Déclaration du Gouvernement en application de l'article 50-1 de la Constitution

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-I de la Constitution.

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et sur quelques bancs du groupe RDSE) Monsieur le président du Sénat, je me sens honoré d'être à cette tribune, pour ce qui n'est pas une déclaration de politique générale - M. Ayrault l'a lue hier.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Ce fut positif...

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Rassurez-vous, je ne vous la relirai pas, ce serait une mauvaise image de la considération que j'ai pour vous.

J'ai toujours eu de l'affection pour la Haute Assemblée et toujours été impressionné par la rigueur de vos travaux, par le sens du consensus qui prévaut ici plus qu'ailleurs.

J'aurai à coeur, dans les prochains mois, que le débat existe, qu'il soit bien vivant, surtout avec la représentation nationale - ceci dans le plein respect, car les Français voient le vacarme, le bruit des postures, alors qu'ils veulent la clarté des projets. Notre pays est face à trop d'enjeux essentiels pour se perdre en polémiques inutiles - je ferai ce qu'il m'est possible pour le dialogue.

La situation est grave. Je sais à quel point chacun est choqué, scandalisé, révolté par ce qui se passe à Alep, où des enfants, des femmes sont assassinés, persécutés par un régime qui ne sait que devenir le meurtrier de son propre peuple, des hommes enrôlés de force dans l'armée de Bachar el Assad. Je pense aussi à l'impossibilité de quitter Alep faute d'un couloir humanitaire. Le refus des alliés russes du régime de mettre fin à tout cela, constitue un scandale contre lequel la France fera tout ce qui est en son pouvoir. Nous avons obtenu la réunion du Conseil de sécurité de l'ONU pour que cette situation cesse, je sais pouvoir compter sur vous.

Le contexte est également marqué par la menace terroriste ; notre pays a été durement frappé. Nous avons réorganisé nos services, nous avons créé 9 000 emplois de policiers et de gendarmes, dont 2 000 dans les services de renseignement. Nous avons impulsé des initiatives européennes pour être plus efficaces - avec Frontex et ses garde-côtes et garde-frontières, avec les améliorations apportées au système d'information Schengen, à la lutte contre la fraude documentaire, à la directive sur les normes. Nous continuons à progresser.

Protéger les Français, c'est aussi protéger leur modèle social, ce sera au coeur du débat de la présidentielle. Je sais que les orientations des uns et des autres sont claires - du moins l'étaient-elles jusqu'encore récemment. Nous pensons, nous, que nous pouvons réformer sans abîmer notre sécurité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain), que nous pouvons réformer sans reculer. Le dire dans le respect ne signifie pas que nous ne devrions pas nous dire les choses.

Ce Gouvernement - héritier de ses deux prédécesseurs Ayrault et Valls - a-t-il contribué au redressement des comptes publics ? (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; « Non ! » à droite)

En 2012, le déficit budgétaire était de 5,3 % du PIB ; en 2017, le Haut Comité des finances publiques et la Commission européenne disent qu'il sera inférieur à 3 %.

Mme Isabelle Debré.  - Vous oubliez la crise !

M. Alain Vasselle.  - Vos chiffres sont faux !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Sauf à méconnaître les mathématiques, 5,3 %, c'est plus que 3 % ; il y a bien deux points de moins ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Alain Vasselle.  - Parlez-nous de la dette !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Je puis entendre une critique de l'opposition disant que les déficits ont diminué moins vite que souhaité - cela ne signifie pas, pour autant, qu'ils auraient augmenté ! Sous la houlette de François Hollande...

M. Michel Savin.  - C'est pour cela qu'il reste ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - ...nous avons fait en sorte que le taux des dépenses publiques diminue, il est passé de 3,3 % par an entre 2007 et 2012 à 1,2 % aujourd'hui. (Exclamations à droite)

M. Didier Guillaume.  - Acceptez les évidences !

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Il y allait de la soutenabilité de notre modèle social. Les sénateurs peuvent être fiers d'avoir participé à cette oeuvre, même s'il reste encore beaucoup à faire.

En 2012, le déficit des comptes de la sécurité sociale était de 17,8 milliards d'euros. Il est aujourd'hui de 430 millions.

M. Francis Delattre.  - Et la Cades ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Tous les républicains devraient s'en réjouir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain et du groupe RDSE) Ce ne fut pas au prix de déremboursements mais grâce à des réformes.

M. Francis Delattre.  - Lesquelles ?

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.  - Le développement de la chirurgie ambulatoire ou la réforme des retraites. Finalement, notre système est préservé et la dette de la sécurité sociale se résorbe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Si nous avons pu mettre en place le tiers-payant dans la loi de finances pour 2017, si nous avons étendu les remboursements des soins dentaires, c'est grâce aux efforts accomplis. Il conviendra de les poursuivre, notamment avec le compte personnalisé d'activité ou le compte de pénibilité.

La philosophie profonde de ce gouvernement, c'est de faire en sorte que face aux difficultés de la vie, les plus vulnérables bénéficient de la solidarité de la Nation. La réforme ne doit pas rimer avec destruction de notre modèle social ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Au niveau européen, nous avons réussi à faire modifier la directive de 2014 sur le détachement, nous réussirons de même pour la directive de 1996. Je sais pouvoir compter sur la ministre du travail pour s'y atteler.

L'enveloppe du plan Juncker a été portée à 500 milliards, pour développer l'éco-mobilité, des énergies renouvelables, les transports de demain, l'équipement numérique. Beaucoup se jouera dans les cinq prochains mois, et tous les ministres, autour du ministre des affaires européennes, mèneront ce combat, sans trêve.

J'ai aussi demandé à la ministre du travail de prolonger le plan des 500 000 formations pour les jeunes sans emploi. Pour améliorer la compétitivité des entreprises, nous irons plus loin sur le CICE, qui atteindra 7 % en 2017 ; et le taux d'impôt sur les sociétés sera réduit à 28 %. Les marges des entreprises se sont déjà redressées de deux points du PIB et 220 000 emplois industriels ont été créés ces derniers mois. Cela n'aurait pas été possible sans un effort de compétitivité.

Nous préparons aussi l'avenir en misant sur le développement durable et le transport de demain. Le dossier du RER E doit aboutir en Ile-de-France, c'est une urgence, comme l'ont montré les pics de pollution. Nous encouragerons aussi les transports électriques, comme à Marseille.

Nous poursuivons, dans les universités, les initiatives d'excellence et la création de pôles de niveau international. Ainsi à Saclay, nous visons l'intégration de la recherche, de l'innovation, de l'université, de l'industrie. Nous poursuivons la réforme des masters, et développons les bourses : 500 millions d'euros y ont été consacrés ces quatre dernières années. La méritocratie républicaine suppose que chacun ait une égale chance d'accès à l'école et à l'université. On sait ce qu'il en était quand 80 000 postes ont été supprimés dans l'Éducation nationale durant le précédent quinquennat. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste républicain et citoyen, socialiste et républicain et RDSE)

Nous avons fait face à une crise migratoire sans précédent. Deux millions de migrants sont arrivés dans l'Union européenne, pour fuir des régimes abjects, ceux de Bachar el-Assad, d'Érythrée, du Soudan, qui persécutent, qui emprisonnent, qui exécutent. Je suis fier d'appartenir à un Gouvernement qui au lieu de laisser les personnes dans le froid et la boue à Calais, a fait en sorte de les accueillir dignement, dans 465 communes en France, conformément à la tradition d'asile de la France. (Applaudissements sur les bancs des groupes communiste, républicain et citoyen, socialiste et républicain, écologiste et RDSE) La France restera en pointe sur les relocalisations. Le Gouvernement, ces prochains mois, devant les peurs légitimes, parlera à l'intelligence du peuple, non aux instincts qui abaissent le débat. (Applaudissements à gauche)

C'est ainsi que la France sera à la hauteur de son histoire. La volonté ne suffit pas à surmonter les défis mais sans elle, rien n'est possible. Ma seule boussole sera le sens de l'État et l'amour de la patrie, pour que le pays s'élève au-dessus de lui-même. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE où l'on se lève pour acclamer le Premier ministre ; marques d'ironie à droite)

M. Philippe Dallier .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Jamais discours de politique générale n'aura aussi mal porté son nom. La faute ne vous en revient pas, monsieur le Premier ministre, mais aux circonstances. À cinq mois des présidentielles, alors que le budget est sur le point d'être approuvé, du moins à l'Assemblée nationale...

M. Didier Guillaume.  - Le Sénat, lui, a démissionné !

M. Philippe Dallier.  - ...il n'est plus question de changer de politique.

François Hollande a annoncé qu'il ne serait pas candidat. Pourtant il affirme avoir redressé le pays, sauvé la sécurité sociale, assaini les comptes publics. Il était si content de son bilan ! Je croyais mal entendre... Le déficit de l'État est pourtant de 70 milliards. L'équilibre de la sécurité sociale n'est qu'apparent, le déficit reste élevé dans la branche maladie et s'il a baissé dans la branche vieillesse, c'est grâce à la réforme des retraites de 2010, que nous avons faite et que vous n'avez pas votée (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) ; le déficit du Fond de Solidarité vieillesse est de 4 milliards, tandis que la dette sociale reste forte.

M. Jean-Pierre Godefroy.  - Vous avez la mémoire courte...

M. Jean-Louis Carrère.  - Comparez avec vos résultats.

M. Philippe Dallier.  - Le chômage atteint des sommets, à cause de l'assommoir fiscal qui a tué la croissance. Voilà le bilan, qui empêche François Hollande d'être candidat - plus que ses confidences déplacées à des journalistes. Mais Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Martine Aubry et tous les frondeurs socialistes sont les premiers à le reconnaître, comme également MM. Valls et Macron, Ce dernier s'époumonait il y a peu à Versailles pour appeler à faire la révolution, rien que ça ! Que ne l'a-t-il faite quand il conseillait le président ou lorsqu'il était ministre !

François Hollande a été contraint de renoncer sous le poids de ce bilan, de ce boulet, et sous l'amicale pression de son Premier ministre, pressé de tenter sa chance. Jamais depuis 1958 la France n'avait connu pareille situation. Si le général de Gaulle avait appris que la Constitution de la Ve République, tant critiquée par la gauche, permettrait aujourd'hui à un président de la République socialiste lâché par les siens de se maintenir envers et contre tous, il en aurait ri. Lui aurait redonné la parole au peuple, plutôt que chercher à donner à son camp une toute petite chance de conserver le pouvoir. Les Français jugeront.

M. Didier Guillaume.  - On verra !

M. Philippe Dallier.  - François Hollande en sera réduit à déposer des chrysanthèmes et des couronnes de fleurs. Autant de mois de perdus pour la France, à assister au crépuscule de la gauche, qui n'a plus de boussole... Le Premier ministre est condamné à expédier les affaires courantes. Il assure que l'aéroport Notre-Dame-des-Landes n'est pas une priorité. Il n'y aura donc pas d'évacuation avant les élections présidentielles, alors que les tribunaux ont statué. Quel manque de courage. Quel affaiblissement de l'État.

Alep est tombé. Les responsables des atrocités sont en Syrie et devront être poursuivis. Mais il faut aussi s'interroger sur la position des Occidentaux, des États-Unis, de l'Europe, de la France, sur notre politique étrangère, l'ostracisme à l'égard de M. Poutine...

M. David Assouline.  - Vous êtes sous influence, comme Trump ! Le seul à ne pas être coupable, c'est Poutine ?

M. Philippe Dallier.  - La France ne pouvait agir seule, mais elle n'a pris aucune initiative. Fallait-il refuser le dialogue ? Quels en sont les résultats aujourd'hui ? François Fillon n'a pas dit autre chose pendant des mois, indigné que certains le montrent du doigt lors de la chute d'Alep. (Applaudissements sur les bancs Les Républicains)

Nous voterons la prolongation de l'état d'urgence, en formant pour vous des voeux de réussite sur ce sujet.

À l'Assemblée nationale hier, monsieur le Premier ministre, vous avez dit que vous n'étiez pas en poste pour éteindre la lumière avant de partir. Laissez-la allumée, ainsi nous pourrons nous mettre au travail immédiatement ! (Applaudissements à droite)

M. David Rachline .  - Monsieur Cazeneuve, votre discours montre que votre action comme Premier ministre ne changera pas la vie des Français.

Je vous présenterai notre politique. Démocrates (Protestations à gauche), nous rendrons la parole au peuple sur les grands sujets avec le référendum, mais la différence d'avec Sarkozy ou Fillon, nous en respecterons le résultat. Nous introduirons la proportionnelle intégrale pour garantir la représentation de tous les Français. Nous veillerons à retrouver notre souveraineté nationale. Souveraineté législative d'abord, car le Parlement doit cesser d'être la chambre d'enregistrement de textes imposés par Bruxelles. Souveraineté économique ensuite, avec le patriotisme économique, seul moyen de lutter contre le chômage de masse et de rendre aux entreprises des marges de manoeuvre pour lutter à armes égales avec leurs concurrents dans la mondialisation. Souveraineté régalienne, car il ne doit plus y avoir de frontières non contrôlées, ni de villages ou de quartiers où une autre loi que la loi française s'applique. Nous ne voulons pas de multiculturalisme importé ni d'immigration massive qui donne aux Français le sentiment de ne plus être chez eux ; nous refusons l'islamisation d'une partie de notre territoire et de notre population. La France doit puiser ses forces dans son histoire. L'identité de la France ne doit pas être diluée dans la mondialisation uniformisante ; un souffle ravive la France : c'est celui de Jeanne d'Arc, des poilus de la Grande Guerre et des résistants du plateau de Glières. Aujourd'hui, c'est Marine Le Pen qui l'incarne.

Mme Éliane Assassi .  - Tout d'abord, je souhaite exprimer ma solidarité avec les populations qui souffrent et qui meurent à Alep et dans le monde, à cause du jeu dangereux des grandes puissances depuis des décennies. Un état d'urgence est nécessaire, mais c'est l'urgence de la paix !

Une déclaration de politique générale aujourd'hui est un pari impossible. Croyez-vous pouvoir écrire une nouvelle page du quinquennat et rendre acceptable un bilan que rejettent même ceux qui ont voté pour vous ? Pour la première fois, un président de la République doit avouer son échec avant même la fin de son mandat et renoncer à se présenter à nouveau. Cet échec n'est pas dû à la droite, il est lié au renoncement par rapport aux promesses de campagne, il est causé par une soumission au dogme des traités européens libéraux.

François Hollande avait été élu pour lutter contre la finance mais il a ratifié dans la foulée un traité libéral. S'il y a eu quelques bonnes mesures, comme le mariage pour tous, la soumission au Pacte de stabilité a plongé la France dans la crise, au détriment de l'emploi. Le CICE est l'exemple type des mesures à bénéfice unilatéral. Ainsi Carrefour a touché 146 millions d'euros en 2014 alors que ses dividendes augmentaient de 25 % par rapport à 2012 !

Votre dogmatisme a repoussé aux calendes grecques la réforme de la fiscalité. Résultat, un matraquage fiscal des Français modestes, écrasés d'impôt, pendant que les plus riches fuient la France.

Des pistes existent : investir dans la production et la recherche, rompre avec l'ordre libéral. Vous n'avez pas même tenté de le faire. Les services publics sont menacés, ce qui ouvre la voie à la thatchérisation promise par François Fillon.

La loi Macron a bradé les aéroports, étendu le travail le dimanche, créé des aménagements fiscaux pour les actions gratuites distribuées aux cadres dirigeants, sans parler de la casse des élections prudhommales. La Loi El Khomri, adoptée par le 49-3, est le couronnement de votre renoncement, de la faillite du quinquennat. Au groupe CRC, on ne lâche rien. Nous avons déposé une proposition de loi pour l'abroger. L'emploi de la force policière n'a pas empêché la mobilisation citoyenne. Nous voilà revenus aux rapports de classe de la fin du 19e siècle.

Nous nous battrons pour contrer le programme ultraconservateur de M. Fillon, pour rompre avec le dogme libéral, lutter contre la liquidation du droit du travail. Le projet funeste de la droite, imposé par Reagan et Thatcher, est minoritaire. Ce n'est pas ce que veulent les Français, ils veulent des écoles ouvertes à tous, des logements accessibles, des hôpitaux qui soignent, du travail. Cette France, ma France, est celle de la paix, de la liberté, la solidarité et la fraternité, trois valeurs que nous espérons voir longtemps orner les frontons de nos mairies.

Seule une rupture avec le dogme libéral permettra de vaincre la droite et l'extrême-droite. Rassemblons-nous ! Chaque jour compte pour reconstruire l'espoir. Nous savons faire la différence entre la droite et la gauche, même si ce quinquennat nous a rendu la tâche difficile... (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste républicain et citoyen)

M. Jacques Mézard .  - Il est des hommes dont les qualités sont sublimées dans la difficulté. Vous êtes de ceux-là, monsieur le Premier ministre. Que n'êtes-vous arrivé plus tôt à Matignon ! Ministre de l'intérieur, vous avez fait face avec courage à un terrorisme aveugle que nous condamnons tous ici. Permettez-moi de rendre un hommage à nos forces de l'ordre qui font tant pour la sécurité de nos concitoyens.

Vous arrivez à Matignon pour un contrat à durée déterminée de cinq mois. Ce n'est pas un hasard si vous avez cité Pierre Mendès France : président du Conseil pendant sept mois seulement, il a néanmoins profondément marqué la politique dans notre pays.

La France doit être préservée. Vous avez placé votre action dans la continuité et insisté sur le bilan de vos prédécesseurs, preuve de votre loyauté. Assumer le bilan n'est pas le plus facile, même si entre le « tout est parfait » et le « rien ne va », il y a une marge - du reste, je mets en garde M. Dallier, le chant du coq précède souvent le chant du cygne.

Nous avons déploré la désastreuse réforme territoriale, mais en avons voté d'autres. Nous espérons que nous pourrons renforcer la place de la France. La période électorale ne s'y prête pas, il est vrai.

Mais la montée des populismes nous force à agir. Le déséquilibre des pouvoirs est devenu inquiétant. La concertation entre tous les partis est plus que jamais nécessaire. Il n'est jamais trop tôt pour rassembler, il est souvent trop tard. Monsieur le Premier ministre, vous avez insisté sur le « respect ». J'y vois une trace de votre passage dans la sensibilité politique qui et la mienne. Cela sera un vrai changement !

Une démocratie représentative suppose le respect de nos compatriotes, de toux ceux qui vient sur le territoire de la République, mais aussi du Parlement - c'est-à-dire des deux chambres qui le composent. Cela n'a pas été vraiment le cas durant les deux derniers précédents quinquennats, pas seulement à cause de l'abus de la procédure accélérée mais aussi d'un comportement général de mépris. Ce déséquilibre profond de nos institutions tient davantage à la pratique de l'exécutif qu'à la lettre de la Constitution.

La place prééminente du président de la République dans la Ve République est responsable de cette situation. Le bicamérisme est indispensable. (Mme Françoise Gatel applaudit) Certains proposent pourtant de tirer au sort les sénateurs, ou de fusionner le Sénat avec le Conseil économique, social et environnemental.

M. Michel Berson.  - Cela n'a aucun sens !

M. Jacques Mézard.  - D'autres veulent euthanasier la moitié des sénateurs comme on faisait rouler autrefois des têtes dans un panier pour apaiser les colères.

Le bougisme n'est pas le progressisme, c'est une pathologie : les réformes électorales et territoriales succèdent aux réformes. Arrêtons-en de modifier les règles et les institutions territoriales, pour préparer l'avenir. (Mme Françoise Gatel applaudit à nouveau)

Le numérique bouleverse notre vie : intelligence artificielle, ordinateurs quantiques. Monsieur le Premier ministre, vous disposez de peu de temps, peut-être pouvez-vous l'accélérer. La France doit agir aussi sur la scène internationale, face aux empires qui se reconstituent en tirant profit de la fragilité européenne. J'espère que vous prendrez des initiatives en Libye, au Moyen-Orient, et pour améliorer nos relations avec la Russie.

Monsieur le Premier ministre, vous n'êtes pas là pour assurer une fin de règne mais surmonter les clivages et faire avancer la Nation. (Applaudissements sur les bancs du groupe RDSE)

M. François Zocchetto .  - Votre nomination clôt un épisode inédit. Alors que la France est en crise, que la menace terroriste est à son paroxysme, le Premier ministre et le président de la République se sont déchirés, offrant un curieux spectacle !

M. Roland Courteau.  - Poisson, Juppé, etc.

M. François Zocchetto.  - Les mêmes, alternativement, parlent d'échec, de succession de renoncements et de trahison ou repeignent le bilan en rose, selon les besoins de leur ambition personnelle.

J'espère que votre nomination instillera un peu de dignité à la fin de ce quinquennat. Nous n'attendons plus rien de ce Gouvernement sur le plan économique, lui qui a hésité entre lutte des classes et soutien aux entreprises.

Résultat, le chômage explose et les déficits n'ont pas été réduits. Le Gouvernement n'a pas su renoncer aux vieilles lunes de la gauche et il est contraint aujourd'hui de présenter des comptes maquillés. Non, les comptes ne sont pas à l'équilibre.

M. Didier Guillaume.  - Il y a 18 milliards d'euros d'écart entre votre bilan et le nôtre.

M. Roland Courteau.  - Vous avez la mémoire courte !

M. François Zocchetto.  - En dépit de votre bonne volonté, vous ne pouvez revenir en arrière ni changer de trajectoire, prisonnier d'une majorité déchirée. Ministre de l'intérieur, vous avez voulu restaurer la sécurité et la parole de l'État.

M. Didier Guillaume.  - Il l'a fait !

M. François Zocchetto.  - Nous vous avons toujours soutenu sur ce point. Les forces de l'ordre, qui font un travail remarquable, sont épuisées. Pour preuve, de nouvelles manifestations de policiers. Et, fait nouveau, ceux-ci sont victimes d'actes d'hostilité. Nous devons les soutenir.

Daech recule au Moyen-Orient, mais comment parler de victoire au vu de la tragédie qui se joue à Alep ? Vous n'en êtes pas responsables, mais vous avez refusé tout contact avec le régime syrien, toute discussion avec la Russie, et cette attitude prive aujourd'hui la France de levier d'action.

La diplomatie sert pourtant à cela, à maintenir des passerelles avec les régimes les plus critiquables. Cela vaut mieux que de se draper dans des postures morales qui n'impressionnent plus personne et qui sont contre-productives.

Monsieur le Premier ministre, vous prétendez restaurer la crédibilité de la parole de l'État. Eh bien, vous en avez une excellente occasion : évacuez la zone de Notre-Dame-des-Landes, où une minorité ultraviolente fait fi des procédures démocratiques engagées depuis trente ans, des décisions de justice innombrables, et même du résultat d'un référendum.

M. Jean Desessard.  - Et les opposants à l'écotaxe ?

M. François Zocchetto.  - Monsieur le Premier ministre, montrez-nous que ce quinquennat peut avoir un autre visage, celui d'une gauche raisonnable et constructive qui serait, demain, une opposition utile ! (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean Desessard .  - Le groupe écologiste condamne avec vous les atrocités commises à Alep et soutient votre démarche.

Votre déclaration de politique générale était de bonne facture tout en étant paradoxale. Feuille de route minimale pour une fin de quinquennat difficile, c'était aussi le testament d'une majorité fracturée, faute que l'on ait su faire vivre l'espoir né de la victoire de François Hollande en 2012.

Le renoncement du président de la République à se représenter souligne l'échec patent de ce quinquennat et de la gauche, qui n'était soudée que par l'anti-sarkozisme. (On le confirme à droite) Le parti socialiste, majoritaire à l'Assemblée nationale, a cru pouvoir gouverner seul, votre prédécesseur a cru tout pouvoir régler à coups de menton et de 49-3.

M. Didier Guillaume.  - Parce que tout va bien chez les écologistes ?

M. Jean Desessard.  - Ce quinquennat nous laisse un goût d'inachevé. Si l'accord de Paris, attendu depuis des décennies, a été un succès...

M. Philippe Kaltenbach.  - Historique !

M. Jean Desessard.  - ... la France ne s'engage pas dans la voie du respect de ses engagements. Les écologistes ont soutenu la loi de transition énergétique ; elle est bien mal appliquée. C'est que la philosophie productiviste fait obstacle.

Nous nous félicitons de l'adoption de la loi Blandin sur les lanceurs d'alerte, de la loi Abeille sur les ondes électromagnétiques, de la loi Allain sur l'ancrage territorial de l'alimentation et de la loi Gattolin sur l'interdiction de la publicité durant les émissions infantiles. Seulement, vous reprenez d'une main, dans les lois Montagne et Sapin 2, ce que vous donniez de l'autre !

S'il est un domaine où le Gouvernement a soufflé le chaud et le chaud, c'est celui de l'immigration. Le discours d'extrême fermeté de M. Valls a rompu avec la tradition d'asile de la France, ce qui n'a pas empêché son pragmatique ministre de l'intérieur de s'entendre avec le maire de Grande-Synthe pour la gestion du camp humanitaire. Faites-nous oublier le triste épisode où la gauche a envisagé la déchéance de nationalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

Monsieur le Premier ministre, en quelques mois, vous pouvez poser les premiers jalons du revenu de base inconditionnel ; une allocation sociale unique serait un premier pas, mais nous proposons d'aller plus loin, conformément à la recommandation unanime de notre mission d'information. Vous pouvez fermer la centrale de Fessenheim, en anticipant ainsi les problèmes financiers d'EDF... tout en tenant une promesse de François Hollande. Vous pouvez lutter fermement contre le diesel et la pollution atmosphérique qui tue chaque année 48 000 Français et nous coûte des milliards. Nous nous réjouissons que le Gouvernement renonce à l'affrontement avec les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Allez jusqu'au bout, et abrogez l'arrêté d'utilité publique. (Exclamations sur plusieurs bancs au centre et à droite) Nous avons bien renoncé à l'écotaxe sous la pression des bonnets rouges !

Monsieur le Premier ministre, ces cinq mois comptent triple. Chaque jour, il vous faudra gouverner le pays, mais aussi changer de méthode en associant davantage le Parlement, et créer de l'espoir par des mesures fortes et concrètes. Les actes restent, les promesses s'envolent... Tracez donc le sillon d'un avenir partagé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste)

M. Didier Guillaume .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain) Alep martyrisée, Alep bombardée, Alep abandonnée. Où est la communauté internationale ? Sommes-nous capables, au lieu de déformer le bilan du quinquennat, au lieu d'envoyer quelques parlementaires pour un voyage d'agrément en Syrie, de dire ensemble que cela ne peut continuer ? Le peuple d'Alep mérite mieux ! (Vifs applaudissements sur les mêmes bancs)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - C'est un peu facile !

M. Didier Guillaume.  - Si l'ONU ne tient pas son rôle, changeons l'ONU. Ce qui se passe à Alep est inacceptable !

Monsieur le Premier ministre, le président de la République vous a confié la charge de tenir la barre tout en préparant l'avenir, et nous avons pleine confiance en vous. Mes chers collègues, le second tour de la primaire de la droite et du centre n'est pas le second tour de l'élection présidentielle ! La gauche fera tout pour ne pas vous laisser détruire ce qu'elle a construit ! (Applaudissements sur les mêmes bancs)

Assez de double discours : vous combattez le CICE et le pacte de responsabilité à Paris, vous vous en félicitez devant les chefs d'entreprise dans nos départements. Vous demandez la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires en vous battant contre les fermetures de classe dans les territoires ruraux et les montagnes. Le Sénat devrait soutenir tout ce qui est bon pour la France, tout ce qui est bon pour les Français, que le Gouvernement soit de gauche ou de droite. Pourquoi vous opposer au compte personnel d'activité, à la garantie jeunes ? Quand le Premier ministre annonce que le nombre de jeunes chômeurs est moindre en 2017 qu'en 2012, c'est un fait, vous devriez vous en réjouir ! Je ne veux pas vous faire la leçon (Mme Françoise Gatel s'esclaffe) mais le débat public mérite mieux.

M. Jean-Baptiste Lemoyne.  - Le taux de chômage des jeunes atteint 24 % !

M. Didier Guillaume.  - Écoutez-moi, j'ai écouté vos discours sans intervenir alors qu'ils avaient peu de lien avec la déclaration de politique générale, et beaucoup à voir avec la future campagne présidentielle !

Monsieur le Premier ministre, vous êtes un homme politique de grand talent. Je suis fier du démantèlement de la jungle de Calais : c'est l'honneur de la France, du Gouvernement précédent et de la gauche ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Patrick Abate applaudit aussi) Que certains à droite, en Auvergne Rhône-Alpes, encouragent les maires à ne pas accueillir les réfugiés, c'est indigne !

Monsieur le Premier ministre, vous avez accompli votre tâche au ministère de l'intérieur avec sérénité, retenue, précision. Je salue votre successeur Bruno Le Roux, qui marchera dans vos pas. Nous avons confiance en vous pour poursuivre l'oeuvre accomplie depuis 2012. Chers collègues de droite, c'est à la fin du marché qu'il faut compter les oies, comme on dit dans le Sud-Ouest ! Ne vendez pas la peau de l'ours avant d'avoir abattu la bête ! (Rires ironiques à droite)

Le groupe socialiste et républicain vous est acquis. Fier du bilan de ce quinquennat, il le défendra en bloc ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre .  - Merci de vos interventions sincères et, pour la plupart, pondérées. Je ne vous infligerai pas, en guise de réponse, une seconde déclaration de politique générale. Tous, vous avez évoqué, avec gravité et profondeur, la situation à Alep. Monsieur Dallier, loin de moi l'idée d'imputer à M. Fillon quelque responsabilité que soit : il ne gouverne pas. Il n'est pas interdit, en revanche, de s'interroger sur ses orientations de politique étrangère. Il est injuste de dire que le Gouvernement n'a rien fait. En juillet 2013, quand l'Europe restait silencieuse, le président de la République et le ministre Laurent Fabius appelaient à nouer le dialogue avec l'opposition modérée. Que n'a-t-on entendu alors ! Au nom de la lutte contre Daech et pour l'avenir de la Syrie, on nous conjurait de faire alliance avec le régime de Bachar-El-Assad, l'Iran et la Russie. Raisonnement qui montre aujourd'hui ses limites, quand on voit la situation à Alep... Déterminé à combattre le projet de M. Fillon, je respecte sa personne et je me refuse à user avec lui des mêmes outrances que j'ai moi-même subies. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE ; M. Michel Le Scouarnec applaudit aussi) Face à une situation d'une telle gravité, les humanistes, très majoritaires dans cet hémicycle, doivent pouvoir s'entendre pour trouver des solutions !

Notre-Dame-des-Landes ? Bien que laïque convaincu, je connais l'Ecclésiaste : il y a un temps pour tout. Aussi n'ai-je pris aucune position publique sur le sujet jusqu'à aujourd'hui - ministre de l'intérieur, j'étais chargé de déterminer les conditions d'intervention sur le terrain. Voici donc le fond de ma pensée. À Notre-Dame-des-Landes, des projets ont été soutenus par les collectivités territoriales et par l'État depuis quatorze ans ; les 169 recours ont tous été rejetés. Reste que l'Union européenne a engagé une démarche précontentieuse. Les collectivités territoriales doivent en tenir compte dans leur Scot, ce sera fait le 19 décembre, si ma mémoire est bonne. Nous verrons alors si ce précontentieux est purgé.

Si c'est le cas, je ferai en sorte que le droit s'applique. Le républicain que je suis ne peut accepter que l'on y fasse obstacle par la violence. La question n'est pas de savoir si l'opération doit avoir lieu, mais comment elle peut se dérouler dans les meilleures conditions, sans violences, sans blessés et, fortiori, sans mort. Ministre de l'intérieur, j'ai vécu un événement que je ne veux pas voir se réitérer. Vouloir marcher sur Notre-Dame-des-Landes toutes troupes déployées, en écartant toute autre considération, ce n'est pas raisonnable.

En outre, la menace terroriste est au plus haut, nos forces de l'ordre épuisées - n'est-ce pas, monsieur Zocchetto - et l'on ne peut dégarnir ce front pour les engager inconsidérément sur une autre opération. On ne saurait, sous prétexte que les élections approchent, se lancer dans une intervention qui ne serait pas maîtrisée !

Je serai donc prudent sur ce sujet, c'est-à-dire non pas pusillanime, mais méticuleux et pragmatique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ; M. Alain Bertrand applaudit aussi)

Enfin, la lutte contre le terrorisme. Sachez ma reconnaissance pour la qualité des débats qui ont eu lieu ici sur l'état d'urgence comme sur les lois antiterroristes. Le travail accompli par M. Mercier, comme par M. le président Bas, est remarquable. Avec Mmes Assassi et Benbassa, j'ai eu des échanges plus toniques, mais toujours respectueux, chacun se montrant conscient des contraintes actuelles. Ce que je dis est un peu intéressé, car j'espère que le Sénat témoignera du même souci de rassemblement à propos de la prolongation de l'état d'urgence, puis du projet de loi relatif à l'usage de leurs armes par les forces de l'ordre...

Les forces de l'ordre ? Pardon de vous lasser, mais je me vois forcé de répéter que la majorité précédente a supprimé 13 000 postes, quand nous en avons créé... Mais parlons de l'avenir : quel que soit le Gouvernement, l'effort devra être maintenu, en termes d'effectifs comme de moyens.

Les questions de sécurité doivent aussi être abordées au niveau européen, avec le système d'information Schengen, la directive sur les armes à feu, la lutte contre les armes à feu, le renforcement de l'expertise de Frontex... Sur ces sujets, croyez-moi, les États membres sont loin d'être unanimes, et la France doit être forte.

J'en arrête là, sans avoir convaincu chacun d'entre vous, peut-être, mais il me reste cinq mois... (Sourires et applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE ; Mme Corinne Bouchoux, MM. Ronan Dantec et Michel Le Scouarnec applaudissent aussi)

La séance est suspendue à 18 h 10.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 18 h 20.