Parrainage civil

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de loi relative au parrainage civil.

Discussion générale

M. Yves Daudigny, auteur de la proposition de loi .  - L'ordre du jour du Parlement est de plus en plus chargé ? Nous en avons parlé lors de l'examen de la proposition de résolution portant réforme des méthodes de travail du Sénat. Au regard des réformes de grande ampleur, l'objet de cette proposition de loi est modeste autant son dispositif est bref.

M. le rapporteur y a vu malgré tout une initiative heureuse, je l'en remercie, ainsi que de son travail constructif, qui a conduit à un vote unanime de la commission des lois.

J'écarte les débats sémantiques : baptême ou parrainage, civil, civique ou républicain, peu importe.

Notre texte d'origine comportait trois objectifs. D'abord, assurer un traitement égal sur le territoire des demandeurs : actuellement, le parrainage civil est à la discrétion des maires. Ensuite, favoriser la citoyenneté. Ces deux premiers objectifs sont pleinement remplis par le texte de la commission. Quant au troisième objectif, donner au parrainage civil des conséquences de droit, mieux vaut sans doute y renoncer pour aboutir sur le reste.

"La balle" est donc bien dans le camp du législateur. Plusieurs propositions de loi ont d'ailleurs précédé celle-ci, à l'initiative des différents groupes des assemblées. Ainsi celle de Jacques Myard en 2006 "tendant à instaurer le parrainage civil" ; celles, identiques, de Paulette Guinchard en 2007 et de Richard Mallie et Patrick Balkany en 2008 ; celle encore de Dino Cinieri et plusieurs de ses collègues en 2013, "tendant à instituer une reconnaissance juridique aux parrains et marraine civils".

L'une étendait même aux dons des parrains et marraines à l'égard de leur filleul les exemptions fiscales prévues pour les dons des parents....

Anticlérical en 1792, socialiste et solidaire à la fin du XIXe siècle, associé aux communes rouges dans les années soixante-dix, le baptême républicain a perdu de sa conflictualité. (On s'en félicite aussi à droite) Il s'est « fondu dans le paysage », comme le constate dans son étude de sciences politiques publiée en 2007, l'universitaire Antoine Mangret-Degeihl.

L'Église aussi a évolué : le pasteur Bernard Kempf ne voyait en 2000 aucun motif théologique pour s'y opposer, se référant à la doctrine luthérienne des deux règnes, et d'ajouter que « tout citoyen et tout chrétien digne de ce nom » pourrait y souscrire...

M. François Bonhomme.  - Tout évolue !

M. Yves Daudigny, auteur de la proposition de loi.  - Ainsi peut-on lire, par exemple sur le site Cybercuré (Exclamations sur divers bancs), sous le titre : "position de l'église sur le baptême civil", qu'elle "n'est pas hostile à cette cérémonie civile".

Les motifs des parents sont divers et pluriels. Parenté de complément ou de substitution, le rôle attribué aux parrains et marraines diffère aussi.

Il est vrai que l'inscription du parrainage civil dans le titre II du livre premier du code civil pourrait créer de la confusion entre parrainage et parenté, laisser penser, comme le croient de nombreux parents, que le parrainage civil a force juridique. Les amendements du rapporteur écartent ce risque.

L'accord des deux parents ne partageant pas de communauté de vie tout en exerçant l'autorité parentale conjointe, ce qui est autorisé depuis la loi du 4 mars 2002, peut certes poser problème : la navette y pourvoira.

Je regrette la disparition de la belle formule selon laquelle il incombe aux parrains « de développer en l'esprit de l'enfant les qualités indispensables qui lui permettront de devenir un citoyen dévoué au bien public et animé des sentiments de fraternité, de compréhension, de solidarité et de respect de la liberté à l'égard de ses semblables. » Elle incarne les valeurs de la République qu'il nous appartient de transmettre.

Pour autant, chacun s'accorde sur les effets bénéfiques de la présence de parrains et marraines auprès de leur filleul. Le texte de la commission qui reconnait le parrainage civil en en faisant un simple engagement moral, a fait l'unanimité, nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs socialistes, RDSE et UDI-UC)

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois .  - Cette proposition de loi tend à inscrire dans la loi une coutume issue de rituels datant de la Révolution française, le parrainage républicain. J'utilise cette appellation à dessein, car il s'agit aussi, en effet, de transmettre aux enfants les valeurs de la République. Cette coutume n'a, pour l'heure, ni base légale ni effets de droits.

Le texte initial faisait du parrainage civil un acte d'état civil, en imposant des obligations aux parrains et marraines, qui se seraient engagés à prendre soin de leur filleul en cas de disparition des parents. Mais cela eût bouleversé le système actuel de protection des enfants, inscrit dans le code civil, en cas de défaillance ou de disparition des parents.

D'ailleurs, être le meilleur ami des parents lorsque l'enfant a un an ou deux ne garantit pas que l'on sera prêt à exercer leur rôle plus tard.

Sans vouloir donner au parrainage civil des effets juridiques, la commission des lois a souhaité le reconnaître en l'inscrivant dans la loi. (Applaudissements)

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des droits des femmes .  - Les Français plébiscitent le parrainage civil ou civique, qui n'est pourtant pas proposé dans toutes les mairies. Cette proposition de loi, qui fait suite à d'autres tend à le généraliser. Offrir à chaque enfant, quelle que soit sa religion et son lieu de résidence, la possibilité de recevoir le baptême civil sous le drapeau et de se voir ainsi transmettre les valeurs de la République, est une belle avancée politique. Associer en un même événement la République et la famille renforcera le vivre ensemble, le sens de la vie en société dans la République française.

Le parrainage civil, à l'heure où il est malmené, représente aussi l'engagement du parrain et de la marraine à concourir à l'éducation de leur filleul à la citoyenneté. Pour les adultes aussi, c'est l'occasion de s'interroger sur les valeurs de la République.

Cette proposition de loi reçoit donc l'entier assentiment du Gouvernement, qui remercie ses auteurs ainsi que la commission des lois, qui en a accru la sûreté juridique. (Applaudissements)

M. Alain Richard .  - C'est, au départ, une affaire d'amitié et de famille : le parrainage, les parents associent les parrains et marraines à l'éducation de leur enfant. Il s'agit, au fond, d'un système de régulation sociale, traduit par un rite : la présentation de l'enfant à la société. On trouve déjà des formes de parrainage dans les cités grecques et à Rome. Lorsque par la suite, en Europe, les églises se sont chargées de cette mission, c'était encore un acte de naissance à la société. Ceux qui ont eu le loisir de se livrer à des recherches généalogiques ne l'ignorent pas : avant 1792, l'état civil se constituait du registre des baptêmes.

Depuis lors, l'état civil s'est séparé de l'église. Il est logique de donner au parrainage civil une valeur légale, pour tous ceux qui ne souhaitent pas passer par la présence religieuse. Il arrive que, faute d'obligation légale, les mairies refusent le parrainage civil.

Il est également souhaitable de consacrer légalement le lien entre l'enfant et ses parrains.

Je remercie le rapporteur pour son travail important. Nous sommes nombreux à penser qu'il n'y aura pas de risque à inscrire cet acte à l'état civil, mais c'est sans doute prématuré. Le rôle des parrains est éducatif, et la commission des lois a eu raison de considérer qu'il n'était pas souhaitable d'en faire un rôle de substitution aux parents.

Anticipant la réforme de notre Règlement, je n'épuiserai pas mon temps de parole, mais souhaiterai bon chemin à cette proposition de loi. (Applaudissements)

Mme Esther Benbassa .  - Le baptême républicain, dont l'origine peut être retracée jusqu'à la loi du 21 prairial an II, était progressivement tombé en désuétude, jusqu'à ce que le bicentenaire de la Révolution française en 1989 lui rendît de son attrait.

L'absence de base légale de cette pratique a pour conséquence de n'imposer aucune contrainte aux mairies. Celles-ci peuvent refuser de célébrer la cérémonie. Le parrainage civil peut aussi se transformer en un acte politique avec le baptême d'enfants sans papiers. Mais le parrainage civil est d'abord une coutume.

La rédaction initiale l'inscrivait dans le code civil pour que chacun y ait accès. Son auteur prévoyait de lui donner force juridique. Notre commission des lois, ne souhaitant pas s'engager sur cette voie, a réécrit le texte pour faire du baptême républicain un engagement moral. Le terme de parrainage républicain est opportunément choisi. La cérémonie aura lieu à la mairie.

Les sénateurs écologistes voteront ce texte qui, symbolique soit-il, renforcera l'esprit de fraternité et de solidarité, si mis à mal ces derniers temps. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Cécile Cukierman .  - Je salue l'initiative de M. Daudigny. La pratique du parrainage civil tend à se démultiplier pour des raisons très diverses, il est temps pour le législateur d'accompagner ce mouvement en créant un cadre juridique approprié.

Cette pratique, je le disais, se développe. Depuis une dizaine d'années, j'ai même vu, en tant qu'adjointe au maire, toute une activité commerciale fleurir autour : on propose qui un livret républicain, qui un petit cadeau à remettre à l'enfant présenté.

Cette cérémonie correspond à un besoin pour les parents de présenter l'enfant à la communauté. Et cela, comme l'a observé Mme Benbassa, contribuera à redonner sens au vivre-ensemble dans les prochaines années.

La version initiale du texte nous embarrassait : la formulation semblait précipitée. Hélas, les propositions de loi sont souvent courtes pour faciliter leur inscription à l'ordre du jour.

Les apports de la commission des lois, en particulier sur l'obligation d'obtenir l'accord des deux parents, sont bienvenus et je n'ai plus aucune réserve à formuler. Le groupe CRC votera le texte modifié, qui met fin à toute contestation, tout refus de célébrer la cérémonie. Le débat n'est pas clos : je songe à la reconnaissance des parrains et des marraines, à la définition de leurs missions. (Applaudissements sur les bancs CRC)

M. Jean-Claude Requier .  - Pratique anticléricale initialement, lorsqu'il s'agissait sous la révolution de sécuriser l'état-civil, le parrainage civil correspond désormais, comme le baptême religieux, à un engagement moral. La proposition de loi n'est pas la première de ce type, je me souviens de celle de M. Michel Charasse en 2003.

Si le parrainage civil ne crée ni de droits ni de devoirs pour les parrains et l'enfant, faut-il l'inscrire dans le code civil ? Celui-ci contient déjà des dispositions pour protéger l'enfant en cas de manquement ou défaillance des parents. Du reste, dans le cas de familles déchirées, le juge des tutelles peut utilement convoquer les parrains au sein du conseil de famille.

Toutes les mairies n'acceptent pas d'organiser cette cérémonie. Il y a là une inégalité de traitement qu'il était bon de résoudre.

Le texte initial entrait en conflit avec les dispositions du code civil sur la protection de l'enfant. Il était contestable, ce dernier n'ayant pas le choix de contracter ou non ce lien juridique avec ses parents. Enfin, en imposant aux parrains l'obligation juridique de prendre soin de leur filleul si les parents venaient à manquer, il risquait d'enrayer cette pratique et de la faire retomber en désuétude.

Ce n'était pas l'esprit de cette proposition, qui était avant tout de rétablir l'égalité territoriale. La commission des lois ayant adopté une rédaction plus réaliste, le groupe RDSE votera pour.

Un souvenir personnel, j'ai célébré mon premier parrainage civil il y a plus de vingt ans à Martel, dans le Lot, à la suite du bicentenaire de la Révolution française. Il avait fallu retrouver des documents pour savoir comment organiser la cérémonie. Un ami du grand-père avait joué à l'accordéon Le temps des cerises, chanson du communard et franc-maçon Jean-Baptiste Clément. Un beau moment que j'éprouve quelque nostalgie à évoquer, en ce mois de mai ! (Sourires et applaudissements)

M. Didier Mandelli .  - Comme d'autres ici, je constate l'engouement pour le parrainage civil. Pas de statistiques pour la mesurer puisque cette coutume n'a pas de fondement légal : elle n'en perdure pas moins depuis la Révolution française.

Le parrainage civil est un moment de fête familiale, laïque, citoyenne. Pour autant, il suscite bien des interrogations chez les maires. Faut-il l'organiser ? A-t-il une portée juridique ?

Ce texte vient clarifier les choses en écartant toute obligation juridique pesant sur les parrains en cas de défaillance des parents. C'est tant mieux car le code civil prévoit déjà des dispositions protectrices. Le parrainage doit rester un engagement moral, les parrains représenteront un exemple pour l'enfant. Merci pour ce texte qui correspond aux attentes des élus locaux. (Applaudissements)

M. Joël Guerriau .  - A l'heure où l'on parle tant du sentiment d'appartenance à la communauté et de valeurs républicaines, il n'est pas dénué de sens de parler de parrainage civil. Cette proposition de loi fait écho, en quelque sorte, aux réflexions du président Larcher dans le rapport qu'il a rendu le mois dernier au président de la République, La nation française, un héritage en partage.

Actuellement, les pratiques sont inégales sur le territoire. Il m'est arrivé de célébrer des cérémonies pour des parents qui se l'étaient vu refuser dans une autre commune.

Aussi le groupe UDI-UC soutient-il l'encadrement légal du parrainage civil mais ne veut pas transformer sa nature.

Le code civil prévoit déjà des réponses adaptées en cas de manquement ou de disparition des parents. En outre, conférer force juridique à cette coutume qui a traversé deux siècles aurait eu un effet dissuasif.

L'état civil regroupe les informations essentielles sur l'individu : filiation, nom, sexe, âge. Le parrainage civil n'y avait pas sa place, les responsables du ministère de la justice l'ont clairement expliqué. Il n'avait pas non plus sa place dans le code civil, surtout à la place prévue initialement, sauf à entretenir la confusion avec la filiation et à faire du parrainage une institution civile à l'égal du mariage.

Si le parrainage civil n'est pas un acte d'état civil, il n'est nul besoin qu'il soit célébré par un officier d'état civil ; je me demande même si un fonctionnaire, en cas de nécessité, ne pourrait s'en charger. La commission des lois a eu raison de prévoir que la célébration pourra avoir lieu dans la commune du domicile ou de résidence des parents ou de l'un d'entre eux ; la proposition initiale aurait favorisé un « tourisme » du parrainage civil. La demande devra émaner des deux parents de l'enfant, à condition qu'ils exercent tous deux l'autorité parentale : c'est le bon sens. La commission des lois a également posé trois conditions à la désignation du parrain ou de la marraine : qu'ils ne soient pas déchu de leurs droits civiques, et n'aient pas failli gravement à leur propre rôle de parent. (Applaudissements sur les bancs de la commission)

Mme Nicole Duranton .  - Au siècle de Voltaire, les parents n'avaient d'autre choix que de baptiser religieusement leur enfant pour leur donner un état civil. Ce sont les révolutionnaires, avec la loi du 20 prairial de l'an II, qui ont créé le parrainage civil. Je me réjouis que la commission des lois ait refusé de faire de cet engagement moral un acte de droit.

Cette coutume symbolique marque l'entrée de l'enfant dans la communauté républicaine. Disons clairement aux participants à cette cérémonie que nos valeurs républicaines ne sont pas négociables.

Mes félicitations à notre rapporteur Détraigne et au président Bas : le parrainage civil ne devait pas constituer un acte d'état civil, sauf à introduire une discrimination entre enfants ainsi protégés et les autres. Les parents peuvent déjà de par le code civil, désigner par voie testamentaire, le parrain pour tuteur et l'article L. 404 depuis le 1er janvier 2009, autorise le juge des tutelles à convoquer le parrain ou la marraine au conseil de famille.

Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Daniel Chasseing .  - Plutôt que de procéder à des développements historiques complexes sur le parrainage civil qui relèvent de l'université ou à l'exégèse de la valeur symbolique de cette coutume, je préfère évoquer les côtés sympathiques de ce rite. On en a bien besoin quand tous les repères se délitent. Autrefois, on inculquait les préceptes républicains à l'école, au lycée ou à la caserne... Le regain du parrainage civil ne démontre-t-il pas un besoin de revenir à ces fondamentaux ? Cette pratique donne tout son corps à la devise « Liberté, égalité, fraternité » et j'y ajoute la laïcité. Je voterai pour le texte de la commission qui répare une omission législative. En outre il est bon de nous rassembler dans l'intérêt de la nation. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Discussion des articles

Les articles 1, 2 et 3 sont successivement adoptés.

La proposition de loi est adoptée.

La séance est suspendue à 13 h 10.

La séance reprend à 15 heures.