Débat sur les zones économiques exclusives ultramarines (Suite)

Mme la présidente.  - Nous reprenons le débat sur les zones économiques exclusives (ZEE) ultramarines.

Mme Odette Herviaux .  - À mon tour de remercier les présidents et rapporteurs de notre commission et de notre délégation. La mer est indispensable au redressement productif. Le rapport de la délégation appelle de ses voeux un cadre normatif favorable à une économie bleue attractive et durable, aux niveaux mondial, européen et national.

Je me limiterai à la pêche. L'outre-mer n'échappe pas à la surpêche ; malgré les centres d'études dans chaque territoire, les ressources restent mal connues.

Le programme mené en Nouvelle-Calédonie depuis 1991 mériterait d'être étendu.

Il importe de lutter contre la pêche illégale, très mal vécue par les pêcheurs locaux et qui nuit à la biodiversité. Barack Obama a affiché son volontarisme en la matière. L'installation de radars terrestres serait utile. L'avenir de la pêche ultramarine passe avant tout par un mieux-disant qualitatif. C'est l'aquaculture qui présente le potentiel le plus important.

L'application uniforme des règlements de la politique commune de la pêche menace les pêcheurs d'outre-mer, confrontés à des concurrents régionaux qui ne sont pas soumis aux mêmes normes. Ainsi, Fidji et la Papouasie-Nouvelle-Guinée exportent quatre cents fois plus que nos territoires d'outre-mer. La course au moins-disant produit des dérives inhumaines, illustrées par le scandale des pêcheurs esclaves de Thaïlande.

Les collectivités d'outre-mer doivent être associées à la définition de ces politiques. Les populations sont trop souvent éprouvées par des décisions qu'elles ne comprennent plus. (Applaudissements à gauche)

M. Abdourahamane Soilihi .  - Les ZEE sont l'un des secteurs les plus porteurs de notre économie. Or la France s'est enfermée dans des débats dogmatiques, laissant inexploitées des ressources insoupçonnées. Alors qu'un embryon de gouvernance mondiale apparaît, nous restons à la traîne.

La ZEE de Mayotte souffre d'un sentiment d'abandon. Il est temps que l'État et les élus locaux se mobilisent. Le parc naturel marin de Mayotte, premier du genre, est notre plus grande aire marine protégée, dont l'objectif est d'assurer un développement harmonieux des activités maritimes. Comment faire pour développer une pêche exemplaire, pourvoyeuse d'emplois ? Les mêmes questions ont été posées lors de notre débat de l'an dernier sur Mayotte.

L'interdiction de toute aide à la construction des navires est un non-sens outre-mer. Il faut ouvrir au nouveau département des perspectives d'avenir. Encore faut-il former les jeunes Mahorais à ces métiers.

J'invite chacun à se référer au précieux rapport de la délégation et j'appelle le Gouvernement à réparer une injustice : plusieurs navires, immatriculés à Mayotte, exploitent les ressources du large, alors même qu'ils mouillent et débarquent leur cargaison de thons aux Seychelles...

Le lagon des Comores est un haut lieu de la biodiversité, digne du patrimoine mondial de l'humanité. (Applaudissements)

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Je salue les excellents rapports de nos collègues. Celui de la délégation à l'outre-mer souligne les potentialités offertes par notre ZEE, la deuxième du monde - je le répète, pour que chacun en prenne pleinement conscience.

Mayotte est le premier territoire d'outre-mer pour l'aquaculture. Les pêcheurs mahorais, qui se sont longtemps cantonnés au lagon, ont élargi leur activité en mer ouverte. Le récent parc naturel devra concilier des intérêts économiques et écologiques souvent contradictoires.

La piraterie, l'immigration clandestine se développent dans le canal du Mozambique : il faut sécuriser la zone.

La ZEE de Mayotte doit aussi être définitivement délimitée. En mars, un permis d'exploration pétrolière a été délivré aux Comores, qui empiète sur notre espace maritime. Cette insécurité juridique décourage les investisseurs.

Pourquoi ne pas confier l'administration des îles Glorieuses, dont La Réunion a la responsabilité, à Mayotte, qui en est plus proche ?

Comme La Réunion, Mayotte doit défendre ses intérêts au sein de la Commission de l'océan Indien. Nous comptons particulièrement sur la visite du président de la République aux Comores et à Mayotte, les 26 et 27 juillet. (Applaudissements à gauche et au centre)

Mme Karine Claireaux .  - La ZEE française s'étend sur les cinq océans. C'est la deuxième mondiale, et la première européenne. De 11 millions de km² aujourd'hui, elle devrait passer, à terme, à 13 millions de km².

Sans ses outre-mer, la France ne serait pas la nation maritime qu'elle est. Or jamais la mer n'a revêtu une telle importance, liée à la mondialisation.

Je m'attarderai sur le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le tribunal arbitral de New York ne lui a accordé qu'une ZEE de 12 400 km², quatre fois inférieure à celle que revendiquait la France, ce qui ne suffit pas à garantir la pérennité économique de Saint-Pierre-et-Miquelon, ni le maintien de sa population. C'est dramatique à long terme pour un territoire qui ne demande qu'à travailler en bonne intelligence avec ses voisins, mais aussi pour la défense des intérêts de la France en Amérique du Nord. Il faudra rester ferme sur notre demande d'extension du plateau continental.

Sans attendre le verdict, explorons toutes les opportunités offertes par la position géostratégique de l'archipel. Répondons avec réactivité aux compagnies pétrolières qui déposent des demandes d'exploration ou d'exploitation. Rénovons les ports d'État, vieillissants : Saint-Pierre-et-Miquelon peut être une escale de choix dans le passage du Nord-Ouest, avec son aéroport, son hôpital, son administration. La France se doit de tenir son rang dans cette partie du monde. Saint-Pierre-et-Miquelon peut être un poste avancé pour la France et l'Europe en Amérique du Nord. Sa ZEE offre en outre une opportunité en matière de recherche, d'enseignement supérieur, de développement économique, environnemental et social et de compétitivité. Ne laissons pas passer cette occasion. (Applaudissements)

M. Jacques Cornano .  - La mise en valeur de nos ZEE doit être une priorité stratégique pour la France. Toutes les pistes doivent être exploitées pour sortir les outre-mer, et la Guadeloupe en particulier, de leur crise économique et sociale : la pêche offre un gisement d'emplois, surtout pour les jeunes.

L'accès aux eaux territoriales provoque des conflits : la délégation à l'outre-mer a souligné les problèmes posés par la délimitation et la surveillance des ZEE, en Guadeloupe notamment. Nos pêcheurs sont exposés à une concurrence illégale ; la pollution au chlordécone leur impose d'aller pêcher toujours plus loin, sur des bateaux inadaptés, au péril de leur vie et au risque de se voir infliger une amende. Cela ne peut plus durer !

Le groupe de travail sur la réforme du code minier, présidé par M. Tuot et dont j'étais membre, a procédé à de nombreuses auditions, qui ont reconnu les spécificités de l'outre-mer. Les écosystèmes sont fragiles ; l'exploration ou l'exploitation ne peut se faire à n'importe quelles conditions.

L'exploration et l'exploitation des fonds marins doivent respecter les règles environnementales, mais aussi promouvoir le développement économique, social et culturel de l'outre-mer. (Applaudissements)

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer .  - Veuillez excuser M. Cuvillier, qui défend en ce moment, à l'Assemblée nationale, l'important projet de réforme ferroviaire.

M. Roland Courteau.  - Eh oui !

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - Pour ma part, je suis ravie de participer à ce débat qui intéresse tout particulièrement l'outre-mer.

Le président Serge Larcher a lancé son appel du 18 juin, appel à ouvrir les yeux sur les potentiels des ZEE. Saint-Exupéry disait : « Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, mais réveille chez les hommes le désir de la mer grande et belle ! ». C'est ce désir que s'efforce de faire naître Frédéric Cuvillier pour une politique maritime intégrée.

L'économie maritime représente en France 900 000 emplois, 564 ports, 360 millions de tonnes de marchandise. Ce potentiel doit être mieux valorisé.

Votre commission a dressé un état des lieux très complet. Activités maritimes traditionnelles, énergies fossiles et renouvelables, biotechnologies bleues : l'avenir de l'humanité se joue en mer. Pour mieux connaître et protéger les espaces, les pays s'assemblent, par des conventions régionales ou par la convention internationale de Montego Bay. C'est grâce à ses outre-mer que la France étend ses espaces maritimes sur quatre océans, avec 11 millions de kilomètres carrés de ZEE. Un député européen s'est plaint, le jour de la nomination de ce gouvernement, qu'il n'y ait pas de ministère de l'Europe, mais un ministère des outre-mer, - preuve que certains n'en voient pas l'importance. La France peut promouvoir la croissance bleue, durable, fondée sur un nouveau modèle de développement. Elle doit protéger ses ressources, avant même de prétendre les exploiter. L'affirmation de notre souveraineté exige des moyens. Le précédent Livre blanc avait prévu une baisse de 23 % des effectifs militaires stationnés en outre-mer entre 2008 et 2020. Le déficit capacitaire menaçait, comme l'a relevé le Livre blanc de juin 2013. Nous avons tenté d'y remédier par l'acquisition de trois bâtiments multidimensions. D'autres arbitrages vont être rendus. Je tiens à vous rassurer sur la surveillance de notre espace maritime, en particulier dans le canal du Mozambique et au large de la Guyane, avec le Brésil. Des actions exemplaires ont été menées, notamment par l'Osiris, pour la police des pêches.

M. Jean-Louis Carrère, président de la commission des affaires étrangères.  - Très bien !

Mme George Pau-Langevin, ministre.  - La protection de nos ressources suppose une délimitation nette de nos ZEE.

Le Gouvernement a pris plusieurs décrets fixant les lignes de base, et le fera en 2014 pour la zone sud de l'océan Indien. J'ai bien entendu la mise en garde biblique de M. Lorgeoux !

Votre rapport appelle à créer une instance chargée de mettre en oeuvre une stratégie maritime intégrée. Le gouvernement Ayrault avait entériné la création d'une délégation à la mer ; j'ai plaidé pour que soit nommé à sa tête un préfet connaissant bien l'outre-mer.

Vous appelez aussi à mieux valoriser la ZEE. Chaque collectivité devrait disposer d'un outil de gouvernance local pour coordonner les acteurs concernés, permettre aux investisseurs et industriels de développer leur activité, associer les collectivités aux actions de coopération régionale. Les outre-mer eux-mêmes sont historiquement et culturellement tournés vers la terre, comme le président Serge Larcher l'a souligné. Il faut que les collectivités d'outre-mer et les élus s'intéressent davantage à leur potentiel maritime. Le périmètre de la gouvernance est le bassin maritime en outre-mer, auquel correspond un document stratégique de bassin. Des conseils maritimes ultramarins sont institués. Quatre bassins ont été définis outre-mer : Antilles, sud océan Indien, Guyane, Saint-Pierre-et-Miquelon. La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie exercent des compétences propres et ne sont donc pas concernées par le dispositif mais sont étroitement associées aux actions de coopération régionale. La France est partie prenante d'une dizaine d'organisations au titre de ses collectivités ultramarines et y siège indépendamment de l'Union européenne.

Saint-Pierre-et-Miquelon ne nous a pas attendus pour son développement maritime. Le président François Hollande a annoncé, après avoir reçu les élus, dont Karine Claireaux, le dépôt d'un dossier devant la Commission des limites du plateau continental. C'est chose faite. C'est décisif pour l'avenir de l'archipel. Nous sommes déterminés à y poursuivre le soutien à la filière pêche. J'honorerai les engagements pris par mon prédécesseur. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'activité doit être relancée - plaisance, croisières, carénage par exemple. Le port de Saint-Pierre a des atouts dont il doit profiter.

Quant au développement durable et à la biodiversité, de nombreux projets transversaux existent outre-mer et associent des collectivités. La fusion des deux parcs naturels marins de Mayotte et des Glorieuses n'est pas opportune, mais il est indispensable de développer leurs synergies ; c'est d'ores et déjà largement le cas.

Le parc naturel de la mer de Corail a été créé en Nouvelle-Calédonie ; c'est la plus grande aire marine protégée de notre pays.

La réforme du code minier a été annoncée par le Premier ministre. Les partenaires privés ont en effet besoin d'un cadre normatif clair. Les travaux se poursuivent et avancent rapidement, dans le sens d'un juste retour pour les territoires, en étroite concertation avec ceux-ci.

Sur la promotion de l'économie bleue qui offre de nombreuses potentialités, plusieurs ministères pilotent un programme mené avec le CNRS et l'Ifremer, dans le droit fil du rapport d'Anne Lauvergeon de soutien à l'innovation. Chacun est conscient de l'importance des ressources minérales, rappelée par M. Pozzo di Borgo. Trois campagnes océanographiques sont prévues pour les quinze ans à venir dont la première démarrera dès 2016.

Un soutien fort de l'Union européenne aux politiques maritimes est nécessaire. Le Gouvernement s'est montré particulièrement actif, dans le cadre de la programmation pluriannuelle des fonds européens pour 2014-2020, dans les régions ultrapériphériques et les secteurs de la pêche, de l'aquaculture et de la politique maritime intégrée. Une enveloppe conséquente est prévue, ainsi que la possibilité d'allouer des aides d'État pour la pêche et l'aquaculture. Les moyens sont en hausse sensible pour l'outre-mer : 86 millions d'euros sur sept ans pour compenser les surcoûts de production et de commercialisation.

Sur Wallis et Futuna, les autorités françaises envisagent, avec les autorités américaines, un accord de pêche, qui aura des retombées financières pour le territoire.

La France est partie prenante des instances internationales dans le cadre des Nations unies. L'accord d'application de la convention de Montego Bay est en préparation. La France continuera à porter la voix d'une politique maritime intégrée, source de croissance durable. Merci pour ce débat qui met en valeur la richesse exceptionnelle que constituent pour notre pays les ZEE. (Applaudissements)