Débat sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur les conclusions du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes sur les femmes et les mineur-e-s victimes de la traite des êtres humains.

Mme Chantal Jouanno, présidente de la délégation aux droits des femmes et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, rapporteure .  - C'est un honneur d'introduire ce débat - souvent passionné - porté par tous les groupes politiques représentés au sein de la délégation. 70 % des victimes de la traite sont des femmes et des jeunes filles, les victimes de la violence sexuelle sont à 79 % des femmes, celles du travail forcé sont à 83 % des hommes.

La crise migratoire actuelle met en jeu des populations jeunes, pauvres, vulnérables, souvent cachées pour fuir les services administratifs ou policiers - autant de facteurs propices à l'exploitation et à la traite, à tel point que l'association France Terre d'asile a ouvert une structure spécifique à Calais.

Ensuite, pour des groupes comme Daech ou Boko Haram, les femmes sont considérées comme des marchandises qui se mettent en cage, sont violées, s'échangent et se vendent, pour assouvir les faux instincts de soi-disant combattants ou rapporter de l'argent, comme les armes ou les organes.

De septembre à mars, nous avons auditionné une trentaine de personnes, nous nous sommes déplacés, notamment à Calais et nous avons adopté notre rapport le 9 mars, le lendemain de la journée internationale des femmes. Il fait suite à notre rapport sur la prostitution - il y a bien des liens entre les deux sujets. La traite rapporterait 32 milliards d'euros dont 3 milliards en Europe même, en quasi impunité. Il est donc faux de croire que notre continent n'est pas concerné : ce phénomène touche directement l'Europe et la France.

La délégation constate que le cadre juridique de la lutte contre la traite est récent, faisant suite au protocole de Palerme en 2000 et à la Convention du Conseil de l'Europe, dite de Varsovie, de 2005 ; il est incomplet, et n'intègre pas les mariages forcés. Outil efficace, la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) créée en 2013, devrait être directement rattachée au Premier ministre pour impliquer davantage les ministères de l'intérieur et de la justice, au-delà de celui des affaires sociales, et être dotée d'un budget propre.

Nous arrivons au terme du plan d'action national de lutte contre la traite des êtres humains 2014-2016, mais les moyens sont insuffisamment mobilisés, preuve du manque de coopération. Enfin, notre rapport souligne le rôle déterminant de l'action des associations.

Notre délégation constate également un recours trop rare à la qualification de traite d'êtres humains par les magistrats, l'insuffisante formation des professionnels, l'absence d'outils adaptés à la situation des mineur(e)s, la sensibilisation trop faible du grand public, l'insuffisance des données statistiques, ou encore les différences de prise en charge des victimes selon les territoires.

Notre délégation formule, pour y remédier, vingt-et-une recommandations, dont certaines sont déjà adoptées -  par exemple l'adoption en urgence de la loi contre le système prostitutionnel et celle de la loi autorisant la ratification du protocole sur le travail forcé.

Pour améliorer la gouvernance, nous recommandons, je le répète, de rattacher la Miprof au Premier ministre, d'étendre ses missions aux mariages forcés, de mieux utiliser l'expertise du secteur associatif, de sanctuariser les crédits destinés aux associations, de mobiliser davantage la diplomatie - contre, en particulier, la tendance relativiste qui méconnait l'égalité entre les hommes et les femmes - la mobilisation de toute la communauté internationale pour dénoncer les pratiques de groupes comme Daech ; enfin, nous proposons de renforcer la formation des acteurs et la sensibilisation de l'opinion : magistrats, policiers, services sociaux doivent être en capacité de mieux repérer la situation de traite, une campagne nationale d'opinion serait bienvenue - car la traite est un phénomène européen, présent sur notre territoire, un véritable déni des droits humains. (Applaudissements)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam .  - Mardi 10 mai, nous commémorerons les mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition, mais l'esclavage et la traite existent encore et nous ne saurions nous contenter de discours pour y faire face.

Indubitablement, le trafic et la traite sont distincts, mais nous l'avons constaté à Calais, la frontière est poreuse ; l'argent de la traite est important pour Daech et le fait que des terroristes du 13 novembre aient pu entrer en Europe cachés dans le flux des réfugiés apporte une confusion au détriment des migrants.

Si le droit international a fortement progressé sur ce sujet, la coopération peine à suivre dans les faits, comme je l'ai constaté il y a deux ans déjà au sommet économique d'Istanbul ; certains pays comme la Russie et la République tchèque n'ont pas signé la convention du conseil de l'Europe et la Turquie ne l'a pas ratifiée.

La France elle-même a pris trois ans pour le faire. L'inclusion des mariages forcés est indispensable. La coopération internationale passe par une meilleure coopération entre services de police et de renseignement et par plus de crédits spécifiques parmi ceux qui sont dédiés à l'aide publique au développement. Or ceux-ci s'effritent au sein de notre budget ; il en va différemment en Grande-Bretagne. C'est tout à fait nécessaire, la pauvreté et l'inégalité entre les sexes favorisent la traite et celle-ci.

La traite nie nos valeurs et nos droits fondamentaux, nous devons, plus que jamais, lutter pour leur sauvegarde et leur rétablissement. Il en va de l'honneur de notre pays, de ses valeurs et de ses traditions. (Applaudissements)

Mme Élisabeth Doineau .  - La traite des êtres humains constitue une véritable négation des droits humains. Bien qu'elle nous paraisse d'un autre siècle, elle est une réalité, invisible parce que nous ne pouvons ou plutôt ne savons pas la voir, en dépit du développement des nouvelles technologies.

La traite des êtres humains est une continuité des violences diverses faites aux femmes, les mineures représentant le quart des victimes, les enfants demandant un accompagnement adapté.

« Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous », disait Montesquieu. Voilà ce qui doit nous mobiliser, pour identifier mieux la traite, former les professionnels, former le public.

Les outils statistiques font défaut : rendons visibles les infractions anonymes souvent réduites au proxénétisme ; les statistiques, cependant, montrent une progression des faits de traite. L'Italie s'est dotée d'un numéro vert, nous pourrions nous en inspirer : il pourrait être commun aux vingt-huit, et serait ainsi le signe d'une politique menée à l'échelle européenne.

Les professionnels doivent être mieux formés. Les signalements proviennent pour un tiers des travailleurs sociaux, un quart des particuliers mais seulement 5 % des policiers : il faut les sensibiliser mieux.

Les moyens adaptés aux mineurs, ensuite, manquent cruellement. Une expérimentation, à Paris, donne des signes encourageants. Pourquoi pas un MOOC (Massive Open Online Course) sur la traite sur le site de France Université numérique, à l'usage des professionnels, mais aussi du grand public ?

Un accompagnement soutenu, primordial, par un personnel qualifié et des lieux adaptés ; créons une plateforme interrégionale, pour stimuler les professionnels.

L'arrivée massive des migrants nourrit les flux de la traite : 10 000 mineurs parmi les migrants arrivés en Europe auraient disparu en deux ans, dont nombre d'entre eux pourraient être victimes d'abus et de la traite. Réussir contre la traite, c'est possible : j'espère, oui, que l'espoir est permis ! (Applaudissements)

Mme Brigitte Gonthier-Maurin .  - Je souhaite vous exhorter, madame la ministre, à ce que la France place la bataille contre la traite au coeur de son action nationale et internationale.

Les associations sont des partenaires indispensables, mais parfois esseulées, sinon abandonnées des pouvoirs publics, en particulier pour accompagner les victimes, leur offrant écoute, aide et orientation, là où un accueil purement institutionnel ne suffirait pas. Elles contribuent aussi à la formation des professionnels. Pour autant, les associations ne sont pas toujours bien associées à la politique publique de lutte contre la traite : la délégation recommande d'y remédier.

Les associations manquent de moyens financiers, à quoi s'ajoute la faible visibilité des subventions qui sont le plus souvent dérisoires. Nous sommes à quelques jours de la journée de commémoration du 10 mai. Or le président du comité contre l'esclavage moderne nous a affirmé que l'existence même du comité était menacée chaque année ; c'est pourquoi la délégation prône la sanctuarisation du soutien aux associations - soit à peine 20 % des 4 millions d'euros annuels consacrés à la traite par le budget de l'Etat.

Un exemple inquiétant : le Gouvernement a confié la prise en charge des migrants à des associations, France Terre d'Asile, Médecins du Monde, Terre d'Errance, Médecins sans frontières, dont j'ai constaté la qualité du travail à Calais.

Ces ONG ont été confrontées aux problématiques de la santé sexuelle et des violences faites aux femmes en transit, qui leur ont fait prendre conscience de la nécessité de mettre en place une approche de « genre » pour penser l'accompagnement de ces personnes et permettre de réduire les risques de violences.

Le planning familial du Pas-de-Calais organise une formation « Genre et migration », mais l'ARS sollicitée en vain, n'a pas prêté le concours financier de l'État : bien qu'un financement ait pu être trouvé grâce au fonds méditerranéen pour les femmes, c'est un dysfonctionnement tout à fait déplorable. J'espère, madame la ministre, que vous porterez nos recommandations dans le prochain budget ! (Applaudissements à gauche, au centre et sur quelques bancs à droite)

Mme Maryvonne Blondin .  - La violence sexuelle touche 3 milliards d'êtres humains, dont le quart d'enfants et, s'agissant de la traite, les premières victimes sont les femmes.

En mars 2014, je constatais les efforts réalisés depuis dix ans contre la traite, mais le chemin reste encore long pour renforcer la coopération judiciaire et policière. La convention du Conseil de l'Europe - j'ai l'honneur de représenter le Sénat à l'assemblée parlementaire de cette institution - dite de Varsovie de 2005 puis celle d'Istanbul, de 2011, forment des outils importants, qu'il faut ratifier : or seulement 21 États, dont 12 dans l'Union européenne, sont à jour, c'est insuffisant.

Comme rapporteur pour avis du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation du droit de l'Union européenne, j'ai recommandé plusieurs mesures pour unifier les normes européennes. Je me félicite d'avoir été entendue - en particulier pour la qualification de la traite, pour l'abus d'autorité qui est devenu constitutif de l'infraction.

Notre Office central pour la répression de la traite des êtres humains est parmi les outils les plus performants d'Europe. Il faut aller plus loin.

79 % des personnes prostituées faisant l'objet de traite, les sujets sont étroitement liés et je me félicite que nous ayons pénalisé le client, le premier client vient d'être sanctionné le week-end dernier et, dans mon département, nous avons démantelé un réseau chinois. (On s'en félicite sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen) La pénalisation des clients tarira la demande et les mesures d'accompagnement, avec un fonds dédié de 4,8 millions d'euros, qui devrait être abondé par les biens confisqués aux proxénètes et les amendes infligées aux clients : ces mesures utiles seront efficaces si la police a les moyens de les appliquer, le Gouvernement s'y est engagé.

Les proxénètes et les trafiquants profitent de la détresse des migrants, nous l'avons constaté notamment à Calais, où France Terre d'Asile a mis en place une structure ad hoc.

La délégation recommande la mise en place de 50 postes de médiateurs cultuels prévus par le plan national. De même, le questionnaire de l'Ofii doit intégrer ce type de vulnérabilité.

Le combat est international, le recueil de données fiable et les lois comme les règlements sont les meilleurs outils contre cette insupportable marchandisation du corps humain.

Nous fêterons mardi prochain le 10 mai la journée des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition dans le jardin du Luxembourg : je forme le voeu que le XXIe siècle soit celui de l'abolition de toutes les formes d'esclavage. (Applaudissements)

Mme Corinne Bouchoux .  - Comme l'a dit la baronne Élisabeth Butle-Sloss, il faut s'être attaqué à la question de la pédophilie pour être entendu sur la traite. Si nous ne faisons pas le travail sur la pédophilie, nous ne le ferons pas sur la traite - car il s'agit de la même chose : des personnes en situation de vulnérabilité.

La formation des acteurs est indispensable : celle des policiers, des magistrats, des travailleurs sociaux mais aussi associatifs. La formation continue, d'abord, car les mécanismes de la traite sont changeants, complexes parce que liés à la géopolitique. Ensuite la formation continue afin que les acteurs puissent échanger sur leur travail et connaître les évolutions législatives et juridiques ainsi que celles des recours abusifs. C'est d'autant plus important que l'afflux des migrants entraîne le risque d'une traite à grande échelle sur fond de montée des xénophobes.

Mais la formation des acteurs ne suffit pas, il faut également mieux informer le grand public, en particulier à l'école car les jeunes sont plus susceptibles que nous de croiser des personnes en situation de grande vulnérabilité.

Enfin, n'oublions pas que la traite existe à moins d'un kilomètre du Sénat. Prostitution, pédophilie et traite font synthèse. Sans politique globale, nous ne nous en sortirons pas. Nous comptons sur vous, madame la ministre ! (Applaudissements)

M. Jean Louis Masson .  - Le problème de la traite des êtres humains est très important, il se pose en Arabie Saoudite ou dans d'autres pays ; mais en France, d'autres problèmes sont infiniment plus importants. (Murmures indignés) Une après-midi sur ce sujet... L'affluence des sénateurs présents montre combien c'est important... Les 3 millions de chômeurs, l'immigration à Mayotte, les actes terroristes musulmans.... Voilà qui méritait peut-être une meilleure attention... (Mouvements divers à gauche et au centre) Mesdames, vous avez raison d'être contentes de vous !

Mme Chantal Jouanno.  - Il y a aussi des hommes dans l'hémicycle !

M. Roland Courteau.  - C'est scandaleux !

M. Jean Louis Masson.  - Mesdames qui vociférez, sachez qu'il y a des gens qui, avant que vous fussiez sénatrices, se sont battus pour l'égalité. (Les sénateurs des groupes écologiste, socialiste et républicain, communiste républicain et citoyen et M. Alain Bertrand se lèvent et quittent l'hémicycle)

Je pense que le sujet du jour n'est pas la priorité de nos concitoyens. La délégation pourrait faire oeuvre plus utile, traiter par exemple de l'égalité salariale ou du temps partiel imposé.... (Mme Chantal Jouanno s'indigne) J'en ai fini, les personnes ayant quitté l'hémicycle peuvent y revenir...

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Cette intervention était indigne.

Mme Chantal Jouanno.  - Et M. Masson se prétend féministe...

Mme Mireille Jouve .  - (Les sénatrices et sénateurs qui avaient quitté l'hémicycle rejoignent leurs bancs) Comment trouver dans notre droit les moyens de lutter contre la traite des êtres humains, récemment étendue à la réduction en esclavage ou servitude ? La définition de la traite telle que donnée à l'article 225-4-1 du code pénal est incomplète en ce qu'elle ne prend pas en compte les mariages forcés.

Une carte de séjour temporaire est délivrée à l'étranger victime qui dépose plainte contre les personnes qu'il accuse de traite et, en cas de condamnation définitive de celles-ci, une carte de résident est accordée de plein droit. Dans les faits, les victimes sont insuffisamment informées de leurs droits, en dépit de la circulaire de mai 2015, et les pratiques des préfectures encore hétérogènes. Nous recommandons leur harmonisation.

La Miprof manque de moyens spécifiques ; nous recommandons son rattachement aux services du Premier ministre. Elle a défini, pour le plan d'action national 2014-2016, et pour la première fois, les fondements d'une politique transversale et intégrée autour de trois axes : identifier les victimes pour les protéger, poursuivre et démanteler les réseaux, faire de la lutte contre la traite une politique publique à part entière. Or le plan national n'est que partiellement mis en oeuvre. Nous demandons que ses moyens budgétaires et humains soient garantis.

Les efforts réels produiront, nous l'espérons, des résultats tangibles à l'instar des quatre plans interministériels relatifs aux violences faites aux femmes. Victor Hugo le disait, « Un seul esclave sur la terre suffit pour déshonorer la liberté de tous les hommes. (Applaudissements)

M. Guillaume Arnell.  - Bravo !

Mme Dominique Estrosi Sassone .  - Le sujet a pris de l'ampleur ces dernières années malgré l'actualisation régulière de notre arsenal législatif. Les bouleversements géopolitiques consolident les réseaux mafieux. Mais l'esclavage moderne qui n'est pas nouveau. En 2003 déjà, le Sénat avait introduit dans le code pénal la notion de traite des êtres humains.

À Nice, en janvier dernier, j'ai accueilli les deux rapporteures qui ont pu évaluer les réponses pragmatiques que peut apporter une collectivité territoriale quand tous les acteurs se mobilisent. La visite d'un centre d'hébergement et de réinsertion sociale, les réunions de travail ont permis de mettre en lumière le dispositif de coordination que nous avions mis en place. Une commission départementale de lutte contre les violences est chargée de dresser un état des lieux, des groupes de travail sont à l'oeuvre, l'assemblée plénière, sous l'autorité du préfet, propose un accompagnement social et juridique aux victimes. Les victimes sont recensées principalement grâce à l'association reconnue d'utilité publique ALC. Les personnes sont mises à l'abri, leur est offerte une solution d'hébergement et un accompagnement dans les procédures judiciaires. Je salue cette association qui a reçu le prix annuel de prévention de la délinquance en 2014. Sa première mission depuis sa création à Nice en 1998 a été l'éducation et la scolarisation, de protéger les mineures des dangers de la prostitution.

Toutefois, il n'y aurait pas de réponse locale sans mobilisation citoyenne. Depuis la signature en 2012 d'un partenariat renforcé entre la ville de Nice et l'Association A.L.C., les actions de prévention de la prostitution se sont intensifiées, de même que la politique sociale et la coopération avec les pays d'origine des organisations mafieuses. Mais la vigilance ne suffit pas lorsque 90 % du public détecté est étranger. La prostitution contemporaine est largement subie et les violences, la peur poussent à l'isolement ; les chances de sortie sans aide sont limitées. Il faut donc agir vite.

Nous avons optimisé le dispositif d'admission au séjour des ressortissants victimes de la traite ou du proxénétisme en fluidifiant la délivrance de cartes de séjour temporaires et renouvelables. Le temps de la procédure pénale est déterminant pour démanteler les réseaux.

Dans les Alpes-Maritimes, nous n'avons pas attendu la loi de lutte contre le système prostitutionnel pour agir. Je me réjouis que la délégation cite le dispositif de coordination de Nice en exemple et recommande sa généralisation à l'ensemble du territoire. (Applaudissements)

M. Marc Laménie .  - Merci à nos collègues de la délégation et à nos rapporteures pour leur travail immense. La synthèse de leur rapport a même été traduite en anglais...

Les femmes et les mineures sont les premières victimes de ce qu'on appelait autrefois la traite des blanches. La traite des êtres humains peut prendre la forme de la prostitution, du travail forcé ou du trafic d'organes - nous apprenions il y a quelques jours l'existence d'une usine à bébés en Inde... Mais il n'est pas besoin d'aller si loin : en 2010 au Kosovo et en Moldavie, pareils trafics avaient été démantelés. Les mafias qui sévissent en Albanie agissent aussi au Kosovo et en Hongrie. La traite rapporte des milliards de dollars.

Les passeurs s'organisent de mieux en mieux ; les trafics s'accentuent lorsque les États sont faibles : je pense aux jeunes filles enlevées par Boko Haram ou aux Yezidies enlevées par Daech. Nous devons nous élever contre ces barbaries. C'est un combat de longue haleine mais il faut le mener. La Miprof, créée en 2013, agit. Certes la tâche reste immense, mais ne baissons pas les bras. Nous devons toujours rechercher l'égalité entre les femmes et les hommes. (Applaudissements)

Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes .  - Merci, mesdames et messieurs les sénatrices et sénateurs, de me convier à ce débat. Je salue l'esprit de consensus qui a présidé au rapport de la délégation.

Le sénateur Masson a jugé bon de nous quitter après avoir consacré ses trois minutes de temps de parole à jeter des boules puantes... Il m'a fait penser à ces enfants qui, ne sachant pas comment attirer l'attention, égrènent tous les gros mots qu'ils connaissent en un temps record. Nous, parents expérimentés, savons comment traiter ces provocations puériles... (Rires et applaudissements)

Nous devons lutter contre cette barbarie, ô combien moderne, qu'est la traite. Vous avez évoqué les femmes Yezidies, vendues comme esclaves sexuelles ou comme esclaves tout court, les assassins de l'État islamique coupables d'un véritable féminicide et les jeunes filles enlevées par Boko Haram. Dédions-leur ce débat (Mme Brigitte Gonthier-Maurin approuve)

La France est de plus en plus exposée à l'esclavagisme en tant que pays de travail ou de destination. Ce n'est pas un hasard si c'est votre délégation aux droits des femmes qui a donné de la visibilité à ce sujet, après celui de la prostitution. Quelques 90 % des prostituées sont d'origine étrangère et victimes de réseaux.

En 2014, le Gouvernement a adopté un plan triennal qui a commencé à porter ses fruits. Mais nous nous heurtons aujourd'hui aux bouleversements de la crise des migrants.

Les femmes et les enfants qui quittent leur pays sont particulièrement exposés à la traite et à l'exploitation. Nous devons donc anticiper l'extension des réseaux et mettre la traite des êtres humains au centre de notre politique migratoire.

Pour la première fois en la matière, le Gouvernement, avec un volontarisme inédit, a une politique interministérielle, menée autour de trois axes, le renforcement de l'arsenal législatif, la création de la Miprof, le plan national.

La loi du 5 août 2013 a rendu notre droit pénal conforme au droit international en étendant la traite des êtres humains à la réduction en esclavage ou en servilité et aux trafics d'organe. Vous proposez de l'étendre aux mariages forcés. Cela n'est pas le cas dans le droit international. Mais mon combat contre cette pratique est le même que celui contre la traite - dans ces cas l'exploitation de l'épouse ne fait pas de doute.

Depuis la loi de 2013, les victimes de la traite et de la prostitution ont droit à une carte de séjour temporaire et renouvelable tout au long de la procédure - elles sont exonérées des taxes et droit de timbre. La loi de lutte contre le système prostitutionnel, inédite, a complété le dispositif : la sanction pénale pour achat de services sexuels, entraînera, je l'espère, une prise de conscience salutaire des clients complices de la mise en esclavage. En cela, elle est une mesure de lutte contre la traite.

La loi du 30 mars 2016 autorise la ratification du protocole de l'OIT de 1930 contre le travail forcé.

L'accompagnement des victimes est au coeur de notre politique, pour leur rendre dignité et humanité. Dans le cadre du plan national, des référents au sein de chaque préfecture ont été nommés et la formation des professionnels renforcée ; le dispositif Accueil sécurisant est largement promu. Il s'agit aussi d'agir pour que les victimes, leur situation administrative stabilisée, aient accès à l'emploi, au logement et à l'éducation.

Le parcours d'insertion sociale est le même que pour d'autres victimes d'exploitation. Une expérimentation sur le modèle de Nice est en cours à Paris pour les victimes qui coopèrent avec les services ; si elle porte des fruits, nous généraliserons le dispositif comme vous le recommandez.

La circulaire de politique pénale de janvier 2015 donne des orientations claires en matière de répression. La compétence des inspecteurs du travail a été élargie. L'accent est mis sur l'entraide pénale ; 17 postes diplomatiques particulièrement concernés ont été identifiés. Le nombre d'infractions pour traite a plus que doublé depuis 2012, et les condamnations ont été multipliées par quatre depuis 2014.

La Miprof garantit la cohérence de la politique menée. Si elle est interministérielle par essence, je ne crois pas que cela justifie son rattachement au Premier ministre. La traite est une des expressions de la domination masculine : ignorer cette dimension, c'est passer à côté du phénomène. C'est pourquoi mieux vaut que la Miprof me reste rattachée, étant entendu qu'elle associe le plus grand nombre d'actions. Sa démarche interdisciplinaire est soutenue par un effort financier important qui se poursuivra avec la mise en oeuvre de l'article 7 de la loi de 2016, qui dispose que le produit des amendes pour achat d'acte sexuel et des ventes de biens confisqués aux proxénètes et auteurs de la traite y est consacré.

Les inspecteurs du travail bénéficieront d'une formation, comme les magistrats et les membres des forces de sécurité. Une campagne de communication sera lancée le 18 octobre prochain. La Miprof travaille à une cartographie des associations accompagnant les victimes.

Nous nous rejoignons en grande partie. Je n'en doutais pas mais je m'en félicite. Je tirerai en particulier des enseignements de ce rapport sur les enjeux de la crise migratoire. Le nombre de mineurs en danger a explosé dans la lande de Calais, malgré notre coopération avec le Conseil départemental et des associations comme France Terre d'Asile. Je compte ouvrir un centre agréé ASE dans la région dans un futur proche pour traiter cette question.

Pour répondre à Mme Bouchoux sur la pédophilie, je demande que les institutions confrontées en leur sein à la pédophilie fassent preuve du même courage que celui dont font preuve leurs victimes.

Le Gouvernement est déterminé à lutter contre la pédophilie et la traite. Nous sommes passés de la fatalité à la responsabilité. Le chemin est encore long avant que le crime soit marginalisé. Mais nous avançons. Je vous remercie de participer à ce combat. (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance, suspendue à 16 h 10, reprend à 16 h 15.