Déclaration de politique générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la lecture d'une déclaration de politique générale du Gouvernement.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international .  - (Applaudissements sur les bancs socialistes, du RDSE et plusieurs bancs écologistes)

Le Premier ministre sera demain parmi vous ; pour l'heure, je me contenterai de lire sa déclaration.

« Trop de souffrance, pas assez d'espérance, telle est la situation de la France.

Et c'est conscient de cette réalité que je me présente devant vous.

Les Français nous regardent. Ils attendent beaucoup de nous. Et mon devoir, c'est de me hisser à la hauteur de leurs exigences.

Par leur vote ou leur abstention historique lors des dernières élections municipales, ils ont dit leur déception, leur doute, leur mécontentement et parfois leur colère. Ils ont dit leur peur de l'avenir. Leur avenir, et celui de leurs enfants. Et puis il y aussi cette exaspération quand, à la feuille de paie déjà trop faible, s'ajoute la feuille d'impôt trop lourde. » (Exclamations à droite)

M. Alain Fouché.  - C'est bien vrai !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Enfin, ils ont exprimé leur soif de justice.

J'ai entendu leur voix. J'ai aussi entendu leur silence.

Ils se sont prononcés contre l'impuissance politique. Ils veulent des résultats concrets en matière d'emploi, de lutte contre la précarité, de vie chère.

Ce message, très clair, le président de la République l'a entendu. Il en a tiré les enseignements politiques. (On en doute sur les mêmes bancs)

Et c'est conscient de la responsabilité que m'a confiée le chef de l'État que je me présente devant vous, pour ouvrir une nouvelle étape du quinquennat.

Je veux rendre, ici, hommage à Jean-Marc Ayrault. Il a agi avec droiture, sens de l'État, pendant vingt-deux mois. J'ai été fier d'être son ministre de l'Intérieur, comme socialiste, comme républicain et comme patriote.

Dans des circonstances bien différentes, à cette même tribune, il y a 60 ans, un homme nous a montré la voie. Le mot d'ordre de Pierre Mendès-France - dire la vérité - m'oblige, nous oblige. La vérité, c'est le premier principe de la démocratie.

Je dirai donc la vérité aux Français. Je la leur dois.

Vérité sur la situation d'urgence de notre pays. Vérité sur les solutions qu'il faut y apporter.

La France est à un moment de son histoire où il faut se concentrer sur l'essentiel.

Et l'essentiel, c'est de redonner confiance aux Français dans leur avenir.

Dire l'essentiel pour retrouver l'essentiel: la confiance des Français. Tel sera mon propos.

La réalité est là, et il faut la regarder, sans trembler.

J'ai vu, j'ai écouté ces retraités qui, à l'issue d'une existence d'efforts, vivent avec une maigre pension; ces ouvriers qui attendent, depuis trop longtemps, de pouvoir retravailler ; ces salariés précaires pour qui le quotidien n'est pas le travail, mais la survie ; ces patrons de PME, ces artisans, ces commerçants qui n'ont qu'une seule obsession : sauver leur activité pour sauver leurs équipes; ces agriculteurs, attachés à leur exploitation, qui font face à l'endettement et aussi à une forme de solitude.

J'ai vu ces visages fermés. Ces gorges nouées. Ces lèvres serrées... (Marques d'ironie à droite)

Disons les choses simplement : beaucoup de nos compatriotes n'y croient plus. Ils ne nous entendent plus. La parole publique est devenue pour eux une langue morte. Le présent est instable, l'avenir est illisible. Peu de Français se sentent à l'abri. Ils se disent qu'il ne suffirait pas de grand-chose pour perdre ce qu'ils ont construit pour eux et pour leurs enfants.

Voilà, la peur lancinante du déclassement !

Mais la crise économique et sociale n'explique pas, à elle seule, la crise de confiance. Il y a aussi une crise civique, une crise d'identité.

Dans un monde qui bouge si vite, les Français doutent de la capacité de notre modèle républicain à promouvoir, à protéger et à intégrer.

Dès lors, la tentation du repli devient plus grande, partout, dans nos territoires ruraux, périurbains, mais aussi dans nos villes lézardées par des fractures communautaristes qui prennent le dessus sur l'idée d'appartenir à une même nation.

Nous assistons également à une montée du racisme, de l'antisémitisme, de l'intolérance. Et les paroles, les actes anti-juifs, antimusulmans, anti-chrétiens, homophobes, doivent être combattus avec une même fermeté.

Notre société est traversée par la violence. Il y a la menace terroriste qui s'est globalisée et qui pèse sur nos démocraties. Il y a surtout la violence du quotidien. Ce phénomène n'est pas nouveau: les atteintes aux personnes sont en progression continue depuis plus de 30 ans. Le phénomène inédit, c'est que la délinquance se déplace vers des territoires - je pense aux villes moyennes, aux villages - qui, jusqu'à présent, avaient le sentiment d'être épargnés. Nos quartiers populaires sont gangrenés par ce fléau que sont les trafics de drogue. Ils abîment une part de notre jeunesse et, pour fructifier, tentent d'imposer un autre ordre que celui de la République. L'augmentation des cambriolages depuis cinq ans est majoritairement responsable de la hausse du sentiment d'insécurité. » (Exclamations à droite)

M. Jean Bizet.  - Qu'a fait Valls ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Se faire voler, et surtout quand on a peu, est un traumatisme profond. Il y a enfin toutes ces incivilités, ces défis, ces bravades, contestant l'autorité et qui pourrissent la vie des gens. Tout cela joue sur le moral de nos concitoyens.

La vérité, la voilà ! Le pire serait de fermer les yeux.

La première chose que je dois aux Français, c'est l'efficacité. C'est pour cela que j'ai composé un gouvernement compact, resserré et solidaire. (« Ah ! » à droite)

Solidaire, ce gouvernement est aussi paritaire (marques d'ironie à droite), parce que l'égalité femmes-hommes est au coeur de toute société moderne. »

M. Éric Doligé.  - Elle ne résout pas tout !

M. Jean-Louis Carrère.  - Il est vrai qu'à droite, ce n'est pas très paritaire...

M. Laurent Fabius, ministre.  - « La seconde chose que je dois aux Français, c'est la sincérité.

La sincérité, c'est expliquer.

Je crois que nous n'avons pas - tous ici!  - donné assez de sens aux efforts et aux sacrifices que les Français consentent depuis des années.

Le monde dans lequel la France agit et tient son rang est un monde riche d'opportunités mais il est également dur, injuste, parfois violent.

Dans une économie globalisée, nos entreprises font face à une concurrence mondiale, qui ne leur fait pas de cadeau. Il faut donc les protéger. C'est également le cas pour notre culture qu'il faut soutenir, et aussi défendre parce qu'elle est exceptionnelle.

Notre monde, c'est aussi l'ère du numérique qui relie les hommes et qui accélère l'échange des savoirs, des marchandises, des services. Et c'est pourquoi la fracture numérique est bien plus qu'une fracture technique, c'est une fracture économique, sociale et culturelle !

Face à toutes ces mutations, nous n'avons pas d'autre choix que de nous mettre au niveau. Le plus élevé. Et de prendre nos responsabilités en développant notre attractivité, notre compétitivité, notre créativité. Et puis nous devons aussi aller au-devant du monde, pour renforcer notre commerce extérieur, notre tourisme, notre technologie, notre excellence dans bien des domaines; c'est le but de notre diplomatie économique.

Notre voix, celle du chef de l'État, notre diplomatie, nos armées sont respectées. Et je veux, ici, rendre hommage à nos soldats engagés à l'étranger, notamment au Mali, en Centrafrique, pour assurer la paix et la sécurité. Et je n'accepte pas les accusations injustes qui pourraient laisser penser que la France ait pu être complice d'un génocide au Rwanda alors que son honneur, c'est toujours de séparer les belligérants. (Applaudissements des bancs socialistes aux bancs de l'UMP ; M. Michel Le Scouarnec applaudit aussi)

Rien n'est possible sans l'écoute et le dialogue.

Et parce que c'est un homme de dialogue, je veux rendre hommage à Jean-Louis Borloo et lui souhaiter tous mes voeux de rétablissement. (Applaudissements sur tous les bancs)

Une démocratie forte c'est un Parlement respecté.

La Constitution de notre Ve République, à laquelle je suis très attaché, précise clairement les choses: l'exécutif détermine le cap, et le Parlement « vote la loi, contrôle l'action du Gouvernement et évalue les politiques publiques ».

Vous, élus de la Nation, vous êtes l'expression de la souveraineté nationale.

Je connais les attentes de la majorité parlementaire, je les partage, et je veux travailler avec elle sur la base d'un contrat qui nous engage mutuellement. Je veux définir un mode de travail performant, avec les socialistes et les radicaux, mais aussi avec les écologistes. » (Marques d'amusements sur les bancs écologistes)

M. Éric Doligé.  - Et nous ?

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Et je dis au groupe GDR que je n'ai pas d'adversaire à gauche et que nous pouvons avancer ensemble sur beaucoup de sujets, dans l'intérêt de la France.

Gouverner, c'est écouter l'ensemble de la représentation nationale et donc l'opposition.

Gouverner, ce n'est pas rechercher la victoire d'un camp sur un autre. L'opposition vient de remporter les élections municipales. Elle a donc une responsabilité vis-à-vis des Français. Je veux l'écouter. Je proposerai aux présidents des groupes UMP et UDI de me rencontrer dès la semaine prochaine. (On s'en réjouit à droite)

Le dialogue, c'est également le dialogue social. Il a permis, depuis deux ans, d'importantes avancées en matière d'emploi, de marché du travail, de formation professionnelle, de retraites. Il doit se poursuivre. Et je rencontrerai les partenaires sociaux dès vendredi.

L'exigence de dialogue vaut également pour les élus locaux. Je mesure leur rôle pour la cohésion sociale, mais aussi le dynamisme et l'attractivité de notre économie.

Le dialogue, c'est aussi celui que je veux avoir directement, sur le terrain, avec les Français.

Nous devons aller à l'essentiel. Et l'essentiel, c'est la France, son avenir, sa jeunesse, sa force.

Si nous voulons que la France reste une nation maîtresse de son destin, nous devons lui rendre la force économique qu'elle a perdue depuis dix ans. Il faut donc produire en France, créer de la richesse en France, créer des emplois durables en France, pour faire reculer le chômage de masse.

C'est le but du pacte de responsabilité proposé par le président de la République. Le chômage assomme notre pays depuis des décennies. Il s'est aggravé mois après mois depuis 2008 : 1,3 million de demandeurs d'emploi supplémentaires en six ans, avant que nous ne parvenions, fin 2013, à ralentir le rythme. (On ironise à droite)

La politique de l'emploi conduite depuis vingt-deux mois en direction des jeunes a eu des résultats : il y a moins de jeunes chômeurs aujourd'hui qu'il y a un an. (Mêmes mouvements) Mais cela ne suffit pas !

Sans une croissance plus forte, nous ne ferons rien. Et la croissance ne se décrète pas. Elle se stimule, avec pragmatisme et volontarisme.

Sans croissance pas de confiance, et sans confiance, pas de croissance.

Je le dis sans détour : nous avons besoin de nos entreprises, de toutes nos entreprises, de nos PME, de nos start-up, de nos artisans, de nos associations et coopératives. Entreprendre, créer, prendre des risques, embaucher : c'est cette démarche positive que je veux encourager parce qu'elle fait du bien à notre pays.

Sortons des défiances, des postures, des caricatures.

Et c'est pourquoi je salue nos entreprises, nos PME-PMI, nos artisans, nos agriculteurs, nos commerçants qui travaillent dur, qui aiment leur métier et qui considèrent que le travail est une valeur.

Soutenir les entreprises, c'est soutenir l'emploi, l'investissement, les exportations.

Alors oui, nous agirons pour encourager les entreprises, pour soutenir la recherche et l'innovation, améliorer le fonctionnement du marché du travail, alléger les coûts, simplifier les procédures et favoriser le dialogue social à tous les niveaux. Avec exigence, car les entreprises ont des responsabilités vis-à-vis de leurs cadres, de leurs employés et de leurs ouvriers : ce sont eux qui font leur richesse.

L'idée du Pacte de responsabilité et de solidarité est simple : chacun doit s'engager pour l'emploi. C'est une initiative novatrice dans un pays comme le nôtre. Notre pays doit apprendre à oser ces compromis positifs et créatifs. Les divergences d'intérêts existent, il ne s'agit pas de les effacer mais de les dépasser, pour l'intérêt général. C'est ça la modernité !

Il faut maintenant donner corps à ce Pacte.

Le président de la République avait indiqué, le 14 janvier, que le Gouvernement engagerait sa responsabilité sur ce Pacte. C'est donc ce que je fais aujourd'hui devant vous. Comment imaginer d'ailleurs une déclaration de politique générale si elle n'abordait pas ces sujets ?

Mais il y aura d'autres débats et d'autres votes. Fin avril, l'Assemblée nationale sera saisie du programme de stabilité et de la trajectoire des finances publiques. Au début de l'été, un projet de loi de finances rectificative traduira les économies nouvelles que nous aurons proposées.

Rien ne peut se faire sans le Parlement. Je crois qu'il est responsable et transparent, de vous présenter, à vous députés, et aux Français, dès ce premier discours devant le Parlement, les orientations du Pacte de responsabilité et de solidarité.

Une négociation entre partenaires sociaux a fixé des engagements pour l'emploi.

Le moment de la décision est venu.

D'abord, il y a le coût du travail.

Il doit baisser. C'est un des leviers de la compétitivité - pas le seul - mais il pèse lourd.

Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault avait engagé le mouvement avec la création du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) qui doit atteindre 12 milliards cette année et 20 milliards l'année prochaine. »

Voix à droite.  - Rien pour l'instant !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Nous porterons les allégements du coût du travail à 30 milliards d'ici 2016.

Comment ? Je refuse d'opposer l'effort pour les emplois les moins qualifiés - dont nous avons besoin - et celui pour les emplois qualifiés qui font notre compétitivité - notamment dans l'industrie. L'un répond à l'urgence de créer des emplois, l'autre à la nécessité d'exporter. Nous ferons donc les deux.

Au niveau du smic, les cotisations patronales à l'Urssaf seront entièrement supprimées au 1er janvier 2015.

Ce sera zéro charge pour l'employeur d'un salarié payé au smic

Voilà une vraie révolution.

Le barème des allégements existants entre le smic et 1,6 fois le smic sera modifié en conséquence. Nous y consacrerons 4,5 milliards d'euros.

Pour les salaires jusqu'à trois fois et demi le smic, c'est-à-dire plus de 90 % des salariés, les cotisations Famille seront abaissées de 1,8 point au 1er janvier 2016. Cela représente un allégement supplémentaire de près de 4,5 milliards d'euros. Cela ne pénalisera en rien le financement de la politique familiale, qui se verra affecter d'autres recettes pérennes.

Les travailleurs indépendants et artisans qui représentent des gisements de créations d'emplois, bénéficieront d'une baisse de plus de trois points de leurs cotisations famille dès 2015 (soit 1 milliard d'euros).

Voilà l'effort de l'État. Il est à la hauteur de l'enjeu. Trente milliards de baisse du coût du travail, l'équivalent des cotisations famille comme l'avait dit le président de la République, le 14 janvier dernier.

Pour relever l'investissement, le Gouvernement agira aussi par la fiscalité.

D'abord, en réduisant les impôts de production, comme la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) payée par 300 000 entreprises. Elle sera entièrement supprimée en trois ans. Cela représente environ 6 milliards d'euros de marges supplémentaires, dont 1 milliard dès 2015.

Concernant l'impôt sur le résultat des sociétés, la surtaxe instaurée sous la mandature précédente sera supprimée en 2016. Le taux normal de cet impôt sera par ailleurs abaissé à 28 % en 2020, avec une première étape intermédiaire en 2017.

Pour simplifier notre système fiscal, plusieurs dizaines de petites taxes complexes et de faible rendement seront enfin supprimées.

L'État a pris ses responsabilités. Aux employeurs de tenir leurs engagements. Ils ont été précisés dans l'accord passé entre les partenaires sociaux, le 5 mars dernier. Cet accord fixe deux grands objectifs : la création d'emplois, en particulier pour les jeunes et les seniors ; la qualité de l'emploi, la formation des salariés, l'amélioration et la reconnaissance des qualifications.

Autour de ces objectifs, les négociations doivent s'engager, dans les prochaines semaines, dans chaque branche professionnelle.

La grande conférence sociale qui se réunira à l'été permettra de mesurer ensemble la dynamique ainsi créée.

Le Pacte est aussi un Pacte de solidarité, il doit améliorer le pouvoir d'achat des salariés les plus modestes.

Le meilleur moyen, c'est d'agir sur les cotisations salariales pour augmenter le salaire net, celui que l'on touche à la fin du mois. Dès le 1er janvier 2015, elles seront diminuées pour les salaires au niveau du smic pour procurer 500 euros par an de salaire net supplémentaire. C'est presque la moitié d'un treizième mois pour un salarié payé au smic. Ce gain sera dégressif entre le smic et 1,3 fois le smic.

Par ailleurs, mon gouvernement proposera d'alléger la fiscalité pesant sur les ménages modestes, en particulier ceux qui sont entrés dans le champ de l'impôt sur le revenu ces dernières années alors même que leur situation ne s'était pas améliorée.

L'ensemble de ces mesures en faveur des ménages modestes représentera 5 milliards d'euros à l'horizon 2017.

La croissance, c'est aussi l'économie verte.

La transition énergétique sera l'une de mes priorités. C'est une formidable opportunité économique. (Mme Laurence Rossignol applaudit)

Concrètement, la transition énergétique réduit notre déficit commercial et renforce notre souveraineté. Elle redonne du pouvoir d'achat grâce aux économies liées à la rénovation énergétique des logements et aux véhicules qui consomment peu. Elle encourage des secteurs extrêmement porteurs en termes d'emplois. Je pense en particulier au bâtiment.

Mais il y a aussi la nécessité écologique.

Le climat est probablement le domaine où le besoin de régulation se fait le plus pressant. La France accueillera à Paris, fin 2015, la grande conférence sur le climat. »

M. Bruno Sido.  - La belle affaire !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Il s'agit là d'un enjeu planétaire majeur, auquel nous répondrons en nous dotant d'une véritable stratégie bas carbone qui sera présentée par le Gouvernement au Parlement. »

M. Jean Bizet.  - Nous l'avons déjà, c'est le nucléaire !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « L'objectif est de réduire de 30 % notre consommation d'énergie fossile d'ici 2030 et de 40 % nos émissions de gaz à effet de serre à la même échéance. L'engagement du président de la République de passer à 50 % la part du nucléaire dans la production d'électricité d'ici 2025, sera tenu. »

M. Alain Fouché.  - Quel marchandage impossible !

M. Jean Bizet.  - Cela coûtera 30 milliards par an...

M. Alain Gournac.  - Vivent les verts !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Il sera inscrit dans la loi sur la transition énergétique soumise au conseil des ministres avant l'été. Cette loi sera le texte fondateur de notre nouvelle politique énergétique. »

M. Jean Bizet.  - Quelle erreur !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Notre redressement passera aussi par notre indépendance financière. La dette publique est notre responsabilité collective.

Là encore, il faut dire la vérité. La dette, Lionel Jospin l'avait stabilisée à un peu plus de 50 % du PIB en 2002. En 2007, lorsque Jacques Chirac a quitté l'Élysée, elle représentait 65 % des richesses que nous produisions chaque année. Cinq ans plus tard, à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, elle avait explosé, et atteignait 90 % de la production nationale. (On le confirme bruyamment sur les bancs socialistes, tandis qu'on s'exclame à droite) Aujourd'hui, elle représente 30 000 euros pour chaque Français. Cette situation nous oblige, tous.

Les gouvernements successifs ont choisi de redresser nos comptes en privilégiant les augmentations répétées des prélèvements. C'est particulièrement vrai depuis 2010. La précédente majorité y a pris sa part (30 milliards) autant que l'actuelle. Ces hausses n'ont pas épargné les classes moyennes. Il faut en finir avec l'inventivité fiscale qui génère une véritable angoisse chez nos concitoyens. (On le confirme à droite)

En 2012, nous avons trouvé une dette qui s'était envolée, et un déficit des comptes publics de 5,2 % du PIB. Nous l'avons déjà ramené à 4,3 % fin 2013. Et nous allons poursuivre ce redressement tout au long du quinquennat.

Je vous propose un changement de rythme pour éviter tout recours à l'impôt et financer le redressement de notre économie : 50 milliards d'euros d'économies sur trois ans de 2015 à 2017. L'effort sera partagé par tous. L'État et ses agences en prendront la plus grande part, 19 milliards d'euros. Dix milliards proviendront de l'assurance maladie et 10 milliards supplémentaires des collectivités locales. (Exclamations indignées à droite) Le reste viendra d'une plus grande justice, d'une mise en cohérence et d'une meilleure lisibilité de notre système de prestations.

Mais je ne veux pas casser la croissance, sinon nos déficits ne diminueront pas et le chômage ne sera pas réduit. Bien sûr, il faut redresser nos comptes publics mais sans casser notre modèle social et nos services publics, sinon les Français ne l'accepteraient pas.

Je suis pour le respect de nos engagements, pour le sérieux budgétaire, pas pour l'austérité !

Ce nécessaire équilibre, nous allons, à nouveau, l'expliquer à nos partenaires européens. La reprise économique est là, mais elle est fragile. Nous devons l'entretenir comme un feu naissant, l'accompagner.

Et les efforts que nous faisons sur la réduction de nos déficits, sur nos réformes structurelles, sur la compétitivité des entreprises, sur le coût du travail, ne doivent pas être balayés par un niveau trop élevé de l'euro. Il est aujourd'hui 10 % plus cher qu'à l'été 2012, ce qui évidemment pèse sur nos exportations.

La Banque centrale européenne mène une politique monétaire moins expansionniste que ses consoeurs américaine, anglaise ou japonaise. Et c'est dans la zone euro que la reprise économique est la moins vigoureuse. Ce sujet, qui va d'ailleurs être au coeur des prochaines élections européennes, je veux l'aborder très directement. Car il appartient à l'Europe d'apporter des réponses concrètes aux attentes des peuples. Ce qui est essentiel, c'est de remettre l'Union européenne sur le chemin de la croissance au travers de politiques de grands investissements, des politiques pour l'emploi, notamment tournées vers la jeunesse. Sinon, tous les efforts de réduction des déficits seront vains. Et je ne veux pas que cette magnifique aventure qui a uni notre continent perdre son éclat et finalement sa logique. Je reste convaincu que la France ne peut pas se passer de l'Europe et que l'Europe ne peut pas se passer de la France. Et je suis très attaché à la solidité du couple franco-allemand.

Notre indépendance financière passe aussi par des réformes de structures. La France est prête à ces réformes et notamment celle du millefeuille territorial. (« Enfin ! » à droite)

Je propose quatre changements majeurs susceptibles de dépasser les clivages partisans.

Le premier concerne nos régions. Il s'inspire du rapport des sénateurs Yves Krattinger et Jean-Pierre Raffarin. Nos régions doivent disposer d'une taille critique. Ainsi elles auront tous les leviers, toutes les compétences, pour accompagner la croissance des entreprises et encourager les initiatives locales.

Je propose de réduire de moitié le nombre de régions dans l'hexagone. (MM. David Assouline, Alain Bertrand et Gérard Miquel applaudissent)

Sur la méthode, il s'agit de faire confiance à l'intelligence des élus. Les régions pourront donc proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l'absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le Gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017.

Mon deuxième objectif, c'est l'intercommunalité. Une nouvelle carte intercommunale, fondée sur les bassins de vie, entrera en vigueur au 1er janvier 2018.

Mon troisième objectif, c'est la clarification des compétences. C'est pourquoi je proposerai la suppression de la clause de compétence générale. » (Vives exclamations à droite ; protestations sur les bancs CRC)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Il ne fallait pas la rétablir !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Ainsi, les compétences des régions et des départements seront spécifiques et exclusives.

Enfin, mon dernier objectif est d'engager le débat sur l'avenir des conseils départementaux. Je vous propose leur suppression à l'horizon 2021. (Marques de consternation sur divers bancs ; M. Alain Bertrand applaudit) Je mesure l'ampleur de ce changement. Il nous faudra notamment répondre au sentiment d'abandon qui existe dans nos départements et territoires ruraux. Ce changement donnera lieu à un profond débat dans le pays qui associera les élus et les citoyens. Mais il est désormais temps de passer des intentions aux actes.

Pour ce qui concerne l'État, sa présence sur l'ensemble du territoire est indispensable. Le maillage territorial des préfectures, des sous-préfectures, ne sera pas remis en cause, mais il faudra l'adapter progressivement à la nouvelle donne territoriale. C'est la garantie d'un égal accès de tous les citoyens aux services publics. Je veux d'ailleurs rendre hommage à l'ensemble de ces agents, qui sont le visage du service public.

Redresser la France, c'est la redresser dans la justice. La France sera forte, si elle est juste.

Notre nation est singulière: elle ne peut pas concevoir la force sans la justice. L'un de nos grands génies, Blaise Pascal, l'a formulé de façon lumineuse : « la justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique ». Nous ferons tout pour que notre pays soit fort et juste.

Le gouvernement que je conduis accompagnera les Français les plus modestes. Là encore, aucune dispersion. Le président de la République a indiqué le cap. Il faut aller à l'essentiel : l'école et le logement. Ces sujets sont vastes. Je n'évoquerai donc que les points essentiels.

Investir dans l'école de la République, dans ses enseignants, et pour ses élèves, c'est réinvestir la République de sa mission première : chaque enfant, peu importe son milieu social, doit bénéficier des mêmes opportunités. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Depuis deux ans, nous avons engagé une refondation de l'école : réforme des métiers, rétablissement de la formation des maîtres, lutte contre l'échec scolaire, priorité donnée au primaire, relance de la scolarisation des moins de 3 ans.

Le redressement de l'école doit être poursuivi.

L'aménagement des rythmes scolaires (« Ah ! » à droite) est une bonne réforme (protestations sur les mêmes bancs), car avec elle beaucoup plus d'enfants ont accès à des activités périscolaires, sportives, culturelles très complémentaires de l'éducation donnée par les enseignants. Quatre-vingt-treize pour cent des communes s'y sont déjà engagées. Cependant, j'ai entendu les remarques de bonne foi venant des élus. Ainsi, le cadre réglementaire sera assoupli après les concertations nécessaires avec les enseignants, les parents et les élus.

Ce qui doit compter et nous rassembler, c'est la réussite des élèves, partout en France.

Deuxième priorité : le logement.

Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est de relancer la construction là où les besoins existent. »

Voix à droite.  - Deux ans de retard !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Pour produire davantage de logements, moins chers, plus vite, il faut simplifier. Cinquante mesures de simplification de règles et de normes existantes seront prises sans transiger sur la qualité et la performance. Les arrêtés seront publiés avant l'été.

Le logement pour tous est une mission qu'il nous faut mener ensemble, État, collectivités territoriales, de droite comme de gauche, entreprises, bailleurs sociaux et privés.

La réalité je l'ai décrite. Elle atteint le moral des Français. Car ce qu'il manque dans leurs yeux, c'est la confiance en eux-mêmes. La confiance est la clef de tout. Je veux la donner à travers vous. Mais je viens aussi la chercher en vous.

Et je veux dire aux Français qu'ils doivent se regarder avec lucidité mais aussi fierté.

Notre pays a de la grandeur.

Cette grandeur n'est pas une nostalgie, c'est l'ambition qui nous anime de génération en génération. Car la France a tant d'atouts. Nos services publics, nos infrastructures, nos grandes entreprises, la beauté de nos paysages et de nos villages. Il y aussi notre agriculture, notre ruralité, à la fois notre patrimoine et notre modernité. Il y a aussi l'immensité de notre espace maritime. Et les outre-mer ont un rôle primordial - sur les cinq continents - pour notre présence dans le monde. Tout comme l'ensemble de nos compatriotes qui sont établis et travaillent à l'étranger.

Notre pays a une culture magnifique. La francophonie, c'est plus de 200 millions de personnes, dans 75 pays, sur l'ensemble des continents.

La France, c'est la cinquième puissance mondiale. Son message est entendu, sa voix est respectée. Son drapeau parle directement au coeur des peuples opprimés.

Notre pays a du génie, dans l'innovation, la création. Je pense à notre septième art ou à notre musique qui sont capables de conquérir le monde. Je pense également à nos médecins, à nos chercheurs, à nos scientifiques, à nos prix Nobel.

Et puis, notre pays a le plus bel atout qui soit : la République et ses principes de tolérance, de solidarité, de respect et de progrès. La République, c'est avant tout les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous les citoyens. La République, c'est la sécurité, c'est la laïcité. C'est l'essence de notre nation, sa sève, sa flamme.

La France, c'est aussi un pays de liberté. Cette majorité l'a montré en ouvrant le mariage aux couples de même sexe. »

Voix à droite.  - Quelle avancée !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « Mais je souhaite l'apaisement, et c'est la volonté du président de la République. Et c'est aussi cela la gauche ! La gauche est fidèle à elle-même et à ses valeurs quand elle sait s'adresser à tous et rassembler.

Dans un pays traversé par les fractures, les rumeurs, notamment sur cette soi-disant théorie du genre à l'école, tous les républicains doivent savoir s'écouter, se retrouver et éviter les surenchères dont les extrémismes sont les seuls vainqueurs.

Je pense à la réforme pénale, dont le but, je le rappelle, est de lutter contre la récidive. Je pense à la famille, sujet sur lequel nous devons continuer à légiférer dans le seul intérêt de l'enfant.

Je pense à la politique d'immigration et d'asile : deux projets de loi vous seront bientôt soumis. Je pense aussi à la fin de vie pour laquelle un consensus peut être trouvé dans le prolongement de la loi Leonetti.

Il faut croire en nous-mêmes et en notre jeunesse.

C'est la grande priorité établie par le président de la République. Notre jeunesse, toute notre jeunesse, celle notamment de nos quartiers populaires, victime trop fréquemment, je le sais, des discriminations. Souvent ces jeunes voudraient, mieux encore, aimer la France et être aimés d'elle. Je veux aussi dire à ces talents qui pensent que la France ne leur fait pas de place, que la France a besoin d'eux.

Soyons fiers d'être Français !

La France c'est un pays qui a toujours vu plus loin que lui. La France, c'est un pays qui porte son regard au-delà de lui-même. Et moi, je me battrai pour qu'il continue à voir plus grand. Car c'est cela être français.

La France, c'est cette envie de croire que l'on peut pour soi et pour le reste du monde. La France ce n'est pas le nationalisme obscur, c'est la lumière de l'universel. »

M. Alain Fouché.  - C'est beau !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « La France, oui, c'est l'arrogance de croire que ce que l'on fait ici vaut pour le reste du monde. Cette fameuse arrogance française que nos voisins nous prêtent souvent, c'est en fait cette immense générosité d'un pays qui souhaite se dépasser lui-même.

La France a cette même grandeur qu'elle avait dans mon regard d'enfant (on ironise à droite), la grandeur de Valmy, celle de 1848, la grandeur de Jaurès, de Clemenceau, de De Gaulle, la grandeur du maquis. »

M. Bruno Sido.  - Le pont d'Arcole !

M. Laurent Fabius, ministre.  - « C'est pourquoi j'ai voulu devenir français.

Voilà ce que nous sommes et ce que nous devons rester. Ne rétrécissons pas la France, ne rétrécissons pas ses rêves.

Et je vous demande le coeur battant pour la France de m'accorder votre confiance.

Pour qu'ensemble, cette confiance, nous la rendions aux Français ! (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

M. le président.  - Acte est donné de la lecture de cette déclaration de politique générale.