'étranger, certaines dégradées, comme en Égypte ou Libye, d'autres dont l'état n'est pas connu. Des initiatives devront être prises, d'abord pour obtenir des informations, puis pour suivre régulièrement les conditions d'exploitation.

M. Dantec m'a interrogé sur la délimitation de la ZEE et la question de la superposition des cartes. Avec l'Espagne, nous avons un léger contentieux sur une zone qui pourrait faire l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation d'hydrocarbures. Nous avions, en tout cas, l'antériorité du classement en zone de protection. Je ne doute pas que nos relations avec ce pays permettront de réduire ce différend.

La recherche est une composante importante de la politique maritime et de protection de l'environnement. Les membres du comité spécialisé vont bientôt être désignés ; il faudra faire le point des enjeux de la recherche et mobiliser tous les ministères concernés ; je m'en suis déjà entretenu avec Mme Fioraso. Depuis 2012, les initiatives locales ou régionales se sont multipliées en matière de recherche sur le milieu marin, à Marseille, à Sète ou à Montpellier. Je pense en particulier à la création d'instituts spécialisés dans l'océanologie ou la biodiversité. La commission internationale pour l'exploration scientifique de la mer regroupe plus de 3 000 chercheurs marins venus de plus de 500 instituts de plus de trente pays. Nous entendons encourager ses travaux. Marseille accueillera d'ailleurs, le 28 octobre, la quarantième conférence de cette commission. Au sein du programme de recherche sur le changement climatique, les pays des rives nord et sud de la Méditerranée souhaitent créer un consortium de recherche spécialisé. D'autres projets existent, que je ne peux tous citer.

Mme Pasquet m'a interrogé sur le renouvellement de la flotte océanographique. C'est en effet un enjeu important. Une réflexion est engagée pour trouver des financements, notamment pour la rénovation du Marion-Dufresne.

Des contrats de coopération de grande qualité ont été signés pour étudier les conséquences du changement climatique, Météo France est très impliquée. Il est important de lier ces questions avec les politiques maritimes.

J'en viens à la question de la gouvernance. Des difficultés demeurent en effet, qui ne sont pas spécifiques à la politique de prévention des pollutions. Il faudra avancer, notamment dans le cadre de l'UPM. La mer est notre patrimoine commun, la conférence d'Athènes peut être l'occasion de renforcer la coopération à tous les niveaux.

Nous devons renforcer les instruments de coopération traditionnels, qui sont opérationnels, pour lutter contre les pollutions. Des mesures concrètes ont déjà été prises dans le cadre de la convention de Barcelone ou du plan d'action pour la Méditerranée, limitation des apports de mercure ou gestion des eaux de ballast. Faut-il une agence supplémentaire ? Il est d'abord indispensable de consolider les processus déjà engagés.

Le débat de ce soir permettra sans doute de réaffirmer notre mobilisation. Vous pouvez compter sur moi pour porter votre combat en faveur de la Méditerranée. Le rapport de M. Courteau fera date et servira de base à toute notre réflexion. La richesse de vos travaux et la contribution de chacun permettront de soutenir les initiatives et de porter une volonté politique que je sais partagée. (Applaudissements à gauche)