Projet de loi de finances pour 2017 (Suite)

Discussion générale (Suite)

M. René-Paul Savary .  - Je voudrais parler, en cette période de Noël, des finances des départements. Rappelez-vous : ces collectivités qu'on voulait supprimer... avant de les conforter dans leur mission de solidarité, et que chaque loi de finances asphyxie à petit feu. Ce projet de loi de finances est encore un bel exemple d'acharnement contre les départements. Pourquoi sont-ils si mal aimés ? Ils financent les allocations individuelles de solidarité. L'État est décideur, le département est payeur. Augmentation du RSA de 3 % : vous ne trouverez pas plus beau pigeon, plus belle dinde que les départements. Comble de l'ironie, le collectif allouera généreusement 200 millions d'euros aux départements en difficulté - mais vous reprenez déjà de l'autre main 227 millions d'euros...

La magie des chiffres ne s'arrête pas là. Autre tour de passe-passe : faire deux dépenses avec une seule recette.

M. Bruno Gilles.  - C'est ça, les socialistes !

M. René-Paul Savary.  - L'article 50 prévoit un fonds d'appui aux politiques d'insertion des départements financé, à hauteur de 50 millions d'euros, par le fonds de réserve de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, ce tiroir-caisse multi-usages qui a vocation à compenser la dépendance des personnes âgées et handicapées. Vous faites appel à la solidarité des plus dépendants au bénéfice des plus démunis ! Plus solidaire que solidaire !

La méthode, hasardeuse, cache mal une manoeuvre grossière. On gèle les crédits prévisionnels en début d'année, on surgèle les crédits prudentiels en milieu d'année, et en fin d'année, on utilise les crédits non consommés pour financer de nouvelles actions !

Ce fonds d'insertion est en outre une atteinte à nos institutions, car il instaure une tutelle de l'État sur les départements. Quel manque de confiance envers ces derniers, dont le savoir-faire en matière d'insertion est pourtant reconnu !

Dernier point : l'article 20, sur la compensation des postes non pourvus, conformément à la loi de 2005 sur le handicap. Cette compensation ne sera plus assurée !

Toutes ces raisons justifient la question préalable. Il est temps d'arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, il est temps de prendre des mesures radicales. Avec ce PLF, nos enfants paient pour les cadeaux de Noël que leurs parents se font à eux-mêmes ! Il est temps de cesser de croire au Père Noël, nos concitoyens ont montré qu'ils n'y croyaient plus en faisant de la primaire de la droite un succès ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Benoît Huré .  - Ce budget est insincère et démagogique. Insincère, la sévérité du HCFP le montre. Démagogique, car inspiré par un certain clientélisme politicien... Sans oublier, comme l'a dit notre président Philippe Bas, que le contrat républicain entre l'État et les collectivités territoriales a reçu des coups de canif sans précédent : la loi Maptam, en particulier, laisse dans notre pays un champ de ruines institutionnelles, psychologiques, sociétales.

Les réformes, issues de think tanks parisiens et hors-sol, visaient clairement la suppression des départements. Celle-ci n'ayant pu être atteinte par la loi, elle est entreprise par l'asphyxie budgétaire, avec la baisse de la DGF alors que les charges de solidarité qu'ils assurent explosent. En 2012, le reste à charge était pour les départements de 5,4 milliards d'euros, et la participation de l'État de 8,5 milliards. En 2017, le reste à charge sera de 9,9 milliards, et excèdera la prise en charge par l'État !

Les facteurs d'inflation, vous les connaissez tous. À cela s'ajoute la charge des 10 000 mineurs non accompagnés, dont l'essentiel est assumé par dix départements, et la hausse du point d'indice. 40 départements sont désormais dans le rouge, contre 9 l'an passé.

Ces mesures obèrent leur capacité à investir, donc à préparer l'avenir.

Or le levier fiscal n'est plus une option car nos concitoyens sont suffisamment ponctionnés, et parce qu'il serait un outil dérisoire. Dans les Ardennes, 1 % de fiscalité supplémentaire correspond à 500 000 euros, alors que nous avons perdu 139 millions d'euros du fait du non-remboursement des dépenses sociales par l'État entre 2013 et 2015.

C'est une situation de quasi-subordination que l'État a voulu nous imposer avec acharnement, alors que l'engagement n°54 du programme de François Hollande prévoyait un pacte de confiance entre l'État et les collectivités territoriales. (Marques d'ironie à droite)

Il faudra refonder les relations entre l'État et les départements, et nos mécanismes de solidarité.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Avec 100 milliards et 500 000 fonctionnaires en moins ?

M. Benoît Huré.  - Dans ce combat décisif, il faudra mobiliser toutes les énergies, car l'avenir des générations futures dans notre beau pays est en jeu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Antoine Lefèvre .  - Rapporteur spécial de la mission « Justice » pour la loi de finances, je dirai surtout un mot sur notre système judiciaire, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse.

Le ministre a pris la mesure du problème en annonçant la création de 2 000 postes et la création de places de prison supplémentaires.

Mais depuis 2012, les dépenses ne sont pas maîtrisées, en témoigne la hausse des charges à payer, et l'augmentation des crédits de paiement correspond à la hausse des effectifs. Cependant, les charges nouvelles ne sont pas financées - comme les nouvelles places de prison. Or s'il faut, vu l'état de notre système carcéral, effectivement agir, on ne peut laisser la facture au prochain Gouvernement.

Les effectifs de magistrats et de greffiers progressent depuis 2015, mais le taux de vacance atteint 6 % : c'est préoccupant.

J'ai des doutes quant à la budgétisation des frais de justice : le rapporteur général nous a présenté à la rentrée un projet de décret d'avances qui ouvrait des crédits en faveur des frais de justice.

Le Gouvernement avait indiqué que ce « dérapage » résultait des attentats. Toutefois, selon le ministère de la justice, les économies prévues dans la précédente loi de finances n'ont pas pu être réalisées en raison notamment du décalage du déploiement de la plateforme nationale des interceptions judiciaires - la PNIJ. C'est désormais cette plateforme que doivent utiliser les enquêteurs pour réaliser les écoutes ordonnées par le juge. Les 35 millions d'économies afférentes me paraissent peu crédibles et les reports de crédits risquent de repartir à la hausse.

La décision de créer une telle plateforme a été prise en 2005 ; onze ans plus tard, elle n'est toujours pas pleinement opérationnelle. Son coût total est estimé à 121 millions d'euros, à comparer aux 110 millions d'euros de frais de justice en matière d'interceptions judiciaires en 2015.

Il convient à présent de demander à Thalès de réorienter son action. Ce matin même, des magistrats et des policiers lui ont écrit dans la presse, dénonçant les dysfonctionnements de la plateforme.

Le recrutement dans l'administration pénitentiaire est un enjeu majeur. Il est peu attractif mais essentiel, en raison de la surpopulation carcérale. 30 000 téléphones circulent en prison, que les brouilleurs de l'administration ne parviennent pas à rendre inopérant : ils brouillent la 2 G, mais pas la 4 G. Résultat : les prisonniers communiquent tous avec leurs familles, voire leurs victimes...

Une voix à droite.  - Incroyable !

M. Antoine Lefèvre.  - En Allemagne, il semble pourtant que Siemens fabrique un brouillage efficace, mais onéreux. Un dialogue compétitif est en cours avec des entreprises pour moderniser nos équipements, nous devons progresser pour assurer un brouillage effectif. La capacité de l'administration pénitentiaire à réaliser les extractions judiciaire est un autre sujet qu'il faudra traiter. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Dominique de Legge .  - Les crédits du ministère de la défense s'élèvent à 32,7 milliards. Le risque d'insincérité du budget devrait être levé par l'ouverture de 830 millions par décret d'avance pour financer les Opex, et par la restitution de 2,9 milliards gelés et surgelés au titre de 2015 et 2016.

Mais des incertitudes demeurent sur les 400 millions de recettes supplémentaires en 2017, 150 proviennent de recettes exceptionnelles. Nous avions, jadis, dans la loi de programmation militaire, contraint le Gouvernement à revoir à la baisse ses espoirs de recettes exceptionnelles ; ne revenons pas en arrière.

Les Opex demeurent sous-budgétées, à 450 millions, alors que nous savons pertinemment que leur coût dépassera le milliard. La perspective du maintien de l'état d'urgence pose le problème du Maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos forces, et de leur utilisation pour des missions de maintien de l'ordre. La lutte contre l'islam intégral sera longue ; or la solution de mobiliser l'armée sur le sol national n'est pas pérenne. L'entretien quotidien des bâtiments ne pourra pas être assuré en l'état. Notons que les primes aux soldats de l'opération Sentinelle n'ont toujours pas été versées ! Les crédits de MCO, plus globalement, sont très insuffisants, et cela peut poser un risque de perte de capacité.

L'articulation défaillante entre la dépense et la sécurité intérieure, la sur-mobilisation de nos forces, au-delà de ce que prévoit la loi de programmation militaire, et l'insuffisant renouvellement de nos matériels sont trois faiblesses graves de ce budget, qui en conséquence ne prépare pas notre défense à l'avenir : cela suffit à justifier que l'on vote la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Louis Duvernois .  - Rapporteur de la commission de la culture, j'insisterai sur les crédits de la diplomatie culturelle et d'influence. Leur adoption en commission n'est pas un satisfecit donné au Gouvernement.

Les financements restent en effet insuffisants, et en baisse de 10 % depuis le début du quinquennat. Certes, il s'agit de contribuer à la gestion du déficit, mais les postes diplomatiques sont contraints à gérer la pénurie.

L'enseignement français à l'étranger est pourtant, avec 137 établissements d'accueils et 495 établissements homologués - qui affichent 97 % de réussite au bac - l'un des plus étendus au monde.

La hausse de 1,7 million d'euros du budget de l'AEFE est en trompe l'oeil, puisqu'elle comprend 14 millions de crédits exceptionnels pour la sécurisation des établissements en zone sensible. L'offre éducative globale n'augmente pas, arrêtons de manipuler les chiffres ! Notre réseau est en réalité, alertent certains, menacé de déclin, faute de regarder les choses en face et de volonté de réformer. Le modèle économique de l'AEFE reste incertain ; les frais de scolarité annuels atteignent en conséquence parfois jusqu'à 25 000 euros par élève ! Seuls 104 millions d'euros ont été consacrés aux bourses scolaires, contre 125 millions promis par le Gouvernement.

L'augmentation du nombre de boursiers a, du coup, réduit leur montant moyen. Donc le nombre d'élèves modestes dans ces établissements. De plus 600 enseignants supplémentaires auraient dû y être affectés, mais les Français de l'étranger sont les oubliés de la maison France. Ces coupes budgétaires mettent aussi en péril la capacité des instituts français à remplir leurs missions. Il faudra développer les synergies avec les alliances françaises.

Notre pays est le cinquième ou sixième au monde en termes d'accueil d'étudiants étrangers. Or l'action visant les bourses d'études et les stages voit ses crédits baisser de 3,4 %, alors que la reconnaissance internationale de l'enseignement supérieur français progresse ! Le Gouvernement s'en désintéresse malheureusement, car c'est électoralement peu payant... Je le déplore et voterai la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Marc Laménie .  - Ce projet de loi de finances est particulier, avec le recours à la question préalable, qui n'obère en rien l'examen de fond des différentes missions par la commission des finances et par les autres.

Certes, gérer la France n'est pas facile. Les recettes sont évaluées à 416 milliards d'euros dont 203 milliards de TVA. 63 milliards d'euros sont prélevés, dont 44 pour les collectivités territoriales et 19 pour l'Union européenne. À une surévaluation des recettes répond une sous-évaluation des dépenses, qui seraient de 427 milliards d'euros, dont 108 pour les remboursements et dégrèvements.

La mission « Anciens combattants » compte 2,150 milliards d'euros de crédits, dont 117 millions pour la Journée défense et citoyenneté (JDC). Les crédits baissent de 2,6 % en crédits de paiement du fait de la baisse du nombre de bénéficiaires. Cette action montre le respect et la solidarité de la Nation. La revalorisation de la carte de combattant ne suffit pas à compenser la perte du pouvoir d'achat. Cette mission a été votée à l'unanimité.

Les annulations de crédits ont été légion : - 14,7 millions pour les anciens combattants, - 2,9 millions d'euros pour l'égalité hommes/femmes.

Le soutien aux collectivités territoriales diminue ; dans les Ardennes, 12 millions d'euros manquent chaque année au titre des dotations de l'État.

Au vu de ces incertitudes et aléas, je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx .  - Rapporteur spécial sur les infrastructures des transports terrestres, je regrette qu'une mission n'y soit pas consacrée. La politique publique des transports est distincte de l'écologie. Le rang de secrétariat d'État traduit l'affaiblissement d'une politique qui reste pourtant stratégique. L'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), établissement public administratif de l'État, créée en 2004, est financée par des taxes affectées. Elle reverse une partie de son budget vers des projets précis. C'est un opérateur transparent dont les décisions engagent l'État. Mais les fonds de concours ne sont qu'évaluatifs ! Sans vouloir sa suppression, je propose encore une fois que le budget de cet établissement soit soumis au Parlement. (M. Michel Bouvard applaudit)

Depuis sa création, l'AFITF a engagé 33 milliards d'euros. Il lui reste 11,3 milliards à mandater, soit l'équivalent de cinq à six exercices. Sa situation est précaire. L'agence évalue son besoin à 2,8 milliards de crédits de paiement, en 2017, 3,2 en 2018 et 3,1 en 2019.

Si l'augmentation de 0,9 % des taxes d'aménagement du territoire est raisonnable, celle des autres taxes est insincère. Il faut donc affecter une part plus importante au rehaussement de la Taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (TICPE) à l'AFITF en 2017.

Quant au programme 203, dont les crédits sont en baisse de 1,3 %, l'essentiel réside dans la subvention à la SNCF : sur 3 milliards d'euros, la subvention à SNCF Réseau est de 2,5 milliards d'euros.

Tous ces points nous empêchent d'adopter les crédits de la mission Écologie. D'après un référé de la Cour des comptes, l'AFITF a besoin de 1,6 à 4,7 milliards d'euros pour faire face à ses engagements. La dette de 44 milliards d'euros de la SNCF la paralyse. Nous avions prévu, avec la « règle d'or », qu'elle ne puisse s'endetter au-delà d'un certain ratio - mais le décret d'application n'est toujours pas paru !

L'annulation de l'écotaxe poids lourds est un scandale sans pareil. Pourquoi se priver ainsi d'un milliard d'euros de recettes ? Je voterai donc la question préalable : les conditions ne sont pas réunies pour l'examen de cette loi de finances. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains).

Mme Fabienne Keller .  - Pourquoi voter la question préalable ? La sincérité de ce budget est douteuse. La commission des finances a évalué à 8, voire 12 milliards d'euros le décalage. La croissance est surévaluée. Ce n'est pas nouveau, certes, mais les montants atteignent des sommets cette année.

Vous laissez filer la masse salariale de la fonction publique, mais baissez les dotations aux collectivités territoriales.

Votre Gouvernement a été généreux en promesses - dont le coût sera supporté les années suivantes : 7,7 milliards en 2018, 25 d'ici 2021. N'oublions pas les 20 milliards d'euros du CICE.

Les crédits de l'aide publique au développement, de 2008 à 2012, ont représenté 16,8 milliards. Entre 2012 et 2017, ils atteindraient entre 15,6 et 15,8 milliards d'euros. Triste bilan de ce quinquennat, avec 1 milliard d'euros en moins pour les pays en développement (PED) !

Attendons de voir l'exécution : les prêts se sont substitués à 90 % aux crédits budgétaires.

Pendant ce temps, le Royaume-Uni respecte son objectif de 0,7 % du revenu national brut consacré au développement. L'Allemagne nous dépasse avec 0,52 % contre 0,37 % pour la France. La tournée en Afrique d'Angela Merkel montre qu'elle croit au développement, cette réponse aux défis migratoires et aux besoins de son industrie. C'est le bon investissement de long terme. La France doit donc s'inspirer des exemples allemand et britannique.

Je voterai la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics .  - Merci aux sénateurs qui sont restés jusqu'au bout. Certains autres, selon la technique de Lourdes, font des apparitions, le temps de monter à la tribune...

Tous les ans, vous parlez de surévaluations et de sous-évaluations. L'année dernière, vous me disiez qu'il manquerait 10 milliards de recettes ? Il y a eu 1 milliard d'euros de recettes supplémentaires ! Nous manquerions nécessairement l'objectif d'un déficit à 3% ? La Cour des comptes parle d'objectif « atteignable », « réaliste », dans son récent avis.

Notre prévision de croissance serait irréaliste ? Les conjoncturistes, qui devraient faire preuve d'un peu plus d'humilité, parlent plus ou moins d'1,3 % de croissance - nous, d'1,5 %. Admettons que ce soit trop : notre déficit sera à 2,8 ou bien de 2,7 % du PIB.

J'ai entendu parler de M. Moscovici : il est loin d'être seul à décider pour la commission européenne. Les avis de la commission sont collégiaux et certainement pas complaisants. Elle prévoit un déficit de 2,9 % du PIB pour notre pays.

Michel Sapin et moi assumons. Nous avons toujours été réalistes dans nos prévisions.

Nous minorons les dépenses ? Les dépenses publiques, avec 1,3 %, ont augmenté trois fois moins que sous le quinquennat antérieur, avec 3,5 % - pour partie grâce à une inflation moindre, il est vrai.

Je vous ai attentivement écoutés : « plus de crédits pour la défense, l'investissement à l'étranger, l'AFITF, les collectivités territoriales, l'Agence nationale de l'habitat (Anah), la justice, l'aide au développement... ».

Mais il faudrait faire 100 milliards d'économies sur le quinquennat. Nous dépensons effectivement 45 milliards d'euros pour le logement : quelles dépenses supprimerez-vous ? Aide à la pierre, APL, Pinel ? Dites-le clairement ! Vous voulez la quadrature du cercle. Êtes-vous pour le recours à l'écotaxe ? Au Sénat, j'ai souvent entendu que oui. Mais à l'Assemblée nationale, j'ai bien entendu M. Le Fur, bonnet rouge sur la tête, me dire le contraire !

Dira-t-on ici aux Français que l'on veut mettre en place une écotaxe ? J'entends encore la voix de M. Le Fur, à l'Assemblée nationale, la combattre comme si c'était le diable en personne... Les responsabilités sont partagées : la conception du marché date d'avant 2012, Mme Des Esgaulx le sait bien, qui a présidé une commission d'enquête sénatoriale sur le sujet... Si l'on refuse ces quelque 2 milliards, comment financer le supplément que vous souhaitez allouer à l'AFITF ? En majorant la contribution des sociétés d'autoroute ? En taxant le gasoil des transporteurs routiers ?

J'entends vos remarques sur les collectivités locales et notamment sur les départements. Mais je lis aussi dans le programme du candidat de la droite que 20 % des 100 milliards d'économies doivent reposer sur les collectivités territoriales, soit 20 milliards d'euros...

M. Francis Delattre.  - Vous l'avez fait !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Nous l'assumons ! Et la baisse des dotations des collectivités territoriales a eu la vertu d'entraîner une baisse des dépenses selon la Cour des comptes, laquelle montre aussi que la péréquation a été réalisée dans de bonnes conditions.

J'entends dire en outre qu'il faut supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires. Or il ne se passe pas de semaine sans que je reçoive des dizaines de courriers de parlementaires pour m'avertir que toute suppression dans telle trésorerie ou telle recette des douanes de leur circonscription serait une catastrophe !

Suffit-il, comme je l'ai entendu également, d'augmenter le temps de travail des fonctionnaires pour en diminuer le nombre ? Et comment prétendre l'imposer aux collectivités territoriales ? Qui osera écrire dans la loi qu'elles n'ont plus le droit de remplacer les départs à la retraite ? C'est constitutionnellement irréalisable et techniquement irréaliste.

La baisse des dotations a contraint des collectivités territoriales à faire des choix qui ont pesé sur leur masse salariale ou à augmenter leur fiscalité. D'autres ont choisi de diminuer leurs dépenses de fonctionnement et aussi d'investissement, je l'assume.

Seul l'un d'entre vous a indiqué qu'il ne voterait pas la question préalable. Je le regrette, car il eût été utile de débattre, pour juxtaposer vos programmes. Combien souhaiteriez-vous inscrire en dépenses supplémentaires pour la justice ? Combien en plus pour la défense ? Vous pourriez ainsi compléter d'une part la colonne des dépenses, de l'autre celle des recettes, où vous proposez la suppression de l'ISF, voire des baisses d'impôt sur le revenu, et nous pourrions faire les totaux. Voilà ce que serait l'exercice de transparence, de vérité. Et pour le rendre efficace, il faut aussi énoncer les moyens, les leviers d'action, au moins dans leurs grandes lignes ; cela et la Lolf et l'article 40 le permettent, comme l'a marqué M. Bouvard, non parce qu'il s'est prononcé, à titre personnel, contre la question préalable, mais parce qu'il a indiqué ces pistes d'action des parlementaires dans un tel débat budgétaire, s'il pouvait avoir lieu.

M. de Legge et d'autres, dont M. Bockel se sont exprimés sur le budget de la défense. Prenez l'exemple des fréquences.

M. Dominique de Legge.  - Vous n'allez pas nous faire le coup de 2015 !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Nous souhaitions inscrire les recettes liées à la vente des fréquences à hauteur de 2 milliards d'euros dans le budget 2015. Que n'avons-nous entendu ! Ce n'était pas possible, c'était surestimé... Elles ont été vendues à 2,7 milliards d'euros, alors qu'on criait au grand jamais.

M. Dominique de Legge.  - Elles n'ont pas été payées !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Vous savez bien que ce n'est pas le sujet. Ces recettes sont certaines. Le fait que nous ayons converti en crédits budgétaires ces recettes exceptionnelles a rapporté 700 millions d'euros au budget général de l'État.

C'est la première fois dans l'histoire de notre République qu'une loi de programmation militaire a été respectée et même révisée à la hausse en cours de mandat. Les circonstances nous y obligent.

M. Charles Revet.  - Bien sûr !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Il serait faux de dire que nous ne mettrions pas en place les moyens de répondre aux décisions prises sur les interventions de nos forces armées à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire.

Le prix de l'énergie, notamment du pétrole, et le faible niveau de l'inflation favorisent le budget de la défense, très consommatrice de produits pétroliers, avec ses avions, ses navires, ses véhicules, non pas en dizaines, mais en centaines de millions d'euros : je ne le conteste pas.

Dans une discussion construite, vous auriez pu obtenir des aménagements du texte, comme cela fut le cas dans la loi de financement de la sécurité sociale, votée hier soir à l'Assemblée nationale, où certains de vos amendements ont été retenus.

Nous aurions pu débattre aussi du prélèvement à la source, dont vous avez peu parlé, à une ou deux exceptions près, alors que cette réforme qui concerne tous les Français méritait d'être discutée, sur la base d'arguments. Tout rejeter d'un revers de main...

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général.  - Oh !

M. Christian Eckert, secrétaire d'État.  - Vous m'avez interpellé sur l'imposition des indemnités des élus locaux. Sans entrer ici dans le détail, ce qu'un débat approfondi eût permis, cette réforme se justifie par le principe d'égalité de traitement devant l'impôt, auquel je tiens. Sans compter que, sur un mandat de six ans, les élus ne sont imposés sur leurs indemnités que sur cinq années. Il faut le dire !

J'ai un principe : mieux vaut que les revenus soient imposés quitte à les majorer plutôt que d'avoir un système d'exonération. L'Assemblée nationale a souhaité que l'indemnité journalière d'absence temporaire pour les forces de sécurité ne soit pas imposable. La Cour des comptes avait en effet relevé que la non-imposition de cette indemnité était illégale. J'aurais préféré la rendre imposable en la majorant à due concurrence. Même si les taux d'imposition diffèrent selon les situations de chacun, on peut trouver une « cote mal taillée » à cet effet. Une exonération concédée à la police et à la gendarmerie ne manquera pas de susciter d'autres demandes, des forces armées ou d'autres corps concourant à la sécurité...

Vos collègues députés ont aussi décidé de rendre imposable l'indemnité de résidence qui compose l'indemnité parlementaire, de même que l'indemnité de fonction des ministres. C'est une bonne chose. Encore une fois, mieux vaut que tous les revenus soient imposables. Quand ils ne le sont pas, l'État n'a rien à perdre à prévoir un ajustement.

Voilà des exemples de discussion que nous aurions pu avoir. Sur les trente-cinq orateurs, je n'ai entendu parler que deux fois - et encore, rapidement - du prélèvement à la source. Nos concitoyens y sont plutôt favorables. Nous aurions pu trouver un consensus, d'autant que cette mesure avait déjà fait l'objet d'annonces de la part de certains de mes prédécesseurs. Je regrette que les discussions aient été aussi binaires. Entre le « merveilleux » de mon côté et le « n'importe quoi » du vôtre, nous aurions pu ouvrir l'espace d'un débat. C'est précisément le rôle du Parlement, qui ne peut se contenter d'être contemplatif.

Je remercie ceux qui sont intervenus, avec mesure, sur l'Aide médicale d'État (AME) trop souvent caricaturée. M. Vanlerenberghe a très justement rappelé que si le tourisme médical existait, la suppression de l'AME ne pourrait jamais signifier la fin du déficit de l'État. C'est tellement contraire à nos valeurs humanistes, voire humanitaires. Nous pourrons encore poursuivre nos échanges demain.

Nominations à une éventuelle CMP

Mme la présidente.  - Pour le cas où le Gouvernement déciderait de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte commun sur le projet de loi de finances pour 2017, il va être procédé à la nomination des membres de cette commission mixte paritaire.

La liste des candidats a été publiée ; je n'ai reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 12 du Règlement.

En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire, en tant que titulaires, Mme Michèle André, MM. Albéric de Montgolfier, Philippe Dallier, Francis Delattre, Vincent Delahaye, Maurice Vincent, Éric Bocquet ; en tant que suppléants, MM. Vincent Capo-Canellas, Serge Dassault, Philippe Dominati, Roger Karoutchi, François Marc, Jean Claude Requier, Richard Yung.

Cette nomination prendra effet si M. le Premier ministre décide de provoquer la réunion de cette commission mixte paritaire et dès que M. le président du Sénat en aura été informé.

Prochaine séance, demain, mercredi 30 novembre 2016, à 15 heures.

La séance est levée à 19 h 50.

Jacques Fradkine

Direction des comptes rendus