Questions d'actualité

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.

La séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site Internet du Sénat. Je vous appelle au respect des uns et des autres et à celui du temps de parole.

Taux de croissance pour 2016 (I)

M. Vincent Capo-Canellas .  - L'Insee a publié ce matin le chiffre de la croissance en 2016 : 1,1 % contre 1,2 % l'année précédente et 1,4 % prévu par le Gouvernement contre vents et marées... Il faut aussi comparer ce chiffre médiocre à la performance moyenne de l'Union européenne : 1,9 % !

Ce résultat est celui de la politique menée depuis cinq ans. Comment allez-vous expliquer aux Français que des statistiques aussi médiocres recèlent des éléments positifs ? Comment envisagez-vous, dans le temps qui vous reste, de restaurer une croissance dynamique ? (Applaudissements au centre)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics .  - Ce chiffre est à relativiser. L'Insee publie les chiffres de croissance fin janvier et les rectifie par la suite : en 2013, le chiffre estimé de la croissance est passé de 0,7 % à 0,2 % puis à 0,6 %...

La croissance n'a pas toujours d'influence sur les recettes de l'État, qui dépendent de l'inflation, de l'élasticité, du déstockage de l'épargne des Français... Plus important, le déficit de l'État s'est réduit d'un milliard ; certes, la croissance n'est pas d'un niveau exceptionnel, mais il est meilleur que naguère. De plus, la croissance de 0,4 point au dernier trimestre dessine une perspective encourageante. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Chiffres de la délinquance

M. François-Noël Buffet .  - (Applaudissements sur les bancs du groupe Les Républicains) Lundi, un lycéen a été poignardé à Paris ; mercredi, un policier a été attaqué par un jet de parpaing à Corbeil-Essonnes. Les professionnels constatent un regain de violence sur notre territoire. Les organismes, l'un indépendant, l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l'autre dépendant du ministère de l'intérieur, constatent une hausse des violences de 4 % en 2016. Le Gouvernement, lui, communique en parlant d'une baisse.

Pourquoi ce Gouvernement déclare-t-il que « tout va bien, madame la marquise » ? (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Veuillez excuser M. Le Roux qui défend en ce moment le projet de loi sur la sécurité à l'Assemblée nationale.

Il ne peut y avoir de désaccord de statistiques entre le Gouvernement et ce que dit le service statistique du ministère car cet institut applique la même méthode rigoureuse que l'Insee.

La baisse est effective pour la troisième année consécutive. Il y a une baisse des principaux indicateurs depuis cinq ans : vols avec violence, vols de véhicules, etc... - et même du nombre de victimes qui ne portent pas plainte. La fragilité, ce sont les cambriolages. Un plan dédié ainsi qu'un plan d'équipement supplémentaire de 250 millions d'euros y remédiera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. François-Noël Buffet.  - Ces organismes donnent des chiffres : il y a bien 4 % de violences en plus. Le Sénat a heureusement débuté l'examen d'une proposition de loi sur la justice pénale et l'exécution des peines. (Applaudissements à droite)

Téléphonie mobile

M. Alain Bertrand .  - Une bonne partie du pays - les ruraux et les montagnards  - n'a pas de couverture de téléphonie mobile. C'est moins de chiffre d'affaires, d'emplois, de services publics... L'article 9 A de la loi Montagne voté par le Sénat oblige les opérateurs à couvrir tout le territoire mais il a été supprimé en CMP à la demande du Gouvernement, malgré le soutien de M. Baylet, rural comme moi. Comment mettrez-vous fin à cette incurie ? (Applaudissements sur la plupart des bancs)

Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargée du numérique et de l'innovation .  - Je partage votre colère depuis le début. (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs du groupe RDSE) Les élus locaux ne cessent de m'alerter : 80 % des courriers que je reçois portent sur ce sujet. Or les opérateurs me répondent : circulez, il n'y a rien à voir. Ils s'élèvent contre la perspective d'une économie administrée et m'expliquent qu'ils ne sont pas là pour payer pour les pauvres, les handicapés, les habitants des campagnes. (La voix de la ministre est couverte par les protestations sur tous les bancs) Nous avons persévéré avec le programme de couverture des zones blanches (marques d'approbation) et le programme de couverture France mobile. Les opérateurs cette fois, auront des comptes à rendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Alain Bertrand.  - Je suis stupéfait de votre réponse. France Mobile est un sous-dispositif, une usine à gaz destinée à des ruraux traités en sous-développés. On traite quelques sujets au cas par cas. Nous payons les mêmes impôts qu'ailleurs, nous voulons le même traitement. (Applaudissements sur de nombreux bancs)

Livre blanc sur la recherche

Mme Corinne Bouchoux .  - Ce matin, vous présentiez, monsieur le ministre de l'enseignement supérieur, le Livre blanc sur la recherche. Nous nous félicitons de l'ambition qu'il porte : 60 % de diplômés dans une classe d'âge, politique innovante, statut des enseignants-chercheurs, objectif de part du PIB consacrée à l'enseignement supérieur et à la recherche... Ce sujet mérite de figurer au coeur du débat politique à l'approche de l'élection.

Aux États-Unis, le gel des crédits et la mise au pas de la recherche doivent nous faire réfléchir. Le rôle de l'enseignement supérieur et de la recherche doit être reconnu.

Quelle est la place, notamment, de la transition énergétique et du développement durable dans la stratégie que vous portez ?

M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche .  - La remise de ce Livre blanc de l'enseignement supérieur et de la recherche est plus qu'une obligation légale : c'est l'expression de la conviction que la matière grise est la première matière à préserver, et de la volonté de redonner à notre pays une place éminente sur la scène internationale à l'heure où le Royaume-Uni annonce un effort supplémentaire de 4 milliards sur les quatre prochaines années.

Ce document établit des objectifs chiffrés et mesure pour la première fois de manière indépendante l'impact de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la croissance : 0,5 point de PIB.

Le développement durable est mentionné une cinquantaine de fois dans le Livre blanc, la transition écologique vingt-huit fois. Je me permets de vous y renvoyer. Nous devrons relever ces défis ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mme Corinne Bouchoux.  - Merci, nous devons nous convaincre collectivement de l'importance de ces sujets. (Applaudissements sur les bancs écologistes)

Décret Trump

M. Éric Bocquet .  - Je vais commencer par un poème :

« Envoyez-moi vos fatigués, vos pauvres,

Envoyez-moi vos cohortes qui aspirent à vivre libres,

Les rebuts de vos rivages surpeuplés

Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m'apporte,

De ma lumière, j'éclaire la porte d'or ! »

Ces derniers vers du poème Le Nouveau Colosse d'Emma Lazarus sont, depuis 1903, gravés sur une plaque de bronze fixée à la base de la statue de la Liberté, à New York, pour souhaiter la bienvenue aux réfugiés.

Un siècle plus tard, les ressortissants de sept pays ne sont plus les bienvenus sur le sol américain pendant quatre-vingt-dix jours et l'entrée sur celui-ci est refusée même aux réfugiés de ces pays. La juge fédérale Ann Donnelly a partiellement annulé les effets de ce décret et les réactions internationales n'ont pas tardé : le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a invité les réfugiés à venir au Canada ; Mme Merkel a donné une leçon de droit humanitaire à Donald Trump. La réponse de la France n'a pas été la plus rapide. Beaucoup s'interrogent sur ce retard. La France doit faire entendre sa voix avec la plus grande clarté et la plus grande fermeté au nom des valeurs humanistes qu'elle porte toujours dans le monde. (Applaudissements)

M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre .  - Votre critique n'est pas juste : nous avons très vite réagi contre ce décret choquant. Depuis 1793, la France offre l'asile à tous les persécutés. Jean-Marc Ayrault a réagi avec beaucoup de netteté, très vite, prenant contact avec ses homologues européens.

Le décret Trump est inefficace contre le terrorisme, sa motivation affichée. Ce n'est pas en interdisant l'entrée des États-Unis aux ressortissants de ces sept pays qu'on se bat, mais en renforçant les échanges entre services de renseignement, en coopérant militairement et en agissant comme nous le faisons au Levant dans le cadre de la coalition. Les déclarations ne mènent à rien.

Nous sommes la France, qui porte un message universel que les peuples du monde attendent d'elle. Nous serons fermes, actifs et intraitables. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain ainsi que sur certains bancs à droite et au centre)

Mesures en faveur de la jeunesse

M. Jacques-Bernard Magner .  - L'action en faveur des jeunes a été une priorité de ce quinquennat. La loi Égalité et citoyenneté vient d'être promulguée, malgré l'opposition de la majorité sénatoriale, qui a tout tenté contre elle, de la question préalable à la saisine du Conseil constitutionnel. Cette loi crée les conditions de la généralisation d'une culture de l'engagement citoyen, notamment par la création d'un congé d'engagement associatif et la mise en place de la réserve civique, pour que 350 000 jeunes soient engagés d'ici 2018, ou encore le financement du permis de conduire par le compte personnel de formation ; ces mesures concrètes sont très attendues par la jeunesse. Quel en est le calendrier d'application ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports .  - Ce gouvernement fait en sorte que les lois votées soient appliquées au plus vite. Création d'une circonstance aggravante de racisme, congé d'engagement bénévole - combattu par la majorité sénatoriale ! - sont d'ores et déjà en vigueur. Les jeunes peuvent financer leur permis de conduire par le compte personnel et formation. Le décret du 17 avril créera la réserve civique. C'est une loi importante, de progrès.

Je salue enfin le parcours exceptionnel de notre équipe de handball qui a remporté son sixième titre de championne du monde. (Applaudissements à gauche et quelques applaudissements à droite) J'aurais aimé que la droite aussi applaudisse nos sportifs. (Huées à droite)

Taux de croissance pour 2016 (II)

M. Francis Delattre .  - Alors que l'Espagne affiche une croissance de 3,2 % et la création de 550 000 emplois, que les prix de l'énergie et les taux d'intérêt sont bas, l'Insee annonce une croissance de 1,1 % alors que la prévision était de 1,4 %. Tous les économistes estiment qu'une croissance ne crée des emplois qu'à partir de 1,5 % de croissance, ce qui explique la hausse du chômage : 26 000 inscrits de plus à Pôle Emploi en catégorie A.

Malgré ce constat d'échec, le ministre annonce une année 2017 dynamique. Les vrais chiffres seront dans la loi de règlement... Cette politique ne conduit-elle pas au suicide économique et au manquement à nos engagements européens ? (Applaudissements à droite. Brouhaha à gauche)

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics .  - Je n'ai pas bien entendu la fin de votre question, mais j'ai entendu le début, qui énonce une critique infondée. Les chiffres sont connus : notre déficit est d'un milliard inférieur à ce qu'il était l'an dernier. Rendez-vous en effet au mois de juin pour le constater en loi de règlement.

En un an, 110 000 chômeurs en moins ont été constatés à Pôle Emploi. Ce n'est pas contestable. Vous parlez d'un taux de croissance minimal de 1,5 % pour faire baisser le chômage. Mais l'économie n'est pas une science aussi rationnelle que les mathématiques. Ce qui compte, ce n'est pas tant la croissance que ses conséquences concrètes. Oui, monsieur le sénateur, rendez-vous en juin pour la loi de règlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Mal-logement

Mme Évelyne Yonnet .  - La situation du mal-logement s'aggrave : 143 000 personnes sans domicile fixe, 3,96 millions mal logées, 14,6 millions touchées par la crise du logement : locataires incapables de payer, propriétaires impécunieux, copropriétés dégradées, habitat indigne.

Les prix de l'immobilier ont doublé en moins de vingt ans, et depuis l'an 2000 les loyers ont augmenté de 55 % dans les grandes agglomérations, deux fois plus vite que l'inflation !

L'encadrement des loyers, l'amélioration de la transparence des attributions des HLM, le renforcement de l'hébergement d'urgence sont parmi les mesures utiles prises par le Gouvernement. Je salue également ses efforts contre la réduction des inégalités territoriales et sociales, ainsi qu'en matière d'urbanisme et d'aménagement. Ainsi, un sous-préfet dédié à la lutte contre l'habitat indigne a été nommé d'après ma proposition de loi.

Quel est le bilan des mesures mises en place pour résorber le mal logement et renforcer l'hébergement d'urgence ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Veuillez excuser Mme Cosse, retenue auprès de la Fondation Abbé Pierre.

Le Gouvernement salue votre travail en la matière, madame Yonnet, et lui-même agit : loi de mobilisation du foncier public, renforcement de la loi SRU en 2013, encadrement des loyers en 2014, réforme d'Action logement et des aides à la pierre en 2015, loi Égalité et citoyenneté en 2016... J'ajoute que 2 130 000 permis de construire ont été délivrés pour 1,8 million de mises en chantier, et le cap du 110 000e ménage hébergé au titre du Dalo a été franchi.

La droite souhaite maintenant supprimer l'encadrement des loyers, la loi Alur, la loi SRU et les APL ; et même vendre les logements sociaux ! Les Français trancheront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

Procès en islamophobie

M. François Bonhomme .  - Élisabeth Badinter déclarait il y a un an qu'il ne fallait pas avoir peur de l'accusation d'islamophobie. Il y a quelques jours, l'historien de la Shoah Georges Bensoussan était attaqué en justice, poursuivi pour incitation à la haine raciale. Même la Licra se désolidarise du collectif contre l'islamophobie et son cortège de prédicateurs. Le philosophe Pascal Bruckner a lui aussi comparu. Heureusement, la justice n'est pas dupe de la stratégie de certains groupes islamistes et la décision des juges a marqué la victoire de la liberté d'expression. Mais on n'a pas entendu le Gouvernement frileux. Il est temps de soutenir nos enseignants dans leur tâche alors que l'enseignement de la Shoah est devenu impossible dans certains territoires de la République.

Il n'y aurait d'autre coupable que la République et la France ! Ne croyez-vous pas qu'il est temps de défendre la République contre ses fossoyeurs ? (Applaudissements à droite)

M. Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice .  - Je suis surpris par votre question, monsieur le sénateur, qui ne traduit pas le comportement du Gouvernement. La loi Égalité et citoyenneté renforce la lutte contre le racisme et l'antisémitisme à travers les actions de groupe. Le président de la République a réaffirmé à maintes reprises son engagement, en particulier lors du dîner du Crif. J'ai diffusé en juin 2016 une circulaire aux parquets dans laquelle j'ai réaffirmé la priorité de la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et toutes les formes de discrimination. Votre indignation ne repose sur aucun fait. (Applaudissements sur les bancs des groupes socialiste et républicain et RDSE)

Alimentation en eau de Mayotte

M. Thani Mohamed Soilihi .  - Mayotte connait depuis novembre la pire sécheresse de son histoire en raison d'un fort déficit pluviométrique. Les réserves en eau sont de l'ordre de 15 à 20 % des capacités. Depuis fin décembre, l'eau est coupée deux jours sur trois sur la plus grande partie du territoire. La rentrée scolaire a été repoussée du 9 au 12 janvier. L'eau est, de manière générale, une denrée rare à Mayotte. Quelles mesures d'urgence le Gouvernement entend-il prendre pour remédier à cette pénurie aux conséquences sanitaires potentiellement dramatiques ?

Des mesures de sensibilisation à ces risques seraient en outre opportunes... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et républicain)

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement .  - Le Gouvernement suit avec la plus grande attention la situation à Mayotte et travaille en lien avec le syndicat intercommunal de l'eau et de l'assainissement de l'île.

Trente-quatre rampes ont été installées pour apporter de l'eau potable et l'envoi d'un tanker pour compléter l'approvisionnement est envisagé, ce qui suppose l'installation de pompes pour apporter cette eau dans les réseaux. Un raccordement du réseau nord au réseau sud de l'île est aussi prévu. Nous sommes aussi attentifs à la situation des collèges et des lycées ; à moyen et long termes, nous engagerons un travail pédagogique pour développer une culture d'économie de l'eau.

Vous pouvez compter sur la détermination du Gouvernement et de la ministre des outre-mer pour assurer l'approvisionnement des Mahoraises et des Mahorais.

La séance est suspendue à 17 h 30.

présidence de M. Claude Bérit-Débat, vice-président

La séance reprend à 17 h 45.