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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Organisme extraparlementaire (Candidatures)

Débat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales

M. Michel Savin, président de la mission commune d'information

Mme Anne-Marie Escoffier, pour le groupe RDSE

M. Raymond Couderc

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Michel Le Scouarnec

Mme Danielle Michel

M. Jacques Mézard

Mme Corinne Bouchoux

M. Dominique Bailly

M. Jean-Jacques Lozach

M. Maurice Vincent

M. Alain Néri

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès de la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports

Organisme extraparlementaire (Nominations)

CMP (Candidatures)

Débat sur les agences régionales de santé

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales

M. Jacky Le Menn, rapporteur de la commission des affaires sociales

M. Alain Milon, pour le groupe UMP

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

M. Jacques Mézard

Mme Aline Archimbaud

M. Jean-Claude Lenoir

Mme Laurence Cohen

M. Maurice Antiste

M. Raymond Vall

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé

CMP (Nominations)

Modification à l'ordre du jour

Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur de la commission de la culture

Mme Brigitte Gonthier-Maurin

Mme Françoise Laborde

Mme Colette Mélot

Mme Françoise Férat

Mme Dominique Gillot

Mme Corinne Bouchoux

Mme Françoise Cartron

M. Jacques Legendre

M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche

Ordre du jour du jeudi 12 juin 2014




SÉANCE

du mercredi 11 juin 2014

108e séance de la session ordinaire 2013-2014

présidence de M. Jean-Claude Carle,vice-président

Secrétaires : M. François Fortassin, M. Jacques Gillot.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Organisme extraparlementaire (Candidatures)

M. le président.  - M. le premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

La commission des affaires étrangères propose la candidature de Mme Hélène Conway-Mouret. La commission de la culture propose, quant à elle, la candidature de Mme Claudine Lepage.

Ces candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du Règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.

Débat sur le sport professionnel et les collectivités territoriales

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission commune d'information sur le sport professionnel et les collectivités territoriales, à la demande de la mission commune d'information et du groupe RDSE.

M. Michel Savin, président de la mission commune d'information .  - La mission commune d'information que j'ai eue l'honneur de présider a rendu son rapport le 29 avril dernier, rapport assorti de 33 propositions. Je remercie notre ancien rapporteur, M. Mazars, qui s'est impliqué jusqu'au bout dans ce travail. Celui-ci fait suite à de nombreuses études : le rapport éclairant de la Cour des comptes de 2009, celui de la mission d'évaluation de la politique de soutien au sport professionnel et le rapport sur le fair-play financier, monsieur le ministre, que vous avez rendu en 2013 quand vous étiez encore député. L'objectif n'était pas un rapport de plus, il était de réfléchir à un nouveau mode de gouvernance du sport professionnel dans le contexte budgétaire et financier des collectivités territoriales et de tenir compte du modèle européen qui se met en place. Si nous souhaitons que nos clubs portent haut nos couleurs, nous ne pouvons ignorer ce qui se fait à Arsenal, à Schalke 04, et au Bayern de Munich, comme à la fédération anglaise de rugby ou au tournoi de tennis de Wimbledon.

Quelles conclusions tirer du rapport ? D'abord, les clubs européens, et c'est une forte différence avec la France, ne reçoivent pas de subventions publiques. Ensuite, les stades sont considérés comme des actifs à part entière à rentabiliser, avec les loges VIP et les places Premium. Enfin, pour remplir leur rôle social et civique, les clubs ont des fondations sociales et des fonds de dotation : 40 millions de livres sont investis par les clubs de Premier league ; en France, seuls cinq clubs disposent de telles fondations pour un budget de 400 000 euros seulement.

Nous recommandons un changement du mode d'organisation du sport professionnel français. Une évolution est déjà en cours avec la construction des stades des clubs de Lyon et du Racing Métro 92 et le projet de grand stade de la Fédération française de rugby. Les initiatives en ce sens sont disparates. Cela interroge notre système français.

Premier changement majeur à amorcer, la fin des subventions sans contrepartie. Elles devraient strictement servir à des missions d'intérêt général ; au lieu de cela, elles financent les frais de fonctionnement, participant à l'inflation de la masse salariale. C'est pourquoi dès la saison 2016-2017, nous proposons, pour le football et le rugby, de cesser les subventions publiques. La hausse des droits télévisés compensera. Il n'est évidemment pas question d'appliquer cette mesure aux autres sports professionnels, en particulier féminins, qui ne pourraient encore subsister sans argent public.

Moins d'argent, mais aussi mieux d'argent public. Le rapport de 2013 d'évaluation dénonçait le manque de transparence. Nous proposons de créer une instance indépendante chargée de mieux contrôler l'utilisation des deniers publics ; elle pourrait s'appeler le Conseil supérieur du sport professionnel français et regrouperait les compétences de l'Arjel et des DNCG. Parmi ces missions, la surveillance des subventions, du contrôle de gestion des clubs, des plans de financement et des grands stades et arénas. On pense aux problèmes survenus pour l'aréna du Mans... Comme l'AMF pour la finance, il faut une autorité indépendante pour le sport professionnel, qui brasse des millions d'euros.

Ensuite, nous proposons de renforcer la responsabilité sociale des clubs. Chaque ligue, chaque club de première division devrait avoir sa fondation, que les collectivités territoriales aideraient financièrement en contrepartie d'actions sociales et éducatives.

Puisque les clubs sont devenus des entreprises à part entière, qu'ils deviennent propriétaires de leurs stades plutôt que de recevoir de coûteuses subventions ou de bénéficier du recours au partenariat public-privé. Pour cela, il faut modifier l'article L. 113-1 du code du sport, comme l'autorise la décision de la Commission européenne de décembre dernier dans le cadre de l'Euro 2016. Dans le même esprit, nous prévoyons la possibilité par rachat en crédit-bail d'un stade public ou construit en partenariat public-privé. Si les collectivités territoriales doivent pouvoir demeurer propriétaires de leurs stades, limitons la part publique dans la construction de nouveaux stades à 50 %. Les projets mutualisés entre disciplines sont à encourager, comme l'envisagent les fédérations de volleyball, basketball et handball pour la construction d'une salle de 10 à 15 000 places en région parisienne.

Nous proposons enfin de désigner une collectivité territoriale de référence, pour accompagner le sport professionnel : l'agglomération ou la métropole, la région restant compétente pour la formation professionnelle et le département pour le soutien aux événements qui ne sont pas organisés par des clubs professionnels.

Le sport professionnel a changé ; nos collectivités aussi : il est temps d'adapter notre droit et nos usages à ces nouvelles réalités. (Applaudissements)

Mme Anne-Marie Escoffier, pour le groupe RDSE .  - C'est avec une grande humilité et une grande joie que je vous présente ce rapport. Je n'ai aucun titre sportif qui m'autorise à égaler nos athlètes de haut niveau mais je prends le relais de Stéphane Mazars, qui m'a passé le témoin, avec son remarquable travail.

Le sport, au fil des lois de décentralisation, n'a pas fait l'objet d'une compétence exclusive. Aussi notre mission commune d'information s'est-elle opportunément penchée sur les relations entre le sport professionnel et les différents échelons de collectivités.

Le sport professionnel a connu une évolution qui le rapproche autant de l'industrie, du commerce que du spectacle.

Nos clubs ont fait le choix de la scène internationale comme leurs homologues européens.

Ils ont appliqué une politique de recrutement ambitieuse qui conduit à une hausse de la masse salariale qui va de pair avec celle, parfois astronomique, des droits de retransmission, en particulier dans le football et le rugby.

Ils ont cherché la valorisation des stades avec une gestion fine des places par le yield management, sur le mode des compagnies aériennes.

En raison d'une forme de dérive des modes de fonctionnement et de financement, notre rapporteur a conclu qu'il fallait desserrer les liens entre sport professionnel et collectivités territoriales. Les soutiens de celles-ci sont de deux types : directs, par des subventions ; indirects, par des mises à disposition de personnel et d'infrastructures, ces dernières étant difficiles à mesurer. Le risque est soit une désaffection du public, faute d'équipements ou à cause d'installations vieillissantes, soit des investissements surdimensionnés, dans une course au gigantisme. La mesure s'impose en toutes choses. Gardons un équilibre entre ces deux maux en mettant fin aux subventions publiques sans contrepartie, en exigeant une redevance d'occupation pour les infrastructures publiques en lien avec l'avantage procuré et en privilégiant l'investissement sur la participation au fonctionnement. Nous répondrons aussi au désarroi des villes moyennes de 15 à 20 000 habitants qui n'ont absolument pas les moyens d'offrir à leurs sportifs des équipements de très grande qualité. Dès la saison 2016-2017, il faut renoncer à verser des subventions aux clubs de ligue 1 et du Top 14 qui sont soutenus par des investisseurs privés, avant d'élargir la mesure en 2020 aux autres disciplines. À cette occasion, il est un impérieux besoin : tordre le cou à l'inflation normative des fédérations et des ligues : superficie du stade, hauteur du panier, tout cela entraîne de coûteuses dépenses.

Soulignons, parmi la trentaine de propositions, celle relative aux compétences des collectivités territoriales à l'heure où l'on s'interroge sur la disparition de la clause de compétence générale. Pour les clubs, le bloc communal fait figure de référence. Aux métropoles, celles définies par la loi du 27 janvier 2014, la charge des stades omnisports. Quant aux départements, si tant est que la réforme territoriale aboutisse, ils s'intéresseront naturellement au sport professionnel. Aux régions, reviendra la formation professionnelle. Enfin, le Grand Paris sera responsable des équipements pour notre candidature aux Jeux olympiques.

En conclusion, dans ce paysage institutionnel aussi peu prévisible, il convient de redonner aux collectivités territoriales la liberté d'user de leurs dotations. (Applaudissements)

M. Raymond Couderc .  - Je salue le travail de la mission commune d'information, qui traite d'un problème qui n'est pas nouveau, puisque la Cour des comptes y avait consacré un rapport en 2009, mais reste d'actualité. Le Premier ministre souhaite, en effet, réaliser 11 milliards d'euros d'économies sur les collectivités territoriales. Rationaliser leurs interventions dans le sport professionnel est légitime, d'autant que, depuis plusieurs années, on assiste à l'émergence du « sport spectacle », de clubs riches et puissants -surtout ceux de ligue 1 de football.

Les collectivités territoriales se trouvent parfois contraintes de consentir des financements ; l'opinion publique ne comprendrait pas qu'on abandonne son club fétiche quand la ville voisine finance, elle, largement ses sportifs. Les demandes des clubs sont de plus en plus subtiles : achats d'espaces publicitaires, flocage de maillots et de shorts, interventions plus ou moins fictives auprès des jeunes de quartier, pression pour la baisse des loyers des équipements publics...

La mission commune d'information a fait des préconisations intéressantes sur la transparence et la séparation entre activités commerciales et services rendus à des entreprises, qu'il faudra mettre en oeuvre avec discernement. Ce qui vaut pour la ligue 1 et le Top 14 ne vaut pas pour le badminton !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Le sport professionnel évolue vers le sport business tandis que les collectivités territoriales continuent à lui verser quelque 350 millions d'euros par an. Comment faire évoluer le modèle, à bout de souffle, tout en évitant d'affaiblir nos clubs ?

Les subventions publiques, cela vient d'être dit, sont accordées sous pression : pression de l'opinion publique, des clubs, des médias. Quand nos concitoyens vivent des temps difficiles, il faut en finir avec la communalisation des pertes et la privatisation des profits, avec le versement de subventions qui servent indirectement à acheter des joueurs pour des sommes indécentes.

Nous manquons d'un encadrement juridique et la mission d'information réclame toute la transparence. Ensuite, 80 % du parc stadier français est public alors que 18 des 20 premiers clubs européens sont propriétaires de leur stade. Des dérives sont constatées, on l'a vu avec les grands stades du Mans et de Grenoble. Nous sommes d'accord pour en finir avec les partenariats public-privé et le risque d'endettement pendant des décennies.

Oui à plus de transparence mais faut-il créer une autorité indépendante, un comité que je n'ose dire Théodule ?

L'inflation normative des fédérations doit être jugulée. Je salue l'audace des propositions de la mission commune d'information. Toutefois, prenons garde, avec la fin des subventions publiques pour 2020 pour les disciplines arrivées à maturité, à ne pas créer une fracture sportive. Je rappelle que le volleyball, par exemple, est encore subventionné à plus de 80 %. Le risque est de freiner le sport professionnel féminin, des disciplines qui pourraient émerger ou encore les actions sociales. Oui au développement de fonds à vocation sociale, comme en Angleterre, pour restaurer le rôle social du sport.

Merci à la mission commune d'information de s'être penchée sur un nouveau modèle économique pour aller vers l'autonomie du sport professionnel, en ces temps où il est nécessaire d'assurer l'efficience des dépenses des collectivités territoriales.

Le groupe UDI-UC appelle ce changement de modèle de ses voeux. Ce travail excellent était nécessaire ! (Applaudissements)

M. Michel Le Scouarnec .  - Mes félicitations pour la quantité et la qualité du travail effectué. Il y a un siècle déjà, Jaurès craignait que le capitalisme ne transforme le sport en « un spectacle à grand fracas ». Quel visionnaire !

De fait, le sport professionnel est dorénavant aux antipodes d'un sport émancipateur, facteur d'épanouissement humain et de paix entre les nations. Cette affirmation ne vaut évidemment pas pour toutes les disciplines mais essentiellement pour le football et le rugby. Hélas, l'arrêt Bosman de la Cour de justice des communautés européennes du 15 décembre 1995 a renforcé ce mouvement en appliquant le principe de libre circulation aux échanges de footballeurs, sans quota de nationalités, ouvrant un marché des transferts même en cours de saison.

Nous voilà à la société du spectacle de Guy Debord. Or, le sport n'est « pas un ensemble d'images mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images ».

Alors que les ressources des collectivités territoriales s'amenuisent, faut-il qu'elles consacrent 160 millions d'euros par an au financement des clubs professionnels ? En France, contrairement à ce que l'on observe chez nos voisins, les collectivités sont le plus souvent propriétaires des équipements et en paient la construction et l'entretien. La recherche de l'événementiel, national voire international, a alourdi leur charge. En quelque sorte, nous observons une mise en concurrence des territoires. Les collectivités territoriales sont sollicitées pour combler les déficits des clubs mais non pour mutualiser les bénéfices... Certains investissements sont à la limite de l'illégalité : mise à disposition gratuite d'équipements, subventions sans contrôle. Oui, le besoin de régulation est évident, même s'il ne passe pas forcément par la création d'une autorité administrative indépendante. En revanche, la fin des subventions publiques aux sports arrivés à maturité ne se justifie pas par la disette budgétaire à laquelle les collectivités territoriales sont soumises, mais par l'unique souci de l'intérêt général.

Le rapport pointe l'incohérence de la participation des collectivités territoriales à des pratiques éloignées de l'intérêt général et des valeurs que l'on associe au sport, comme la morale, la solidarité, la paix. On pourrait revoir cette participation, en transférant les subventions de fonctionnement des collectivités territoriales vers l'investissement pour que les clubs deviennent propriétaires de leurs stades et en assument la charge. Limiter la participation des collectivités territoriales à 50 % du capital est une bonne idée, tout comme revaloriser la taxe Buffet sur les droits de retransmission télévisée. Encadrons les salaires des sportifs, le prix des transferts, sujet que le rapport renvoie à la compétence d'une nouvelle autorité. Dans d'autres pays, les montants des transferts sont redistribués. Il est temps que le sport professionnel renoue avec les valeurs de solidarité et de paix.

Le rapport propose des pistes intéressantes. Toutes méritent examen. Leur mise en oeuvre ne sera pas aisée, il faudra compter sur le génie du ministre. (Sourires) Changeons la réalité, qui n'est plus acceptable. (Applaudissements)

Mme Danielle Michel .  - Cette mission commune d'information avait pour but de réorienter le financement public du sport. La Cour des comptes, en 2009, posait déjà les bases du débat, appelant à réformer le cadre juridique du secteur et à oeuvrer pour la compétitivité internationale des clubs.

L'implication des collectivités locales en faveur du sport est considérable, en particulier celle des communes qui, en 2007, atteignait les 9 milliards d'euros sur un total de 13,5. Comment adapter l'intervention des collectivités territoriales à l'évolution marchande du secteur ? Si elles interviennent pour le sport, c'est d'abord parce que l'État lui a reconnu une mission de service public.

Les subventions publiques doivent servir l'intérêt général, non les besoins de structures privées. Certes, les collectivités territoriales sont libres d'exercer leurs compétences. Mais ne soyons pas naïfs : elles subissent des pressions pour intervenir. Les situations sont diverses. Maintenons une certaine souplesse.

Pour le sport professionnel féminin, la France est très en retard...

M. Alain Néri.  - C'est vrai !

Mme Danielle Michel.  - ...tant pour le nombre de disciplines et de ligues que pour les rémunérations, nettement moins élevées que chez les hommes, et pour la couverture médiatique et les infrastructures. C'est le sport professionnel féminin, le sport amateur, le handisport qui ont besoin, en premier lieu, de l'intervention publique.

La préconisation de la fin des subventions aux clubs est heureuse. Ceux-ci doivent verser des redevances d'exploitation en lien avec le bénéfice retiré. La propriété privée des équipements sportifs doit également être encouragée.

Comment expliquer aux contribuables que leurs impôts profitent en bout de chaîne à des footballeurs qui gagnent des millions ? (Applaudissements)

M. Jacques Mézard .  - Cette mission a été demandée par le groupe RDSE. Puisque, pour un temps encore, cette assemblée représente les collectivités territoriales, il nous a semblé urgent d'étudier les rapports que celles-ci entretiennent avec le sport professionnel.

Le sport est un des piliers de la vie en société ; il ne s'agit aucunement de le mettre en accusation, même si certains de ses excès ne peuvent que susciter le rejet, comme jadis l'adage panem et circenses.

Autre souci : l'aménagement du territoire. La question du sport professionnel ne se pose pas de la même manière à Paris, Lyon ou Marseille qu'à Rodez, Mende ou Brive. Mais, quel que soit le lieu, le sport d'aujourd'hui n'est plus celui d'il y a dix ou vingt ans. Le poids des télévisions a de lourdes conséquences. Les collectivités territoriales ne peuvent plus être aux ordres des fédérations ou ligues professionnelles.

M. Alain Néri.  - Bravo !

M. Jacques Mézard.  - La présence d'un club est une source de fierté pour les habitants, d'attractivité pour une commune. Mais cela ne justifie pas tout et les excès de toutes natures doivent être combattus. Il faut parfois savoir dire non à un club, même si ce n'est pas toujours facile.

« Préserver le rôle des départements pour soutenir les événements sportifs », propose le rapport. Il faudrait le dire au Premier ministre, qui prépare la prochaine réforme territoriale.

Se concentrer sur les métropoles est une nécessité, sans doute. Mais cela suppose de rationaliser l'implantation des équipements. Autrement dit, on ne pourra faire vivre des clubs partout. Il en résultera une nouvelle fracture territoriale.

« Supprimer les subventions des collectivités territoriales aux clubs de ligue 1 et du Top 14 dès 2016 » : c'est une bonne phrase et j'espère que cela ne restera pas un voeu pieux.

Renforcer la transparence, bien sûr. Aider les collectivités territoriales à mieux évaluer leurs dépenses en leur imposant un bilan annuel me laisse sceptique. Elles ont déjà suffisamment de contraintes : n'en rajoutons pas.

Avoir un club professionnel suppose de lui louer des équipements. Les montages juridiques et financiers relèvent parfois de la gymnastique rythmique et sportive... (Sourires) Les propositions en la matière sont les bienvenues.

Progresser vers la contribution de fonds de dotation par des achats de prestations d'intérêt général, oui encore. Bref, ce rapport montre que le Sénat a, sur ce sujet également, un vrai message à faire passer. (Applaudissements sur les bancs RDSE, au centre et à droite)

Mme Corinne Bouchoux .  - Je salue le travail de nos collègues, approfondi et consensuel.

Le sport représente 5 % du budget des communes et 70 % de son financement sont assumés par les collectivités territoriales. Quel équilibre entre disciplines ? Entre sport spectacle et sport pour tous ? Comment renforcer la transparence ? Voilà les principales questions que pose le secteur.

La mairie de Paris continue à verser plusieurs centaines de milliers d'euros au PSG chaque année, répartis entre subventions directes et indirectes, alors que le budget du PSG version qatarie approche désormais le demi-milliard d'euros annuel. Ce seul exemple laisse perplexe sur le rôle des collectivités territoriales en matière sportive.

De nombreuses propositions du rapport vont dans le bon sens. La suppression des subventions aux disciplines mûres est opportune. Le soutien aux fondations suscite des réserves de notre part mais constitue une bonne base de réflexion.

N'allons pas, pour alléger la dépense des collectivités territoriales, les priver de la propriété de leurs équipements, sous peine de leur retirer la main sur de nombreux enjeux locaux. On cite en exemple les clubs allemands propriétaires de leur stade. Mais avons-nous les moyens, notamment sportifs, de suivre ce modèle ? Les premières initiatives en ce sens nous invitent à la plus grande prudence car elles posent des problèmes de transport, d'artificialisation de terres agricoles, de déséquilibre économique avec les autres stades régionaux, sachant en outre que les collectivités locales sont contraintes de se porter garantes d'emprunts très lourds et de financer des aménagements locaux. Et il y a eu l'exemple négatif du stade du Mans. Bref, le diagnostic est bon, la conclusion plus contestable.

Hostiles aux partenariats public-privé, nous soutenons la proposition n°18. Il ne nous paraît pas envisageable de céder le stade de Roland Garros à une fédération de tennis qui souhaite s'étendre sur le jardin des serres d'Auteuil, site classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. L'extension porterait atteinte à un jardin botanique renommé.

La création d'une salle de 10 000 places pour le handball, le volleyball et le basketball devrait être envisagée hors de Paris. Quant aux Jeux olympiques, vous le savez, nous ne sommes pas des fanatiques des grands travaux et du BTP.

Regrettant que le sport féminin n'ait pas été abordé dans le rapport, nous espérons toutefois que les préconisations de celui-ci seront suivies d'effets. (Applaudissements)

M. Dominique Bailly .  - Je salue le travail effectué par la mission commune d'information, notamment celui de M. Mazars. Diverses pressions s'exercent sur les pouvoirs publics de terrain. La France accuse un net retard en matière d'infrastructures sportives. Les collectivités territoriales participent majoritairement à leur financement. Le modèle dominant est celui du club locataire. Voilà pour le constat.

En 2013, j'ai présenté, avec Jean-Marc Todeschini, un rapport préconisant d'impliquer davantage les clubs dans l'exploitation, voire la propriété, des équipements. Je me réjouis que cette proposition ait été reprise. Baux emphytéotiques, conventions d'occupation, de nombreuses pistes sont sur la table.

Le club de football du Havre, le HAC, assure l'exploitation de son stade avec l'agglomération propriétaire ; il règle les charges d'entretien et verse 1 million à la communauté d'agglomération : l'aléa sportif est pris en compte. Le modèle me semble instructif.

L'aide financière locale aux clubs ne peut être remise en cause que pour le football et le rugby. Les sports en salle, qui ne relèvent pas du sport business, souffriraient d'un désengagement public.

La création d'un Conseil national du sport professionnel me laisse sceptique. De même que le transfert au Comité national olympique de la mission de favoriser l'accès au sport de haut niveau. Cette compétence est par nature, me semble-t-il, celle de l'État et du politique. (M. Thierry Braillard, secrétaire d'État chargé des sports, approuve)

Faire de la métropole ou de l'intercommunalité le partenaire de référence me gêne également. Certaines communes sont les partenaires historiques de leur club. Ne les privons pas de la liberté d'agir. Pour le reste, je forme le voeu que le rapport trouve à s'appliquer largement. (Applaudissements)

M. Jean-Jacques Lozach .  - Les collectivités territoriales sont le premier financement de la pratique physique et sportive : elles lui consacrent 9 milliards par an. L'action de l'État, en comparaison, est minime.

Donner le goût de la pratique aux enfants, renforcer le sentiment d'appartenance à une communauté politique, promouvoir la mixité et la tolérance : telles sont les vertus du sport.

L'État a pour mission d'encadrer le sport afin de lui maintenir une dimension éthique : maîtrise du marché des transferts, lutte contre la corruption, transparence... Une association bruxelloise vient de dénoncer une vaste pratique de trucage de matchs européens. Glorieuse incertitude du sport...

Le recours aux partenariats public-privé, attractifs pour les collectivités territoriales, se révèle coûteux à long terme. Limitons leur usage. Le désengagement public est justifié pour les disciplines mûres mais serait mortifère pour les autres, y compris le sport individuel professionnel. En 2009, la Cour des comptes a révélé que les collectivités territoriales finançaient des équipements au bénéfice exclusif de structures privées, souvent déficitaires, tandis qu'elles-mêmes sont contraintes à l'équilibre.

N'oublions pas que les collectivités territoriales soutiennent également de nombreux jeunes sportifs en voie de professionnalisation, d'anciens champions en voie de reconversion et financent des actions d'insertion sociale par le sport. Les dernières municipales ont été l'occasion de rappeler l'importance de ce rôle. Réaffirmons les missions de service public. Engageons une réflexion sur la régulation financière et éthique du secteur.

En 2012, selon le groupe d'experts européens ad hoc, 153 milliards d'euros ont été consacrés au sport dans l'Union européenne. Les collectivités territoriales sont les plus grands pourvoyeurs de fonds, qu'il s'agisse du sport professionnel ou du sport pour tous. Les investissements en faveur du sport pour tous doivent être sécurisés.

Nous souhaitons que le travail de la mission commune d'information fournisse les bases d'une réflexion éthique sur le sport. (Applaudissements)

M. Maurice Vincent .  - Le sport tient une place croissante dans notre société et ses enjeux sont multiples : santé, cohésion sociale, épanouissement personnel, développement économique. La représentation nationale est donc pleinement fondée à se pencher sur le sujet.

Je partage naturellement l'idée de clarifier le soutien local au sport professionnel. Pour la plupart des disciplines, les contreparties d'intérêt général aux subventions sont toutefois difficiles à évaluer. Les aides accordées, directes ou indirectes, ont souvent une fonction qui dépasse le seul cadre sportif. Les subventions de fonctionnement ne sauraient être remises en cause dans leur ensemble.

Les redevances et droits d'utilisation des équipements sont hétérogènes, révèle la mission commune d'information. Un bilan exhaustif serait bienvenu. La contrepartie de l'aide publique doit naturellement être facturée à son juste prix. Les montages juridiques et financiers choisis pour la construction de stades sont, eux aussi, extrêmement divers.

La transmission de la gestion directe et de l'exploitation des grands stades aux clubs me laisse dubitatif. Cela se fait en Allemagne mais la plupart des grands clubs français ne pourraient assurer la gestion de leur stade.

Remettons à plat l'ensemble de la régulation du sport professionnel et recréons des liens entre sport professionnel et sport amateur. (Applaudissements)

M. Alain Néri .  - Le sujet du sport est de plus en plus important dans la vie de nos concitoyens. Il suscite souvent des discussions passionnées et incite à la pratique.

Il faut distinguer entre le sport loisir pour tous, le sport amateur et le sport professionnel, qui donne lieu à spectacle. De ces premières formes se distingue le sport business, dans lequel il s'agit principalement de gagner de l'argent. Ne soyons pas libéraux à moitié : quand on veut gagner de l'argent, on ne demande pas de l'argent public. Trop d'argent dans le sport, pas assez pour le sport, ai-je souvent dit. Les vedettes du football savent-elles seulement combien elles gagnent ? Soyons sérieux : les pouvoirs publics ne sauraient participer au financement de ce sport-là, ni se désengager car certaines disciplines vivent chichement.

Les droits de retransmission atteignent des montants ahurissants. On demande 748,5 millions pour cinq ans à la ligue 2 ! Même le rugby subit cette inflation : on en est à 355 millions pour quatre ans. Lorsque nous avons étudié le budget des sports de Mme Buffet, nous avons demandé que 5 % de ces droits aillent au sport amateur. Que de cris ! Nous allions « tuer le sport de haut niveau ». Quand je vois ce que les mêmes acceptent de payer aux télévisions, je me dis que nous aurions dû demander 15 % !

Sachons raison garder. Nous ne sommes pas favorables aux ligues fermées à cause de l'aléa sportif. Lorsqu'un club chute, la collectivité qui le soutenait en souffre : voyez Le Mans, Grenoble, Strasbourg... Le Mans jouait en ligue 1, maintenant en nationale ! Les équipements sont parfois surdimensionnés, ce dont pâtit tout le monde, les collectivités territoriales, le public et les joueurs. Imaginez-vous jouer devant 300 spectateurs dans un stade de 50 000 places !

Le sport doit conserver ses valeurs de cohésion sociale et de dynamisme pour nos collectivités territoriales. La passion ne doit pas l'emporter sur la raison.

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès de la ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports .  - À mon tour de saluer le travail accompli par MM. Mazars et Savin. Il illustre une fois de plus la sagesse de la Haute assemblée, mais aussi l'impertinence dont elle sait faire preuve... Le rapport précédent de MM. Bailly et Todeschini ne nourrit pas moins la réflexion du Gouvernement.

Un regret : vous avez un peu oublié les vertus de la loi Buffet du 6 juillet 2000, qui a introduit de la transparence dans les relations entre collectivités territoriales et les clubs professionnels. Deux sortes de financements existent : pour des missions d'intérêt général et pour l'achat de prestations de services. Il est vrai que les trois missions d'intérêt général ont parfois été détournées, interprétées dans un sens qui n'était pas celui voulu par le législateur. Ce rapport doit nous inciter à remettre à jour cette loi essentielle.

On revenait de loin ! Course à l'échalote des exécutifs locaux, mélange de fonds publics et privés, construction de stades sans que la collectivité en ait le besoin ou les moyens... (M. Alain Néri et Mme Corinne Bouchoux approuvent)

Le modèle français était fondé jusqu'ici sur la propriété et l'exploitation publiques des équipements. Il est révolu : pourquoi une ville investirait-elle pour construire un stade qui ne profitera qu'à une seule société privée ? Je partage le sentiment des rapporteurs, les partenariats public-privé sont des bombes à retardement. Et pour une raison simple : l'aléa sportif. Comment signer un engagement sur trente ans avec la certitude que le club à qui on loue l'équipement restera au haut niveau ? Qui peut dire que le club de Montferrand est en Top 14 pour toujours ?

Qu'entendez-vous cependant par « sport professionnel arrivé à maturité » ? Si demain les collectivités territoriales ne subventionnent plus les clubs de volleyball, de handball, de basketball, ils seront rayés de la carte... Restent le foot et le rugby... Oyonnax est en Top 14 ; est-il pour autant à maturité et mérite-t-il de n'être plus subventionné, alors qu'il est un vecteur économique important pour la vallée ? Non, sans soutien public, le club ne serait plus en Top 14. De même pour le club de football féminin de Juvisy, ou pour les clubs de Caen et de Metz qui viennent de monter en ligue 1 : peut-on dire qu'ils sont « mûrs » ? Mais vous avez raison, moins d'argent public, mieux d'argent public, plus de bon sens, comme l'a dit Mme Escoffier. Le désarroi des villes moyennes est réel : le cas du Havre est exemplaire ; c'est en vertu d'une convention temporaire d'occupation que le HAC exploite le stade. J'ajoute que métropoles, régions, Grand Paris devront aussi trouver leur place.

M. Vanlerenberghe parle de privatisation des bénéfices dans le sport professionnel ; je le mets au défi de trouver des clubs qui fassent des bénéfices et les aient répartis ces dernières années...

M. Alain Néri.  - C'est qu'ils ne limitent pas leurs dépenses !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État.  - La plupart des clubs professionnels sont des sociétés. La mise à disposition d'équipements ne peut donc être gratuite, monsieur le Scouarnec. Reste que la redevance d'occupation mériterait d'être mieux encadrée et que les collectivités, aujourd'hui, agissent à leur guise...

M. Alain Néri.  - Marseille !

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État.  - La régulation est nécessaire.

L'US dacquoise, madame Michel, n'est financée sur fonds publics qu'à hauteur de 13 %. N'oublions pas que le sport professionnel contribue à la notoriété des villes, Dax doit beaucoup au rugby et à Albaladejo... M. Fortassin, grand amateur de sport, sait l'importance du TBR pour Tarbes...

Le salaire moyen des professionnels... En ligue 1, deux ou trois clubs font exploser les compteurs. Dans le Top 14, la moyenne est de 11 000 euros ; à Dax ou à Tarbes, qui sont en Pro D2, 4 000 euros. Ibrahimovi? ne doit pas être l'arbre qui cache la forêt, ou plutôt l'oasis qui cache le désert...

Sport professionnel et sport amateur ne doivent pas être opposés. MM. Mézard et Néri ont raison de souligner la complexité des normes des fédérations : j'ai saisi du sujet Mme Spinosi, présidente du CNS.

Mme Bouchoux n'a pas tort de parler d'un système à bout de souffle. Si un club ne souhaite pas acquérir son stade, il faut au moins qu'il en assume la gestion afin de dégager des bénéfices qui lui éviteront de frapper à la porte des collectivités. Vous connaissez la position du Gouvernement sur Roland-Garros. L'environnement est privilégié, les serres d'Auteuil font partie du patrimoine parisien. Plutôt que de construire un nouveau stade, on rehaussera le court central actuel : cela devrait vous rassurer.

La proposition n°27 va trop loin : une politique sportive équilibrée relève de l'État. Oui, il faut garantir l'exemplarité du sport de haut niveau. M. Vincent sait tout ce qu'un club de haut niveau apporte à une ville. Reste qu'il faut parfois résister aux pressions qui s'exercent sur les élus.

Si, en début de saison, on connaît déjà le vainqueur du championnat, monsieur Néri, l'intérêt sera en effet limité ! Les ligues doivent réfléchir à l'importance de l'aléa sportif.

Afin de poursuivre le travail engagé, je vous propose de réfléchir au semi-professionnalisme car la plupart des joueurs vivent aujourd'hui dans la plus grande précarité. Pour les payer, on bricole... Nos clubs doivent retrouver leur compétitivité, il nous appartient de les aider car de nombreux emplois, au-delà des joueurs sur le terrain, sont en jeu.

La France peut s'enorgueillir de son combat contre le dopage et les dérives des jeux en ligne, de son système de contrôle de la gestion des clubs professionnels. Ce modèle vertueux pourrait être exporté...

Pour finir, je salue encore une fois le travail de MM. Savin et Mazars, qui inspirera les mesures, voire les textes que je pourrais être amené à présenter. (Applaudissements)

Organisme extraparlementaire (Nominations)

M. le président.  - Je rappelle que la commission des affaires étrangères et celle de la culture ont proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n'ayant reçu aucune opposition dans le délai d'une heure, je proclame Mme Hélène Conway-Mouret et Mme Claudine Lepage membres titulaires du conseil d'administration de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.

CMP (Candidatures)

M. le président.  - La commission des affaires sociales a procédé à la désignation des candidats à une éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées. Cette liste a été publiée conformément à l'article 12, alinéa 4, du Règlement et sera ratifiée si aucune opposition n'est faite dans le délai d'une heure.

La séance, suspendue à 16 h 55, reprend à 17 heures.

Débat sur les agences régionales de santé

M. le président.  - L'ordre du jour appelle un débat sur les agences régionales de santé à la demande de la commission des affaires sociales et du groupe UMP.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales .  - Je me félicite que nous abordions la question de l'organisation et du fonctionnement des agences régionales de santé (ARS), quatre ans après leur mise en place.

Au regard de l'étendue de leurs compétences, les ARS sont devenues des acteurs essentiels, pour ne pas dire incontournables, de la mise en oeuvre des politiques de santé, au détriment de la démocratie sociale et sanitaire. MM. Le Menn et Milon ont formulé des propositions constructives après un travail fructueux au sein de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat (Mecss), sous l'autorité d'Yves Daudigny, qui ne peut malheureusement pas être parmi nous aujourd'hui. J'espère qu'elles seront reprises comme l'ont été nos propositions sur la tarification hospitalière avec le récent aménagement de la T2A.

À la veille de la finalisation d'un projet de loi de santé publique annoncé de longue date, je souhaite que nos recommandations relatives aux ARS, aux taxes comportementales ou encore à l'accès aux soins des plus démunis connaissent le même succès. Nous aurions aimé être plus étroitement associés à la préparation de ce texte majeur qui mobilise le ministère depuis plusieurs mois. Je m'inquiète du possible transfert de la gestion des risques aux ARS, qui viderait de son sens notre sécurité sociale.

Les rapporteurs ont donné priorité à l'amélioration du climat social et au renforcement de la transparence du fonctionnement des ARS, à l'association des élus à leur gouvernance et à la démocratie sanitaire. Je leur laisse la parole.

M. Jacky Le Menn, rapporteur de la commission des affaires sociales .  - Ce rapport est le fruit d'une année de travaux de la Mecss. Il y a cinq ans, les débats sur la loi HPST ont été vifs, sans que les ARS aient alors particulièrement fait polémique. Nous avons recherché des pistes d'amélioration pouvant faire consensus : j'y insiste.

Contrairement aux anciennes ARH, les ARS ont été conçues pour assurer le pilotage du système de santé, dans un objectif de meilleure efficience des politiques de santé, de territorialisation de celles-ci et de décloisonnement. Regroupant sept organes préexistants, les ARS ont simplifié le paysage administratif sans entraîner de rupture dans l'exercice de leurs missions. Sans remettre en cause l'esprit de la loi, nous appelons à une évolution des pratiques, afin d'opérer définitivement ce basculement.

La création des ARS visait à faire travailler ensemble des agents aux habitudes et cultures professionnelles différentes. Avons-nous réussi à bâtir cette maison commune ? Si les dirigeants sont enthousiastes, le personnel exprime un malaise profond. Les différences de salaires et d'organisation de travail qui subsistent sont sources de frustrations. Le malaise est encore plus grand pour les médecins et pharmaciens inspecteurs de la santé publique, appelés à exercer des missions transversales de conduite de projet. Tous les métiers sont plus ou moins touchés. Or les personnels n'ont pas été préparés ni accompagnés. À cela s'ajoutent les restrictions d'effectifs.

La création d'un statut propre aux ARS déstabiliserait encore plus les agents. Nous proposons plutôt d'harmoniser les rémunérations et les conditions de travail, d'améliorer la fluidité des parcours, de mieux prévenir les risques psycho-sociaux, de donner toute leur place aux organisations représentatives du personnel. Tout cela pour renforcer la confiance des personnels dans leur institution et leurs perspectives de carrière.

Pour améliorer le pilotage, nous recommandons l'intégration des agences sanitaires telle que la HAS, l'ANSM et l'Anses au sein du Conseil national de pilotage. Ce dernier doit prendre pleinement sa place dans le pilotage des ARS, tenir véritablement le rôle de catalyseur alors qu'il est aujourd'hui un filtre entre les ARS et les directions centrales, celles-ci ne se coordonnant guère. Nous plaidons pour davantage de subsidiarité.

La loi HPST a confié au secrétaire général des ministères sociaux le pilotage des ARS, qui ne correspond pas à ses missions traditionnelles. Il nous paraîtrait préférable de nommer un secrétaire général à la santé et à l'autonomie chargé de présider le conseil national de pilotage qui disposerait d'un pouvoir hiérarchique sur les directions « métier » du ministère. Nous souhaitons aussi que les contrats d'objectifs et de moyens soient recentrés sur la stratégie et prennent plus en compte les spécificités territoriales.

Les directeurs généraux d'ARS, parfois qualifiés de préfets sanitaires, ne sont actuellement responsables que devant le ministre, d'où un sentiment de recentralisation alors que la création des ARS devait constituer une nouvelle étape dans la subsidiarité. Trop de choses dépendent de la personnalité du directeur général. Nous souhaitons plus de transparence : la lettre de mission du directeur général devrait être rendue publique. On verrait ainsi que leur mission va bien au-delà de la maîtrise de la masse salariale... Malgré les réticences probables du Gouvernement, je suis convaincu que cela contribuerait à la confiance.

La confiance, c'est justement le fil rouge de notre rapport. Espérons que la future loi de santé publique suivra dans cette voie. (Applaudissements)

M. Alain Milon, pour le groupe UMP .  - Le directeur général de l'ARS dispose de pouvoirs étendus, qui doivent être assortis de contrepouvoirs sans toutefois bloquer l'action publique. Or ni le Conseil de surveillance ni la Conférence régionale de la santé et de l'autonomie (CRSA) n'ont trouvé leur place. Le premier, présidé par le préfet de région, dispose de compétences limitées. Les représentants de l'État, qui disposent d'un droit de votre triple, peuvent empêcher le rejet du budget et des documents financiers ; nous préférerions la majorité simple à la majorité des deux tiers. Nous demandons aussi que le Conseil de surveillance puisse se saisir de tout sujet dans le champ de compétence de l'agence et se prononcer sur l'ensemble des documents que comporte le plan régional de santé. Sa composition doit aussi être revue, et sa présidence revenir à un élu local : il y gagnerait en légitimité pour peser à côté du directeur général.

La France n'a pas l'habitude de la démocratie sanitaire. Or la loi HPST a créé les conférences régionales de la santé et de l'autonomie dont la large composition est gage de diversité et de pluralisme. Leurs compétences sont vastes : elles peuvent faire toutes propositions au directeur général de l'ARS et organiser des débats publics. Sont-elles parvenues à influer sur le contenu des projets régionaux de santé ? Dans l'ensemble, le bilan est satisfaisant, encourageant, même si les plans régionaux de santé devront être allégés. Les CRSA doivent devenir le lieu privilégié de la démocratie sanitaire, ce qui suppose qu'elles disposent librement de leurs moyens financiers. Elles doivent aussi avoir le temps d'étudier les documents transmis par les ARS...

Pour rationaliser les choses et éviter les doublons, il faudrait rendre facultative la constitution des conférences de territoire là où un contrat local de santé n'a pas été conclu.

Les CRSA sont un maillon indispensable pour une relation de confiance, en particulier dans le domaine médico-social, ou les compétences des ARS et des conseils généraux. Dans certaines régions, les ARS apparaissent trop éloignées des réalités locales, le dialogue est difficile avec les élus.

Le champ de compétences des ARS, s'il est très large, est cohérent. L'extension au médico-social et à la médecine ambulatoire est indispensable à partir du moment où le système de santé est organisé autour du parcours de santé. L'élargissement à la veille et à la sécurité sanitaire se justifie si cette mission est correctement articulée avec la prévention. En revanche, les modalités d'exercice de leurs missions par les ARS doivent aller vers plus de simplicité, d'efficacité. Certaines de leurs tâches purement administratives, en particulier en matière de veille et de sécurité sanitaire, doivent être tout bonnement abandonnées. Aux ARS de se garder, en outre, de s'immiscer dans la gestion des établissements, qu'elles fassent confiance à leurs partenaires. Veillons à ne pas les embourber dans les contraintes procédurières.

La loi HPST fait des ARS les garantes de la mise en oeuvre, à l'échelle régionale, de la politique nationale. Comment définir leur degré de liberté ? La réponse pragmatique consiste à procéder au cas par cas. Depuis 2012, les ARS disposent d'un outil de financement spécifique : le fonds d'intervention régionale, le FIR, doté de 3 milliards d'euros de crédits autrefois cloisonnés. Faut-il aller plus loin ? Les autoriser à fixer des tarifs de remboursement différents selon les régions ? Les esprits n'y sont pas prêts. Stabilisons le champ du FIR et ajoutons-y une perspective pluriannuelle. Transférer la totalité des crédits à gérer aux ARS est une piste à explorer. La dichotomie entre l'État et l'assurance maladie est une vaste question ; nous y reviendrons lors de l'examen du prochain projet de loi de santé publique. Il conviendrait de clarifier cette politique éparpillée et technocratique et de favoriser l'accès des ARS aux données de santé, dans un cadre protecteur des libertés publiques. La régulation des soins de ville est un chantier majeur. Les ARS disposent de très peu d'outils d'action.

La qualité des soins et le bien-être des patients exigent que les ARS conventionnent largement avec l'ensemble des professionnels de santé, pour dégager des enveloppes financières hors tarifs et honoraires.

La loi HPST a engagé une réforme profonde de notre système de soins. Il faut à présent faire davantage confiance aux acteurs de terrain en distinguant les rôles respectifs de l'État et de la sécurité sociale. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Marie Vanlerenberghe .  - Je félicite nos collègues pour leur excellent travail. La création des ARS a été une avancée majeure que notre groupe réclamait de longue date : le cloisonnement des structures, la mauvaise maîtrise des dépenses de soins, l'insuffisante articulation des niveaux de décision exigeaient cette réforme.

Le bilan des ARS est positif : elles ont été installées rapidement. Ce n'était pas gagné d'avance, vu leur complexité.

Mais, jeunes, elles sont très personnalisées par leur directeur général. Certains venaient de l'assurance maladie, d'autres du privé, d'autres encore de la fonction publique hospitalière. Leur qualité personnelle a beaucoup pesé dans la mise en place des structures. Cela pose la question de la démocratie sanitaire, parent pauvre de la réforme. Les disparités de représentation des différents acteurs sont patentes.

En 2009, nous défendions une démocratisation, en tempérant d'abord le pouvoir du directeur général dans le conseil de surveillance par l'élection du président du conseil de surveillance. Nous approuvons la solution avancée dans le rapport comme les propositions visant à rendre les décisions des ARS plus collégiales. Nous proposions aussi de faire de la conférence régionale de santé un organe de codécision avec l'ARS par le vote du projet régional de santé.

La relation entre ARS et collectivités peut s'appréhender sous l'angle de la distribution technique des missions. Dans quel sens la réforme territoriale va-t-elle bouleverser le système ?

Les liens entre ARS et État gagneraient également à être clarifiés. L'administration d'État n'a pas tiré toutes les conséquences de la création des agences régionales. Passons, ici aussi, d'une logique de prescription à la fixation d'orientations stratégiques analogue à celle de la Lolf. Sans cette révolution copernicienne, il n'est pas étonnant que la création des ARS ait eu un impact ambivalent, en particulier dans le médico-social où les directeurs généraux ont été vus comme des commissaires du Gouvernement répartissant des budgets contraints sans nécessairement rechercher la concertation.

Quant aux liens assurance maladie-État, le rapport ouvre de fructueuses perspectives. Qu'en ferez-vous, madame la ministre, dans le cadre de la stratégie nationale de santé ? (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs RDSE)

M. Jacques Mézard .  - Je remercie les rapporteurs pour la qualité de leur rapport. Son titre est juste : un déficit de confiance.

Lorsqu'on est parlementaire et président d'un exécutif local, car cela existe encore, ces problèmes sont connus.

Vous critiquiez hier la vision technocratique de la réforme HPST, madame la ministre. Vous aviez raison : l'ARS fait plus figure d'usine à gaz technocratique que de chef d'orchestre. L'accumulation des procédures pseudo-démocratiques ont révélé leurs méfaits.

Les élus locaux représentant les citoyens se voient privés des informations nécessaires. On ne saurait raisonnablement laisser les choses en l'état.

Les directeurs généraux d'ARS sont dotés de beaucoup de pouvoirs. S'il faut en user, d'aucuns en ont quelque peu abusé... D'autres, heureusement, ont une connaissance de la santé suffisante pour mener une politique non point seulement technocratique. Mais la démocratie fait toujours défaut. J'ai connu les conseils d'administration des hôpitaux, je suis actuellement au conseil de surveillance de l'ARS : j'espère que vous avez prévu des modifications substantielles de leur fonctionnement, madame la ministre, car la situation n'est plus tenable. (Applaudissements sur les bancs RDSE)

M. Christian Bourquin.  - Bravo !

Mme Aline Archimbaud .  - J'ai pris connaissance du rapport de la Mecss avec intérêt. Les lois que nous votons sont trop peu évaluées. La création des ARS était une réforme d'ampleur dont il convenait de dresser le bilan.

Manque de démocratie, démarrage difficile, distance avec le terrain, technocratie... Les ARS souffrent. Le rapport peint un tableau objectif et sans concession de leur création en 2009. Contrepouvoirs limités, malaises des personnels... Le constat est sévère.

Renforcer la régulation des soins de ville, démocratiser leur gouvernance, revoir le rôle du FIR, autant de propositions opportunes. J'ai moi-même formulé des propositions à l'attention du Premier ministre sur l'accès aux droits et aux soins des plus démunis, qu'on faciliterait en décloisonnant les champs sanitaire et social. Santé et social sont liés, les professionnels le savent. Ils sont néanmoins démunis. Quant aux médecins, ils sont aussi conscients des limites de ce cloisonnement, mais estiment ne pas être « des assistantes sociales ». Des programmes régionaux de santé et schémas régionaux des soins ont été mis en place, c'est vrai. Mais leur impact est limité.

Le premier axe d'amélioration réside dans les missions des ARS. « Et maintenant, on fait comment ? » se disent certains devant l'immensité de leur champ de compétences. L'aspect descendant des recommandations nationales n'encourage pas, en outre, l'innovation sur le terrain.

Les ARS doivent coordonner leurs actions avec les collectivités territoriales, très actives en matière de prévention ou d'aide aux étudiants boursiers.

Nous espérons que la prochaine loi de santé publique s'attaquera à ces deux volets. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Lenoir .  - À mon tour de féliciter Jacky Le Menn et Alain Milon pour leur remarquable travail.

M. Mézard trouve le titre du rapport révélateur. Il oublie sa première partie ; « Les ARS : une innovation majeure ». Vous l'aurez compris, je soulignerai les points positifs de la réforme de 2009.

Les ARS ont succédé, rappelons-le, aux ARH. La création de celles-ci inquiétait déjà. Nous y avons pourtant vu un rouage important de la politique de santé sur nos territoires. Cette politique a un coût, un prix ; d'où la nécessité de régulation.

Premier apport de la réforme, la territorialisation. Quel élu dans cet hémicycle pourrait se plaindre de disposer d'un représentant de l'autorité publique compétent sur son territoire ? Les circuits sont plus courts ; plus besoin de plaider la cause de son hôpital à Paris... Ensuite, le décloisonnement, sur lequel je ne reviens pas. Que penser du fonctionnement des ARS ? Elles doivent beaucoup à leur directeur général, c'est vrai. Mon expérience, qui n'est peut-être pas partagée, est d'avoir eu affaire à d'excellents directeurs. Le dernier est parti trop vite -on ne refuse pas une promotion ; son successeur, je n'en doute pas, fera aussi bien. La clé du succès, c'est le lien étroit entre l'autorité publique et les élus locaux. Je le dis sans fard, ceux-ci sont jugés sur leur capacité à faire fonctionner leurs hôpitaux. L'élu, plus que le directeur de l'hôpital, fera l'objet de sévères critiques de la population si un service vient à fermer. Les ingrédients de la confiance sont désormais là. Le déficit de confiance pointé dans le titre du rapport ne doit pas tromper le lecteur ; il doit se lire autrement.

L'autorité du directeur général doit être maintenue. Or, l'organisation du ministère et celle de la politique sur le terrain sont en décalage : il faut y remédier.

Reste qu'il revient au ministère de fixer les orientations stratégiques. Ce n'est pas toujours évident : le directeur général est fondé à s'impliquer dans la politique menée, à faire remonter des requêtes. Il n'en reste pas moins un exécutant.

Transférer la gestion des crédits de l'assurance maladie aux ARS s'impose. Il faut en outre donner aux agences les moyens humains nécessaires pour fonctionner.

Une réforme territoriale s'annonce. En Normandie, la fusion des régions consanguines nous convient. Mais, dans la méga-région centre, comment le directeur général de l'ARS fera-t-il ?

Les élus revendiquent plus de responsabilité dans la prise de décision. Il faut leur fournir les informations essentielles, dont ils sont aujourd'hui privés.

Les CRSA et les conférences territoriales sont insuffisamment articulées pour que la politique menée soit parfaitement cohérente.

Pour finir, je relaie l'inquiétude des Sdis, qui ignorent vers qui se tourner faute d'obligations de concertation suffisamment claires.

Prenez garde, madame la ministre, les politiques que vous menez risquent d'être battues en brèche par l'élargissement sans fin des régions... (Applaudissements à droite)

Mme Laurence Cohen .  - Décloisonner la gestion de l'offre de soins est évidemment souhaitable. Malheureusement, les ARS ont surtout cherché la réduction de l'offre, que la baisse de l'Ondam illustre parfaitement.

Si l'échelon local est pertinent, c'est la conception même des ARS qui pose problème.

Elles étaient, rappelons-le, le bras armé de la loi HPST, véritable RGPP de la santé conçue pour transformer l'hôpital en entreprise.

Les réductions drastiques des dépenses de santé, conséquence de cette idéologie, n'ont pas été remises en cause par le nouveau gouvernement. Cela devrait faire l'objet d'un autre rapport, qui serait fondé à analyser également le bien-être au travail et la démocratie sanitaire.

Les directeurs généraux des ARS sont des superpréfets sanitaires aux pouvoirs exorbitants, sans contrepouvoirs. Le conseil de surveillance n'est qu'une coquille vide. Nous partageons donc les propositions relatives à la transparence. Voyez le résultat de la politique actuelle : l'ARS décide le transfert de la maternité des Lilas à Montreuil, au mépris de la spécificité du projet aux Lilas, de l'avis des organisations représentatives, des personnels et des élus, de l'engagement du président de la République. Voyez l'Hôtel-Dieu, le combat autour du maintien de la chirurgie cardiaque à Henri Mondor, dans le Val-de-Marne. Il faut en finir avec les conceptions technocratiques des ARS.

Remplaçons le conseil de surveillance par un conseil d'administration, sans voix prépondérante, fonctionnant selon une logique ascendante.

Le statut même des ARS pose problème : structure de droit privé, elle exerce pourtant une mission régalienne et gère l'argent socialisé.

Nous nous étions prononcés pour une séparation entre gestion des risques et régulation de l'offre de soins. La logique initiale de l'assurance maladie et l'esprit du conseil national de la Résistance sont désormais bien loin.

Renforçons le rôle des élus locaux, via les CRSA, en en faisant le lieu d'élaboration de la stratégie locale. Instaurons des instances tripartites usagers-professionnels-élus pour faire contrepoids aux directeurs généraux d'ARS, à chaque niveau.

Si la création des super-régions allait à son terme, la logique de proximité n'aurait plus aucun sens. Elle doit pourtant primer sur la logique comptable. (Applaudissements sur les bancs écologistes et CRC)

M. Maurice Antiste .  - Ce débat relève d'une heureuse initiative. Les missions dévolues aux ARS sont efficacement mises en oeuvre dans un cadre participatif. Toutefois, les difficultés demeurent nombreuses. Le contrôle de légalité en matière d'hospitalisation pourrait être assuré directement par les préfectures. En revanche, le pouvoir de réquisition pour faire fonctionner les maisons médicales de garde devrait revenir au directeur général de l'ARS, non au préfet.

Une mise en cohérence s'impose également sur la formation : elle ne concorde pas avec la planification de l'offre de soins. La gestion des crédits Handicap relève des ARS et des conseils généraux : il faut aller au bout de la décentralisation.

La fongibilité des crédits entre sanitaire et médico-social est parfois bloquée par le fléchage des crédits. Assouplissons leur gestion.

Le personnel de la cellule interrégionale d'épidémiologie relève de l'autorité scientifique de l'Institut national de veille sanitaire ; intégrons ce personnel à l'ARS pour éviter les dysfonctionnements.

L'assurance maladie dispose d'un système informatique autonome. Une interconnexion des systèmes s'impose pour que l'ARS puisse exploiter toutes les données.

Les différences de statuts des personnels des ARS, issues de la fusion de divers organismes, vont avec une diversité des grilles de rémunération et des avantages : une harmonisation s'impose. A la Martinique, dans un contexte économique et social particulier, les conflits sociaux sont fréquents et longs, ce qui nuit à la continuité de la politique des soins, particulièrement pour les personnes âgées, les dyalisés et les insuffisants respiratoires.

L'attractivité de nos savoir-faire dans le bassin caribéen entraîne un surcroît de travail. Les infrastructures destinées aux seniors sont trop peu nombreuses. Le poids de l'aide sociale -un quart de la population bénéficie de la CMU- grève les budgets d'investissement des collectivités dans le sanitaire et le médico-social. Enfin, les médecins libéraux sont insuffisamment nombreux. Tous ces éléments appellent des réponses madame la ministre. (Applaudissements sur tous les bancs)

M. Raymond Vall .  - Je n'ai pas d'animosité particulière contre les ARS. Dans ma région de Midi-Pyrénées, tout se passe plutôt bien. En revanche, je n'avais pas voté la loi HPST pour défendre les hôpitaux locaux. Mme Roselyne Bachelot m'ayant assuré qu'on ne leur enfilerait pas « des brodequins d'acier », j'avais retiré mon amendement.

Quelle est la situation ? L'application de la T2A, maintes fois reportée, menacera 290 hôpitaux locaux sur 320 ! Ces chiffres de la Cour des comptes sont accablants : 10 % d'économie et 2 300 emplois menacés. Résultat, plus d'hôpitaux de proximité pour les personnes âgées, plus de service d'accueil spécialisé pour récupérer d'une opération.

Madame la ministre, je n'irai pas par quatre chemins : on va vers une désertification de nos bassins de vie ruraux. D'autant que si les hôpitaux locaux disparaissent, les médecins libéraux quitteront nos territoires. Une nouvelle fois, madame la ministre, je vous invite à nous rendre visite. (Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, n'apprécie guère) Oui, la santé est bien une mission régalienne qui doit être remplie également sur tout le territoire ! (Applaudissements sur les bancs RDSE et à droite)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé .  - Comment répondre aux besoins sanitaires de nos concitoyens au plus près du terrain ? Voilà la question posée aujourd'hui. Je salue votre initiative et la qualité du travail de MM. Le Menn et Milon ; personne ne s'en étonnera, ce sont tous deux de grands connaisseurs du monde de la santé. Leur rapport souligne les limites de la réforme bien sûr, mais aussi ses mérites.

La création des ARS ne tombe pas du ciel, des jalons avaient été posés dès 1991 et lors de la mise en place des schémas régionaux d'organisation sanitaire. Depuis deux ans, ce gouvernement a mis les ARS au service de la modernisation du système de santé. Leur rôle est de renforcer la territorialisation et le décloisonnement. Ce qui leur vaut, madame Cohen, un statut spécifique puisqu'elles déclinent une politique nationale tout en répondant à des besoins locaux. Mais la question essentielle n'est pas celle du statut, c'est celle de l'objectif poursuivi. Nous devons aller plus loin, raison pour laquelle je veux un nouveau projet de loi.

Les 9 000 agents des ARS -leur effectif va de 77 en Guyane à 1 200 en Ile-de-France- accomplissent des missions qui vont de la veille à la sécurité sanitaire, la prévention, la santé environnementale, la régulation de l'offre de soins, le suivi des professionnels jusqu'à l'animation des instances de démocratie sanitaires. Ils sont médecins, pharmaciens, ingénieurs, inspecteurs, contrôleurs de gestion. Cette diversité de leurs parcours administratifs fait leur richesse et parfois leurs difficultés.

Les ARS ont mis en oeuvre une stratégie nationale de santé et le pacte territoire santé, avec un bloc d'objectifs spécifiques pour l'outre-mer, monsieur Antiste. Je salue leur implication dans l'attribution de bourses aux étudiants en médecine en contrepartie de l'engagement d'exercer en zone sous-dotée, et le déploiement des praticiens territoriaux. J'ai le plaisir de vous annoncer que 400 nouveaux contrats, dont beaucoup avec de jeunes femmes, seront signés cette année, preuve du succès de ce dispositif.

La coordination des médecins urgentistes des hôpitaux et des Sdis est fondamentale dans l'organisation des soins d'urgence. Mon directeur de cabinet a reçu aujourd'hui les représentants des pompiers. Nous aboutirons bientôt.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Le premier enjeu, je le disais, est le décloisonnement des politiques de santé. On se souvient des débats à l'Assemblée nationale...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Oui, je me souviens de vos propos, nous étions tous deux députés.

Mme Marisol Touraine, ministre.  - ... et au Sénat. On voulait en finir avec l'organisation en silo. Je maintiens mon discours d'alors : nous devons porter le décloisonnement plus loin, la réforme de 2009 était par trop technocratique. Les ARS répondaient alors plus à une logique administrative qu'à la construction d'une logique de santé fondée sur le décloisonnement. Cela dit, j'en avais voté la création.

Les hôpitaux locaux, M. Vall ne l'ignore pas, font l'objet d'une adaptation de la T2A dans la loi de financement de la sécurité sociale, en fonction du parcours de soins, ce qui, d'ailleurs, est tout à fait essentiel pour conserver le service public hospitalier, madame Cohen. En tout cas, les hôpitaux locaux sont, pour moi, essentiels. Sans quoi, on ne peut pas demander à des médecins libéraux de s'installer dans des zones moins bien pourvues.

Je partage votre souci d'un meilleur pilotage des ARS, monsieur Le Menn. J'ai créé un poste de secrétaire général adjoint et de chef de service...

Mme Marisol Touraine, ministre.  - ....chargé du pilotage de la stratégie nationale de santé et des ARS. Comme vous, je veux renforcer le conseil national de pilotage et les CRSA.

Oui, il faut stabiliser le champ de compétences des ARS et leur adresser une feuille de route claire. Et, pour rassurer Mme Archimbaud, je considère l'accès aux soins des plus démunis non pas comme un nouvel axe mais comme un axe fort de l'action des ARS. Le prochain contrat d'objectifs et de moyens devra mieux définir leurs orientations stratégiques et opérationnelles. Une remise à plat de leurs missions est à l'étude, en appui à la simplification et à la modernisation des processus de travail.

Donner plus de marges de manoeuvre aux ARS est fondamental pour qu'elles puissent innover : aussi ai-je assoupli et abondé le fonds d'intervention régional qui est doté de 3,4 milliards et bénéficie d'une plus grande visibilité institutionnelle puisqu'il devient un sous-objectif de l'Ondam. J'ai créé un groupe de travail pour réfléchir au transfert de sa gestion administrative, que vous recommandez.

Les ARS paient effectivement les frais de regroupements trop rapides entre agents de l'assurance maladie et fonctionnaires d'État. J'ai insisté sur l'amélioration du management, la fluidité du parcours. Le renforcement du dialogue social est, pour moi, une priorité. D'ores et déjà, les directeurs généraux se mobilisent avec des conventions locales.

En matière de gouvernance, la stabilité doit prévaloir. Je ne suis donc pas favorable à une modification des conseils de surveillance. En revanche, je fais mienne votre préoccupation d'une plus grande implication des collectivités. Je veillerai, monsieur Lenoir...

M. Jean-Claude Lenoir.  - Je suis inquiet pour vous, madame la ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre.  - Tranquillisez-vous, je suis sereine.

Je disais donc que je veillerai à préserver l'échelon de proximité dans la réforme territoriale, même si l'échelon départemental n'est sans doute plus adapté. Approfondissons la démocratie sanitaire à travers les CRSA, qui ont fait la preuve de leur intérêt.

Pour conclure, merci de ce travail sur les ARS. J'espère que nous continuerons à bâtir ensemble une politique de santé au plus près des territoires. (Applaudissements sur les bancs socialistes, écologistes et du RDSE)

CMP (Nominations)

M. le président.  - Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à adopter des mesures législatives pour la mise en accessibilité des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d'habitation et de la voirie pour les personnes handicapées, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.

La liste des candidats a été publiée ; je n'ai reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 12 du Règlement. En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire, membres titulaires : Mmes Annie David, Claire-Lise Campion, Jacqueline Alquier, M. Ronan Kerdraon, Mme Catherine Procaccia, MM. Jean-Pierre Vial et Vincent Capo-Canellas ; membres suppléants : Mme Aline Archimbaud, M. Gilbert Barbier, Mme Marie-Thérèse Bruguière, M. Yves Daudigny, Mmes Anne Emery-Dumas, Catherine Génisson et M. René-Paul Savary.

Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

Modification à l'ordre du jour

M. le président.  - Conformément au souhait des auteurs de la proposition de résolution tendant à modifier le Règlement du Sénat afin de rééquilibrer la composition des commissions permanentes, M. le président de la commission des lois, par lettre en date de ce jour, a demandé le retrait de ce texte de l'ordre du jour de la séance du lundi 16 juin. En conséquence, l'ordre du jour de la séance du lundi 16 juin s'établit comme suit :

À 15 heures et le soir :

- Proposition de loi visant à créer des polices territoriales et portant dispositions diverses relatives à leur organisation et leur fonctionnement.

La séance est suspendue à 19 heures.

présidence de Mme Christiane Demontès,vice-présidente

La séance reprend à 21 h 30.

Débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, à la demande de la commission de la culture.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture .  - La mission d'information consacrée aux Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (Éspé), constituée à la mi-novembre 2013, résultait de l'initiative de Mme Bouchoux ; elle a été présidée par Mme Mélot et rapportée par M. Magner. Il fallait s'assurer de la bonne mise en oeuvre de dispositions contenues dans la loi de refondation de l'école. La rénovation des contenus de formation devaient faire leur place aux enseignements transversaux, à la promotion de la laïcité et de l'égalité et à la lutte contre les discriminations, à la résolution des conflits, à la prise en compte des difficultés scolaires dans la démarche d'apprentissage. La participation dans les équipes de formateurs d'une pluralité d'intervenants issus du terrain ou de l'éducation populaire était prévue.

Comment les Éspé s'organisent-elles ? Comment les ressources humaines de l'université et de l'Éspé se croisent-elles ? Comment les thèmes transversaux sont-ils pris en compte ? Comment les nouveaux objectifs pédagogiques sont-ils poursuivis, au-delà des oppositions traditionnels entre l'académique et le professionnel, entre le premier et le second degré, entre les enseignants et les autres professionnels de l'éducation, notamment les CPE ?

Les enseignements transversaux doivent faire l'objet d'une évaluation concrète lors des concours. Le Sénat a voulu promouvoir une école ouverte sur l'extérieur, collaborative, coopérative, et non plus compétitive. Il n'y aura pas de refondation de l'école sans réforme de la formation des enseignants ni école coopérative si ces derniers ne donnent pas l'exemple. Dans certains domaines, il faut nécessairement avoir recours à des intervenants extérieurs : environnement, technique, culture scientifique ; l'apport de chercheurs, d'universitaires, de professionnels est incontournable...

La commission veut voir émerger de nouvelles générations de professeurs motivés, capables de former, dans un dialogue bienveillant avec les parents et constructif avec les élus, des jeunes femmes et jeunes hommes imaginatifs, créatifs, afin que l'école de la République ne soit plus, comme le dit Pisa, la plus inégalitaire d'Europe. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur de la commission de la culture .  - L'objectif de la mission d'information était de suivre pas à pas la première année de mise en place des Éspé. Nous sommes encore au milieu du gué ; le nouveau parcours de formation des enseignants ne sera entièrement installé que l'année scolaire prochaine.

Créées en lieu et place des IUFM, les nouvelles Éspé sont destinées à parachever l'universitarisation de la formation des enseignants et à reprofessionaliser les parcours de formation après que celle-ci a pâti de la suppression de l'année de stage sous le gouvernement précédent.

Des discussions ont été entamées dans chaque académie dès décembre 2012. Les présidents d'université s'inquiétaient de leur manque de moyens ; certains universitaires s'interrogeaient sur l'universitarisation effective de la formation et de la place accordée à la recherche. Les étudiants, de leur côté, demandaient en priorité, en M1, une préparation solide aux concours, craignaient pour le nombre d'heures de formation et la baisse du budget des Éspé par rapport à celui des IUFM.

L'éducation nationale ne pouvait demeurer coupée du suivi et du contrôle de la mise en place des Éspé, dont la création a coïncidé avec une recomposition majeure du paysage universitaire née de la loi ESR du 22 juillet 2013. Inquiétudes et tensions étaient compréhensibles.

Les dossiers d'accréditation ont été de qualité inégale. Trente Éspé ont été accrédités le 30 août 2013, quatre ne l'étant que pour un an et les trois Éspé d'outre-mer faisant l'objet d'un accompagnement spécifique.

Les instances de gouvernance ont été mises en place : les conseils d'école des Éspé ont été installés, avec des problèmes, parfois, pour assurer la parité ; les deux derniers directeurs, à Reims et Versailles, ont été nommés le 20 février 2014. Le processus, dans l'ensemble, a été rapide et fluide.

Les nouvelles Éspé doivent devenir le lieu du dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre IUFM et universités et travailler à bâtir un esprit d'école partagé. Or, l'intégration des Éspé dans le tissu universitaire reste très variable selon les académies, selon les rapports de force passés entre université et IUFM. L'antériorité de la collaboration est un facteur important de réussite de la réforme -c'est le cas à Clermont-Ferrand. Une certaine inertie historique prolonge les tensions anciennes. Or, pour conjuguer les dimensions académiques et professionnelles, des collaborations étroites sont indispensables ainsi que l'effacement de la dichotomie entre premier et second degrés. Seul un véritable tronc commun de formation peut créer une culture partagée entre primaire et secondaire. Les Éspé doivent, en outre, relever le défi de la présence effective au sein des équipes pluricatégorielles de formateurs professionnels venus du terrain. L'erreur à ne pas commettre, c'est de recruter des formateurs de terrain hors-sol, qui n'auraient plus de liens réels avec les élèves. Le ministère de l'éducation a engagé une réflexion sur la constitution d'un vivier renouvelé de professeurs formateurs académiques (PFA) pour le second degré, disposant d'un statut et de missions propres calqués sur ceux des professeurs des écoles maîtres formateurs (PEMF). Enseigner est un métier qui s'apprend ; former s'apprend aussi... Il est nécessaire de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs.

Trois Éspé ont d'ores et déjà été constituées en composantes d'une communauté d'universités et d'établissement (Comue) ; quatre Éspé ont été constituées en composantes d'une grande université, résultant d'une fusion d'établissements ; neuf Éspé ont été constituées en composantes d'une université qui accueillait historiquement en son sein l'IUFM mais qui est partie prenante d'une Comue académique ; dix Éspé ont été constituées en composantes d'universités parties prenantes des Comue inter-académiques ou transfrontalières.

Afin de permettre aux Éspé de disposer d'une vision consolidée de leurs besoins, il convient de clarifier les conditions d'inscription des étudiants aux parcours de formation des enseignants. Une centralisation de l'inscription pédagogique de l'ensemble de ces étudiants au niveau de l'Éspé, complétée par une inscription administrative à l'UFR partenaire concernée, est incontournable.

La question des moyens est cruciale. Aux termes de la loi de refondation de l'école, chaque Éspé dispose d'un budget propre. Les ministres compétents ont la faculté de flécher au profit de l'Éspé, au sein de la dotation globale attribuée aux universités, les moyens humains et financiers qu'ils estiment nécessaires pour assurer une formation de qualité des enseignants. La DGESIP a confirmé le principe de sanctuarisation des supports budgétaires des postes lors de la transformation de l'IUFM en Éspé mais il a été diversement respecté selon les établissements lors de la mise en oeuvre du droit d'option des personnels. Afin d'assurer un financement soutenable de l'Éspé, l'établissement d'un contrat d'objectifs et de moyens est incontournable.

S'agissant des maquettes de formation, seule l'année de M1 est mise en place et les discussions sur l'année de M2 continuent dans chaque Éspé. Certains responsables d'Éspé étudient différentes options à proposer aux étudiants ayant validé leur M1 mais qui ne sont pas lauréats du concours, les « reçus collés » : soit redoubler leur M1 afin de suivre une « prépa concours » intensive pour ceux qui le souhaitent ; soit s'insérer en M2 au prix d'une réorientation, le M2 étant alors organisé selon un parcours en Y, une branche pour les lauréats du concours en M2, et une autre pour offrir une réorientation sur un ou deux semestres à des effectifs réduits de candidats non admissibles vers des métiers autres que l'enseignement, médiateur scientifique, animateur, éducateur ou intervenant en activités périscolaires...

Concernant les maquettes de formations, la loi pour la refondation de l'école établit un certain nombre de prescriptions concernant les nouveaux champs de formation auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés, notamment la résolution pacifique des conflits, la sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations ou la prise en compte de la difficulté scolaire dans le contenu des enseignements et la démarche d'apprentissage. Ces thèmes font partie du tronc commun de formation Le collectif des associations partenaires de l'éducation (Capé) rappelle l'apport des associations culturelles, artistiques et d'éducation populaire dans ces différents domaines.

Sur proposition de la présidente de la mission d'information, Mme Colette Mélot, il me semble également indispensable d'appeler au développement de l'éducation à l'Europe, à son histoire, à sa diversité culturelle et à la notion de citoyenneté européenne. Le renforcement de l'éducation à l'image, au cinéma, à internet et aux réseaux sociaux est également incontournable, ainsi que la formation à la laïcité et à la morale laïque.

La formation aux outils et ressources numériques constitue l'autre défi majeur. Les Éspé de l'académie de Clermont-Ferrand et de Créteil sont en pointe sur ce sujet. (On félicite l'orateur sur divers bancs) Les Massive Open Online Courses (MOOC) initient les lycéens à l'enseignement supérieur, il convient de sensibiliser les professeurs de lycée à l'utilisation de cet outil pédagogique innovant. La plateforme France Université Numérique propose ainsi un MOOC intitulé « Enseigner et former avec le numérique », que plusieurs Éspé ont décidé d'exploiter.

Examinons la possibilité de rationaliser la préparation au certificat d'aptitude au professorat des lycées professionnels (CAPLP) afin d'éviter un éparpillement des masters à très faibles effectifs. On peut imaginer l'émergence de grands pôles pour coordonner la formation au CAPLP par des coopérations inter-académiques.

Les conclusions et les préconisations du groupe de travail sur le pré-recrutement des enseignants, que nous avons présentées en février 2013, sont toujours d'actualité. Il faut engager le processus d'acculturation en licence en prenant soin d'articuler dès l'origine l'académique et le professionnel, mettre à profit les cinq années d'études et non plus seulement les deux années qui suivent la licence.

Des formes de pré-recrutement contribuent à diversifier le vivier des futurs enseignants en touchant les milieux populaires. C'est le cas des emplois d'avenir professeur (EAP). Sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, 8 000 ont été pourvus mais, derrière ce résultat global, se cachent d'importantes disparités régionales.

Tel est le bilan que nous avons pu dresser de l'installation des Éspé, qui sont au coeur d'une réforme ambitieuse et tellement nécessaire. L'année 2014-2015 sera cruciale.

Je tiens, pour finir, à remercier tous ceux qui ont participé à nos travaux, à commencer par Mme Colette Mélot, qui a présidé la mission avec compétence et rigueur. Ce rapport est un bel exemple de co-construction. En moins de six mois, nous avons entendu plus de 120 personnes de tous horizons. Merci enfin à nos services. (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Je suis très préoccupée par la formation des enseignants, clé de la démocratisation scolaire. Dispenser des savoirs et former des citoyens émancipés : voilà la mission des enseignants, mise à mal par la mastérisation, comme je l'écrivais en 2012. Les étudiants, confrontés à un emploi du temps bien trop chargé, couraient à l'échec. L'enseignement est un métier de concepteur et non d'exécutant. Il faut apprendre à apprendre, à déceler les mécanismes de l'échec scolaire pour les déjouer. L'autre enjeu de la réforme était de mettre fin à la crise des vocations.

Quel bilan tirer des Éspé ? Elles ont dû se mettre en place rapidement, dans le bouleversement de la loi sur l'ESR et dans une situation d'austérité budgétaire, conséquence de l'autonomie des universités.

La crise de recrutement perdura : 1 800 postes n'ont pas été pourvus lors du concours exceptionnel, quand les effectifs d'élèves augmentent. En 2013, il manquait 3 622 emplois sur 8 781 ETP prévus selon la Cour des comptes. Cette crise, accélérée par la mastérisation, est d'abord due à la dégradation des conditions de travail. Réfléchissons à un pré-recrutement dès la licence.

Alors qu'on se proposait d'associer formation académique et professionnelle, les maquettes de master fondent, faute de moyens. Quant à l'alternance intégratrice, elle supposait des stages permettant un retour réflexif ; être sur le terrain ne suffit pas. Impossible aussi, pour les tuteurs, d'assumer leur mission sans décharge.

Seuls 17 % des lauréats sont issus des masters MEEF : c'est un paradoxe. Des règles trop rigides expliquent que des étudiants préfèrent ne pas valider leur M1, pour pouvoir redoubler...

Cadrage national, autonomie financière des Éspé et lien avec la recherche sont indispensables. Les bourses, cruciales, sont en diminution, ce qui inquiète... La formation continue est nécessaire afin d'assurer la pérennité des missions des enseignants. Prenons acte du travail réel et sincère accompli en un temps très court, sans craindre de réinterroger le contenu de la réforme pour porter les ambitions de la refondation de l'école, il y va de la formation de toute une génération d'enseignants. (Applaudissements sur les bancs CRC, écologistes et sur le banc de la commission)

Mme Françoise Laborde .  - La loi du 8 juillet 2013 a, enfin, remis l'école, sacrifiée ces dix dernières années, sur la voie de la réussite. La création des Éspé se justifiait tant par les résultats décevants des enquêtes internationales que par les aspirations des enseignants. La formation des maîtres avait été supprimée en 2010, alors que partout dans le monde, les dépenses d'éducation augmentent. Cela n'a fait qu'aggraver les inégalités sociales...

D'après une enquête de l'Unef parue la semaine dernière, 79 % des étudiants des Éspé sont insatisfaits, mais le constat est plus général. Certes, les Éspé n'en sont qu'à leurs débuts et leur mise en place est compliquée par la réforme en cours de l'université ; il faudra quelques années pour évaluer vraiment les résultats de la réforme.

Les deux années de MEEF sont très chargées, vu la place qu'y occupent les stages. Je salue les efforts des Éspé qui concilient préparation au concours, initiation à la recherche et professionnalisation, en veillant à ne pas répéter les erreurs du passé.

La mission s'interroge à juste titre sur une plus grande continuité entre licence et master ; une solution intéressante a été trouvée à Clermont-Ferrand. Quant aux « reçus-collés » en M1 qui ont échoué au concours, je suis en désaccord avec les propositions formulées : mieux vaudrait les autoriser à redoubler en M1 plutôt que de créer un M2 spécifique et coûteux préparant aux autres métiers de l'éducation nationale. Même si ces métiers n'exigent pas nécessairement un master, des passerelles seraient néanmoins intéressantes.

Les Éspé ne sauraient pâtir des difficultés budgétaires des universités, au risque de revoir à la baisse les ambitions de la loi pour la refondation de l'école et celles exprimées par le président de la République : « faire du service public de l'éducation une priorité du quinquennat ». (Applaudissements à gauche)

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur.  - Bravo !

Mme Colette Mélot .  - Six mois durant, la mission d'information a étudié la mise en place des Éspé, dans un esprit non partisan : j'en remercie le rapporteur Jacques-Bernard Magner.

Chacun est conscient de l'importance de cette réforme. Sa réussite reposera sur la qualité du dialogue avec les universités, qui devront rompre avec les préventions du passé.

Nos enseignants devraient être formés aux enjeux européens. C'est le moyen de redonner du sens à l'Union européenne et d'affronter la concurrence mondiale : ce n'est pas un hasard si l'Union s'est engagée dans la voie de l'économie de la connaissance. La recommandation 1833 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe sur l'enseignement des littératures européennes est plus que jamais pertinente. J'appelle aussi de mes voeux un « Erasmus pour tous » rassemblant toutes les actions éducatives européennes -c'était le sens de la résolution européenne adoptée à mon initiative par le Sénat en avril 2012.

Les futurs enseignants doivent aussi maîtriser parfaitement les outils numériques. Une option informatique ne suffit pas. (Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, approuve) Pourquoi les Éspé ne prépareraient-elles pas au certificat informatique et internet de niveau 2 ? Les initiatives sont nombreuses -il faut saluer celle de Clermont-Ferrand- et les moyens proviennent surtout des collectivités territoriales. Une meilleure coordination serait utile, au niveau local comme au niveau national, pour diffuser les bonnes pratiques.

Monsieur le ministre, quels seront les objectifs des futurs espaces Canopée ? À quelle hauteur le Gouvernement envisage-t-il de financer des projets numériques innovants dans le cadre du programme d'investissements d'avenir ?

Les MOOC sont en voie d'expansion, qui s'adressent à des publics divers et autorisent l'interaction avec les enseignants. Les futurs maîtres devraient y être formés. L'enseignement à distance doit aussi être valorisé pour faciliter la reconversion professionnelle ou la remise à niveau. L'académie de Créteil, à Melun et Torcy, a mis en place un tel enseignement pour préparer au concours de professeur du premier degré. Dans le domaine en pleine ébullition de la formation des enseignants, les initiatives mériteraient d'être encouragées. Si certains craignent le retour des IUFM, je reste convaincue que la formation des maîtres est indispensable pour faire reculer l'échec scolaire. Le Gouvernement doit en outre mener une politique de revalorisation du métier d'enseignant ; inspirons-nous de la Finlande, qui a su faire accéder la profession à la reconnaissance.

J'espère que nos travaux contribueront à la réflexion pour une mise en place harmonieuse des Éspé, structure d'un enseignement moderne. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs écologistes)

Mme Françoise Férat .  - La question de la formation des enseignants du premier degré, primordiale, commande d'agir avec responsabilité. Par la loi du 8 juillet 2013, les Éspé ont remplacé les IUFM. L'esprit de cette réforme est louable, mais la précipitation de sa mise en oeuvre, à marche forcée, a eu des effets...

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture.  - Ah non, c'était une bonne soirée !

Mme Françoise Férat.  - Attendez un peu... Notre mission d'information a fait des propositions, notamment sur le continuum des cursus, qui, je l'espère prospéreront. La licence ne doit pas être une étape désolidarisée au sein des cursus. Le M1, quant à lui, doit être professionnalisant ; on observe encore un hiatus pédagogique entre le contenu académique et professionnel des enseignements.

Nous appelons de nos voeux, avec Mme Gonthier-Maurin, l'innovation pédagogique. Elle passe par une meilleure intégration des personnalités extérieures, du numérique -on a, avec raison, beaucoup cité l'exemple de l'Éspé de Clermont-Ferrand. Réfléchir au statut des étudiants en M1 qui ont échoué au concours est une nécessité.

Je suis favorable à une intégration des Éspé aux universités. Les problématiques locales doivent être prises en compte ; quand des résistances historiques demeurent, nous devons laisser de l'autonomie aux Éspé.

Qui dit autonomie dit aussi autonomie financière. Certaines Éspé ont accusé une baisse de 30 % de leur budget par rapport aux anciens IUFM.

Le rapport de la mission est riche et fourni, j'en partage les recommandations. Puissent-elles être prises en compte par le comité de suivi de la réforme qui rendra prochainement son rapport. (Applaudissements à droite et sur les bancs écologistes ; M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur, applaudit aussi)

Mme Dominique Gillot .  - Je veux dire mon plaisir à participer aux travaux de la mission d'information. La refondation de l'école, initiée par M. Peillon et poursuivie par M. Hamon, est une question essentielle qui a fait l'objet de deux grandes lois du quinquennat : la loi du 8 juillet 2013 et celle du 22 juillet 2013 sur l'enseignement supérieur.

Aujourd'hui, les enseignants sont recrutés au niveau des ingénieurs. Depuis la suppression insensée des IUFM, il manquait une composante essentielle : la formation professionnelle.

Mme Françoise Cartron.  - Eh oui !

Mme Dominique Gillot.  - Beaucoup d'enseignants disent souffrir encore de cette réforme humiliante décidée pour des motifs purement budgétaires. (M. Jacques Legendre proteste) À l'heure de la mondialisation, il était urgent de repenser la formation des maîtres pour une école de la confiance, de l'estime de soi et de la bienveillance. Faire classe, aujourd'hui, suppose de différencier sa pédagogie, de travailler en équipe, d'user de toutes les technologies accessibles, d'ouvrir l'esprit des élèves et de dialoguer avec les parents : tout cela s'apprend, et c'est le rôle des Éspé.

Il fallait élargir le vivier des enseignants, en luttant contre la lente dévalorisation sociale de ce métier. La relation privilégiée entre maître et élève est affectée par l'introduction des nouvelles technologies et l'accélération du temps, il fallait la rééquilibrer par une formation des enseignants dispensée par des équipes pluridisciplinaires.

Les Éspé doivent dépasser les clivages anciens entre éducation nationale et enseignement supérieur. C'est pourquoi je défends l'intégration des Éspé dans les Comue.

La mastérisation ne doit pas étouffer l'innovation pédagogique, rien ne serait plus dangereux que d'exiger en priorité la « diplomation ». Une culture commune entre enseignants se destinant au primaire et au secondaire passe par la création d'un tronc commun. C'est ainsi que nous démentirons les résultats des enquêtes Pisa.

Rien ne serait plus dangereux non plus que des formateurs hors-sol qui n'ont pas connu la classe depuis de trop longues années. À cet égard, des disparités demeurent entre l'académie de Strasbourg et celle de Versailles, par exemple.

Avec les Éspé, il s'agit bien de construire un continuum depuis la maternelle jusqu'à l'université. Apprendre, c'est d'abord douter. Avec le numérique, source d'informations hétéroclites, les enfants apprennent le questionnement. Aux enseignants de faire office de médiateur, « de mettre de l'ordre dans le désordre », comme le dit Marcel Gauchet. Le renfort technologique serait aussi utile dans des académies étendues comme la Guyane.

La République refondera l'école, l'école refondera la République ; M. Peillon l'a bien expliqué. Le recteur tient un rôle central dans cette évolution, il doit siéger dans les conseils des Aspa.

Pour finir, quelques questions aux ministres. La loi est-elle bien appliquée ? Si un professionnel refuse d'être transféré de l'IUFM à l'Éspé, que se passe-t-il ? Les inscriptions en master progressent de nouveau mais aurons-nous les moyens d'encadrer les étudiants ? Quels critères pour les recrutements de formateurs numériques ? Enfin, quelle formation aux pratiques interdiciplinaires et à la démarche de projet ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur.  - Très bien !

Mme Corinne Bouchoux .  - Toutes les choses intelligentes et sensées ont été dites sur ce rapport. Même si la pédagogie est l'art de la répétition, je me contenterai de quelques questions. Le groupe écologiste était très satisfait de la création des Éspé. Elles sont structurantes mais non d'une intelligibilité folle pour le grand public et les partenaires étrangers. Que comptez-vous faire pour améliorer leur clarté ? Quel rôle pour les inspecteurs d'académie ? Qu'en est-il des expériences comme la main à la pâte, de la gestion non violente des conflits, de l'intervention des non-professionnels ? Il y va du continuum entre scolaire et périscolaire.

Quelle articulation entre cet établissement particulier qu'est l'école supérieure de l'éducation nationale (ESEN) et les Éspé ? Autre point, nous sommes encore dans un pays marqué par l'enseignement disciplinaire. Comment former mieux les enseignants autrement que par une pédagogie en silo ? Nous gagnerions à prendre pour modèle l'exemple de l'université de Louvain.

Enfin, comment, dans les Éspé, est-on certain qu'un enseignement sur l'égalité entre filles et garçons est assurée ? Le mot genre fait sens même s'il fait peur. Voilà les quelques questions que le groupe écologiste voulait poser.

Les Éspé ne sont pas seulement structurelles, elles sont structurantes. (Applaudissements à gauche)

Mme Françoise Cartron .  - Difficile de ne pas être redondant à cette heure après les collègues éminents qui nous ont précédés... Je tenterai donc de m'en tenir à quelques focus. Notre commission de la culture a fait preuve de réactivité en créant une mission d'information sur les Éspé peu après leur mise en place, à la suite de la loi de refondation de l'école et de la loi sur l'enseignement supérieur.

L'Éspé, une structure nouvelle, donc, dont le succès repose sur la convergence entre l'université, dont le rôle a été accentué avec la mastérisation, et l'éducation nationale qui fait la part belle à la formation par les pairs. Oui, l'Éspé doit être un lieu de dépassement des clivages ; cela vaut pour la formation des maîtres comme pour d'autres domaines. Les écoles, qui rassemblent tous ceux qui ont vocation à enseigner, doivent sortir de la dichotomie entre académique et professionnalisation, entre primaire et secondaire, s'appuyer sur des équipes multidisciplinaires, s'ouvrir à des personnalités extérieures -je pense à celles des associations culturelles, artistiques et de l'éducation populaire-, promouvoir l'égalité des sexes, la lutte contre les stéréotypes, l'accueil des élèves handicapés. À ce propos, où en est-on de la parité dans les instances de gouvernance des Éspé ? Alors que les femmes représentent 82 % des enseignants du primaire, 58 % des enseignants du secondaire, il y a 100 % d'hommes à l'Éspé de Bordeaux... On ne peut pas enseigner la parité, qui a d'ailleurs fait l'objet d'une loi, sans la mettre en oeuvre.

Cette réforme, comme celle des rythmes scolaires, vise à faire travailler ensemble des acteurs qui n'en avaient plus l'habitude. Ce rapport participera à diffuser les bonnes pratiques. Cela dit, tout ne sera pas parfait à la rentrée. Il faudra du temps et de la continuité pour améliorer les choses.

Il en va de même pour l'acculturation dès la licence et les emplois d'avenir enseignants : 8 000 seulement sur 10 000 ont été pourvus avec d'importantes disparités régionales. Nous devons poursuivre ce mouvement car la mixité sociale doit être effective parmi les élèves comme les enseignants.

Formation initiale et continue des enseignants, formations des échelons administratifs au sein de l'Esen, tout cela forme un continuum. Je le souligne dans mes rapports depuis deux ans : il faut réformer l'Esen chargée de former les directeurs d'établissement et les inspecteurs d'académie car le contrôle de l'application des textes prend trop souvent le pas sur l'accompagnement du changement. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ?

Il y a quelque temps, vous étiez à Melun. Quel est le ressenti des étudiants des nouveaux masters ? Il faut redonner aux jeunes l'envie de s'engager dans ce beau métier, dont la place est et restera essentielle dans notre société. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Legendre .  - Je serai rapide et modeste, tout ayant été dit par mes éminents collègues. (Sourires) Les travaux de la mission d'information ont été sans a priori mais aussi sans complaisance, dans une ambiance consensuelle dont je remercie la présidente Mélot et le rapporteur Magner. Ne nous y trompons pas, l'adoption de ce rapport ne signifie pas un satisfecit délivré à la réforme, dont nous souhaitons évidemment le succès.

La transformation en Éspé n'a pas entraîné une meilleure représentation des femmes au sein des instances de gouvernance, si bien que l'on peut s'interroger, comme Mme Cartron, sur l'intérêt de textes destinés à promouvoir la parité...

Mme Françoise Cartron.  - Je ne m'interroge pas, je la réclame!

M. Jacques Legendre.  - L'intégration des Éspé au paysage universitaire, qui pose parfois problème, est facilitée lorsque l'IUFM entretenait de longue date de bonnes relations avec l'université, comme à Clermont-Ferrand.

Notre mission d'information recommande la généralisation d'un tronc commun entre primaire et secondaire, qui existe pour l'heure dans deux tiers des Éspé seulement.

Concernant le contenu des maquettes, elles font la part belle à la résolution des conflits ou encore à la promotion de l'égalité. Veillons au respect du cadre national de formation. Une marge de manoeuvre est utilement laissée, la présidente Mélot a insisté sur la promotion de l'Europe, qui fera émerger une conscience européenne. L'apprentissage des outils numériques, s'il est coûteux, est indispensable.

La liberté pédagogique, on s'attendait à ce que je le réaffirme, doit être respectée ; les Éspé ne doivent pas former tous les enseignants dans un même moule. Il n'y a pas une pédagogie mais des pédagogies.

Enfin, ne répétons pas les erreurs du passé. Les formateurs en Éspé doivent régulièrement retrouver contact avec le terrain.

Au lendemain de l'enquête Pisa, il fallait effectivement revoir la formation des maîtres, mais aussi mieux reconnaître leur statut. Malheureusement, on a privilégié la quantité des postes sur leur qualité, contrairement à la Finlande. L'échec scolaire se combat par l'apprentissage du socle des connaissances à l'école, puis au collège, qui doit rester unique. Ce débat doit se poursuivre par une réflexion approfondie sur les moyens de moderniser notre système éducatif. Sur ce point nous sommes tous mobilisés ! ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Selon une division sexuée bien connue, Mme Fioraso se chargera de répondre aux questions les plus difficiles. (Sourires)

Mme Françoise Cartron.  - Nous vous savions un homme de progrès, monsieur le ministre !

M. Benoît Hamon, ministre.  - Nous ne règlerons pas cette vaste question en un débat ; l'amélioration du statut des maîtres, la lutte contre les déterminismes sociaux, les inégalités scolaires sont des combats de longue haleine.

Le Gouvernement s'est attelé à ce chantier en créant des postes. Il faut plus d'adultes, de formateurs. Un tiers des effectifs supplémentaires est affecté à la formation des maîtres, c'est dire l'importance que nous y accordons.

Plus de maîtres que de classes, l'accent est mis sur les zones d'éducation prioritaire, à la scolarisation des moins de 3 ans, la formation des maîtres, tout cela est lié.

Nous entamerons bientôt la refonte du socle commun, sur son contenu mais aussi sur son évaluation.

J'en viens à la formation des maîtres. Nous avons voulu maintenir le concours, réintroduire la formation par alternance.

La mise en place des Éspé dès 2013 était indispensable pour donner toute sa cohérence à notre politique. Cette première année fut parfois difficile, c'était inévitable. Le comité de suivi a déjà rendu son avis sur la réforme et sur le mémoire professionnel des étudiants. Les nouvelles équipes pluricatégorielles ont besoin de se constituer une culture commune. Les directions générales du ministère sont aussi à l'oeuvre.

Les effectifs en M1 MEEF sont en hausse de 30 %. À la prochaine rentrée, nous attendons une nouvelle hausse de 15 à 20 %, signe du regain d'attractivité du métier d'enseignant. On peut l'attribuer à l'existence même des Éspé comme à la confiance renouvelée par le Gouvernement dans les enseignants.

Aux concours, le nombre d'admissibles est en forte hausse, malgré le relèvement de la barre d'admissibilité : les concours ne sont pas bradés. Des difficultés demeurent en mathématiques, nous y travaillons. Nous recruterons si nécessaire sur liste complémentaire.

Vous avez appelé de vos voeux une culture commune à tous les enseignants. Elle repose sur un référentiel métier unique, qui rappelle que le métier doit servir les valeurs de la République et que faire face à une classe suppose de prendre en compte sa diversité, de recourir à tous les outils, de maîtriser les mécanismes d'apprentissage, de coopérer avec le reste de la communauté éducative, les parents, les acteurs économiques... Une table ronde y sera d'ailleurs consacrée lors de la prochaine Conférence sociale. Je le souligne car on reproche souvent à l'école, comme aux politiques, d'être coupée de l'entreprise -ce qui me fait sourire en tant qu'ancien dirigeant d'une société privée.

Donner leur place aux professionnels de terrain est évidemment une clé de la réussite. L'alchimie se fera, j'en suis sûr.

Oui, nous avons besoin de plateformes mutualisées d'enseignement à distance de certaines disciplines comme les langues rares.

La relation à l'Europe est en effet centrale, madame Mélot. Faisons en sorte que nos jeunes se fondent naturellement dans l'espace européen.

Non, madame Gonthier-Maurin, le volume horaire n'a pas diminué, car il faut tenir compte du passage -déterminant- en établissement par la formation en alternance.

Quant aux PFA, les recteurs sont déjà en repérage. Une cellule de la DGRH reçoit des appels des stagiaires, pour les accompagner dans la découverte de l'alternance.

La coordination entre Éspé et Esen est assurée : les directeurs et directeurs-adjoints d'Éspé passent deux jours par mois à l'Esen.

L'école de la République doit avoir les moyens d'assumer ses missions. On parle souvent des 15 à 20 % d'élèves de 6e qui ne maîtrisent pas la lecture ni le calcul. On sait pourtant que nos écoles maternelles font merveille. Mais les élèves de 3e en ZEP qui maîtrisent les requis sont passés de 54 % à 42 % : la tâche sera longue pour mettre fin aux inégalités. Les Éspé y contribueront et votre rapport sera très utile pour améliorer encore leur fonctionnement. (Applaudissements à gauche)

Mme Geneviève Fioraso, secrétaire d'État auprès du ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargée de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - Merci de ce rapport qui nous offre une vue globale des nouvelles Éspé, il sera précieux à nos deux ministères. La réforme importe aussi aux universités car, pour améliorer la réussite en licence, il faut d'abord celle des parcours scolaires. Or, la réussite scolaire repose d'abord sur la qualité des enseignants.

Certains ont déploré la mise en oeuvre précipitée de la réforme. Il y avait urgence, pas seulement à cause des enquêtes Pisa mais surtout après la suppression de la formation in situ. Être enseignant, cela s'apprend. C'est pourquoi nous avons voulu répondre à l'urgence, sitôt le vote des lois de refondation de l'école et de l'enseignement supérieur et de recherche, en créant dès la rentrée 2013 des Éspé au sein des universités. C'était le choix du président de la République car l'enjeu est d'intégrer formation académique et formation professionnelle, tutorée puis de plus en plus autonome. Les enseignants du supérieur, eux aussi, gagnent à être formés, se retrouver pour la première fois devant un amphi est un peu déstabilisant, d'autant que les étudiants d'aujourd'hui n'ont plus les inhibitions de leurs aînés... Il faut être formé aux situations d'interactivité, quand on remet en question sans agressivité le contenu de votre exposé, en temps réel, grâce aux nouvelles technologies. L'irrigation par la recherche, en psychologie, en histoire des sciences, n'est pas moins nécessaire.

Mme Najat Vallaud-Belkacem nous a transmis un questionnaire pour savoir si nous contribuons réellement à la promotion de la parité. On se laisse piéger malgré soi ! D'où l'utilité de la formation des enseignants aux questions de genre.

Au passage, assistant hier soir à une réunion de doctorants chargés de présenter leur thèse en trois minutes, j'ai été impressionnée par les qualités de communication, le caractère concret de leur exposé. Tous les universitaires ne sont pas hors sol... Cela devrait convaincre les chefs d'entreprise qui hésitent encore à les recruter...

L'histoire des IUFM continue à peser. L'intégration des Éspé aux universités se passe plus ou moins bien selon les territoires. Il faut cependant laisser se déployer les écosystèmes et les dynamismes territoriaux, sous l'impulsion de l'État stratège avec un référentiel le moins théorique et le plus vivant possible.

La pédagogie est naturellement évolutive : on apprend par la pratique. Les Éspé sont des organismes vivants, elles aussi évolueront.

S'agissant de leur gouvernance, je ne peux que regretter qu'il n'y ait que huit directrices sur trente : cela reste néanmoins mieux que pour les présidents d'universités...

Il y a trente Éspé pour environ vingt-cinq Comue : la correspondance n'est donc pas parfaite. Cela ne doit pas empêcher les passerelles.

L'enseignement numérique par MOOC fait florès : déjà plus de 300 000 inscrits ! Les Éspé doivent contribuer à la formation continue des enseignants, qui n'ont pas tous la même familiarité avec ces nouveaux outils. On distingue souvent l'appartenance à une génération en regardant qui lit les modes d'emploi avant utilisation et qui fait confiance spontanément à son intuition...

Pour que les élèves de toutes origines sociales réussissent, il faut aussi diversifier le recrutement des enseignants car les jeunes se construisent souvent par identification : d'où l'utilité des emplois d'avenir enseignants.

Le redéploiement des moyens des IUFM vers les Éspé ne s'est pas si mal passé, il n'y a de problème que dans deux établissements. Dans l'ensemble, les 700 ETP ont été transférés sans difficulté.

Si le passage à l'autonomie a fragilisé les universités, c'est qu'on ne les a pas accompagnées et que les transferts n'ont pas pris en compte l'évolution des carrières. C'est pourquoi nous avons mis en place toute une ingénierie d'accompagnement et de prévention des difficultés. Les universités aujourd'hui se portent mieux : huit sont en déficit de trésorerie contre dix-huit hier. C'est la Cour des comptes qui le dit.

Certains recommandent une immersion in situ dès la licence. Oui, les stages font partie intégrante de la formation et ils peuvent servir à confirmer une vocation dès le premier cycle. Il faudra donc les développer. Les Éspé préfigurent d'ailleurs la réforme pédagogique de l'université, avec la spécialisation progressive en licence. Le socle initial de formation sera plus large car, à 18 ans, on ne sait pas nécessairement très bien ce qu'on veut faire. Cela sera favorable aux jeunes issus des familles plus modestes.

Les difficultés à recruter dans certaines disciplines ne font que refléter celles que l'on rencontre dès l'université. Alors que la France compte onze médailles Fields, nous avons du mal à recruter des professeurs de mathématiques.... La culture scientifique et technique est indispensable pour lever les tabous et éviter les faux débats -entre principes de précaution et d'innovation par exemple. Elle est de la compétence des régions.

Merci de ce débat fort intéressant et serein, comme toujours au Sénat. Tous, nous avons à coeur de voir réussir nos enfants. (Applaudissements à gauche)

Prochaine séance aujourd'hui, jeudi 12 juin 2014, à 9 h 30.

La séance est levée à minuit dix.

Jean-Luc Dealberto

Directeur des comptes rendus analytiques

Ordre du jour du jeudi 12 juin 2014

Séance publique

À 9 heures 30

Présidence : M. Thierry Foucaud

Secrétaires : M. Jean Boyer - Mme Michelle Demessine

1. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi tendant au développement, à l'encadrement des stages et à l'amélioration du statut des stagiaires.

Rapport de M. Jean-Pierre Godefroy, rapporteur pour le Sénat (n°572, 2013-2014).

Texte de la commission mixte paritaire (n°573, 2013-2014)

2. Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs et la concurrence déloyale.

Rapport de Mme Anne Emery-Dumas, rapporteure pour le Sénat (n°581, 2013-2014).

Texte de la commission mixte paritaire (n°582, 2013-2014)

De 15 heures à 15 heures 45

Présidence : M. Jean-Patrick Courtois, vice-président

3. Questions cribles thématiques sur les territoires ruraux et la réforme territoriale.

À 16 heures

Présidence : M. Jean-Patrick Courtois, vice-président

4. Question orale avec débat n°9 de M. Jean Desessard à M. le ministre du travail, de l'emploi et du dialogue social sur l'adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d'emploi.